Passer au contenu
Début du contenu

CLAR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

LEGISLATIVE COMMITTEE ON BILL C-20, AN ACT TO GIVE EFFECT TO THE REQUIREMENT FOR CLARITY AS SET OUT IN THE OPINION OF THE SUPREME COURT OF CANADA IN THE QUEBEC SECESSION REFERENCE

COMITÉ LÉGISLATIF CHARGÉ D'ÉTUDIER LE PROJET DE LOI C-20, LOI DONNANT EFFET À L'EXIGENCE DE CLARTÉ FORMULÉE PAR LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS SON AVIS SUR LE RENVOI SUR LA SÉCESSION DU QUÉBEC

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 22 février 2000

• 0934

[Français]

Le président (M. Peter Milliken (Kingston et les Îles, Lib.)): À l'ordre. Je déclare la séance ouverte. Je vous souhaite à tous la bienvenue.

Notre premier témoin ce matin sera Jean-François Lisée, auteur et ex-conseiller politique.

Puisque la séance est commencée, je demanderais aux caméramans de quitter la salle.

• 0935

[Traduction]

J'invite les cameramen à quitter la salle. Nos délibérations sont télévisées, alors vous pourrez les suivre à la télé.

[Français]

Monsieur Lisée, nous vous accorderons 10 minutes pour votre présentation, après quoi suivra une période de questions d'une durée de 35 minutes.

Je vous cède la parole.

M. Jean-François Lisée (auteur et ex-conseiller politique; témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs les élus, je ferai l'essentiel de ma présentation en anglais et je vais vous dire pourquoi.

La majorité des députés fédéraux élus au Québec représentent le Bloc québécois et le Parti conservateur. Ils sont tous sans exception, me semble-t-il, opposés au projet qui vous est soumis. Je n'ai donc pas à les convaincre, du moins pas à les convaincre du sujet qui nous occupe ce matin.

Les députés fédéraux québécois du Parti libéral, du moins les membres du gouvernement, ont proposé et continuent de cautionner ce projet de loi. Ils me semblent pour l'instant faire preuve d'une volonté d'écoute limitée. Ce n'est donc pas à eux que je veux surtout m'adresser, bien qu'à eux aussi.

[Traduction]

J'ai décidé de m'adresser principalement aujourd'hui aux députés des autres provinces canadiennes qui sont venus ici en toute bonne foi et qui mettent quotidiennement en pratique les principes démocratiques. On leur a fait croire que ce projet de loi est démocratique en ce sens qu'il clarifiera les règles démocratiques qui s'appliquent à une des expériences les plus difficiles que peut connaître un pays démocratique, à savoir la décision d'une de ses parties constituantes de chercher à devenir indépendante.

Bien entendu, je suis pour l'indépendance du Québec, et, à cause de cela, certains d'entre vous pourront décider de ne tenir aucun compte des arguments que j'essayerai de vous présenter ici aujourd'hui. Je n'y peux rien. Permettez-moi de vous dire que, quoi que vous pensiez de la cause souverainiste et de la stratégie, des arguments et des tactiques utilisés pour réaliser la souveraineté, il n'en demeure pas moins que tous les moyens que nous utilisons pour faire avancer notre cause se fondent sur le principe que la souveraineté ne peut être réalisée que dans le respect de la démocratie. C'est donc à titre de démocrate, avec un petit «d», que je viens vous adresser la parole aujourd'hui.

Le projet de loi C-20 est extrêmement trompeur pour vous, les députés. Il prétend reconnaître le droit des Québécois de se séparer du Canada, si bien qu'il paraît tourné vers l'avenir, mais tend ensuite un certain nombre de pièges qui rendent l'exercice de ce droit irréalisable. Permettez-moi de passer simplement en revue avec vous trois des nombreuses étapes du processus qu'on vous demande d'approuver et de défendre.

Tout d'abord, il y a la question. Si le projet de loi devient loi, il vous sera interdit de par la loi de tenir compte même des résultats d'un vote pour le oui au Québec, quelle que soit l'importance de l'appui recueilli, qu'il soit de 51 p. 100, de 66 p. 100, de 75 p. 100, même de 99 p. 100, si le oui a été donné en réponse à une de deux options que l'Assemblée nationale aurait décidé d'inclure sur le bulletin de vote. Il vous serait aussi interdit de tenir compte d'un pareil vote pour le oui si la question comprenait un mandat de négocier ce qui est proposé, ou même l'idée d'un nouvel arrangement entre le Québec souverain et son voisin, le Canada.

Le projet de loi dit aux Québécois que, s'ils veulent proposer à leurs voisins une entente du genre de celle qui existe entre les pays européens, la Chambre des communes ne les écoutera même pas. Il dit que, si les Québécois votent sur la sécession, mais qu'ils indiquent clairement qu'ils veulent négocier les conditions de cette sécession, comme la Cour suprême nous a dit de le faire, d'après la lecture que nous faisons de l'avis qu'elle a émis, le Parlement canadien leur tournera le dos. Si les Québécois sont invités à choisir entre la sécession et le régime constitutionnel actuel, quelle que soit la nature du vote, quelle que soit la majorité obtenue, la Chambre des communes ne sera pas autorisée à discuter du résultat ni à agir en conséquence de ce résultat.

Sans compter que cette attitude est plutôt fermée à l'égard de la minorité la plus importante du Canada, elle entre en contradiction avec l'histoire récente du Canada et avec la politique étrangère que suit actuellement le Canada. Terre-Neuve s'est jointe au Canada il y 50 ans à la suite d'un référendum où deux options étaient présentées et où 52 p. 100 des Terre-Neuviens ont choisi l'option canadienne. Certains diront peut-être que se joindre à un pays et se séparer d'un pays sont deux choses complètement différentes. Ce n'est toutefois pas l'avis de la Cour suprême du Canada, qui estime que la décision de se joindre à un pays ou de se séparer d'un pays a le même poids dans l'histoire des peuples.

Au paragraphe 126 de sa décision, la cour cite en l'appuyant cet extrait de la Déclaration des Nations Unies touchant les relations amicales:

    La création d'un État souverain et indépendant, la libre association ou l'intégration avec un État indépendant ou l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d'exercer son droit à disposer de lui-même...

Ainsi, tant pour les Nations Unies que pour la Cour suprême, il s'agit là de deux facettes du même droit.

Laissons de côté les arguments juridiques et posons-nous simplement la question suivante: croyez-vous qu'un référendum qui aurait pour but de fusionner votre pays, le Canada, avec les États-Unis appellerait à une décision moins importante qu'un référendum visant à permettre au Québec de s'en aller? La première décision devrait-elle être plus facile ou plus difficile que la seconde?

Selon la logique de M. Dion, 50 p. 100 plus un suffirait pour fusionner le Canada avec les États-Unis. C'était suffisant pour que Terre-Neuve fusionne avec le Canada par un vote sur une question à deux options, et la majorité de 52 p. 100 a été jugée comme étant claire et sans équivoque par le premier ministre Mackenzie King, et elle l'était.

• 0940

Si le grand débat déclenché par Joey Smallwood devait se produire aujourd'hui et que vous étiez soumis à une loi comme celle qu'on vous demande d'approuver, vous seriez tenus de par la loi de refuser d'entendre la volonté des Terre-Neuviens de devenir Canadiens parce que la question ne serait pas acceptable.

Au cours des dix dernières années, les Nations Unies ont organisé des référendums sur l'indépendance dans trois provinces, l'Érythrée, le Timor-Oriental et, cette année, le Sahara-Occidental, et elles continuent à en organiser. Dans les deux derniers référendums organisés par l'ONU, deux options figuraient clairement sur le bulletin de vote. Or, rien n'indique que les diplomates très compétents qui représentent le Canada à l'ONU, notamment au Conseil de sécurité, où ces questions sont débattues, ont fait quelque objection que ce soit à ces propositions comportant deux options. S'ils l'ont fait, leur objection a été rejetée.

Nous nous retrouvons dans la situation d'avoir des membres de nos forces armées qui sont au Timor-Oriental pour défendre au péril de leur vie une décision démocratique qui, si elle avait été prise en territoire canadien par des citoyens canadiens, serait tenue pour illégale en vertu du projet de loi à l'étude. Nous pourrions nous retrouver dans la même situation au Sahara-Occidental plus tard cette année ou l'an prochain.

Le Canada n'a eu aucun mal non plus à reconnaître la validité des votes pris en Croatie et en Macédoine dans les années 90 qui prévoyaient aussi bien l'indépendance qu'une forme quelconque d'alliance avec les États voisins. Dans les deux cas, la proposition était proche de ce que préconise le gouvernement québécois. Ainsi, il n'y a pas de problème à faire cela dans les Balkans, mais c'est interdit ici.

Deuxièmement, il y a la réponse. Le projet de loi est clair sur un point: les députés canadiens seront autorisés à ouvrir leurs oreilles et leur esprit si les Québécois votent sur une question qui indique clairement qu'un vote pour le oui signifierait que le Québec quitterait la fédération canadienne et deviendrait un État indépendant. L'affaire serait donc réglée. Si telle est la question qui est posée et si la majorité des Québécois répondent oui, c'est qu'ils auront alors voté oui pour se séparer du Canada et former un État indépendant.

Pourquoi alors dit-on, plus loin dans le projet de loi, qu'en pareil cas la Chambre déterminera si une majorité claire des Québécois s'est effectivement prononcée en faveur de la séparation du Québec d'avec le Canada? Pourquoi y a-t-il cette marge d'interprétation? Ou bien la règle des 50 p. 100 plus un est acceptable aux yeux du Parlement canadien, ou bien elle ne l'est pas. Si elle ne l'est pas, le Parlement devrait alors avoir le courage de fixer une autre mesure et d'en accepter les conséquences au Québec et dans le monde entier.

Ce n'est pas le facteur qui est en jeu ici. Ce qui est en jeu, ce n'est pas l'idée de ce qui constitue une majorité numérique claire. Ce qui est plutôt en jeu dans ce projet de loi est bien plus troublant. Le mot clé qu'on trouve dans ce projet de loi est le mot «veut». Après un vote supérieur à 50 p. 100, les députés canadiens seront appelés à décider si, oui ou non, les Québécois voulaient effectivement ce pour quoi ils ont voté.

Voyez-vous, certains membres du gouvernement canadien sont d'avis que les Québécois sont vraiment retors. Ils estiment que les électeurs québécois pourraient se présenter au bureau de scrutin, voter oui à une question claire comme de l'eau de roche sur la sécession et la séparation d'avec le Canada, tout en pensant que leur vote pourrait servir de catalyseur pour obtenir des changements à la fédération. Ils seraient prêts à risquer la séparation dans l'espoir que cela conduirait à une nouvelle entente avec le Canada. Voilà ce que les sondeurs appellent voter de manière stratégique. Le gouvernement fédéral a dépensé beaucoup de l'argent des contribuables pour étudier ce phénomène.

Nous savons tous qu'au Québec, parmi ceux qui votent non à l'indépendance, un sur cinq espère et souhaite que le Québec devienne indépendant un jour, mais pas cette année, pas sous l'actuel premier ministre de la province et pas dans la conjoncture économique actuelle. On a dépensé très peu de l'argent des contribuables pour faire des sondages auprès de ces électeurs dont le non est plutôt gênant. Pourtant, c'est le genre de raisonnement que les électeurs sont en droit de faire quand ils sont seuls avec eux-mêmes dans l'isoloir, quand ils votent dans un référendum électoral important ou quand ils répondent aux sondages.

Ce qu'il y a de nouveau dans le projet de loi C-20, c'est qu'il s'agit d'un projet de loi déposé par le gouvernement d'une démocratie occidentale qui permettra à ce gouvernement de décider de ce qui a motivé les électeurs. Si la majorité des électeurs votent oui, on vous demandera de scruter le coeur des Québécois et de conclure qu'ils n'ont pas vraiment voulu voter oui, peu importe la clarté de la question et de la majorité. Vous pourrez ainsi rejeter un vote pour le oui qui aurait recueilli 50 p. 100 des voix plus une ou 55 p. 100 des voix, peut-être même 60 p. 100 des voix, si les sondeurs vous disent que 10 p. 100 de ceux qui ont voté oui ont voté de manière stratégique.

Vous êtes ni plus ni moins saisis de la première loi de nature dictatoriale de l'histoire de la démocratie. Pierre Trudeau a consacré beaucoup d'énergie à faire en sorte que le Parlement n'ait pas à se mêler de ce qui se passe dans la chambre à coucher des Canadiens, mais ses successeurs veulent que vous puissiez vous mêler de ce qui se passe dans le coeur des Québécois. Je vous recommande de ne pas le faire. Ce serait non seulement antidémocratique et sans précédent, mais le Parlement serait ainsi l'objet de dénonciations et de ridicule dans les milieux démocratiques du monde entier. Même l'Union soviétique ne s'est pas livrée à ce stratagème dans la loi qu'elle a adoptée pour faire échec à la volonté d'indépendance de ses provinces. Elle avait fixé la barre très haut, à 66 p. 100, et a maintenu cette barre. L'histoire en a toutefois fait fi.

• 0945

Ce qu'on vous demande de faire est bien pire encore. On vous demande, à vous pour qui l'unité du pays a une importance capitale, de permettre la tenue du scrutin et de décider ensuite si le résultat semble suffisant pour porter un jugement arbitraire qui aurait pour effet d'approuver ce contre quoi vous vous êtes battus pendant toute votre vie—la division du Canada. On vous mettrait dans une situation intenable.

Quand je réfléchissais à cette question, il m'est venu à l'esprit une métaphore tirée du hockey. C'est comme si, dans un match de la coupe Stanley qui opposerait Boston à Toronto, le capitaine des Bruins était nommé arbitre et qu'il était aussi celui qui déciderait après coup si les buts comptés par Toronto étaient valables. Imaginez le conflit d'intérêts, les pressions de la part de ses coéquipiers et des partisans. Ce ne serait rien toutefois à comparer avec ce qu'on vous demanderait de faire.

Ceux parmi vous qui sont des démocrates et qui ont assez de principes pour vouloir respecter la décision prise par la majorité des Québécois, si répugnante soit-elle à leurs yeux, seraient soumis dans ce scénario tortueux aux pressions de leurs confrères politiciens et de leurs électeurs qui les inciteraient à se servir de leur pouvoir arbitraire pour nier qu'un vote à 52 p. 100, à 56 p. 100 ou à 62 p. 100 serait suffisant pour que les Québécois puissent disposer d'eux-mêmes.

Vos adversaires politiques dans vos circonscriptions, les éditoriaux du National Post et les manifestations d'Alliance Québec vous prieraient instamment de fouler aux pieds vos principes et de maintenir le caractère indivisible du pays indépendamment des résultats du vote. Le projet de loi dont vous êtes saisis est donc l'ennemi du sens moral et du bon gouvernement. C'est un cauchemar pour les démocrates.

La politique étrangère canadienne appuie explicitement la règle des 50 p. 100 plus un et a contribué à son application aux deux derniers référendums organisés par l'ONU et à celui qui aura bientôt lieu au Sahara. Pourquoi cette règle est-elle assez bonne pour les autres pays du monde, mais pas pour les Québécois?

Je vois que le président fait signe.

Le président: Je vous invite à conclure.

M. Jean-François Lisée: D'accord, je peux conclure.

Rapidement donc, mon troisième et dernier point concerne l'application de l'accord.

Supposons que nous soyons sortis indemnes de toutes ces manigances. Supposons qu'il y ait une question claire et une réponse claire. Supposons qu'il y ait des négociations et qu'un accord de principe soit conclu et signé avec les représentants du gouvernement et de la Chambre des communes. Que dit le projet de loi à ce sujet?

D'après le projet de loi, l'accord ne saurait être mis en oeuvre sans que la Constitution soit modifiée. Appelons cela la modification sur la sécession du Québec. Le projet de loi ne prévoit aucune disposition particulière pour cette importante éventualité, de sorte que le contexte juridique est celui du droit en vigueur au pays.

Vous n'êtes peut-être pas sans savoir que c'est ce qui a permis à M. Clyde Wells et M. Harper, en 1990, de faire dérailler l'accord du lac Meech, qui était beaucoup moins important que ne le serait la modification sur la sécession du Québec.

Depuis 1990, le processus est devenu encore plus compliqué du fait qu'en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique l'Assemblée législative est tenue d'organiser un référendum dans la province avant de pouvoir se prononcer sur une modification comme celle-là. La modification sur la sécession du Québec fera donc l'objet d'une campagne référendaire dans ces trois provinces à tout le moins. Il y aura un camp du oui et un camp du non.

Combien d'entre vous feront campagne pour le oui à Kelowna, à Edmonton ou à Mississauga? Pourriez-vous lever la main? Je ne vois aucune main levée. Je ne vous blâme pas. C'est ce qu'on appelle l'instinct de conservation, qui est d'une importance cruciale en politique.

À première vue, la proposition paraît dépourvue de sens logique. Je suis heureux de vous dire que le sens logique existe bel et bien au gouvernement canadien. La ministre de la Justice, Anne McLellan, a dit dans une célèbre entrevue qu'elle a accordée au Toronto Star que nous nous retrouverions ainsi devant un ensemble extraordinaire de circonstances qui ne seraient pas prévues, à son avis, dans le cadre constitutionnel existant. Il faudrait sans doute reconnaître le caractère extraordinaire des circonstances et décider de la marche à suivre à ce moment-là.

On ne lui a pas permis de répéter cette affirmation depuis, et, de toute évidence, elle n'a pas réussi à faire incorporer sa vision des choses dans le projet de loi. Il convient de répéter cela. L'opinion exprimée par la ministre de la Justice du Canada ne se retrouve pas dans cet article crucial du projet de loi, et pour cause. Il s'agit d'un projet de loi qui, sous prétexte de reconnaître un droit de sécession, porte irrémédiablement atteinte à l'exercice de ce droit. Il bafoue un des plus grands atouts du Canada: sa réputation de phare de la démocratie. Le projet de loi est trompeur, mesdames et messieurs les députés: il vous incite à vous mettre vous-mêmes dans une situation intenable.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lisée.

Des questions? Monsieur Hill.

M. Grant Hill (Macleod, Réf.): Merci, monsieur Lisée, de votre présence ici aujourd'hui.

Vous avez fait allusion à une des grandes lacunes du projet de loi, à savoir que la majorité nécessaire n'y est pas précisée. Si elle l'était, cela améliorerait-il assez le projet de loi pour que vous le considériez à tout le moins comme démocratique?

M. Jean-François Lisée: Quand les trois récentes décisions de l'ONU ont été prises dans les années 90—Erythrée, Sahara-Occidental et Timor-Oriental—le Canada était membre de l'ONU et, pour deux de ces décisions, il était membre du Conseil de sécurité. Les documents relatifs à ces décisions montrent que, dans les trois cas, l'ONU a déclaré que le résultat serait déterminé par la majorité des voix exprimées et, dans un cas, l'Érythrée, elle est même allée jusqu'à dire que, s'il y avait moins de 53 p. 100 des voix d'un côté, on procéderait aussitôt à un recomptage pour s'assurer que la barre des 50 p. 100 plus un avait été atteinte.

• 0950

Cette règle a donc été adoptée, maintenue et appliquée par l'ONU, et jamais les responsables de la politique étrangère canadienne ne s'y sont opposés. S'ils s'y sont opposés dans les coulisses du pouvoir à l'ONU, leurs objections ont été repoussées par les autres membres.

Pourquoi donc envoyons-nous de nos militaires pour faire respecter ces décisions à l'extérieur du Canada, alors que, quand il s'agit du Canada, nous disons que cette barre ne devrait pas être appliquée? L'Union soviétique a à tout le moins eu le courage de fixer la barre à 66 p. 100 même si elle est ainsi devenue objet de ridicule. On ne vous demande même pas cela.

M. Grant Hill: Naturellement, les droits de la personne sont une question importante dans ces pays-là, mais je voudrais vraiment savoir si, à votre avis, la majorité de 50 p. 100 plus un serait démocratique si elle était incluse dans le dernier article du projet de loi.

M. Jean-François Lisée: Elle serait certainement démocratique. Si les Terre-Neuviens ont pu se joindre au Canada avec 52 p. 100 des voix et que Mackenzie King a considéré qu'il s'agissait là d'une majorité claire et sans équivoque, il devrait manifestement en être de même pour les Québécois.

Bien entendu, on souhaite remporter une élection ou un référendum avec la plus forte majorité possible. Quand un gouvernement a recueilli plus de 38 p. 100 des voix, il est bien plus facile pour tout le monde d'accepter qu'il propose une mesure aussi importante que celle-ci. Manifestement, la règle est celle qui s'applique aux démocraties parlementaires et aux référendums. Les pays européens ont souscrit au Traité de Maastricht, par lequel ils renonçaient à une bonne part de leur souveraineté, à la suite d'un scrutin qui a recueilli 51 p. 100 des voix. C'est donc la règle qui s'applique.

M. Grant Hill: Vous avez évoqué à quelques reprises dans l'exposé que vous nous avez fait aujourd'hui des améliorations à la fédération. Dans votre récent ouvrage—je vais vous faire de la publicité—Sortie de secours, vous parlez en tout cas de suspendre le débat sur la souveraineté afin d'essayer d'obtenir des améliorations à la fédération. Cette idée recueille des appuis importants à l'extérieur du Québec. Certains ont des doléances très proches des revendications traditionnelles du Québec.

Je tiens tout d'abord à vous faire savoir que cette démarche recueille des appuis à l'extérieur du Québec. Vous croyez qu'elle pourrait bien échouer et que la souveraineté serait ainsi remise sur la table. Si toutefois la démarche réussissait—rééquilibrage des pouvoirs, reconnaissance des revendications traditionnelles du Québec—, pensez-vous que cela permettrait de satisfaire le Québec pour l'avenir prévisible et d'améliorer la fédération dans un sens beaucoup plus large?

M. Jean-François Lisée: Je vous sais gré d'avoir posé cette question, monsieur Hill, et je ne veux pas rater l'occasion de réitérer ce que je dis dans mon livre au sujet du programme politique de votre parti en ce qui a trait à la partition. Je trouve très malvenu ce que vous proposez sur la partition du Québec, et je tenais à le dire publiquement.

Cela dit, je ne propose pas de revenir aux revendications traditionnelles, ni rien de tel. Nous devrions, en tant que peuple et minorité en Amérique du Nord, déterminer quels sont nos besoins pour les quelques décennies à venir. Une fois cette évaluation faite, ce sera aux électeurs de se prononcer, comme c'est la règle en démocratie. Manifestement, les électeurs nous ont dit, à nous souverainistes, qu'ils veulent tenter encore une fois de se tailler une place au sein du Canada. Nous devrions donc respecter la volonté de nos électeurs, du moins à ce moment-ci, et indiquer au reste du Canada que si, aux prochaines élections fédérales, le Canada réélit M. Chrétien et M. Dion, qui auront fait campagne contre ces besoins à un référendum tenu au Québec, la réponse du Canada sera alors considérée comme un non. Les Québécois devront alors décider eux-mêmes s'ils veulent s'engager dans la voie de la souveraineté ou s'ils veulent être patients et attendre de voir ce qui va se passer d'ici cinq ou dix ans au Canada.

En tant que souverainiste, je suis prêt à prendre le risque que ça va marcher. Je suis prêt à prendre le risque que le Canada ne réélira pas MM. Chrétien et Dion, et qu'une autre équipe—et ce n'est pas à nous de décider de sa composition—pourra entreprendre des négociations qui porteront des fruits. Si c'est le cas, je resterai souverainiste, Lucien Bouchard restera souverainiste, mais nous aurons été à même de constater que, après avoir réalisé ces gains, après avoir réussi à s'assurer que la fédération répondra à leurs besoins pour l'avenir prévisible, les Québécois ne voudront pas avancer dans la voie de la souveraineté et que, dans 10 ans peut-être, nous pourrons ou une autre génération pourra reprendre le flambeau de cette cause magnifique.

Je pense qu'aucun de nous ne serait crédible s'il prétendait ne plus être souverainiste. Il faudrait que nous mettions toutes nos cartes sur la table, que nous disions la vérité, que nous soyons francs et que nous nous engagions à essayer de négocier cela en toute bonne foi. Si la démarche est fructueuse, il faudra reporter la réalisation de notre rêve et attendre peut-être encore une génération, mais nous aurons ainsi obtenu l'assurance que les besoins du Québec seront respectés, ce qui est la principale motivation de tout cela.

• 0955

[Français]

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Monsieur le président, je voudrais souhaiter la bienvenue à M. Lisée, un observateur chevronné de la scène politique québécoise et canadienne.

J'ai deux questions pour vous, monsieur Lisée. J'aimerais que vous élaboriez davantage sur ce que vous identifiez comme étant les problèmes de mise en oeuvre de l'accord. Vous avez évoqué ce que Mme McLellan avait envisagé comme processus, et l'article 3 du projet de loi porte sur cette question.

Ma deuxième question concerne le 50 p. 100 plus un. Vous avez donné une réponse partielle, mais M. Patry, notre collègue libéral, laissait entendre hier que le 50 p. 100 plus un n'était pas nécessairement accepté par les Nations Unies. Je crois que vous avez compilé des données concernant les référendums qui laissent entendre qu'une majorité de 50 p. 100 plus un des voix exprimées était la règle acceptée aux Nations Unies. Pourriez-vous élaborer également là-dessus?

M. Jean-François Lisée: Très bien. Merci, monsieur Turp.

Sur le processus, il est évident que ce que le gouvernement propose dans ce projet, c'est ce qui a échoué à Meech. Il s'agit d'un processus dont on a eu la preuve qu'il ne pouvait pas fonctionner, et on le propose maintenant pour quelque chose qui serait beaucoup plus difficile à faire que Meech et dans des conditions plus compliquées que celles qui prévalaient au moment où Meech a échoué. Donc, le gouvernement a clairement l'intention de proposer un processus, en fin de course, qui constitue une recette pour l'échec.

Il est évident que dans le processus de discussion sur le renvoi à la Cour suprême, il y a des gens de bonne volonté qui se sont dit: «Nous sommes des démocrates qui voulons de vraies règles, mais des règles sensées.» Ils se sont rendu compte qu'il était ridicule de refaire le processus de Meech, surtout que maintenant, il y a des référendums. Il faudrait voir M. Dion et M. Chrétien aller faire campagne en Ontario, en faveur de l'amendement sur la sécession du Québec. C'est ce que ça signifie dans la pratique. Il y aurait un référendum avec un oui et un non en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta, s'il n'y avait pas de référendum pancanadien, ce qui est aussi une possibilité.

Juste avant les audiences de la Cour suprême, la ministre McLellan a donné une interview au Toronto Star, où elle a dit une chose parfaitement normale. Elle a dit que les circonstances seraient exceptionnelles. Effectivement, l'histoire internationale démontre que chaque fois qu'il y a eu sécession d'une province, des circonstances exceptionnelles ont été crées et des façons exceptionnelles de rendre cela légal ont été appliquées. C'est ce que Mme McLellan a dit, contredisant évidemment ce que le gouvernement était en train de plaider devant la cour. D'ailleurs, le juge en chef a posé la question au procureur du gouvernement, Yves Fortier, qui était lui-même en contradiction avec certaines de ses déclarations passées, pour lui demander de quoi il s'agissait.

Dans son jugement, la Cour suprême donne des voies de sortie qui ne sont pas seulement celles de l'amendement constitutionnel, dont elle ne parle presque pas. Mais elle dit que s'il devait y avoir des négociations de bonne foi et que celles-ci échouaient, à ce moment-là, le droit impératif du Québec de rechercher la sécession serait violé: c'est le mot. Il n'y a pas de redressement judiciaire, mais il y en a un politique. Selon la cour, à ce moment-là, la capacité du Québec de se faire reconnaître internationalement serait augmentée d'autant. Donc, la cour donne la voie de sortie de l'échec des négociations, et on peut penser que c'est la voie de sortie de l'échec de la ratification de négociations qui auraient été conclues, d'autant plus que les négociations auraient eu lieu de bonne foi, qu'il y aurait eu une entente et que le processus de ratification aurait échoué.

C'est intéressant. Je vois ici une journaliste du Devoir qui avait eu la présence d'esprit de demander au ministre responsable, Stéphane Dion, ce qui se passerait, dans son scénario, s'il y avait une entente et que des provinces refusaient de l'entériner. Le ministre avait répondu qu'on trouverait des façons de faire entendre raison à cette province. Elle lui a demandé lesquelles, mais la réponse n'est pas venue. Comment faire entendre raison à une province qui refuserait de voter sur l'amendement sur la sécession du Québec?

C'est un processus qui, à sa face même et à la connaissance des auteurs du projet de loi, ne peut pas permettre le respect du droit du Québec à l'autodétermination.

Sur le 50 p. 100 plus un, je serai très heureux d'envoyer au comité les documents pertinents des Nations Unies. Dans les trois cas que j'ai cités, les trois derniers cas où les Nations Unies ont organisé un référendum, l'ONU a fait en sorte que dans deux de ces cas, il a été spécifiquement et explicitement écrit que c'était la majorité des voix exprimées. Dans l'autre cas, 50 p. 100 plus un constituait aussi la majorité, comme je le disais, mais à moins de 52 p. 100, il y avait un recomptage automatique pour qu'on soit bien certain que la barre des 50 p. 100 était passée. C'était en Érythrée. Dans les deux autres cas, il était spécifiquement et explicitement écrit que c'était la majorité des voix exprimées. D'ailleurs, dans ces documents, il y a une série de clauses qui enfreignent l'esprit et la lettre de ce projet de loi, y compris sur le caractère impératif de l'application des décisions référendaires.

• 1000

Le président: Monsieur Blaikie.

[Traduction]

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Merci, monsieur le président.

Permettez-moi tout d'abord de dire que le témoin a raison d'évoquer les difficultés qu'il y aurait à appliquer le processus habituel de modification de la Constitution à la ratification d'une sécession négociée qui résulterait d'un référendum où la question aurait été claire, où la majorité aurait été claire et où tous les autres critères auraient été satisfaits. Est-il raisonnable, à la lumière de l'expérience canadienne récente et plus lointaine, de supposer que cela pourrait se faire aussi facilement? J'estime que l'argument est valable et que les membres du comité devraient l'examiner.

Par ailleurs, pour faire suite à certains de vos propos, je crois avoir compris que vous avez dressé une liste de référendums qui proposaient plus d'une option à la population. Ce n'est pas toutefois la même chose que combiner deux options en une seule question. Vous n'avez pas vraiment donné de détails à ce sujet. Si on disait, par exemple: voulez-vous vous joindre aux États-Unis, demeurer une colonie indépendante—je fais ici allusion au référendum de Terre-Neuve—ou vous joindre au Canada, il y aurait deux ou trois options distinctes, et la population pourrait en choisir une.

Il me semble que le projet de loi vise à empêcher qu'on puisse poser une question portant sur plus d'une option, pareille question créant plus d'incertitude qu'un référendum à choix multiples, si vous voulez. Je ne suis donc pas sûr que la comparaison soit entièrement valable.

Si j'étais de votre avis, je me serais opposé énergiquement au projet de loi dès le départ, c'est-à-dire si j'estimais comme vous que le Parlement canadien se verrait interdire, c'est un mot que vous avez répété à maintes et maintes reprises, de négocier un nouvel arrangement avec le Québec, qui se fonderait sur un partenariat, ou même sur une souveraineté association, ou je ne sais trop... Ce n'est pas ainsi que je comprends le projet de loi.

Voici ce que je comprends: le projet de loi dit que ce n'est qu'en réponse à un certain type de question et à un certain type de majorité qu'il sera possible de tenir des négociations sur la sécession. Exclut-il de ce fait la possibilité que le Québec puisse tenir un référendum qui lui permettrait d'obtenir l'appui de la population et de créer ainsi un contexte politique propice pour qu'il puisse dire au reste du pays: voici le type d'arrangement que nous souhaiterions avoir au sein de la Confédération?

Peut-être qu'un arrangement pourrait être négocié, ou peut-être pas. Peut-être qu'il serait possible d'en arriver à un compromis. Sinon, vous pouvez tenir un nouveau référendum sur une question complètement différente—écoutez, ils sont aussi intransigeants que jamais—et vous tenez un référendum sur la sécession.

Je ne vois toutefois pas en quoi le projet de loi mettrait un terme à la démarche politique des Québécois qui souhaitent, au moyen d'un référendum ou de discussions sur une modification constitutionnelle ou par quelque autre moyen, tenter d'obtenir un nouvel arrangement. Je ne vois tout simplement pas en quoi le projet de loi l'interdirait.

M. Jean-François Lisée: Vous avez raison de dire que, s'il y avait un référendum sur une modification constitutionnelle qui ne ferait aucune mention de la sécession, le projet de loi ne s'appliquerait pas. C'est juste. Le projet de loi s'applique toutefois, dans un cas comme dans l'autre, dès qu'il y a deux options. Il suffit de lire le projet de loi pour se rendre compte que c'est ou bien les deux options qui seraient présentées en une seule proposition—comme vous dites, cela est clairement interdit—ou bien n'importe quelle autre option qui serait ajoutée.

Il suffit de lire le projet de loi, en français, pour se rendre compte

[Français]

qu'en plus de la sécession, il y a d'autres possibilités.

[Traduction]

Il serait donc possible d'y apporter un amendement pour préciser qu'il s'agit de deux options qui seraient présentées en une seule proposition. Ce serait plus clair. Je crois toutefois qu'il est clair, d'après le projet de loi, que les deux possibilités sont visées. Nous savons que, dans les milieux gouvernementaux, on a très peur de deux options distinctes, comme je l'ai dit, de la sécession ou de l'appui au régime constitutionnel existant.

Comme vous le savez peut-être, grâce à l'argent de vos impôts, nous savons maintenant que l'appui au régime fédéral existant tel qu'il s'applique à l'heure actuelle a baissé au Québec, qu'il est tombé de 19 p. 100 en 1995 à 13 p. 100, d'après le dernier sondage CROP réalisé en août dernier pour M. Dion. De toute évidence, il y a moins d'appui pour le régime canadien tel qu'il s'applique au Québec à l'heure actuelle qu'il n'y en a pour la souveraineté du Québec.

J'estime donc que les deux possibilités sont visées par le projet de loi.

• 1005

Pour répondre à votre autre question au sujet des deux options qui ont été proposées dans le cadre d'une seule question, c'était manifestement le cas des référendums tenus en Croatie et en Macédoine au début des années 90: voulez-vous que la Croatie devienne un pays souverain et forme ensuite une alliance avec les États voisins? C'était la même chose en Macédoine. Il s'agissait d'une seule question. Le Canada a reconnu la validité du résultat des deux référendums. Il n'a eu aucun mal à le faire. Nous n'avons rien qui puisse indiquer que les diplomates canadiens, ni là-bas ni aux Nations Unies...

M. Bill Blaikie: La souveraineté...

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: On devient un pays souverain, puis on forme une alliance, au lieu d'essayer de former une alliance et de devenir ensuite un pays souverain.

M. Jean-François Lisée: Monsieur Blaikie, c'était une seule et même question: voulez-vous ceci? C'était la même chose au Québec: acceptez-vous que le Québec devienne souverain après avoir fait une offre de partenariat au Canada? C'était dans le cadre du même processus—voulez-vous faire les deux? La souveraineté était certaine, et il y avait une offre de partenariat qui pouvait être acceptée ou refusée. La seule chose qui était sûre, c'était la souveraineté.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand, c'est à votre tour.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Pour la gouverne de mon collègue du NPD, c'est l'alinéa 1(4)b) du projet de loi C-20 qui interdit de mettre autre chose que la sécession.

Merci beaucoup, monsieur Lisée, d'être ici. J'ai lu votre livre. J'en suis à la deuxième lecture, parce qu'il y a beaucoup de chiffres et qu'il faut avoir le temps de les digérer. C'est un bon portrait de la situation. Vous vous décrivez comme un souverainiste, mais j'aime autant votre description au chapitre 3, où vous vous dites amoureux du Québec. Comme Québécois, je dois vous dire que j'espère que l'ensemble des Québécois réunis autour de cette table vont ressentir la même émotion. C'est un chapitre qui inspire la fierté, qu'on soit souverainiste ou fédéraliste. Je pense que tout le monde devrait au moins lire ce chapitre-là, arrêter de se dire que ça va mal et en retirer un sentiment de fierté, qu'importe où on se situe sur l'échiquier politique.

Cela étant dit, vous parlez de renouvellement de la fédération. On a entendu notre collègue du Parti réformiste. Je dois vous dire de ne pas vous fier au Parti réformiste, surtout pas. Le premier parti à avoir apporté une mesure législative avec le plan B à la Chambre, c'est le Parti réformiste. Ce parti s'était même engagé, l'automne passé, à devancer le gouvernement. C'est d'ailleurs pourquoi je me plaisais à taquiner le ministre des Affaires intergouvernementales en lui disant de se dépêcher parce que la mesure législative était tellement populaire dans le reste du Canada que le Parti réformiste allait leur couper les jambes. C'est à ce moment-là que le dépôt du projet de loi a été devancé.

Entre vous et moi, monsieur Lisée, qu'est-ce que vous venez faire à Ottawa? Vous êtes un souverainiste et vous en portez l'étiquette. Hier, on a reçu le président du comité du Non de 1980, M. Ryan. Aujourd'hui, on a le Saint-Esprit du référendum de 1995. On est donc en mesure d'avoir les idées des deux référendums. Mais qu'est-ce que vous venez faire ici?

Vous tentez de dire au reste du Canada que le projet de loi n'est pas bon, mais finalement, qu'est-ce que vous proposez? Les gens n'ont pas nécessairement lu votre livre, bien qu'il risque d'être un succès en librairie. Alors, quel message lancez-vous par rapport au projet de loi C-20? Est-ce que pour vous, ce projet de loi pourrait nuire à ce nouvel espoir, au Québec, de trouver une solution? Quel est votre message, comme souverainiste amoureux du Québec?

M. Michel Guimond (Beauport—Montmorency—Côte-de-Beaupré—Île-d'Orléans, BQ): C'est toi qui l'as invité, André. C'est pour cela qu'il est venu.

M. André Bachand: Bien sûr, avec plaisir.

Une voix: C'est toi qui l'as invité. C'est pour ça qu'il est ici.

M. André Bachand: Il n'y a pas de parti qui soit plus ouvert. J'ai invité un grand libéral et un grand souverainiste, mais tous deux sont amoureux du Québec. Il n'y a pas de problème.

M. Michel Guimond: Tu lui as demandé ce qu'il venait faire à Ottawa. Il a accepté notre invitation.

M. André Bachand: Ne t'en fais pas, Michel.

Le président: À l'ordre.

M. André Bachand: Un peu de discipline, monsieur le président.

Le président: Laissez-lui la chance de poser des questions aux témoins.

M. Jean-François Lisée: Hier, Claude Ryan était ici. Aujourd'hui, toute la journée, il y aura des souverainistes. Le représentant du gouvernement du Québec sera ici jeudi matin. Je pense que c'est extrêmement significatif qu'ils vous livrent essentiellement le même message. Les démocrates du Québec, qu'ils soient fédéralistes ou souverainistes, trouvent que ce projet de loi est profondément antidémocratique. Ni les souverainistes, ni M. Ryan, ni certains fédéralistes comme lui ne vous diront que la Chambre des communes a le droit de discuter des règles référendaires ou même le droit d'adopter un projet de loi sur les règles référendaires.

• 1010

L'objection que les démocrates du Québec vous apportent aujourd'hui, c'est que les règles que vous tentez d'adopter sont profondément antidémocratiques et qu'en fait, elles vont créer un processus dont l'objectif est d'empêcher le droit du Québec à l'autodétermination. En plus, elles vont vous plonger, vous, les députés du Parlement, dans des situations intenables, où vous serez à la fois juge et partie.

Nulle part la Cour suprême n'a proposé un genre de mécanisme aussi malsain que celui qui vous est proposé aujourd'hui. J'aurais peur pour les députés s'ils devaient vivre un processus balisé par ce projet de loi. Ce serait épouvantable si l'un d'entre vous décidait, en son âme et conscience, que la question est claire, que la majorité est claire et qu'on doive tenir un débat afin de déterminer si 54,7 p. 100 suffisent ou pas, et qu'ensuite vous deviez dire qu'il vous en coûte de voir partir le Québec, mais que vous considérez qu'ils ont décidé... Imaginez les réunions de votre exécutif, les éditoriaux dans votre circonscription, les pressions de la part de vos collègues et de votre famille, qui vous diraient que vous ne pouvez pas voter pour briser le Canada; que le projet de loi vous donne le droit d'empêcher que le Canada soit brisé; que c'est votre droit arbitraire; que c'est le contraire de la clarté. C'est un piège à démocrates.

M. André Bachand: J'ai une dernière question.

Le projet de loi a créé—on l'a vérifié l'été dernier par le truchement des sondages du gouvernement fédéral—une zone de confort dans le reste du pays. Je dois vous avouer, comme membre d'un parti politique fédéraliste, que c'est extrêmement difficile. Le Parti réformiste appuie quand même le projet de loi du gouvernement, parce que c'est politiquement rentable dans l'Ouest. Qu'est-ce que vous dites à ces gens qui disent qu'il une question claire et une majorité claire sans avoir lu le projet de loi? On les comprend. Comme je le disais hier, on ne pourra jamais le leur présenter parce qu'on est encarcanés ici, à Ottawa, et qu'on ne peut pas sortir de cette zone de confort, de sécurité pour les gens du reste du pays. Qu'est-ce que vous leur répondez?

M. Jean-François Lisée: Je réponds que c'est un genre de bait and switch. Je comprends très bien que le reste du Canada ne veuille pas que le gouvernement souverainiste québécois définisse les règles du jeu. Je comprends très bien ça, parce qu'on est deux à danser la danse: un parti qui veut devenir souverain, et l'autre qui veut que le Canada reste uni. Je comprends très bien cette volonté-là, mais c'est un bait and switch, parce que ce qui est présenté, ce ne sont pas des règles claires qui permettent un processus prévisible, correct et bien intentionné. Dans ce cas-ci, évidemment, la façon dont le projet de loi est proposé fait en sorte que tous ceux qui s'y opposent ont l'air d'être contre la clarté, alors qu'en fait, dans plusieurs cas, ils sont pour la clarté alors que le projet de loi n'est pas clair. Cela fait 20 ans que j'observe la politique. J'ai été correspondant à Washington, à Paris, j'ai beaucoup lu, et j'ai rarement vu, ou je pense même que je n'ai jamais vu un projet de loi aussi malsain dans sa construction, dans l'effet qu'il a sur le Parlement et dans l'effet qu'il a sur la population canadienne-anglaise. Évidemment, les Québécois sont majoritairement opposés au projet de loi, mais c'est aussi malsain, parce qu'ils en sont venus à considérer normal que le gouvernement de Chrétien et Dion fasse des choses comme celle-là. C'est maintenant considéré comme normal; condamnable, mais normal. Ce qui est condamnable est devenu normal. On s'est habitué à ce qui est condamnable. C'est vraiment une situation malsaine, peu importe de quel côté on est. Même si, en tant que Québécois, on considère que ce n'est pas à d'autres de nous dire ce qu'on a le droit de faire et de ne pas faire, je pense que le jugement de la Cour suprême comporte un grand nombre de convergences avec ce que les souverainistes proposent. Le repositionnement que le jugement de la Cour suprême aurait permis aux acteurs politiques de faire était un grand progrès. Ce projet de loi, en fait, a pour but de faire le travail que la Cour suprême n'a pas voulu faire pour le gouvernement, c'est-à-dire empêcher la souveraineté de se faire.

Le président: Monsieur Mills.

[Traduction]

M. Dennis J. Mills (Broadview—Greenwood, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Merci beaucoup, monsieur Lisée. Je dois vous dire que je représente une circonscription du centre-ville de Toronto. Je tâche d'écouter mes commettants, et nous avons beaucoup parlé de ce projet de loi avant Noël. Je peux vous indiquer catégoriquement que notre opinion concernant ce projet de loi est tout à fait contraire à la vôtre.

• 1015

Je considère que s'il y a une question claire, c'est-à-dire le Québec veut-il continuer à faire partie du Canada ou non, le projet de loi n'exclut pas une majorité de 51 p. 100 si en fait cela reflète un taux de participation solide. Au bout du compte, cela veut dire que nous devons commencer à parler de séparation. Il n'y a pas d'autre option. La plupart des gens vont même jusqu'à croire que les acteurs politiques, si cette situation devait se produire—et prions le Ciel que cela ne se produise pas—excluraient même les députés du Parlement national venant du Québec.

Donc votre notion selon laquelle ceux d'entre nous qui sont élus considéreraient ce projet de loi comme une mesure où nous interdisons au Québec de faire sécession, ou comme un projet de loi trompeur, pour reprendre votre expression, ou qui nous interdit de faire ceci et nous interdit de faire cela... ne correspond pas à l'opinion que s'en font les gens de ma circonscription. Je considère que ce projet de loi est en fait un bijou, et que le premier ministre a fait preuve de beaucoup de courage en le présentant ici avec autant de fermeté et de vigueur. Nous débattons tous de cette question depuis les 20 dernières années, et je crois que le moment est venu de cesser de tergiverser.

Lorsque vous parlez de modification à la Constitution, je crois que si la province de l'Ontario devait dans l'ensemble appuyer, si la question bien sûr était claire... Il se trouve que je considère que les deux dernières questions n'étaient absolument pas claires. C'était des questions truquées. Je crois que si la province de l'Ontario appuyait de façon très vigoureuse la nécessité d'une question claire, la plupart des autres provinces lui emboîteraient alors le pas. Je n'entrevois pas une situation comme celle de l'accord du lac Meech, où essentiellement Terre-Neuve et le Manitoba, ou une ou deux personnes, ont fait dérailler le processus.

Comme vous êtes extrêmement respecté dans votre collectivité, je crois qu'il est très important que vous compreniez qu'un certain nombre d'entre nous, élus à l'extérieur du Québec, estiment que le moment est venu de régler cette question une fois pour toutes.

Je vous remercie.

M. Jean-François Lisée: Je ne doute pas de votre bonne foi, et c'est ce que j'ai essayé d'exprimer dans mon exposé. Je suis sûr que vos commettants tiennent à ce que la question soit claire si cette situation se reproduit.

Vous dites que le projet de loi n'exclut pas la possibilité de négocier, mais tout d'abord j'aimerais répéter que le projet de loi interdit à la Chambre de discuter du vote pour le oui pour un scrutin qui renfermerait deux options, deux options en une: la sécession, plus la notion d'en négocier les conditions; la sécession, plus la volonté de conclure un nouvel accord de style européen. Si 99 p. 100 des électeurs se prononcent en faveur de l'une ou l'autre de ces options, il est interdit à la Chambre de même examiner ces résultats ou d'y donner suite. C'est ce que prévoit le projet de loi.

Vous dites qu'il n'exclut pas la possibilité de négocier une majorité de 50 p. 100 plus un si la question est claire. Pourquoi cela n'est-il pas énoncé dans le projet de loi? Alors il suffirait d'indiquer 50 p. 100 plus un, si cette condition ainsi que les autres étaient réunies, un point, c'est tout.

M. Dennis Mills: D'après mon interprétation du projet de loi, il indique clairement qu'au bout du compte ce sera au Québec de concevoir sa propre question, mais s'il continue à agir comme il l'a fait depuis toujours, alors il ne s'agit pas vraiment de séparation. Il s'agit en fait d'une autre modification de la relation, ce qui est différent de la séparation.

M. Jean-François Lisée: Optons pour votre solution. Disons que la question est: «Voulez-vous que le Québec devienne un pays indépendant et quitte le Canada?» Voilà la question. Le projet de loi indique qu'il s'agit d'une question acceptable. Cinquante p. 100 plus un. Puis, c'est à vous de vous prononcer. On vous demande, à vous, un député de Toronto: croyez-vous que cela est suffisant pour démanteler le Canada, le meilleur pays du monde?

M. Dennis Mills: Je dirais personnellement que si la question était aussi claire, nous pourrions commencer à voter.

Le président: Monsieur Hill.

M. Jean-François Lisée: Que le projet de loi l'indique.

Le président: Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Monsieur Lisée, dans les premiers commentaires que vous m'avez faits, vous avez mentionné la position de l'Opposition officielle en ce qui concerne les frontières du Québec. Nous avons longtemps maintenu qu'il y a toute une foule de questions qui doivent être abordées, dont celle des frontières et celle de la dette. Ces questions sont en fait abordées dans ce projet de loi.

• 1020

De notre côté, si nous étions au pouvoir, nous aurions préféré un projet de loi beaucoup plus clair, comme vous le savez, où une question serait énoncée, une question à deux volets, car nous estimons que si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi. Cependant, nous ne promulguerions pas ce projet de loi où toutes les questions seraient absolument claires, où la majorité serait claire; nous le mettrions de côté. Nous consacrerions tous nos efforts à améliorer la fédération.

Je sais que vous savez que c'est la démarche que nous privilégions, soit consacrer d'énormes efforts à examiner les questions qui dérangent la population de la Colombie-Britannique et qui représentent les exigences traditionnelles des Québécois. Nous sommes persuadés qu'il est nettement préférable d'améliorer ce qui ne va pas dans ce pays que de le démanteler. Votre livre semble en fait indiquer que cela est logique. J'aimerais que vous voyiez cela comme les réalités de la sécession et que 75 p. 100 essaient d'améliorer ce pays, parce que c'est le message que nous voulons transmettre.

M. Jean-François Lisée: C'est ce que je lis dans votre projet de loi, mais j'aimerais profiter de cette occasion pour indiquer qu'en ce qui concerne les brèves dispositions de votre projet de loi qui traitent de la sécession du Québec vous faites fausse route à de nombreux égards.

Je vais vous dire une chose. Vous dites que si vous étiez au pouvoir et qu'il y avait un référendum sur l'indépendance, vous partiriez automatiquement du principe qu'une circonscription, disons, de la région de l'Outaouais, qui se trouve à proximité de la frontière de l'Ontario, et qui aurait voté non... Vous décideriez que cette circonscription devrait continuer à faire partie du Canada.

M. Grant Hill: À condition que ces personnes aient eu l'occasion d'indiquer dans une question à deux volets...

M. Jean-François Lisée: Non. Je viens de le lire. Vous dites qu'automatiquement vous considéreriez, en ce qui concerne les circonscriptions qui se trouvent sur la frontière, qu'elles continuent à faire partie du Canada, puis, si vous n'aimez pas la question posée par le Québec, vous leur poseriez une autre question afin de savoir si dans tout le Québec ils veulent ou non continuer à faire partie du Canada.

Simplement à cet égard, je tiens à vous informer qu'étant donné que M. Chrétien, et surtout M. Dion, ont utilisé la carte de la partition comme stratagème politique au Québec pour essayer d'effrayer les Québécois au sujet de la question de l'indépendance, il est vrai que dans la région de l'Outaouais, les circonscriptions de l'Outaouais, les gens disent vouloir voter non. C'est ce qu'ils feraient dans un référendum. Ils disent qu'ils sont partisans de la partition, mais lorsque nous leur demandons, si leur circonscription vote non, s'ils veulent qu'elle continue de faire partie du Canada et cesse de faire partie d'un Québec indépendant, ils répondent non, non, non. C'est simplement de la politique. Nous essayons d'effrayer nos amis et collègues pour qu'ils votent non, mais nous ne voulons absolument pas continuer à faire partie du Canada—nous sommes des Québécois—donc nous respecterons la règle de la majorité. C'est la première chose.

La deuxième chose, c'est que la partition dans les années 90 a été rejetée par tous les dirigeants de bonne foi du monde entier et a été acceptée avec réticence uniquement lorsqu'elle a été imposée par des brutes sanguinaires. Le seul cas dans les années 90 où la partition a été acceptée avec réticence par la communauté internationale, c'est lorsque des brutes l'ont imposée par la force. Dans tous les autres cas, les dirigeants éclairés ont tout fait pour écarter cette option.

Je tiens à dire qu'au moment où nous nous parlons, le Canada, dans le cadre de sa politique étrangère, a participé au Timor-Oriental à un important effort visant à prévenir toute possibilité de partition. Il est même allé jusqu'à s'assurer que le référendum au Timor-Oriental ne soit pas compté circonscription par circonscription. Avec l'aide des observateurs internationaux, on a apporté tous les bulletins de vote dans la capital, Dili, puis on a procédé à un seul grand décompte des votes afin de s'assurer que les tenants de la partition du Timor-Oriental n'aient pas les résultats de chaque bureau de scrutin. C'est la politique que le Canada a appuyée, au point d'envoyer des membres des forces armées la défendre. Alors, pourquoi ce projet de loi, et votre projet de loi, monsieur, propose-t-il le contraire de ce que la politique étrangère du Canada défend?

M. Grant Hill: Nous croyons qu'il existe un moyen de nous assurer que la partition n'ait jamais lieu, et ce moyen consiste à opter pour une solution différente.

Pourriez-vous commenter très brièvement la situation des Autochtones du Nord du Québec qui ont énoncé leur position? Si, dans le cadre d'un référendum, ils indiquent qu'ils ne veulent pas continuer à faire partie d'un Québec séparé, croyez-vous que cette demande serait respectée?

M. Jean-François Lisée: Dans une perspective strictement juridique, les Autochtones, dans tout le Canada, s'opposaient à ce que le Canada devienne techniquement indépendant de la Grande-Bretagne en 1982 parce qu'ils voulaient conserver le droit fiduciaire de la reine d'Angleterre, et le Canada a passé outre à ce souhait, et par conséquent ce droit a été transféré au gouvernement canadien. Et sur le plan juridique, le même type de processus s'appliquerait au Québec. Si le Canada se déclarait partisan d'un droit de sécession pour les Autochtones, alors il serait partisan des droits de sécession pour tous les Autochtones, ceux des États-Unis, ceux du Mexique et ceux de quatre des membres permanents du Conseil de sécurité. Donc, il pourrait se heurter à un problème.

• 1025

Cela dit, je pense qu'il s'agit d'un problème réel sur le plan politique. Et je pense que les Autochtones ne devraient pas être les otages de nos visées et de nos débats politiques—par «nos», j'entends les Canadiens et les Québécois. C'est pourquoi je propose un moyen de nous assurer que si le Québec devient souverain à la suite de ces négociations, nous parviendrons à conclure une entente pour les nations qui le souhaiteront selon laquelle nous reproduirons simplement le statu quo aussi longtemps qu'elles le voudront à l'avenir, afin qu'aucun changement ne soit apporté à leur statut dans un Québec souverain tant qu'elles souhaiteront demeurer dans le no man's land constitutionnel dans lequel elles se trouvent.

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Vous avez mentionné le paragraphe 126 de l'arrêt de la Cour suprême du Canada concernant le droit à l'autodétermination. Mais le paragraphe 126 de l'arrêt de la Cour suprême fait la distinction entre le droit à l'autodétermination interne et le droit à l'autodétermination externe, ce que vous comprendrez certainement.

En ce qui concerne l'autodétermination externe, la cour est arrivée à deux grandes conclusions de fait et de droit: premièrement, qu'il n'existe aucun droit unilatéral à l'autodétermination en vertu du droit international; deuxièmement, que le droit international à l'autodétermination externe, à sa connaissance, n'existe que dans le cas des anciennes colonies ou dans les cas d'oppression, situations qui, selon la cour, n'existent pas en ce qui concerne le Québec.

Autrement dit, dans la perspective du droit international, la situation du Québec se distingue clairement de celle de l'ex-Union soviétique, du Timor-Oriental, ou de tous les autres cas que vous avez cités concernant le droit à l'autodétermination. Ici, la cour l'exclut en ce qui concerne le Québec, selon ses conclusions de fait ou de droit.

J'ajouterais qu'en ce qui concerne le Timor-Oriental, où vous avez invoqué une norme de 50 p. 100 plus un, si je vous ai bien compris, il n'y avait aucune norme, ni aucun seuil. En fait, au Timor-Oriental, c'est le secrétaire général qui a déterminé la clarté du vote, si vous voulez.

M. Jean-François Lisée: J'ai les documents et je vous les enverrai. On en parle de façon précise. Mais vous avez raison lorsque vous parlez, et il très intéressant que la Cour suprême du Canada ait apporté une contribution au droit international à cet égard, d'une province non opprimée et non coloniale qui veut obtenir la souveraineté. Ce jugement a introduit une notion très canadienne dans le droit international, puisqu'en répondant aux questions que le gouvernement a décidé de préparer et d'envoyer aux tribunaux, les tribunaux ont déclaré: bien entendu vous voulez que nous répondions non aux trois questions, et, bien sûr, telles qu'elles sont rédigées, c'est non, mais ensuite nous étofferons notre réponse sur 140 paragraphes et en profiterons même pour faire un commentaire en douce à propos de l'impartialité des questions.

Quoi qu'il en soit, la Cour suprême a introduit la notion de négociation. Elle dit qu'il est vrai que le Québec n'a pas le droit de tenir un référendum et de déclarer son indépendance le lendemain; c'est hors de question. Mais s'ils négocient—et non seulement s'ils négocient, mais je considère que les deux parties ont l'obligation de négocier—alors cela change tout. Donc, la Cour suprême déclare que s'il y a un référendum suivi de négociations, alors le Québec a le droit de poursuivre la sécession dans le cadre de ces négociations. Si ce droit est violé dans le cadre du processus de négociation, il a alors le droit de demander réparation sur la scène internationale.

Donc, essentiellement, ce que la cour déclare sur bien des points, c'est que tant qu'il y a des négociations, alors ce droit prend naissance; la négociation donne naissance à ce droit.

En ce qui concerne d'autres exemples, comme celui de Terre-Neuve, bien qu'on ne parle pas de Terre-Neuve dans le texte, l'article 126 est le seul endroit du jugement où on fait une comparaison entre la sécession et l'adhésion.

Et ma question? Croyez-vous qu'une majorité de 50 p. 100 plus un suffirait pour que le Canada fusionne avec les États-Unis...

M. Irwin Cotler: Si vous me le permettez...

[Français]

M. Daniel Turp: C'est nous qui posons les questions.

[Traduction]

M. Irwin Cotler: J'aimerais aborder un aspect fondamental de vos remarques, car j'estime qu'il est un élément crucial de notre débat.

• 1030

Vous avez dit que ce projet de loi est antidémocratique, que c'est une loi «Big Brother». Je n'aborderai pas les autres analogies que vous avez faites dans vos remarques. Mais, essentiellement, vous dites que le projet de loi interdit au Québec de se séparer du Canada.

M. Jean-François Lisée: C'est l'effet qu'il aurait.

M. Irwin Cotler: Très bien.

M. Jean-François Lisée: C'est la conséquence qu'il aurait.

M. Irwin Cotler: Ma propre interprétation est très différente. Je considère que le projet de loi n'est rien de plus et rien de moins qu'un code de conduite juridique qui prévoit une marche à suivre juridique pour la sécession, qui s'inspire du jugement de la Cour suprême et qui y est ancré. Bref, à mon avis ce projet de loi énonce que le projet de sécession est légitime sur le plan démocratique s'il y a une question claire et une majorité claire. Autrement dit, il n'interdit ni n'empêche la possibilité d'une sécession.

Nous pouvons respectueusement diverger d'opinions quant à cette interprétation ou à cette application, mais je dois vous dire que ce qui me dérange, c'est d'insinuer que d'une certaine façon tous ceux qui sont contre ce projet de loi sont les seuls vrais démocrates et que tous ceux qui sont partisans de ce projet de loi sont en quelque sorte antidémocratiques. Il y a de bons démocrates dans les deux camps.

Nous devrions évaluer les arguments en fonction de leurs mérites et éviter les comparaisons avec «Big Brother» ou l'univers d'Orwell: à savoir que tous ceux qui sont contre sont d'une façon ou d'une autre les seuls véritables démocrates et que tous ceux qui sont pour sont antidémocratiques.

Le président: Nous demanderons à M. Lisée de répondre brièvement, puis cela mettra fin à son témoignage.

M. Jean-François Lisée: C'est un argument valable. C'est pourquoi j'ai tâché d'adresser mes observations non pas aux députés qui approuvent ce projet de loi et en débattent, et non pas aux commettants qui pensent que la clarté est nécessaire, mais à ceux qui ont rédigé le projet de loi et qui savaient exactement ce qu'ils faisaient. C'est pourquoi je lance un appel aux démocrates présents dans cette Chambre afin qu'ils se rendent compte à quel point ce projet de loi est trompeur, et de la situation dans laquelle il vous mettra.

Monsieur Cotler, irez-vous faire campagne en faveur de la modification pour la sécession du Québec dans un référendum tenu en Ontario pour ratifier cette modification?

Le président: À l'ordre! Nous n'allons pas...

M. Jean-François Lisée: Voilà la situation dans laquelle cela vous met. C'est une situation intenable.

Si vous dites qu'il vous fournit une marche à suivre sur le plan juridique, alors indiquez simplement des conditions dont nous pouvons débattre et auxquelles nous pouvons nous opposer. Dites simplement qu'il vous faut une participation électorale de 80 p. 100 et une question claire, et que si le résultat est de 50 p. 100 plus un, alors vous entamerez la négociation. Il vous suffit de le dire.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lisée. Il y a longtemps que le temps de poser des questions à ce témoin est expiré.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Nous avons nettement dépassé les 45 minutes allouées; nous allons donc passer au témoin suivant.

Merci beaucoup, monsieur Lisée, d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.

Notre témoin suivant est un ancien député, qui travaille à l'heure actuelle à l'École d'études politiques de l'université Queen's.

Monsieur Broadbent, nous vous souhaitons la bienvenue au comité aujourd'hui, et nous sommes ravis que vous ayez décidé de venir témoigner devant nous.

À l'ordre, je vous prie, à l'ordre!

Je demanderais aux cameramen de bien vouloir quitter la salle. Veuillez sortir immédiatement. Nous ne sommes pas en pause. Nous poursuivons la réunion. Je demanderais aux cameramen de bien vouloir sortir.

À l'ordre! À l'ordre, je vous prie. Nous sommes en train de poursuivre la réunion. J'aimerais que les députés aient l'amabilité d'agir en conséquence.

Monsieur Broadbent, selon nos règles, nous accordons 10 minutes pour chaque exposé, qui est suivi de 35 minutes de questions et de commentaires, et, comme vous pouvez le constater, il nous arrive parfois de dépasser le temps alloué. Nous espérons que nous arriverons à nous y tenir.

Vous avez la parole. Nous nous faisons un plaisir d'entendre ce que vous avez à dire.

M. Ed Broadbent (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur le président.

• 1035

[Français]

Je voudrais d'abord vous expliquer pourquoi le texte n'est pas dans les deux langues officielles. J'ai reçu l'invitation à la dernière minute la semaine passée et, malheureusement, j'avais d'autres obligations. Pour ces raisons, j'ai complété le texte hier soir et il est exclusivement en anglais. Je m'en excuse.

[Traduction]

Lorsqu'une grande démocratie risque d'être démantelée, elle devrait prendre les moyens pour que la réalisation et le résultat d'une telle éventualité soient compatibles avec ses principes et ses valeurs fondamentales. Il faut donc inévitablement un mélange de droit et de politique. Dans le cas du Canada, cela signifie plus particulièrement un amalgame de droits; de préoccupations; de fédéralisme avec partage des compétences et du territoire; de primauté du droit; et de respect des minorités.

Étant un État multinational, le Canada a produit une société qui mêle droits politiques, civils, sociaux et culturels d'une façon qui a permis à ses différentes régions et à ses divers peuples d'arriver à un degré d'équité qui le place parmi les nations les plus favorisées du monde.

Depuis quelques décennies, un mouvement politique à l'intérieur du Québec cherche à persuader la population de cette province à faire sécession du Canada. Il proclame que l'indépendance serait préférable à l'épanouissement au sein du Canada. Bien que la majorité des Québécois et les autres Canadiens ne soient pas d'accord, les partisans du mouvement persistent sur cette voie. La plupart d'entre nous, y compris ceux qui ont dénoncé les injustices passées dont a déjà été victime la majorité au Québec, sont fermement convaincus que l'ensemble des Canadiens auront un avenir meilleur au sein de l'union fédérale.

À la suite d'un arrêt historique de la Cour suprême, le gouvernement fédéral a présenté à la Chambre des communes un projet de loi qui vise à clarifier les conditions auxquelles une sécession pourrait être réalisée en toute légitimité. Pour évaluer une mesure législative primordiale, il faut considérer à la fois les circonstances et la substance. Je crois que la conclusion est positive pour ces deux critères. Évidemment, ceux-ci sont corrélatifs en un sens, puisque si la mesure était inacceptable au fond, jamais les circonstances ne seraient propices à son adoption.

Je vais d'abord traiter brièvement la question des circonstances, avant de développer celle de la substance, et plus particulièrement la question de savoir ce qu'est une majorité claire.

Étant donné sa responsabilité envers toute la population de la fédération, en particulier les Canadiens vivant au Québec, le gouvernement fédéral a fait preuve de sagesse en énonçant avant la tenue d'un nouveau référendum les conditions auxquelles il réagira à un tel vote. Il est certes préférable d'établir ces conditions pendant le calme relatif qui précède une campagne référendaire, plutôt qu'au plus fort des passions que déchaîne une telle procédure.

Si les conditions auxquelles le fédéral négociera étaient fixées en pleine campagne, il y aurait simultanément débat sur deux choses: la question référendaire et les conditions à réaliser pour que le fédéral donne suite aux résultats d'un référendum organisé par le gouvernement du Québec. Voilà qui ne serait pas souhaitable. Premièrement, au moment d'un référendum, il vaut nettement mieux concentrer la discussion sur un seul sujet, à savoir la question référendaire elle-même.

Deuxièmement, en présentant un tel projet de loi une fois connus les résultats du référendum, le fédéral serait presque à coup sûr accusé de changer les règles a posteriori, ce qui compliquerait vraisemblablement encore plus la prise, par le Parlement, d'une décision que la grande majorité des principaux intéressés jugeraient équitable. Je le répète, je crois que les circonstances se prêtent bien à la présentation du projet de loi.

Je vais commenter succinctement l'obligation, telle qu'énoncée par la Cour suprême, que la question référendaire soit claire et qu'elle porte exclusivement sur la sécession du Québec du Canada ou sur l'idée que le Québec devienne un État indépendant, pour que le Parlement soit tenu de négocier. La Cour suprême a certainement été très avisée d'arriver à une telle conclusion.

Le Québec ou une autre province peut adopter quelque résolution que ce soit sur le sujet de son choix, mais le Parlement fédéral ne serait tenu de prendre en considération qu'une résolution portant clairement et expressément sur l'indépendance. Si souhaitable qu'il soit de tenir compte de toute autre résolution adoptée par le Québec ou par une autre province, je crois que le Parlement fédéral ne devrait être obligé, constitutionnellement parlant, de ne tenir compte que d'une résolution qui exprime clairement le désir d'être indépendant du Canada. Je crois aussi qu'il est important que la population du Québec sache à quoi s'en tenir avant la tenue d'un référendum.

Passons maintenant à la question vexatoire de la majorité claire, une condition qu'a également énoncée la Cour suprême et qui se retrouve dans le projet de loi.

D'aucuns conviendront qu'une majorité claire «au sens qualitatif», comme l'a elle-même précisé la Cour suprême, doit exclure tout résultat obtenu par un scrutin manifestement mauvais ou malhonnête. Le reste ne fait pas l'unanimité, comme nous le savons.

• 1040

La question la plus litigieuse est sans doute celle de savoir si 50 p. 100 des voix plus une constituerait un appui suffisant pour que les résultats soient considérés comme concluants, une fois réglées toutes les questions de procédure. Je ne suis pas certain que la Cour suprême refuserait une telle proportion. Par exemple, après évaluation qualitative du procédé, il est logiquement possible que, compte tenu du nombre de bulletins de vote acceptables, une proportion de 50 p. 100 des voix plus une constitue effectivement la majorité claire requise par la Cour suprême.

En matière de chiffres, si la cour avait souhaité un pourcentage supérieur à la majorité simple, ne l'aurait-elle pas précisé? Pourquoi les juges s'en seraient-ils tenus à l'expression «majorité claire» s'ils avaient voulu, outre la clarté, une proportion supérieure à la majorité simple? Il est plausible de soutenir que, s'ils avaient exigé davantage qu'une majorité simple et claire comme minimum acceptable, ils l'auraient dit. Ils auraient écrit, par exemple—et ce sont mes mots—«Il faut plus qu'une majorité simple.»

En réalité, nous ne saurons jamais ce que les juges de la Cour suprême avaient en tête au juste lorsqu'ils ont employé l'expression «majorité claire». Cependant, je crois qu'une majorité simple, même si elle est claire, n'est pas suffisante moralement pour décider du démembrement d'une démocratie établie, et cela vaut pour le Canada.

La plupart des Québécois et des autres Canadiens ont fait savoir qu'à leur avis une proportion de 50 p. 100 des voix plus une est insuffisante pour prendre une initiative destinée à morceler le pays. Je pense qu'ils ont tout à fait raison d'être de cet avis. Dans une démocratie, la plupart des décisions qui se prennent portent sur des questions pratiques: des villes qui ont besoin de nouveaux égouts, des provinces qui ont besoin de nouvelles routes et un gouvernement fédéral qui est obligé de fournir des forces pour la défense nationale. De telles mesures de prudence se décident à la majorité simple. Ce sont des questions d'ordre pratique, et toute décision à leur sujet est non seulement sujette à erreur, mais aussi révocable. Si la situation change, si de nouvelles informations sont mises à jour ou si un gouvernement différent est élu, ces décisions peuvent être modifiées ou révoquées.

Mais en démocratie les politiciens ne fondent pas toutes leurs décisions sur l'appui de la population. Pour certaines, ils tiennent compte de la profondeur, de la durée et de la gravité de l'effet qu'elles auront. Voilà pourquoi les constitutions ne peuvent jamais être modifiées sans une majorité supérieure à la majorité simple.

L'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 commande l'unanimité des provinces pour la modification de quelques-unes de ses dispositions. C'est aussi pour cette raison que la plupart des référendums ne sont que facultatifs. Ils font connaître une opinion, mais ils n'obligent pas un gouvernement à agir.

La gravité de l'impact et le souci des minorités expliquent aussi pourquoi les chartes des droits dans les démocraties, y compris celles du Canada et du Québec, placent certaines questions bien au-delà du jugement temporaire de 50 p. 100 plus un de la population.

Les simples citoyens et les experts s'entendent massivement pour reconnaître que la démocratie implique plus que la simple majorité de 50 p. 100 plus une voix qui prévaut dans des prises de décisions révocables. Elle signifie aussi, selon les termes mêmes de la Déclaration universelle des droits de l'homme, le respect de la «dignité» de tous les citoyens.

Je soutiens qu'une composante essentielle de cette dignité réside dans l'importance de notre identité, c'est-à-dire la façon dont nous nous voyons et dont nous voulons être perçus, compris et respectés par autrui. En tant qu'humains, nous avons diverses identités de ce genre, qui se construisent au fur et à mesure que nous grandissons.

C'est ainsi que beaucoup d'entre nous se décrivent à la fois comme Canadien et Québécois, ou Canadien et habitant de l'Ouest. Certains disent qu'ils sont plus Québécois que Canadiens, mais ils sont néanmoins les deux à la fois. Il y a évidemment des Québécois qui se considèrent uniquement comme Québécois. Certains Canadiens estiment que leur identité la plus profonde est liée à leur sexe ou à leur groupe culturel. Ainsi, une Canadienne va peut-être dire qu'elle est féministe avant tout, que c'est ce qui est le plus important pour elle et que c'est comme cela qu'elle veut être perçue.

Toutefois, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité, ce qui nous préoccupe dans ce projet de loi, c'est l'identité particulière liée à la citoyenneté, une identité qui s'acquiert au cours de toute l'existence. Pour la majorité des citoyens du monde moderne, la citoyenneté revêt une importance cruciale. Toute remise en question ou tout bouleversement des composantes de cette identité présente par conséquent un caractère de très grande gravité. En cette époque post-religieuse, perdre ou gagner une nationalité n'est pas une bagatelle.

La plupart des Canadiens à l'extérieur et à l'intérieur du Québec chérissent en tant que composante essentielle de leur identité, acquise au cours d'une vie entière d'expérience dans de petites et de grandes collectivités, l'idée que le Québec est intrinsèque pour eux en tant que Canadiens, ou l'idée que le Canada est intrinsèque au sens de leur existence en tant que Québécois.

• 1045

Ceux qui voudraient remettre en question ou briser fondamentalement et irrémédiablement ces identités liées à la citoyenneté ne doivent le faire que dans les circonstances les plus graves. Je crois que des personnes vivant dans des sociétés où elles sont libres de développer leurs propres capacités et leurs propres talents, dans leur langue et dans leur culture, quelles que soient les injustices qui aient marqué ces sociétés dans le passé, ne devraient jamais obliger leurs concitoyens à choisir dans un jeu à somme nulle entre des composantes cruciales de leurs personnalités.

Tout en respectant le droit des personnes qui ne sont pas d'accord avec moi sur cette question au Québec, je les conjure de ne jamais lancer un processus qui imposerait à autrui un changement d'existence permanent et non souhaité à moins d'être au minimum certains d'avoir l'appui de nettement plus que 50 p. 100 de la population. Sinon, ils plongeraient la plus grande partie de leur province, ainsi que les autres provinces, dans un chaos émotif et politique à l'issue incertaine.

Le gouvernement fédéral, qui représente les Québécois et les autres Canadiens, a raison de dire qu'il refuserait de s'associer à une telle tragédie dans de telles circonstances. Il a aussi eu raison de souligner que les Canadiens à l'extérieur du Québec, même s'ils en étaient profondément désolés, ne s'opposeraient jamais à une volonté d'indépendance clairement exprimée par une majorité importante de Québécois.

Sur les 13 nouveaux pays créés à la suite d'un référendum depuis la Deuxième Guerre mondiale, durant l'ère post-coloniale, neuf avaient obtenu des votes favorables à plus de 95 p. 100; deux des votes favorables à plus de 90 p. 100, et les deux autres plus de 75 p. 100 de voix favorables.

À mon avis, le premier ministre du Québec, M. Bouchard, serait bien avisé d'attendre le moment où il pourra s'attendre à des résultats de cet ordre. Il ferait encore mieux de renoncer à son objectif de sécession et de se rendre à l'évidence que la majorité des Québécois ont beaucoup progressé au cours des dernières décennies. Grâce aux droits et libertés dont jouissent tous les Canadiens, ils ont pu créer une société merveilleuse et, si j'ose dire, distincte. Ce sont des Québécois fiers de l'être et des Canadiens fiers de l'être.

Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité.

Le président: Merci, monsieur Broadbent.

Monsieur Hill, vous avez des questions.

M. Grant Hill: Merci beaucoup, monsieur Broadbent.

Vous avez éloquemment souligné que la Cour suprême n'avait pas énoncé une majorité. Vous avez dit qu'à votre avis cette majorité devrait être «beaucoup plus que 50 p. 100 plus une voix», parce que la sécession serait un phénomène irréversible.

Vous ne faites pas partie de la Cour suprême. Vous êtes une des personnes qui peuvent s'offrir le luxe de dire en quoi devrait consister à votre avis la majorité. Je vous invite à le faire, pour que nous sachions tous quelle est votre opinion en matière de majorité. Pourriez-vous nous donner un chiffre?

M. Ed Broadbent: Non, je ne vous donnerai pas de chiffre, pour la même raison, je crois, que ni la Cour suprême ni le projet de loi n'en mentionne. Je crois qu'il faut tenir compte de nombreux autres facteurs pour prendre une décision.

Ce que je dis ici, c'est que je considère que la loi peut légitimement établir dans certaines circonstances qu'une majorité de 50 p. 100 plus une voix est défendable sur le plan juridique. Ce que je soutiens, toutefois, c'est que, quelle que soit la position du droit à cet égard, il me semble que ce serait une grave erreur de fonder une décision sur un tel vote.

Comme je l'ai dit, dans les 13 pays qui sont apparus au cours de la période post-coloniale, les majorités étaient supérieures à 75 p. 100. C'est ce genre de décision qui semble souhaitable. Si vous devez déchirer profondément la conscience de ces citoyens, car c'est le cas, il faut au moins réduire le plus possible les dégâts et maximiser les perspectives de succès en ayant un pourcentage important de la population de votre côté, d'un point de vue moral, éthique, quel que soit le point de vue du droit.

M. Grant Hill: Pourriez-vous me dire à quel niveau se situait la barre, d'après vous, lors des deux derniers référendums?

M. Ed Broadbent: Ayant participé à divers degrés à ces deux référendums, je dirais que les questions n'étaient pas les mêmes. Nous n'avions pas encore la décision de la Cour suprême. Nous ne savions pas quelles seraient les conséquences d'un vote favorable à plus de 50 p. 100. Donc, c'est très hypothétique.

• 1050

Ceux d'entre nous qui étaient des fédéralistes à l'époque estimaient que s'il y avait 50 p. 100 des voix plus une, cela entraînerait une crise du régime politique, car aucune règle du jeu n'avait été établie. Il aurait fallu prendre très au sérieux un tel vote, et j'espère que le calme aurait prévalu chez les dirigeants politiques. Mais je vous répète qu'à mon avis l'objectif essentiel, en tout cas le mien, c'était tout simplement de faire gagner le vote fédéraliste sans vraiment réfléchir de façon claire et systématique aux répercussions éventuelles d'un vote majoritaire en faveur du oui.

M. Grant Hill: Vous qui étiez l'un des acteurs politiques de l'époque, avez-vous saisi l'occasion de dire publiquement qu'à votre avis une majorité de 50 p. 100 plus une voix serait insuffisante?

M. Ed Broadbent: Je ne crois pas, mais je ne suis pas sûr.

M. Grant Hill: Vous voyez, c'est là le problème à mon avis. Nous n'avons rien dit là-dessus dans le passé. À mon avis, même si c'était quelque chose de tout à fait inadéquat, la barre était placée à 50 p. 100 des voix plus une. Je le dis tout en sachant que ce n'est pas idéal. L'idéal serait d'avoir un pourcentage beaucoup plus élevé, comme vous le dites. Mais vous ne trouvez pas que le fait de ne pas énoncer de chiffre de majorité rend cette loi un peu chancelante?

M. Ed Broadbent: Cela comporte des risques, mais il y a aussi des risques à énoncer un chiffre. C'est pourquoi, comme je l'ai déjà dit, je parlais à la fois de politique et de droit. Quelle que soit l'option choisie, il y a des risques. Si vous essayez d'énoncer un pourcentage clair, je pense qu'il y a des risques, car il faut aussi tenir compte de toutes sortes d'autres facteurs au moment du vote.

Vous courez un certain risque si à l'occasion du vote les Québécois montrent clairement qu'ils sont en faveur de l'indépendance. Le risque, c'est que les députés de ce Parlement, qui représentent le Canada comme ils ont le droit et le devoir moral et légal de le faire, ne reconnaissent pas ce vote.

Je sais bien que c'est un risque, mais je me réfère d'un autre côté à toute la tradition de notre pays. Tout compte fait, je m'en remettrais à la sagesse collective de tous les partis à la Chambre des communes pour respecter un vote qui serait nettement favorable sur une proposition d'indépendance clairement énoncée, et pour entamer des négociations sur la sécession comme le prévoyait la Cour suprême dans sa décision.

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Parlons justement du risque. Vous dites qu'il y a un risque à mentionner un chiffre qui soit un seuil. Il y a aussi un risque à ne pas le faire. Est-ce que le fait de ne pas le mentionner constitue la clarté?

M. Ed Broadbent: Excusez-moi. Je n'a pas compris exactement la question.

M. Daniel Turp: On étudie un projet de loi sur la clarté et on ne mentionne pas de seuil. Est-ce qu'il n'y a pas là un problème de clarté?

[Traduction]

M. Ed Broadbent: Oh oui. La réponse est oui, mais même dans un projet de loi sur la clarté, tout ne peut pas être parfaitement clair.

Je sais que vous avez une expérience politique, monsieur Turp, et je pense que toute personne qui a une expérience de la politique le sait.

[Français]

M. Daniel Turp: Je vous pose la question parce qu'on prétend que ce projet de loi est clair, mais je constate que vous trouvez que, sur la question de la majorité, il n'est pas clair. Dans un article, on dit qu'on va tenir compte de ceci, de cela et d'autres facteurs. Or, je ne vois pas très bien la clarté dans une disposition importante de ce projet de loi sur la clarté.

Quant au 50 p. 100 plus un, il est toujours très curieux de constater que des personnes comme vous disent que c'est possible, que c'est la règle et qu'elle est probablement acceptable. Mais ensuite, on essaie de trouver des arguments pour suggérer que ce n'est pas nécessairement la bonne règle, la règle souhaitable. N'y a-t-il pas justement une différence entre la majorité requise légalement, démocratiquement, et la majorité suffisante ou souhaitable pour qu'un gouvernement décide de mettre en oeuvre un projet de souveraineté?

• 1055

[Traduction]

M. Ed Broadbent: J'ai dit que dans les démocraties il était normal de s'en remettre à une majorité de 50 p. 100 plus une voix pour des décisions qui peuvent être renversées. Mais dans la plupart des référendums qui ont été tenus depuis la Deuxième Guerre mondiale, d'après les informations que j'ai pu obtenir, dans 11 des 13 cas dont j'ai parlé, la majorité exigée était supérieure à 50 p. 100 plus une voix.

Dans notre démocratie au Canada, comme vous le savez, que ce soit en vertu de la Charte des droits du Québec ou de la Charte canadienne des droits, nous avons toutes sortes de dispositions qui visent à protéger les droits des particuliers et des groupes contre les agissements de majorités temporaires. Il me semble donc erroné de prétendre que la démocratie est tout simplement un régime dans lequel toutes les décisions reposent sur une majorité de 50 p. 100 plus une voix. Je soutiens en fait que pour les décisions les plus graves, ce n'est généralement pas le cas. Dans le cas des décisions les plus graves, il faut une majorité bien supérieure à 50 p. 100 plus une voix; dans certains cas même il faut l'unanimité.

[Français]

M. Daniel Turp: Pour reprendre les propos de celui qui vous a précédé, est-ce une décision sérieuse, par exemple, pour une province de quitter un pays et de se joindre à un autre pays, que ce soit Terre-Neuve qui se joigne au Canada ou que ce soit le Canada qui se joigne aux États-Unis? Serait-ce sérieux au point où la règle du 50 p. 100 plus un ne serait pas acceptable?

[Traduction]

M. Ed Broadbent: Dans le cas de Terre-Neuve, les liens avaient déjà été coupés par l'Empire britannique, l'ancienne mère patrie. Terre-Neuve était obligée d'aller quelque part, si je puis dire.

[Français]

M. Daniel Turp: Qu'en serait-il dans le cas où le Canada se joindrait aux États-Unis?

[Traduction]

M. Ed Broadbent: Tous les pays, dans n'importe quelle situation, présentent des caractéristiques particulières; ce serait le cas en effet si le Canada devait se joindre aux États-Unis.

[Français]

M. Daniel Turp: Serait-ce plus que 50 p. 100 plus un dans ce cas-là?

[Traduction]

M. Ed Broadbent: J'aimerais discuter de cela et examiner toutes les questions extrêmement complexes qui sont à mon avis au coeur de ce projet de loi et auxquelles j'ai réfléchi en m'interrogeant sur cette question d'une sécession au sein d'une union démocratique. Briser une union, il me semble a priori que ce n'est pas du tout la même chose que de se joindre à une autre entité.

Il me semble que si une partie d'un pays fait sécession en brisant l'identité de ses concitoyens, ce n'est pas la même chose que si le Canada décide collectivement et volontairement de se joindre à une autre entité.

[Français]

M. Daniel Turp: Toutes ces distinctions me paraissent bien arbitraires. On semble vouloir créer ces distinctions dont le seul résultat est de faire en sorte que le 50 p. 100 plus ne soit pas applicable dans le cas du Québec. Vous avez cité de nombreux cas où on a atteint 90 p. 100, 80 p. 100, 70 p. 100, mais, comme vous le savez, dans les démocraties pluralistes avancées, lorsqu'il y a un référendum sur le statut politique ou sur la délégation de la souveraineté à l'intérieur de l'Union européenne et ainsi de suite, les majorités sont toujours très minces: 51 p. 100 en France; 52 p. 100 au Danemark; 57 p. 100 sur l'Accord de Charlottetown. Vous savez que les précédents dont vous avez parlé ne peuvent pas être invoqués pour des démocraties pluralistes avancées.

[Traduction]

M. Ed Broadbent: Encore une fois, je peux les citer si vous me le permettez. Les cas que j'ai mentionnés sont des référendums qui ont entraîné la scission de pays. Dans la grande majorité des 13 pays où de tels référendums se sont tenus au cours de l'époque post-coloniale, au cours de l'après-guerre, la majorité exigée pour la division du pays était nettement supérieure à 50 p. 100 plus une voix. En fait, en moyenne le nombre de voix pour était largement supérieur à 75 p. 100.

[Français]

M. Daniel Turp: Mais...

Le président: Oh, non. Monsieur Blaikie, vous avez la parole. À l'ordre. La parole est à M. Blaikie.

M. Daniel Turp: Non, ce ne sont pas des démocraties...

Le président: M. Blaikie a la parole.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président. C'est la première fois que j'ai l'occasion d'interroger M. Broadbent en dehors de l'enceinte confidentielle du caucus.

Le président: Vous allez sans doute vouloir en profiter pleinement.

M. Bill Blaikie: Pour poursuivre cette discussion, M. Broadbent a répondu à une question de M. Turp au sujet des particularités... J'ai l'impression que soit nous avons beaucoup de cas particuliers dans les divers précédents que l'on mentionne, soit nous avons beaucoup de doubles normes.

• 1100

Je dirais à M. Turp que même le gouvernement du Québec est absolument catégorique lorsqu'il affirme par exemple que les territoires ne peuvent pas devenir des provinces. Même si le Yukon, le Nunavut ou les Territoires du Nord-Ouest sont d'accord à 99 p. 100 pour devenir des provinces, cela ne sera pas possible sans un vaste consensus des autres provinces, et en particulier du Québec. En fait, le Québec revendique un droit de veto sur l'entrée de nouvelles provinces dans la Confédération, quelle que soit la volonté populaire de ces territoires de devenir des provinces.

Ou bien nous reconnaissons que des situations différentes exigent des réponses différentes—et l'on peut discuter de la teneur de ces diverses réponses—ou bien beaucoup d'entre nous, y compris mon collègue du Bloc, ont des normes différentes qu'ils appliquent de manière sélective.

Vous avez parlé du risque qu'entraînerait une décision du gouvernement du Québec d'aller de l'avant avec une majorité de seulement 50 p. 100 plus une voix. Je pense en fait qu'il y a deux risques là. Il y a aussi le risque que le gouvernement fédéral refuse de négocier dans une telle situation. Par conséquent, dans le cas d'un vote très serré, il faudrait absolument que la sagesse prévale des deux côtés de la faille séparant le fédéral et le provincial.

Je crois que cette idée est vraiment au coeur de votre exposé, l'idée qu'il y a une différence entre les exigences juridiques ou politiques et les exigences éthico-politiques et qu'en fin de compte on ne peut pas légiférer sur le bon jugement des personnes. Il y aura un jugement qui devra être exprimé après coup par à la fois la province qui demande la sécession et le gouvernement fédéral. C'est quelque chose que l'on ne souligne pas souvent, et nous vous sommes reconnaissants de l'avoir mentionné. Néanmoins, cela laisse ouverte la possibilité de conserver le critère de la majorité de 50 p. 100 plus une voix, sachant que ce critère n'est pas exécutoire dans la mesure où il impliquerait l'expression d'un jugement de ratification.

M. Ed Broadbent: Je dois répondre à mon ancien collègue que je ne suis pas sûr que cela supprime un élément de bonne ou de mauvaise foi. Vous pourriez dire que le minimum pour entamer des discussions, c'est d'avoir ce genre de tribune. Je reconnais avec vous qu'il faut se fier au bon jugement et à la bonne foi.

J'essaie de regrouper un certain nombre de choses ici. J'ai réfléchi à tout cela, comme l'ont fait les membres du comité. En tant que Canadien, cette question de la règle des 50 p. 100 plus une voix m'intéresse énormément. J'ai essayé de bien montrer que les démocraties ne se contentent pas de cette simple règle de 50 p. 100 plus une voix. En fait, dans la grande majorité des référendums qui ont abouti au démantèlement d'États durant l'après-guerre, la majorité exigée était supérieure à 50 p. 100 plus une voix. C'est donc à cet aspect du débat que je m'intéresse.

Mais pour en venir à votre question, à savoir si le côté fédéral serait de mauvaise foi dans le cas où le Québec se serait prononcé clairement pour la séparation, je dirais que je suis disposé à appuyer ce projet de loi, car il faudrait tenir compte non seulement de l'opinion du gouvernement du Québec, mais aussi de l'opinion exprimée par les partis d'opposition au Québec et par d'autres personnes au Canada, y compris les autres gouvernements. En me fondant sur une expérience empirique, je crois pouvoir dire que s'il y avait un vote clair en faveur de la sécession, on verrait certainement des gens comme Claude Ryan et des représentants de l'opposition officielle au Québec dire qu'il faut respecter la volonté claire des Québécois, et on constaterait que le gouvernement fédéral manifesterait sa volonté de respecter cette décision avec la même décence que dans d'autres cas récents.

Je suis donc d'accord avec la souplesse de ce projet de loi, qui me semble nécessaire, mais je m'en remettrai au processus de décision du Parlement, surtout compte tenu du poids que tous les autres auraient dans la décision de ce Parlement après un tel vote.

• 1105

[Français]

Le président: Monsieur Drouin.

M. Claude Drouin (Beauce, Lib.): Monsieur Broadbent, permettez-moi, au nom du groupe parlementaire libéral, de vous souhaiter la bienvenue et de vous remercier pour votre présentation.

Vous qui avez été un champion de la protection des droits de la personne et des droits des minorités, tant au Canada qu'à l'étranger, êtes-vous d'accord pour dire que la garantie contenue dans le projet de loi C-20 en vertu de laquelle les droits des peuples autochtones et ceux des minorités seront pris en considération dans toute négociation sur la sécession constitue un aspect important du projet de loi?

[Traduction]

M. Ed Broadbent: C'est très important. L'un des amendements que le comité pourrait envisager de proposer, ce serait d'énoncer clairement que les peuples autochtones du Canada doivent jouer un rôle plus important que ce qui est mentionné dans le projet de loi.

Je ne sais pas, monsieur le président, si c'est à cela que vous vouliez en venir, mais s'il y avait un vote clair en faveur de la sécession, je pense qu'en vertu du droit international et de la déclaration internationale des droits des peuples autochtones—qui est presque complète, d'après ce que je crois savoir—et en vertu de ce que la Cour suprême a déclaré, les peuples autochtones du Québec auraient clairement le choix de décider de rester au sein du Canada, avec leur territoire, ou de se joindre au Québec. Ils auraient manifestement le droit d'en décider.

Le président: Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'ai deux questions à vous poser, monsieur Broadbent. Vous avez participé aux deux derniers référendums. Compte tenu du manque de clarté de certaines des questions, un certain nombre de Québécois qui avaient voté oui—je crois qu'ils étaient environ 30 p. 100—ont dit après coup qu'ils pensaient que cela signifiait une forme d'association et que le Québec restait au sein du Canada... Ce projet de loi ne porte pas simplement sur les aspects quantitatifs de la question, mais aussi sur les aspects qualitatifs. Si vous étiez député, voteriez-vous pour le projet de loi C-20?

M. Ed Broadbent: Oui.

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler: Monsieur Broadbent, l'un des arguments de base des témoins indépendantistes, si je puis utiliser cette expression, que nous avons entendus, c'est que ce projet de loi est fondamentalement antidémocratique, qu'il nie au Québec le droit à l'autodétermination et qu'en fait il sape la prérogative et le pouvoir de l'Assemblée nationale d'énoncer les conditions d'un processus référendaire. Quelle est la réaction de quelqu'un comme vous, que je considère comme l'un des grands démocrates du Canada, et qui est le premier président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, face à ces personnes qui affirment que le projet de loi est fondamentalement antidémocratique? C'est une accusation grave, et je pense qu'il serait important d'avoir la réponse d'un démocrate tel que vous à une telle affirmation.

M. Ed Broadbent: Sans vouloir manifester la moindre condescendance, je dirais que c'est manifestement une question très sérieuse. Quand j'ai lu le projet de loi, je me suis posé cette question. Les gens qui sont à ma gauche, c'est-à-dire les partisans du gouvernement, ne seront pas étonnés de m'entendre dire que j'ai pu constater, au cours des nombreuses années que j'ai passées à traiter avec des gouvernements, que les partis d'opposition se méfiaient presque instinctivement des gouvernements, ce qui fait partie du processus démocratique. Étant donné la sensibilité des Québécois sur cette question, j'ai lu le projet de loi très soigneusement pour voir s'il risquait d'intimider les Québécois ou d'éroder leur démocratie. Je peux dire sans hésiter qu'à mon avis ce n'est pas le cas.

Je me suis occupé des droits internationaux dans de nombreux pays qui s'interrogeaient sur l'autodétermination. J'ai participé, comme on l'a dit, aux débats qui se sont tenus au Québec. Au cours de mon premier congrès politique fédéral, en 1961, j'ai fait un discours dans lequel je disais que les habitants de la province de Québec avaient le droit de décider s'ils voulaient ou non devenir indépendants. Je tiens donc à m'assurer avec le plus grand sérieux qu'un projet de loi émanant du Parlement n'entrave pas les droits démocratiques des Québécois. Bien au contraire, ce projet de loi énonce très clairement que dans certaines circonstances ils auraient effectivement le droit de devenir indépendants.

• 1110

[Français]

Le président: Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Monsieur Broadbent, je considère qu'il s'agit pour moi, jeune parlementaire élu en 1993, d'un honneur et d'un privilège que de poser des questions à un grand démocrate canadien.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: En 1989.

M. Michel Guimond: Il a été élu en...

M. Bill Blaikie: En 1989.

M. Michel Guimond: Oui, mais j'ai été élu en 1993.

M. Bill Blaikie: Oh, pardon.

M. Michel Guimond: Bill, vous devriez peut-être suivre en français. Vous comprendriez mieux ce que je dis.

Des voix: Oh, oh!

[Français]

M. Michel Guimond: Donc, je disais que c'est un privilège pour moi, jeune parlementaire élu en 1993, que d'interroger un grand démocrate, étant donné aussi que vous avez joué un rôle actif en matière de droits de la personne alors que, pendant plusieurs années, vous présidiez un centre à Montréal. Je me rappelle très bien que votre parti, alors que vous en étiez le chef, a toujours reconnu le droit du Québec à son autodétermination.

J'aimerais savoir si vous partagez l'opinion de M. Claude Ryan, qui, hier, était très critique à l'endroit du projet de loi C-20? Je vous lis les commentaires qu'il nous faisait au sujet du paragraphe 1(1) du projet de loi C-20, où, à la fin, on mentionne:

    [...] la Chambre des communes examine la question et détermine, par résolution, si la question est claire.

Hier, M. Ryan disait:

    En inscrivant ces critères dans une loi, le Parlement et le gouvernement fédéral s'ingéreraient, à tout le moins indirectement, dans la rédaction même de la question. Il ne s'agit pas là non plus de véritables fédéralistes mais d'un régime de tutelle.

Monsieur Broadbent, vous avez toujours reconnu que l'Assemblée nationale du Québec était souveraine, qu'elle était maîtresse de ses décisions. Êtes-vous d'accord sur l'opinion exprimée hier par M. Claude Ryan devant ce comité?

[Traduction]

M. Ed Broadbent: Que puis-je dire, moi qui ai collaboré étroitement avec M. Ryan dans le passé et qui l'admire profondément? Il a le droit comme moi de se tromper à l'occasion. Je crois qu'en l'occurrence il se trompe.

J'ai un profond respect pour les Québécois. Ils ne se laissent pas intimider. Ils ont une grande détermination. J'ai passé beaucoup de temps en particulier dans la région de Jonquière et de Chicoutimi, et je sais qu'il n'est absolument pas question qu'ils se laissent intimider et influencer au niveau de leurs droits démocratiques fondamentaux par quelque chose en provenance de ce Parlement. Si vous lisez le texte en détail, je ne pense pas que ce soit le cas.

On utilise parfois ces termes différemment, quand on parle par exemple du droit souverain de l'Assemblée nationale du Québec. Par exemple, j'ai lu la résolution rédigée à l'Assemblée nationale du Québec, et j'ai vu certains articles qui divergent carrément de la décision de la Cour suprême et qui ne seraient pas acceptés par la Cour suprême parce que c'est l'expression de pouvoirs unilatéraux. Si par souveraineté on entend le pouvoir unilatéral du Québec de se séparer ou de déterminer son propre avenir, je crois que c'est quelque chose de totalement différent, et ce n'est pas comme cela que j'utiliserais cette expression.

[Français]

M. Michel Guimond: Mais ne voyez-vous pas là, monsieur Broadbent, une certaine forme d'assujettissement, une certaine forme de subordination juridique de l'Assemblée nationale du Québec à la Chambre des communes?

Êtes-vous d'accord pour dire qu'hier, M. Ryan faisait peut-être tout simplement ressortir le consensus de plus en plus répandu au Québec? Ce consensus, on ne le retrouve pas uniquement chez des souverainistes, car au début de sa présentation d'hier, M. Ryan a dit: «Je suis un Québécois fédéraliste.» On ne peut quand même pas l'accuser d'être très, très près du Parti québécois—si l'on peut considérer cela comme une tare.

Dégagez-vous, monsieur Broadbent, par les contacts que vous avez eus au Québec et que vous avez présentement, qu'il y a un consensus chez les Québécois pour rejeter le projet de loi C-20?

• 1115

[Traduction]

M. Ed Broadbent: Ce serait possible. Je respecte... mais je ne partage pas cet avis. C'est pourquoi j'ai dit que nous reviendrions sur la question à propos de la lecture du projet de loi. Je pense qu'il ne laisse même pas entendre que le Parlement du Canada ait une forme de souveraineté sur l'Assemblée nationale du Québec. Je ne vois aucune notion de ce genre dans le projet de loi. Je crois qu'elle n'est même pas sous-entendue. Et du point de vue constitutionnel, ce serait une erreur.

D'après ce que je constate, le projet de loi en fait énonce les conditions dans lesquelles le gouvernement du Canada devrait répondre à une résolution de l'Assemblée nationale à la suite d'un référendum. Moi qui essayais d'être très pointilleux sur la séparation claire des pouvoirs au sein de notre régime fédéral, je crois que ce texte respecte cette séparation. Je pense que ni dans la lettre, ni dans l'esprit, il ne doit donner l'impression d'intimider les Québécois ou l'Assemblée nationale du Québec ou de nier leurs droits.

Je veux bien admettre, comme vous le dites, que je suis peut-être en profond désaccord avec des Québécois, y compris des gens de qui j'ai été très proche dans le passé sur des questions constitutionnelles. On ne peut pas toujours être bons amis et bons démocrates.

Le président: Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Monsieur Broadbent, certains des intervenants ont dit et répété dans le passé, à l'occasion des processus référendaires, que si la question posée au Québec était claire, les Québécois ne quitteraient jamais le Canada. Cet argument a été rabâché de multiples fois. Je crois que vous avez dit quelque chose de très semblable. Est-ce exact?

M. Ed Broadbent: C'est possible. J'étais convaincu dans le passé que c'était vrai.

Peut-être pourrais-je vous dire le fond de ma pensée. Je remercie le député qui vient de prendre la parole des remarques qu'il a faites. Quand j'étais président du

[Français]

Centre international des droits de la personne et du développement démocratique dans la province du Québec, la plupart des membres de mon équipe étaient francophones et ils n'ont pas bien compris la question. Nous avons discuté de la question pendant le référendum, et il y avait, parmi cette équipe, des gens qui pensaient qu'on pouvait être en même temps Canadien et Québécois après un vote pour le Oui.

[Traduction]

Donc les choses n'étaient pas claires pour beaucoup de gens au Québec, me semble-t-il. Beaucoup savaient pourquoi ils votaient, mais de nombreux Québécois qui n'étaient pas des experts en politique, qui ne faisaient pas partie de la classe qui examine toutes ces questions, ne comprenaient pas vraiment tout le fond de la question. Je pensais donc personnellement qu'il n'était pas souhaitable d'avoir ce genre de question. Franchement, je ne pense pas qu'elle était claire.

M. Grant Hill: Permettez-moi de revenir sur votre observation précédente. Vous avez dit que si l'on demandait clairement aux Québécois s'ils sont favorables à la sécession, ils répondraient non. Nous sommes assez sûrs maintenant qu'on leur posera une question claire à ce sujet. À mon avis, cette loi fera en sorte qu'il sera très difficile de poser aux Québécois une question ambiguë. Vous avez donc dit être certain que les Québécois se prononceront contre la sécession si on leur pose une question claire. Dans ce cas, pourquoi ne pas accepter la règle qu'on a acceptée jusqu'ici, c'est-à-dire celle des 50 p. 100 plus un? Ne serait-ce pas logique si nous voulons relever légèrement la majorité nécessaire?

M. Ed Broadbent: Je vais répéter la réponse que j'ai donnée précédemment à la question que vous posiez au sujet de la règle des 50 p. 100 plus un. Comme je l'ai dit, la situation est complexe. Je pense que l'une des interprétations juridiques qu'il est possible de donner à la décision de la Cour suprême, c'est que la cour elle-même accepterait, dans certaines circonstances, une majorité de 50 p. 100 plus un. À mon sens, cette majorité serait acceptable dans certaines circonstances. On aurait commis une grave erreur en excluant cette possibilité. Je suis cependant d'avis qu'il serait malavisé pour le gouvernement du Québec, et je ne m'attends pas à ce que M. Bouchard le fasse—j'espère certainement qu'il ne le fera pas—de considérer une majorité de 50 p. 100 plus un comme étant suffisante. Je pense que pour toutes ces raisons la Cour suprême a préféré une certaine ambiguïté ou une absence de finalité...

M. Grant Hill: Une absence de clarté?

• 1120

M. Ed Broadbent: Disons plutôt une absence de finalité. Une certaine incertitude est acceptable, et la cour en a tenu compte.

Comme je l'ai dit plus tôt, quand on aura compté le suffrage exprimé et quand on aura tenu compte des circonstances entourant le scrutin, je suis sûr que le Parlement du Canada acceptera la volonté exprimée par la population du Québec si celle-ci est claire. Je suis sûr que le gouvernement serait dès lors prêt à participer à des négociations sérieuses. Le libellé actuel de cette disposition ne me déplaît pas.

Le président: Monsieur Blaikie, vouliez-vous poser une autre question?

Nous n'avons plus de questions à vous poser, monsieur Broadbent. Je vous remercie beaucoup d'avoir comparu devant le comité. Votre témoignage nous aura été très utile.

Tout le monde veut participer au vote. Fantastique.

Mon expérience me dit qu'il s'agit d'une sonnerie de 30 minutes. Nous pouvons donc prendre 10 minutes pour écouter nos témoins suivants. Je suspendrai ensuite la séance pour que nous puissions participer au vote.

[Français]

Les prochains témoins sont du Mouvement national des Québécois. Nous avons avec nous aujourd'hui deux représentants de ce groupe: M. Gilles Grondin, directeur général, et M. Henri Laberge, conseiller.

Nous suspendons pour deux minutes.

• 1122




• 1124

Le président: À l'ordre. Les deux témoins ont déjà été présentés au comité.

Messieurs, vous êtes les bienvenus ici aujourd'hui. Vous connaissez les règles: il y a une période de 10 minutes pour la présentation, qui sera suivie d'une période de 35 minutes pour les questions. Nous ferons une pause après votre présentation pour aller voter à la Chambre.

• 1125

Monsieur Grondin, vous avez la parole.

M. Gilles Grondin (directeur général, Mouvement national des Québécois): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Le comité siège. Des témoins vont faire un exposé. Je demande le silence.

[Français]

M. Gilles Grondin: Il me fait plaisir, au nom du Mouvement national des Québécois, de venir vous présenter notre position dans le présent débat sur le projet de loi C-20. On vous remercie de nous écouter. Dans un premier temps, je vais vous expliquer brièvement ce qu'est le Mouvement national des Québécois. Ensuite, M. Henri Laberge va vous faire part de la position du mouvement dans le débat sur le projet de loi C-20.

Tout d'abord, le Mouvement national des Québécois est une fédération qui regroupe les 18 sociétés nationales et Saint-Jean-Baptiste souverainistes du Québec. Nous sommes présents dans toutes les régions du Québec. Fondé en 1947, le mouvement s'appelait autrefois la Fédération québécoise des Sociétés Saint-Jean-Baptiste et porte son nom actuel depuis le début des années 1970. Notre effectif est de près de 200 000 membres.

Notre mouvement n'est pas un organisme spécialisé. Il s'intéresse à tout ce qui touche les intérêts, les aspirations, le devenir de la nation québécoise. Notre public de référence n'est pas une catégorie sociale, ni un groupe professionnel, ni un groupe ethnique particulier. C'est le peuple québécois tout entier, lequel comprend l'ensemble des personnes établies à demeure au Québec, sans distinction d'origine, de langue maternelle ou de croyance religieuse. D'ailleurs, au fil des ans, la philosophie du mouvement est passée d'un nationalisme canadien-français à un nationalisme québécois fondé sur la citoyenneté québécoise.

Le point de vue propre à notre mouvement, en fonction duquel se structure toute notre action, c'est celui de la citoyenne et du citoyen du Québec, c'est-à-dire de la personne participante active à la vie démocratique québécoise.

Le mouvement n'est pas non plus un parti politique. Il est un acteur de la société civile québécoise qui s'intéresse tout particulièrement à la fierté québécoise, à la promotion de la langue française et à la souveraineté du Québec.

Nous coordonnons d'ailleurs depuis plus de 15 ans et ce, sans interruption, la Fête nationale de la Saint-Jean, le 24 juin. À titre d'exemple, les thématiques annuelles de la Fête nationale développées par le mouvement depuis 1984 seront toujours rassembleuses et chaleureuses. Elles sont orientées vers la fête et vers ce Québec démocratique et ouvert sur le monde.

Tous les Québécois et Québécoises, peu importe leur origine ethnique, sont conviés à chaque année à cette fête qui se veut amicale, bref qui se veut à la hauteur du peuple que nous sommes. Le mouvement est aussi un réseau de souverainistes. En collaboration avec les centrales syndicales, les fédérations étudiantes nationales ainsi qu'avec une multitude de groupes culturels, communautaires et sociaux, il agit à construire un Québec plus fort et plus déterminé que jamais à prendre sa place dans le concert des nations.

Dans toutes les régions, la souveraineté du Québec se discute et se construit. Ce projet de souveraineté n'est pas seulement celui du gouvernement québécois ou du Bloc québécois, mais celui de millions de Québécoises et de Québécois et plus précisément de 2 308 360 personnes qui ont voté oui lors du dernier référendum, en 1995, avec un taux de participation de près de 94 p. 100.

Tel que mentionné précédemment, le MNQ n'est pas un parti politique, mais nous saluons avec beaucoup de respect l'ensemble de la députation québécoise qui défend, jour après jour, notre spécificité.

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

M. Gilles Grondin: Les élus québécois de tous les partis politiques, à Québec comme à Ottawa, doivent garder en tête cet objectif et agir en conséquence. Nous remercions donc les députés québécois à la Chambre des communes qui rejettent ce projet de loi irrespectueux de la démocratie. Nous adressons des salutations encore plus fraternelles aux députés du Bloc québécois avec qui nous partageons plusieurs projets, dont celui de la souveraineté du Québec.

Nous tenons aussi à remercier les députés qui proviennent de partout au Canada et qui prennent le temps de nous écouter. Nos discussions québécoises à l'interne peuvent parfois vous surprendre, mais soyez assurés que c'est un débat serein, démocratique et respectueux des minorités linguistiques et autochtones.

Bien qu'il s'agisse, à notre point de vue, d'un débat qui se veut essentiellement québécois, nous sommes quand même venus vous rencontrer afin de respecter votre Parlement et vos institutions. Sur ce, j'invite M. Henri Laberge à présenter les positions du mouvement sur le projet de loi C-20.

M. Henri Laberge (conseiller, Mouvement national des Québécois): Bonjour. Le projet de loi C-20 du gouvernement fédéral n'aura pas, selon nous, les effets juridiques que prétendent lui donner ses auteurs, parce que la Cour suprême a révélé une obligation constitutionnelle, pour tous les partenaires de la fédération, de négocier de bonne foi les modifications constitutionnelles requises pour donner effet à la volonté clairement exprimée par le peuple québécois, lors d'un référendum.

• 1130

Une simple loi du Parlement fédéral ne peut pas modifier la Constitution. Elle ne peut donc pas avoir pour effet juridique d'atténuer ou de restreindre une obligation constitutionnelle ni de la soumettre unilatéralement à de nouvelles conditions.

La deuxième chose que nous venons vous dire, c'est que puisque ses effets juridiques seront à peu près nuls, il faut voir dans ce projet de loi une tentative de manipulation et d'intimidation. C'est sous ce double aspect, essentiellement, que nous avons le devoir de le dénoncer et de le combattre.

Il faut profiter de l'occasion pour rappeler au peuple du Québec qu'en vertu même de la Constitution canadienne, il peut légitimement exprimer sa volonté quant à son avenir politique, et l'expression de sa volonté doit être prise en compte par tous les gouvernements du Canada.

La troisième chose que nous voulons dire, c'est que le gouvernement fédéral est certainement lié, moralement et politiquement, par les principales conclusions de l'avis qu'il a lui-même sollicité de la Cour suprême, tout comme il est juridiquement lié par les dispositions de la Constitution de 1982 qu'il a fait adopter lui-même par Londres et par les dispositions non écrites de la Constitution. S'il décide d'y déroger ou de ne pas se conformer à l'avis que la Cour suprême lui a donné, c'est la communauté internationale, indique la cour elle-même, qui aura ultimement à sanctionner cette mauvaise foi. Le projet de loi C-20 fait partie de l'ensemble des gestes susceptibles d'être examinés dans ce contexte.

Alors, je reprends chacun des trois points. Premièrement, sur l'obligation constitutionnelle de négocier, si on lit très attentivement l'avis de la Cour suprême, on va se rendre compte que la Cour suprême commence par dire, pour répondre à la première question qui lui a été soumise, que le Canada «détient le pouvoir de mettre en oeuvre tous les arrangements constitutionnels souhaités [...] y compris [...] la sécession du Québec du Canada.» Ce pouvoir peut théoriquement s'exercer même en l'absence de tout référendum. La Cour suprême ne pose pas du tout un référendum comme un préalable à une demande de modification de l'ordre constitutionnel canadien, même pas pour la souveraineté d'une province.

L'Assemblée nationale a un pouvoir d'initiative, comme la Cour suprême le rappelle, pour toute modification constitutionnelle, et cela va jusqu'à proposer la souveraineté. Et les autres partenaires de la fédération ont le plein pouvoir de répondre favorablement à cette initiative. C'est la première chose.

Deuxièmement, la Cour suprême dit que les autres partenaires ont non seulement le pouvoir, mais aussi l'obligation, même sans référendum, de négocier à partir d'une simple demande faite par l'un des participants à la fédération. On dit:

    ...le droit reconnu par la Constitution à chacun des participants à la fédération de prendre l'initiative de modifications constitutionnelles. Ce droit emporte l'obligation réciproque des autres participants d'engager des discussions sur tout projet légitime de modification de l'ordre constitutionnel.

Le contexte du paragraphe où la cour dit cela montre bien que l'accession du Québec à l'indépendance ou à quelque statut particulier au sein du Canada serait considérée par la cour comme une modification de l'ordre constitutionnel, ce qui est visé par ces observations. Toute proposition à cet effet reposant sur une légitimité démocratique—et je signale en passant que l'Assemblée nationale est une institution démocratique légitime—entraînerait donc une obligation constitutionnelle, pour les partenaires, d'en tenir compte et d'en discuter.

La Cour suprême ne pose donc pas la tenue d'un référendum comme un préalable nécessaire à l'initiative de l'Assemblée nationale. Elle indique cependant que l'expression claire de la volonté du peuple par référendum rend plus impérieuse l'obligation de négocier, et rend impérieuse l'obligation de tenir compte de cette volonté et l'obligation de reconnaître la légitimité démocratique de la proposition de modification de l'ordre constitutionnel qu'elle comporte. C'est le sens qu'il faut donner à cette phrase du paragraphe 150:

    Même s'il est vrai que certaines tentatives de modification de la Constitution ont échoué au cours des dernières années...

—à ce moment-là, on fait allusion à l'Accord du lac Meech et à l'Accord de Charlottetown.

    ...un vote qui aboutirait à une majorité claire au Québec en faveur de la sécession, en réponse à une question claire, conférerait au projet de sécession une légitimité démocratique que tous les autres participants à la Confédération auraient l'obligation de reconnaître.

• 1135

La Cour suprême laisse donc entendre qu'en raison du renforcement de l'obligation de négocier et du renforcement de l'obligation de reconnaître la légitimité démocratique de la proposition, il y a quelque chose qui rend plus nécessaire la réalisation de l'objectif qui sera formulé à ce moment-là: quelque chose de plus fort que dans le cas des revendications de Meech.

Ce n'est pas l'étendue de la revendication qui fait que les autres partenaires ont une obligation plus grande; c'est l'assise référendaire qui donne une légitimité plus forte encore. Donc, la non-ratification de l'Accord du lac Meech ou le refus de transférer au Québec la pleine compétence sur le mariage ou le divorce, comme ce fut le cas en 1981, par exemple, ne signifie pas qu'on puisse, de la même manière, refuser une proposition de modification de l'ordre constitutionnel allant dans le sens de la souveraineté si elle est clairement appuyée par le peuple en référendum.

Le référendum n'est pas nécessaire pour qu'il y ait obligation de négocier, mais un référendum gagnant a pour conséquence non seulement que le refus de négocier doit être considéré comme illégitime, antidémocratique et inconstitutionnel, mais que doivent aussi l'être la négociation de mauvaise foi et l'obstruction systématique à la mise en oeuvre ordonnée de la proposition. De tels comportements pourraient justifier le Québec de procéder de lui-même, en s'appuyant sur le principe incontestablement démocratique de la souveraineté populaire.

Au paragraphe 92 de l'avis, on dit bien que les droits des autres provinces et du gouvernement fédéral ne peuvent retirer au gouvernement du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession si une majorité claire de la population du Québec choisissait cette voie, et ce, tant et aussi longtemps que dans cette poursuite, le Québec respecte les droits des autres. Après avoir rappelé, au paragraphe 93, la conciliation des divers droits et obligations par les représentants des deux majorités légitimes, celle du Québec et celle du Canada, la cour ajoute ne pas pouvoir admettre que l'une ou l'autre de ces majorités l'emporte sur l'autre. Une majorité politique qui n'agit pas en accord avec les principes sous-jacents de la Constitution met en péril la légitimité de l'exercice de ses droits.

La sanction ultime mentionnée par la cour pour une négociation de mauvaise foi de la part du Canada ou d'une obstruction illégitime à la volonté populaire exprimée en référendum et, à plus forte raison, le refus systématique de négocier est indiquée notamment au paragraphe 155.

Même s'il n'existe pas de droit de sécession unilatérale, dit la cour, cela n'écarte pas la possibilité d'une déclaration inconstitutionnelle de sécession conduisant à une sécession de facto. Le succès ultime d'une telle sécession dépendrait de sa reconnaissance par la communauté internationale qui, pour décider d'accorder ou non cette reconnaissance, prendrait vraisemblablement en considération la légalité et la légitimité de la sécession, eu égard, notamment, à la conduite du Québec et du Canada.

Le président: Monsieur Laberge, je regrette, mais je crois que le temps pour votre présentation est presque écoulé. Tout le monde doit partir dans quelques secondes. Vous avez encore 30 secondes, et nous terminerons.

M. Henri Laberge: La deuxième chose que j'avais énoncée, c'est que ce projet de loi, qui n'aura pas les effets juridiques qu'on en attend ou qu'on semble en attendre, est plutôt une tentative de manipulation et d'intimidation. Je dirais même que c'est un projet de loi qui mettrait le gouvernement fédéral dans une situation impossible au lendemain d'un référendum où il aurait déclaré lui-même que la question n'est pas claire. Au lendemain d'un référendum où une majorité de Québécois se seraient prononcés en faveur du Oui à une question formulée par l'Assemblée nationale, le gouvernement fédéral à qui la Chambre des communes aurait dit que la question n'était pas claire, serait dans une situation impossible, parce qu'il aurait quand même l'obligation, en vertu de la Constitution canadienne, que le projet de loi ne modifie pas, de négocier la sécession du Québec.

Le président: Il faut que nous interrompions la séance pour l'instant.

[Traduction]

La séance est suspendue. Nous reprendrons nos travaux après le vote.

• 1139




• 1205

[Français]

Le président: Nous avons quorum pour entendre les témoignages. Nous sommes cinq.

Monsieur Turp, je crois que c'est à vous de poser la première question cette fois.

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président. J'aimerais souhaiter la bienvenue aux représentants du Mouvement national des Québécois et leur demander de faire part de nos salutations à Mme Paquet, la présidente, et à vos membres et sociétés affiliés.

Ma première question en est une que nous avons posée tout à l'heure à M. Broadbent. Sans doute y étiez-vous. M. Broadbent connaît le Québec. Il y a travaillé pendant plusieurs années. Dans l'état actuel des choses et du débat sur le projet de loi C-20, pourriez-vous nous dire quelle est, selon vous, l'opinion publique, notamment l'opinion de la société civile québécoise, au sujet du projet de loi C-20?

M. Henri Laberge: À ce sujet-là, il y a une quasi-unanimité parmi les organismes de la société civile québécoise qui se sont prononcés. Les centrales syndicales, le mouvement national, les organisations diverses de tous genres se sont prononcés contre le projet de loi C-20.

Que l'on soit fédéraliste ou indépendantiste, le sentiment est à peu près le même à ce sujet-là. On observe, par exemple, que les trois partis représentés à l'Assemblée nationale sont unanimement contre le projet de loi C-20. Alors, on présume que l'opinion est fortement majoritaire contre ce projet de loi.

M. Gilles Grondin: Par ailleurs, au mois de décembre dernier justement, nous avons réussi, en très peu de temps, à rassembler une cinquantaine de personnalités plus une de la société civile, artistes; représentants de groupes sociaux et communautaires et intellectuels, pour dénoncer le projet de loi C-20. Depuis ce temps, le processus s'amplifie.

M. Daniel Turp: Vous avez eu l'occasion de venir ici aujourd'hui, à notre demande, car vous étiez l'un des 10 groupes que la majorité libérale nous a très généreusement offert d'inviter devant ce comité. Est-ce que vous croyez que les auditions de ce comité auraient dû s'étendre, qu'on aurait dû nous permettre de voyager afin d'entendre d'autres groupes du Québec et des individus du Québec?

M. Henri Laberge: Oui, ç'aurait sûrement été préférable, parce que faire venir ici, à Ottawa, tous les groupes qui voudraient se prononcer est assez onéreux. Par ailleurs, ce n'est pas n'importe qui peut se déplacer. Je pense que si on était allé voir dans les régions, on se serait aperçu que tous les groupes, de toutes les régions, sont opposés au projet de loi C-20.

M. Gilles Grondin: Nous avons des représentants dans chacune des régions du Québec. C'est clair qu'il aurait pu y avoir des audiences, des rencontres, où les gens du peuple en général et les représentants des différents groupes auraient très certainement manifesté leur opposition à ce projet de loi.

M. Daniel Turp: Sur une des questions les plus fondamentales, celle de la majorité de 50 p. 100 plus un, à laquelle M. Mills tient particulièrement...

[Traduction]

M. Dennis Mills: J'invoque le Règlement, monsieur le président.

[Français]

M. Daniel Turp: Il va le faire ici. Il vient de le faire en mêlée, mais il veut le refaire ici, maintenant. On l'écoute. On veut savoir ce qu'il a dit en mêlée.

[Traduction]

Le président: En quoi s'agit-il d'un rappel au Règlement, monsieur Mills?

M. Dennis Mills: Mon rappel au Règlement porte sur le fait que le député m'a attribué des propos que je n'ai pas tenus. Je tenais à le préciser.

Le président: Je vois.

[Français]

M. Daniel Turp: On lira ça au procès-verbal, plus tard.

Mais le 50 p. 100 plus un, pourquoi est-ce une règle démocratique?

M. Henri Laberge: Parce que ce serait déraisonnable que la minorité impose son point de vue à la majorité. D'ailleurs, la Cour suprême parle d'une réponse claire. Elle ne dit jamais que c'est autre chose que 50 p. 100 plus un. Alors, si elle avait voulu dire que c'était autre chose, elle l'aurait dit.

• 1210

Quand elle dit «claire», c'est par opposition à une réponse qui ne serait pas claire. Par exemple, dans le cas de Terre-Neuve, quand il y avait trois options, on avait présenté les trois options à la population de Terre-Neuve: rester une colonie britannique; devenir un dominion indépendant; se rattacher au Canada.

Si aucune des trois n'obtient la majorité absolue, ce n'est pas une réponse claire, mais si on fait un deuxième tour et que l'une des trois options obtient, à ce moment-là, la majorité absolue, ça devient une réponse claire. C'est dans ce sens-là, je pense, qu'il faut comprendre la clarté de la réponse.

Pour ce qui est de la clarté de la question, il faut que la question dise très bien ce que ça veut dire. La clarté n'exige pas que ce soit une option plutôt qu'une autre. Si on décide que seule est claire une option décidée par la Chambre des communes, je pense qu'à ce moment-là, on déforme le sens du mot «clair». Clair, ça veut dire quelque chose qu'une personne normalement intelligente comprend.

M. Daniel Turp: Et diriez-vous, comme M. Ryan, que c'est une façon de mettre le Québec dans un régime de tutelle?

M. Henri Laberge: Oui, et je dirais même plus que cela: c'est mettre le gouvernement fédéral en situation de tutelle, parce qu'on ne lui reconnaît pas le bon sens nécessaire pour juger de la situation telle qu'elle se présenterait au lendemain du référendum. On lui imposerait un comportement coulé dans le ciment, en lui disant qu'il doit refuser de négocier au lendemain d'un référendum qui serait gagnant, par exemple.

M. Daniel Turp: Merci, monsieur Laberge.

Le président: Monsieur Blaikie.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Je vous remercie, monsieur le président.

M. Laberge faisait valoir ou essayait de faire valoir qu'il n'est pas nécessaire de tenir un référendum pour faire approuver une modification constitutionnelle. N'importe quelle province pourrait proposer une modification constitutionnelle qui serait ensuite soumise aux autres provinces et au Parlement du Canada. Si cette résolution était adoptée conformément à la formule de modification de la Constitution, cette modification figurerait ensuite dans la Constitution.

Je ne comprends pas vraiment le point que vous essayez de faire valoir. Peut-être vouliez-vous faire remarquer—et peut-être que vous n'avez pas voulu être trop précis à ce sujet ou que vous ne vouliez pas le souligner—que le projet de loi C-20 interdit d'autres choses que la sécession, comme des propositions en vue de l'établissement de divers types de partenariats ou d'autres changements à la Confédération. J'ai plutôt l'impression que votre raisonnement montre le contraire. L'Assemblée nationale du Québec pourrait proposer à tout moment une modification constitutionnelle prévoyant des changements à la fédération qui devrait ensuite être examinée par les autres provinces et par le Parlement du Canada. Je ne vois donc pas en quoi ce projet de loi changerait quoi que ce soit au processus actuel de modification de la Constitution.

Je pense que vous allez même jusqu'à dire qu'une modification constitutionnelle prévoyant la sécession d'une province pourrait être proposée. On n'aurait pas pensé jusqu'ici que cela soit possible, mais la décision de la Cour suprême situe la sécession dans le contexte d'une modification constitutionnelle, et il devient donc possible pour le Québec de proposer une modification constitutionnelle—bien que je voie mal quelle forme elle prendrait—qui prévoirait la sécession. Cette modification devrait alors être étudiée par le reste du Canada et donner lieu ou non à un référendum. Est-ce ce que vous essayez de faire valoir?

[Français]

M. Henri Laberge: Oui, et je continue à le dire. C'est vraiment cela. C'est que l'Assemblée nationale a un droit d'initiative de proposer n'importe quelle modification constitutionnelle, y compris la sécession du Québec. À ce moment-là, ça rend tout à fait bizarre cette prétention du Parlement canadien de venir dire à l'Assemblée nationale qu'une question qu'elle va poser à la population n'est pas correcte.

• 1215

L'Assemblée nationale ayant le pouvoir d'initiative—et je me place dans la perspective de la Cour suprême, qui considère que l'Assemblée nationale a un droit d'initiative—, elle peut consulter sa population pour renforcer sa position, mais à ce moment-là, c'est l'initiative propre de l'Assemblée nationale. Le gouvernement fédéral ne peut pas dire qu'il refuse de négocier ce que l'Assemblée nationale va lui proposer, quelle que soit la consultation. Même s'il n'y avait pas de consultation, le fédéral serait obligé de négocier et, à plus forte raison, s'il y a une consultation. Ce n'est pas au fédéral de dire de quelle façon la consultation doit être faite. Le fédéral doit tout simplement recevoir les choses dans l'état où elles sont. C'est-à-dire que si l'Assemblée nationale, après une consultation populaire, présente une proposition de modification constitutionnelle, le fédéral a le devoir de négocier, quelle que soit la question. Que la question porte uniquement sur la sécession ou qu'elle porte sur la sécession plus un partenariat, le fédéral a le droit, selon la Cour suprême, de négocier une proposition qui lui vient de l'Assemblée nationale.

Alors, comment le Parlement fédéral pourrait-il dire qu'il refuse de négocier avec le gouvernement du Québec, qui a un mandat de l'Assemblée nationale, sous prétexte qu'il a eu la mauvaise idée d'obtenir un mandat populaire? Il y a là un non-sens. Si le mandat populaire vient renforcer la position de l'Assemblée nationale, c'est à elle de déterminer de quelle façon elle va tenir sa consultation.

Le président: Monsieur Bachand, s'il vous plaît.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Monsieur le président, les choses se passent toujours ainsi. Vous permettez à d'autres de poser deux ou trois questions, mais vous ne m'en laissez poser qu'une seule.

Le président: Monsieur Blaikie, je n'y peux rien si les questions et les réponses sont longues. Certains autres intervenants ont posé des questions plus courtes que les vôtres. Je pense vous avoir donné vos cinq minutes.

M. Bill Blaikie: Je vais moi-même me munir d'une minuterie, parce que je trouve la situation inacceptable.

Le président: Je vous en prie.

Monsieur Bachand.

[Français]

M. André Bachand: Merci beaucoup, monsieur le président. Pour continuer dans la même veine que mon confrère du NPD, je suis d'accord avec vous sur l'initiative. Le fédéral n'a pas à s'immiscer dans l'initiative d'une législature provinciale, dans ce cas-ci le Québec, même si le mot «Québec», vous en conviendrez, n'apparaît pas dans le coeur du projet de loi. Le fédéral a voulu ménager les susceptibilités de certains groupes. C'est un projet de loi où on mentionne le Québec dans le titre ou dans le préambule, mais on ne le retrouve nulle part dans le coeur du projet de loi.

Ce que nous disons—et c'est effectivement ce que dit la Cour suprême—, c'est que le fédéral ne peut pas s'immiscer dans une initiative provinciale. C'est comme s'immiscer dans une juridiction provinciale, et on est d'accord avec la Cour suprême.

Cependant, je suis en désaccord avec vous quand vous dites que le fédéral a l'obligation de négocier n'importe quoi, dans n'importe quelle forme. Je suis en désaccord avec vous là-dessus. Il reste que la Cour suprême dit que tout doit être fait de bonne foi, et après le processus, on reconnaît à juste titre qu'il s'est créé une obligation. Ce que M. Blaikie soulignait aussi, c'est la présence d'autres modifications constitutionnelles. La Cour suprême mentionne, pour une première fois, que d'autres modifications constitutionnelles que la sécession pourraient suivre le même processus. Il n'y a présentement aucune obligation de la part des autres acteurs politiques de négocier une demande de modification. C'est un élément nouveau.

Ce que nous souhaitons, c'est que le projet de loi apporte un élément positif en stipulant que, si une province, le Québec, suggère des modifications constitutionnelles avec l'assentiment du public, après la tenue d'une consultation populaire, il y aura une obligation de négocier. Les acteurs politiques seront forcés de s'asseoir et d'améliorer la fédération. C'est ce que nous souhaitons comme parti politique.

Comme je le disais à M. Grondin, j'ai le plaisir de connaître votre présidente depuis plusieurs années. Seriez-vous ouverts à parler d'améliorations au niveau du fonctionnement de la fédération?

Deuxièmement, plusieurs personnes ont parlé de la règle de 50 p. 100 plus un. Tout en reconnaissant cette règle—M. Ryan le soulignait hier—, peut-être pourrait-on faire un débat entre Québécois. On pourrait peut-être fignoler notre 50 p. 100 plus un du vote absolu et étudier la possibilité de le porter à 50 p. 100 plus un des personnes inscrites, ou même aller un peu plus loin. Seriez-vous ouverts à la tenue d'un tel débat au sein de la société québécoise?

• 1220

M. Henri Laberge: Il y a plusieurs questions là-dedans. Je n'ai pas tout noté parce que je pensais qu'il y avait seulement une question au départ, mais je vais commencer par la dernière.

M. André Bachand: Désolé.

M. Henri Laberge: Pour ce qui est du 50 p. 100 plus un, si on disait, par exemple, qu'il faut 52 p. 100 et qu'on obtenait juste un vote de plus que 52 p. 100, il y aurait quelqu'un pour dire que c'est mince, que le seuil est à peine dépassé. Quel que soit le seuil fixé, il pourrait toujours y avoir un doute sur sa légitimité étant donné qu'il serait atteint de façon très faible. Je pense que la règle démocratique du 50 p. 100 plus un veut dire que, quand une option dépasse l'autre, dans un cas où il n'y a que deux options, celle qui l'emporte, c'est celle qui a obtenu la majorité, celle qui est l'expression de la volonté populaire.

S'il y avait trois options, la simple pluralité des voix ne suffirait pas. Je l'ai expliqué tout à l'heure. À ce moment-là, il faudrait qu'il y ait un jugement politique de la part de l'Assemblée nationale pour décider quelle est vraiment la volonté politique qui se dégage de cela. Mais s'il y a une majorité claire, c'est-à-dire 50 p. 100 plus un, quand il y a seulement deux options, cela constitue une majorité absolue. Cela ne peut pas être plus clair. À ce moment-là, l'Assemblée nationale est en quelque sorte liée moralement par l'opinion exprimée.

Pour ce qui est des modifications constitutionnelles, bien sûr qu'on y est ouverts. Les modifications constitutionnelles peuvent être obtenues par une simple demande de l'Assemblée nationale ou par référendum. On n'a jamais été contre cela, mais nous croyons que la solution la meilleure, à la fois pour le Québec et pour le Canada, c'est la souveraineté du Québec. Le Canada en profiterait aussi. Nous sommes convaincus de cela.

Entre-temps, qu'un gouvernement fédéraliste à Québec se serve de l'avis de la Cour suprême pour faire valoir des modifications constitutionnelles, on n'a absolument rien contre cela, et on le soutiendra au besoin. Mais nous continuons à être persuadés que la seule solution valable à long terme, c'est la souveraineté du Québec.

Il y avait un autre aspect à la question, je pense.

Le président: Monsieur Drouin.

M. Claude Drouin: Merci à M. Grondin et à M. Laberge pour leur présentation.

Monsieur Laberge, vous dites que le projet de loi C-20 n'aura pas d'effets significatifs, puisque la Cour reconnaît l'obligation de négocier la sécession avec le gouvernement du Québec. Il me semble que vous simplifiez beaucoup l'opinion de la cour ainsi que les conséquences qu'il faut y voir. J'aimerais savoir si vous reconnaissez que la cour lie l'obligation de négocier à l'obtention d'une majorité claire et à une question claire.

M. Henri Laberge: Pour une question claire, je vous suggère de consulter un dictionnaire. Un dictionnaire va vous dire que le «clair» veut dire: qui est compréhensible et explicite. C'est cela. La clarté ne peut pas se limiter à une seule option. Si dans une question, par exemple, on disait: «Voulez-vous que le Québec devienne un État souverain tout en respectant intégralement les droits des peuples autochtones?», d'après le projet de loi C-20, cela devrait être rejeté parce que cela ne porterait pas uniquement sur la sécession. Si on disait: «Voulez-vous que le Québec devienne un État souverain après avoir négocié les modalités de son accession à la souveraineté avec le gouvernement fédéral?», serait-ce acceptable selon le projet de loi C-20? Pourtant, c'est très clair. Dans les deux cas, les formulations sont claires. Elles sont claires, mais elles ne passeraient pas le test du projet de loi C-20. Cela n'a pas de sens. On déforme le sens des mots. Il faut reprendre le dictionnaire et chercher ce que veut dire «clair». Ça ne veut pas du tout dire ce qu'il y a dans ce projet de loi.

M. Claude Drouin: Hier, Mme Lajoie, M. Lachapelle ou M. Ryan mentionnait qu'il y avait quatre options possibles dans la question de 1995. Mais passons.

Vous avez parlé des autochtones. Quelle est votre vision face aux autochtones? Hier, Mme Couture nous a dit que les autochtones étant un peuple, ils ont droit de choisir s'ils veulent demeurer dans le Québec ou non. Par contre, ils n'ont pas le droit de demeurer dans le Canada s'ils décident, comme au dernier référendum, de voter à 95 p. 100 pour exprimer leur volonté d'y demeurer. J'aimerais entendre votre position au sujet des autochtones.

• 1225

M. Henri Laberge: Notre position là-dessus, c'est que les autochtones, dans un Québec souverain, auraient au moins les mêmes droits que les autochtones dans le Canada. Est-ce que le Canada reconnaît le droit de sécession des peuples autochtones du Canada? Est-ce qu'il reconnaîtrait, par exemple, qu'une partie des peuples autochtones, parce que chaque peuple autochtone est unique, a le droit de se retirer du Canada et de se joindre aux États-Unis?

M. Claude Drouin: Je trouve cela intéressant, monsieur Laberge. Est-ce que ça veut dire que les anglophones au Québec auraient les mêmes droits que les anglophones dans le reste du Canada?

M. Henri Laberge: Non. Les anglophones du Québec auraient les mêmes droits que tous les autres citoyens. Il n'a jamais été question du contraire dans aucun projet souverainiste. Aucun gouvernement du Québec, aucun mouvement nationaliste d'importance n'a jamais prétendu que le Québec souverain ferait de la discrimination à l'endroit des anglophones, ou des italophones, ou des allophones. Tous les citoyens du Québec vont jouir de droits égaux. Ça, c'est garanti.

M. Claude Drouin: Ça veut dire, monsieur Laberge, que les autochtones auraient le droit de garder tous leurs territoires, étant donné qu'ils constituent aussi un peuple. Est-ce que vous convenez de cela?

M. Henri Laberge: Là, vous sautez d'une question à l'autre d'une façon un peu vicieuse.

M. Claude Drouin: Pas du tout. Je demande un éclaircissement.

M. Henri Laberge: Vous étiez en train de me demander si les anglophones auraient des droits égaux. Je vous réponds que les autochtones et tous les citoyens du Québec auraient des droits égaux.

M. Claude Drouin: Vous avez très bien répondu.

M. Henri Laberge: Maintenant, est-ce qu'ils auraient le droit de se retirer, d'avoir des territoires? Oui. C'est prévu. L'Assemblée nationale a voté une résolution à ce sujet. Elle a dit qu'elle reconnaîtrait le droit pour les peuples autochtones d'avoir le contrôle de certains territoires, qu'elle leur reconnaîtrait le droit de légiférer pour protéger leur langue, qu'elle leur reconnaîtrait un droit à l'autonomie gouvernementale.

M. Claude Drouin: Est-ce qu'on parle de... [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Henri Laberge: Un Québec souverain sera prêt à aller aussi loin que le gouvernement canadien ou les gouvernements des autres provinces dans la reconnaissance des droits des autochtones. Un Québec souverain, ou même un Québec dans la fédération, devra reconnaître ces mêmes droits.

M. Claude Drouin: Est-ce qu'il reconnaît aux autochtones le droit de rester dans le Canada, vu qu'ils sont un peuple?

M. Henri Laberge: Je vous rappellerai ce qui s'est passé au moment où le Canada est devenu indépendant de la Grande-Bretagne. À ce moment-là, les autochtones auraient-ils pu choisir d'être une colonie de la Grande-Bretagne séparée du Canada? Je pense que même la Grande-Bretagne n'aurait pas accepté ça. Je vous prédis que si le Québec devient indépendant, c'est le fédéral lui-même qui ne voudra pas garder la compétence des autochtones du Québec. Il y a une contradiction. Ce qui est à négocier entre les autochtones et le Québec, c'est le statut que les autochtones auront à l'intérieur du Québec. À cet égard, le Québec est en avance sur les autres provinces. Il est très largement ouvert à leur reconnaître un droit à l'autonomie gouvernementale assez large et le droit de conserver leur langue. D'ailleurs, au Canada, c'est au Québec que les autochtones conservent le mieux leur langue. Cela continuerait. La politique traditionnelle du Québec à l'égard de autochtones sera maintenue, bien sûr.

Le président: Nous avons maintenant un autre vote en Chambre. Je suppose que les membres du comité veulent encore une fois que la séance soit suspendue pour qu'ils puissent aller voter.

M. Daniel Turp: C'est un vote sur un bâillon, si je me rappelle bien. Un autre?

Le président: Je ne le sais pas.

M. Daniel Turp: C'est le troisième de la semaine.

Le président: La séance est suspendue jusqu'à notre retour du vote. Je regrette que nous devions imposer ce délai à nos témoins.

• 1229




• 1302

Le président: Monsieur Guimond, est-ce que vous vouliez que nous vous accordions cinq minutes?

[Traduction]

J'aimerais que nous poursuivions.

[Français]

Nous accusons déjà un grand retard dans l'audition de nos témoins aujourd'hui. Nous pourrions peut-être finir d'entendre ce groupe que nous avons déjà interrompu deux fois au cours de sa présentation et la période des questions.

Monsieur Guimond, je vous accorde cinq minutes.

M. Michel Guimond: Monsieur Laberge et monsieur Grondin, je vous remercie de vous être déplacés. Étant donné que le comité n'a pas voulu aller dans les régions, vous avez dû vous déplacer et venir témoigner devant nous à Ottawa. Sachez que nous l'apprécions.

J'ai une question à vous poser au sujet de la règle de 50 p. 100 plus un. Je veux vous demander si vous êtes d'accord avec M. Mills qui a nous clairement expliqué qu'il était d'accord sur la règle de 50 p. 100 plus un. Mais puisque mon collègue Turp a posé cette question, je vais la retirer. Depuis ce temps-là, M. Mills est au téléphone, et l'opération spinning auprès des journalistes est vraiment enclenchée.

Monsieur le président, je reviens à ma question.

[Traduction]

M. Dennis Mills: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Voilà évidemment la tactique préférée des séparatistes depuis 20 ans. Ce que j'ai cependant répondu ce matin à M. Lisée lorsqu'il a fait remarquer que le projet de loi rejetait la règle des 50 p. 100 plus un...

Le président: Quel est votre rappel au Règlement?

M. Dennis Mills: ... je l'ai corrigé et je lui ai dit que ce n'était pas le cas.

Monsieur le président, les députés du Bloc font des affirmations qui sont inexactes.

Le président: Il ne s'agit pas d'un rappel au Règlement. Il est possible de débattre la question, et je suis sûr qu'on le fera plus tard.

Monsieur Guimond, pour éviter que nous ne perdions du temps, peut-être pourriez-vous...

[Français]

poser vos questions aux témoins.

[Traduction]

M. Dennis Mills: J'invoque le Règlement, monsieur le président.

[Français]

M. Michel Guimond: Je ne me rappelle pas si c'est M. Grondin ou M. Laberge qui avait utilisé des termes assez forts en parlant du projet de loi C-20, en le qualifiant de tentative de manipulation et d'intimidation. J'aimerais que le témoin précise sa pensée.

M. Henri Laberge: Le projet de loi ne modifiera pas l'ordre constitutionnel canadien et, de fait, il n'aura pas les effets que ses auteurs prétendent vouloir lui donner. Une simple loi du Parlement ne peut pas modifier la Constitution. L'interprète de la Constitution, c'est la Cour suprême, qui a indiqué une obligation de négocier. Cette obligation-là va demeurer et elle n'est pas amoindrie par le projet de loi.

• 1305

On peut se demander à quoi sert alors le projet de loi. Il sert à intimider les Québécois et à leur faire croire qu'il y a une espèce d'interdiction, adoptée par la Chambre des communes, à ce que le peuple du Québec puisse décider avec une majorité absolue de voix dans un référendum de son avenir politique.

Il y a aussi une autre intimidation dans la formulation de l'article 3 concernant le contenu de la négociation. On y parle de la négociation du territoire. Il est très possible que la négociation du territoire soit effectivement négociée parce que le Québec aura besoin d'un élargissement de son territoire, par exemple au niveau de ses eaux territoriales.

Le Québec indépendant devra être plus étendu que ne l'est le Québec province. Mais ce n'est pas l'intention des auteurs du projet de loi. Ils ont y ont inscrit ces dispositions afin de laisser planer la menace de la partition. Ce qu'il faut dire, c'est que constitutionnellement, aussi longtemps que la négociation n'aura pas abouti à la reconnaissance du Québec comme un État indépendant, le Québec aura droit de veto sur toute modification à son territoire. Une fois que le Québec sera devenu indépendant, la négociation sur son territoire ne pourra se faire qu'avec des pays indépendants. Ce seraient des pays indépendants qui négocieraient entre eux.

M. Michel Guimond: Le journal La Presse de ce matin reprend les propos qu'a tenus hier M. Ryan lors de sa comparution devant notre comité. M. Ryan nous disait que selon lui, la conception de la démocratie québécoise qu'aurait Ottawa serait une conception plutôt médiévale. On sait que M. Ryan est une personne qui connaît très bien l'usage des mots et qu'il a toujours, alors qu'il était rédacteur en chef du Devoir, utilisé les mots à leur sens juste.

J'aimerais entendre votre point de vue sur ce commentaire de M. Ryan, qui disait qu'Ottawa considère la démocratie québécoise comme étant médiévale.

M. Henri Laberge: Je ne suis pas dans la tête de ceux qui pensent que le Québec n'est pas démocratique. J'ai donc un peu de difficulté à préciser le sens de cette notion. Mais ce que je peux dire, c'est que la démocratie québécoise est une démocratie aussi avancée, et même plus avancée, que celle du Canada.

M. Michel Guimond: À quels égards? Pourriez-vous nous donner des exemples?

M. Henri Laberge: Nous pourrions parler des règles de financement des partis politiques et de l'usage du référendum qui a été institué et qui fait maintenant partie des moeurs politiques du Québec. Il existe une foule d'autres exemples, dont entre autres la modification de la carte électorale. Afin d'avoir une carte électorale qui soit plus convenable et plus juste, et de répartir de façon plus équitable les électeurs entre les circonscriptions, on a dû abolir les comtés protégés par la Constitution canadienne.

La démocratie québécoise s'est développée de diverses façons. Il n'y a pas que les prises de décisions collectives qui concernent la démocratie; il y a aussi les droits fondamentaux qui sont reconnus aux citoyens. La Charte des droits et libertés de la personne du Québec est une des chartes des droits les plus avancées à ce point de vue au Canada. On y précise tous les cas où la discrimination est interdite auprès des minorités ou de divers groupes, etc.

La Charte de la langue française est aussi un exemple de reconnaissance des droits de tous les citoyens sur un pied d'égalité, sans distinction. Ce n'est pas une loi qui vise à favoriser un groupe linguistique plutôt qu'un autre, mais qui vise à permettre à toute la population du Québec de bénéficier de l'avantage d'avoir une langue commune qui permet la délibération politique et qui permet le dialogue entre tous les groupes qui composent la société québécoise.

La société québécoise est une société foncièrement démocratique.

Le président: Monsieur Charbonneau.

M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.): Monsieur le président, j'ai le grand plaisir d'entrer en dialogue avec MM. Grondin et Laberge, en particulier M. Laberge que j'ai eu le plaisir d'avoir comme conseiller sur ce genre de questions pendant 10 ou 12 ans au sein d'une organisation qui s'appelle la CEQ.

Vendredi après-midi, nous avons entendu un témoin qui se présentait ici au nom de Pro-Démocratie. Il s'agissait de M. Larose. Il affirmait que, de toute façon, il considérait que le Québec n'avait jamais fait partie du Canada. Il voulait mettre clair qu'au point de départ, il n'y a jamais eu de volonté exprimée de la part du Québec d'adhérer au Canada, et qu'on doit donc recommencer à zéro, soit obtenir 50 p. 100 plus un pour réadhérer au Canada.

• 1310

J'aimerais vous entendre nous dire si vous partagez ce point de vue voulant que le Québec ne fasse pas partie du Canada afin de clarifier notre base de discussion.

M. Henri Laberge: Il faut faire des distinctions, bien sûr. Du point de vue de la réalité juridique qui nous a été imposée par l'histoire, effectivement, le Québec est une des provinces qui font partie de la fédération canadienne. Cependant, si on aborde cette question du point de vue démocratique, on peut se demander si le peuple québécois a jamais eu l'occasion de se prononcer pour adhérer à la fédération canadienne. À ce moment-là, je suis tout à fait d'accord avec M. Larose pour dire que le peuple québécois n'a jamais eu cette occasion.

M. Yvon Charbonneau: Mais quel autre peuple au Canada a eu l'occasion de le faire? Vous parlez du peuple québécois, mais qu'en est-il du peuple autochtone?

M. Henri Laberge: Non, aucun autre, aucun autre.

M. Yvon Charbonneau: Alors, où est le problème?

M. Henri Laberge: Le problème est le même pour tout le monde et il ne se limite peut-être pas au Québec. Mais nous parlons ici au nom du Québec. Que les autres peuples aient les mêmes malheurs que les nôtres, cela ne nous console pas beaucoup.

Au contraire, nous pensons que la souveraineté du Québec, à laquelle nous aspirons, est la meilleure solution à la fois pour le Québec et pour le Canada. Le Canada en retirerait de très grands avantages au point de vue démocratique. Il pourrait se donner des institutions démocratiques qui reposeraient sur la souveraineté populaire plutôt que sur l'imposition d'une constitution qui lui vient d'un pays étranger. Il ne faut pas oublier que la Constitution canadienne dans son ensemble, sauf quelques modifications mineures qui y ont été apportées depuis 1982, est un ensemble de lois qui ont été adoptées au Parlement de Londres, sans jamais qu'il y ait eu quelque consultation populaire que ce soit, ni du peuple canadien ni du peuple québécois.

M. Yvon Charbonneau: Mais...

M. Henri Laberge: C'est une réalité historique dont il faut être bien conscient. Il faut se rendre compte qu'une des infamies de ce prétendu rapatriement de la Constitution de 1982, c'est qu'on s'est adressé au Parlement de Londres pour permettre au gouvernement fédéral de légiférer, de façon indirecte, par le Parlement britannique interposé, dans un domaine de compétence provinciale exclusive. Donc, le gouvernement fédéral s'est servi du Parlement de Londres pour faire indirectement ce qu'il n'avait pas le droit de faire directement, c'est-à-dire légiférer en matière d'éducation. Depuis 1982, on est doublement en situation de porte-à-faux par rapport à la Constitution canadienne.

M. Yvon Charbonneau: Monsieur le président, on peut certainement reprendre...

M. Henri Laberge: D'ailleurs, la thèse que je défends, monsieur Charbonneau, c'est la thèse que vous avez défendue vous-même lorsque vous étiez président de la CEQ.

M. Yvon Charbonneau: Avec des nuances que vous évitez de soulever ici. En 1972, l'organisation dont nous avons fait partie a justement reconnu le droit à l'autodétermination du Québec. Mais en aucune manière il ne s'agissait, dans l'esprit de quiconque, je crois, d'une démarche qui était absolument unilatérale. Une autodétermination peut s'exercer dans différents sens. On peut vouloir renouveler le statut du Québec à l'intérieur du Canada, on peut vouloir sortir du Canada ou on peut vouloir une nouvelle forme de partenariat. L'autodétermination peut évoluer dans différents sens.

Aujourd'hui, on dirait que les gens interprètent l'autodétermination comme si elle était absolument la souveraineté. L'autodétermination peut prendre diverses voies. Moi, ce que je voudrais vous entendre commenter un peu, ce sont les intérêts des autres Canadiens dans le débat. Comment ces intérêts vont-ils s'exprimer à un moment donné? Le gouvernement actuel a choisi d'exprimer ces intérêts-là au moyen d'un projet de loi. Cela aurait pu être une résolution ou une déclaration, mais il a choisi un projet de loi.

Ne reconnaissez-vous pas qu'à un moment donné, il vaut mieux être clair avant que d'essayer de clarifier des choses après? Au point de vue démocratique, n'est-il pas préférable de connaître préalablement les conditions de la partie d'en face quand on entre en négociations, que ce soit des négociations syndicales, constitutionnelles ou de n'importe quelle autre nature? Ne vaut-il pas mieux connaître les règles du jeu qui existent de part et d'autre et essayer d'avoir un échange là-dessus avant, plutôt que d'essayer de faire cela après et de dire «vous auriez dû comprendre que»? Non, non, on clarifie cela au point de départ. Il me semble que démocratiquement, on n'est pas du côté négatif en faisant cela.

M. Henri Laberge: Je dois dire que la question que me pose M. Charbonneau ne passerait pas le test du projet de loi C-20. Il y a au moins trois éléments qu'on pourrait invoquer: les diverses formes d'autodétermination, la clarté avant et la clarté après, puis les intérêts des autres Canadiens. J'essaierai de traiter de ces trois éléments séparément.

• 1315

Quant à l'autodétermination, je suis très heureux d'entendre M. Charbonneau dire qu'il reconnaît que l'autodétermination ne porte pas uniquement sur la souveraineté pure et simple, mais que cela peut porter sur beaucoup d'autres choses. Or, le projet de loi C-20 ne reconnaît pas ça. On y dit que le gouvernement fédéral n'accepterait de négocier que si la question portait uniquement sur la sécession, et pas autre chose.

Or, l'autodétermination, c'est beaucoup plus large que simplement dire qu'on sort ou qu'on ne sort pas. On peut peut-être aussi préciser dans quelles conditions on veut sortir, ainsi que les arrangements qu'on veut établir.

Je suis très heureux d'entendre M. Charbonneau dire que l'autodétermination n'est pas un droit de sécession purement unilatéral. Je suis d'accord avec lui. D'ailleurs, la question de 1980, que la loi C-20 rendrait illégale, précisait justement qu'il y aurait une négociation. On demandait le mandat de négocier. Le projet de loi C-20 dit que, si le gouvernement du Québec veut négocier, si le peuple du Québec demande à son gouvernement de négocier, on ne reconnaîtra pas ça. Nous allons le reconnaître uniquement s'il indique qu'il n'a pas l'intention de négocier ou si la question de négociation n'est même pas dans le décor. Il y a une contradiction à ce niveau.

Je traiterai ensuite de la clarté avant et de la clarté après. Moi, je suis très heureux d'entendre dire qu'il faut que ce soit clair avant, entre autres sur ce qui est dit au sujet des conditions que le Parlement du Canada examinerait pour décider, après le référendum, si la majorité est suffisante ou non. Il vaut mieux que ce soit dit avant. Et ce qui doit être dit avant ne peut pas être autre chose qu'une majorité claire au sens où la Cour suprême l'entend, c'est-à-dire une majorité où une option l'emporte clairement sur l'autre. J'ai expliqué tout à l'heure, pendant que M. Charbonneau n'était pas là, que lorsqu'il y a trois options et qu'une des trois a la pluralité des voix sans atteindre la majorité, ce n'est pas une réponse claire, mais que lorsqu'il y a deux options, quand une des options l'emporte sur l'autre, c'est une réponse claire.

Pour ce qui est des intérêts canadiens, il va sans dire qu'il faut tenir compte des intérêts canadiens, mais sans jamais nier le droit à l'autodétermination. Il ne faut pas que ce rappel des intérêts des autres Canadiens vienne nier un droit fondamental du peuple québécois. Il y a des intérêts canadiens qui sont en cause dont, par exemple, le partage de la dette. Jamais aucun gouvernement du Québec n'a prétendu qu'il n'y aurait pas de négociation du partage de la dette. Je sais qu'il y a des pays, des pays coloniaux entre autres qui, avec raison, sont partis et sont devenus indépendants sans assumer quelque part de la dette que ce soit.

Quand le Canada est devenu indépendant de la Grande-Bretagne, il n'a assumé aucune part de la dette de la Grande-Bretagne, sauf en ce qui concernait précisément le Canada. Mais dans le cas du Québec, jamais le Québec n'a prétendu qu'il n'avait pas une part de la dette à payer. Ce que le gouvernement du Québec a toujours dit, c'est qu'il allait assumer la part de la dette qui serait équivalente à la part des actifs qu'il allait prendre. S'il prend 22 p. 100 des actifs, il prendra 22 p. 100 de la dette. C'est toujours ce qu'on a dit. On peut négocier au sujet de ce pourcentage, et cela fait partie des intérêts des autres Canadiens.

Les intérêts des autres Canadiens, ce sont aussi les intérêts des minorités à l'intérieur du Québec. Dans le projet de loi, il y a un attendu qui laisse entendre que si le Québec devient indépendant, tous les Québécois vont nécessairement perdre les avantages de la citoyenneté canadienne. Moi, je ne tiens pas à garder la citoyenneté canadienne, non plus qu'aucun de mes collègues. Si le Québec devient indépendant, on sera très contents d'avoir la citoyenneté québécoise et elle nous suffira. Mais il peut arriver que certains Québécois veuillent conserver la citoyenneté canadienne. C'est le gouvernement canadien qui prendre cette décision, et nul autre. Ce ne sera même pas le gouvernement du Québec. Même sans négociation, le gouvernement canadien pourrait décider de reconnaître que certains Québécois vont garder la citoyenneté canadienne. Cette décision relève du Canada. Si le Canada, dans la négociation, veut prendre à coeur les intérêts de ceux qu'il prétend défendre, eh bien, c'est à lui de proposer qu'il y ait une double nationalité pour une partie des Québécois qui le demanderont.

• 1320

Le président: Monsieur Laberge et monsieur Grondin, merci de votre aide. Je vous prie de nous excuser pour les nombreux délais que nous avons eus pendant votre présentation. Vous avez bien aidé le comité. Merci.

Les prochains témoins sont de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Il s'agit de M. Guy Bouthillier, président, et de M. Robin Philpot, directeur des communications.

Je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes enchantés de vous accueillir au comité cet après-midi. Comme vous le savez, nous vous accordons 10 minutes pour votre présentation et il y aura ensuite 35 minutes pour les questions des députés.

Monsieur Bouthillier, c'est sans doute vous qui commencez.

M. Guy Bouthillier (président, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal): Merci, monsieur le président.

Mesdames et messieurs, je voudrais d'abord vous présenter rapidement ceux qui m'accompagnent aujourd'hui: René Asselin, vice-président de la Société Saint-Jean-Baptiste; Robin Philpot, directeur des communications; et Me David Jacobs, avocat de Toronto et ancien président de la section de droit constitutionnel et des libertés publiques de l'Association du Barreau canadien, section Ontario.

J'aimerais aussi vous dire un mot de la Société Saint-Jean-Baptiste. Vous savez qu'elle est née en 1834, en plein régime impérial britannique. Vous avez pu remarquer que sa naissance précède d'une trentaine d'années l'apparition même de la Chambre des communes, devant laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

La Société Saint-Jean-Baptiste a par conséquent une très longue expérience du combat pour la souveraineté nationale. Elle a présenté un texte, qui a été distribué, je crois.

Je vous le présenterai rapidement en vous disant qu'il s'inscrit dans une histoire, une histoire longue, difficile et qui n'a pas toujours été à l'honneur du Canada. Cette histoire commence en 1840. C'est l'histoire d'un processus de mise en minorité démographique et politique d'un peuple, le peuple du Québec, par un autre. Il s'agit d'un processus de minorisation qui se poursuit d'année en année au sein d'un système politique qui est de moins en moins fédéral.

Dans pareil cadre, les rapports entre les Canadiens et les Québécois cessent d'être des rapports de peuple à peuple pour ne plus être que de simples rapports de majorité à minorité. Vous comprenez qu'un rapport pareil, une organisation pareille, un statut pareil pour le Québec convient sans doute parfaitement au Canada et à la majorité des Canadiens, mais qu'il ne convient pas aux Québécois, qui ne l'acceptent pas ou qui ne l'acceptent plus, toutes tendances confondues. Le Québec cherche à le modifier et même à en sortir, alors qu'au contraire, le gouvernement canadien s'emploie systématiquement à s'y opposer.

Trois grands moyens sont à son service pour s'opposer et pour essayer de bloquer la voie au peuple québécois. Le premier, bien sûr, c'est l'argent, trop connu pour qu'on en parle ici longuement. Mme Copps, la «matcheuse», et Mme Stewart, la malchanceuse, pourront vous en parler plus longuement.

Le deuxième moyen, moins connu, caché, plus inquiétant ou plus étonnant au pays de Lester Pearson, c'est le recours à l'intimidation. On l'a vu, bien sûr, en avril 1918 ou encore au mois d'août 1940. Plus récemment, les Québécois n'oublient pas et ne sont pas prêts d'oublier l'intimidation pratiquée systématiquement en octobre 1970. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que cette intimidation continue et que des propos belliqueux à l'endroit du Québec et des Québécois sont entendus trop souvent, et souvent en très haut lieu. Je vais vous en donner quelques exemples.

• 1325

Mike Harcourt, ancien premier ministre de la Colombie-Britannique, disait en 1994

[Traduction]

que la population du Québec souffrirait, non pas seulement au plan économique, mais de toutes les façons.

[Français]

Harcourt était premier ministre d'une province.

M. Crosbie, John de son prénom, ancien député de cette Chambre, ancien ministre, disait en 1995

[Traduction]

que le gouvernement devrait ordonner aux forces armées de se préparer à intervenir parce qu'il faudrait maintenir l'ordre au pays si le Québec votait en faveur de la sécession.

[Français]

C'était en 1995.

En 1997, un chroniqueur d'un grand journal de Vancouver, réfléchissant apparemment philosophiquement sur l'histoire des relations entre le Québec et le Canada, disait

[Traduction]

qu'il faut se poser la question historique de savoir si les Canadiens auraient créé une meilleure union s'ils l'avaient fait dans le sang.

[Français]

C'est M. Lautens qui disait cela en 1997.

Je passe évidemment sur les propos absolument inadmissibles, qui feraient rougir de jalousie un Jean-Marie Le Pen ou d'autres, de Doug Young menaçant Osvaldo Nunez presque d'expulsion du pays parce qu'il avait des idées indépendantistes. Voilà pour l'intimidation.

Le troisième moyen, bien sûr, c'est le recours à des textes. Récemment encore, il y a eu celui de 1982, et nous le connaissons. Il y a maintenant celui de l'an 2000. Tous les deux sont de la même eau et surtout du même air de donner des leçons: en 1982 au nom des droits et libertés, et aujourd'hui au nom de la clarté.

«La clarté, c'est nous.» Au début de ce siècle, certains disaient: «Gott mit uns». Maintenant on dit: «La clarté, n'est nous». Nous sommes venus dire que le gouvernement canadien n'est pas crédible lorsqu'il parle de clarté. Il n'est pas crédible lorsqu'il parle de référendum. Regardez son histoire: aucun référendum en 1867; aucun référendum en 1931; aucun référendum en 1982, au moment du grand chambardement constitutionnel de 1982.

Le gouvernement canadien n'est pas crédible, non plus, quand il parle de clarté en matière constitutionnelle. Ce n'était pas clair en 1867, quand on a appelé «confédération» un système dont tout le monde savait parfaitement qu'il n'en était pas une.

Ce n'était pas très clair en 1980, de la part de M. Trudeau, de dire que voter non voulait dire voter oui.

Ce n'était pas très clair, en 1982, de parler d'un rapatriement, alors qu'il s'agissait au fond d'un chambardement constitutionnel.

Et ce n'était pas très clair non plus, en 1992, au moment de Charlottetown, d'inviter l'électorat à se prononcer sur un texte qui n'avait pas encore été achevé.

Le gouvernement canadien, non plus, n'est pas très crédible quand il se met à rédiger des questions référendaires. Je ne parle pas, bien sûr, de celle qu'il a posée ou qu'il va bientôt poser aux Montagnais du Québec. Je me reporte ici à celle qu'il a posée à l'électorat québécois et à l'électorat canadien en 1942, au moment de ce qu'il est convenu d'appeler le plébiscite. Je vous la lis:

[Traduction]

    Êtes-vous en faveur de libérer le gouvernement de toute obligation découlant du fait qu'il s'est engagé par le passé à limiter les méthodes lui permettant de recruter des hommes pour constituer une armée?

[Français]

Il s'agissait, bien sûr, d'un commitment à l'endroit du peuple québécois. Nulle part n'est-il question du peuple québécois et nulle part n'est-il précisé de quel commitment il s'agit.

Le gouvernement canadien n'est pas très crédible, non plus, quand il s'intéresse au droit de vote. Sur la question du 50 p. 100 plus un, il y a tout un débat: s'agit-il de qualité ou de quantité? Ce n'est pas clair.

En tout cas, il n'est pas fair-play du tout, il n'est pas très loyal, il n'est pas très noble pour un joueur de refuser les règles du jeu qu'il acceptait parfaitement tant qu'il avait la confiance de gagner, de les refuser maintenant qu'il sait qu'il sait qu'il est en train de perdre. Surtout, le gouvernement canadien, dans cette histoire, se place en porte-à-faux avec la règle la plus généralement répandue dans les pays démocratiques. Le Canada se prétend et doit bien être un peu aussi un pays démocratique, mais il est aussi en porte-à-faux avec sa propre Charte des droits et libertés, celle de 1982, dont il est apparemment si fier, plus précisément du principe d'égalité qui est au coeur et au sommet de cette charte.

• 1330

Il n'est pas très clair et très crédible, le gouvernement canadien, quand il s'appuie sur la Cour suprême, dont tous les juges sont nommés par le gouvernement canadien, par le premier ministre. C'est le seul pays au monde où la situation se présente ainsi.

Il n'est pas très clair, non plus, de s'appuyer sur la Cour suprême quand les juges de la Cour suprême eux-mêmes nous disent à peu près comment se prennent les décisions chez eux. Je vous cite le juge Lamer, qui disait en 1996:

[Traduction]

    Dans certains domaines, nous faisons de notre mieux et nous nous en remettons à Dieu. [...] Il y a des choix politiques à faire, et on les fait. [...] On fait parfois le mauvais choix, mais on ne s'en rend compte que quelques années plus tard.

[Français]

C'est le juge Lamer qui disait cela quand il était encore en fonction. Maintenant qu'il n'est plus en fonction, qu'est-ce qu'il nous a dit en janvier dernier? Il nous a dit que, de toute façon, l'avis que la cour a donné en août 1998, personne n'est obligé de le suivre. Ce n'est pas très clair, non plus.

Dans tout cela, il n'y a qu'une chose de claire: la volonté de la part du gouvernement canadien de déposséder, je dis bien de déposséder le gouvernement du Québec du droit de décider par lui-même et pour lui-même et de transférer ce droit à l'ensemble canadien. C'est ce que certains appellent la mise en tutelle et c'est ce que d'autres appellent le retour au droit de désaveu, mais c'est exactement le même processus qu'en avril 1942: sortir une affaire du forum québécois pour l'étendre au forum canadien.

Nos conclusions, vous les connaissez. On doit rejeter le projet et inviter la population canadienne tout entière à enfin abandonner la vision qui est à l'origine de ce texte, qui est la vision unitariste, one-nationist du Canada pour retourner à la pratique de traiter de rapports entre Canadiens et Québécois de peuple à peuple. Mais, surtout, on doit inviter instamment le gouvernement canadien, l'ensemble des élus du Canada et tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté au Canada à dénoncer vigoureusement tout propos belliqueux qui serait proféré contre le Québec, contre les Québécois ou contre les francophones hors Québec. Il s'agit d'une exigence impérieuse compte tenu du climat que certains cherchent à faire régner autour de cette question au Canada.

Monsieur le président, merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bouthillier.

Monsieur Hill, vous pouvez commencer.

M. Grant Hill: Merci de votre témoignage.

La Cour suprême a dit clairement qu'une déclaration d'indépendance unilatérale serait illégale. Êtes-vous d'accord sur cela?

M. Guy Bouthillier: Il n'a nulle part été question, dans le mouvement indépendantiste québécois, de procéder de façon unilatérale. Il a toujours été question de proposer au Canada, au gouvernement canadien de négocier les conséquences du vote exprimé par les Québécois en faveur de l'indépendance et de la souveraineté. C'est justement ce que nous souhaitons, et c'est justement ce que la Cour suprême a précisé comme étant l'obligation du gouvernement canadien si le peuple québécois s'exprimait. Je ne veux pas faire de procès d'intention, mais il me que l'effort fait ici a pour but d'intimider et d'éviter qu'il y ait des négociations. Les Québécois veulent négocier et le gouvernement du Québec voudra négocier. Je ne suis pas sûr que ceux qui sont à l'origine de ce texte aient la même intention et le même désir.

M. Grant Hill: Êtes-vous d'accord qu'une déclaration d'indépendance unilatérale serait illégale, oui ou non?

Une voix: Pour la Cour suprême, ce n'est pas illégal.

M. Guy Bouthillier: Quand il y aura eu des négociations de bonne foi, il n'y aura pas besoin de déclaration unilatérale. Mais si nous sommes en présence d'un négociateur de mauvaise foi, qui ne veut pas nous reconnaître, qui trouve tous les moyens pour refuser de nous reconnaître, la seule façon de retrouver notre dignité sera de proclamer l'indépendance et de demander à la communauté internationale de nous reconnaître.

• 1335

Les choses se passent ici comme s'il s'agissait d'une querelle paroissiale entre la paroisse du Québec et la paroisse du Canada. Non. C'est une affaire qui va se passer à la face du monde et ce serait à la communauté internationale d'intervenir si on découvrait que le gouvernement canadien refusait de négocier en bonne foi.

M. Grant Hill: Pour vous, la question du référendum de 1995 était-elle claire?

M. Guy Bouthillier: Elle l'était, en tout cas pour tous ceux qui ont voté non. À quoi ont-ils voté s'ils ont répondu non? Pour tous les Canadiens de l'Ontario, du Manitoba, de la Colombie-Britannique qui sont venus le 26 octobre à Montréal, c'était très clair. Tout le monde savait que si on votait oui, c'était la marche vers l'indépendance du Québec. Tout le monde le savait, aussi bien ceux qui ont voté oui que ceux qui ont voté non.

M. Grant Hill: Cette question était-elle sans ambiguïté, sans confusion?

M. Guy Bouthillier: Elle était claire pour ceux qui voulaient faire un pays, elle était claire pour ceux qui étaient déterminés à faire un pays et, si j'ai bien compris, elle était claire pour ceux qui s'opposaient à ce que le Québec devienne un pays.

M. Grant Hill: Des Québécois comme Claude Castonguay ont dit clairement que cette question comportait de la confusion et de l'ambiguïté.

M. Guy Bouthillier: Vous savez que dans la vie politique, il y a de la confusion, et je vous ai dit tout à l'heure. Est-il clair d'appeler «confédération» le système qui est le nôtre depuis 1867, alors que tout le monde sait parfaitement... Il n'est pas nécessaire d'être juriste pour savoir que cela n'a jamais été une confédération. Était-ce clair, en 1980, de la part de Trudeau de dire: «Vous savez, si vous votez non, ça va vouloir dire oui? Était-ce clair, en 1992, de faire voter un électorat canadien et québécois sur un texte qui n'était même pas terminé? Ce n'était pas clair du tout et cela ne vous empêche pas de dormir. Cela n'empêche personne ici de dormir. C'était la même chose en 1995, monsieur.

M. Grant Hill: Merci bien.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président. J'aimerais faire un petit commentaire sur la déclaration unilatérale. Mon ami du Parti réformiste a posé la question à notre grand stratège derrière M. Alcock. Il semble dire que nous, les souverainistes, c'est une déclaration unilatérale qu'on voulait faire. Combien de fois allons-nous devoir répéter que depuis René Lévesque, en passant par Lucien Bouchard et tous les autres leaders souverainistes, on n'a jamais voulu faire la souveraineté par voie de déclaration unilatérale? On a toujours voulu—et c'est dans les programmes du Parti québécois—faire la souveraineté après une négociation.

Le projet de loi que notre ami nous présente et qu'il m'a montré est un projet de loi qui disait qu'effectivement, s'il n'y avait pas de négociation de bonne foi, on pourrait envisager une déclaration unilatérale de souveraineté, ce que la Cour suprême, dans son avis du 20 août 1998, vient confirmer. Elle dit que ce serait une voie légitime et légale, même pour ceux qui savent lire et veulent bien lire l'avis de la Cour suprême. On peut bien continuer de dire que les souverainistes veulent faire la souveraineté de façon unilatérale, mais c'est inexact. C'est faux, et j'espère que vous allez comprendre que c'est la façon dont les souverainistes veulent se comporter.

Voici ma question aux gens de la Société Saint-Jean-Baptiste. La règle de majorité qu'on veut faire prévaloir dans ce projet de loi n'est-elle pas, en définitive, la règle de la minorité? Est-ce qu'on ne veut pas donner à une minorité le pouvoir de décider de l'avenir du Québec?

M. Guy Bouthillier: Oui. Justement, c'est ce qu'on a mis en lumière tout à l'heure. C'est contredire un des principes fondamentaux inscrits au coeur de la Charte des droits et libertés de 1982, le principe de l'égalité. Voici que ceux qui voteraient pour le Canada pèseraient plus lourd que ceux qui voteraient pour le Québec. C'est cela qu'on veut faire valider par ce projet de loi C-20 et c'est cela qui est inadmissible. C'est cela qu'on ne comprend pas et c'est cela que l'opinion internationale ne comprendra pas. Que je sache, le seul à l'extérieur du Québec et du Canada qui ait commencé à s'intéresser à cette idée-là, c'est le magazine The Economist d'il y a deux semaines. Je suis sûr que vous l'avez lu.

• 1340

Eux aussi ont changé. Ils étaient d'accord en 1980, de même qu'en 1995, et je ne sais pas ce qui se passe maintenant. Tout d'un coup, ils ont décidé de changer d'avis. Mais ils sont vraiment minoritaires. L'ensemble de la pratique des pays démocratiques et de la pratique de l'ONU nous indique qu'il faut rester dans cette voie-là. C'est ainsi que nous allons réussir, j'en suis sûr, à établir côte à côte deux pays, le Québec et le Canada, qui vont être capables de s'entendre, car l'objectif est de faire un pays et de faire que ce pays s'entende avec son premier voisin, son plus important voisin. Ce n'est pas en triturant les principes fondamentaux qui sont au coeur de la démocratie et de la pratique internationale qu'on va réussir ça.

M. Daniel Turp: Monsieur le président, c'est la première fois que je vais faire cette remarque et je voudrais que nos amis la commentent. Quand on lit ce projet de loi, on lit pour l'essentiel des choses négatives. On dit qu'une question peut être rejetée si elle comporte ceci, qu'une majorité peut être rejetée si elle ne répond pas à tels critères. Et on dit deux fois dans le projet de loi que le gouvernement du Canada «n'engage aucune négociation sur les conditions» et ainsi de suite. Cela concerne l'obligation de négocier.

Ce projet de loi n'est-il pas en définitive un projet de loi pour détourner, pour ne pas accepter l'obligation de négocier que la Cour suprême du Canada a imposée au Canada dans son avis de 1998?

M. Guy Bouthillier: Oui, j'en suis convaincu, mais j'aimerais que Me Jacobs intervienne à ce moment-ci, si vous le permettez, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Allez-y.

M. David Jacobs (avocat, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal): Je vous remercie, messieurs Bouthillier et Turp.

Je crois que c'est juste. La Cour suprême n'a pas dit dans son opinion que des négociations ne pouvaient pas avoir lieu, mais plutôt que le gouvernement du Québec devait poser certaines questions et suivre certains processus.

Je crois que c'est le moment pour moi d'ajouter quelque chose à ce qu'a dit M. Hill. M. Hill a demandé à deux reprises si une déclaration unilatérale d'indépendance serait illégale et si la Cour suprême s'était exprimée sur cette question. Je ne pense pas qu'un gouvernement du Québec ait jamais proposé ou proposerait de faire une déclaration unilatérale d'indépendance qui ne serait pas accompagnée de négociations avec le Canada. La Cour suprême a cependant pris soin de ne pas dire qu'une déclaration unilatérale d'indépendance sans négociations serait illégale.

Ce que la Cour suprême a dit, c'est que ce ne serait pas constitutionnel—ce qui n'est pas la même chose—et que c'est la communauté internationale qui déterminerait la légalité d'une déclaration unilatérale d'indépendance selon le comportement qu'adopteraient le Canada et le Québec.

J'en déduis que si la population du Québec vote majoritairement en faveur de l'accession à la souveraineté ou en faveur de la souveraineté association ou de toute autre formule, bien que le projet de loi sur la clarté ne permette aucune autre formule... Le projet de loi sur la clarté n'envisage qu'une seule formule, c'est-à-dire une question qui porterait sur la souveraineté.

Pour établir si la déclaration unilatérale d'indépendance serait légitime, la communauté internationale devrait tenir compte de différents facteurs, comme ceux de savoir si le reste du Canada refuse de négocier avec le Québec: s'il a posé des obstacles à ces négociations, si l'on a dit au Québec nous refusons de discuter avec vous à moins de discuter des frontières et du sort des collectivités autochtones, etc. La Cour suprême du Canada a fait preuve de grande prudence à ce sujet: la question est abordée au paragraphe 155 de son avis.

J'estime que les conditions fixées dans le projet de loi en ce qui touche l'énoncé de la question et le fait que le gouvernement fédéral s'arroge un droit de veto sur les droits démocratiques de la population du Québec violent les principes du droit international.

• 1345

Je vous reporte encore une fois à l'opinion de la Cour suprême. La Cour suprême a peut-être statué qu'une déclaration unilatérale d'indépendance serait inconstitutionnelle, mais rappelez-vous qu'en 1981 la Cour suprême a aussi dit que la modification de la Constitution sans l'approbation des provinces—et il était question à ce moment en particulier de l'approbation du Québec—serait inconstitutionnelle. Depuis 1867, la Constitution n'avait jamais été modifiée sans l'approbation du Québec.

Au début des années 80, sur l'ordre de Pierre Trudeau, le gouvernement du Canada était prêt, pour la première fois depuis 1867, à rompre le pacte confédératif entre le Canada et le Québec et à modifier la Constitution sans le consentement du Québec. La Cour suprême a statué que les conventions exigeaient le consentement du Québec et que toute modification de la Constitution sans son consentement serait inconstitutionnelle. La Cour suprême n'a cependant pas dit que cette mesure serait illégale.

Sous prétexte que la Cour suprême n'avait pas déclaré cette mesure illégale, une conférence des premiers ministres a été convoquée, après quoi le gouvernement a rapatrié la Constitution en 1982. Il importe que nous comprenions ce qui s'est passé en 1982 pour comprendre ce qui se passe maintenant avec le projet de loi sur la clarté.

Le président: Monsieur Jacobs...

M. David Jacobs: Me reste-t-il quelques secondes?

Le président: Oui, vous avez dépassé de loin le temps qui vous était imparti, mais je comprends que votre réponse doit être longue.

M. David Jacobs: En 1867, les deux peuples fondateurs, celui du Québec et celui du Canada, ont conclu une entente reposant sur certaines conditions. L'une de ces conditions était que le Québec aurait compétence en matière de langue, de culture et d'éducation. L'entente conclue reposait sur cette condition. En 1982, le Canada anglais a dit au Québec que cette entente était révolue et qu'il allait modifier la Constitution sans son consentement. On a dit au Québec qu'on modifierait la loi fondamentale du pays sans son consentement et que de ce fait le Québec serait régi par une Constitution qu'il n'avait pas acceptée.

Le Québec est pleinement en droit de dire maintenant au Canada que le Canada a rompu l'entente qu'il avait conclue avec lui et qu'il peut maintenant affirmer au besoin son droit à l'autodétermination afin de regagner ses droits, compte tenu du fait qu'il a été exclu de la Constitution canadienne.

Comme la Cour suprême du Canada l'a dit dans l'un des importants paragraphes de son avis, l'une des conditions du droit d'un peuple de faire sécession, c'est que ses droits démocratiques—je paraphrase ici—sont entravés dans la structure politique dans laquelle il évolue. Je pense que cette condition existe. Je crois que le Québec a le droit de faire sécession. Comme le Québec a le droit à l'autodétermination et a le droit de faire sécession, j'estime qu'il a le droit de décider comment il quittera le Canada et quelles propositions de négociation il fera au Canada. Il peut notamment décider s'il va tenir ou non un référendum et les conditions dans lesquelles se déroulera ce référendum.

J'ai parlé trop longtemps, mais je vous remercie.

Le président: Oui.

[Français]

Monsieur Drouin.

M. Claude Drouin: Monsieur Bouthillier, messieurs de la Société Saint-Jean-Baptiste, merci de votre présentation. J'aimerais tout d'abord mentionner qu'on dit que ce projet de loi C-20 donnerait plus de force aux minorités, comme M. Turp l'a mentionné. Cela ressemble beaucoup aux deux derniers référendums que le Québec a tenus, alors que la population québécoise a dit non majoritairement et qu'on a pris acte du fait que beaucoup disaient oui. Donc, c'était cela. Donc, ce sont les minorités qui mènent.

Je pense qu'on n'a pas de leçons à recevoir des séparatistes de ce côté-là. Quand on dit que la Cour suprême ne mentionne pas que la sécession unilatérale est illégale, on oublie que le paragraphe 104 de l'avis de la Cour suprême dit:

    104. Il ressort donc clairement de l'analyse qui précède que la sécession du Québec du Canada ne peut pas être considérée un acte légal si elle est réalisée unilatéralement par l'Assemblée nationale, la législature ou le gouvernement du Québec...

Il me semble que c'est assez clair.

J'aimerais revenir à M. Bouthillier, qui nous parle beaucoup d'histoire, qui nous mentionne beaucoup de choses. Il parle de 1982. J'aimerais que vous regardiez une émission que Télé-Québec a faite. Je ne pense pas que Télé-Québec soit très fédéraliste. M. Claude Morin et M. Claude Charron mentionnent clairement que pour eux, avant de négocier, il n'y avait aucune entente possible pour le rapatriement de la Constitution de 1982. Je voudrais voir où sont les méchants loups du Canada de ce côté. On sait que les négociateurs du gouvernement allaient là sans souhaiter quelque entente que ce soit. À cette époque, on avait fait la Charte des droits et libertés, ce qui était la preuve de la démocratie du Canada.

• 1350

M. Bouthillier nous parle d'histoire. Premièrement, les référendums, à toutes fins pratiques, étaient inexistants à l'époque. Deuxièmement, le nombre de parlementaires réunis à l'Assemblée législative était moins élevé qu'aujourd'hui, pour la simple et bonne raison que la population était également moindre en 1865. Cette situation n'a toutefois pas empêché les parlementaires de débattre de la question pendant près de deux mois. Enfin, les résolutions rédigées à la Conférence de Québec furent débattues au sein de la Législature de la province du Canada en février et mars 1865. Le 11 mars de la même année, les résolutions furent approuvées par un vote de 91 contre 33. La Législature du Canada-Est, qui représentait le Québec, adopta les résolutions par un vote de 37 contre 25. La majorité en faveur des résolutions fut donc de 12 voix; c'est une proportion qui équivaut à 59,67 p. 100 des voix soumises au vote. J'aimerais voir où on manque de fair-play là-dedans.

Les États-Unis et la France disent, eux, qu'ils sont indivisibles, alors que nous, nous nous inspirons de l'avis de la Cour suprême, dont M. Bouchard disait qu'il était un bon avis. Des juristes nous ont mentionné hier que le projet de la C-20 était presque une copie conforme de l'avis de la Cour suprême. Pardon?

M. Daniel Turp: [Note de la rédaction: Inaudible] ...comme M. Ryan, par exemple.

M. Claude Drouin: Vous êtes en contradiction avec le chef des séparatistes, M. Bouchard, parce que lui dit que c'est un bon avis. Vous allez m'expliquer en quoi les États-Unis et la France sont plus démocratiques que le Canada. Et quelle est votre vision par rapport aux autochtones, qui sont un peuple et qui veulent demeurer à 95 p. 100 dans le Canada, monsieur Bouthillier?

M. Guy Bouthillier: Il y a pas mal de choses, merci, mais il y a quand même un point que je vais retenir. Il me semble que le devoir de clarté...

M. Claude Drouin: Pas pour les conservateurs. Excusez-moi.

M. Guy Bouthillier: Je vous en prie. Le devoir de clarté doit s'exprimer d'abord dans les mots dont on se sert pour se désigner soi-même et pour désigner ses adversaires. Les adversaires du Canada, les partisans du Québec ne sont pas des séparatistes, comme vous venez de le dire. C'est entretenir la confusion dans les esprits que de les appeler ainsi. Les personnes qui sont vos adversaires, les personnes que vous voulez bloquer dans leur cheminement historique, ce ne sont pas des séparatistes, comme vous dites. Ce sont des souverainistes et des indépendantistes. C'est comme ça, je crois, que le devoir de clarté devrait d'abord s'exprimer. Appelons un chat un chat. Appelons un indépendantiste, un indépendantiste, et cessons de chercher à le mépriser en se servant d'un mot qui est totalement faux, qui ne correspond pas du tout à la réalité. C'est la première idée.

Deuxièmement, on parlait du référendum de 1982, ou plutôt de la Constitution de 1982. Excusez mon lapsus, lapsus significatif. Nous étions en plein XXe siècle, en 1982. Il y avait au pouvoir, dans cette capitale, des hommes d'esprit progressiste, nous dit-on. Ils ont apporté une Constitution extrêmement importante. En ayant l'air de la rapatrier, ils ont introduit un chambardement considérable. Je ne comprends pas à ce jour et je ne comprendrai jamais pourquoi le Canada, un pays qui se dit démocratique et qui doit bien l'être un peu, n'a pas voulu appuyer cette nouvelle Constitution sur le consentement populaire en tenant un référendum.

• 1355

Il n'y a pas eu de référendum en 1867, mais ce n'était peut-être pas la pratique la plus courante. Il n'y en a pas eu, non plus, en 1931. Je m'étonne que des nationalistes canadiens comme vous ne se rappellent l'importance de 1931 dans l'évolution tout à fait normale, logique et pacifique des rapports entre le Canada et le Royaume-Uni. Je ne comprends pas que la fierté nationale, s'ajoutant à l'obligation démocratique, n'ait pas amené le Canada de l'époque à fonder cette nouvelle réalité politique des rapports entre peuples si proches, entre peuples frères. Le Royaume-Uni et le Canada anglais, c'est quelque chose de très voisin. Pourquoi le Canada n'a-t-il pas voulu consacrer ce changement absolument formidable qui faisait que ce pays cessait d'être une espèce de vague province, vaguement annexée à l'empire britannique, pour devenir un État souverain parmi les États souverains? Pourquoi n'avez-vous pas fait cela? Pourquoi est-ce que vous ne l'avez pas fait, alors que tout d'un coup, maintenant, vous vous intéressez à notre référendum, vous voulez bichonner notre référendum, vous vous montrez les grands experts en matière référendaire? Vraiment, cela m'étonne beaucoup et je ne le comprends toujours pas.

M. Claude Drouin: Monsieur Bouthillier, vous parlez de 1982. J'aimerais vous rappeler qu'en 1982, M. Lévesque ne voulait pas de référendum parce qu'il savait très bien que les Québécois et les Québécoises étaient d'accord sur le rapatriement. Pourquoi est-ce que M. Lévesque n'en voulait pas en 1982?

M. Guy Bouthillier: Tout d'un coup, M. Lévesque a une espèce de droit de veto sur les décisions du Canada? C'est tout à fait nouveau.

M. Claude Drouin: Eh bien, oui. C'est cela, la démocratie.

[Traduction]

Le président: Monsieur Jacobs.

M. David Jacobs: Ce que je trouve répréhensible au sujet du projet de loi sur la clarté, c'est qu'il vise à assujettir le Québec à des conditions beaucoup plus précises pour ce qui est de son accession à la souveraineté que ce qui avait été prévu en 1982 dans le cas du rapatriement de la Constitution. Le rapatriement de la Constitution en 1982 visait surtout le Québec, la seule partie du Canada qui n'y a pas consenti.

M. Mandel, de la faculté de droit Osgoode Hall, l'a bien dit dans son livre sur la Constitution: le fait de reconnaître dans la Charte les droits à la liberté d'expression et à la liberté d'association, etc. constitue une façon de s'attaquer aux lois linguistiques du Québec, qui étaient tout à fait constitutionnelles jusqu'en 1982, puisqu'elles découlaient de la répartition des pouvoirs fixée dans la Loi constitutionnelle de 1867. La Constitution de 1982 visait à empêcher le Québec d'adopter ce genre de lois.

La Charte adoptée en 1982 visait le Québec. Les dispositions portant sur la langue et sur l'éducation visaient le Québec, et le Québec s'y est opposé. Ces dispositions ne portaient pas à conséquence pour le Canada anglais. Elles constituent cependant une insulte terrible envers notre partenaire dans la Confédération, et je parle ici à titre de résident de Toronto. C'est une insulte terrible.

On ne peut pas établir un partenariat avec un autre peuple et prétendre qu'il y a deux peuples fondateurs lorsque l'un dit à l'autre: nous ne reconnaissons pas votre droit à l'autodétermination. Il ne fait aucun doute en droit que les Québécois constituent un peuple ayant le droit à l'autodétermination, ce qui signifie que ce peuple participe à notre démocratie. On ne peut pas simplement dire à ce peuple qu'on va lui imposer sa Constitution. Le projet de loi sur la clarté est l'aboutissement de ce processus. Depuis 1982, on a essayé de réparer les dommages qui ont été causés. C'est ce qu'on a tenté de faire avec l'accord du lac Meech et l'accord de Charlottetown, mais le Canada anglais n'a pas manifesté la volonté de faire amende honorable.

Le projet de loi sur la clarté creuse encore l'écart entre nous. Il transmet deux messages. Le premier vise le Canada anglais. Le projet de loi dit au Canada anglais que le gouvernement fédéral pense que les Québécois ne sont pas des adultes compétents et ne sont pas en mesure d'établir si une question est claire ou non, ni de faire confiance à leurs représentants démocratiquement élus.

Le projet de loi sur la clarté est une tentative politique en vue de montrer au Canada anglais que les Québécois sont stupides et ne méritent pas la démocratie. À cet égard, je crois que le projet de loi est profondément raciste et qu'il devrait être rejeté pour cette raison même.

Le projet de loi transmet aussi un message aux Québécois. Il leur dit qu'il n'est pas question de négocier avec eux. Il vise à empêcher la tenue de négociations, la tenue d'un référendum. Son objet est d'intimider la population du Québec.

• 1400

Le projet de loi énonce que la question doit être claire et que la seule question qu'Ottawa permettra doit porter sur la souveraineté. Enfin, il fixe comme condition préalable aux négociations l'obligation pour le Québec d'aborder la question de ses frontières, de discuter du sort des Autochtones, etc.

S'il y a un enseignement à tirer du XXe siècle, c'est que vouloir modifier les frontières d'un pays souverain peut mener à la guerre. C'est ce qui s'est produit en Irlande. C'est ce qui s'est aussi produit au Moyen-Orient. C'est ce qui s'est produit partout dans le monde au XXe siècle. Les citations que M. Bouthillier vous a lues montrent qu'on est prêt au Canada anglais à recourir à la violence pour obliger le Québec à demeurer contre son gré au sein de la Confédération.

Quand on envisage la possibilité de modifier les frontières d'un pays, quand on dit que la sécession est légale ou illégale, etc. on finit par appliquer la loi par la force. À mon avis, ce projet de loi repose sur une prémisse très dangereuse.

[Français]

Le président: Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Merci, messieurs, d'être venus dans l'autre capitale. Vous savez que la position du Bloc québécois était claire. On a demandé à ce comité de se déplacer dans les diverses régions du Québec et du Canada, mais malheureusement, la majorité libérale a refusé, ce qui a fait en sorte que vous avez dû vous déplacer. Merci de vous être déplacés.

Ma première question, monsieur Bouthillier, devait porter sur la règle du 50 p. 100 plus un. Mon collègue Turp l'a posée, et je ne veux pas y revenir. Je suis persuadé que vous étiez d'accord avec M. Mills, qui reconnaît que la règle de 50 p. 100 plus un est valide, et vous lui avez très bien répondu.

Monsieur Bouthillier, selon vous, le fil conducteur de ce projet de loi est-il d'assujettir juridiquement l'Assemblée nationale à la Chambre des communes? Selon vous, y a-t-il subordination, entre autres juridique, des personnes qui ont été élues démocratiquement au Québec à celles qui l'ont été dans le reste du Canada? Est-ce qu'on pourrait dire que C-20 est une autre illustration de ce que disait lord Durham dans son rapport? Je vous cite lord Durham:

    Je n'entretiens aucun doute sur le caractère national qui doit être donné au Bas-Canada: ce doit être celui de l'Amérique britannique, celui de la race supérieure qui doit à une époque prochaine dominer sur tout le continent de l'Amérique du Nord.

Le projet de loi C-20 est-il un rapport Durham à la sauce 2000?

M. Guy Bouthillier: Oui, et pour s'assurer que ça ne soit pas très clair, on ne fait évidemment aucune allusion à Durham. C'est une drôle de façon de considérer la clarté.

L'histoire constitutionnelle du Canada qui nous intéresse ici commence en 1840. C'est la date importante. Certains croient que c'est 1867, alors que 1867 n'est que le prolongement, la confirmation, voire l'aggravation du principe établi à partir de 1840. Je vous signale d'ailleurs au passage que je ne suis pas le seul à appeler l'attention sur la date de 1840. Récemment, John Saul, notre consort vice-royal, disait, dans un article dans Le Devoir, qu'effectivement, la grande date était 1840.

Qu'est-ce que c'est, 1840? C'est la fusion de deux territoires, et donc de deux populations, avec l'idée de minoriser une population par rapport à l'autre. Tout le système canadien découle de là. En 1867, c'est l'aggravation: on ajoute d'autres territoires et, par conséquent, d'autres populations, et on continuera en 1870, en 1905 et en 1949. On ajoute des territoires et on aggrave la minorisation démographique et, par conséquent, politique.

Mais il reste que, puisque c'est un régime qui comporte encore quelques éléments de fédéralisme, il y a encore un territoire juridique où le Québec se comporte ou peut se comporter en majorité et avoir le dernier mot.

• 1405

Déjà, en 1867, on se méfie du dernier mot reconnu au Québec. On introduit le droit de désaveu, par exemple. Le droit de désaveu, c'est cela. On dit au Québec que, même dans les matières où il a compétence, même dans les matières où il est supposément souverain... Le Conseil privé reconnaissait que les provinces étaient souveraines dans leur domaine. En 1882, même dans ces domaines, on peut se servir d'un droit de désaveu pour annuler leur majorité. Je ne parle pas de la Loi sur les mesures de guerre, et personne n'en parle sous cet angle. S'il y a un immense droit de désaveu qui pèse sur le Québec, c'est bien le recours possible à la Loi sur les mesures de guerre. C'est un droit de désaveu qui s'applique non pas à une loi, non pas à une assemblée nationale, mais à tout un peuple.

Là c'est pareil. On a pratiqué cela en 1980 et en 1995. Le Canada lui-même était d'accord pour qu'on se serve de nos règles à nous pour pratiquer son référendum en 1992. On avait à ce moment-là et on a encore une habitude de faire qui nous donne le dernier mot. Puis voilà que, tout d'un coup, la panique s'empare de certains esprits, simplement parce qu'on est au bord de la victoire et qu'on veut nous enlever ce droit du dernier mot pour rapatrier le Québec, pour fusionner ce qui est redevenu le Québec dans le Canada, pour le replonger dans son statut de minoritaire, exactement comme en 1942.

Réfléchissons à 1942. Qu'est-ce qui s'est passé en 1942? Mackenzie King, qui s'entend avec le Québec, veut finalement changer sa promesse. Il ne le demande pas aux Québécois. Il ne laisse pas le dernier mot aux Québécois. Il dit: «On va fondre le petit Québec dans l'ensemble du Canada et on va poser la question.» Évidemment, il a eu la réponse qu'il voulait.

Peut-être que le Canada anglais était content sur le moment, mais regardez l'évolution historique des rapports entre le Canada et le Québec depuis ce mauvais coup, depuis ce coup de force, depuis ce transfert de notre droit de parole dans un forum plus large où nous perdions notre voix. Regardez ce qui s'est passé. Je suis assez convaincu que l'idée indépendantiste québécoise est née en avril 1942. Vous vous préparez à faire la même chose.

M. Michel Guimond: Monsieur Bouthillier...

Le président: Non.

[Traduction]

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Monsieur Jacobs, vous semblez penser que la violence est la seule façon de régler des questions comme la modification des frontières.

M. David Jacobs: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Grant Hill: Vous pourrez corriger le compte rendu si vous le souhaitez, mais vous avez dit que la modification des frontières passerait par la violence.

Que doit-on répondre aux Autochtones du Nord du Québec qui ont clairement exprimé leur désir de rester au sein du Canada? Le respect de leur volonté passe-t-il nécessairement par la violence?

M. David Jacobs: Je ne pense pas avoir dit que la violence était nécessaire. J'ai dit qu'il était malavisé que la loi sur la clarté parle de la modification des frontières du Québec. Il y a déjà des gens qui se disent favorables à la partition dans l'Ouest de Montréal et dans le Nord du Québec. Le XXe siècle nous enseigne qu'il s'agit d'une situation très dangereuse. Au XXe siècle, le plus souvent, quand il y a eu modification des frontières d'un pays, cela s'est fait par les armes. Supposons que le Canada dise au Québec que s'il se sépare on lui enlèvera l'Ouest de Montréal et le Nord. Je vois mal comment le Canada le ferait. Je ne dis pas que c'est une nécessité.

L'une des raisons pour lesquelles je m'oppose à ce projet de loi, c'est qu'il soulève le spectre de la violence dans les relations entre le Canada et le Québec. Et c'est le Canada qui aurait recours à la violence. Je m'oppose catégoriquement à la violence. J'aimerais que ce projet de loi ne soit pas adopté, pour que des discussions démocratiques puissent avoir lieu entre le Canada et le Québec et que des négociations soient possibles. À mon avis, imposer comme condition préalable à des négociations qu'il y ait des discussions sur les frontières soulève le spectre de la violence.

Je ne suis pas sûr de la position des Autochtones du Nord du Québec. Environ 75 000 Autochtones appartenant à 11 nations vivent dans le Nord du Québec. Je trouve très intéressant de constater que lorsqu'il est question du Québec les Canadiens anglais s'intéressent soudainement de très près aux droits des Autochtones du Nord du Québec. Il est permis de se demander s'ils s'inquiéteraient autant de leurs droits si ces Autochtones demandaient qu'on reconnaisse leur droit à la sécession et à l'autodétermination et souhaitaient se joindre aux États-Unis, au Mexique ou à la Grande-Bretagne.

• 1410

Je crois qu'on a très bien répondu à cette question plus tôt quand on a dit que si les Autochtones s'étaient opposés en 1982 au rapatriement de la Constitution en disant qu'ils voulaient conserver leurs liens avec l'Angleterre, on n'aurait pas tenu compte de leur désir, et sans doute avec raison. Les Autochtones du Canada se sont cependant opposés en grand nombre au rapatriement de la Constitution, et on n'a pas tenu compte de leur vue à ce moment-là.

Je crois que le statut des peuples autochtones au Québec sera établi le cas échéant par le gouvernement d'un Québec indépendant et souverain. Il n'y a pas lieu de croire qu'un tel gouvernement traiterait la population autochtone du Québec de façon moins démocratique que le Canada anglais. En fait, la situation des Autochtones du Québec est à bien des égards meilleure que celle des Autochtones du reste du Canada.

Sauf le respect que je vous dois, je pense que cette question n'est pas sincère. J'aimerais bien voir si le Parti réformiste, disons, appuierait vraiment les Autochtones de la Colombie-Britannique s'ils souhaitaient se séparer du Canada.

M. Grant Hill: Dites-vous alors que le Canada est divisible, mais pas le Québec?

M. David Jacobs: Juridiquement parlant, je crois que la réponse à cette question est oui.

M. Grant Hill: Je vous remercie.

Le président: M. Bonin va poser une question.

M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.): J'aimerais obtenir une précision. On a présenté M. Jacobs comme un représentant de l'Association du Barreau canadien. J'aimerais savoir s'il comparaît devant le comité à titre de représentant de l'Association du Barreau canadien, à titre de membre de la Société Saint-Jean-Baptiste, à titre de lobbyiste, ou à titre d'avocat du secteur privé qui est rémunéré pour comparaître devant le comité. J'aimerais savoir si les avocats de ma circonscription paient ses honoraires à titre de représentant de l'Association du Barreau canadien ou s'il comparaît devant le comité à titre de membre de la Société Saint-Jean-Baptiste.

[Français]

M. Guy Bouthillier: J'ai...

[Traduction]

M. Raymond Bonin: Je pose la question à M. Jacobs.

[Français]

M. Guy Bouthillier: C'est moi qui l'ai présenté.

[Traduction]

M. Raymond Bonin: Oui, mais je pose la question à M. Jacobs.

[Français]

M. Guy Bouthillier: C'est moi qui l'ai présenté. Vous êtes en train de déformer mes mots.

[Traduction]

M. Raymond Bonin: Monsieur le président, je voulais savoir quel est le rôle de M. Jacobs.

Le président: Il s'agit d'un groupe qui comparaît. Nous devons donc permettre à qui le veut de répondre à cette question.

Monsieur Bouthillier, vous pouvez répondre à la question si vous le souhaitez.

[Français]

M. Guy Bouthillier: J'ai bien dit qu'il était ancien président de la section de droit constitutionnel et des libertés publiques de l'Association du Barreau canadien, section Ontario.

M. Raymond Bonin: Donc, il n'est pas ici en tant que représentant de...

M. Guy Bouthillier: C'est un ancien président, monsieur.

M. Raymond Bonin: Il peut être vice-président aujourd'hui. Alors, il n'est pas ici comme représentant de....

M. Guy Bouthillier: S'il l'avait été, je vous l'aurais dit.

M. Raymond Bonin: D'accord. Je suis satisfait.

Une voix: Pourquoi demandais-tu cela?

M. Raymond Bonin: Ce n'est pas de tes affaires.

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Raymond Bonin: Eh bien, oui. Si les avocats de chez nous paient cela, cela m'intéresse.

[Traduction]

Le président: Voilà qui met fin aux témoignages des représentants de la Société Saint-Jean-Baptiste.

[Français]

Je vous remercie de votre comparution de cet après-midi. Je suis certain que vous avez beaucoup aidé le comité. Merci.

• 1413




• 1414

Le président: Nous entendrons maintenant M. Gil Rémillard.

Monsieur Rémillard, bienvenue et merci beaucoup de votre grande patience. Vous avez passé au moins deux heures à attendre votre comparution, et nous l'apprécions beaucoup.

Comme vous le savez, vous avez 10 minutes pour votre présentation et il y aura ensuite 35 minutes de questions. Vous avez la parole.

• 1415

[Traduction]

À l'ordre, je vous prie. Le comité siège toujours. Je vous prie de poursuivre votre conversation à l'extérieur.

[Français]

Me Gil Rémillard (avocat, École nationale d'administration publique): Monsieur le président, je vous remercie pour cette invitation qui m'est faite de venir témoigner devant vous sur ce projet de loi C-20. C'est pour moi un grand privilège, dois-je dire, d'être avec vous et de partager mes commentaires sur ce projet de loi. Je le fais bien modestement. Si cela peut aider le comité à discuter de cet avant-projet de loi, eh bien, j'en suis très heureux.

Monsieur le président, je suis accompagné de Nicholas Rémillard et de Me Sébastien Grammond. Me Grammond est avocat chez Byers Casgrain, et Nicholas Rémillard est étudiant en troisième année de droit. Ils m'ont aidé à préparer cette présentation, et je les en remercie, monsieur le président.

Monsieur le président, j'étais d'accord sur ce renvoi à la Cour suprême du Canada pour préciser de quelle façon le Québec pouvait faire cette sécession du Canada et je dois donc dire que je considère que ce projet de loi que nous avons devant nous est un projet de loi qui répond aux attentes que nous avions en ce qui regarde l'application politique de cet avis que la Cour suprême nous a donné.

Monsieur le président, je considère que la Cour suprême a fait un travail remarquable. Elle a fait un travail remarquable parce que le défi était de taille et que la Cour suprême a réussi à relever ce défi d'une façon très judicieuse, en se limitant aux aspects juridiques. C'est donc dire, monsieur le président, qu'il fallait aussi traiter des aspects politiques, qui sont évidemment nombreux autour de cette question de la sécession du Québec. C'est ce que fait présentement le Parlement canadien en étudiant ce projet de loi C-20, et c'est aussi ce que fait le Québec avec son projet de loi sur le même sujet. Je n'ai pas à commenter ici le projet de loi du Québec.

En ce qui regarde le projet de loi C-20, j'ai le sentiment et même la certitude qu'il reprend essentiellement sur le plan juridique ce que la Cour suprême nous a dit dans son avis et met les termes politiques pour qu'on puisse appliquer cet avis de la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême du Canada nous a dit que, s'il y a une expression claire de la volonté des Québécois, exprimée par une question claire par une majorité claire, il y aura là une légitimité dont on devra tenir compte et il y aura une obligation de négociation avec le Canada pour établir les modalités de cette sécession.

On ne pensait pas nécessairement à tous ces éléments qu'on retrouve à l'intérieur de l'avis de la Cour suprême, qui est un avis très complet, mais on connaissait beaucoup d'aspects dont traite la Cour suprême: aspect de légalité, aspect de légitimité, aspect regardant le respect de notre principe démocratique.

C'est dans ce contexte-là que je considère que cet avant-projet de loi fédéral non seulement ne vient pas affecter la juridiction du Québec, mais d'une certaine façon confirme la juridiction du Québec. Voici ce que je veux dire par là, monsieur le président.

• 1420

L'avis de la Cour suprême nous a confirmé que le Québec avait le droit de se séparer du Canada. Il y a une façon légale de procéder par la formule d'amendement, et la Cour suprême a confirmé ce droit pour la première fois. Ce projet de loi vient aussi confirmer ce droit du Québec de se séparer de la fédération canadienne. Il me semble que, dans l'avis de la Cour suprême comme dans le projet de loi, il y a cette concordance qui fait qu'on respecte la juridiction du Québec pour déterminer la question et qu'on respecte aussi la juridiction du gouvernement fédéral en ce qui regarde sa responsabilité pour l'ensemble canadien et sa responsabilité de déterminer si, selon lui, une question claire est posée aux Québécois.

En ce qui regarde la majorité, c'est la même chose. Dans le projet de loi fédéral que nous étudions, des critères objectifs sont inclus et nous amènent à dire que le gouvernement fédéral pourra décider s'il considère cette question comme claire en fonction de ce paragraphe 1(4) qui détermine les deux paramètres fondamentaux pour déterminer si une question est claire. La Chambre des communes pourra décider si la majorité est significative ou qualitative, comme le dit la Cour suprême, dans la mesure où il y a ces paramètres, qu'on retrouve aussi au paragraphe 2(2). Sur cet aspect, je ferai tout à l'heure quelques remarques concernant un critère retenu pour déterminer si cette majorité est claire ou pas.

Dans ce contexte, j'ai de la difficulté à comprendre comment on peut refuser un processus qui établit une démocratie respectant les juridictions à la fois du Québec, du gouvernement fédéral et du Parlement canadien. C'est une juridiction qui, à mon sens, doit être respectée. Le Québec doit avoir cette autorité de déterminer la question qu'il veut poser, et le gouvernement fédéral, le parlement canadien, la Chambre des communes plus précisément, doit aussi avoir la juridiction de décider, selon l'avis qu'a donné la Cour suprême et selon ce projet de loi, si cette question est claire. À mon sens, monsieur le président, on a là deux gouvernements qui sont impliqués directement dans un processus, et chacun, dans le cadre de ses responsabilités, aura à prendre des décisions très importantes qui devront être conformes à l'esprit démocratique qui a toujours été à la base de notre système politique.

Monsieur le président, je voudrais dire en terminant que les questions de 1980 et de 1995 n'étaient pas des plus claires. La première, en 1980, faisait appel à un mandat de négocier la souveraineté-association et se référait à une définition de la souveraineté qui pouvait aussi se comprendre dans le cadre d'une autonomie à l'intérieur d'un fédéralisme renouvelé. D'autre part, la question de 1995, au dernier référendum, était beaucoup plus en fonction d'un partenariat que de la souveraineté.

Il me semble que des deux côtés, que ce soit pour les indépendantistes—que je respecte mais dont je ne partage pas l'idée, comme l'ai toujours dit—et pour les fédéralistes, il est bon qu'on établisse les choses clairement. Il me semble qu'il est bon qu'on puisse savoir quel processus on doit suivre pour que le Québec puisse devenir indépendant si les Québécois décidaient de s'engager dans cette voie. Je ne vois pas quelles objections pourraient nous emmener à dire qu'il s'agit d'une intrusion dans la juridiction québécoise.

• 1425

Pour ma part, monsieur le président, bien au contraire, je vois là un processus qui va rendre les choses encore plus claires, qui confirme des droits et qui permet aux deux ordres de gouvernement d'agir dans leur sphère de juridiction.

Monsieur le président, mes remarques sont terminées.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Rémillard, entre autres de vous en être tenu aux 10 minutes prescrites. C'est bien apprécié.

Monsieur Hill, avez-vous des questions?

M. Grant Hill: Monsieur Rémillard, merci de votre témoignage.

Définir la clarté de la question me paraît un sujet évident. Il existe des paramètres pour déterminer qu'une question est claire. Par contre, le problème de la majorité claire me paraît moins évident. Est-ce que les paramètres qui s'appliquent à une majorité claire vous paraissent suffisants?

Me Gil Rémillard: Je dois tout d'abord vous dire que c'est la question la plus discutés. C'est probablement ce que vous ont dit toutes les personnes qui sont venues témoigner ici.

Strictement sur la base du droit, 50 p. 100 plus un signifie la majorité. Ce que la Cour suprême nous dit, c'est qu'il faut voir aussi la majorité sous son aspect qualitatif.

Il faut à ce moment-là comprendre la notion de majorité dans toute sa signification. En fait, 50 p. 100 plus une personne, cela veut dire que 50 p. 100 moins une personne ont voté contre. Vous me suivez? Cela veut dire que la marge est mince. Ce n'est pas pour rien que, dans notre régime parlementaire et selon la Loi référendaire au Québec, le référendum est consultatif; c'est-à-dire que le résultat d'un référendum n'oblige pas un gouvernement à agir en fonction de la réponse qu'il a reçue de la population.

Le référendum est probablement le moyen le plus démocratique de connaître l'opinion du peuple sur une question donnée, dans la mesure où la question est claire, bien entendu. Mais il est laissé à la discrétion du gouvernement qui reçoit le résultat de ce référendum d'évaluer si cette majorité, 50 p. 100 plus un, est suffisante, peu importe le sujet dont on discuté. Le gouvernement doit à ce moment-là prendre ses décisions.

On peut imaginer assez facilement le contexte dans lequel se ferait une indépendance après un résultat très serré. C'est le gouvernement québécois qui aurait à décider s'il procède quand même et de quelle façon il veut procéder.

Le gouvernement a pour rôle de respecter la légalité. Toutefois, comme la Cour suprême le dit si bien dans son avis, il y a la légalité, mais il y a aussi la légitimité. Il faut retrouver la légitimité dans l'action du gouvernement. La légitimité, c'est aussi faire en sorte qu'un gouvernement soit fidèle à son devoir de respecter la paix sociale, ainsi que le bien commun de la société. Il y aura donc un ensemble de facteurs qui feront qu'un gouvernement, face à une majorité, devra l'apprécier.

Maintenant, en ce qui regarde les critères qu'on retrouve à l'alinéa 2(2)c) du projet de loi, j'ai peut-être une question sur la signification de ce c). Je crois que les alinéas de cet article donnent de bons paramètres pour déterminer une majorité claire.

• 1430

Les deux premiers paramètres m'apparaissent très acceptables dans une démocratie. Le troisième pourrait être plus clair, puisqu'il dit:

      c) tous autres facteurs ou circonstances qu'elle estime pertinents.

Ce «qu'elle estime pertinents» pourrait être précisé dans le sens de l'avis de la Cour suprême. C'est un commentaire que je fais: cet alinéa 2(2)c) pourrait être plus précis pour une meilleure compréhension des critères qui doivent nous diriger pour comprendre ce qu'est une majorité claire.

Le président: Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: C'est avec grand plaisir que je retrouve mon ancien professeur de droit constitutionnel.

Vous ne vous en souvenez probablement pas. Cependant, j'ai eu la chance de vous avoir comme professeur à l'automne 1985, alors que vous donniez le dernier cours de votre vie à l'Université Laval à titre de professeur de droit constitutionnel. Vous veniez en effet d'être élu député libéral à l'Assemblée nationale, le 2 décembre 1985.

Je me rappelle que nos cours avaient lieu le lundi soir, de 19 h 30 à 22 h 30. Vous les commenciez par la revue de presse. Vous nous faisiez part de vos états d'âme. Vous nous disiez que, lorsque vous faisiez du porte à porte, vous aviez mangé des cretons maison sur des «biscuits soda». Une campagne électorale vous a fait découvrir les mérites des cretons faits maison.

Je voudrais aussi, professeur Rémillard, excuser l'absence de M. Turp. M. Turp n'est pas retenu à la période de questions. Au Québec, cependant, on a une belle devise: Je me souviens. Je me la rappelle parce que je suivais énormément les débats de la commission parlementaire portant sur les accords du lac Meech. Je me rappelle très bien que M. Turp, jeune professeur de l'Université de Montréal, avait témoigné en compagnie du professeur Jacques-Yvan Morin. Or, vous, de votre chaire de ministre des Affaires intergouvernementales du Québec, vous les aviez qualifiés de maître et d'élève, alors qu'en fait, M. Turp était déjà professeur depuis quatre ans. On a la mémoire longue au Québec, et M. Turp a raison de ne pas vous faire l'honneur de vous interroger.

Ma question porte justement sur cet alinéa 2(2)c):

      c) tous autres facteurs ou circonstances qu'elle estime pertinents.

Je me rappelle que dans vos cours, professeur Rémillard, vous reveniez régulièrement sur les critères objectifs. Vous disiez qu'une loi, pour être applicable, se devait de comporter des critères facilement mesurables, des critères objectifs, par opposition à des critères subjectifs.

Étant donné que vous êtes un témoin convoqué par le gouvernement, on aimerait profiter de vos lumières, de votre expérience et de votre humilité. Pourriez-vous élaborer sur ces «autres facteurs ou circonstances qu'elle estime pertinents» pour éclairer le gouvernement et les sbires du ministre Dion, qui sont ici en arrière? Pourriez-vous nous dire ce qu'on devrait trouver ici comme autres facteurs estimés pertinents?

Me Gil Rémillard: Tout d'abord, ça me fait un grand plaisir de vous retrouver. Je me souviens très bien de vous.

Des voix: Ah, ah!

Une voix: On ne peut pas passer à côté.

Me Gil Rémillard: Je me souviens très bien de vous. Ça me fait plaisir et je vous remercie de votre question.

Ce que l'on peut comprendre, c'est qu'ici, lorsqu'on dit «qu'elle estime pertinents», on se réfère, je crois, à tous ces éléments qui entoureraient normalement le résultat d'un référendum. Il ne s'agit pas d'un référendum pour déterminer les règles de la conduite automobile ou n'importe quel sujet. C'est un référendum sur la sécession du Québec. Vous arrivez avec des résultats et ces résultats doivent être analysés par le gouvernement du Québec, et ensuite par le gouvernement fédéral.

Je ne vois rien dans ce projet de loi qui élimine la notion de 50 p. 100 plus un. Je n'en vois pas. Je n'ai rien vu dans le projet de loi qui dise que 50 p. 100 plus un, ce n'est pas la majorité. Je n'ai jamais vu ça.

• 1435

Ce que je vois, ce sont des critères qui sont objectifs. Ce sont aussi des critères qui font référence à des circonstances, à des situations qui pourraient exister et qui mériteraient qu'on les prenne en considération. Je crois qu'on doit parler en termes de bien commun. On doit parler en termes de légitimité. Et c'est le devoir d'un gouvernement, de la Chambre des communes ou du gouvernement du Québec dans sa juridiction de s'assurer que cette majorité est vraiment significative.

M. Michel Guimond: Hier, monsieur Rémillard, l'ancien chef du Parti libéral du Québec, M. Ryan, a tenu des propos devant nous. Je ne voudrais pas que vous me répondiez seulement que M. Ryan est maître de ses propos; c'est une évidence ou une vérité de La Palice. J'aimerais entendre vos commentaires sur les propos de M. Ryan sur ce projet de loi. D'entrée de jeu, M. Ryan a dit: «Je suis un Québécois fédéraliste». M. Ryan n'a pas la réputation d'être particulièrement près des gens du Parti québécois ou du Bloc québécois. Il a utilisé des mots assez lourds de sens. Entre autres, et je pense que c'est dans La Presse d'aujourd'hui, M. Ryan parle d'un régime de tutelle. M. Ryan a mentionné aussi que, selon lui, Ottawa considérait la démocratie au Québec comme une démocratie de type médiéval. Quand on connaît la maîtrise que M. Ryan a des mots, on sait que ce sont des mots qui ont été pesés.

Monsieur Rémillard, vous avez été un acteur important au Québec. Vous étiez un conseiller important du premier ministre Bourassa, de 1985 jusqu'à 1989. Vous auriez pu la signer, la fameuse Constitution, le 9 mai 1986, quand vous aviez énoncé les cinq conditions minimales qui auraient pu y faire adhérer le Québec.

J'aimerais vous entendre relativement à ces propos de M. Ryan.

Me Gil Rémillard: Tout d'abord, je dois vous dire que j'ai eu la chance de servir dans un gouvernement, le gouvernement de Robert Bourassa, dont M. Ryan était un membre très important, bien sûr, et que ce dernier a toujours été pour moi une source intellectuelle exceptionnelle. J'ai la plus haute considération pour ses propos.

Je ne sais pas exactement ce qu'il a dit. Je ne sais pas exactement ce qu'il a dit parce que je n'ai pas eu les transcriptions. Je n'ai pas eu le loisir ce matin de lire les journaux que vous me montrez.

M. Michel Guimond: Je vais le lire. Est-ce que je peux le lire?

Me Gil Rémillard: Me permettez-vous un commentaire?

La position de M. Ryan ne me surprend pas, en ce sens que M. Ryan, je crois, était contre la demande d'avis à la Cour suprême du Canada.

Moi, j'étais pour cette demande d'avis. Pour ma part, je me suis basé essentiellement sur ce droit des Québécois et des Québécoises, que je considère fondamental, d'être informés. Je suis conscient qu'il faut protéger les juridictions des institutions, celles de l'Assemblée nationale et du Parlement canadien, mais les institutions sont au service du peuple, et non le peuple au service des institutions. Pour moi, c'est fondamental que la souveraineté se situe au niveau du peuple et que le peuple ait en main toute l'information nécessaire pour prendre une décision. C'est pourquoi j'étais en faveur de ce renvoi à la Cour suprême du Canada.

D'ailleurs, j'ai vu des indépendantistes, même M. Bouchard, et des fédéralistes applaudir à cette opinion de la Cour suprême.

Donc, à partir de là, qu'on puisse dire que ce projet de loi est inacceptable... Il faut le situer dans le contexte. C'est quelqu'un qui n'était pas d'accord pour consulter la Cour suprême. Je respecte cette opinion. Mais pour ma part, je suis essentiellement en faveur qu'un maximum d'information puisse être donné aux gens avant qu'ils votent, surtout sur une question aussi fondamentale. Pour ma part, plus il y a de l'information, plus cette information va permettre aux gens de faire un geste, de voter, de prendre une décision la plus complète et libre possible.

Donc, pour moi, le contexte veut que nous puissions informer la population le plus possible.

• 1440

[Traduction]

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Je vous remercie, monsieur le président.

J'aimerais revenir sur un point qu'a fait valoir M. Rémillard. Il a exprimé un point de vue qui ressemble au point de vue de M. Broadbent, qui a soutenu plus tôt qu'il y a une différence entre un point de vue juridique et un point de vue moral. M. Rémillard a dit qu'il y a une différence entre légitimité et légalité.

On peut imaginer une situation où une majorité de 50 p. 100 plus un rendrait une mesure légale et légitime, mais on peut aussi imaginer une situation où cette même majorité ne rendrait une mesure que légale. Vous ai-je bien compris? Est-ce le jugement qualitatif que la cour demande aux acteurs politiques de porter après le fait? Voilà pourquoi on pourrait estimer dans un cas qu'une majorité de 50 p. 100 plus un est légitime et qu'elle ne l'est pas dans un autre cas. Ai-je bien résumé votre point de vue là-dessus?

M. Gil Rémillard: Vous me posez une question très importante, et aussi très difficile. Il n'est pas facile de répondre à ce genre de questions lorsqu'on parle de légitimité. Pour la première fois en 1981, la Cour suprême du Canada a fait une distinction entre légalité et légitimité. À son avis, la question de la sécession du Québec soulève ces deux notions, qui sont très importantes dans toute société démocratique.

Si le système juridique d'un pays n'est pas légitime, on ne peut pas soutenir qu'il y a respect du principe démocratique.

La question doit respecter la Constitution et la décision de la Cour suprême, mais elle doit également être une source de légitimité. Une fois connus les résultats du référendum, il appartiendra au gouvernement d'analyser ces résultats et de juger de la légitimité et de la légalité de la question.

La légitimité, c'est de veiller au bien commun de la société. Les décisions qu'un gouvernement doit prendre comportent de nombreux aspects.

M. Bill Blaikie: Autrement dit, ce n'est pas seulement au gouvernement canadien ou au gouvernement fédéral qu'il incomberait de juger, après coup, de ce que signifie le résultat d'un référendum et des mesures qu'il convient de prendre par la suite; le gouvernement du Québec doit également porter un jugement qualitatif sur ces résultats. Il ne s'agit que d'un outil de consultation et il faudra ensuite décider de la signification des résultats et des mesures à prendre.

M. Gil Rémillard: Le gouvernement du Québec devra bien sûr analyser les résultats et s'assurer que la majorité qu'il a obtenue au référendum a été suffisamment élevée pour protéger la paix sociale, respecter le bien commun et l'objectif de la démocratie dans la société.

[Français]

Personnellement, je ne sais pas si le gouvernement du Québec aurait procédé à l'indépendance du Québec après les résultats du dernier référendum s'ils avaient été inversés. Est-ce que le gouvernement de M. Parizeau à l'époque aurait fait l'indépendance avec une marge aussi mince? Est-ce que celui de M. Bouchard le ferait? Personnellement, j'en douterais. J'en douterais parce que je connais assez M. Bouchard pour savoir que c'est un grand démocrate. Je sais qu'il analyserait toutes les implications, et il en est ainsi de tous les chefs de gouvernement.

• 1445

Il y a la légalité et il y a la légitimité, et les deux doivent être présents, selon le principe démocratique qu'on applique, dans tous les gestes d'un gouvernement. Imaginez-vous ce que peut signifier pour l'ensemble d'une population de changer d'un régime politique d'une façon aussi catégorique. Un gouvernement doit donc s'assurer que les éléments sont bien en place et qu'il a la légitimité et la légalité pour procéder. Et c'est la responsabilité première du gouvernement du Québec.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Monsieur Rémillard, merci beaucoup d'être ici. C'est un grand honneur pour le comité de vous recevoir.

Nous avons plusieurs problèmes vis-à-vis du projet de loi, par rapport à sa conformité avec l'opinion de la Cour suprême et également par rapport aux deux grands principes du fédéralisme et de la démocratie.

Nous n'avons malheureusement pas le temps, étant donné le carcan qui nous est imposé, de l'étudier en profondeur. Cependant, je vais vous signaler un de nos problèmes, et peut-être deux si nous avons le temps.

Parlons d'abord de la question de la modification constitutionnelle. Le principe fédéraliste et démocratique reconnaît aux partenaires de la Confédération l'initiative des modifications constitutionnelles. La Cour suprême, tout en reconnaissant l'aspect dramatique de la sécession, reconnaît quand même que c'est une modification constitutionnelle. C'est au paragraphe 88, professeur. Donc, lorsque c'est une initiative d'un partenaire de la Confédération, à l'intérieur de ses propres juridictions...

Un des éléments qui nous fatiguent, c'est que le fédéral met son nez dans l'analyse de la question au beau milieu du processus référendaire. Nonobstant le fait que la sécession d'une province est une catastrophe pour un pays, il n'en demeure pas moins, entre vous et moi, que c'est une initiative provinciale qui mérite d'être respectée par le fédéral. Je voudrais avoir vos commentaires là-dessus, professeur Rémillard.

Dans les dernières années, on a modifié la Constitution à quelques reprises. C'étaient des modifications bilatérales et non multilatérales. Entre autres, il y a eu un référendum sur les commissions scolaires religieuses de Terre-Neuve. Pouvez-vous vous imaginer la réaction des Terre-Neuviens, des groupes d'intérêts, si le fédéral avait décidé, en plein processus démocratique, en ne respectant pas la juridiction de ce partenaire de la Confédération, de se mettre le nez dans le processus démocratique en place.

Finalement, ne pensez-vous pas que ce que la cour disait, malheureusement ou heureusement selon le point de vue où on se place, c'est que l'analyse qualitative de la majorité, pour être correcte, doit se faire à la fin d'un processus référendaire, si on veut être capable d'analyser l'ensemble du processus et de juger ce que les gens ont dit?

Je termine là-dessus. C'était très long. Je m'excuse, professeur Rémillard, si je ne vous laisse pas beaucoup de temps. Si la Chambre des communes se prononce à 45 jours d'un vote sur un référendum, disant que la question n'est pas claire, elle enlève la chance aux Québécois de juger par eux-mêmes de la clarté de la question. Elle vient introduire un élément extérieur dans le processus démocratique. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

Me Gil Rémillard: Votre question est très intéressante. Si vous voulez, on va essayer de procéder par étape pour voir comment on peut y répondre. Dans un premier temps, je crois qu'il faut partir du principe que nous savons maintenant, par l'avis de la Cour suprême, que pour accéder à l'indépendance, il faut utiliser la formule d'amendement. On s'entend là-dessus.

Cette formule d'amendement se fait avec l'assentiment des 10 provinces et du gouvernement fédéral. Onze gouvernements sont impliqués. C'est ce qui est mentionné, parce qu'il faut l'unanimité dans un cas comme celui-là. D'accord? Donc, le deuxième principe est qu'il est évident que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer.

M. André Bachand: Je prends l'exemple de Terre-Neuve, parce qu'il y a eu un référendum. Le gouvernement fédéral avait un rôle majeur parce que les provinces n'étaient pas impliquées. C'était seulement une entente bilatérale. Donc, le rôle du fédéral était entier. Le fédéral n'a pas mis son nez dans le processus référendaire terre-neuvien.

• 1450

Me Gil Rémillard: Me permettez-vous simplement de vous dire qu'en 1949, en 1950 ou en 1951, peu importe, et cela jusqu'en 1982, il n'y avait pas de formule d'amendement au Canada? Nous n'avions pas de formule d'amendement. C'était, finalement, le Parlement de Westminster qui recevait ses instructions du gouvernement canadien, mais il n'y avait pas de formule d'amendement. Maintenant, nous avons une formule d'amendement. Donc, sur le plan de la légalité, nous devons suivre ce processus de la légalité, ce qui veut dire que le gouvernement fédéral est impliqué.

Maintenant, ce projet de loi C-20 que nous avons devant nous vient déterminer comment le gouvernement va être impliqué. Il veut pouvoir préciser quand une question est claire.

M. André Bachand: Avant?

Me Gil Rémillard: Il veut pouvoir préciser que la majorité est assez significative. Est-ce qu'il doit le faire avant? Est-ce qu'il doit le faire après? C'est là votre question?

M. André Bachand: La Cour suprême souligne...

Me Gil Rémillard: Mais ce que dit la Cour suprême, c'est qu'on doit respecter la légalité et la légitimité. Mais pensez aussi à ceux qui votent. Pourquoi les Québécois et les Québécoises n'auraient-ils pas le droit de savoir avant d'aller voter et de mettre leur vote dans l'urne quelle perception la Chambre des communes du Canada a de la question? Pourquoi ne pourraient-ils pas savoir cela?

M. André Bachand: Parce qu'au paragraphe 88, la Cour suprême...

Le président: Non, non.

M. André Bachand: J'ai un commentaire de 15 secondes.

Le président: Non, non.

M. André Bachand: La Cour suprême reconnaissait le droit de principe...

Le président: Non, non. À l'ordre! Monsieur Patry, vous avez la parole. Nous avons des règlements ici. Vous aviez cinq minutes et vous avez pris beaucoup plus que cela. Monsieur Patry.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. Merci, monsieur Rémillard de votre visite.

Monsieur Rémillard, j'ai un commentaire sur les propos que vous avez tenus en réponse à la question de mon collègue Blaikie, et aussi deux petites questions.

En tant qu'ancien ministre de la Justice du Québec, vous connaissez très bien la Loi sur la consultation populaire du Québec. Lors de sa présentation à l'Assemblée nationale, le ministre responsable à ce moment-là, M. Robert Burns, déclarait qu'on aurait à juger «du poids moral d'un référendum remporté sur la base d'une volonté populaire exprimée clairement et largement». Tels étaient les mots de M. Burns.

Par ailleurs, tout à l'heure, vous nous avez bien expliqué qu'un référendum au Québec n'était pas exécutoire et que c'était à l'Assemblée nationale d'en apprécier les résultats.

M. Burns du Parti québécois parlait du poids moral d'un référendum, et vous avez répondu à M. Blaikie qu'il y a une grande différence entre la légalité et la légitimité. De tout cela je vous remercie, parce que je pense qu'il était quand même très important d'avoir cette clarification.

J'ai deux petites questions. Premièrement, pourriez-vous nous dire si dans la Loi sur la consultation populaire du Québec, il est écrit que 50 p. 100 plus un des votes validement exprimés confèrent au gouvernement du Québec le mandat de mettre une proposition à exécution?

Deuxièmement, le gouvernement du Québec affirme actuellement que notre projet de loi C-20 empiète sur les pouvoirs de l'Assemblée nationale. En tant qu'ancien député et ministre de l'Assemblée nationale—et vous êtes bien connu pour défendre les intérêts du Québec—, croyez-vous que ce projet de loi C-20 empiète de quelque façon que ce soit sur les pouvoirs de l'Assemblée nationale?

Me Gil Rémillard: En ce qui regarde la Loi référendaire du Québec, si ma mémoire est bonne, on y parle d'une majorité. Cette majorité, en termes juridiques, c'est 50 p. 100 plus un. Maintenant, étant donné que c'est consultatif, comme je l'ai mentionné tout à l'heure dans une réponse à laquelle vous avez fait allusion, il est clair que le gouvernement, quel qu'il soit, qui a procédé à un référendum doit en analyser les résultats et décider s'il veut agir avec les résultats obtenus.

Il y a une obligation morale qui existe, mais il n'y a pas d'obligation légale. C'est le propre d'un gouvernement que d'analyser toutes les circonstances et de prendre sa décision, si vous me permettez l'expression, en son âme et conscience.

Pour ce qui est de votre deuxième question, je considère, pour ma part, que ce projet de loi C-20 ne vient en rien affecter la juridiction du Québec. Le Québec garde toujours sa pleine juridiction concernant la question qu'il veut poser. Pour moi, c'est fondamental. Je ne serais pas ici à défendre ce projet de loi et à vous donner les explications que je viens de vous donner si je n'avais pas cette conviction que ce projet de loi respecte la juridiction du Québec.

• 1455

Ce projet de loi, en quelque sorte, vient encadrer l'action du Parlement canadien. D'une certaine façon, certains pourraient même dire que cela vient limiter les possibilités d'action du Parlement canadien, de la Chambre des communes, en ce sens que nous avons devant nous une loi qui va pouvoir déterminer dans quelles circonstances et en fonction de quels critères le Parlement canadien va agir.

Au préalable, nous nous interrogions quelque peu. On ne savait trop comment tout cela pourrait se passer. Mais regardons bien les choses mises en place et regardons comment on pourrait mettre en application la juridiction exclusive du Québec de mettre au point sa question et la juridiction du gouvernement fédéral reliée au rôle qu'il a à jouer dans tout ce processus référendaire. Pour ma part, je ne vois pas de problème de juridiction. Je vois là un complément qui ne peut que servir à donner encore plus d'information aux Québécois pour qu'ils prennent la décision la plus complète possible.

Le président: Merci, monsieur Rémillard.

Me Gil Rémillard: Je vous en prie.

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Je vais laisser la parole à M. Scott.

Le président: Monsieur Scott.

[Traduction]

L'hon. Andy Scott (Fredericton, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur Rémillard, mon impression générale de ce projet de loi, c'est qu'on y essaie d'une part de prévoir la possibilité d'un résultat positif, bien que malheureux à mon avis, et d'autre part de ne pas influencer ces résultats en donnant une impression d'ingérence, etc. Nous avons écouté les discussions politiques auxquelles le renvoi à la Cour suprême et le dépôt de ce projet de loi ont donné lieu. Parallèlement, nous estimons qu'il est de notre devoir d'assurer la stabilité durant une période très confuse.

Dans quelle mesure, à votre avis, avons-nous assuré cet équilibre. C'est la grande question qui entoure tout ce débat. Certains témoins que nous avons déjà entendus et d'autres que nous entendrons dans le courant de la semaine parlent des responsabilités que nous devons assumer, tandis que d'autres nous disent que nous n'avons pas à intervenir. Nous devons donc trouver un juste milieu. Compte tenu de vos antécédents, je sais que vous avez déjà dû jongler avec ce genre de questions. Comment nous en tirons-nous?

M. Gil Rémillard: Le processus permettant au Québec de se séparer est fort complexe, bien sûr, car comme je puis en témoigner, ce n'est pas facile de modifier la Constitution du Canada. C'est un processus juridique comportant de nombreuses étapes: un gouvernement, la Chambre des communes fédérale ou une assemblée législative provinciale doit d'abord adopter une résolution, puis il faut obtenir au cours des trois années qui suivent un consensus sur l'amendement proposé à la Constitution. On peut imaginer que si une majorité claire répondait oui à une question claire, le processus serait enclenché et qu'il y aurait des négociations avec le Parlement fédéral et les neuf autres provinces.

Ce n'est pas un processus légal facile. La Cour suprême a clairement déclaré qu'il faut respecter ce processus, et cela signifie que toutes les parties en cause doivent agir de bonne foi.

• 1500

C'est un élément très important. Toutes les parties doivent agir de bonne foi. Toutes les parties devront négocier pour établir les conséquences légales de la mesure, sans préjugés et sans perdre de vue les principes de légitimité et de démocratie. Le processus comportera donc diverses étapes, il devra respecter la Constitution et le processus juridique, mais il devra aussi être conforme aux principes de légitimité et de démocratie du Canada. C'est un élément sur lequel nous devrons être pointilleux.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Je veux vous remercier, monsieur Rémillard, de votre présentation. J'ai dégagé deux points forts de votre présentation. D'abord, vous avez le sentiment que le plan politique a très bien traduit ce que le plan juridique, c'est-à-dire la Cour suprême, a dit. Deuxièmement, vous dites que le projet de loi n'affecte en rien la juridiction du Québec, mais qu'il vient au contraire la confirmer. C'est surtout là-dessus que je voudrais m'attarder un petit peu.

Nous avons eu hier la visite de M. Ryan, votre ancien chef. Je pense d'ailleurs que vous avez côtoyé le grand homme en 1985, au même conseil des ministres. M. Ryan a utilisé des termes très clairs: il a vraiment parlé d'un régime de tutelle. Mais il est allé encore plus loin. Il est allé jusqu'à dire, quand on lui a demandé ce qui se passerait au PLQ, à son avis, si jamais il en était le chef, que la moitié du caucus suivrait probablement Ottawa alors que l'autre moitié défendrait le Québec. Il a dit que, pour sa part, il voterait contre ce projet de loi et défendrait le Québec.

Si je vous ai bien compris, vous ne suivriez pas M. Ryan pour défendre la Québec, parce que vous venez de dire que le projet de loi confirme la juridiction du Québec. Ce qu'il veut dire, c'est qu'il confirme la subordination de l'Assemblée nationale à la Chambre des Communes. C'est ce que le projet de loi veut dire, parce que c'est ce qu'il reflète. Le projet de loi dit qu'une fois la question arrêtée et une fois le référendum tenu, nous, les 301 députés d'Ottawa, dont les trois quarts sont de l'extérieur du Québec, allons juger si c'est clair.

De plus, nous allons juger si 50 p. 100 plus un, c'est suffisant. Et même un plus fort pourcentage pourrait ne pas être suffisant pour eux. Mon seulement la Chambre des communes aura-t-elle un rôle à jouer, mais aussi le Sénat, toutes les assemblées législatives des provinces et certains autres groupes.

Donc, vous venez tout simplement nous dire que vous ne suivriez pas M. Ryan et qu'il y aurait probablement un schisme au PLQ. Vous confirmez, quant à moi, que l'Assemblée nationale doit être subordonnée à la Chambre des communes.

Me Gil Rémillard: Tout d'abord, vous me permettrez de répéter que je n'ai pas lu les propos de M. Ryan. Je n'en ai pas eu l'occasion. C'est vrai ce que vous dites que j'ai eu la chance pendant huit ans de servir dans le même conseil des ministres que M. Ryan et donc de profiter de toute la ressource intellectuelle qu'il peut représenter et de l'expérience qu'il a.

En ce qui regarde cette possibilité de voir une interférence du Parlement canadien dans la juridiction de l'Assemblée nationale, pour ma part, je n'en vois aucune. Comme je le mentionnais tout à l'heure, je vois même une confirmation de la juridiction du Québec. La première confirmation que j'y vois, c'est celle du droit à la sécession.

Vous savez qu'avant l'avis de la Cour suprême du Canada, nous n'étions absolument pas certains de la réalité légale et de la légitimité de la sécession, et du processus qu'il fallait suivre. On n'en avait pas d'idée. Mais là, avec de projet de loi qui met en application les principes politiques de l'avis de la Cour suprême, on a au moins la confirmation, au départ, de ce droit des Québécois de décider de se retirer de la fédération canadienne. C'est déjà un point.

Deuxièmement, à parti de là, le Québec décide de faire ses lois et de les appliquer. Il y a la Loi référendaire, qui guide le Québec dans sa démarche référendaire; le Québec fera donc une question en fonction de sa Loi référendaire. Cette question sera celle de l'Assemblée nationale. Elle aura été débattue et acceptée par l'Assemblée nationale.

Maintenant, une autre partie est impliquée, et cette autre partie dit qu'elle aussi veut dire comment elle voit la question. Elle veut le dire parce qu'elle aura éventuellement, si c'est positif, à négocier avec le gouvernement les termes de la sécession.

• 1505

Lisez les deux paramètres qui se trouvent au paragraphe (4) de l'article 1 sur la question. Pouvez-vous être contre ces deux paramètres? Il me semble qu'ils se comprennent fort bien. Ce sont deux paramètres qui nous disent qu'il faut que la question porte sur la souveraineté. Comment peut-on être contre cela?

Pourquoi n'y aurait-il pas cette analyse du Parlement canadien, de la Chambre des communes, qui pourrait être communiquée aux Québécois et aux Québécoises pour qu'ils prennent leur décision de la façon la plus éclairée possible?

Pour ma part, monsieur le président, je pars du principe qu'il faut que l'on puisse donner à ceux qui ont à prendre la décision, c'est-à-dire au peuple lui-même, toute l'information nécessaire pour prendre sa décision.

Je vous avoue, monsieur le président, que je ne comprends pas les réticences qu'on peut avoir sur ce plan. Pour ma part, je vois seulement un processus qui peut être encore plus transparent, qui peut mieux éclairer la population et j'avoue très sincèrement que je n'y vois pas de difficulté.

Le président: Monsieur Rémillard, je vous remercie beaucoup de votre présentation de cet après-midi. Nous avons maintenant employé toutes les 45 minutes allouées pour votre comparution. Je suis certain que vous avez beaucoup aidé le comité dans ses délibérations. Merci.

[Traduction]

Mesdames et messieurs, notre témoin suivant est censé prendre la parole à 15 h 15. Il est déjà arrivé et je me demande si nous pourrions entendre maintenant son témoignage. Il a un avion à prendre. À l'origine, il ne devait témoigner qu'à 15 h 30, mais il est déjà ici et il est prêt. Nous avons 10 minutes. Nous pourrions entendre une partie du discours de M. Guimond pendant 10 minutes, ou nous pourrions attendre à la fin du témoignage de M. Rae, si vous êtes tous d'accord.

Êtes-vous d'accord pour que nous entendions M. Rae?

Monsieur Guimond, est-ce que cela vous irait?

[Français]

M. Michel Guimond: Non.

Le président: Non?

M. Michel Guimond: Non.

Le président: Très bien. Alors, monsieur Guimond, vous avez la parole.

M. Michel Guimond: Merci, monsieur le président.

Je suis heureux de prendre la parole sur le projet...

[Traduction]

M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): J'invoque le Règlement, monsieur le président. Je ne suis pas certain d'avoir bien compris. M. Guimond a-t-il dit qu'il refusait d'entendre le témoin, qui devra partir prendre l'avion—qu'il n'est pas prêt à céder la place à ce témoin?

M. Michel Guimond: Je vous rends la pareille pour le quorum d'hier.

Le président: Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un appel au Règlement. Nous étions supposés l'entendre à 15 h 15; c'est ce que nous ferons.

[Français]

Monsieur Guimond, vous avez la parole.

M. Michel Guimond: Merci, monsieur le président.

Il me fait plaisir d'intervenir encore une fois sur cette motion d'ajournement de la part du gouvernement, que je considère antidémocratique, d'autant plus que mon ancien professeur de droit constitutionnel à l'Université Laval est ici présent. Il sera en mesure d'apprécier qu'à la suite d'un changement de gouvernement à Ottawa, en 1984, le gouvernement du Québec fera, en 1985, des propositions dans le but de mettre fin à la situation politique et constitutionnelle créée par l'adoption unilatérale de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le nouveau premier ministre fédéral, Brian Mulroney, s'était engagé, au cours de la campagne électorale qui devait le porter au pouvoir, à convaincre l'Assemblée nationale du Québec de donner son assentiment à la nouvelle Constitution canadienne avec honneur et enthousiasme. Les mot «honneur» et «enthousiasme», monsieur le président, sont lourds de sens, surtout quand on se rappelle, et tout le monde se le rappelle, le célèbre discours prononcé à Sept-Îles le 6 août 1984.

L'un des principaux éléments du projet d'accord constitutionnel proposé par le Québec était la reconnaissance explicite de l'existence du peuple québécois, une reconnaissance qui devait par ailleurs s'incarner dans un ensemble d'autres modifications constitutionnelles, dont une réforme du partage des compétences entre les ordres de gouvernement. Aucune réponse ne sera donnée par le gouvernement fédéral à ces propositions.

De nouvelles négociations constitutionnelles seront amorcées à la suite de l'avènement d'un nouveau gouvernement à Québec, dirigé par Robert Bourassa—on s'en souvient et le professeur Rémillard l'a souligné tout à l'heure—le 2 décembre 1985.

• 1510

Ce gouvernement s'était fixé comme programme de rétablir la légitimité du cadre constitutionnel canadien en assurant l'adhésion du Québec à la Loi constitutionnelle de 1982. Il avait énoncé à cet égard cinq conditions minimales, à savoir la reconnaissance explicite du Québec comme société distincte, la garantie de pouvoirs accrus en matière d'immigration, la limitation du pouvoir fédéral de dépenser, la reconnaissance au Québec d'un droit de veto sur les modifications constitutionnelles le touchant, et cinquièmement, la participation du Québec à la nomination des juges en provenance du Québec siégeant à la Cour suprême du Canada.

Les conditions minimales présentées par le gouvernement de M. Bourassa mèneront à l'Accord constitutionnel de 1987 qui traduisait les termes d'une entente conclue au lac Meech entre le Québec, le gouvernement fédéral et les neuf autres provinces canadiennes. Malgré cette entente unanime ratifiée à trois reprises entre les 11 gouvernements, l'accord n'a pas recueilli, au terme du délai de rigueur de trois ans prévu dans la procédure de modification constitutionnelle, le consentement du nombre requis d'assemblées législatives provinciales qui aurait permis sa proclamation et son entrée en vigueur.

La population du reste du Canada n'était pas disposée à reconnaître dans la Constitution le concept de société distincte. Le rejet de ce qui constituait pour le peuple québécois un compromis historique de cinq conditions minimales fut ressenti comme la marginalisation de sa spécificité au sein de la fédération canadienne. Il s'ajoutait une preuve de plus de la difficulté majeure pour le Québec d'obtenir, à l'intérieur du cadre fédéral, les leviers jugés indispensables au maintien et au développement de sa spécificité.

Aux yeux du premier ministre Robert Bourassa, c'est tout le processus constitutionnel qui fut ainsi remis en cause. M. Bourassa faisait, dans un message à la population à la suite de l'échec de l'Accord du lac Meech, à Québec, le 23 juin 1990, la déclaration suivante:

    S'il y a une chose qu'on peut conclure de ces négociations, c'est que le processus de révision constitutionnelle existant au Canada est discrédité. Le gouvernement du Québec n'accepte pas de retourner à la table des négociations sur le plan constitutionnel. [...] En outre, c'est la position de mon gouvernement de négocier dorénavant à deux et non à onze, avec le gouvernement canadien qui représente l'ensemble de la population du Canada: négociations bilatérales entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral.

Monsieur le président, c'est le premier ministre fédéraliste Robert Bourassa, chef du Parti libéral du Québec, qui se prononçait de la sorte le 23 juin 1990.

Quant au rejet de la spécificité québécoise par suite de l'échec de l'accord, le premier ministre Bourassa, de son siège à l'Assemblée nationale, lança au reste du Canada le message suivant:

    Le Canada anglais doit comprendre d'une façon très claire que, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, le Québec est, aujourd'hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d'assumer son destin et son développement.

Créée le 4 septembre 1990 sous l'autorité de l'Assemblée nationale du Québec, en vertu d'une loi adoptée à l'unanimité des formations politiques, la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec reçut le mandat d'étudier et d'analyser le statut politique et constitutionnel du Québec.

Ce mandat reposait sur le constat posé par le premier ministre Robert Bourassa, et confirmé par les membres de l'Assemblée nationale, selon lequel le rejet de l'Accord du lac Meech avait remis en cause ce statut et créé la nécessité de le redéfinir. Le caractère extraordinaire de cette commission s'est aussi exprimé à travers sa composition, puisque parmi ses 36 membres nommés par l'Assemblée nationale, 18 n'étaient pas députés à l'Assemblée nationale. Il y avait dans ce groupe deux élus municipaux, trois députés fédéraux du Québec et 13 personnes, dont les deux présidents, provenant de la société civile. Cette commission a donné la priorité à la participation publique lors de ses travaux. Les travaux de la commission l'ont amenée à faire des constats importants sur l'évolution de la relation Québec-Canada à la lumière de l'échec de l'Accord du lac Meech.

• 1515

Le choc des visions, des identités et des objectifs politiques mis en lumière par les réactions à l'accord de 1987 est sérieux et contraignant pour l'avenir. Il n'est pas l'apanage de l'élite politique. L'opposition à l'accord de 1987 a été populaire et s'est étendue à l'ensemble du Canada, le Québec excepté. L'impasse touche ainsi des questions qui concernent les identités nationales, ce par quoi et en vertu de quoi un grand nombre de personnes se définissent et comprennent leur participation et celle des autres à la vie canadienne.

En lien avec ces constats, la commission qu'on a appelée de façon usuelle la commission Bélanger-Campeau formule une interrogation lourde de sens et de conséquences. Après...

Le président: À l'ordre.

Monsieur Guimond, il est maintenant 15 h 15 et nous devons entendre les prochains témoins. Je regrette de vous interrompre, mais que pouvons-nous y faire?

Notre prochain témoin est M. Bob Rae et il témoigne à titre personnel.

[Traduction]

Monsieur Rae, merci d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. C'est un plaisir de vous accueillir. Nous serons heureux d'entendre votre témoignage. Comme vous l'avez sans doute compris, vous disposez de 10 minutes au maximum pour votre exposé, puis les divers membres du comité disposeront de 35 minutes pour vous poser des questions. Je vous laisse la parole.

M. Bob Rae (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur Milliken. Je suis heureux d'avoir l'occasion de témoigner devant votre comité.

[Français]

J'apprécie grandement votre invitation à venir comparaître devant vous.

[Traduction]

Mon exposé sera assez bref, et je l'espère, assez clair. Pour comprendre la logique du projet de loi sur la clarté, un projet de loi que j'appuie, il faut se plonger dans la décision de la Cour suprême sur le renvoi relatif à la sécession. C'est cette décision qui a amené le gouvernement à présenter le projet de loi sur la clarté.

Le gouvernement fédéral a fait preuve de sagesse en décidant qu'il fallait tirer certaines leçons des deux référendums vécus et de l'avis de la Cour suprême sur le renvoi relatif à la sécession. Je ne crois pas que cette mesure est le résultat d'un coup de tête ou d'un désir de vengeance de sa part; il fait preuve de prudence. Meech et Charlottetown ont montré que les changements constitutionnels «en vrac» sont très ardus. Les gouvernements de tout le pays, pas seulement le gouvernement fédéral, ont donc conclu qu'il faut procéder à petits pas mesurés.

La question à savoir comment doit être traitée la sécession dans le cadre constitutionnel a été soumise à la Cour suprême. Là encore, c'était une démarche judicieuse, parce que le premier ministre du Québec de l'époque avait indiqué sans détour que son objectif était bel et bien la sécession. Sa tactique explicite et avouée était d'utiliser un vote pour le oui comme prétexte pour déstabiliser le Canada et pour ensuite déclarer l'indépendance du Québec.

[Français]

L'avis de la cour était pondéré. Prenant soin de tenir compte du caractère fédératif du Canada, de son respect des minorités, de son engagement envers la démocratie et de notre attachement commun au principe même de constitutionnalisme, la cour a statué qu'il n'existe, ni en vertu du droit international ni en vertu de la Constitution canadienne, un droit à la sécession unilatérale.

Le Québec, dit la cour, n'est pas une population opprimée, assiégée ou privée de sa voix démocratique. Le Québec est un partenaire à part entière d'un État fédéral au sein duquel il entretient des liens intimes depuis sa création en 1967.

Cependant, la cour a poursuivi en affirmant que si les Québécois votaient dans une majorité claire en faveur de l'indépendance, en réponse à une question claire, le reste du pays n'aurait d'autre choix que de négocier la relation du Québec avec le reste du Canada.

• 1520

J'étais ici pour écouter le discours de M. Rémillard et je partage totalement son point de vue que cet aspect de la décision de la cour ne doit pas être sous-estimé quant à son importance ou aux possibilités qu'il présente à la population québécoise.

Il faut également souligner le fait que la cour a clairement dit que de telles négociations ne seraient pas faciles. Elles porteraient sur des questions complexes que la cour a abordées assez longuement, soit la monnaie, la citoyenneté, la dette, les frontières et les droits des minorité, dont ceux des Canadiens autochtones vivant au Québec. Il n'y aurait aucune garantie que ces discussions auraient du succès ou qu'elles mèneraient à une entente entre les parties.

Même si le gouvernement du Québec a choisi de se tenir à l'écart de la procédure judiciaire, sa première réaction à l'avis a été de reconnaître les conclusions de la cour au sujet des négociations et de faire comme si aucune autre décision n'avait été rendue. Il semblait qu'on était venu à une conclusion tout à fait canadienne, c'est-à-dire que chacun a vu dans l'avis ce qu'il voulait bien y voir.

[Traduction]

Cet équilibre fragile, si on peut l'appeler ainsi, a éclaté à la conférence de Mont-Tremblant, en octobre. J'ajouterai entre parenthèses que je coprésidais cette conférence. C'est alors que, devant un auditoire d'experts et de praticiens du monde entier, le ministre Facal et le premier ministre Bouchard ont déclaré en autant de mots que l'expérience fédérale avait été un désastre complet pour le Québec, que le gouvernement du Québec déciderait de la question, que les référendums de 1980 et 1995 avaient été très clairs et que, si le Québec le voulait, il ne tiendrait pas compte de l'avis de la Cour suprême.

Le gouvernement fédéral a maintenant déposé un projet de loi pour définir le cadre dans lequel se ferait un éventuel référendum. Il faut souligner que le projet de loi respecte fidèlement l'avis de la Cour suprême. Il faut également souligner qu'il ne réduit en rien les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec. L'Assemblée demeure libre de choisir la question qu'elle veut. À cet égard, ses pouvoirs demeurent absolument les mêmes. Ce que dit le projet de loi, c'est que le reste du Canada peut décider si cette question est claire ou non. Enfin, le projet de loi impose l'obligation au Parlement de rendre une décision à ce sujet. Pour bien comprendre le projet de loi, il est primordial de suivre la logique rigoureuse de la décision unanime de la Cour suprême.

Bien des gens maintiennent qu'insister dans le projet de loi sur le fait qu'une majorité claire est quelque chose de supérieur à 50 p. 100 plus un est antidémocratique. Ils ont tout à fait tort, à mon avis. À ma connaissance, il y a peu de syndicats qui recommanderaient à leurs membres de faire la grève sur la base d'une simple majorité. Certains le font. Je ne connais pas de syndicat dont les actes constitutifs pourraient être modifiés sur un simple vote de 50 p. 100 plus un. Les actes constitutifs des syndicats exigent habituellement une majorité de plus de 55 ou 60 p. 100, parce qu'ils savent qu'une grève nécessite l'appui soutenu des membres.

Nul ne peut sérieusement prétendre que la majorité requise pour détruire un pays et en bâtir un autre ne doit pas être claire et durable. Le Canada ne sera pas maintenu entier par la force: si une majorité claire des Québécois choisissent, à un moment solennel, de quitter la fédération au sein de laquelle ils ont vécu pendant 130 ans, c'est ce qui se produira. Mais il faut comprendre la profondeur de l'engagement des Canadiens à la primauté du droit et reconnaître que s'il y avait des négociations, celles-ci seraient difficiles et fort complexes. Toutes les questions mentionnées par la Cour suprême sont sans contredit sujettes à négociations et sont énoncées clairement dans le projet de loi lui-même.

Mon expérience en politique m'a révélé que peu de questions soulèvent davantage les passions que la question constitutionnelle, pas seulement au Québec, mais à la grandeur du pays. Les émotions sont fortes, et des paroles dures sont dites. Au cours de ma carrière politique, j'ai voté en faveur du rapatriement de la Constitution, en ma qualité de député—et j'ajouterai, à l'intention du député de Broadview—Greenwood, que j'ai été son prédécesseur. J'ai appuyé Meech tout comme j'ai appuyé Charlottetown—et j'ajouterais en toute humilité que j'ai même participé à la rédaction de ce dernier accord. J'ai fait campagne contre les deux référendums du Québec en 1980 et 1995.

• 1525

J'ai appuyé le renvoi à la Cour suprême et j'ai accepté son avis unanime. Si j'étais au Parlement aujourd'hui, je voterais pour le projet de loi proposé par MM. Dion et Chrétien.

Voilà pour mon exposé. Je suis prêt à répondre à vos questions, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Rae.

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Merci d'être venu nous rencontrer, monsieur Rae.

Permettez-moi de profiter de votre expérience de premier ministre. J'aimerais savoir si à votre avis ce projet de loi favorise la consultation des provinces tant sur la question de la clarté que de la majorité. Enfin, s'il y avait malheureusement une décision en faveur de la sécession, comment les provinces pourraient-elles être consultées dans les négociations qui s'ensuivraient?

M. Bob Rae: Je suis satisfait, monsieur, des dispositions de ce projet de loi en ce qui concerne les obligations du Parlement du Canada. Si j'interprète bien la mesure législative, on y dit que le Parlement du Canada a l'obligation d'examiner la question et de faire connaître son opinion dans les 30 jours qui suivent la consultation.

Rien dans cette mesure législative n'empêche une province de réfléchir à la question et d'exprimer publiquement son opinion. S'il y avait un autre référendum, je suppose que toutes les provinces exprimeraient une opinion, entre autres sur la clarté de la question.

Il est bien difficile toutefois de prédire exactement ce qui se produirait si, dans le cadre d'un référendum comportant une question claire, les Québécois se disaient clairement en faveur de la sécession du Québec. Il faut avouer qu'à cette étape, nous serions en terre inconnue. Cela ne s'est jamais fait. La plupart des gens sensés espèrent que nous n'en arriverons jamais là.

Mais si cela se produisait, on peut supposer que toutes les provinces, conformément à leur souveraineté territoriale et à leur participation à la fédération, auraient sans doute des opinions bien précises à exprimer sur la façon dont les négociations devraient être menées et sur les sujets qui devraient être négociés.

Mais pour répondre à votre question, j'estime que les consultations prévues dans le projet de loi sur la clarté sont satisfaisantes et que le projet de loi ne diminue en rien les pouvoirs des provinces.

Le président: Monsieur Jaffer.

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Stratchcona, Réf.): Ma question porte sur la majorité. Je sais qu'à votre avis, une majorité de 50 p. 100 plus un n'est pas suffisante pour modifier la composition du pays. J'estime qu'il serait irresponsable que ce projet de loi ne contienne pas, avant le référendum, une indication quelconque de la majorité qui sera nécessaire. Si l'on ne fixe pas avant le référendum un seuil suffisant, nous pourrions nous retrouver en plein chaos.

Je suis intrigué par ce que vous dites. Quel devrait être le minimum? Comment les parlementaires pourraient-ils aborder cette question de la majorité claire? Quelle serait votre opinion, avant le référendum, avant de laisser les...?

M. Bob Rae: Il faut respecter la logique de la décision de la Cour suprême. Dans cette décision, la cour adopte une position impopulaire mais sage. Dans de telles situations, on essaie toujours de décider ce qui devrait être prévu à l'avance et ce qui devrait être laissé au jugement politique, au fur et à mesure du déroulement des événements.

D'après ce que je comprends du projet de loi sur la clarté, rien n'empêcherait le gouvernement d'agir comme vous le proposez, s'il décidait que, compte tenu des circonstances, ce serait un acte de politique de bon aloi. Le Parlement aurait tort, à l'heure actuelle, de se lier les mains. Ce serait une erreur grave de limiter le Parlement et de mettre en place des règles qui seraient trop explicites. Ce serait déraisonnable, à mon avis. J'estime que le projet de loi sur la clarté explique de façon suffisamment claire la gravité et les conséquences d'un vote.

• 1530

Pour des raisons qui seraient peut-être très longues à comprendre, les Canadiens, à mon avis, n'ont pas consacré suffisamment de temps à réfléchir aux conséquences d'un oui référendaire avant les référendums de 1980 et de 1995. Nous avons préféré fermer les yeux sur cette possibilité et croire que cela ne se produirait pas.

Compte tenu des événements des cinq dernières années, je ne vois pas comment on pourrait éviter de réfléchir à cette possibilité. C'est pour cette raison que la question a été renvoyée devant la Cour suprême, même si certains s'y opposaient. Pour ma part, j'étais tout à fait en faveur de ce renvoi.

Dans sa décision, la cour a établi un équilibre très délicat. La cour aurait pu décider que le Québec ne pourra quitter le Canada parce qu'il n'existe aucune disposition le permettant dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Elle aurait pu tirer cette conclusion. Je suis heureux qu'elle ne l'ait pas fait et qu'elle ait préféré se fonder sur des arguments beaucoup plus subtils et prudents.

La Constitution, ce n'est pas seulement ce qui est écrit. La Constitution se fonde sur une série de postulats profondément enracinés dans notre histoire, dans notre compréhension commune et dans notre patrimoine.

La Cour suprême a établi quatre piliers: le fédéralisme, le constitutionnalisme, la démocratie et le respect des minorités. Elle a fait remarquer, avec grande prudence, que les tribunaux peuvent établir des règles dans certains domaines mais que dans d'autres cas, les décisions doivent se prendre à l'échelon politique.

C'est ce qui se produira, à mon avis, s'il y a un autre référendum. Il n'y en aura peut-être pas, c'est du moins mon espoir. Tout le monde connaît mon opinion à ce sujet. Mais c'est néanmoins une possibilité. S'il y en a un, la mesure législative devrait-elle dès maintenant établir une règle détaillée à ce sujet? Non, je ne le crois pas, car il est difficile d'en juger.

La cour ne s'est pas prononcée sur un certain nombre de sujets. C'est le cas par exemple du degré exact de participation de la population autochtone du Québec. Elle ne s'est pas non plus prononcée sur la façon de régler la question des droits des minorités. Elle n'a pas non plus établi s'il serait nécessaire que tous les éléments de la population du Québec expriment majoritairement leurs voeux de sécession. La cour est muette sur tous ces sujets.

Il est très sage que la mesure législative, je ne dis pas: reste muette, mais n'entre pas dans les détails de ces questions, car je ne crois pas que nous les connaissions.

[Français]

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: D'abord, j'aimerais vous dire le plaisir que nous avons à vous avoir ici, monsieur Rae. Notre dernière rencontre remonte à quelques mois, au Mont-Tremblant. C'était un peu moins plaisant à cette époque-là, parce qu'on nous avait reproché de critiquer le fédéralisme dans une conférence sur le fédéralisme au Québec, tenue dans une circonscription représentée par un député du Bloc. Certains prétendent, et c'est d'ailleurs une des thèses de M. Lisée, que cette frustration aurait conduit au dépôt du projet de loi C-20 et que c'est la raison pour laquelle nous sommes ici, parce que nous avions fait le procès du fédéralisme au Mont-Tremblant.

Mais j'ai eu le temps de relire il y a quelques instants votre ouvrage que j'avais eu le plaisir de...

M. Bob Rae: L'avez-vous acheté?

M. Daniel Turp: Non, je ne l'ai pas acheté; je l'ai emprunté à la Bibliothèque du Parlement.

M. Bob Rae: Ah, c'est dommage, parce que j'espérais que...

M. Daniel Turp: Vous avez sans doute vendu assez d'exemplaires, monsieur Rae, de ce livre The Three Questions: Prosperity and the Public Good.

Je voudrais juste vous en citer un extrait parce que je trouve intéressant qu'il ait été écrit par un néo-démocrate et un démocrate:

[Traduction]

    Quels que soient les résultats d'un éventuel référendum au Québec, il faut tenir compte de certaines réalités. Il est toujours possible d'améliorer les relations politiques, mais un régime de monnaie commune et le partage de valeurs exigeront clairement la coordination et la réciprocité, comme c'est si clairement le cas en Europe.

[Français]

J'espère que lorsque nous aurons fait le choix de la souveraineté au Québec, vous maintiendrez que ces principes devraient prévaloir dans nos négociations.

Je cite un autre extrait de ce livre au sujet d'une des questions du rabbin Hillel:

[Traduction]

    «Mais que suis-je si je n'existe que pour moi-même?», pour revenir à la deuxième question du rabbin.

[Français]

Et c'est ici que vous dites:

[Traduction]

    La découverte du principe fédéral par le Canada, un principe vers lequel nous avons dû évoluer, est issue du simple fait qu'aucun d'entre nous n'est entièrement souverain.

[Français]

Ce passage est intéressant puisqu'à mon avis, il reflète très bien ce qu'est le principe fédéral. Dans ce sens-là, moi, je ne peux pas m'empêcher de vous rapporter les propos qu'a exprimés hier M. Ryan, avec qui vous avez travaillé, qui a un...

M. Bob Rae: C'est un homme pour lequel j'ai beaucoup de respect et beaucoup d'affection.

M. Daniel Turp: Eh bien, l'homme pour lequel vous avez beaucoup de respect et d'affection est venu ici hier parler du projet de loi C-20 et il a dit ceci:

    En ce qui touche l'exigence de clarté relative à la question référendaire, l'article 1 du projet de loi m'apparaît contraire au principe fédéral.

Je le répète: «contraire au principe fédéral.» Alors que dites-vous de l'opinion de M. Ryan, qui soutient que l'article premier est contraire au principe fédéral?

• 1535

[Traduction]

M. Bob Rae: Comme je vous l'ai dit en français, j'ai le plus grand respect pour M. Ryan—ça fait 20 ans, que je le connais depuis le début de ma carrière politique, j'ai beaucoup d'admiration et d'amitié pour lui, et c'est toujours un bon ami—, mais je ne suis pas d'accord avec lui là-dessus. Je suis profondément en désaccord avec cette déclaration.

La Cour suprême a elle-même déclaré dans son opinion, au paragraphe 27, et je cite:

    Le cadre juridique ayant été clarifié, il appartiendra à la population du Québec de décider, par le processus politique, de chercher ou non à réaliser la sécession.

La cour poursuit en disant:

    Comme nous le verrons, le cadre juridique concerne les droits et les obligations tant des Canadiens qui vivent à l'extérieur de la province de Québec que de ceux qui vivent au Québec.

La cour a tout à fait raison de déclarer, comme je l'ai fait dans mon livre—et je suis heureux que l'ayez cité—que la «souveraineté» n'est pas un concept absolu. C'est ce qui a entraîné la naissance du principe fédéral, dans notre histoire. Le fédéralisme a vu le jour parce que les gens comprenaient que la souveraineté a ses limites. Les populations de divers pays ont opté pour le modèle fédéral parce qu'elles estimaient que fonder une nation-État sur les seuls principes de l'ethnie, de la religion ou de la langue ne permettait pas de composer avec ces réalités.

Comme je l'ai dit dans mes observations, j'estime que l'opinion de la Cour suprême et le projet de loi respectent tous les deux parfaitement le principe fédéral puisqu'on y dit que les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec ne sont aucunement limités; ils ne sont pas modifiés.

M. Rémillard en a dit autant, et je suis entièrement d'accord avec lui. Vous ne trouverez aucune disposition ou citation indiquant que le pouvoir de l'Assemblée nationale dans ces domaines est limité. Rien n'est interdit, rien n'est écarté. Tout ce qu'on dit à l'Assemblée nationale, c'est qu'elle peut décider ce qu'elle veut et qu'ensuite, le reste du Canada... Comme l'a dit la Cour suprême, le cadre juridique concerne les droits et obligations des Canadiens qui vivent à l'extérieur de la province de Québec.

[Français]

M. Daniel Turp: Je vous ramène... Non, non, laissez-moi terminer. Ça ne fait pas cinq minutes.

Le président: Oui, ça fait déjà cinq minutes.

[Traduction]

Monsieur Blaikie.

[Français]

M. Daniel Turp: Je vais revenir tout à l'heure.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président.

Monsieur le président, je dirai tout d'abord que c'est pour moi une occasion spéciale que d'entendre le témoignage de mon ancien leader et de celui qui m'a précédé à mon siège. Je suis très heureux de l'accueillir et d'entendre son opinion.

Vous avez parlé de Charlottetown. Je ne sais pas si c'est à cela que vous faisiez renvoi quand vous avez parlé de cicatrices. L'une des grandes réalisations de Charlottetown a certes été de faire participer les leaders autochtones aux négociations. Ovide Mercredi était l'un des négociateurs. Il me semble que le présent projet de loi constitue toutefois un recul par rapport à ce qui a été réalisé à Charlottetown, puisque dans la liste des acteurs politiques que devrait consulter le gouvernement fédéral, les peuples autochtones ne sont pas mentionnés.

L'un des éléments que j'aimerais modifier dans ce projet de loi avant qu'il retourne à la Chambre des communes permettrait de revenir à la situation de Charlottetown, c'est-à-dire permettrait aux peuples autochtones de participer de nouveau aux négociations.

Vous dites, au sujet du projet de loi, qu'on y insiste sur une majorité claire de plus de 50 p. 100 plus un. Je ne suis pas certain que ce soit bien l'effet du projet de loi, car de nombreux témoins nous ont dit que le projet de loi pourrait être interprété de plusieurs façons. Un jugement qualitatif a posteriori pourrait révéler que 50 p. 100 plus un n'est pas suffisant, que cela ne confère pas suffisamment de légitimité, mais le même jugement pourrait indiquer, dans d'autres circonstances, qu'une majorité de 50 p. 100 plus un est suffisante. Je ne suis pas donc pas certain...

M. Bob Rae: C'est un bon argument. Ce que je disais, en réponse aux questions de M. Jaffer, c'est que le mot «circonstance» est un bien grand mot et que nous devons être circonspects dans nos jugements sur les événements, au lieu d'établir des formules mathématiques rigides qui ne tiennent pas compte des circonstances.

Il faut que le Parlement et les Canadiens se gardent suffisamment de marge de manoeuvre lorsqu'ils examineront les conséquences de tout cela. Il est important d'éviter les formules. La cour a évité ce piège. Elle aurait peut-être pu établir des formules.

• 1540

L'autre problème—et je crois que c'est un des aspects du projet de loi lui-même—c'est que le projet de loi sur la clarté s'aligne de très près sur l'opinion de la Cour suprême. Vous avez parlé des peuples autochtones. C'est une question à laquelle le comité et le Parlement devraient certes réfléchir. Le problème vient en partie de ce que la Cour suprême n'a pas fait un examen très approfondi des mémoires qui lui ont été présentés par les représentants des peuples autochtones au sujet du renvoi.

L'une des règles générales, c'est que la cour ne rend pas de décision sur ce qui ne lui a pas été demandé. On lui a posé trois questions. Et elle a répondu à deux d'entre elles et déclaré qu'elle n'avait pas à répondre à la troisième, puisqu'elle avait répondu non aux deux premières.

M. Bill Blaikie: Là-dessus, on ne peut écrire un livre qu'intitulé Two Questions.

M. Bob Rae: En effet.

Des voix: Oh, oh!

M. Bob Rae: Les réponses se trouvent dans le prochain livre.

Il importe également de retenir que la cour n'a pas déclaré que tel ou tel groupe de la population a un droit de veto ou doit être officiellement représenté. Là encore, il s'agit d'une décision politique qui incombe à un gouvernement.

Le fait est que les gouvernements ou les parlements ont toute liberté d'en décider. Il serait étonnant que le Parlement ne comprenne pas, le moment venu, qu'il est absolument essentiel d'écouter soigneusement ce qu'ont à dire les peuples autochtones, en cas de référendum ou de vote majoritaire, selon le cas. Pour ma part, je serais intéressé à connaître les amendements qui seraient proposés.

Il faut également savoir qu'au dernier article du projet de loi, on mentionne expressément que les intérêts des peuples autochtones doivent être pris en compte dans toutes les propositions qu'un ministre peut présenter au Parlement.

Le président: Vous pouvez poser une autre petite question, monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Un peu plus tôt aujourd'hui, M. Lisée a dit qu'une des difficultés, c'est qu'il fallait imposer la procédure de modification à tout projet de sécession du Québec—même si c'est ce qu'a fait la cour. Compte tenu des problèmes que vous avez connus, comme nous tous, lorsqu'il s'agit d'obtenir l'unanimité, en supposant que la procédure de modification qui s'applique soit celle qui exige l'unanimité, comment peut-on répondre à l'accusation qui a été faite à deux reprises, c'est-à-dire que la procédure de modification elle-même constitue un obstacle impossible à surmonter—c'est-à-dire qu'il faudrait que toutes les provinces consentent à la sécession pour que celle-ci puisse avoir lieu.

M. Bob Rae: La loi constitutionnelle est un élément fondamental de la Constitution du Canada. La cour a aussi dit, et à très juste titre, me semble-t-il, que la sécession d'une province est une modification très importante de la Constitution. C'est absolument certain. C'est le moins qu'on puisse dire.

La Constitution contient une procédure de modification et nous devons tous l'accepter telle qu'elle est. C'est une des réalités que nous devons accepter.

Démanteler une fédération telle que le Canada n'est pas chose facile. C'est très, très difficile à faire. Ça doit l'être. Ce que dit la cour, c'est que ce n'est pas impossible. La cour a dit que puisque nous vivons dans un pays qui respecte la démocratie, qui respecte la primauté du droit, la réalité d'un vote positif au Québec exigerait une négociation sérieuse entre les parties dans le but d'en arriver à une conclusion.

Je crois que nous savons tous qu'il y un point où la politique... Il ne s'agit pas de choisir entre la politique et la loi; lorsqu'il s'agit de la Constitution, de l'avenir du pays, ces choses doivent toujours s'équilibrer. Dans un sens, la Constitution reflète ces valeurs politiques.

Je ne pense pas que quiconque d'entre nous, en tant que Canadiens, prenne la position qu'a prise Abraham Lincoln au sujet de questions tout à fait différentes il y a 140 ans, lorsqu'il a dit au nom de beaucoup de monde qu'en aucune circonstance son pays ne pourrait être démantelé. Je ne connais pas un parti politique qui ait pris une telle position. Nous reconnaissons tous que s'il y a une majorité claire sur une question claire, cela devrait être respecté. Mais nous devons aussi reconnaître que démanteler un pays tel que le Canada serait un exercice qui soulèverait les passions, qui serait très pénible et coûterait très cher tout en étant très difficile à réaliser.

Je ne sais pas comment on pourrait s'embarquer dans un tel projet sans en reconnaître la difficulté.

Le président: Monsieur Bachand.

• 1545

[Français]

M. André Bachand: Bonjour, monsieur Rae. Je reconnais que c'est effectivement très important. C'est tellement important que plusieurs personnes critiquent le projet de loi parce qu'elles jugent qu'il ne va pas assez loin. Vous soulevez le fait qu'il y aurait tellement de points d'interrogation après un vote en faveur de l'indépendance du Québec qu'il est illusoire d'essayer de prévoir clairement ce qui adviendrait.

Vous nous disiez que la cour avait été prudente en n'allant pas trop loin. Une personne me rappelait justement ce midi ce que contiennent les notes des témoignages et plaidoiries devant la Cour suprême. Je me me souviens que lorsque la Cour suprême commençait à aller un petit peu plus loin, oups, le procureur du gouvernement la mettait en garde et lui rappelait qu'on lui avait posé trois questions auxquelles elle devrait s'en tenir. Malgré tout, la cour est allée quand même un peu plus loin. Elle disait qu'on lui avait posé trois questions, dont deux qui sont justifiées. Je me rappelais justement ce midi qu'Antonio Lamer avait demandé au procureur fédéral quelle était la définition de peuple canadien. Le procureur lui avait répondu qu'il devait aller dîner et qu'il reviendrait par la suite. Le juge Lamer lui avait dit de ne pas aller à la Bibliothèque du Parlement ou ailleurs parce qu'il n'y avait pas de réponse à cette question. C'est l'une des choses dont on se souvient.

Un élément important, c'est la formule d'amendement de la Constitution après un vote référendaire positif. Vous avez traité de cette question et c'est pourquoi je me permets de poser la question suivante. Bien que cette notion ne figure pas dans le projet de loi, vous nous parlez de l'unanimité des provinces. Cette notion aurait pu s'y retrouver et elle aurait peut-être été souhaitable. Vous dites que tel est le cas. Quel est le rôle des Québécois qui sont présents à la Chambre des communes? Quel serait le rôle du Québec dans cette modification constitutionnelle après un vote positif?

M. Bob Rae: Laissez-moi d'abord clarifier les propos que j'ai tenus et préciser ma pensée. Je crois que selon la cour, face à un vote positif sur une question claire, appuyé d'une majorité claire de la population du Québec, le reste du Canada, y compris le Parlement du Canada et les autres partenaires, dont les provinces, auraient l'obligation de participer à une négociation dans le cadre de laquelle on discuterait de l'avenir possible et du sort possible du Québec et du reste du Canada.

Comme l'indiquait la cour, ces négociations seraient difficiles. Il va sans dire que le gouvernement du Québec et la population québécoise seraient directement engagés dans ces négociations et discussions.

Est-ce qu'on peut garantir le résultat de ces négociations? Je crois que non, comme l'indiquait la cour. La cour a dit clairement qu'on ne pouvait pas prédire le sort de ces négociations. Cela est impossible.

M. André Bachand: Je vous parlais plus précisément du rôle des différents intervenants. Plusieurs personnes soulèvent le fait qu'on a un premier ministre du Québec, un ministre des Affaires intergouvernementales du Québec et un ministre des Finances du Québec. Lorsque viendra le temps de négocier, quel sera le pouvoir accordé aux 75 députés du Québec ici, à Ottawa?

[Traduction]

M. Bob Rae: C'est simplement ce qu'a dit la cour, monsieur Bachand. Les paragraphes 90, 91 et 92 de la décision de la cour indiquent très clairement que la cour n'accepte pas l'idée qu'une province, la province de Québec, puisse simplement invoquer le droit à l'autodétermination pour dicter aux autres parties les conditions d'une éventuelle sécession. Ce ne serait pas une négociation.

La cour déclare d'autre part qu'il y a deux positions absolutistes qu'il faut rejeter. L'une est qu'il y ait un droit absolu à la sécession prévu simplement par le principe démocratique et que celui-ci n'est pas limité. La cour rejette cette proposition. Ce n'est pas la loi du Canada.

• 1550

La cour dit d'autre part que les autres provinces et autres parties sont tenues d'engager des négociations de bonne foi. Ce qui découlerait de cela relève du royaume de la politique et, très franchement, d'un royaume un peu inconnu. Nous ne savons pas précisément ce qui en découlerait.

Ce que nous savons c'est que la cour dit que tout devrait être négocié et c'est ce que nous avons dans le projet de loi sur la clarté. C'est clairement indiqué dans le projet de loi sur la clarté: tout serait à négocier. Mais du point de vue technique, pour qu'une province quitte la fédération, cela exige une spécification très importante de la Constitution canadienne et nous devons nous conduire dans le respect de cette constitution. C'est l'obligation que nous avons en tant que Canadiens.

[Français]

M. André Bachand: Monsieur le président, est-ce qu'il me reste encore un petit peu de temps?

Le président: Je dois maintenant accorder la parole à M. Scott.

M. André Bachand: Le témoin ne semble pas avoir bien compris ma question.

[Traduction]

Le président: Monsieur Scott.

L'hon. Andy Scott: Merci beaucoup, monsieur le président.

Bienvenue, monsieur Rae.

Je suis content que vous ayez fait allusion au référendum de 1995 parce que je pense qu'il faut en discuter. Si les résultats étaient tellement serrés, c'est en grande partie à cause de ce que nous avons appris depuis. Je crois que vous avez dit que nous ne voulions pas croire ces résultats. Je dirais aussi que peut-être nous ne voulions rien faire qui puisse influer sur les résultats avant 1995. Cela explique pourquoi ce projet de loi est déposé maintenant et j'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.

Vous avez aussi dit que l'opinion de la Cour suprême avait profondément changé l'atmosphère au pays. Je pense que cela témoigne de la stabilité du pays si l'on pense à l'ampleur de ces décisions. Vous avez dit qu'il était nécessaire de parvenir à un équilibre et que vous pensez que la Cour suprême y est parvenu. Vous conviendrez aussi certainement qu'au plan politique, il était extrêmement nécessaire aussi de parvenir à un équilibre. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'équilibre que nous avons obtenu.

Sur le fond de la question, toutefois, un des facteurs de la décision qualitative que devrait prendre un gouvernement est la durabilité. Personne n'en a tellement parlé. J'y ai fait allusion ici à quelques reprises à propos de la durée d'expression de la volonté politique. Vous l'avez mentionnée dans deux ou trois articles que vous avez écrits à ce sujet. J'aimerais aussi que vous développiez votre pensée sur ce point.

M. Bob Rae: Un référendum est une façon parmi d'autres d'évaluer l'opinion d'un peuple sur un sujet. Ce n'est pas la seule. Il y a les élections. Il y a d'autres façons d'évaluer le point de vue d'un peuple.

N'oublions pas, monsieur Scott—et vous connaissez l'histoire, la cour y fait d'ailleurs allusion dans son jugement—qu'en 1868, une majorité anticonfédération a été élue à l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse et a immédiatement envoyé une pétition à Londres parce que c'est là qu'elle pensait que cela devait aller. L'Assemblée a demandé d'être autorisée à quitter la fédération parce que, de son point de vue, le gouvernement conservateur de M. Tupper avait mal négocié les choses. L'Office des colonies a répondu: «Pas question. L'affaire est conclue. On a fait trop d'accommodements et il y a trop de choses en jeu. Vous ne pouvez quitter la Confédération.» L'année suivante ou très vite après, M. Howe se retrouvait parmi les principaux membres du Conseil des ministres de sir John A. Macdonald.

Mon expérience politique me porte à croire que le sentiment anticonfédération n'a pas entièrement disparu en Nouvelle-Écosse. Néanmoins, il n'a pas duré assez longtemps pour sortir la province de la fédération.

C'est une question très délicate. C'est une des choses auxquelles fait allusion le projet de loi sur la clarté et c'est l'une des raisons pour lesquelles ont doit être absolument certain de ce que l'on fait. On ne détruit pas un pays par caprice. On ne détruit pas un pays en posant une question particulièrement habile pour en poser peut-être une autre très habile aussi trois ou quatre mois plus tard. Ce n'est pas un jeu. Ce n'est pas une plaisanterie. Ce n'est pas un piège.

Ce que dit la cour, c'est que s'il y a une expression profonde de volonté politique soutenue qui pousse une province à dire: «Nous voulons former notre propre pays. Nous ne voulons plus faire partie du Canada. Nous voulons notre pays à nous et être indépendant du Canada», c'est quelque chose que le reste du pays devra prendre très au sérieux et respecter suffisamment pour entreprendre de sérieuses négociations et pourparlers sur ce qui doit suivre.

• 1555

Je veux simplement insister là-dessus. Est-ce deux sur trois ou trois sur cinq ou quatre sur sept? À quel moment peut-on dire qu'il ne s'agit pas d'un jeu, qu'il ne s'agit pas d'une attrape? Qu'il s'agit de comprendre une opinion sérieuse et soutenue sur le point de vue d'une population au sujet de sa citoyenneté, du pays auquel elle veut appartenir et de la façon dont elle veut vivre en tant que société civile.

Je ne pense pas que ce soit une question de formules ou d'attrapes mathématiques. Je ne crois pas que ce soit la façon dont on procède. On fait cela progressivement. En disant que si cela se produit et s'il y a une majorité claire et une question claire, on devra prendre acte de cette volonté. Certes, le fait que cette majorité soit durable ou non jouera beaucoup sur l'éventualité que les négociations produisent des résultats.

Voici un exemple et je ne pense pas qu'il soit trop simpliste. Si un syndicat obtient 50 p. 100 plus une des voix sur un vote de grève et décide d'aller en grève, combien y aura-t-il de grévistes? Combien y en aura-t-il qui resteront en grève? Combien de temps feront-ils la grève? Il y a une raison à ce que cela ne se fasse pas: ce n'est pas tenable. Il faut une majorité durable pour faire quelque chose de permanent.

Démanteler un pays, c'est une décision assez permanente, s'il en est, mais pas face aux millénaires de l'histoire. Nous sommes tous très temporaires. Notre temps sur terre est très temporaire. Mais quand il s'agit de quelque chose d'aussi important que la société civile que nous appelons le Canada, ça ne se démantèle pas d'un coup sec.

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Pour votre gouverne, monsieur Rae, des porte-parole de la FTQ nous ont dit hier qu'ils avaient obtenu des mandats de grève sur la base de 50 p. 100 plus un, qu'ils avaient fait quatre mois de grève et que des revendications avaient été satisfaites. Alors, je pense que des choses comme ça se produisent. Ils nous ont dit qu'ils préféraient avoir des mandats plus larges, bien entendu, comme c'est le cas des souverainistes.

Je voudrais revenir sur le principe fédéral tout simplement afin de faire constater à nos amis, ceux qui nous écoutent, que deux fédéralistes convaincus, comme vous et comme M. Ryan, des fédéralistes au Québec comme M. Charest ainsi que d'autres Québécois comme le premier ministre, M. Facal, Mario Dumont et les membres de la société civile, sont d'accord sur l'interprétation selon laquelle ce projet de loi est une violation du principe fédéral.

M. Ryan ajoutait au sujet de l'article qui porte sur les critères, le mandat de négocier et le partenariat:

    Le projet de loi indique entre autres certains critères, y compris deux en particulier dont devrait s'inspirer le Parlement pour formuler son jugement sur la clarté de la question. En écrivant ces critères dans une loi, le Parlement et le gouvernement fédéral s'ingéreraient, à tout le moins indirectement, dans la rédaction même de la question. Il s'agit là non plus d'un véritable fédéralisme mais d'un régime de tutelle.

Ce sont les paroles d'un fédéraliste, un fédéraliste avec lequel vous n'êtes pas d'accord. Ceci nous permet de constater encore une fois les vues très irréconciliables qu'ont les fédéralistes eux-mêmes de la façon dont le principe fédéral s'applique au Canada.

Cela étant dit, ma question est la suivante. Est-ce que vous ne constatez pas, monsieur Rae, que ce projet de loi C-20 ne fait l'objet d'aucun consensus au Québec, qu'il y a même une très large opposition au Québec, et que vous venez exprimer votre accord ici sur un projet de loi qui fait l'objet d'une large opposition au Québec, comme faisait l'objet d'une large opposition au Québec l'accord de l'Union sociale et comme la Constitution de 1982 a fait l'objet d'une opposition, qui fait en sorte qu'elle n'a pas toujours pas été acceptée au Québec par ses gouvernements? Est-ce qu'il n'y a pas là un problème fondamental? Est-ce que le projet de loi C-20 s'ajoute à un certain nombre de mesures qui ne sont pas acceptées par le Québec, mais qui lui seront imposées?

M. Bob Rae: Je ne suis pas d'accord. D'abord, comme je vous l'ai dit, et j'ai d'ailleurs écrit souvent sur cette question, il y a différentes façons d'être fédéraliste. Le fédéralisme n'est pas une idéologie, mais plutôt une façon d'agir et de voir le monde. M. Ryan est un bon Canadien, un bon fédéraliste et un bon Québécois. Ce sont des choses qui sont, à mes yeux, fondamentales. Je crois qu'il a tort au sujet de la question de ce que représente la loi sur la clarté parce qu'il sous-estime la réalité que l'Assemblée nationale est libre, complètement libre, de présenter n'importe quelle question à la population du Québec.

• 1600

Ce qu'on veut établir dans le projet de loi, à la suite du jugement de la Cour suprême, du point de vue juridique, ce sont les conditions dans lesquelles le Parlement du Canada sera obligé de négocier la question de l'avenir constitutionnel du Canada et du Québec face à la question de la sécession. On ne parle pas ici de la réforme de la Constitution ni des réformes dont on discute depuis très longtemps dans le domaine de la fédération canadienne et dont on va continuer à discuter avec les gouvernements qui veulent discuter d'une vraie réforme constitutionnelle positive du Canada. Le gouvernement du Québec n'est pas intéressé à discuter de la vraie réforme de la Constitution canadienne. Voilà le problème que nous avons.

Mais il faut souligner le fait que cet projet de loi ne vise pas la juridiction de l'Assemblée nationale. On lit dans les journaux et on entend une propagande selon laquelle ce projet de loi est une invasion de la juridiction de la province de Québec, une invasion de la juridiction de l'Assemblée nationale. Cela est faux, absolument faux. Tout ce que fait le projet de loi, c'est donner clairement le droit, et même l'obligation, au Parlement du Canada de répondre à une décision de l'Assemblée nationale, ce qui est chose différente. Il est clair—je le répète encore une fois—que cela signifie, comme l'indiquait la Cour suprême, que le cadre juridique de notre Constitution touche les droits et les obligations des Canadiens qui vivent en dehors de la province de Québec autant que ceux des personnes qui vivent dans la province de Québec.

La question de la sécession du Québec n'est pas une question qui intéresse seulement aux Québécois. C'est une question qui touche la vie, la condition économique et politique, et la citoyenneté de tous les Canadiens. On ne peut pas continuer à maintenir la notion bizarre que le reste du Canada et le Parlement du Canada n'ont aucunement le droit d'avoir une opinion sur ce que propose l'Assemblée nationale ou le gouvernement du Québec. C'est cette notion qu'on rejette, à mon avis.

Le président: Non, non, monsieur Turp. C'est maintenant le tour de M. Alcock.

Monsieur Alcock, vous avez la parole.

[Traduction]

M. Reg Alcock: Merci beaucoup, monsieur le président.

Je suis assez fasciné par cette dernière réponse.

Monsieur Rae, vous étiez coprésident du Forum des fédérations, qui, si je ne m'abuse, fut l'un des plus grands rassemblements des spécialistes du fédéralisme au monde. Nous nous laissons embourbés dans notre propre pays, à essayer de savoir comment régler tel ou tel problème très difficile. Pourriez-vous nous donner une idée des leçons que le Canada pourrait tirer de l'expérience d'autres fédérations?

M. Bob Rae: Ce qui a été pour moi le résultat le plus profond de cette conférence et des deux ans de préparation qui l'ont précédée fut le sentiment croissant dans le monde entier—le président Clinton en a parlé dans son excellent discours à la fin de la conférence—qu'à l'aube du XXIe siècle, l'idée fédérale semble revenir en force. Le Brésil et le Mexique, pays qui pendant des années étaient soit des dictatures militaires soit des régimes à un seul parti, commencent à s'ouvrir. Nous avons des partis d'opposition qui dirigent des gouvernements. Il y a un renouvellement du fédéralisme fiscal.

Ce processus de décentralisation, de régionalisation est mondial. Les gouvernements locaux et régionaux deviennent plus importants. Parallèlement, on comprend l'importance de la coordination, les limites de la souveraineté, les limites de l'État-nation et les limites d'un groupe ethnique ou d'un élément particulier d'un pays se considérant comme le plus important.

Puisque que M. Turp a fait allusion à mon livre, je peux dire que j'en parle beaucoup dans ce livre. La relation entre l'intérêt personnel et l'intérêt commun est un dialogue perpétuel. Le fédéralisme répond réellement à ce besoin—au besoin d'avoir une unité de gouvernement qui réponde à ses propres besoins et à son expression particulière. Nous avons découvert ce principe. La cour en parle avec beaucoup d'éloquence.

• 1605

Nous voyons dans le monde entier beaucoup d'intérêt pour l'idée fédérale, non seulement en ce qui concerne l'État-nation qui commence à se transformer, mais également quand on considère les relations entre les États-nations, comme en Europe. Nous voyons dans toutes les régions du monde se développer un plus grand degré de coordination et de dialogue régional.

Le fédéralisme est donc une idée qui monte et c'est pourquoi ce que nous voyons ici est tellement triste. Le commentaire qui m'a été fait le plus fréquemment par les délégués étrangers à cette conférence était qu'ils ne comprenaient vraiment pas pourquoi le Canada, dont le fédéralisme est beaucoup plus représentatif des problèmes qu'on essaie de résoudre dans d'autres pays, qu'il s'agisse de rassembler des régions, des groupes linguistiques et des différences culturelles, en ayant reconnu l'importance de la dualité, l'importance d'identités multiples et tout ce que nous vivons quotidiennement au Canada... C'est le genre de questions que d'autres peuples voudraient que le Canada les aide à régler, que ce soit Chypre ou l'Irlande ou l'Inde et le Pakistan ou ce que l'on voit actuellement en Russie.

La question du fédéralisme est tout à fait d'actualité. C'est la raison pour laquelle, dans une perspective internationale, la notion que le Canada se détournerait en quelque sorte de l'énorme richesse et profondeur et force de l'expérience fédérale est tout à fait incompréhensible.

Mais ce que dit le projet de loi sur la clarté, et ce que dit la Cour suprême, c'est que si c'est ce qui est proposé, nous devons le prendre au sérieux. Si c'est ce que l'on suggère sérieusement, voici certaines des choses auxquelles il faut soigneusement réfléchir afin que notre pays sache comment nous gérerions la chose, non pas du point de vue étroitement juridique, mais du point de vue constitutionnel. Comment nous y prendrions-nous dans cette situation extrêmement difficile?

J'ose dire, dans cette salle—et je regarde l'image de nos ancêtres qui ont dû prendre ces décisions—qu'ils ont dû aussi réfléchir à ces questions et qu'ils ont choisi le modèle fédéral.

[Français]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Rae.

[Traduction]

Nous vous remercions beaucoup d'avoir pris le temps de comparaître devant nous. Nous vous remercions de votre aide. Je sais que vous devez prendre un avion et nous allons donc vous libérer, merci encore.

• 1608




• 1616

[Français]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. Nous sommes prêts à reprendre nos travaux.

[Traduction]

Notre témoin suivant, cet après-midi, est M. Peter Hogg, professeur à la Faculté de droit de la Osgoode Hall Law School.

Bienvenue devant le comité, monsieur Hogg. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir et nous nous réjouissons de vous entendre. Comme vous avez pu le constater, vous avez 10 minutes pour votre exposé, et nous aurons ensuite 35 minutes pour les questions des députés. Vous avez la parole, allez-y.

M. Peter Hogg (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Peter Hogg et je suis doyen de la Faculté de droit de la Osgoode Hall Law School de l'université York. Je suis professeur à cette faculté depuis 30 ans et ma spécialité est le droit constitutionnel.

J'ai un texte mais il est uniquement en anglais et il me faudrait 50 minutes pour le lire. En tout cas, si cela vous intéresse, je peux vous remettre un texte.

L'objet de mon propos est de vous convaincre que le projet de loi sur la clarté est conforme au droit constitutionnel canadien et en particulier à la décision de la Cour suprême du Canada au sujet de la sécession. Je prétends aussi qu'il est sage pour le Parlement du Canada, représentant tout le Canada, de prévoir certaines règles à l'avance dans l'éventualité d'un référendum futur sur la souveraineté au Québec.

Comme le sait tout le monde ici, dans sa décision sur la sécession, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'un référendum au Québec sur une question claire qui se soldait par une majorité claire en faveur de la sécession entraînerait une obligation réciproque de la part des autres parties à la Confédération, et notamment du gouvernement fédéral, à négocier des changements constitutionnels dans le sens du référendum.

La cour a déclaré à deux occasions, d'abord au paragraphe 100 p. 100 puis au paragraphe 153, qu'elle ne jouerait pas de rôle de supervision sur les aspects politiques des négociations constitutionnelles. Et elle a dit que même la question de savoir s'il existe une majorité claire sur une question claire devait faire l'objet d'une évaluation politique et non pas d'une évaluation judiciaire. Elle l'a dit par deux fois. La cour a donc clairement laissé à ce qu'elle appelle d'acteurs politiques la question de savoir si les conditions de négociation—à savoir, une question claire et une majorité claire—ont été remplies.

Certes, ces acteurs politiques incluent le gouvernement et le Parlement canadiens qui auraient à décider s'ils devraient entreprendre des négociations de sécession. À mon avis, et comme vous l'ont déjà dit d'autres témoins, le gouvernement canadien enfreindrait à la Constitution s'il se lançait dans des négociations visant à démanteler le pays sans s'être d'abord convaincu que les électeurs du Québec ont clairement exprimé un désir de sécession du Canada.

• 1620

Je considère donc que le projet de loi C-20 essaie de prévoir à l'avance certaines règles visant le genre de question et le genre de majorité qui seraient considérées comme suffisamment claires pour entamer des négociations. Il est à mon avis sage de procéder ainsi.

Pour ce qui est d'une question claire, l'exemple du référendum de 1995 prouve qu'il est nécessaire d'avoir à l'avance certaines règles. Ce référendum n'était en effet pas clair pour au moins deux raisons.

D'une part parce qu'il envisageait spécifiquement la possibilité d'un nouveau partenariat économique et politique entre un Québec souverain et le Canada. Quand on voit la façon dont ce partenariat devait être structuré aux termes des dispositions du projet de loi 1, cela aurait entraîné la création d'un ordre de gouvernement au-delà du Parlement fédéral et cela aurait donné aux députés du Québec un droit de veto sur beaucoup de politiques canadiennes importantes. Il est donc facile de comprendre que le Canada n'aurait jamais accepté une telle structure. Mais ce que les dirigeants du camp du oui déclaraient durant le référendum, c'était que le Canada bluffait et qu'il fallait supposer que quelque chose de cette nature serait en effet négocié.

D'autre part, la deuxième raison pour laquelle la question de 1995 ne me semblait pas claire, c'est que le projet de loi 1, qui exposait les conditions dans lesquelles serait créé un État souverain au lendemain d'un vote affirmatif, stipulait spécifiquement que le Québec conserverait ses frontières existantes; que les citoyens du Québec seraient en même temps citoyens canadiens—autrement dit, que le Canada accepterait la présence de sept millions de citoyens hors frontières, jouissant chacun des droits constitutionnels conférés aux citoyens par la Constitution; et que la devise du Québec resterait le dollar canadien. Il me semble qu'aucune de ces questions ne relève exclusivement d'un Québec souverain et que, de toute évidence, il était très peu probable qu'elles soient réglées ainsi.

J'en conclus donc que beaucoup de ceux qui ont voté oui au référendum de 1995 n'ont probablement pas voté pour la création d'un État séparé ayant les attributs normaux d'un État distinct—à savoir un État ayant sa propre citoyenneté, sa propre devise et des relations normales avec ses voisins—mais votaient plutôt pour quelque chose de très improbable.

Si, par exemple, des négociations avaient mené à des résultats tout à fait différents de ceux qu'envisageait le projet de loi 1, il n'était pas prévu de deuxième référendum. Au contraire, le plan était de poursuivre le projet de sécession. Certes, dans une telle situation, la sécession se poursuivrait contrairement au voeu d'une majorité de la population.

Le projet de loi C-20 empêcherait qu'une telle situation ne se reproduise et protégerait en fait la population du Québec contre une sécession qui ne correspondrait pas vraiment à ses désirs.

Pour ce qui est de la majorité claire, la deuxième question, ce que je disais avant le renvoi à la Cour suprême et que j'ai écrit dans un article, c'est que bien que ce serait une bonne idée d'insister sur une majorité spéciale pour une décision aussi irréversible et importante que la sécession, je ne voyais pas de principe de droit que l'on pourrait invoquer pour insister sur une majorité spéciale et c'est pourquoi j'estimais qu'il fallait accepter comme règle constitutionnelle 50 p. 100 plus une des voix.

• 1625

Ce qui a changé depuis que j'écrivais cela en 1997, c'est que la Cour suprême du Canada dans sa décision, a déclaré qu'il fallait, et je cite, «une majorité claire». Malheureusement, j'ai cherché, comme probablement tout le monde ici, une définition de «majorité claire» et tout ce que dit la cour, c'est: «Dans ce contexte, majorité «claire» représente une évaluation qualitative». C'est au paragraphe 87—évaluation qualitative. À mon avis, ce n'est pas du tout clair.

Toutefois, ce que je crois que voulait dire la cour, c'est qu'elle ne pensait pas qu'une majorité spéciale définie, par exemple 66 p. 100, était nécessaire mais qu'il faudrait évaluer les résultats pour déterminer s'ils donnaient une base stable pour créer un nouveau pays. Je dois dire que je suis tout à fait d'accord avec ce que M. Rémillard et M. Rae ont dit quand je les écoutais de derrière tout à l'heure. Il me semble que ce qui préoccupait la Cour suprême du Canada, c'était qu'une marge très étroite, 50 p. 100 plus un, pouvait changer d'une semaine à l'autre et que ce serait ainsi une base précaire pour bâtir un nouveau pays.

Une autre possibilité est un vote qui se solderait par une majorité étroite mais serait accompagné de preuves d'irrégularités dans le scrutin. Ce serait là aussi une base précaire pour fonder un nouveau pays. En effet, comme l'a dit M. Rémillard, j'imagine que le gouvernement québécois ne voudrait pas poursuivre son projet dans l'une ou l'autre de ces situations.

Je crois que c'est ce à quoi pensait la Cour suprême du Canada et je pense qu'il est approprié, comme le fait le projet de loi C-20, de laisser examiner ces questions à la Chambre des communes après un vote affirmatif sur une question claire. C'est pourquoi j'épouse finalement ce point de vue. En fait, je ne vois pas d'autre solution à la lumière de ce qu'a déclaré la Cour suprême du Canada.

Enfin, sur les questions à négocier, je pense qu'il est tout à fait normal que le projet de loi C-20 énumère dans la liste des questions à négocier la répartition de l'actif et du passif, toute modification des frontières de la province, les droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada et la protection des droits des minorités. Ce sont toutes des questions qui ont été mentionnées par la Cour suprême du Canada dans sa décision. Certes, il y aurait beaucoup d'autres questions à négocier, en particulier la citoyenneté et la monnaie. Comme je le disais tout à l'heure, je ne crois pas qu'une question soit claire si elle suppose que les résultats de ces négociations laisseraient les Québécois exactement sur le même territoire, avec tous les avantages de la citoyenneté canadienne et de la monnaie canadienne.

Monsieur le président, cela conclut mon exposé.

Le président: Merci beaucoup, monsieur.

Nous allons commencer par M. Blaikie.

M. Grant Hill: Par courtoisie pour M. Blaikie.

M. Bill Blaikie: Je remercie mes collègues du Parti réformiste. Je dois partir à une réunion du Bureau de régie interne et je voulais poser simplement une question ou deux au Pr Hogg.

Vous avez parlé d'un article que vous avez écrit. Je me demandais si c'était ce que vous y avez écrit sous le titre «Principes gouvernant la sécession du Québec», ou s'il s'agit d'un autre article mais j'ai sous les yeux l'extrait suivant: «Cette obligation fiduciaires»—s'agissant de l'obligation fiduciaire envers les peuples autochtones—«bénéficie d'une porrection constitutionnelle stipulée à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. À mon avis, cela ne peut être retiré ni transféré à un nouvel État sans le consentement des peuples autochtones envers qui cette obligation s'exerce.»

Il me semble que cela devrait être précisé dans le projet de loi sur la clarté qui, me semble-t-il, dans son libellé actuel, présente certaines insuffisances.

D'une part, à la fin, le dernier paragraphe du projet de loi mentionne une modification constitutionnelle portant sécession et ne parle que de traiter «les droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada». Il n'est pas question d'inclure les peuples autochtones à la table de négociation et il n'est pas question non plus du fait qu'ils ne pourraient être transférés à un nouvel État sans leur consentement.

• 1630

Il me semble donc qu'il y a là un problème et je me demandais si vous pourriez nous suggérer une façon de modifier ce libellé.

L'autre article dresse la liste des acteurs politiques, dont parle la cour, que le gouvernement est censé consulter pour déterminer si, tout d'abord, la question est claire et, après, si la majorité est claire. Font partie de la liste le Parlement du Canada, les assemblées législatives provinciales, tous les partis représentés à l'assemblée de la province recherchant la sécession et les territoires, mais il n'est pas question des chefs des groupes autochtones, ni sur le plan national ni dans la province poursuivant cette idée de sécession.

Une des choses que j'ai suggérées au comité et que j'espère que l'on pourra obtenir, c'est un amendement qui ajouterait au moins les Autochtones à la liste des acteurs politiques qui doivent être consultés dans l'évaluation de la clarté de la question et de la majorité, et de faire ensuite quelque chose au dernier paragraphe pour reconnaître qu'ils ont le droit de participer aux négociations.

Je serais satisfait si on prévoyait quelque chose qui va dans le sens de ce que vous dites, à savoir que les peuples autochtones ne peuvent être transférés à un nouvel État sans consentement préalable, et à tout le moins reconnaître qu'ils ont le droit d'être assis à la table des négociations.

M. Peter Hogg: Monsieur Blaikie, je suis tout à fait d'accord avec vous. J'ai été déçu de voir que les questions posées à la Cour suprême du Canada ne comprenaient pas une question sur la position des Autochtones du Québec.

J'ai ensuite été déçu de voir que la cour n'a pas accédé à la demande de certains intervenants qui l'invitaient à se prononcer sur la position des Autochtones du Québec, quoique le jugement aborde la nécessité de tenir compte des intérêts des Autochtones.

En outre, j'ai été déçu de voir que le projet de loi ne dit pas explicitement que les Autochtones sont au nombre des acteurs, bien que le paragraphe 3(1) prévoie des négociations «auxquelles participeraient les gouvernements de l'ensemble des provinces et du Canada», ce qui permet d'envisager la participation d'autres acteurs. Évidemment, comme vous le faites remarquer, au paragraphe 3(2) on parle des «droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada».

C'est pourquoi je suis heureux de l'amendement que vous proposez d'apporter au projet de loi. Si le projet de loi était rédigé convenablement, il garantirait aux peuples autochtones une présence à la table des négociations. Je crois qu'un tel amendement améliorerait le projet de loi.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Blaikie.

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Étant donné que j'ai renoncé au temps qui m'est alloué, je pense que nous allons permuter.

Le président: Ah bon, vous allez permuter. Très bien.

Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Merci, cher collègue, à vous qui êtes un constitutionnaliste qu'on respecte beaucoup et dont on utilise les ouvrages quand des questions de loi constitutionnelle sont soulevées ici, dans l'enceinte parlementaire.

J'aimerais aborder avec vous la question du processus d'amendement constitutionnel. Je crois que vous avez été l'un des partisans de l'application de la formule générale d'amendement, lorsqu'il s'agit de la sécession. On sait que, dans la doctrine, il y a division sur cette question. Certains prétendent que c'est la formule de l'unanimité qui s'appliquerait; d'autres, comme vous et notre collègue le professeur Woehrling, disent qu'il s'agit de la formule générale d'amendement, le 7-50.

Selon vous, le paragraphe (1) de l'article 3 de ce projet de loi C-20 opte pour quelle formule d'amendement?

[Traduction]

M. Peter Hogg: Monsieur Turp, je m'excuse mais je vais vous répondre en anglais. J'ai honte de l'avouer, mais mon français est déplorable.

Il me semble que le paragraphe 3(1) reste muet quant au mode de révision, car même si le mode de révision général était le bon, comme nous le croyons M. Woehrling et moi-même—c'est-à-dire la formule 7-50 par opposition à la formule de l'unanimité—, les négociations devraient quand même faire intervenir les gouvernements de toutes les provinces, et ce, même si au bout du compte l'accord des 10 gouvernements n'est pas nécessaire. Mais il est difficile de décider à l'avance que certaines provinces ne seront pas présentes à la table des négociations.

• 1635

Je trouve donc que le paragraphe 3(1) reste muet sur la question du bon mode de révision. Je présume qu'on peut l'interpréter comme privilégiant la formule de l'unanimité, car il prévoit la participation de toutes les provinces. Cela dit, étant donné qu'il ne renvoie qu'aux négociations, je crois qu'il laisse entrevoir la possibilité que la formule 7-50 serait peut-être la bonne.

[Français]

M. Daniel Turp: Monsieur le professeur Hogg, cela ouvrirait la voie à une formule d'amendement qui n'est pas dans l'actuelle Loi constitutionnelle de 1982 et à laquelle fait allusion la cour dans son avis.

[Traduction]

M. Peter Hogg: Je ne comprends pas votre question.

[Français]

M. Daniel Turp: Il y a la formule générale d'amendement et il y a la formule de l'unanimité. Dans son avis, la cour laisse entendre qu'il pourrait y avoir d'autres formules que celles contenues dans la Loi constitutionnelle qui s'appliqueraient. Est-ce que l'article 3 peut viser de nouvelles formules?

[Traduction]

M. Peter Hogg: Selon moi, la décision de la Cour suprême ne laisse pas envisager d'autres modes de révision. Je ne crois pas que l'article 3 puisse être interprété de cette façon, car il me semble la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 est un code exhaustif des procédures de modification. Je ne vois pas comment on pourrait concevoir une procédure qui ne soit pas prévue dans la partie V de la loi.

[Français]

M. Daniel Turp: Est-ce que ce paragraphe 3(1) de la loi n'est pas l'équivalent d'un amendement constitutionnel?

[Traduction]

M. Peter Hogg: Je ne pense pas que l'article 3 correspond à une révision constitutionnelle. Dans un premier temps, il ne fait qu'énoncer la décision de la Cour suprême du Canada qui précise qu'il n'existe aucun droit d'effectuer unilatéralement la sécession. Il énonce donc ce qui est prévu par une loi existante, conformément à l'avis de la Cour suprême du Canada.

Dans un deuxième temps, il stipule qu'une modification constitutionnelle n'est possible qu'à l'issue de négociations auxquelles participeraient notamment les gouvernements de l'ensemble des provinces, c'est dire que les négociations précéderaient toute modification en vertu de la partie V, ce qui exigerait la participation des différentes assemblées législatives—peut-être sept d'entre elles, peut-être 10.

[Français]

M. Daniel Turp: Une dernière question, monsieur le président. On fait du droit constitutionnel. On profite de la présence de M. Hogg.

Est-ce qu'il ne s'agit pas là d'une interprétation unilatérale de l'avis de la Cour suprême dans une loi fédérale? Est-ce que le Parlement du Canada a le droit de faire des interprétations unilatérales de la Constitution et de légiférer sur telles interprétations unilatérales?

[Traduction]

M. Peter Hogg: Non, le Parlement du Canada n'a pas le pouvoir d'interpréter la Constitution, ni de voter des modifications constitutionnelles unilatéralement. Cela dit, ce n'est pas ce que prévoit l'article 3. Évidemment, si on avait tort de penser que la Constitution du Canada ne permet pas la sécession d'une province de façon unilatérale, un tel énoncé erroné serait alors inconséquent. Or cet article est manifestement conforme au jugement de la Cour suprême sur la sécession.

Comme je l'ai dit, les renvois aux négociations sont des renvois qui n'ajoutent rien de nouveau, notamment pour ce qui est de les entamer avant d'apporter une modification constitutionnelle.

• 1640

Le président: Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Merci, et je remercie M. Hogg d'être venu témoigner.

En écoutant les témoins, ce qui m'a frappé le plus c'est le nombre de personnes qui sont venues nous exprimer leurs points de vue et nous dire qu'il convenait tout à fait de tirer au clair tous les aspects de la sécession. Or, Il n'en était guère questions lorsque je suis arrivé au Parlement en 1993.

Dans vos écrits, avez-vous déjà exprimé ce point de vue avant ce projet de loi dont nous sommes saisis?

M. Peter Hogg: Mon livre sur la loi constitutionnelle a été publié en 1977, soit avant la Loi constitutionnelle de 1982, qui a établi le mode de révision. De nouvelles éditions ont paru depuis. Toutes les éditions, y compris celle de 1977, comprennent une partie sur la sécession, où je soutiens qu'une sécession unilatérale n'est pas possible en vertu de la Constitution et que toute sécession exige une modification constitutionnelle.

Je ne m'attendais certainement pas à toutes les nuances qui ont été apportées par la suite, ces propositions audacieuses découlant de l'avis de la Cour suprême du Canada. Je n'ai pas prévu non plus qu'à la suite d'un vote clair sur une question claire, le gouvernement du Canada aurait une obligation constitutionnelle de négocier la sécession. Je n'ai rien prévu de tout cela, bien que tout me semble logique maintenant que j'ai lu la décision de la Cour suprême du Canada.

M. Grant Hill: Étant donné que vous avez fait toutes ces propositions il y a déjà longtemps, je serais curieux de savoir pourquoi on n'y a pas accordé plus d'attention. Je l'ai dit et je le répète, cette position n'a pas été bien exprimée, ni dans les médias ni dans les milieux politiques. En fait, quand les politiques parlaient des réalités de la sécession, on les accusait de jeter de la poudre au feu.

Les choses ont bien changé maintenant. Avez-vous une idée de ce qui a provoqué tous ces changements?

M. Peter Hogg: Au fond, il s'agit là d'une question politique, et la réponse est probablement celle à laquelle vous avez fait allusion. Les politiques à l'extérieur du Québec craignaient que le fait même de parler d'une éventuelle sécession puisse en faire une réalité. Peut-être est-ce là la réponse à votre question.

Les universitaires se sont toujours penchés sur la question, et de façon assez conséquente, y compris au Québec, en soutenant qu'une sécession exigerait une quelconque modification constitutionnelle.

M. Grant Hill: Très bien. Pour ce qui est de la question de la majorité, croyez-vous que le fait de ne pas avoir défini la majorité soit la solution la plus judicieuse?

M. Peter Hogg: Je crois que c'est la solution la plus sage à la lumière de l'avis de la Cour suprême du Canada. J'ai été surpris de voir à quel point les juges ont été vagues quant à la question de la majorité. Ils nous ont mis dans une situation telle que nous devons rester vagues au sujet de la majorité, mais ils ont néanmoins apporté une précision, à savoir qu'une majorité préétablie, 66 p. 100 par exemple, ne serait pas justifiée en vertu de la Constitution. Du moins, c'est ce que l'on peut conclure de la décision de la Cour suprême du Canada.

M. Grant Hill: Est-ce que vous tirez des conclusions de l'affirmation selon laquelle cela devrait incomber aux acteurs politiques? Pour ma part, je crois que le risque serait moins grand si on établissait un minimum avant le référendum. Pensez-vous qu'il faut vraiment attendre après le référendum?

M. Peter Hogg: Il est plus prudent de fixer le minimum avant le référendum. Mais je ne pense pas que la Constitution le permette. Voilà pourquoi je pense qu'il vaut mieux s'en tenir au jugement de la Cour et le faire après le référendum.

Je conviens qu'il ne s'agit pas d'une situation très satisfaisante, mais ce que M. Rémillard a dit me rassure dans la mesure où le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada ont tous deux intérêt à ce qu'un nouvel État repose sur des bases stables. Peut-être que cela ne sera pas aussi difficile que ce que nous craignons.

• 1645

M. Grant Hill: Je vous remercie. Votre réponse m'éclaire beaucoup.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Hier, j'ai rencontré par hasard le ministre des Affaires intergouvernementales, avant un vote, puis...

M. Daniel Turp: Québécois ou fédéral?

M. André Bachand: Fédéral, Daniel.

Une voix: Ce n'est pas un hasard.

M. André Bachand: Le ministre me demandait si ma pensée évoluait. Cela étant dit, c'est de bonne guerre. Mais le ministre me disait qu'il y avait de bons témoins qui comparaissaient devant ce comité et qu'il y en avait deux que je devais écouter attentivement: le professeur Morissette et vous, professeur Hogg. Je dois dire qu'après votre présentation, pour une fois, je suis tout à fait d'accord avec le ministre des Affaires intergouvernementales; vous êtes un témoin de très grande qualité.

Je me rends compte aussi qu'autant le professeur Morissette que vous ne rejetez pas le 50 p. 100 plus un comme base d'un référendum sur la sécession. Au contraire, vous dites que c'est une base. Toutefois, sera-t-elle capable de se maintenir avec le temps si la majorité n'est que d'un vote?

Je suis content que les deux professeurs que le ministre me recommandait d'écouter soient d'accord sur des choses similaires.

Vous avez parlé du professeur Rémillard. J'ai posé une question au professeur Rémillard qui, malheureusement, selon moi en tout cas, ne m'a pas répondu. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Au paragraphe 88 de l'opinion de la Cour suprême, on parle de fédéralisme, du principe du fédéralisme et du principe démocratique. On y dit aussi qu'un partenaire de la Confédération peut initier une modification constitutionnelle. Somme toute, la sécession, selon les juges de la Cour suprême, est une modification constitutionnelle extrêmement importante, tragique même, mais quand même une modification constitutionnelle.

Je posais deux questions à M. Rémillard. Où retrouve-t-on, dans l'opinion des juges de la Cour suprême, l'autorisation ou la justification qu'un acteur politique—le gouvernement fédéral dans le cas du projet de loi C-20—intervienne à l'intérieur d'une initiative d'un partenaire de la Confédération, par une action juridique et politique? Finalement, à partir d'un projet de loi, on prend une décision politique. Où trouve-t-on cette justification?

Je demandais aussi au professeur Rémillard s'il ne s'agissait pas d'un précédent un peu dangereux, même si la loi concerne uniquement la sécession, que le fédéral se donne le pouvoir d'intervenir en plein processus pour juger d'une question, alors même que la population de la province qui va être appelée à se prononcer sur la sécession n'a pas eu le temps, elle, de qualifier la question qui va lui être présentée officiellement dans les semaines qui vont suivre.

J'aimerais avoir votre opinion là-dessus, s'il vous plaît.

[Traduction]

M. Peter Hogg: Je vous remercie beaucoup, monsieur Bachand.

L'un de mes collègues, M. Monahan, et deux autres chercheurs ont étudié les constitutions de 89 États. Je ne suis pas sûr s'il s'agit tous d'États fédéraux. Bon nombre de ces États interdise totalement la sécession. La constitution de certains de ces États ne dit mot à ce sujet tout comme la Constitution canadienne. Une douzaine d'États permettent la sécession.

Dans tous les cas, la formulation de la question et le déroulement du vote ne sont pas laissés à la partie du pays qui réclame la sécession. Soit le gouvernement central, soit une commission indépendante est chargé de s'en occuper. Cela tient compte du fait que le principe du fédéralisme exige que les parties du pays qui ne réclament pas la sécession doivent participer au règlement de cette question.

• 1650

Le rôle que le projet de loi C-20 attribue au Parlement fédéral me semble approprié. Le projet de loi ne va pas jusqu'à dire que le Parlement fédéral doit formuler la question ou qu'il doit l'approuver. Le projet de loi dit simplement que la province sécessionniste peut poser la question qui lui semble bonne mais que des négociations ne seront possibles que si nous sommes convaincus que la question posée est claire. Je pense que le parlement d'une fédération peut agir de la sorte.

[Français]

M. André Bachand: Professeur, le parrain du projet de loi, c'est le ministre, mais le père du projet de loi c'est peut-être l'opinion de la Cour suprême.

J'aimerais que vous m'éclairiez. Où retrouve-t-on ce droit? Effectivement, comme vous le disiez, la sécession ne fait pas partie directement de nos règles juridiques. Mais cela étant dit, la cour—il faut un peu interpréter, et j'en conviens, professeur—semble situer le rôle des acteurs politiques de juger de la question et de la majorité après le processus, pour s'assurer—je le pense car ce n'est pas dit dans l'avis—qu'on n'intervienne pas pour obscurcir le débat référendaire. Peut-être est-ce aussi pour s'assurer que les parlementaires, les acteurs politiques aient le temps et tous les éléments nécessaires pour en juger. Autrement, cela pourrait causer un préjudice à la volonté démocratique à la juridiction du partenaire de la Confédération dans l'exercice de ce droit d'initier une modification constitutionnelle qui lui est reconnu par la Cour suprême.

J'essaie de voir, à l'intérieur de l'avis, sur quoi on peut s'appuyer pour justifier l'article 1, qui est très long d'ailleurs. Il n'y a quand même que trois articles dans le projet de loi, le premier étant probablement le plus important.

[Traduction]

M. Peter Hogg: Si, comme la Cour le dit, la loi exige que la question posée soit claire, je crois qu'on peut interpréter cela de trois façons.

On pourrait d'abord dire qu'il appartient à la Cour d'établir si la question posée est claire. Ce serait une approche possible. La Cour suprême du Canada a cependant explicitement rejeté cette approche en disant qu'elle ne se prononcerait pas sur la clarté de la question.

Une deuxième possibilité—et j'en déduis que c'est celle que vous préférez—serait de laisser à l'Assemblée nationale du Québec le soin de décider si la question est claire ou non et de tenir ensuite un référendum sur cette question. La Cour a également rejeté cette formule en insistant sur le rôle des acteurs politiques, c'est-à-dire sur le rôle des autres gouvernements au sein du Canada.

La Chambre des communes manquerait à son devoir si elle n'établissait pas elle-même si une question lui semble suffisamment claire pour servir de base à des négociations. Je vous rappelle que le Parlement du Canada ne peut pas à la légère permettre le démembrement d'un pays qui a élu les députés qui y siègent. Par conséquent, il ressort implicitement du jugement de la Cour que le Parlement du Canada doit jouer un rôle pour ce qui est d'établir si la question posée est claire ou non.

[Français]

M. André Bachand: Monsieur le président, cinq secondes, s'il vous plaît.

Le président: Non, non, monsieur, vous avez eu neuf minutes déjà.

[Traduction]

M. André Bachand: Je comprends.

[Français]

Le président: Monsieur Cotler.

[Traduction]

M. Irwin Cotler: Je voudrais renchérir sur ce qu'a dit M. Bachand au sujet de l'excellent témoignage de M. Hogg. J'ai enseigné avec lui à l'École de droit Osgoode Hall, et je me permets de dire que ses recherches et ses travaux sur les questions constitutionnelles font de lui une sommité dans ce domaine au pays. Je partage l'avis de mon collègue là-dessus.

• 1655

J'ai deux questions à poser. Ces questions seront brèves mais peut-être qu'elles exigeront des réponses assez longues.

Le thème qui ressort du témoignage des indépendantistes qui ont comparu devant le comité est que ce projet de loi ne respecte pas les principes démocratiques et qu'il bafoue le droit du Québec à l'autodétermination. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

[Français]

Un député: Bonne question.

[Traduction]

M. Peter Hogg: À mon avis, monsieur Cotler, une mesure aussi grave que la sécession d'une province ne devrait pouvoir être prise que si elle reflète clairement la volonté exprimée par la population de la province sécessionniste. J'estime que tant le gouvernement du Québec que celui du Canada ont intérêt à veiller à ce que l'issue du scrutin représente fidèlement la volonté de la population du Québec et puisse servir de base stable à l'édification d'un nouveau pays. Je pense que la Loi sur la clarté va dans ce sens. Je ne pense pas que la façon dont le référendum de 1995 a été mené respectait ce principe.

Je crois que le principe du fédéralisme est bien servi par la Loi sur la clarté. J'ai écouté avec grand intérêt le témoignage de M. Rémillard plus tôt ce matin. J'approuve sans réserve ce qu'il a dit ainsi que ce qu'a dit M. Rae. Je suis en désaccord avec la position qu'on a attribuée à M. Ryan—dont je n'ai cependant pas entendu le témoignage—, c'est-à-dire la position voulant que ce projet de loi soit contraire au fédéralisme ou au principe démocratique.

M. Irwin Cotler: J'aimerais poser une deuxième question qui se rapporte au même sujet. Les indépendantistes qui ont comparu devant le comité disent appuyer, pour la plupart, la position exprimée par la Cour suprême dans sa décision. Par ailleurs, ils allèguent que le projet de loi C-20 ne va pas dans le sens de l'avis de la cour. Trouvez-vous leur position logique? Peut-on à la fois appuyer le jugement de la Cour suprême et rejeter le projet de loi C-20?

M. Peter Hogg: Non, je crois que le projet de loi C-20 cadre tout à fait avec le jugement de la Cour suprême et je pense qu'il serait difficile d'appuyer la décision de la cour et de rejeter le projet de loi.

M. Irwin Cotler: J'ai une dernière brève question à poser. Vous n'avez pas fait allusion à cette question dans votre témoignage—du moins je ne le pense pas—, mais vous avez déjà écrit qu'une province ne peut pas se séparer du Canada sans le consentement de celui-ci et que la communauté internationale ne reconnaîtrait pas un nouvel État que le Canada n'aurait pas lui-même reconnu. Ne faut-il pas comprendre que le processus de sécession ne peut être légitime que si le gouvernement fédéral y participe, aussi paradoxal que cela puisse paraître, et n'est-ce pas justement ce qui préoccupe les indépendantistes?

M. Peter Hogg: Si la sécession exige une modification constitutionnelle comme l'a dit la Cour suprême du Canada, le gouvernement fédéral devra nécessairement jouer un rôle, que la formule de modification soit la règle des 7-50 ou qu'elle soit l'unanimité. Dans cette mesure, le gouvernement du Canada joue un rôle essentiel dans le processus.

Je suis cependant allé plus loin et j'ai écrit que si le Québec décidait de faire fi de la Constitution et décidait unilatéralement de se séparer du reste du Canada comme les 13 colonies américaines ont décidé, par exemple, de se séparer de la Grande-Bretagne en 1776 et que cela devenait le fondement d'un État... La Grande-Bretagne n'a jamais reconnu par une loi que les 13 colonies constituaient un nouveau pays, mais un État démocratique et stable est de toute évidence issu de cette sécession.

• 1700

Si le Québec décidait de se séparer illégalement du Canada, c'est-à-dire s'il décidait de le faire unilatéralement, il est très peu probable que les conditions en vue de la création d'un nouvel État pourraient être satisfaites sans le consentement du Canada parce que les tribunaux ne pourraient pas considérer la sécession comme étant un état de fait tant que le Canada continuerait d'affirmer son autorité juridique au Québec. J'estime aussi que très peu d'États reconnaîtraient un État que le Canada estimerait avoir été créé de façon illégale et qu'ils rompraient par conséquent les relations diplomatiques avec tout État qui le reconnaîtrait.

Même dans le scénario le moins probable, le consentement du Canada joue un rôle essentiel dans le processus de sécession.

[Français]

Le président: Monsieur Lebel.

M. Ghislain Lebel (Chambly, BQ): Professeur Hogg, je suis heureux que vous soyez ici. Vous faisiez plus tôt beaucoup de tapage au sujet de la question référendaire de 1995 qui, à votre avis, n'était pas claire. Vous avez dû être sérieusement affecté par celle de 1992 qui, au moment où l'on présentait le référendum à la population, n'était pas encore rédigée. Il s'agissait pourtant d'un texte important sur lequel on demandait à la population de se prononcer et qui n'était toujours pas rédigé une semaine et demie avant la tenue du référendum. Vous avez dû, je présume, bouillir devant ce fait, et pourtant vous n'en parlez pas ici. C'est le premier volet de ma question.

Je ne suis pas un juriste comme vous. Je lis à l'article 1 du projet de loi:

    ...la Chambre des communes examine la question et détermine, par résolution, si la question est claire.

N'est-ce pas ici un pouvoir normalement attribué à un tribunal qu'on se propose d'accorder à la Chambre des communes lorsqu'on lui demande de juger de la clarté d'une question de façon quasi juridique? Je ne sais pas si je m'exprime bien, mais cela m'apparaît être un geste juridique que poserait la Chambre des communes.

Je siège au Parlement depuis quand même plusieurs années. J'ai vu comment réagissent certains amis d'en face lorsque la partisanerie prend le dessus et je craindrais qu'on leur confie une réévaluation juridique. Je pourrais vous dire dans quel capharnaüm nous conduirait cette résolution si c'était la Chambre des communes qui tranchait une question d'ordre juridique.

Le troisième volet de ma question porte sur les accords internationaux qu'a conclus le Canada, par exemple l'ALENA, qu'il a conclu avec les États-Unis. Une personne me disait que la Cour suprême était le plus grand tribunal au monde et que tous les Canadiens devraient être fiers des jugements qu'elle rend. Je me demande pourquoi, lorsqu'il y a un différend entre les États-Unis et le Canada, par exemple au sujet de l'application de l'ALENA, on ne confie pas l'arbitrage à la Cour suprême du Canada. S'il s'agit d'un tribunal aussi grand et aussi élevé dans la hiérarchie de tous les tribunaux, c'est sans doute parce qu'il est à la fois juge et partie. Ne croyez-vous pas qu'en rendant son avis, la Cour suprême du Canada était, bien malgré elle et probablement contre son gré, forcée de se pencher sur une question où sa neutralité absolue faisait malheureusement défaut? C'est à partir de sa décision que le gouvernement actuel a élaboré toute sa théorie et présenté son projet de loi C-20. Je voudrais que vous répondiez à ces trois questions: la question posée en 1992, la neutralité de la Cour suprême dans ce jugement et le principe constitutionnel.

• 1705

[Traduction]

M. Peter Hogg: Je conviens avec vous que l'Accord de Charlottetown n'était pas clair à de nombreux égards mais qu'il a tout de même donné lieu à un référendum. L'Accord de Charlottetown ne proposait cependant pas la séparation et la division du pays. Voilà la distinction qu'a faite la Cour suprême du Canada dans le renvoi sur la sécession par rapport à d'autres modifications constitutionnelles. Il est souhaitable que toutes les propositions de modification constitutionnelle soient claires, mais il est absolument essentiel, avant que le Parlement du Canada permette que le pays soit scindé, que la modification constitutionnelle repose sur une question claire.

Une voix: Qu'en est-il de la question posée en 1992?

Le président: Silence. M. Hogg a la parole. Il répond à de longues questions.

[Français]

Il répond déjà à trois questions. Il lui faut répondre.

[Traduction]

Monsieur Hogg, vous avez la parole.

M. Peter Hogg: Ai-je mal compris quelle était l'issue du référendum de 1992?

[Français]

M. Ghislain Lebel: La question de 1992, qui n'était pas écrite, pouvait-elle être claire? Vous me répondez qu'elle était claire parce qu'on ne parlait pas de sécession. Est-ce que ça veut dire—excusez le terme—que lorsqu'on est en train de se faire avoir, la question peut ne pas être claire? C'est ça que je vous demande.

La question de 1992 était-elle claire?

[Traduction]

M. Peter Hogg: L'Accord de Charlottetown constituait la question posée en 1992, n'est-ce pas? Non, cette question n'était pas claire à tous les égards. J'en conviens. L'accord ne proposait cependant pas un changement aussi radical que celui de la sécession d'une province.

Deuxièmement, le Parlement peut-il se prononcer sur la clarté d'une question, car on pourrait s'attendre à ce que ce soit la Cour suprême du Canada qui le fasse? Je dois admettre que lorsque la cour a dit qu'il fallait que la question soit claire, j'ai immédiatement pensé qu'il faudrait lui soumettre cette question. Il s'agit d'une question juridique. J'ai poursuivi ma lecture et je me suis rendu compte que la cour disait qu'il ne lui appartenait pas d'exercer un droit de regard sur les aspects politiques de négociations constitutionnelles, y compris sur la question de savoir si une majorité claire s'était exprimée sur une question claire. La cour l'a dit à deux reprises.

La cour a donc décidé de s'en remettre aux acteurs politiques. Même si nous jugions que ce n'est pas la décision que la cour aurait dû rendre, c'est la décision qu'elle a rendue et comme c'est la seul Cour suprême que nous ayons, nous devons bien accepter sa décision.

Pour ce qui est de la troisième question que vous posiez, je conviens avec vous que ce n'est pas la Cour suprême du Canada qui constitue le mécanisme le règlement des différends dans le cadre de l'ALENA, mais plutôt un mécanisme bilatéral constitué de représentants des États-Unis et du Canada. Peut-être qu'il s'agit maintenant d'un organisme trilatéral maintenant que le Mexique en fait partie. Je ne sais pas exactement comment cela fonctionne. Le soin de régler les différends entre nos trois pays n'est cependant pas confié à la Cour suprême du Canada. On ne s'attendrait pas à ce qu'elle soit neutre en cas de différends entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Par ailleurs, la Cour suprême du Canada se prononce tous les jours sur des questions constitutionnelles qui visent les provinces et le gouvernement fédéral. Certains distingués universitaires du Québec ont affirmé que la cour prenait parti pour le gouvernement fédéral contre le Québec. Je crois que cette allégation n'est pas fondée. Il y a quelques années, j'ai écrit un article dans lequel j'ai essayé de faire le bilan des décisions de la cour portant sur les différends entre les provinces et le gouvernement fédéral et je n'ai pas constaté que la cour ait manqué d'impartialité.

• 1710

La cour a toujours joué le rôle d'arbitre neutre dans ces différends et je pense que nous pouvons présumer qu'elle est neutre.

Le président: Monsieur Hogg, je vous remercie beaucoup de votre témoignage. Nous vous avons accordé un peu plus de temps aujourd'hui, mais nous étions nombreux à vouloir vous poser des questions. Nous vous remercions beaucoup du temps que vous nous avez consacré.

Nous prendrons maintenant une courte pause pour permettre aux témoins suivants de prendre place à la table.

• 1711




• 1713

Le président: Nous entendrons maintenant l'Assemblée des premières nations représentée par le chef Phil Fontaine, chef national de l'assemblée, ainsi que M. Jack London, son conseiller juridique.

Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris la peine de venir devant le comité. Comme vous l'avez sans doute constaté, vous disposez de 10 minutes pour faire un exposé, après quoi les membres du comité pourront vous poser des questions pendant 35 minutes au plus.

Monsieur Fontaine, je vous cède la parole.

Le chef Phil Fontaine (chef national, Assemblée des premières nations): Merci. Je vais essayer de respecter le temps qui m'est imparti.

Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous.

C'est un cliché de dire que ceux qui ignorent les leçons de l'histoire sont condamnés à la répéter. Je suis ici aujourd'hui à la fois pour appuyer les aspects positifs du projet de loi C-20 et pour affirmer qu'il omet de façon injustifiée et déraisonnable de faire référence aux protections des intérêts et des droits des premières nations et des peuples autochtones du Canada.

Dans notre mémoire, nous estimons que le comité doit recommander des amendements reconnaissant et protégeant les Premières nations et les peuples autochtones du Québec et du Canada. Il est de mon devoir de rappeler au comité, et au gouvernement du Canada, qu'au moins depuis 1982, la réforme constitutionnelle, par convention et nécessité, a exigé la participation entière, complète et égale des Premières nations du pays à tous les stades du processus et à toutes les tables de négociation résultantes.

• 1715

Rappelez-vous que l'accord Meech a échoué à cause d'Elijah Harper et de l'Assemblée des chefs du Manitoba, pour deux raisons simples: d'abord, les Premières nations n'avaient pas été consultées sur le contenu, ni n'avaient participé à sa formulation ou à ses propositions, ni été considérées de façon juste par le gouvernement du jour durant le processus de ratification. Deuxièmement, l'accord ne faisait référence qu'à deux nations fondatrices, omettant de reconnaître non seulement la présence antérieure des Premières nations sur cette terre, mais également leur statut de pouvoir souverain, autodéterminé et autonome.

L'accord insultait le gouvernement des Premières nations et les abaissait en ne reconnaissant pas la nécessité de leur participation active et égale dans la formulation de l'avenir constitutionnel du Canada. Pour cette raison, Elijah Harper, avec l'appui de l'Assemblée des chefs du Manitoba et d'autres, a dit non.

En 1992, l'Accord de Charlottetown a reconnu le droit des Premières nations de participer au processus, aux côtés des autres Autochtones, et nous avons participé en égaux aux tables qui ont produit l'accord. Cet accord, comme nous le savons tous, n'a pas survécu au référendum, dans le Canada non autochtone comme autochtone. Mais l'échec de l'accord ne diminue en rien le précédent constitutionnel qu'il a confirmé, et qui exige la participation entière, égale et significative des Premières nations dans la réforme constitutionnelle et dans tout nouvel aménagement du pays. En fait, la Constitution du Canada elle-même reconnaît et protège la relation unique qu'entretiennent les Premières nations du pays avec le gouvernement du Canada et les provinces.

L'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et affirme les droits ancestraux et les droits issus de traités des peuples autochtones du Canada. Il est reconnu généralement aujourd'hui que l'article 35 inclut le droit des Premières nations à l'autonomie gouvernementale. C'est certainement une pierre angulaire de la politique fédérale. Les traités historiques, signés de nation à nation, n'auraient de toute façon pas connu d'autre interprétation.

Par conséquent, les Premières nations, tout comme les provinces et le gouvernement fédéral, sont décrites, reconnues et affirmées constitutionnellement de façon unique comme les principaux gouvernements ayant des droits à l'autonomie gouvernementale sur ce territoire. En vertu de la Constitution canadienne, aucune démarche, procédure ou institution ne peut modifier ces droits, positivement ou négativement, sans la participation entière, égale et significative des Premières nations.

Le renvoi sur la sécession traitait du droit international et du droit canadien. En droit international, les Premières nations sont des peuples disposant du droit d'autodétermination au Canada. Par conséquent, le statut juridique, politique et territorial des Premières nations au Québec et au Canada ne peut être modifié sans la participation entière, égale et significative des Premières nations du Québec et du Canada.

Le paragraphe 35.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 a le même effet. Comme on le cite moins souvent que l'article 35, le voici:

    Engagement relatif à la participation à une conférence constitutionnelle

    35.1 Les gouvernements fédéral et provinciaux sont liés par l'engagement de principe selon lequel le premier ministre du Canada, avant toute modification à la catégorie 24 de l'article 91 de la «Loi constitutionnelle de 1867», de l'article 25 de la présente loi ou de la présente partie:

    a) convoquera une conférence constitutionnelle réunissant les premiers ministres provinciaux et lui-même et comportant à son ordre du jour la question du projet de modification;

    b) invitera les représentants des peuples autochtones du Canada à participer aux travaux relatifs à cette question.

L'article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982 garantit que la Charte des droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits et libertés—ancestraux, issus de traités ou autres—des peuples autochtones du Canada.

Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 donne au gouvernement fédéral un pouvoir constitutionnel et une obligation de fiduciaire concurrente dans les questions législatives concernant les Indiens et les terres réservées aux Indiens.

La référence à «cette partie» dans le paragraphe 35.1 inclut l'article 35 lui-même. Par conséquent, le paragraphe 35.1 exige clairement la participation des Premières nations à tous les dossiers qui peuvent avoir un impact sur leur présence constitutionnelle et leurs droits sur cette terre. En fait, les traités de nation à nation entre nos peuples pour le partage des pouvoirs sur cette terre, notre présence préalable sur cette terre et notre titre autochtone, tout cela converge vers le même résultat.

• 1720

Dans le contexte de ces observations préliminaires, et avec les mises en garde que je proposerai dans un instant, je dis, par conséquent, au comité, au nom de l'Assemblée des premières nations, que nous appuyons complètement l'esprit et l'intention du projet de loi C-20. Nous accueillons favorablement toute mesure législative qui protège le Canada et aide les Premières nations à résister à toute tentative visant à nuire à l'intégrité constitutionnelle, gouvernementale ou territoriale du Canada sans la pleine participation et le consentement de tous les Canadiens et des Premières nations.

Les Premières nations du Canada sont d'ailleurs en faveur de toute mesure législative qui protège le Canada, et les citoyens des Premières nations, contre une déclaration unilatérale d'indépendance par le Québec ou toute autre province, qui assure la clarté de la question posée au peuple du Québec dans le cadre d'un référendum sur la sécession et qui établit l'exigence d'avoir une majorité claire avant d'entreprendre des négociations entre les parties compétentes.

Nous partageons l'opinion de la Cour suprême du Canada dans le renvoi relatif à la sécession du Québec voulant qu'une déclaration unilatérale d'indépendance par le Québec serait illégale. En outre, nous félicitons le premier ministre Chrétien, le ministre Dion et leur collègues pour l'audace de leurs actions, leur sagesse et leur courage.

Nous répétons également qu'aucun groupe ou gouvernement au Canada n'a davantage de raison, le droit ou les moyens de faire sécession que les Premières nations de ce pays. Bien que nous soyons souvent perçus comme des alliés utiles, ou des pions, de l'un ou l'autre des paliers de gouvernement dans ce pays, ne vous y trompez pas. Nous faisons preuve de soutien et de solidarité parce que nous croyons en la valeur de ce pays qu'est le Canada, de nos droits et de notre présence, en tant que peuples autonomes, dans ce pays et de notre droit de choisir, indépendamment, de continuer ou non, selon les circonstances, de faire partie du Canada et de toute province et de respecter leur intégrité constitutionnelle et territoriale.

Aucun autre ordre de gouvernement n'a pas le droit d'amener notre peuple avec lui s'il fait sécession. Aucun autre ordre de gouvernement n'a le droit de manquer à ses obligations fiduciaires à l'égard de notre peuple ni de les minimiser. Aucun autre ordre de gouvernement et aucun référendum non autochtone ne peuvent influer sur notre peuple sans notre participation pleine, entière, égale et significative et sans notre consentement.

Nous voulons également rappeler au comité et au gouvernement du Canada que bien que la Cour suprême du Canada, dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, n'ait pas directement traité de la nature de la participation des Premières nations, elle a déclaré que:

    ... l'expression claire d'une volonté démocratique en faveur de la sécession entraînerait, en vertu de la Constitution, des négociations au cours desquelles les intérêts des Autochtones seraient pris en compte...

Il s'agit de l'alinéa 139.

Nous y faisons allusion pour faire la distinction entre les intérêts des Autochtones, notamment ceux des Premières nations, et ceux des autres groupes minoritaires. Nos intérêts doivent être représentés et déterminés par notre participation pleine, entière et significative à chaque étape et niveau de tout processus visant à modifier notre place au sein de l'actuel gouvernement et sur nos terres.

Par conséquent, si on pose les questions: «Avec qui les décisions doivent-elles être prises concernant la clarté ou le bien-fondé des référendums, quelles pourraient être les modalités de la négociation et quels pourraient être les résultats de ces négociations?», nous sommes d'avis que les réponses sont simples et qu'elles devraient figurer dans le projet de loi C-20.

L'une de ces parties devrait être les Premières nations de ce pays. Peu importe que l'on examine d'un point de vue technique les dispositions du paragraphe 35.1 de la Loi constitutionnelle, qui exige la participation des Premières nations ou la reconnaissance de leurs droits politiques et historiques à l'autodétermination dans les traités historiques et dans l'article 35 de la Loi constitutionnelle ou dans les principes du droit international, comme y fait allusion la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, il ne peut et ne pourra y avoir de légitimité à tout processus, toute action, toute négociation ou toute reconnaissance, soit sur la scène nationale ou internationale, sans la participation pleine, entière et significative et le consentement des Premières nations de ce pays.

Cette participation et ce consentement exigent que les Premières nations soient consultées par la Chambre des communes dans sa détermination initiale de la clarté ou de l'expression claire, et qu'à tout le moins, les gouvernements des provinces, le gouvernement du Canada et les Premières nations participent aux négociations sur toute modification requise pour qu'une province puisse faire sécession du Canada.

• 1725

Enfin, nous sommes d'avis qu'il est insuffisant de simplement faire référence, comme on le fait au paragraphe 2 de l'article 3 du projet de loi C-20, «aux droits, aux intérêts et aux revendications territoriales des peuples autochtones du Canada» comme l'une des questions devant être abordées par le gouvernement du Canada dans les négociations menant à la proposition d'une révision constitutionnelle. Cela reléguerait les Premières nations à un rôle de témoin ou de spectateur silencieux, et non pas de gouvernement principal. Ce rôle est inacceptable.

Les Premières nations doivent être elles-mêmes présentes, participer pleinement et donner leur consentement, et tant le gouvernement que nous-mêmes devons veiller à ce qu'il n'y ait aucune abrogation ou dérogation des droits existants, ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones, du titre autochtone et des droits des Premières nations du Canada à l'autonomie gouvernementale et à l'autodétermination, et de leur intégrité territoriale.

Cela allait si bien, mais je crois comprendre que je dois m'interrompre.

Le président: Votre temps est écoulé.

Le chef Phil Fontaine: Il ne me reste plus que dix pages.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Je suis certain que nous entendrons une partie du texte dans les réponses aux questions. Peut-on passer aux questions?

Le chef Phil Fontaine: C'est vous qui décidez, monsieur le président.

Le président: Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Si le comité veut...

[Note de la rédaction: Difficultés techniques]

Le président: D'accord, nous allons vous accorder une minute de plus. Poursuivez pendant une minute.

Le chef Phil Fontaine: Merci.

Afin d'obtenir ces résultats, et pour être le plus utile possible au comité dans ses délibérations et dans ses recommandations à la Chambre des communes, nous avons rédigé une série d'amendements qui, à notre avis, devraient être apportés au projet de loi C-20. Ces amendements ont été déposés auprès du greffier en même temps que le texte de mes observations. Je ne prendrai pas du temps qui nous est alloué pour vous en faire la lecture maintenant. Je vous saurais gré de les examiner dans le cadre de vos délibérations et je dirai seulement qu'ils sont conformes aux observations que je présente aujourd'hui.

J'ai également eu le privilège de lire le mémoire du Grand Conseil des Cris du Québec et les propositions d'amendements que ses représentants vous présenteront demain. Nous appuyons entièrement la position du Grand Conseil et ses propositions.

En conclusion, je veux affirmer de nouveau que nous appuyons pleinement le projet de loi C-20 en tant que code législatif visant non seulement à empêcher la sécession unilatérale d'une province, mais aussi à assurer le bien-fondé et la clarté du processus de consultation, des questions posées et de l'expression de l'opinion politique nécessaire pour en arriver à une décision aussi grave. Toutefois, nous ne pouvons ni ne pourrons accepter tout processus, tout référendum, toute négociation, tout résultat ou tout amendement qui ne respecte pas les droits des Premières nations du Québec et du Canada de participer pleinement, de manière égale et significative, d'être consultés, de prendre part aux négociations et de donner leur consentement à chacune des étapes du processus.

Voilà le point de vue et les droits que nous défendrons, tant sur la scène nationale qu'internationale, en tant que peuple fier du Canada et de la communauté internationale.

Megwetch.

Le président: Merci.

Madame Meredith.

Mme Val Meredith (South Surrey—White Rock—Langley, Réf.): Merci, monsieur le président.

Merci, chef Fontaine, de participer aux délibérations de notre comité.

D'après ce que j'ai compris, le message est clair; la grande question, pour les Premières nations, c'est la consultation. Ma question comporte plusieurs aspects. Êtes-vous satisfaits des consultations qui ont été menées au sujet de cette mesure législative? Êtes-vous satisfaits des consultations menées auprès des Premières nations au sujet de cette mesure législative? Et dans le cas des amendements, seriez-vous satisfaits de la mesure législative si les amendements que vous proposez n'étaient pas adoptés par le comité?

Le chef Phil Fontaine: Eh bien, j'ai dit clairement, du moins je l'espère, que la seule façon pour nous d'être satisfaits, c'est de participer pleinement à toutes les étapes qui amèneront ce projet de loi à être adopté par le Parlement.

Compte tenu de la version actuelle du projet de loi, il est certain que nous ne sommes pas convaincus d'avoir été suffisamment consultés. Nous devons être partie prenante à cette mesure. Notre témoignage devant votre comité n'est qu'une des nombreuses étapes de notre participation, du moins selon ce que nous comprenons du processus.

• 1730

Nous le répétons donc au comité: nous ne serons satisfaits que si nous pouvons pleinement participer.

Mme Val Meredith: Si, en réponse à une question claire, une majorité claire de Québécois optait en faveur de la sécession, croyez-vous qu'il faudrait appliquer la même norme de majorité claire si les Premières nations décidaient de demeurer au sein du Canada?

Le chef Phil Fontaine: Il ne faut pas oublier que les Premières nations ont des intérêts très particuliers dont on n'a pas tenu compte de manière significative dans la rédaction du projet de loi. Il faut trouver le moyen de faire participer pleinement les Premières nations, y compris, s'il le faut, à la préparation et à la rédaction de la question claire qui pourrait être posée.

Au risque de me répéter, c'est de cette façon que les choses doivent être faites. Nous avons été tenus à l'écart du processus, même si nous avons clairement dit dès le départ que nous devions être consultés, être consultés pleinement, et participer à toutes les étapes du processus.

Mme Val Meredith: Merci.

Le président: Monsieur Turp. Vous n'avez pas de questions?

[Français]

Monsieur Bachand.

M. Claude Bachand: Je veux saluer le chef Phil Fontaine, que je n'ai pas vu depuis un bout de temps. La dernière fois, c'était à la fête de l'Assemblée des Premières Nations; on avait eu beaucoup de plaisir à manger de la dinde ensemble. Je ne sais pas si c'est un repas traditionnel français ou autochtone, mais c'était excellent de toute façon. Je pense que les dindes étaient apprêtées à la française quand j'y suis allé la dernière fois.

Maintenant, je voudrais clarifier au départ, monsieur le chef, que pour nous, souverainistes, il n'est pas question de déclaration unilatérale de souveraineté du Québec. Pour nous, il est question d'une décision du peuple du Québec qui sera basée sur une décision très démocratique, qui est celle d'un référendum. Je pense que là-dessus, je n'ai pas de leçon à vous faire; vous savez très bien comment fonctionne un référendum, car il y en a plusieurs qui sont en branle au Canada concernant des nations autochtones.

Je vais poser trois courtes questions, mais je voudrais d'abord vous situer par rapport à mes questions.

J'ai toujours considéré, et je vous l'ai dit à plusieurs reprises, que les Québécois et les autochtones sont tous les deux à la recherche d'une plus grande autonomie. Je pense qu'on devrait être liés par cette cause-là. Vous avez une recherche d'autonomie qui est différente de la nôtre, j'en conviens, mais je pense que les Premières Nations du Canada ont besoin d'une plus grande autonomie et que vous allez en convenir avec moi. Donc, j'essaierai toujours d'être du même côté de la clôture que vous, face à un adversaire qui ne veut pas donner autant d'autonomie que l'on en demande au Québec et chez les Premières Nations.

J'ai suivi avec intérêt vos remarques et celles du chef Ghislain Picard dans ce débat où vous avez fait plusieurs sorties, et c'est là-dessus que j'aimerais vous entendre.

D'abord, le 15 décembre, vous avez dit que seuls les autochtones pouvaient protéger les intérêts des autochtones. Je suis d'accord sur ça. Mais de votre côté, est-ce que vous êtes d'accord aussi pour dire que seuls les Québécois peuvent protéger les intérêts des Québécois? Ce sera ma première question.

Voici la deuxième. Vous avez dit, toujours le 15 décembre:

    Mais, pour le moment, la crédibilité de notre fédération et de notre démocratie est fragile. Cette dernière décennie, la fédération a vogué d'un désastre constitutionnel à l'autre, chacun soulevant des questions sur la légitimité de la structure constitutionnelle elle-même et sur le fédéralisme démocratique.

Je pense que vous avez été victimes d'un manque de démocratie à plusieurs reprises. Est-ce que vous pouvez convenir que le Québec a aussi été victime d'un manque de démocratie, particulièrement avec le projet de loi qui est devant nous, que nous qualifions d'antidémocratique depuis la première seconde où il a été déposé? C'est ma deuxième question.

• 1735

Et voici la dernière, qui concerne Ghislain Picard, qui déclarait avoir lu les deux projets de loi:

    La législation québécoise fait au moins référence à la question autochtone, dit-il, avant d'émettre une réserve Si on la lit article par article, on remarque qu'il y a peut-être une incidence sur les droits des peuples autochtones et leur droit à l'autonomie.

Donc, sans dire que Ghislain Picard est 100 p. 100 en faveur du projet de loi du Québec, il semble qu'il reconnaisse au moins qu'on lui accorde un peu plus d'attention dans le projet de loi 99 que dans le projet de loi qui est devant nous aujourd'hui.

Je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre dans le cas des trois questions. J'aimerais que vous y réagissiez, s'il vous plaît.

[Traduction]

Le chef Phil Fontaine: Permettez-moi tout d'abord de répondre à votre observation sur le party de Noël. Vous avez raison, nous avons eu beaucoup de plaisir. Nous avons mangé de la dinde. Elle n'était peut-être pas préparée selon la tradition, mais elle était délicieuse néanmoins.

M. Claude Bachand: Elle était préparée selon la tradition française.

Le chef Phil Fontaine: Nous aimerions parfois apprêter d'autres sortes de dindes, n'est-ce pas?

Des voix: Oh, oh!

Le chef Phil Fontaine: Mais je serai bon prince, je ne donnerai pas de noms.

C'est vrai que nous nous sommes longtemps battus pour obtenir plus d'autonomie et d'indépendance pour notre peuple. Les personnes qui sont ici dans la salle pourront témoigner de l'ardeur de cette lutte. Nous n'avons pas échoué. Dans la plupart des régions du pays, on reconnaît de plus en plus que pour résoudre les difficultés que nous connaissons, ce qui importe, c'est que nous puissions nous gouverner nous-mêmes efficacement, que nous jouissions des mêmes droits et libertés que tous les autres Canadiens.

On nous a trop souvent oubliés. Les gens nous ont laissés à l'écart ou se sont opposés à nous parce qu'ils ne voulaient pas aborder certains des enjeux importants pour l'avenir du Canada; cela nous a coûté cher. J'espère que l'esprit qui existait lorsque nous avons signé nos traités, les traités sacrés dont j'ai fait mention dans mon mémoire, guidera également ceux qui sont chargés de prendre des décisions importantes, comme vous, dans cette salle et à la Chambre des communes. Nous avons trop souvent tendance à l'oublier.

Jamais nous n'essayerons de garantir notre position aux dépens de quelqu'un d'autre. Ce n'est pas notre façon d'agir. Toutefois, nous avons toujours été convaincus que les Premières nations doivent s'affirmer clairement. Nos intérêts ne peuvent être protégés que par des gens des Premières nations, car jusqu'à présent, les gouvernements, que ce soit à l'échelle fédérale ou provinciale, ont toujours refusé ou été dans l'incapacité de protéger nos intérêts de façon claire, juste et équitable. Cela s'applique également au Québec.

Le président: Monsieur Nystrom.

L'hon. Lorne Nystrom (Regina-Qu'Appelle, NPD): Merci, monsieur le président.

Tout d'abord, permettez-moi de souhaiter la bienvenue à M. Fontaine et à M. London.

J'ai parfois l'impression de regarder un vieux film. Je me souviens très bien du débat sur le rapatriement de la Constitution, en 1980. J'étais alors membre du comité mixte spécial de la Chambre. À cette époque, le gouvernement avait omis d'inscrire dans le projet de loi initial quelque disposition que ce soit au sujet des Autochtones et des Premières nations. Il a fallu bien sûr apporter des amendements pour corriger cela, après que vos prédécesseurs aient témoigné devant le comité et exercé suffisamment de pressions auprès des membres du comité de cette époque.

Vous avez raison, bien sûr, lorsque vous dites qu'on avait oublié de consulter les Autochtones et les gens des Premières nations dans le cadre de l'Accord du lac Meech. Cette omission avait été corrigée pour celui de Charlottetown. Dans ce dernier cas, la participation des peuples des Premières nations ou des Autochtones constituait un précédent.

• 1740

Quand je regarde notre pays, il me semble que les Canadiens sont tous très spéciaux, mais s'il y en a qui sont encore plus spéciaux que les autres, ce sont bien les Canadiens issus des premiers peuples de ce pays, des vrais peuples fondateurs, les membres des Premières nations du Canada. Il me semble que ces peuples devraient être consultés sans délai et que le comité devrait faire tout ce qu'il peut pour adopter des amendements à ce projet de loi afin de consolider le processus de consultation et de garantir leur pleine participation aux mesures qui pourraient être prises.

Il s'agit d'une observation générale, monsieur le président. M. Fontaine souhaite peut-être y réagir et nous expliquer un peu davantage pourquoi il est si important que les peuples autochtones soient partenaires à part entière dans tous les aspects de l'évolution constitutionnelle au Canada.

Le chef Phil Fontaine: Si vous me le permettez, monsieur le président, je souhaite d'abord m'excuser auprès de M. Bachand. Je n'ai pas répondu à toutes ses questions. Il y en a deux auxquelles je n'ai pas répondu directement.

Nous pourrons en reparler après, monsieur Bachand. Vos questions méritent une réponse.

Pour ce qui est de la déclaration de M. Nystrom, je le remercie d'appuyer clairement notre position. Je considère et reconnaît, accepte et appuie par cette déclaration la proposition que nous faisons valoir aujourd'hui: si nous voulons que ce processus réussisse, le seul moyen, c'est de faire participer tous les éléments importants qui constituent ce pays à l'établissement d'une orientation pour l'avenir du Canada.

Nous avons énoncé notre position très clairement. L'amendement que nous proposons est conforme à ce que je dis dans mon mémoire. Je demande aux membres du comité de l'examiner soigneusement, car il pourrait être très utile pour ce qui est de recommander ce qui doit être fait dans ce domaine.

L'hon. Lorne Nystrom: Il existe deux excellents précédents. L'un d'entre eux remonte à 1980. Je ne me souviens plus qui était président de l'organisation nationale des Premières nations à l'époque, une organisation qui portait un autre nom. Lorsqu'il s'est présenté devant le comité et qu'il a proposé des amendements, il n'avait pas d'amendements ou d'énoncés de position sur lesquels s'appuyer, mais il a pu, avec d'autres, persuader le comité d'adopter ses propositions. C'est donc un excellent précédent. En outre, du point de vue des Premières nations, l'Accord de Charlottetown a constitué une amélioration du fait de leur participation.

J'ai une autre question à vous poser, monsieur Fontaine. Lorsque nous parlons de consultation, je suppose qu'il ne s'agit pas simplement de consultations auprès des gens des Premières nations de la province qui souhaite la sécession, mais de toutes les Premières nations du pays, car l'organisation constitutionnelle risquerait d'être modifiée. Par exemple, si le Québec se séparait, la position des Premières nations en Saskatchewan, au Manitoba ou ailleurs au Canada pourrait en être modifiée. Je suppose que c'est le cas. Vous pourriez peut-être m'en dire davantage, monsieur Fontaine.

Le chef Phil Fontaine: Oui, c'est exact, mais notre organisme a estimé dans ce cas-ci que cette question touche plus directement les intérêts des Premières nations du Québec; c'est donc aux Premières nations du Québec qu'il revient de jouer le rôle principal dans ce dossier. Toutefois, la formulation de la position nationale relève de mon bureau.

J'aimerais ajouter quelque chose en réponse à votre première question. Vous avez dit qu'il y a deux éléments importants dans ce processus. Il y a d'abord la consultation, une consultation réelle et entière, mais aussi il y a le consentement. Nous devons participer à la décision finale qui sera prise dans ce processus.

L'hon. Lorne Nystrom: Merci, monsieur le président.

[Français]

Le président: C'est seulement cinq minutes, monsieur Bachand Richmond—Arthabaska.

M. André Bachand: J'aimerais annoncer au comité que Claude est mon père.

Des voix: Ah, ah!

M. André Bachand: Non, c'est mon frère, pardon.

J'aimerais saluer M. Fontaine. Vous avez proposé des amendements. Nous nous opposons au projet de loi C-20 pour plusieurs raisons. Entre autres, vous avez proposé des amendements qui feraient en sorte que le fédéral tienne compte aussi de votre avis.

• 1745

Une des raisons pour lesquelles nous n'appuyons pas le projet de loi C-20, c'est que, selon nous, le fédéral s'est approprié encore une fois le droit d'interpréter et s'est donné le pouvoir de donner un avis sur ce qu'une province pouvait déterminer comme question et comme majorité et même d'en décider.

La Cour suprême parle toujours des acteurs politiques comme étant les autres provinces et le gouvernement fédéral. J'en viendrai aux Premières Nations bientôt. Selon nous, les provinces ont un rôle équivalent à celui du gouvernement fédéral. Je dis bien équivalent. Donc, le fédéral n'a pas à prendre seulement l'avis des provinces. Elles devraient avoir un rôle équivalent.

Je vous écoutais tout à l'heure et je dois dire que je partage, en bonne partie, en tout cas dans l'ensemble, ce que vous avez dit. Mais je trouve que vous n'allez pas assez loin. Même si la Cour suprême ne vous a pas définis comme acteurs politiques, il reste, nonobstant cela, que vous êtes un acteur juridique fort important, voire irremplaçable.

Cela étant dit, si nous disons, par exemple, que les provinces ont le même pouvoir que le gouvernement fédéral, les mêmes responsabilités pour décider si le Québec peut se séparer sur une question claire et une majorité claire, que les provinces ont le même poids dans les négociations, pourquoi voulez-vous vous contenter de donner votre avis sur au moins une partie importante du projet de loi. Ne devriez-vous pas, selon ce que j'entends en tout cas, vous considérer un partenaire à part entière?

Si vous n'êtes pas mentionnés dans la définition des acteurs politiques contenue dans l'avis de la Cour suprême, qui pour nous doit à tout le moins mettre les provinces et le gouvernement fédéral sur le même pied—la Cour suprême ne fait pas de différence—, pourquoi vous contentez-vous de donner un avis qui sera pris en considération mais n'aura pas force légale, juridique ou légitime dans le processus préalable au vote et le processus postréférendaire? Pourquoi vous limitez-vous à un rôle tertiaire, finalement?

[Traduction]

Le chef Phil Fontaine: Ma réponse à cette question est en deux parties. Je répondrai à la première et je demanderai ensuite à notre conseilleur juridique, Jack, de répondre à l'autre.

Tout d'abord, je m'en voudrais de vous laisser une impression fausse. L'Assemblée des Premières nations a reçu le mandat de toutes les Premières nations du pays de représenter leurs intérêts. L'Assemblée est l'organisme chargé de négocier dans un grand nombre de dossiers. Dans une entreprise aussi importante, c'est évidemment l'Assemblée des Premières nations qui est le porte-parole de toutes les Premières nations, y compris de celles du Québec, en consultation avec les représentants élus de cette province qui y participent.

M. Jack London (conseiller juridique, Assemblée des Premières nations): Vous demandez pourquoi les amendements proposés ne portent que sur les conseils qui peuvent être donnés à la Chambre des communes dans la décision sur la clarté de la question et sur les chiffres; eh bien, c'est une simple question d'efficacité. Les Premières nations estiment qu'elles n'ont pas à dire à la Chambre des communes quand ou comment celle-ci doit prendre une décision. Cela relève du pouvoir souverain et constitutionnel de la Chambre des communes.

Dans les amendements proposés aux paragraphes 1(5) et 3(2) du projet de loi, les Premières nations ont demandé à être consultées de la même façon que les provinces, par la Chambre des communes, relativement à cette décision. C'est évidemment une partie très importante du processus. Toutefois, dans les amendements que nous proposons à l'article 3 de la mesure législative, sur la question du consentement et des négociations, nous proposons que les représentants d'au moins trois gouvernements participent aux négociations, chacun selon ses pouvoirs constitutionnels, législatifs et politiques. Cela inclut les Premières nations—les peuples autochtones du Canada—les provinces et le gouvernement fédéral.

Le président: Monsieur Alcock.

M. Reg Alcock: Merci beaucoup, monsieur le président.

Chef Fontaine, je ne peux m'empêcher de remarquer à quel point Jack London ressemble à Yoda, à côté de vous.

M. Jack London: Je peux changer de fauteuil avec lui.

Des voix: Oh, oh!

• 1750

M. Reg Alcock: Je signale aux membres du comité que je connais ces deux messieurs depuis déjà quelques temps, au moins depuis les débats sur l'accord du lac Meech.

Chef Fontaine, vous dites que vous ne voulez pas exercer de pressions indues, que votre principe et celui des communautés que vous représentez a toujours été de négocier, et je l'apprécie vivement.

Depuis que nous avons entrepris l'examen de cette mesure législative, les représentants du Bloc ont dit à maintes reprises qu'ils ne proposaient pas un retrait unilatéral du Canada. Et pourtant, on a bien l'impression qu'en 1995, en tout cas, c'est exactement ce qui se serait produit—si le Oui l'avait remporté à 50 p. 100 plus un, le Québec se serait tout simplement séparé du Canada, sans vous demander l'opinion que vous estimez être en droit d'exprimer, un droit que la Cour a à mon avis confirmé.

J'ai pris note d'une observation que vous avez faite, peu après que la Cour ait rendu son opinion:

    En outre, la Cour a déclaré qu'aucun projet de sécession ne saurait être réalisé sans que les droits et les intérêts des Premières nations soient complètement protégés et sans que ces nations participent, à titre d'égaux, à toutes les étapes du processus. Enfin, la Cour fait savoir à la communauté internationale qu'aucun pays ne doit reconnaître une sécession qui se ferait sans le consentement des Premières nations.

Pourriez-vous nous aider à expliquer au Bloc québécois pourquoi il en est ainsi?

Le chef Phil Fontaine: Je préfère m'en remettre à vous pour cela.

C'est une question importante. On aurait tort d'en minimiser l'importance. Il est crucial que les Premières nations soient en mesure d'effectuer, selon leur capacité, les changements nécessaires, y compris pour ce qui est de décider de leur avenir au Canada.

Nous avons clairement dit à maintes reprises que notre premier choix est de demeurer au sein du Canada. Quand nous parlons de souveraineté, il s'agit de définir enfin la place de chacun au sein du Canada. Nous avons toujours été de cet avis. Notre position ne porte pas sur la sécession ou la séparation; notre défi c'est de voir comment nous pouvons garantir notre position au sein du Canada.

M. Reg Alcock: Une autre petite question. Je sais que mon collègue, M. Cotler, souhaite également poser une question.

Dans les amendements que vous proposez, dans votre mémoire, vous ne parlez pas seulement de participation, mais aussi de consentement. Dans ce dernier cas, il s'agit de l'amendement au paragraphe 2(3); dans le premier amendement, vous parlez de participation au processus. Pourriez-vous nous expliquer la différence entre les deux?

M. Jack London: Dans la première disposition que nous proposons, en préambule, nous disons qu'il est important d'exiger le consentement des peuples autochtones du Québec, ou de la province en cause. Cela s'applique à la décision relative au processus référendaire dans la province.

Pour ce qui est de la Chambre des communes, c'est à elle de prendre sa décision, et ce que nous disons, c'est que la Chambre des communes doit tenir compte dans sa décision de l'opinion des peuples autochtones du Canada. En fait, elle aurait de toute façon l'obligation fiduciaire de le faire; cela s'applique plus particulièrement au gouvernement fédéral.

Troisièmement, s'il devait y avoir des négociations et si l'on présentait des amendements constitutionnels, il faudrait à ce moment obtenir le consentement des peuples autochtones du Canada, tant par leur pleine participation aux négociations, en tant que partie égale à ces négociations, que par leur accord sur les conditions de ces négociations.

M. Reg Alcock: Merci.

Monsieur Cotler.

Le président: Vos cinq minutes sont écoulées. Nous allons donner la parole à M. Hill.

• 1755

M. Grant Hill: Merci, monsieur le président.

Ma question porte sur le dernier référendum, celui de 1995, dans le cadre duquel les Autochtones du nord du Québec avaient tenu leur propre référendum. Dans une vaste majorité, ces Autochtones avaient exprimé leur voeu de demeurer au Canada. Ce qui me préoccupe, c'est qu'ils avaient choisi par la suite de se tenir à l'écart du référendum du Québec. Ces gens représentent un nombre considérable d'électeurs et même si leur but était peut-être de refuser de légitimer le référendum, leur non-participation a fait perdre un grand nombre de voix fédéralistes. Qu'en pensez-vous?

Le chef Phil Fontaine: Les communautés qui ont tenu leur propre référendum ont démontré ainsi à tous ceux qui étaient intéressés à connaître l'opinion des Premières nations que celles-ci exerçaient leur droit de décider elles-mêmes de leur avenir. Elles estimaient que c'était pour elles la façon la plus claire de montrer au reste du pays qu'elles exerçaient leur pouvoir et leur droit. En fin de compte, leur abstention n'a pas miné l'opinion fédéraliste.

M. Grant Hill: Les résultats du vote ont été serrés, et vous comprendrez qu'ils l'auraient été moins si on avait pu y ajouter ce nombre de voix supplémentaire.

Le chef Phil Fontaine: Je vous avoue ne pas connaître les chiffres exacts.

N'oubliez pas que dans un tel cas, il s'agit de groupes distincts représentant un nombre important de gens qui ont choisi de ne pas se considérer membres de la fédération canadienne. Il s'agit de nations souveraines qui décideront elles-mêmes si elles participeront ou non à un processus qu'elles estiment d'ordre interne.

M. Grant Hill: Mais on peut dire néanmoins qu'une grande majorité des Autochtones du Nord a exprimé sa volonté de demeurer au Canada, n'est-ce pas?

Le chef Phil Fontaine: C'est exact.

M. Grant Hill: Croyez-vous qu'une question suffirait à les retirer du Canada de façon arbitraire? Si le Oui l'emportait et que le Québec était en mesure de se séparer, ces Autochtones pourraient-ils être retirés du Canada contre leur gré, à votre avis?

Le chef Phil Fontaine: Absolument pas.

M. Grant Hill: Cela signifie donc qu'il faudrait modifier les frontières du Québec, n'est-ce pas?

Le chef Phil Fontaine: À ce sujet, nous avons toujours dit que si jamais cela se produisait... Mon opinion personnelle, qui n'est pas nécessairement représentative de celle de toutes les communautés des Premières nations, c'est que cela n'arrivera pas. Mais si cela se produisait, nous demanderions alors que le Québec retrouve les frontières qu'il avait avant les diverses modifications qui leur ont été apportées.

M. Grant Hill: Mais ce serait un vrai cauchemar, n'est-ce pas?

Le chef Phil Fontaine: C'est déjà une proposition assez difficile à accepter, et je préférerais de loin traiter avec... Nous avons un grand défi à relever, celui d'améliorer la situation des Premières nations au Canada; pour cela, nous avons besoin d'apporter un grand nombre de changements positifs, et nous avons besoin de l'appui de tous les partis à la Chambre: Les Libéraux, les Conservateurs, les Néo-démocrates, les Bloquistes et même les Réformistes.

M. Grant Hill: Merci.

• 1800

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler: Monsieur Fontaine, le projet de loi C-20 a pour but d'appliquer la décision de la Cour suprême du Canada. C'est dans ce contexte qu'il traite d'éventuelles demandes de sécession du Québec ou d'autres provinces. Corrigez-moi si je me trompe, mais il semble que vous ayez dit aujourd'hui, entre autres, que les Premières nations peuvent également revendiquer une sécession et que, par conséquent, pour cette raison et d'autres que vous avez mentionnées dans votre exposé, elles méritent de participer pleinement à tout processus référendaire.

Le chef Phil Fontaine: C'est tout à fait exact.

M. Irwin Cotler: Si j'ai bien compris, vous avez dit pour conclure votre déclaration que c'est pour cette raison que vous demandez au comité d'examiner soigneusement cet amendement. J'espère que je vous ai bien cité. Je puis vous assurer qu'à titre de membre du comité, je suis prêt à le faire.

Le chef Phil Fontaine: J'apprécie votre appui.

[Français]

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Monsieur le président, je voudrais juste faire un commentaire et ensuite laisser la parole à M. Bachand.

[Traduction]

Je tiens à répéter quelque chose à M. Alcock, aux députés et aux fonctionnaires du Conseil privé qui sont dans la salle, à ceux qui s'inquiètent toujours beaucoup de déclarations unilatérales de souveraineté. Je tiens à dire à nos amis autochtones également que le gouvernement du Québec n'a jamais eu l'intention de se déclarer unilatéralement souverain. Il a toujours eu l'intention de négocier de bonne foi si le Oui l'emporte à un référendum. Cela a toujours été clair. Ceux qui disent le contraire veulent se convaincre que nous ne voulons pas faire les choses de façon démocratique.

Malheureusement, la Cour suprême du Canada a laissé entendre—M. Cotler sait très bien ce qu'a dit la Cour suprême—que le Québec pourrait envisager une sécession unilatérale si le gouvernement du Canada négociait de mauvaise foi. C'est la communauté internationale qui serait l'arbitre dans ce cas.

Je tiens à déclarer officiellement que les souverainistes n'ont aucune intention de déclarer unilatéralement la souveraineté du Québec.

Monsieur Bachand.

[Français]

M. Claude Bachand: Si vous me le permettez, monsieur le président...

[Traduction]

Le président: Vos déclarations sont intéressantes, mais le but de notre réunion est de poser des questions au témoin. Nous allons nous en tenir à cela. Les 45 minutes que nous avions à consacrer à nos témoins sont expirées et je propose donc que nous terminions en remerciant M. Fontaine et M. London de leur participation à nos délibérations.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Je vous suis très reconnaissant d'être venus nous rencontrer; nous vous savons gré de l'aide que vous avez apportée à notre comité. Merci beaucoup.

[Français]

À l'ordre.

[Traduction]

M. Michel Guimond: Monsieur le président, j'invoque le Règlement.

Le président: À l'ordre. Nous pouvons peut-être continuer la réunion.

[Français]

Monsieur Guimond, voulez-vous la parole maintenant ou voulez-vous faire un appel au Règlement?

M. Michel Guimond: Je voulais tout simplement continuer la discussion que j'ai entreprise lundi à 14 h 30.

Le président: Très bien. Vous avez la parole.

M. Michel Guimond: Je parlais de la motion antidémocratique que le gouvernement veut nous imposer, à savoir un bâillon sur les travaux de ce comité.

• 1805

Pour bien comprendre le présent, il est nécessaire de savoir ce qui s'est passé dans l'histoire. J'en étais rendu, donc, à la Commission Bélanger-Campeau, qui formulait une interrogation lourde de sens et de conséquences.

On se rappelle que la Commission Bélanger-Campeau avait mentionné dans son rapport:

    Après vingt-cinq ans de discussions constitutionnelles, deux commissions d'enquête instituées par le gouvernement fédéral, des modifications constitutionnelles majeures apportées en 1982 sans le consentement du Québec et, enfin, l'échec d'une entreprise constitutionnelle qui abordait pour la première fois, dans la perspective du Québec, la dimension politique du problème québécois [l'Accord du lac Meech], il est légitime de s'interroger, à tout le moins, sur la capacité du reste du Canada d'accéder à des choix qui répondent vraiment aux besoins, aspirations et visions propres au Québec. De tels choix ont été jusqu'ici perçus ou traités comme inconciliables avec d'autres besoins, aspirations et visions présents au Canada, ou incompatibles avec le bon fonctionnement de la fédération canadienne.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Karen Redman): Pourriez-vous s'il vous plaît aller discuter à l'extérieur de la salle?

Veuillez continuer.

[Français]

M. Michel Guimond: Merci, madame la présidente. Je continue.

Dans ses conclusions, la commission considérait que deux voies de solution s'offraient au Québec:

    Dans la redéfinition de son statut, deux voies seulement s'offrent au Québec: d'une part, une nouvelle et ultime tentative de redéfinir son statut au sein du régime fédéral et, d'autre part, l'accession à la souveraineté.

La commission recommandera l'adoption d'une loi prévoyant la tenue d'un référendum sur la souveraineté et l'établissement de deux commissions parlementaires: l'une chargée d'analyser toute question relative à l'accession du Québec à la souveraineté, et l'autre chargée d'apprécier toute offre de nouveau partenariat de nature constitutionnelle faite entre-temps par le gouvernement fédéral et liant formellement celui-ci et les autres provinces.

À la suite du rapport de la commission, l'Assemblée nationale du Québec adopte la Loi sur le processus de détermination de l'avenir politique et constitutionnel du Québec, appelée communément la Loi 150, prévoyant un référendum sur la souveraineté, et les deux commissions d'étude dont l'établissement avait été recommandé sont mises sur pied.

Quelques mois plus tard, les discussions constitutionnelles reprendront, et le premier ministre Robert Bourassa acceptera finalement d'y participer.

Les nouvelles discussions ont débouché en 1992 sur l'entente de Charlottetown qui, dans le cadre de deux référendums parallèles et simultanés, fut soumise à la consultation populaire, à la fois au Québec et dans le reste du Canada.

Au Québec, la Loi 150 fut modifiée de manière à substituer au référendum sur la souveraineté un référendum sur la nouvelle entente. Sur le territoire du Québec, la consultation fut conduite sous le régime de la Loi référendaire québécoise, qui connaissait ainsi sa seconde application.

À cet égard, signalons qu'en 1991, face à l'émergence à Ottawa d'un débat sur le recours au référendum pancanadien en matière de réforme constitutionnelle, l'Assemblée nationale du Québec avait adopté une résolution demandant le respect des processus québécois d'autodétermination.

Cette résolution à l'Assemblée nationale se lit comme suit:

    QUE l'Assemblée nationale, tout en reconnaissant le droit pour le Parlement fédéral de se doter d'une loi référendaire, demande au gouvernement fédéral de respecter le processus établi par la loi 150 et, en conséquence, de ne pas initier de référendum pancanadien affectant l'avenir politique et constitutionnel du Québec, réaffirmant ainsi le droit des Québécoises et des Québécois d'assumer librement leur propre destin et de déterminer seuls leur statut politique et constitutionnel.

Les résultats des deux référendums sur l'entente de Charlottetown ne permirent pas sa mise en oeuvre, celle-ci ayant été rejetée au Québec, ainsi que dans cinq des neuf autres provinces canadiennes.

Selon les constitutionnalistes Henri Brun et Guy Tremblay, ce rejet de l'entente de Charlottetown était attribuable au choc de deux visions différentes de ce que devrait être le Canada. Les résultats de la consultation illustraient ainsi, de façon éloquente, le constat que la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec avait posé quelques mois auparavant.

Les professeurs Brun et Tremblay mentionnaient, et je les cite:

    Les causes du rejet de l'entente de Charlottetown sont certes multiples et variables d'une province à l'autre. La complexité de l'entente et la dilution qu'elle opérait des diverses revendications constitutionnelles l'ont rendue fort indigeste. Mais, plus fondamentalement, le vote négatif de l'électorat reflétait la difficulté de réconcilier des visions différentes du pays: celui-ci doit-il être plus ou moins centralisé; et le Québec doit-il être une province comme les autres?

• 1810

On en arrive maintenant au référendum de 1995 et à l'évolution subséquente. En 1994, un nouveau gouvernement est porté au pouvoir au Québec avec comme programme de soumettre à la consultation populaire la question de l'accession du Québec à la souveraineté. La démarche proposée prévoyait que cette accession à la souveraineté soit précédée d'une offre formelle au Canada d'un nouveau partenariat économique et politique avec le Québec. Le référendum est tenu le 30 octobre 1995, et les résultats sont serrés: 49,42 p. 100 pour le Oui, 50,58 p. 100 pour le Non.

Comme ce fut le cas en 1980, le gouvernement fédéral a participé activement à la campagne référendaire associée à cette troisième consultation sur l'avenir politique du Québec à être tenue sous le régime de la Loi référendaire québécoise.

Le référendum du 30 octobre 1995 donnera lieu à certains développements en ce qui concerne la question du statut du Québec. Ainsi, le Parlement fédéral adopte une loi sur les vetos régionaux concernant les modifications constitutionnelles. Certains experts ont souligné que cette loi risquait de rendre encore plus difficiles les modifications constitutionnelles multilatérales.

Une résolution sur la société distincte est aussi adoptée. En effet, le 11 décembre 1995, la Chambre des communes du Parlement fédéral adopte une résolution qui reconnaît que le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte et que cette société distincte comprend notamment une majorité d'expression française, une culture qui est unique et une tradition de droit civil, mais sans faire référence aux institutions québécoises. C'est là, monsieur le président, que le bât blesse; j'espère que vous l'aurez constaté.

Le gouvernement fédéral reprend ainsi la définition du Québec comme société distincte proposée dans l'entente de Charlottetown, que les Québécois ont rejetée par référendum en 1992 et qui avait été fortement critiquée à l'époque.

La résolution invite également les organismes des pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement fédéral à prendre note de cette reconnaissance de la société distincte et à se comporter en conséquence. Cela n'a pas empêché le gouvernement fédéral de vouloir imposer un programme de bourses du millénaire, intervenant ainsi dans le domaine de l'éducation, qui relève de la compétence exclusive du Québec, et sur la question de l'aide financière aux étudiants, où le Québec s'est pourtant distingué de l'ensemble canadien, notamment en exerçant, durant les années 1960, un droit de retrait avec compensation d'un programme pancanadien en ces matières afin d'adopter ses propres mesures. La résolution fédérale n'empêchera pas non plus Ottawa de conclure en février 1999, sans l'accord du Québec, l'Entente-cadre sur l'union sociale.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral s'est expliqué sur l'expression «peuple du Québec» figurant au préambule de la résolution sur la société distincte. Je vous cite un discours du sénateur Graham exprimant la position du gouvernement fédéral sur le sujet. Rappelons-nous qu'à ce moment-là, le sénateur Graham... Je ne me rappelle pas s'il était leader de la majorité libérale au Sénat le 5 novembre 1996 et je ne voudrais pas dire une énormité. D'ailleurs, vous avez vu que depuis le début, tout ce que j'ai dit n'a jamais été contesté, sauf peut-être le petit oubli que j'ai fait hier au sujet de Kingston, qui a déjà été la capitale du Canada. Enfin, le sénateur Graham mentionnait:

    La signification de l'expression «peuple du Québec» dans le contexte de la résolution est celle de vox populi—le peuple qui directement ou par le biais de représentants élus a exprimé le désir de voir reconnaître la société distincte qu'il forme au sein du Canada. L'expression «peuple du Québec» dans ce contexte n'est pas utilisée dans le sens d'une collectivité identifiable qui pourrait revendiquer un droit à l'autodétermination.

C'est la position du gouvernement fédéral, et il faut que ce soit clair.

Dans le reste du Canada, la résurgence de la notion de société distincte n'a guère soulevé d'enthousiasme. La reconnaissance de celle-ci s'était avérée l'élément sans doute le plus controversé dans les tentatives échouées de réintégration constitutionnelle du Québec. échoué. Entre autres, une conception de l'égalité des provinces menant au rejet de toute notion de statut particulier pour le Québec a joué un rôle important dans l'opposition à cette reconnaissance dans le reste du Canada. Certains ont donc entrepris de trouver des solutions de remplacement à la société distincte.

• 1815

C'est dans ce contexte que les premiers ministres des provinces du reste du Canada et les dirigeants territoriaux adoptèrent, le 14 septembre 1997, la Déclaration de Calgary traitant du «caractère unique» de la société québécoise.

Vous voyez, monsieur le président, l'évolution: on est partis de société distincte et maintenant, on en est rendus au caractère unique. Je vous fais ces remarques préliminaires parce que tout à l'heure, vous allez voir arriver la notion de foyer principal. C'est à en perdre son latin. Mais là je vous dis que la Déclaration de Calgary traitait du caractère unique de la société québécoise.

La Déclaration de Calgary propose un cadre de discussion en sept points, dont l'un porte sur le caractère fondamental, pour le bien-être du Canada, du caractère unique de la société québécoise, constitué notamment de sa majorité francophone, de sa culture et de sa tradition de droit civil. La Déclaration de Calgary, une déclaration de nature politique et non pas constitutionnelle, faut-il préciser, a été approuvée par les différentes assemblées législatives provinciales, à l'exception de l'Assemblée nationale du Québec. Cette dernière a toutefois tenu des audiences où des experts ont été appelés à témoigner au sujet de la déclaration. Durant ces audiences, plusieurs d'entre eux ont estimé que la déclaration ne répondait pas aux demandes traditionnelles du Québec ou allait à l'encontre de celles-ci.

Outre la nouvelle dilution de la reconnaissance du fait québécois que l'on y propose, l'insistance des auteurs de la déclaration sur le concept d'égalité des provinces fut remarqué par les experts. Ce principe, que la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec avait considéré comme l'une des sources du choc des visions politiques s'étant manifesté par l'Accord du lac Meech, reste donc un obstacle majeur à l'aménagement d'une relation particulière entre le Québec et le reste du Canada au sein du régime fédéral. Plusieurs experts ont vu dans cette insistance sur l'égalité des provinces une volonté d'encadrer la reconnaissance du caractère unique pour en limiter fortement la portée. À cet encadrement s'ajoute un silence dans la définition du caractère unique, comparable, à cet égard, à l'entente de Charlottetown rejetée par les Québécois...

[Traduction]

M. Reg Alcock: J'invoque le Règlement, monsieur le président.

[Français]

M. Michel Guimond: ...quant à la dimension institutionnelle de la réalité québécoise.

Le président: Il y a un rappel au Règlement.

[Traduction]

M. Reg Alcock: Avons-nous le quorum?

[Français]

Le président: Non, il n'y a pas quorum.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, j'aimerais savoir ce qui arrive dans ce cas-là.

Le président: Je dois interrompre la séance. À 19 h 30, s'il y a quorum, nous recommencerons afin d'entendre les autres témoins qui seront ici. Sinon, le comité ajournera ses travaux jusqu'à demain, 15 h 30. Je crois que c'est l'heure du premier témoin.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, j'étais en train de lire. Pourriez-vous m'indiquer quel député a demandé s'il y avait quorum?

Le président: C'est M. Alcock.

M. André Bachand: M. Alcock, le secrétaire parlementaire du ministre?

Le président: Oui.

M. André Bachand: Ah, bon.

Le président: La séance est suspendue jusqu'à 19 h 30.