Passer au contenu
Début du contenu

JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 17 novembre 1998

• 0910

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. Nous examinons le projet de loi C-40, Loi concernant l'extradition, modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel, la Loi sur l'immigration et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle, et modifiant ou abrogeant d'autres lois en conséquence.

Aujourd'hui nous recevons, d'Amnistie internationale, Roger Clark, secrétaire général, et David Matas, coordonnateur du réseau juridique; du Conseil canadien pour les réfugiés, Janet Dench, directrice générale, et Jetty Chakkalakal, avocate. Êtes-vous avec le Conseil?

Mme Jetty Chakkalakal (avocate, Conseil canadien pour les réfugiés): Je pratique le droit des réfugiés pour le Conseil.

La présidente: Je souhaite la bienvenue aux deux groupes. Nous vous avons regroupés car nous avons pensé que vous auriez peut-être un point de vue semblable. Je propose que chaque groupe présente son exposé, ensuite nous poserons nos questions à l'un ou l'autre groupe selon le cas. Je demanderais donc au groupe Amnistie internationale de commencer. Merci.

M. Roger Clark (secrétaire général, Amnistie internationale (Canada)): Merci, madame la présidente, et merci de l'occasion qui nous est donnée de faire cet exposé.

Notre exposé sera en deux parties. Je présenterai des observations liminaires et David Matas fera des observations supplémentaires au sujet des cas qui illustrent les points que nous soulevons.

Amnistie internationale se réjouit de l'introduction du projet de loi C-40 et se réjouit tout particulièrement du fait qu'enfin, le transfert de suspects devant les tribunaux criminels internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie deviendra possible. Voilà maintenant plus de quatre ans que le Conseil de sécurité a créé le tribunal international pour le Rwanda, soit le 8 novembre 1994. Le tribunal international pour l'ex-Yougoslavie a été créé par le Conseil de sécurité il y a plus de cinq ans, soit le 25 mai 1993.

Pendant ces années, les fugitifs ayant commis un crime dans un territoire relevant de la compétence de ces tribunaux pouvaient venir au Canada, mais le Canada n'avait pas le pouvoir de remettre ces fugitifs à ces tribunaux. Pendant plus de quatre ans dans le cas du Rwanda, et cinq ans pour l'ex-Yougoslavie, le Canada a servi de refuge pour ces fugitifs internationaux qui fuyaient ces tribunaux. Amnistie internationale réclame depuis un certain temps l'introduction d'une mesure législative comme le projet de loi C-40 qui permet l'extradition de fugitifs devant les tribunaux internationaux.

Quoi qu'il en soit, même si l'introduction de ce projet de loi nous réjouit, nous sommes préoccupés du fait que le projet de loi n'établit aucune distinction entre la remise à un tribunal international et l'extradition vers un État. Selon les règles de preuve et de procédure du tribunal international pour l'ex-Yougoslavie, les obligations en matière de coopération entre les États prévues dans le statut du tribunal ont préséance sur tout obstacle juridique à la remise ou au transfert de l'accusé ou d'un témoin devant le tribunal qui pourrait exister conformément au droit national ou au traité d'extradition de l'état en question.

Le greffier du tribunal de la Yougoslavie a rédigé des lignes directrices préliminaires pour la législation nationale de mise en oeuvre. Selon une de ces lignes directrices, le tribunal de l'État en question doit approuver le transfert d'un accusé qui a été arrêté pour être confié à la garde du tribunal international sans faire appel aux procédures d'extradition.

Le statut de Rome pour le Tribunal criminel international définit l'extradition et la remise différemment. La remise est définie comme étant la livraison d'une personne par un État au tribunal, conformément au statut. L'extradition, d'autre part, signifie la livraison d'une personne par un État à un autre tel que prévu dans la convention du traité ou la législation nationale. Le statut de Rome stipule que les exigences concernant le processus de remise dans l'État recevant la demande:

    ne devraient pas être plus contraignants que celles qui s'appliquent aux demandes d'extradition conformément aux traités ou à des ententes entre l'État recevant la demande et les autres États et devraient, dans la mesure du possible, être moins contraignants, pour tenir compte de la nature distincte du tribunal.

Le projet de loi C-40 n'est pas conforme à ces dispositions. Selon le projet de loi C-40, le transfert d'un accusé qui a été arrêté pour être confié sous la garde d'un tribunal international, se fait selon les procédures d'extradition. Le projet de loi C-40 doit être amendé de façon à mettre en place un régime de remise aux tribunaux internationaux qui soit distinct du régime d'extradition.

L'assimilation de l'extradition vers les États avec la remise aux tribunaux que l'on retrouve dans le projet de loi C-40 crée un certain nombre de problèmes: l'application de la règle de la spécificité, le recours à la règle d'exception politique, qui donne préséance au ministre plutôt qu'aux tribunaux, et les rigueurs de la règle de la sanction réciproque.

• 0915

Le projet de loi C-40 propose l'adoption de la règle de la spécificité. La règle de la spécificité est conçue pour protéger l'intérêt de l'État en assurant que l'accusé ne sera jugé que pour des infractions qui sont analogues à celles que l'on retrouve dans son propre système de justice pénale. Cette préoccupation ne s'applique pas à un tribunal international. Selon le projet de loi C-40, le ministre peut demander au partenaire d'extradition toutes les garanties qu'il juge appropriées et peut assujettir l'extradition à toutes les conditions qu'il juge appropriées, notamment une condition selon laquelle la personne ne devra être poursuivie ni exposée à aucune sentence pour toute infraction ou conduite autre que celle dont il est question dans l'arrêté d'extradition.

Le projet de loi C-40 propose l'adoption de l'exception pour infraction politique. Cette exception n'est pas non plus appropriée dans les cas de remise à un tribunal international. Selon le projet de loi C-40, le ministre doit refuser l'extradition s'il est convaincu que les actes reprochés constituent une infraction à caractère politique. Pourtant, l'exception pour infraction politique n'a aucun rapport avec le génocide, d'autres crimes contre l'humanité ou avec d'autres violations graves du droit humanitaire.

Le projet de loi C-40 fait du ministre celui qui rend un jugement définitif sur des questions qui, selon le traité, relèvent des tribunaux internationaux. La Loi concernant l'extradition qui est proposée va à l'encontre de l'intention de faire en sorte que ce soit les tribunaux internationaux qui décident de l'admissibilité de toutes les causes dont ils sont saisis, cette décision étant sans appel.

Le projet de loi C-40 prévoit que le ministre peut refuser de prendre un arrêté d'extradition s'il est convaincu que l'intéressé, s'il subissait son procès au Canada, bénéficierait d'une libération du fait d'une condamnation ou d'un acquittement antérieur; ou si le ministre est convaincu que l'intéressé fait l'objet d'une poursuite criminelle au Canada pour les actes à l'origine de la demande d'extradition; ou si aucun des actes à l'origine de la demande d'extradition n'a été commis dans le ressort du partenaire. Bien que tous ces motifs soient des raisons légitimes pour refuser l'extradition, selon les traités ce devrait être les tribunaux qui tranchent ces questions, non pas le ministre.

Le projet de loi C-40 propose l'adoption de la règle de la sanction réciproque. Une telle règle ne devrait pas être imposée dans les cas d'extradition devant les tribunaux internationaux. Aux termes du projet de loi C-40, un accusé ne peut être extradé à moins que l'acte commis par cette personne, s'il avait été commis au Canada, aurait constitué une infraction punissable au Canada, dans le cas d'une demande fondée sur un accord spécifique, par une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans ou plus ou par une peine plus grave, et dans tout autre cas par une peine d'emprisonnement d'un maximum de deux ans ou plus ou par une peine plus grave, sous réserve d'une entente d'extradition pertinente.

Le problème n'est pas seulement que les demandes d'extradition risquent d'entrer en collision avec la règle de la sanction réciproque, la règle de la spécificité ou l'exception pour infraction à caractère politique. Même si en fin de compte l'extradition sera le résultat probable, le simple fait que ces questions puissent être légitimement soulevées aux termes des procédures d'extradition convenues dans le projet de loi C-40 signifie que les procédures risquent d'être inutilement prolongées. Les procédures d'extradition pourraient mener à de longs délais dans le transfert de l'accusé aux tribunaux.

Aucune de ces questions ne peut être légitimement soulevée lors du transfert d'un accusé à un tribunal international. La question cruciale, si un tribunal demande au Canada d'extrader un accusé, ne sera pas de savoir si les crimes sont définis de la même façon dans les deux pays, mais si les tribunaux canadiens sont en mesure de traduire un suspect ou accusé en justice au cours d'un procès équitable et s'ils sont prêts à le faire.

L'exigence selon laquelle il faut satisfaire à la règle de la sanction réciproque avant qu'une personne puisse être extradée à un tribunal international peut causer encore plus de retard. Cela peut mener au refus d'extrader des criminels de guerre ou des criminels contre l'humanité devant un tribunal international. L'affaire Imre Finta illustre bien ce problème. L'arrêté dans cette cause et les différences qui se trouvent dans le statut de la Cour criminelle internationale figurent dans notre mémoire en annexe. Le Code criminel doit être modifié pour permettre de renverser la décision dans l'affaire Finta. Cependant, à moins que le Code criminel ne soit modifié et jusqu'à ce qu'il le soit, la règle de la sanction réciproque contenue dans le projet de loi C-40 risque d'empêcher l'extradition de criminels et de criminels de guerre contre l'humanité devant les tribunaux internationaux.

• 0920

Si un fugitif international que le tribunal international pour le Rwanda ou le tribunal international pour l'ex-Yougoslavie ou le Tribunal criminel international a le pouvoir de poursuivre, demandait refuge au Canada et si le projet de loi C-40 était adopté dans sa forme actuelle, le Canada serait peut-être incapable, à cause de la décision dans l'affaire Finta, d'extrader le fugitif vers le tribunal. En invoquant la décision Finta et la règle de la sanction réciproque contenue dans le projet de loi C-40, le fugitif pourrait prétendre qu'il n'a jamais été trouvé coupable de cette infraction ici au Canada.

L'interprétation par la Cour suprême du Canada des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité contenue dans le Code criminel illustre bien jusqu'à quel point la règle de la sanction réciproque est inappropriée en ce qui concerne la procédure d'extradition vers les tribunaux internationaux. Quel que soit l'intérêt d'un État pour refuser d'extrader un de ses ressortissants vers un autre État pour une poursuite, cet intérêt ne s'applique pas à une demande provenant d'un tribunal international ou du Tribunal criminel international.

Amnistie internationale recommande que le projet de loi C-40 soit amendé pour établir une distinction entre la remise à un tribunal et l'extradition vers un État. Les procédures de remise et d'extradition devraient être différentes. Pour la remise, les procédures devraient prévoir des garanties pour les droits des détenus tels que définis dans les statuts et les règles des tribunaux: que le mandat pour l'arrestation provisoire d'un suspect ou l'arrestation d'un accusé ait été émis par le tribunal et que la personne détenue soit la personne recherchée dans le mandat.

Les autres aspects des procédures d'extradition, notamment la sanction réciproque, la règle de la spécificité, l'exception pour infraction à caractère politique et le pouvoir du ministre de refuser d'extrader en invoquant pour motif que les tribunaux sont censés avoir le dernier mot, ne devraient pas s'appliquer.

Madame la présidente, j'aimerais déposer un certain nombre de documents qui ont été préparés par Amnistie internationale vers la fin de 1996 et en 1997 concernant la création du Tribunal criminel international et les façons de s'assurer qu'il y ait une coopération efficace entre les États, et que cela s'applique à la fois aux tribunaux et au Tribunal criminel international.

Si vous me le permettez, je vais maintenant donner la parole à mon collègue, David Matas.

M. David Matas (coordonnateur du réseau juridique, Amnistie internationale (Canada)): Je serai très bref.

Je suis heureux de comparaître en même temps que le Conseil canadien pour les réfugiés, et ce pour plus d'une raison. Je tiens cependant à souligner que nos mémoires ont un contenu très différent. Le nôtre porte sur l'extradition vers les tribunaux internationaux et la nécessité d'avoir un régime distinct. Je crois comprendre que de son côté, le Conseil canadien pour les réfugiés parlera de la question de l'extradition vers les États et de l'absence d'un vrai régime de détermination du statut de réfugié dans ce contexte. Je veux tout simplement souligner que moi-même, personnellement, et Amnistie internationale en tant qu'organisation, sommes au courant de ce que le Conseil canadien pour les réfugiés va dire et que nous sommes d'accord avec ce dernier. Nous abordons cependant une question différente.

Mon collègue Roger Clark a expliqué de façon générale pourquoi il est important d'avoir un régime distinct. Ce que je voudrais faire, très brièvement, c'est vous expliquer pourquoi il est nécessaire de procéder ainsi en raison de l'affaire Imre Finta. Nous avons fait une longue analyse de cette cause que nous vous présentons en annexe de notre mémoire, et je n'ai pas l'intention de vous présenter cette analyse en détail. Je voudrais cependant porter à votre attention trois différences entre ce qui est dans la loi canadienne selon la Cour suprême du Canada et ce que prévoit le statut du Tribunal criminel international en matière de poursuite des infractions criminelles internationales.

Dans un cas, il y a la défense des ordres reçus. La Cour suprême du Canada dans l'affaire Finta a reconnu ou accepté ou maintenu qu'il y avait une défense des ordres reçus pour les crimes contre l'humanité et pour les crimes de guerre. Le statut du Tribunal criminel international rejette la notion d'une défense des ordres reçus pour les crimes contre l'humanité. Il l'admet pour les crimes de guerre, mais non pas pour les crimes contre l'humanité ou pour le génocide. Dans l'affaire Finta, ce n'était pas en fait une poursuite pour génocide, mais on peut supposer que la défense des ordres reçus serait possible pour le génocide. Ce n'est certainement pas possible selon le statut du Tribunal criminel international.

Ensuite, il y a la question de l'élément mental nécessaire pour causer un crime, pour être trouvé coupable d'un crime. Pour être trouvé coupable d'un crime, non seulement il faut avoir commis l'acte, mais il faut avoir un certain élément mental. Il faut qu'il y ait intention.

• 0925

Or, la Cour suprême du Canada a dit qu'il était nécessaire d'avoir un très haut niveau d'intention. Selon la Cour, l'accusé doit être conscient du fait qu'il inflige des atrocités indescriptibles à sa victime.

La cour a dit que l'élément mental requis devait se fonder sur un critère subjectif. La Cour a dit que la question n'était pas de savoir ce qu'une personne raisonnable croirait mais plutôt ce que l'accusé lui-même croit. La Cour a dit que les dispositions contenues dans le Code criminel au sujet des crimes de guerre ne pouvaient viser ceux qui tuaient dans le feu de la bataille ou pour défendre leur pays. La Cour a dit que les dispositions du Code criminel au sujet des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité visaient ceux qui infligeaient des souffrances immenses avec une malveillance calculée et sachant très bien ce qu'ils faisaient.

Le statut du Tribunal criminel international dit quelque chose de tout à fait différent. Si la personne a l'intention de commettre un acte en ce sens où elle veut s'engager dans cette conduite par rapport à la conséquence, la personne a l'intention de causer cette conséquence ou est consciente que cela va se produire dans le cours normal des événements.

Ce que dit ce statut est beaucoup plus près d'un critère objectif que ne l'est le critère extrêmement subjectif utilisé par la Cour suprême du Canada.

Troisièmement, la Cour suprême du Canada reconnaît une défense indépendante d'erreur de fait, qui était par ailleurs fondée sur cet élément mental subjectif. Le statut du Tribunal criminel international n'a pas de défense indépendante d'erreur de fait. On parle d'une erreur de fait, mais on l'assimile aux éléments mentaux, en disant que cela ne se produit que si l'erreur annule l'élément mental requis par le crime.

Ce que nous faisons, donc, tout au moins à trois égards très importants, c'est une différence entre l'interprétation de la Cour suprême du Canada de ce qui constitue la loi au Canada en matière de crime de guerre et de crime contre l'humanité et le statut du Tribunal criminel international.

Naturellement, le projet de loi C-40 impose une règle de double criminalité. Une personne doit être trouvée coupable de l'infraction ici au Canada avant de pouvoir être extradée, ou tout au moins il doit y avoir des preuves prima facie. Une personne serait donc trouvée coupable de l'infraction ici au Canada avant de pouvoir être extradée ou remise à un tribunal international.

Par conséquent, à l'heure actuelle, du moins selon la décision dans l'affaire Finta, de nombreux criminels de guerre, de criminels contre l'humanité et des responsables de génocides et peut-être même tous ces derniers, pourraient invoquer l'affaire Finta pour empêcher d'être remis à des tribunaux internationaux.

Dans une certaine mesure, le projet de loi C-40 est en fait supplanté par les événements subséquents. Le projet de loi C-40 a été rédigé il y a quelques années et entre-temps, nous avons eu le statut du Tribunal criminel international. On ne peut pas blâmer les rédacteurs du projet de loi C-40 de ne pas s'être conformés au statut du Tribunal criminel international alors que ce statut n'existait même pas encore lorsqu'ils l'ont rédigé.

Mais il existe aujourd'hui et le Canada a joué un rôle prépondérant dans l'élaboration de ce statut. Nous disons que le Canada devrait être le premier à mettre en oeuvre une loi qui est conforme aux rigueurs de ce statut.

Donc, même si on ne peut pas dire que les rédacteurs du projet de loi C-40 sont à blâmer à cause de la séquence des événements, nous disons qu'il incombe à votre comité de corriger les lacunes du projet de loi C-40 au fur et à mesure qu'elles deviennent apparentes par rapport à ce que l'on retrouve dans le statut du Tribunal criminel international et de créer ces régimes distincts pour l'extradition et la remise.

Merci beaucoup.

La présidente: Madame Dench.

Mme Janet Dench (directrice générale, Conseil canadien pour les réfugiés): J'aimerais tout simplement mentionner que Nicholas Summers vient de se joindre à nous comme troisième témoin représentant le Conseil canadien pour les réfugiés.

La présidente: Bienvenue.

Mme Janet Dench: Le Conseil canadien pour les réfugiés et une coalition d'organisations non gouvernementales qui se préoccupe des droits des réfugiés. Nous avons environ 140 organisations membres au Canada. Nous avons une version écrite de nos commentaires sur le projet de loi C-40 que nous avons présentée au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. J'ai remis un exemplaire de cette lettre au greffier du comité. Ce matin, nous aborderons avec vous essentiellement les points que nous soulevons dans cette lettre.

Tout d'abord, il est important de modifier la Loi canadienne sur l'extradition. Une préoccupation importante pour le Conseil canadien des réfugiés est de s'assurer que ceux qui bafouent les droits de la personne sont traduits en justice. Les réfugiés, en tant que victimes de violations des droits de la personne, ont un intérêt particulier à ce que justice soit rendue. Ils ne veulent pas que leurs tortionnaires restent en liberté et ils ne veulent pas non plus rencontrer leurs tortionnaires au Canada où ils sont venus chercher refuge.

• 0930

Pour nous, le Canada est un pays où il y a des violations des droits de la personne et où on permet depuis trop longtemps des violations flagrantes des droits de la personne. Nous voulons que le Canada prennent les mesures qui s'imposent pour mettre fin à de telles violations.

Par conséquent, nous nous réjouissons des dispositions contenues dans le projet de loi actuel, qui permettront au Canada d'extrader vers les tribunaux internationaux et le Tribunal criminel international.

Cependant, les préoccupations dont nous voulons vous parler concernant le projet de loi découlent de notre même engagement à l'égard des droits de la personne mais concernent les problèmes que nous pose le projet de loi dans sa forme actuelle. Nous reconnaissons que le projet de loi sur l'extradition est conçu pour extrader les gens qui ont commis un crime. Nous aussi sommes d'avis que les criminels ne devraient pas chercher refuge au Canada pour échapper à la justice. Cependant, ce n'est pas parce qu'une personne est accusée d'avoir commis un crime qu'elle l'a nécessairement commis et même dans les cas où une personne a commis un crime, il faut respecter les droits de la personne.

Mme Jetty Chakkalakal: Le Conseil canadien pour les réfugiés s'oppose aux dispositions du projet de loi concernant la détermination du statut de réfugié, plus particulièrement à l'article 96, qui sous-entend une décision négative dans les cas de revendication du statut de réfugié, ce qui est en fait une présomption d'exclusion de l'application régulière de la loi.

Nous ne souhaitons certainement pas que des personnes qui font face à l'extradition abusent du système de détermination du statut de réfugié pour retarder leur extradition. La plupart des personnes touchées ne seront pas des réfugiés. Ce que nous voulons surtout, c'est que ceux qui sont réellement des réfugiés ne seront pas renvoyés dans des pays où ils seront persécutés. Cela est encore plus important, non pas moins important, lorsqu'ils sont accusés de crimes graves. Il est essentiel d'avoir un processus de détermination du statut de réfugié équitable pour respecter nos obligations internationales, mais il faut avoir accès à une procédure de détermination du statut de réfugié. Une exclusion présomptive est essentiellement incompatible avec ce droit.

Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, qui fait autorité en matière de détermination internationale du statut de réfugié, a souligné dans ses observations concernant l'examen législatif de la Loi sur l'immigration plus tôt au cours de cette année, que l'exclusion était la sanction la plus extrême en droit international des réfugiés. Il a dit par ailleurs qu'il était nécessaire de trouver un juste équilibre entre la nature de l'infraction présumée et le degré de persécution à craindre. Il considérait que l'exclusion devrait être examinée comme faisant partie du processus de détermination du statut de réfugié de façon à ce que le décideur puisse tenir compte de tous les facteurs pertinents, notamment des circonstances atténuantes.

La Cour suprême du Canada a tranché récemment dans l'affaire Pushpanathan que l'exclusion du processus de détermination du statut de réfugié constituait une exception pour les droits des droits de la personne et que par conséquent elle devrait être interprétée et appliquée de façon restrictive. Cette exclusion n'est pas une simple décision administrative. L'amendement proposé qui fait en sorte qu'une décision d'extrader aurait pour résultat de considérer la décision de la commission du statut de réfugié comme étant négative ne permettrait même pas qu'une détermination adéquate ait lieu afin qu'une décision qui a une importance de vie ou de mort puisse être prise à la lumière de toutes les circonstances pertinentes. Cela laisse donc cette décision très importante à la merci des caprices politiques et il n'y a absolument aucune procédure d'appel ou de recours. Il n'y a absolument aucune possibilité qu'un tribunal examine la preuve pour voir si des poursuites qui sembleraient inoffensives dans un autre pays constituent en fait une véritable persécution.

Plusieurs gouvernements étrangers avec lesquels le Canada entretient des relations commerciales étroites pourraient servir d'exemple. Une personne décide de parler contre son gouvernement ou est en désaccord avec ce dernier. Le gouvernement porte de graves accusations criminelles contre cette personne pour la punir. Elle s'enfuit au Canada et demande protection. Elle sait qu'elle ne pourra avoir un procès équitable car elle craint la persécution, qui est déguisée en poursuite.

Aux termes du projet de loi à l'étude, la décision de renvoyer cette personne serait tout simplement à la discrétion d'un membre du gouvernement canadien, qui devrait également tenir compte des considérations politiques, notamment les relations commerciales. Il n'y a pas de procédure d'appel. Il n'y a pas de second examen objectif. Un tel résultat est inacceptable à la lumière de nos obligations internationales de ne pas renvoyer les réfugiés dans un pays où ils seront persécutés. En éliminant l'accès à un juste processus de détermination du statut de réfugié, le Canada ferait le jeu des régimes répressifs et minerait tout rôle qu'il doit jouer dans le domaine des droits de la personne.

M. Nicholas Summers (membre, Conseil canadien pour les réfugiés): En plus des préoccupations soulevées en ce qui a trait à la Loi sur l'immigration, nous craignons par ailleurs que cette loi ne tienne pas compte du fait que le Canada a des obligations aux termes d'autres pactes internationaux, plus particulièrement le pacte contre la torture qui dit clairement qu'il est absolument interdit de renvoyer une personne dans un pays où elle risque d'être torturée. Le Canada est signataire de ce pacte.

• 0935

Je sais qu'à l'article 44 du projet de loi C-40, il y a une disposition permettant au ministre de refuser l'extradition s'il est convaincu que l'extradition serait injuste ou tyrannique compte tenu de toutes les circonstances. Nous disons qu'il ne peut y avoir aucune circonstance qui pourrait justifier que l'on renvoie quelqu'un dans un pays si cette personne risque d'y être torturée.

Tout cela revient au fait que la décision qui doit être prise pour déterminer si quelqu'un est renvoyé est une décision discrétionnaire que prend le ministre. Dans ce cas-ci, aux termes de cette loi, il s'agit du ministre de la Justice. Comme nous l'avons toujours mentionné, il n'y a pas de tribunal indépendant. Il n'y a aucun tribunal qui a la compétence de trancher des questions comme la torture, les revendications du statut de réfugié ou les conditions des droits de la personne dans le pays en question.

Nous disons que la loi devrait mettre en place un processus selon lequel la décision, qui est souvent très complexe et très politique, peut être prise par un organisme indépendant qui a la compétence pour prendre une telle décision et dont la décision peut être claire et transparente.

De tels organismes existent. Nous avons, bien sûr, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui examine les revendications du statut de réfugié. Nous sommes d'avis qu'une telle commission devrait également être mise en place dans un cas comme celui-ci pour examiner les problèmes en matière d'extradition.

La discrétion du ministre ne suffit pas. Je pense qu'une partie du problème est dans le libellé. Le libellé dit simplement que le ministre est «convaincu». Il n'y a aucune définition de ce que l'on entend par le terme convaincu et on ne mentionne pas les facteurs qu'il doit prendre en compte. Le problème dans ce libellé, c'est que le seul appel possible est une révision judiciaire. On sait que lorsqu'il y a pouvoir discrétionnaire, naturellement, il est très difficile de demander une révision judiciaire.

Avez-vous des questions?

La présidente: Strictement à titre de clarification, vous comprenez que toutes ces étapes sont assujetties à la révision judiciaire.

M. Nicholas Summers: Elles sont assujetties à la révision judiciaire, mais comme je l'ai dit, le projet de loi est rédigé de telle façon que toutes les décisions sont discrétionnaires. On dit que le ministre doit être convaincu. Voyez, par exemple, le paragraphe 44(2):

    2) Il peut refuser d'extrader

La révision judiciaire ne permet pas de contester la discrétion, malheureusement, parce que la plupart des tribunaux s'en remettront à la discrétion du ministre.

Mme Janet Dench: J'aimerais ajouter un mot ici. L'article 96 du projet de loi supprime la révision judiciaire dans les cas où l'on juge que l'on n'a pas accordé le statut de réfugié. On ne peut donc pas interjeter appel ni réclamer de révision judiciaire d'une décision qui exclut une personne du système de détermination du statut de réfugié.

La présidente: Voulez-vous commencer, monsieur Reynolds?

M. John Reynolds (West-Vancouver—Sunshine Coast, Réf.): D'accord, je vais en fait poser ma dernière question en premier, puis je reviendrai.

La présidente: Je vais vous limiter à vos sept minutes environ.

M. John Reynolds: Ça va.

Êtes-vous alors d'accord pour dire que le ministre ne devrait pas avoir un mot à dire dans tous ces cas? Vous réclamez la création d'une sorte d'instance d'appel pour les réfugiés. Mais vous ne vous contenteriez pas d'une révision judiciaire sans intervention du ministre?

M. Nicholas Summers: Pas nécessairement. Un juge n'a pas nécessairement la compétence non plus pour examiner une telle question. Ce qu'il faut vraiment, c'est un groupe d'experts, tout comme nous avons la Commission du statut de réfugié pour les réfugiés.

Le fait est qu'il s'agit ici de questions très complexes. Vous devez avoir en place quelqu'un qui est capable d'examiner toutes les données relatives au respect des droits de la personne dans un pays. Vous devez évaluer le risque de torture et de persécution. Et les juges des cours d'appel de toutes nos provinces n'ont tout simplement pas la compétence voulue pour faire ce genre d'examen.

M. John Reynolds: Le ministre n'aurait donc jamais son mot à dire?

M. Nicholas Summers: Non, ce n'est pas ce que je dis. Vous pourriez vous adresser au ministre, mais je crois que le ministre doit... De toute évidence, le ministre est le responsable ultime. Cela doit être ainsi. Mais il peut confier à un groupe d'experts le soin de prendre la décision. Le ministre peut ensuite la confirmer ou prendre d'autres mesures.

• 0940

À l'instar de la Commission du statut de réfugié, il y a ici une quasi-indépendance. Le ministre est donc en mesure de dire que la décision a été prise par une instance qui n'est pas politisée et que c'est une décision équitable.

M. John Reynolds: Si vous partez bien sûr du principe que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'est pas politisée.

La présidente: Il se peut que vous ne soyez pas du tout d'accord avec lui sur ce point.

M. Nicholas Summers: Peut-être pas.

M. John Reynolds: Je suis d'accord avec vous, si vous pouvez trouver une instance apolitique—peut-être un tribunal—, mais je veux savoir si c'est le ministre qui a le dernier mot. Si l'on choisit quelqu'un qui va prendre des décisions, cette personne ne devrait-elle pas être en mesure de prendre toutes ces décisions sans le risque que celles-ci soient infirmées? Et s'il s'agit d'experts, pourquoi permettrait-on que leurs décisions soient infirmées?

M. Nicholas Summers: Si le processus est transparent et que le ministre invoque son pouvoir résiduaire pour infirmer la décision d'une commission qui relève de lui, il devra bien sûr rendre des comptes au public. Les problèmes qui se posent maintenant tiennent au fait que ces décisions sont souvent prises hors de la vue du public, on n'a pas besoin de donner de motif, et on ne fait qu'émettre une ordonnance.

Mme Janet Dench: J'aimerais clarifier ce que nous demandons: nous ne proposons pas de mécanisme précis mais bien des principes dont nous voulons assurer le respect; nous voulons que les décisions soient prises par une instance impartiale et compétente.

M. John Reynolds: Eh bien, le ministre serait impartial.

Permettez-moi de citer la déclaration du premier groupe, où il est dit:

    Le projet de loi C-40 fait du ministre le juge ultime dans des domaines qui, selon le traité, relèvent des tribunaux internationaux. [...] l'intention est de faire [de ces tribunaux] les juges ultimes... dans toutes les affaires dont ils sont saisis.

J'aimerais comprendre ce que vous dites. Le ministre devrait-il s'abstenir de prendre la moindre décision dans toutes ces affaires? Est-ce que seul un juge devrait prendre la décision?

M. David Matas: Selon les traités, il y a des tribunaux qui prennent ces décisions, ce sont donc ces tribunaux qui doivent prendre les décisions.

M. John Reynolds: Donc si le tribunal décide que M. X doit être traduit devant lui, que devrait être la position du Canada? Quel est votre point de vue? Que nous devrions tout simplement lui passer les menottes et le remettre à ce tribunal sans qu'il y ait de procédure équitable au Canada?

M. David Matas: Je pense qu'il nous appartient de nous assurer que cette personne est bel et bien M. X.

M. John Reynolds: Et c'est tout.

M. David Matas: Ces tribunaux eux-mêmes ont des règles de procédure, d'application régulière de la loi, et nous devons nous assurer qu'elles sont respectées. Nous ne pouvons pas invoquer le fait que le tribunal a demandé à juger quelqu'un pour violer les droits qui sont prévus par le traité. Il y a toute une série de droits, et nous avons joué un rôle très actif dans la définition de ces droits. Nous devons donc nous assurer que ces droits sont respectés, et nous devons nous assurer que le tribunal est saisi des affaires qui relèvent vraiment de ses compétences.

Il y a donc trois choses: s'assurer que les droits prévus par le traité sont respectés; s'assurer que le tribunal est saisi de la requête voulue; et s'assurer que la personne que l'on veut juger est bel et bien la personne qui vient chez nous. Et oui, c'est tout.

M. John Reynolds: Et ensuite on l'extrade.

M. David Matas: C'est exact.

M. John Reynolds: Qu'en est-il si le tribunal a le droit d'imposer la peine de mort?

M. David Matas: Eh bien, le fait est que dans l'ex-Rwanda, dans l'ex-Yougoslavie et au Tribunal criminel international—où nous jouons un rôle très actif—, on n'impose pas la peine de mort.

Il y a une disposition dans le projet de loi C-40 relative à la peine de mort. Nous en sommes très heureux, et nous y tenons. Votre exemple hypothétique d'un tribunal international qui, un jour, imposerait la peine de mort...

M. John Reynolds: Cela s'est fait par le passé.

M. David Matas: Cela n'existe plus dans aucun tribunal; c'est une chose qui appartient à un passé lointain. Je dirais que c'est tout à fait improbable aujourd'hui étant donné l'état des choses à l'échelle internationale. Il y a aujourd'hui tellement d'États qui refusent d'extrader ou de rendre un suspect passible de la peine de mort qu'à mon avis, il serait impossible de créer un tribunal international qui imposerait la peine capitale parce qu'aucun tribunal de ce genre ne serait fonctionnel. Un trop grand nombre d'États refuseraient de coopérer avec ce tribunal.

M. Roger Clark: Permettez-moi d'ajouter qu'à mon avis, l'ensemble des lois internationales aujourd'hui, de même que les décisions rendues par la Commission des Nations Unies sur les droits de la personne au sujet de la peine de mort, vont tout à fait dans le sens opposé. Chose certaine, toutes ces lois et toute cette jurisprudence militent contre toute forme de réintroduction de la peine de mort au niveau national, je crois donc que c'est non seulement hypothétique, mais tout à fait improbable en toute circonstance à l'échelle internationale.

M. John Reynolds: Ce qui me préoccupe, c'est que si on n'a pas un système quelconque ici, on pourrait se retrouver avec quelqu'un, comme ce gars-là, aux États-Unis, Demjanjuk—je ne suis pas sûr si c'est son nom...

M. David Matas: Demjanjuk, oui.

M. John Reynolds: ... qui a été innocenté après de longues procédures.

La présidente: Il n'a pas été reconnu coupable de l'accusation qui pesait contre lui, il n'a pas été nécessairement innocenté.

M. John Reynolds: Oui, eh bien, je ne veux pas prendre de risque. En l'absence de voies de droit régulières, on pourrait se retrouver avec un tas de gens qui seraient accusés et qui seraient obligés d'aller se défendre dans un pays étranger.

M. David Matas: Non, nous ne parlons ici que des tribunaux internationaux. Nous ne parlons pas d'extradition vers des États étrangers. Lorsqu'il y a extradition vers un État étranger, il n'y aucun problème, sauf pour cette disposition concernant les réfugiés, laquelle nous préoccupe aussi. Nous ne disons pas qu'il faut faire disparaître toute protection contre l'extradition vers un État étranger. En ce qui concerne les tribunaux internationaux, il existe de nombreuses protections; vous n'avez qu'à lire ces traités. Comme je l'ai dit, le Canada a joué un rôle important dans la négociation de ces protections. Nous disons qu'il faut respecter les traités; c'est tout.

• 0945

Ces traités disent que ce sont ces tribunaux qui doivent décider de ces questions. Nous sommes les premiers à prendre cette décision, et nous ne devrions pas dire une chose ici autre chose là-bas.

La présidente: Merci.

Monsieur Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Je veux seulement m'assurer que je comprends bien la position d'Amnistie internationale et de votre collègue, M. Matas. Dans l'ensemble, vous êtes satisfaits du projet de loi C-40. Cependant, vous croyez que l'extradition vers un État partenaire ou un État qui la requiert, et l'extradition vers un tribunal des droits de la personne devraient suivre chacune une procédure différente. Il devrait exister une procédure particulière pour l'extradition vers un tribunal international.

J'aimerais que vous reveniez sur ce point et que vous nous exposiez à nouveau votre position pour qu'elle soit très claire pour nous. Quels amendements souhaitez-vous voir apporter au projet de loi?

M. Roger Clark: Essentiellement, vous avez raison. Cette distinction qui est faite dans notre présentation entre la remise d'une personne par un État à un tribunal international ou à la cour internationale criminelle doit être très claire, très visible dans le projet de loi et dans la loi elle-même. En effet, comme on l'a dit en réponse à la question précédente, il s'agit là d'une institution internationale qui a été créée avec la volonté conjointe des nations et où le Canada a joué un rôle primordial. Le Canada a contribué plus que n'importe quel autre État à la création de la cour internationale criminelle.

Donc, entre ce qu'on appelle l'aide mutuelle, d'État à État, et l'aide juridique internationale entre un État et un tribunal, il faut établir une distinction très claire et très visible. Actuellement, dans le projet de loi, cette distinction n'apparaît pas, et on peut même tirer la conclusion qu'on parle uniquement de l'extradition vers ces tribunaux. Or, cela ne concorde pas à la fois avec ce qui est contenu dans le statut de Rome et ce qui est déjà présent dans les lois gouvernant les tribunaux internationaux.

M. Réal Ménard: Mais le projet de loi C-40 comporte des allusions et établit des distinctions entre un tribunal et un État. On mentionne même en annexe la liste des États avec lesquels nous avons des traités et ceux avec lesquels nous n'en avons pas. Plus spécifiquement, en termes juridiques, pour qu'on se comprenne bien, quel genre de nuances souhaiteriez-vous voir figurer au projet de loi?

[Traduction]

M. David Matas: Vous dites qu'il y a une distinction dans le projet de loi entre tribunaux et États, mais en fait, si vous lisez le projet de loi, vous allez voir qu'il n'y a pas de distinction. Il y a un régime pour tous, c'est la même formule pour tous. On mentionne dans une annexe les États et les tribunaux, mais tous sont sous le même parapluie, et le processus est le même pour tout le monde.

Ce que nous envisageons, c'est une procédure pour la remise aux tribunaux qui serait différente de la procédure d'extradition vers les États, de telle sorte que la loi elle-même énoncerait des étapes précises pour l'extradition vers les États, et elle dirait qu'il faut respecter ces étapes, et pour la remise aux tribunaux, il existerait une procédure différente; vous suivriez ces étapes, vous les respecteriez, et il s'agirait de procédures différentes et de critères différents.

D'ailleurs, à un certain moment, nous avons envisagé la possibilité de proposer deux lois différentes. Mais vous avez dit dans votre préambule que nous sommes heureux de l'ensemble de ce projet de loi, et c'est certainement le cas. En fait, nous sommes plus qu'heureux. Il y a plusieurs années que nous réclamons l'adoption d'un projet de loi comme celui-ci. Étant donné que nous sommes obligés d'avoir une loi comme celle-ci depuis cinq ans, soit depuis la création du tribunal pour l'ex-Yougoslavie. Ce projet de loi a donc cinq ans de retard, et entre temps, on a vu arriver des fugitifs de l'ex-Yougoslavie.

[Français]

M. Réal Ménard: Monsieur Matas, je comprends la distinction que vous souhaitez que les membres adoptent, distinction entre la procédure qui s'applique à un État et la procédure s'appliquant à un tribunal. Ce que je cherche à comprendre, c'est pourquoi, en corollaire, vous dites que la règle de la spécificité ne devrait pas s'appliquer dans les mêmes termes dans le cas des tribunaux internationaux.

• 0950

Au fond, votre préoccupation porte sur le fait que certaines circonstances prévalant dans une demande d'extradition par un État spécifique ne devraient pas s'appliquer à un tribunal international. Vous dites que la règle de la spécificité ne devrait pas s'appliquer. Le mot de la fin ou la règle déterminante qui donne à la ministre le pouvoir de procéder ou non ne devrait pas s'appliquer dans les mêmes termes. Vous dites que lorsqu'il est question de droit international, quand c'est la communauté qui crée un tribunal, ce n'est pas la même chose que lorsqu'un État demande l'extradition.

Parlez-nous précisément de la règle de la spécificité. Quelles pourraient être les conséquences si elle s'appliquait de plein droit? Essayez de nous convaincre qu'en définitive, dans notre système juridique, on rit des gens. Le ministre de la Justice a des responsabilités particulières. Ce à quoi vous nous demandez de renoncer un peu, c'est à la souveraineté nationale. Je suis sûr que sur ce point, mes amis libéraux seront d'accord avec moi. En définitive, quand des gens sont élus pour parler au nom d'une communauté et, en matière de justice, pour prendre des décisions, il n'est pas illogique, dans un tel système, que cela relève du ou de la ministre.

Parlez-nous de la règle de la spécificité. Parlez-nous de ce qui vous embête dans le fait que la ministre ait le mot de la fin, selon l'article 44 qui lui donne le pouvoir, dans certains cas, de ne pas extrader une personne.

[Traduction]

M. David Matas: Permettez-moi de parler d'abord de cette notion de souveraineté, quand vous dites que nous réclamons la limitation de la souveraineté.

[Français]

M. Réal Ménard: Parlez-en avec passion.

[Traduction]

M. David Matas: Je pense que je vais passer ici.

M. Réal Ménard: Je plaisantais.

M. David Matas: La souveraineté existe dans le contexte du droit international et ne trouve sa signification que dans l'ensemble du droit international. Le droit international est un ensemble de lois. Les États sont souverains en vertu du droit international, mais le droit international ne concerne pas que la souveraineté des États, il s'agit de tout un ensemble de lois. Le respect des droits de la personne à l'échelle internationale fait partie de cet ensemble de lois. Les traités qui établissent les tribunaux criminels internationaux font partie de cet ensemble de lois. Si les États veulent que leur souveraineté soit reconnue en droit international, les États pour leur part doivent respecter le droit international qui reconnaît cette souveraineté, à savoir tout l'ensemble des lois internationales.

Ce que nous retrouvons dans ces traités, c'est un autre aspect du droit international auquel les États adhèrent de leur plein gré. Et dans le cas du Rwanda et de l'ex-Yougoslavie, cela a été ratifié. Dans le cas du Tribunal criminel international, le Canada a signé le traité mais ne l'a pas encore ratifié. Ce qu'il lui reste entre autres à faire, c'est adopter une loi pour faire ratifier ce traité. On s'apprête, nous l'espérons, à le faire. Le Canada a également joué un rôle déterminant dans la création de ce tribunal.

Il faut donc conjuguer la notion de l'État souverain avec tous les autres aspects du droit international, y compris ces tribunaux internationaux. Le Canada—à tort ou à raison, mais à raison à mon avis—a décidé d'adhérer à l'idée de ces tribunaux et a joué un rôle déterminant en ce sens, et comme je l'ai dit plus tôt, ce serait manquer de logique si nos propres lois contredisaient ce principe.

J'ai parlé de sanction réciproque, de spécificité et d'exception politique. Il se pose deux problèmes particuliers. Le premier, c'est que même si au bout du compte, le tribunal demande à juger un fugitif et que cette personne est remise en dépit de toutes ces exceptions, le fait même qu'on peut les invoquer va ralentir inutilement les procédures. Nous ne voulons pas que des fugitifs internationaux se retrouvent bloqués pendant des années devant les tribunaux canadiens qui vont débattre de questions qui, au bout du compte, n'ont aucun effet sur nos obligations en vertu du traité parce que cela ne ferait que retarder l'application de la justice internationale. Vous pouvez dire que c'est un problème théorique, mais de toute évidence, l'une des raisons pour lesquelles vous êtes aujourd'hui saisis du projet de loi C-40 tient au fait que les procédures d'extradition prennent déjà beaucoup trop de temps, et elles risquent de prendre encore beaucoup trop de temps si le projet de loi C-40 est adopté tel quel.

L'autre vrai problème, c'est la règle de la sanction réciproque. Avec la règle de la sanction réciproque, le problème qui nous attend ne tient pas seulement au fait qu'on peut soulever cette question et faire traîner les procédures, mais que quelqu'un pourrait en fait échapper à la justice en invoquant cette règle. Notre Code criminel mentionne les crimes, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, qui figurent dans les lois internationales, mais la Cour suprême du Canada a interprété ces crimes d'une manière si restrictive dans l'affaire Finta—que j'ai analysée dans cet index—que chaque criminel de guerre ou criminel contre l'humanité peut invoquer le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Imre Finta, et dire qu'il ne peut pas être reconnu coupable ici de ces infractions. Il peut invoquer la règle de la sanction réciproque et faire valoir qu'on ne peut le remettre à un tribunal international pour une infraction qui répond aux définitions des crimes qu'ont ces tribunaux. En conséquence, à cause de la règle de la sanction réciproque et à cause de la façon dont la Cour suprême du Canada a interprété les dispositions parallèles de notre Code criminel, nous nous retrouverions à contrevenir aux dispositions de ces tribunaux.

• 0955

De toute évidence, on pourrait régler le problème en modifiant le Code criminel, et si je comprends bien, c'est ce que le gouvernement compte faire pour remédier au problème de l'affaire Finta. Mais vous n'avez pas été saisis d'une telle mesure, et tant que cela ne se fera pas, un accusé pourra plaider le jugement Finta et la règle de la sanction réciproque pour éviter d'être remis à un tribunal international.

Je ne sais pas si j'ai été assez passionné à votre goût.

La présidente: Monsieur Ménard, je vais céder la parole à un autre...

[Français]

M. Réal Ménard: Vous me donnerez la parole à nouveau, j'espère.

[Traduction]

La présidente: Je tâcherai d'y revenir.

[Français]

M. Réal Ménard: Merci.

[Traduction]

La présidente: Monsieur MacKay, avez-vous des questions?

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Oui, merci, madame la présidente, et merci à vous tous. Nous sommes très heureux de votre participation.

J'ai une question qui concerne vos réserves relatives à la transparence du processus, et j'essaie de suivre votre argumentation lorsque vous dites qu'une commission serait nécessairement préférable à la discrétion ministérielle dans ce genre de cas. Mon propre sentiment, et je me retrouve dans une position curieuse, moi un député de l'opposition défendant le ministre...

La présidente: J'ai la certitude que sa reconnaissance vous est acquise.

M. Peter MacKay: ...mais de toute évidence, la ministre elle-même, le ministre compétent, ne prend pas ses décisions isolément. Le ministre ne prendre pas de décision dans un contexte circonscrit. Le ministre a un grand ministère à sa disposition, et il tiendra compte de la dynamique politique qui existe ainsi que des traités internationaux qui s'appliquent—tous ces critères dont vous parliez—lorsqu'il va décider de procéder à une extradition. Je ne dis pas que vous nous dites que c'est une seule personne qui décide ici, mais il est évident que le ministre de la Justice va jouer un grand rôle dans la décision.

Donc est-ce le fait que la discrétion est trop centralisée qui vous préoccupe? Est-ce la question de la transparence, le fait que la décision sera prise loin des regards du public ou de la communauté internationale?

Mme Janet Dench: Nous avons une longue expérience du processus décisionnel discrétionnaire dans le système de l'immigration, et nos membres trouvent qu'il est très insatisfaisant parce qu'on ne connaît jamais les motifs d'une décision. On ne sait jamais exactement comment on est parvenu à la décision. À cause de cet état de choses, le processus décisionnel discrétionnaire fait problème pour les défenseurs des réfugiés et des immigrants.

Ce que nous aimerions voir, comme vous dites, c'est un processus transparent ou un décideur indépendant tient compte des arguments d'un requérant et aussi des autres arguments que pourraient présenter d'autres parties.

Dans les cas que prévoit le projet de loi C-40, vous vous retrouvez devant une situation où le décideur est également partie à la décision dans un sens. Étant donné que le ministère de la Justice a décidé de procéder à l'extradition, il est partie prenante. Donc, ce que nous voulons, c'est un décideur indépendant, dans un processus décisionnel transparent, où toutes les parties savent quels éléments interviennent dans la décision, quelle preuve a été entendue, quelle est la décision finale et comment elle est motivée.

Notre seconde objection tient aux pressions politiques. Vous dites que le ministère de la Justice est un grand ministère et que le ministre, de toute évidence, ne prend pas ses décisions tout seul. C'est vrai bien sûr, mais tant et aussi longtemps que la décision ultime appartient au ministre, il doit tenir compte de considérations politiques, ce qui dans bien des cas ne sera pas compatible avec l'intérêt de la personne qui demande justice.

Nous vous avons donné tout à l'heure l'exemple d'une situation où une personne est recherchée par le gouvernement d'un pays avec lequel le Canada a des relations commerciales étroites. De toute évidence, le ministre se retrouvera dans une position malaisée s'il elle se rend compte que la justice ne suit pas son cours, mais en même temps, il va bien voir les conséquences qu'il y a pour le gouvernement du Canada s'il prend personnellement une décision à titre discrétionnaire qui déplaira au gouvernement de ce pays avec lequel le Canada a des relations commerciales étroites. Donc, dans son propre intérêt, il a avantage à ce que cette décision soit prise par une instance indépendante qu'il pourra invoquer si la décision qui a été prise déplaît à ce pays.

• 1000

M. Peter MacKay: J'essaie de trouver la méthode décisionnelle idéale. Si je me rappelle bien, vous avez parlé d'une instance impartiale et compétente. Dans un scénario idéal, est-ce qu'il y aurait des freins et des contrepoids entre le ministre et cette commission hypothétique, si celle-ci devait exister? Qui déciderait finalement? Tout le monde admet, je pense, que le ministre doit disposer d'une certaine discrétion. Vous lui contester le droit d'avoir le dernier mot.

Dites-vous qu'il devrait exister un système dual où le réfugié devrait d'abord comparaître devant une commission? Comme l'a dit M. Reynolds, vous partez de l'hypothèse que la commission elle-même va respecter ces critères, particulièrement celui de l'impartialité. Combien de personnes y aurait-il à la commission? Je veux savoir qui composerait cette commission. À votre avis, qui devrait y siéger?

Mme Janet Dench: Le Conseil canadien pour les réfugiés n'a pas défini exactement le processus qu'il souhaite, il n'a fait que définir les principes qui devraient être respectés.

Bien sûr, nous nous sommes particulièrement intéressés aux questions relatives à la détermination du statut de réfugié. À notre avis, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est un élément positif dans le système dans la mesure où elle constitue une instance indépendante. À notre avis, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié jouit d'une indépendance qui n'est pas parfaite, et nous encourageons constamment le gouvernement à protéger et à bonifier l'indépendance de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

Cependant, pour encourager cette indépendance, nous voulons nous assurer que les décisions sont prises par la CISR, qui est une instance indépendante, et non qu'on y substitue la discrétion du ministère, le ministère dans bien des cas étant le ministère de l'Immigration, mais dans ce cas-ci le ministère de la Justice. Donc une certaine indépendance est préférable à l'absence d'indépendance.

M. Peter MacKay: Merci.

La présidente: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur Lee.

M. Derek Lee (Scarborough—Rivière Rouge, Lib.): Merci.

J'aimerais que l'on reparle de l'affaire Finta. Croyez-vous, monsieur Matas, que si l'on corrigeait le Code criminel d'une certaine manière pour régler le problème dont vous avez fait état, ce projet de loi-ci ne poserait aucun problème? Je songe ici au problème de la sanction réciproque.

M. David Matas: Nous n'aurions pas ce problème dans la mesure où l'on ne pas pourrait invoquer la disposition relative à la sanction réciproque pour bloquer l'extradition. Le problème demeurerait dans la mesure où on pourrait tout de même invoquer cette disposition et faire valoir des arguments en ce sens. Si l'on règle le problème de l'affaire Finta, je pense qu'au bout du compte, les arguments que l'on présenterait relativement à la sanction réciproque seraient rejetés et la personne serait extradée. Mais il n'en demeurerait pas moins que le processus d'extradition prendrait beaucoup plus de temps parce que les tribunaux seraient saisis de questions qui, selon le traité, ne devraient même pas être prises en compte. Le simple fait que l'extradition serait retardée devrait préoccuper le comité.

M. Derek Lee: Nous avons un projet de loi qui vise à aider le Canada à s'acquitter de ses obligations internationales. Mais en même temps, nous avons l'obligation de protéger les Canadiens. C'est pourquoi nous sommes ici; nous gouvernons dans l'intérêt des Canadiens. Ne croyez-vous pas que le projet de loi établit un équilibre raisonnable? Étant donné cette intention, si vous pensez que cet équilibre n'est pas atteint, si vous pensez que le processus qui découlera de ce projet de loi sera trop long ou quoi que ce soit d'autre, quelle solution proposez-vous pour maintenir l'équilibre dans une loi qui sera adoptée dans l'intérêt de tous les Canadiens?

M. David Matas: Pour réaliser cet équilibre, à mon avis, il faut aller voir ce qui se fait ailleurs. Il s'agit de tribunaux dans lesquels nous avons confiance.

• 1005

Les Canadiens font partie de la communauté globale, et nous ne pouvons pas être les seuls à être protégés. Il s'agit ici de fugitifs internationaux, de crimes internationaux, et la seule protection efficace est une protection à caractère international, que nous avons aidée à construire. Il ne s'agit pas seulement du Canada.

De toute évidence, lorsqu'on parle de législation en matière d'extradition, on tient compte de ce qui se passe à l'échelle mondiale. Ce que nous voulons faire, c'est donner à cette loi un sens dans un contexte global. Nous sommes intervenus auprès de ces tribunaux, nous avons joué un rôle déterminant dans leur création, et nous avons obtenu plusieurs choses que nous voulions. Il y avait des mesures de protection que nous voulions. Ce n'est pas nécessairement contradictoire étant donné que ce projet de loi a été rédigé plus tôt. Mais nous avons obtenu ce que nous voulions, et cette loi devrait être compatible avec notre propre proposition internationale, et nous voulons aussi donner l'exemple à d'autres pays. Étant donné que nous avons réclamé cette mesure à l'échelle internationale, ces traités internationaux demandent aux autres États de faire ce que nous voulons. Donc nous devrions...

M. Derek Lee: Oui, nous savons que ce problème se pose. Mais comment le régler?

M. David Matas: La solution que nous proposons, et nous avons une très bonne ligne directrice dans les traités eux-mêmes, c'est que l'on crée deux régimes séparés. Que l'on définisse la remise à un tribunal international différemment de l'extradition vers les États, comme le prévoit le statut du Tribunal criminel international. Nous disons que pour qu'il y ait remise aux tribunaux internationaux, il faut protéger les droits fondamentaux qui sont définis dans les lois habilitantes des tribunaux pour ce qui est de l'accès à un avocat, la détention et le reste. Il y a comme qui dirait toute une déclaration de droits ici. Nous devons nous assurer que la requête provient vraiment du tribunal. Nous devons nous assurer que la personne que l'on veut traduire en justice est bel et bien la personne qui est mentionnée dans le mandat. Mais les autres exigences relatives à la sanction réciproque, à la spécificité, à l'exception politique et à tout le reste ne s'appliquent tout simplement pas à la procédure de remise à un tribunal.

Il y a ensuite un régime d'extradition distinct, s'appliquant uniquement aux demandes des États, conforme à ce qui se trouve dans le projet de loi C-40, avec une modification de la disposition relative aux réfugiés, espérons-nous. Le reste ne changerait pas.

M. Derek Lee: Merci.

J'aimerais poser une question au sujet des réfugiés. Personnellement, je n'ai pas d'objection à ce qu'une personne élue pour gouverner et nommée ministre prenne des décisions. C'est pour ça qu'on paie ces gens-là. C'est pour cela qu'on paie le ministre de la Justice, le ministre des Affaires étrangères, et je pense que c'est ce qui se produira dans le cas de ce projet de loi. Je comprends que vous disiez que d'une façon, les ministres ne sont peut-être pas bien équipés. Je ne suis toutefois pas d'accord vous, mais j'en resterai là.

Voici ma question. Je ne sais pas qui voudra y répondre. Si l'on voulait remettre en question une décision ministérielle, l'exercice du pouvoir discrétionnaire, croyant qu'elle n'était pas bien fondée en droit, qu'il y avait un réel problème, quel document permettrait de contester ce pouvoir discrétionnaire?

Je fais remarquer simplement qu'en prenant des décisions en vertu de cette loi, le ministre de la Justice recevrait habituellement l'information du ministère des Affaires étrangères, avec ou sans la signature de ce dernier. Je ne pense pas que le projet de loi fasse référence à quelque document que ce soit. Peut-être qu'il y aurait simplement un appel téléphonique. Un échange d'idées autour d'un café. Ou alors, une note de service, qui ne serait jamais rendue publique. Même si à votre avis la procédure comporte quelques lacunes, pensez-vous qu'elle pourrait être améliorée si on reconnaissait l'échange de documents officiels entre le ministère des Affaires étrangères et celui de la Justice lorsqu'il s'agit de l'exercice de la discrétion ministérielle relative à des revendications de statut de réfugié?

Mme Jetty Chakkalakal: Je peux commencer, puis je donnerai la parole à Nick.

Comme le disait Janet, nous avons beaucoup d'expérience en matière d'exercice de la discrétion ministérielle. Actuellement, non seulement le ministre n'a pas à nous donner le motif de sa décision, mais il n'a pas à donner les raisons pour lesquelles il a eu recours à la discrétion ministérielle. Dans ce projet de loi, il y a trop de flou, et ce n'est pas seulement lorsque le ministre est convaincu. Aucun critère n'est donné. Il n'y a pas moyen de contester une révision judiciaire et la disposition ne fera l'objet d'aucune révision judiciaire.

Nick.

• 1010

M. Nicholas Summers: Bien entendu, le problème, c'est que ce n'est pas nécessairement le ministre qui prend la décision. Il ou elle délègue ce pouvoir à l'un de ses fonctionnaires et la procédure devient... C'est le ministre qui est responsable, au bout du compte.

M. Derek Lee: Merci. Le ministre sera conseillé par ses fonctionnaires, mais ce sera une décision ministérielle.

M. Nicholas Summers: Oui, mais en réalité, quelqu'un fera tout le travail de recherche, puis le ministre déléguera s'il le veut la décision finale à quelqu'un d'autre.

M. Derek Lee: C'est ainsi qu'on procède dans la plupart des cabinets d'avocats.

M. Nicholas Summers: Oui. Je dis simplement que c'est ainsi que vont les choses.

M. Derek Lee: Quelqu'un fait la recherche.

Je suis désolé, je vous ai interrompu.

M. Nicholas Summers: Je n'ai trouvé qu'une disposition de ce projet de loi qui se rapporte à la documentation: il y a un délai à respecter pour la personne qui ne veut pas être extradée et qui veut présenter une demande expliquant pourquoi elle estime que le ministre ne doit pas donner l'ordre d'extradition. Il n'y a pas d'autres dispositions relatives aux démarches que doit faire le ministre; il doit s'assurer que sa décision tient compte de diverses questions, comme le crime politique, la torture éventuelle, et tout autre critère pouvant justifier que le ministre ne décrète pas l'extradition.

Il n'y a donc aucune précision quant à une procédure documentée. On ne prévoit pas de rencontre entre les parties, ni de discussion. On donne 30 jours pour présenter la demande puis, plus tard, une décision sera rendue. Il n'est pas nécessaire que cette décision soit mise par écrit ni qu'elle soit présentée au revendicateur ni à la partie appelante, ou peu importe comment on veut l'appeler.

M. Derek Lee: C'est ce que je voulais dire. Mais pensez-vous qu'un document officiel de cette nature—qu'on l'appelle un mémoire, une note de service, une note d'information—, pensez-vous que ce document sur lequel repose en tout ou en partie la décision du ministre dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire doive être identifiable et remis à la personne visée par la demande d'extradition? Cela aiderait-il?

M. Nicholas Summers: Bien entendu. Si l'on a accès à tous les documents et aux explications ayant mené à une décision, ce serait une bonne chose.

Ce qui serait encore mieux, c'est la possibilité d'un appel réel, portant sur le bien-fondé de cette décision, parce que ce que nous avons maintenant... Le libellé du projet de loi est même ambigu quant au genre d'appel qu'on peut faire de cette décision, mais je crois qu'un tribunal l'interpréterait comme signifiant que la décision ministérielle peut faire l'objet d'une révision judiciaire par une cour d'appel de l'une des cours supérieures des provinces.

Mais une révision judiciaire n'est pas un appel portant sur le bien-fondé de la décision. Dans une révision judiciaire, on se demande si le ministre était de bonne foi, ou on applique d'autres critères limités.

Ce serait très bien d'avoir la documentation, mais à moins de pouvoir dire que le ministre s'est trompé parce qu'il n'a pas compris tel ou tel aspect de la question ou qu'il n'a pas reçu toute l'information, à quoi cela servirait-il?

Le vice-président (M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)): Merci.

Monsieur Ménard, vous avez trois minutes.

[Français]

M. Réal Ménard: Je voudrais connaître votre appréciation de l'article 44. Je ne sais pas si vous avez en main un exemplaire du projet de loi. À mon avis, en tant que personne qui se préoccupe des droits de la personne, l'article 44 est l'article le plus important de ce projet de loi.

Monsieur Matas, monsieur Clark et Janet, vous avez tous exprimé votre crainte face à la possibilité que ce processus se solde par le retour dans des pays qui pratiquent la torture de gens qui risqueraient de souffrir de traitements inhumains. D'un strict point de vue juridique, n'estimez-vous pas que l'article 44 nous garantit que nous avons des dispositions législatives pour nous prémunir contre de telles appréhensions?

Mme Janet Dench: J'estime que l'article 44 est très intéressant parce qu'il prévoit qu'on refusera une demande d'extradition visant une personne qui est persécutée pour des motifs fondés sur la race, la nationalité, l'origine ethnique, etc. Nous apprécions énormément que cet article soit ainsi libellé parce que ces préoccupations sont au coeur même de nos discussions. Il s'agit d'une question tellement importante qu'il faut s'assurer de prendre la bonne décision.

• 1015

Selon le libellé actuel, on confie à la ministre seule la responsabilité si importante de prendre la décision qu'elle juge être la bonne. Nous éprouvons des réserves face à cela.

M. Réal Ménard: Oui, mais il y a un aspect que vous escamotez. Nous pourrons sans doute un peu plus tard, avant que le projet de loi fasse l'objet d'une troisième lecture à la Chambre des communes, poser cette question aux fonctionnaires, qui ont un pouvoir bien inférieur à ce que vous en dites, d'après moi, même si c'est toujours un rapport de forces, comme on le sait.

Comment évaluez-vous la question de contrôle judiciaire? Les décisions ne sont pas toutes d'ordre discrétionnaire dans le projet de loi. Si vous n'avez pas pris connaissance du résumé législatif qu'on nous a remis, notre greffier pourra peut-être vous le faire parvenir. On y fait état d'au moins deux ou trois étapes où il est possible d'avoir un contrôle judiciaire. Est-ce que vous êtes d'accord pour dire que tout n'est pas laissé à la discrétion de la ministre?

En dernière analyse, il est indéniable que le système prévoit que ce sera la ministre ou le ministre qui prendra la décision. Mais est-ce qu'en précisant comme motif de refus que «l'extradition serait injuste ou tyrannique», l'article 44 donne ces garanties? Comment évaluez-vous l'équilibre qui existe entre le pouvoir de la ministre et le contrôle judiciaire que la loi prévoit à deux étapes?

Mme Janet Dench: Je vais céder la parole à M. Matas.

[Traduction]

M. David Matas: Vous m'avez aussi invité à répondre à cette question et je profite de l'invitation.

Le projet de loi ne dit pas qu'une personne ne sera pas extradée si l'extradition est injuste, oppressive ou si la demande vise une poursuite prescrite, etc. On dit que le ministre refuse l'extradition s'il est convaincu. Le critère, c'est de savoir si le ministre est convaincu ou non. Ce n'est pas ce que disent nos traités internationaux. D'après ces traités, le ministre doit être convaincu que les traités internationaux affirment qu'il doit y avoir des motifs raisonnables de croire... Quand on arrive à la révision judiciaire au Canada, la révision judiciaire ne porte pas sur le bien-fondé de l'extradition mais sur la conviction du ministre.

Si le ministre est convaincu, qu'il ait tort ou non, on a satisfait à ce critère. Mais d'après le droit international, il s'agit de savoir si l'extradition sera injuste, s'il y aura oppression, si c'est dans l'intention de mener des poursuites, etc. Nous n'avons pas le bon critère. Ce n'est pas un critère objectif et réel, mais un critère subjectif quant à l'opinion du ministre.

[Français]

M. Réal Ménard: Vous voudriez que ce soit automatique. Je comprends votre point de vue. Lorsqu'on parle de droit international et lorsqu'il est question de remise à un tribunal international, vous dites que dans le fond, l'appréciation du ou de la ministre ne devrait pas être un facteur. Vous soutenez que ça devrait être automatique dès qu'un tribunal international demande qu'une personne soit extradée ou quelque chose qui s'apparente à ça. Vous ne voudriez pas que l'évaluation de la ministre soit une considération.

[Traduction]

M. David Matas: Exactement. Au plan international, nous avons l'obligation de ne pas extrader quelqu'un pour qu'il soit ultérieurement torturé. Nous devons nous assurer que le ministre est convaincu que l'extradé ne sera pas torturé. S'il est extradé et torturé, le fait que le ministre était quand même convaincu n'assure pas notre conformité avec les traités.

[Français]

M. Réal Ménard: Je comprends votre point de vue. Ce n'est pas sans m'ébranler.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Votre temps est épuisé.

[Français]

M. Réal Ménard: Est-ce que le temps dont je disposais est déjà écoulé? Le temps passe tellement vite à ce comité-ci.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Monsieur Reynolds, s'il vous plaît.

M. John Reynolds: Est-ce que ce projet de loi est tout à fait conforme à la Charte canadienne des droits et libertés? Y a-t-il une disposition non conforme?

M. David Matas: D'après moi, la Charte exprime au Canada l'existence de droits de la personne au niveau international. D'ailleurs, si vous vous rappelez l'évolution de la Charte, vous savez que beaucoup de ses dispositions ont été tirées d'instruments internationaux relatifs aux droits de la personne.

Le droit international en matière de droits de la personne évolue constamment, comme on l'a vu avec la création de ces tribunaux. Ils sont nouveaux et sont une nouvelle façon d'exprimer et de faire progresser le droit international en matière de droits de la personne. Je dirais qu'une évaluation sensible et cohérente quant à la Charte nécessiterait une conformité du projet de loi avec ces tribunaux internationaux, destinés à promouvoir les droits de la personne au niveau international.

M. John Reynolds: Est-ce oui ou non?

M. David Matas: Ma position est la même qu'auparavant, dans ce contexte: il n'est pas conforme à la Charte dans la mesure où il n'est pas conforme aux champs d'application des tribunaux internationaux.

Mme Jetty Chakkalakal: J'aimerais ajouter quelques mots.

Lorsqu'on parle de renvoyer quelqu'un vers la mort ou la torture, nous compromettons sa vie, sa liberté et la sécurité de sa personne. D'après notre charte, on ne peut être privé de ces droits sans une application régulière de la loi.

• 1020

Je pense que tous mes collègues diront comme moi que ce n'est pas le cas ici. Le pouvoir discrétionnaire, ce n'est pas l'application régulière de la loi. Il n'y a pas d'audience. Les motifs des décisions ministérielles ne sont pas donnés. On s'attend à une application plus régulière de la loi lorsqu'on nous donne une contravention - on a plus de droit d'appel et de droit à une audience dans ce cas-là. Lorsque la vie, la liberté et la sécurité d'une personne sont en jeu, on devrait s'attendre à plus.

M. Nicholas Summers: J'aimerais ajouter quelque chose, brièvement. Rappelons que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a été créée à la suite d'une décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Singh. La Cour suprême avait conclu à l'existence d'un droit à l'application régulière de la loi et à une audience devant un tribunal indépendant. Je pense qu'on peut envisager le même genre de chose dans ce cas-ci.

M. Roger Clark: J'ai moi aussi un commentaire à formuler à ce sujet.

Je pense qu'on revient toujours à la question de la souveraineté nationale par rapport à l'autorité des tribunaux internationaux. C'est du moins la question qui est soulevée ici.

Tout d'abord, comme le signalait mon collègue, les pouvoirs des tribunaux internationaux leur ont été conférés dans le cadre d'un processus auquel a beaucoup contribué le Canada. Nous avons créé ces tribunaux et nous avons donc maintenant la responsabilité de s'assurer que les lois nationales - pas seulement les nôtres, mais aussi celles d'autres pays - permettent à ce tribunal international de fonctionner. Je vais vous donner deux exemples de ce problème.

Prenons l'affaire Pinochet. Il est clair que dans son cas, on conteste les pouvoirs des tribunaux internationaux. Dans ce cas-ci, il s'agit de l'extradition vers l'Espagne, mais on y voit tout de même une démonstration de la façon dont les lois et procédures nationales peuvent nuire à un processus visant la justice.

L'autre exemple est celui de la position du Rwanda. Le Rwanda a la peine capitale. Le Rwanda se moque de l'application régulière de la loi et justice n'est pas rendue. Lorsqu'on a créé un tribunal international pour le Rwanda, il était très clair que celui-ci avait des pouvoirs qui primaient sur les procédures du Rwanda même. Autrement dit, la procédure internationale était une garantie reconnue internationalement que ces normes seraient respectées. Autrement, on aurait tout un autre type de problèmes.

Il faut savoir si les tribunaux internationaux, et le Tribunal criminel international, un jour pourront fonctionner sans être à la merci des normes et procédures nationales, même si celles-ci ont du bon. Il faut que le tribunal international ait le pouvoir et la capacité de fonctionner d'une façon qui ne dépende pas d'autre chose, pouvant nuire à la justice internationale ou la retarder.

M. John Reynolds: Il faut donc céder une partie de notre souveraineté.

Le vice-président (M. John Maloney): Une dernière question, monsieur Reynolds.

M. John Reynolds: Dans le cas de Pinochet, c'est différent; il ne s'agit pas d'un tribunal international, mais de relations entre États. Le milieu diplomatique entre en jeu, et tout le reste.

M. Roger Clark: C'est exact, mais il ne s'agit pas de renoncer à sa souveraineté. Il faut que nos lois permettent l'application adéquate des lois internationales. Si des lois nationales empêchent cela, ou ralentissent le processus, ou posent des obstacles, nous ne nous conformons pas à nos engagements internationaux. Voilà de quoi je parle.

Il ne nous coûterait rien d'ajouter à ce projet de loi un régime distinct répondant aux préoccupations soulevées par rapport aux revendications de statut de réfugié, par exemple. Il reste qu'on peut facilement faire une distinction entre l'extradition vers un État, pour laquelle doivent exister nombre de protections, et un régime distinct, reconnaissant une procédure différente pour les tribunaux internationaux et, un jour, pour le Tribunal criminel international.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci, monsieur Reynolds.

Monsieur Peter MacKay, puis M. John McKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Avant que je pose ma question, je dois vous rappeler qu'on reconnaît que notre Charte canadienne des droits ne nous suit pas, quand nous quittons le Canada. Une bonne part de ce projet de loi et ce que nous voulons accomplir grâce à lui, repose sur le fait que le Canada a des relations différentes avec bon nombre de pays. Certains d'entre eux ont signé des accords internationaux dont le Canada est aussi signataire, et nous avons beaucoup de points communs avec eux. Dans notre discussion, le problème, c'est que nous avons une tâche presque impossible à accomplir, c'est-à-dire de concevoir une loi qui convienne pour tous les pays.

• 1025

Au criminel, les pays avec lesquels nous traiterons le plus souvent seront probablement la Grande-Bretagne et les États-Unis, où il y a le plus de voyages. J'ai donc une question au sujet de la peine capitale, sans toutefois vouloir discuter du bien-fondé de cette idée même. Aux États-Unis, on sait que certains États invoquent encore la peine capitale, surtout des États du Sud. Au cours des dernières années, on a vu de nombreux exemples de citoyens américains renvoyés chez eux, dans des États où la peine de mort était invoquée ou pouvait l'être.

Revenons à la définition, à mon avis excellente, donnée par M. Matas. Il s'agit de l'expression interne des droits de la personne au Canada, soit notre Charte. Même les Canadiens ne peuvent pas emporter la Charte avec eux lorsqu'ils sortent du pays, jusqu'où pouvons-nous aller pour l'imposer? La définition dont vous vous servez, c'est la règle de la spécificité. Vous dites que le Canada veut établir une norme qui n'existe dans aucun autre pays.

M. David Matas: On aurait tort de parler du refus de la peine capitale comme s'il s'agissait d'une norme exclusivement canadienne et ainsi de relativiser la chose. Aux yeux d'Amnistie internationale, du moins, nous considérons la peine capitale comme une norme internationale à laquelle ne se conforment pas certains pays, dont les exemples notoires sont nombre d'États américains, bien que ce ne soit pas le cas de tous. Au Canada, bien entendu, on s'y conforme.

Je présume que vous connaissez la disposition du projet de loi C-40 sur la peine capitale. Il s'agit du paragraphe 44(2):

    [Le ministre] peut refuser d'extrader s'il est convaincu que les actes à l'origine de la demande d'extradition sont sanctionnés par la peine capitale en vertu du droit applicable par le partenaire.

Cette disposition se trouve aussi actuellement dans le traité d'extradition courant et dans bon nombre de nos traités d'extradition, y compris celui que nous avons avec les États-Unis.

À notre avis, c'est ce qui doit se produire dans chaque cas; le ministre doit le faire dans chaque cas; il ou elle doit être obligé de le faire et c'est d'ailleurs ce qu'exige la Charte des droits et libertés. Mais c'est une question à part, pouvant être contestée en cour. D'ailleurs, c'est ce qui est arrivé dans les affaires Ng et Kindler, et de nouveau, dans les affaires Burns et Rafay. Nous savons que d'après le gouvernement, cette discrétion doit exister sans obligation, et c'est ainsi qu'il en va actuellement.

Puisque j'ai la parole je vais en profiter pour parler d'un élément de l'accord entre les États-Unis et le tribunal international pour la Yougoslavie. On y dit:

    Les critères visant à déterminer si une personne doit être remise au Tribunal sont exclusivement ceux énoncés dans le présent accord. Aucune condition supplémentaire ni défense faisant obstacle à la remise ne peuvent être invoquées par la personne recherchée pour empêcher qu'elle soit remise au Tribunal, en vertu de l'Accord.

Historiquement, les États-Unis ont protégé leur souveraineté encore plus jalousement que le Canada. Ils ont toutefois accepté le principe d'un régime de remise distinct pour les tribunaux, du moins pour le tribunal visant l'ex-Yougoslavie. Aucune des défenses normalement invoquées en cas d'extradition n'est recevable. Je voulais simplement vous le signaler.

La présidente: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur John McKay, une question et une réponse courtes, s'il vous plaît. Le temps prévu est écoulé.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Je voulais revenir à cette distinction entre «la remise à un tribunal international» et «la remise à un État». Vous êtes déçu du projet de loi parce qu'à votre avis, il faudrait le modifier «de manière qu'il y ait un régime de remise aux tribunaux internationaux distinct du régime d'extradition». Il devrait être, au moins, simplifié.

Lorsque le ministre est venu la semaine dernière, j'avais cru comprendre qu'il fallait satisfaire à des normes supérieures lorsque l'extradition se fait vers un État que lorsqu'elle se fait vers un tribunal. Je parle des normes relatives à la preuve. Je ne m'y retrouve plus. S'agit-il de concepts contradictoires ou y a-t-il une faille dans le projet de loi? Ce n'est pas très clair pour moi.

• 1030

M. David Matas: Si vous examinez le projet de loi lui-même, vous ne trouverez pas de distinction entre les États et les tribunaux. Mais dans l'article sur les définitions, le terme «partenaire» est ainsi défini:

    État ou entité qui est soit partie à un accord d'extradition, soit signataire d'un accord spécifique avec le Canada ou dont le nom figure à l'annexe.

C'est le seul endroit du projet de loi où on distingue entre les États et les entités. On retrouve les tribunaux en annexe, et tout est mis dans le même sac. Les États et les entités sont tous deux définis comme partenaires et tout le projet de loi s'applique aux deux cas, sans distinction.

M. John McKay: Si le ministre a dit que les normes relatives à la preuve pour l'extradition vers un tribunal étaient moins rigoureuses, il s'est trompé.

M. Roger Clark: C'est certainement le cas, d'après le projet de loi. Je dirais qu'il s'est trompé. À moins qu'il puisse prouver, à partir du document, qu'une norme différente sera appliquée... Ce n'est pas ce que j'ai pu voir. En fait, je dirais même que le ministre est d'accord avec nous. Ce qu'il propose en fait, c'est une procédure différente ainsi qu'une norme facilitant le fonctionnement des tribunaux internationaux.

M. John McKay: Vous dites qu'il faudrait que cela soit simplifié.

M. Roger Clark: Exactement.

M. John McKay: Par conséquent, les normes relatives à la preuve sont moins élevées.

M. David Matas: Ce devrait être le cas, mais rien ne le dit, à moins que quelque chose nous ait échappé.

La présidente: Merci beaucoup pour ces deux exposés très intéressants, qui nous ont donné matière à réflexion.

Nous allons suspendre la séance quelques instants, en attendant nos prochains témoins. Nous reprendrons nos travaux dans cinq minutes.

• 1032




• 1040

La présidente: Nous sommes de retour et nous accueillons la Criminal Lawyers' Association of Ontario. Michael Lomer en est le secrétaire et Paul Slansky en est un membre.

Bienvenue, messieurs. Michael, vous nous revenez, après avoir passé deux jours avec nous au printemps dernier.

M. Michael Lomer (secrétaire, Criminal Lawyers' Association of Ontario): Je ne peux plus m'en passer.

La présidente: Bienvenue.

M. Michael Lomer: Merci. Je tiens à remercier les membres du comité qui nous ont invités. Nous allons vous distribuer notre mémoire.

[Français]

Premièrement, je regrette de ne pas être en mesure de vous remettre une copie de la version française de notre mémoire. Je représente un organisme bénévole et je dois avouer qu'avant hier après-midi, nous n'avions même pas encore rédigé quoi que ce soit, que ce soit en français ou en anglais.

[Traduction]

C'est déjà beau d'avoir un mémoire.

La présidente: D'après les règles du comité, il faut le consentement unanime des membres pour accepter un mémoire unilingue. Avons-nous ce consentement unanime?

Des voix: Oui.

La présidente: Merci.

[Français]

M. Réal Ménard: Notre greffier prendra les mesures nécessaires pour qu'il soit traduit et qu'il nous soit distribué par la suite.

M. Michael Lomer: Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente: Merci.

M. Michael Lomer: J'aimerais présenter un bref exposé, comportant un survol de la Loi sur l'extradition actuelle. Elle existe depuis longtemps, mais a tout de même fait l'objet de quelques changements fondamentaux récemment. Lorsque la Charte a été adoptée en 1992, certains droits qu'elle comportait avait une incidence sur la Loi sur l'extradition, comme vous le savez tous. Il s'agissait surtout de droits relatifs à la mobilité, à l'application régulière de la loi, à la liberté et aux peines cruelles et inhabituelles.

En 1992, il y a eu une simplification importante et efficace de la loi. Il n'y avait plus deux procédures distinctes pour la révision judiciaire et pour le ministre, d'une part, et pour la procédure devant les tribunaux. Le processus d'appel a été combiné et les délais, raccourcis de manière importante. Je crois même que l'un de vos fonctionnaires est venu vous dire que ces délais avaient été de beaucoup raccourcis par suite des changements adoptés en 1992.

Je dois aussi signaler que la loi actuelle a survécu à une contestation en vertu de la Constitution. Autrement dit, on l'a contestée et elle a résisté à cette attaque relative à diverses applications de la Charte. Mais tout cela sera désormais oublié parce qu'on a tout changé. Je vais vous expliquer exactement pourquoi, à mon avis, il faut s'attendre à une autre période de contestations judiciaires importantes de ce dont vous êtes actuellement saisis.

Dans cette loi—je pense principalement à l'article 32—on a enlevé l'exigence relative à la preuve selon laquelle elle doit être donnée sous serment, éliminant ainsi les facteurs de fiabilité de responsabilité et de reddition de comptes. La constitutionnalité de presque toutes les dispositions de la nouvelle loi sera contestée, à mon avis, en grande partie parce qu'on a retiré les bases de la constitutionnalité de l'ancienne loi. Autrement dit, les tribunaux pourront toujours se tourner vers l'ancienne loi et exiger des déclarations sous serment; quand le témoin est sous serment, il y a reddition de comptes, fiabilité et responsabilité. Tout cela n'existe plus, et on s'est débarrassé d'un cadre constitutionnel reposant sur une prétention établie prima facie. La nouvelle loi ouvre la porte aux questions quant à sa constitutionnalité, sans qu'une réponse claire puisse être donnée.

Notre mémoire ne vous donne qu'une idée des contestations auxquelles on peut s'attendre. Ce n'est pas exhaustif. Il y en aura sans doute beaucoup d'autres.

D'après l'exposé présenté plus tôt par Amnistie internationale que j'ai écouté, il devrait y avoir deux systèmes distincts, un pour les demandes d'extradition des tribunaux internationaux et un autre, pour celles des États.

• 1045

Les contestations en vertu de la Charte auxquelles nous nous attendons pour cette loi générale sur l'extradition—puisqu'on n'y distingue pas vraiment entre les demandes internationales et celles des États—s'appliqueront également aux deux types de demandes. Alors comme on dit, accrochez-vous ça va barder. Cette loi sera malmenée pendant quelques années avant que la Cour suprême établisse sa constitutionnalité.

Je présume qu'ironiquement, si je pense comme un avocat, je dois vous remercier pour cette période faste où se multiplieront les procès; les avocats ont toujours besoin de travail. Mais il est plus important de vous demander de réexaminer le projet de loi pour voir s'il est vraiment nécessaire, d'abord, de mettre dans le même sac les cours internationales et les États et, ensuite, de se défaire des dispositions relatives à la preuve qui étayent les fondements mêmes de la constitutionnalité de la loi actuelle.

Voilà ce que j'avais à dire et je suppose que nous pourrons maintenant répondre à vos questions.

La présidente: Nous considérons un peu tout cela comme du développement économique pour l'Association du Barreau canadien.

M. Michael Lomer: Nous vous remercions de vos réflexions.

La présidente: Monsieur Reynolds.

M. John Reynolds: Je veux dire que je suis choqué d'avoir entendu ce que vous avez dit. Cela ne me surprend pas mais après avoir entendu les derniers témoins, c'est tout un revirement. Vous êtes les juristes. Comment pouvons-nous rédiger un projet de loi aussi mauvais?

M. Michael Lomer: Je crois que l'on peut dire ironiquement que ce projet de loi a été rédigé par des juristes qui ne voyaient qu'un côté du projet de loi, à savoir ceux qui sont responsables des extraditions pour le gouvernement. Ce pourrait être leur liste de voeux, en quelque sorte.

Sérieusement, c'est aussi que les tribunaux ont par le passé fait passer l'intérêt de l'État avant celui du citoyen dans les cas d'extradition. Cela a toujours été ainsi et je suppose que l'idée est que cela continuera comme cela.

Très franchement, je demanderais que tout le monde fasse attention. Imaginez une seconde que pour le premier cas qui se présente, on ait ce résumé de la poursuite avec, à la fin, une petite attestation disant que oui, ce sont des témoignages que j'ai reçus et j'espère que ça suffit, cela porte sur un cas de peine de mort touchant un citoyen canadien au Texas. Je suppose que nos tribunaux auraient beaucoup à dire sur les droits de cette personne en vertu de la Charte dans un tel contexte. C'est ce que je vois là-dedans.

En fait, monsieur Reynolds, je ne sais vraiment pas comment on peut préparer un projet de loi qui présente ce problème.

M. John Reynolds: Permettez-moi de vous poser cette question. Je n'ai pas pu lire tout votre mémoire, mais avez-vous fait de recommandations concernant des amendements que l'on pourrait apporter aux divers articles de ce projet de loi afin d'essayer de régler ce problème?

M. Michael Lomer: Oui, mais nous n'avons pas fait des recommandations concernant les tribunaux internationaux. N'en concluez pas pour autant que nous ne reconnaissons pas l'importance de ces organisations. Elles représentent l'avenir et nous en faisons partie. Il y a une grosse différence entre envoyer quelqu'un se faire juger par un État sur lequel nous n'avons aucun contrôle et envoyer quelqu'un devant un tribunal international que nous avons aidé à mettre sur pied. Je comprends les questions de souveraineté, mais il y a une énorme différence.

Nous faisons des recommandations, mais il s'agit dans certains cas d'abolir certaines choses et la question des preuves est évidemment très importante. C'est certainement celle qui primera parce qu'elle constituera les prémisses, je suppose, de la plupart des futures contestations en vertu de la Charte.

M. John Reynolds: Merci.

La présidente: Monsieur Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Merci, madame.

Vous êtes des avocats et fiers de l'être. J'ai cru comprendre que vous aviez des inquiétudes face à l'article 32.

M. Michael Lomer: Oui.

M. Réal Ménard: Nous avons en main les modifications que propose le ministère. Rappelez-moi exactement quelles sont vos réserves au niveau de la preuve. Répondez-moi comme si j'étais un étudiant qui suit son premier cours de droit à l'université et qui ne connaît rien. Ce n'est pas le cas, mais faites comme si ça l'était.

• 1050

[Traduction]

M. Michael Lomer: Je sais que c'est en anglais et peut-être qu'il faudrait que cela soit traduit, mais si vous considérez ce que nous avons dit à propos de ce paragraphe 1 de l'article 32, en particulier à propos des deux paragraphes qui suivent l'introduction, les preuves par ouï-dire et les opinions sans réserve deviendraient obligatoirement admissibles. Le contenu des documents qui font partie du dossier d'extradition, conformément à l'alinéa a) du paragraphe (1) de l'article 33 devrait inclure un résumé des éléments de preuve dont dispose la poursuite. Ce résumé doit être certifié, mais pas forcément assermenté et les témoignages ne doivent en aucune façon être résumés par des affidavits de la première personne.

Une fois admis, le contenu de ce document lui-même, conformément à l'article 29, étant donné le seuil très bas qui est proposé pour les éléments de preuve, pourrait être utilisé comme un motif d'incarcération. Le résultat net est que l'on pourrait avoir une allégation de quelqu'un d'anonyme. On a posé une question à propos du ministre en demandant s'il était possible de cacher ou de ne pas dévoiler le nom des témoins. Oui, c'est possible. Vous avez donc quelqu'un dont on ne donne pas le nom et une allégation par ouï-dire qui est non seulement présumée admissible mais également impérativement admissible.

Dans ces circonstances, qu'arriverait-t-il si l'accusé, dans un cas d'extradition, présentait des preuves sous serment pour réfuter cela? Le problème, pour le juge, serait qu'il aurait d'un côté des preuves par ouï-dire non solennelles sans fiabilité prouvée et, de l'autre, des témoignages faits sous serment, assermentés. Cela créera une situation très difficile et je suppose que le juge aura probablement recours à la Charte pour mettre fin à ce genre de chose.

[Français]

M. Réal Ménard: J'aimerais m'assurer que j'ai bien compris vos propos. Vous avez semblé dire qu'en principe, en pareille matière, lorsqu'il est question de droit criminel, la preuve en ouï-dire ne devrait jamais être admise. Je ne sais pas si vous étiez ici présent lorsque la ministre a comparu. On nous a dit qu'une des particularités de ce projet de loi, c'est qu'il devait être compatible avec des régimes juridiques très différents les uns des autres.

Pendant longtemps, le processus d'extradition s'est posé en obstacle à l'endroit de différents pays parce qu'il n'y avait pas de compatibilité au niveau des systèmes de preuve. Alors, comment cela aurait-il pu être différent pour le législateur? Si vous aviez été à la place de M. Lemire ou de quelqu'un d'autre, qu'est-ce que vous auriez proposé comme libellé, compte tenu de ce que je vous exprime au sujet de la communauté internationale?

[Traduction]

M. Michael Lomer: Je ne suis pas expert en droit civil, mais je sais que les témoignages se font sous serment. Il y a le caractère solennel du serment. Il y a une différence entre une conversation courante et quelque chose que l'on présente dans l'espoir d'être cru. Il y a des formalités qui le garantissent.

Ce n'est pas forcément une déclaration sous serment. N'y a-t-il pas des interrogatoires? Ne peuvent-ils pas transcrire ces interrogatoires s'ils sont menés sous serment? Ne pourraient-ils aussi s'appliquer? Il semble à notre association que tout pays qui prétend avoir un système juridique où l'on tranche les questions de culpabilité et d'innocence a une façon de garantir le sérieux du caractère solennel de la chose. Si tel est le cas, cela devrait pouvoir être traduit.

[Français]

M. Réal Ménard: Le comité devrait peut-être tendre vers les éléments de solution que vous proposez. Vous dites qu'il y a un problème parce qu'en pareille matière, la preuve par ouï-dire, qui doit être certifiée conforme en vertu du paragraphe 33(1), constituerait une violation du droit. Vous allez même jusqu'à nous dire que cela pourrait nous exposer à des contestations. Comme élément de solution, vous proposez qu'on puisse prêter serment et qu'on puisse transcrire le processus d'audition. Est-ce que je comprends les éléments de solution que vous proposez?

• 1055

[Traduction]

M. Michael Lomer: Je ne voudrais pas trop insister sur le problème des preuves par ouï-dire. Notre Cour suprême a une série de causes de la common law où l'on admet les preuves par ouï-dire comme exceptions raisonnées à la vielle règle de la common law. Il n'y a pas de raison de croire que cela ne pourrait à nouveau se traduire dans le processus d'extradition.

Ce qui nous inquiète, c'est qu'aucune des dispositions actuellement contenues dans la loi n'exige de rendre des comptes—que les États étrangers, la police étrangère et les procureurs étrangers rendent des comptes—d'assumer des responsabilités ou de présenter des preuves fiables et, là, c'est la question des déclarations sous serment. Donc, qu'il s'agisse de preuves par ouï-dire ou non, c'est une question qui pourrait être réglée par le juge devant le tribunal. Mais pour ces trois facteurs importants, il n'y a absolument rien dans la loi qui à notre avis les garantisse et les arguments avancés par les fonctionnaires ne m'ont pas convaincu.

[Français]

M. Réal Ménard: Mais concrètement, j'ai un peu de difficulté à voir où vous voulez en venir. Moi, je croyais que ce qui était central, c'était la preuve par ouï-dire, bien que cela me semble poser un problème, mais vous dites que c'est plutôt la reddition des comptes qui est centrale. Pouvez-vous définir ce que vous entendez par reddition des comptes?

M. Michael Lomer: Je m'excuse, mais la reddition des comptes...

[Traduction]

L'imputabilité. Merci.

[Français]

M. Réal Ménard: Je crois que le terme que nous cherchons, c'est «imputabilité». Vous voulez que ceux qui prennent des décisions—c'est toujours le voeu de de l'opposition officielle—s'expliquent quant aux décisions qu'ils ont prises.

[Traduction]

M. Michael Lomer: Peut-être pourrais-je donner un exemple. Dans la cause Leonard Peltier, que certains connaissent peut-être, le gouvernement américain a présenté au Canada de faux affidavits en vue de l'extrader.

La présidente: Il y avait une fausse allégation.

M. Michael Lomer: Oui. C'était celle de Myrtle Pooh Bear. On l'a utilisée pendant des années, finalement sans succès, mais au moins c'était là et ils ont dû expliquer pourquoi.

Si vous éliminez l'obligation de présenter des affidavits et de faire les choses sous serment ou des interrogatoires avec transcription qui présentent un caractère solennel, on court le risque que le procureur déclare: «J'ai certifié cela; c'est ce que je pensais qui existait», et personne n'a de comptes à rendre. Il est possible d'éviter d'avoir des comptes à rendre quand c'est sous serment; c'est très facile quand ça ne l'est pas.

[Français]

M. Réal Ménard: D'accord. Bien que je sache que j'aurai l'occasion d'intervenir à nouveau lors du deuxième tour, je retiens qu'il est très important pour vous qu'en toutes circonstances, à chaque fois qu'un juge—en l'occurrence un juge d'extradition—appréciera un élément de preuve, il y ait une déclaration sous serment. C'est ce que vous revendiquez et ce que vous souhaitez que nous inscrivions dans le projet de loi.

[Traduction]

M. Michael Lomer: Oui, et c'est contraire à ce que l'on a dans cet article.

La présidente: Afin que les choses soient bien claires, il y a ici un article qui exigera une contresignature, une signature du procureur en chef certifiant le document, si bien que si c'était le gouvernement fédéral des États-Unis qui demandait l'extradition, Janet Reno ou la personne qu'elle désignerait devrait contresigner cette demande. Cela pour faire au moins assumer une responsabilité politique internationale à la personne qui est responsable dans l'État présentant la demande.

M. Michael Lomer: C'est à l'article 33 où il est précisé que l'on doit inclure un résumé des éléments de preuve disponibles. On peut cacher des milliers de problèmes dans cette expression. Cela inclut le résumé du plaidoyer de culpabilité. Si certains d'entre vous ont quelque expérience du droit criminel, c'est ce que la police tape à la machine pour le plaidoyer de culpabilité de l'intéressé.

Il est toujours assez intéressant d'essayer de faire la part des choses entre les faits et la fiction et cela ne pose même pas forcément de problèmes aux tribunaux. Ils peuvent le faire, mais ils le font en invoquant le caractère solennel du serment, la précision des termes utilisés. Si vous avez un document qui résume les éléments de preuve disponibles, rien ne permet de faire la part des choses.

• 1100

[Français]

M. Réal Ménard: Pour qu'on comprenne bien votre point de vue, vous qui êtes des avocats et qui connaissez le langage juridique, est-ce que vous seriez en mesure de nous proposer un amendement concret aux articles 32 ou 33?

[Traduction]

M. Michael Lomer: Si l'on revient à ce que stipulent les articles 16 et 17 de la Loi sur l'extradition, à savoir qu'il y ait des affidavits ou un interrogatoire par écrit, c'est-à-dire des questions et réponses, tant qu'on a la preuve que cela est fait sous serment, ou par déclaration solennelle, il n'y pas de problème. Il n'est pas nécessaire que ce soit un affidavit. Très franchement, du point de vue pratique, les agents d'extradition, ceux qui font le travail pour les États-Unis ou tout autre État, aident souvent à rédiger des affidavits et aident couramment d'autres pays assujettis au droit civil. Ce n'est pas une question d'incapacité.

Mais il faut un amendement quelconque. Avec le libellé que vous avez actuellement, il faudrait absolument supprimer l'article 32 et indiquer que vous l'avez encore sous serment, soit par affidavit, soit par interrogatoire par écrit. Il faut des éléments de preuve et non pas seulement des rumeurs.

[Français]

M. Réal Ménard: Je veux m'assurer de bien comprendre. J'ai déjà suivi une vingtaine de cours de droit et il m'en reste à peu près 10 à suivre pour obtenir mon baccalauréat; un jour ça viendra, mais on ne peut pas tout faire dans la vie en même temps. Nous proposez-vous de supprimer l'article 16 ou l'article 33? Il serait utile que vous nous présentiez une recommandation très précise si vous voulez que l'on sache exactement quel amendement vous souhaitez. Est-ce que vous souhaitez un amendement à l'article 16 ou à l'article 33?

[Traduction]

M. Michael Lomer: C'est en fait un système. Cela commence par l'article 29 dans lequel: «Le juge ordonne... l'incarcération» lorsqu'il y a «la preuve—admissible en vertu de la présente loi». Évidemment, l'expression «admissible en vertu de la présente loi» nous amène aux projets d'articles 32 à 38. Dans la mesure où les éléments de preuve aux articles 32 à 38 ne correspondent pas à ce que nous entendons par éléments de preuve—sous serment, affidavit, interrogatoires par écrit, transcription ou quelque chose du genre—nous estimons que cette loi fera l'objet de sérieuses contestations en vertu de la Charte.

La présidente: Écoutons M. Slansky. Il voulait ajouter quelque chose.

M. Paul Slansky (membre, Criminal Lawyers' Association of Ontario): Tout d'abord à propos de ce dernier point, dans la loi actuelle, le système se trouve à l'article 13. L'audience d'extradition doit être menée comme une instruction préliminaire, ce qui comprendrait, d'après les interprétations données, les lois canadiennes habituelles sur les éléments de preuve.

Notre proposition concrète consiste essentiellement à revenir à cela. En fait, je crois comprendre d'après son expérience que les problèmes que les fonctionnaires du ministère de la Justice veulent essayer de corriger par ce projet de loi—nous ne pouvons traiter du droit civil parce que le système est différent—ne correspondent pas à la réalité ni à l'expérience que nous avons. Il n'y a pas eu de problèmes. Ils n'ont pas indiqué les cas dans lesquels ils n'ont pas pu obtenir l'extradition dans de telles circonstances. Depuis des décennies, sinon plus longtemps, ce système existe et est tout à fait satisfaisant.

Comme l'a indiqué M. Lomer, les fonctionnaires de la Justice sont là pour aider l'État qui fait une demande à préparer les documents nécessaires. Lorsque j'étais avocat au ministère de la Justice, avant de devenir avocat de la défense, je m'occupais de cela et j'ai aidé des États étrangers à préparer des documents d'extradition. Je crois que les fonctionnaires de la Justice, en proposant ce projet de loi, font en fait une proposition bidon en déclarant que le système ne marche pas alors qu'il marche très bien.

[Français]

M. Réal Ménard: Est-ce pour cette raison que vous avez quitté le ministère?

Des voix: Ah, ah!

[Traduction]

M. Michael Lomer: Il a demandé si c'était la raison pour laquelle vous étiez parti.

M. Paul Slansky: Non. Cela n'avait rien à voir.

La présidente: Le prochain est Peter MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, madame la présidente.

• 1105

Je commencerai par dire que j'ai un faible pour la poursuite si bien que je conteste certaines...

La présidente: Nous ne l'avions pas remarqué du tout, Peter.

M. Peter MacKay: Vous dites que les preuves par ouï-dire ne sont pas admissibles, or il y a des dizaines d'exceptions à la règle de l'ouï-dire.

M. Michael Lomer: Il y a en effet des dizaines d'exceptions et les juges sont les mieux placés pour décider de ce qui doit faire l'objet d'une exception. De façon générale, le procureur qui présente une demande sommaire peut dire qu'un témoin, dont il ne dévoilera pas le nom, va dire que vous avez tiré un coup de fusil sur A.

M. Peter MacKay: Cela me pose aussi un problème.

M. Michael Lomer: C'est une preuve grave par ouï-dire qui ne sera pas acceptée dans ce pays, et qui ne devrait pas l'être.

M. Peter MacKay: Comme vous le savez, en particulier pour ce qui est de l'admissibilité des preuves présentées sur vidéo pour le moment—vous avez parlé du KGB dans votre mémoire—voudriez-vous que cela soit inséré dans ce projet de loi? Devrions-nous exiger ce type de fiabilité ou d'élément de preuve?

Cela semble aller à l'encontre de la conception canadienne actuelle de la preuve par ouï-dire, qui dit que cela a un certain poids. Il y a des tas de sortes d'exceptions qui permettent d'admettre ces éléments de preuve, non pas qu'ils contiennent la vérité mais pour ce qui est dit. Cela entre ensuite dans la prépondérance des preuves.

M. Michael Lomer: Mais ce n'est pas une exception à l'ouï-dire.

M. Peter MacKay: Cela entre dans la prépondérance des preuves. Vous avez déjà reconnu qu'en fin de compte, c'est le juge de première instance qui va prendre cette décision. La défense pourra alors présenter cet argument.

Certes, il devient de plus en plus évident qu'en effet, ça va être énorme. Il va y avoir des tas de procédures qui vont en découler. Je ne sais pas comment on peut l'éviter car chaque fois que l'on parle de l'application de la Constitution en droit, cela entraîne automatiquement des contestations. On peut presque partir du principe que tout projet de loi adopté par notre comité ou n'importe quel autre comité fera l'objet d'une contestation en vertu de la Charte. C'est inévitable.

M. Michael Lomer: Pourquoi ne pas considérer l'expérience de l'ancienne Loi sur l'extradition? Toute contestation possible en vertu de la Constitution a été rejetée et la loi a survécu. Demandez-vous pourquoi. Étant donné que l'extradition peut empiéter sérieusement sur les droits d'un Canadien en vertu de la Charte, comment peut-elle survivre? Si elle a survécu—et c'est ici la cause Smith—c'est parce que c'est sous serment, parce que l'on a le sentiment que c'est fiable. Vous voulez retirer cela. Tant pis.

M. Paul Slansky: En outre, vous faites cela à un moment où l'on doute de la validité de la décision rendue à propos de la cause Smith. Le projet de loi lui-même prévoit des liens vidéo. La technologie a tellement progressé que les conclusions touchant l'affaire Smith ne sont peut-être plus valables. Le recours aux affidavits est ce dont on discutait dans la cause Smith où il n'y a pas eu de contre-interrogatoire. La Cour d'appel de l'Ontario a déclaré—et la Cour suprême du Canada en a convenu—qu'il était nécessaire de permettre des affidavits; sinon le processus d'extradition pourrait échouer. Mais maintenant, avec la technologie des liens vidéo, ça ne serait plus le cas.

Donc, lorsque la technologie atteint un tel niveau qu'il faudra peut-être envisager d'autres protections de liberté dans la phase judiciaire de l'extradition, ce projet de loi semble constituer un pas en arrière. C'est donc autre chose qui inquiète notre association.

M. Peter MacKay: Je n'ai pas encore eu la possibilité de digérer votre mémoire, mais vous contestez beaucoup le libellé des définitions.

M. Michael Lomer: Nos commentaires sont dans l'ensemble purement terminologiques. Nous nous trompons peut-être, mais nous voulons au moins signaler certaines choses pour que, lorsque vous en serez à l'étude article par article, les fonctionnaires qui ont rédigé le projet de loi puissent vous expliquer pourquoi ils ont dit les choses d'une façon plutôt que d'une autre et que vous jugiez par vous-mêmes. Une partie de ce que nous disons s'applique à la discussion que nous avons aujourd'hui et le reste devrait vous servir pour l'étude article par article. Je répète que nous nous trompons peut-être, mais...

M. Peter MacKay: Je comprends ce que vous faites, monsieur Lomer. À bien des égards, vous éliminez des arguments que vous pourriez très bien avancer personnellement plus tard si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle.

Je reviens à la principale question sur laquelle vous vous penchez dans votre mémoire, à savoir l'admissibilité des témoignages non solennels. Dites-vous par là que nous devrions davantage nous en tenir aux anciennes dispositions qui précisent que tout ce qui n'est pas prévu dans les exceptions et n'est pas un témoignage sous serment ne peut être considéré comme fiable...?

• 1110

Comme vous l'avez signalé, nous avons constaté que dans d'autres cas il y a eu de faux affidavits, même si ces déclarations avaient été faites sous serment. Donc, bien qu'il soit rassurant d'avoir ce sceau, ce certificat judiciaire d'un État étranger n'est pas forcément une garantie de fiabilité.

M. Michael Lomer: Non, ce n'est pas une garantie mais ce que vous avez ici, c'est une quasi-garantie de fiabilité.

M. Peter MacKay: C'est donc un seuil plus bas.

M. Michael Lomer: Vous avez éliminé toute garantie de fiabilité. On peut se demander si c'est normal pour les citoyens de notre pays.

M. Peter MacKay: Merci.

La présidente: Monsieur Lee.

M. Derek Lee: Merci.

Dans votre mémoire, vous faites allusion à l'article 17, aux personnes qui sont sous surveillance et vous dites que celles-ci devraient être mises en présence d'un juge dans les mêmes délais que ce qui est prévu dans le Code criminel. Ici, toutefois, aux articles 13 et 16, d'après ce que je comprends, il ne s'agit pas de personnes qui ont été arrêtées par un agent de police; il s'agit de quelqu'un pour lequel un juge a déjà émis un mandat d'arrêt. Je me trompe peut-être et je ne comprends peut-être pas tout, mais l'article 17 stipule que l'intéressé doit être amené devant un juge dans les meilleurs délais. Vous êtes donc un peu injustes en disant que c'est la même chose que dans le cas de quelqu'un qui est détenu dans une cellule de la police et attend d'être amené devant un juge.

M. Michael Lomer: Monsieur Lee, il s'agit là d'un amendement d'ordre plutôt technique. Il n'y a pas véritablement de raison de faire une distinction entre les gens qui sont arrêtés et il y a beaucoup de gens qui sont arrêtées sous mandats qui, au début, sont des mandats émis par des juges, ou autres, qui sont amenés devant la Cour. Si l'on arrête quelqu'un pour l'amener devant la Cour pour une procédure judiciaire quelconque, il n'y a pas de raison d'avoir deux systèmes distincts, un pour ceux qui sont arrêtés en vertu d'un mandat d'extradition et un pour ceux qui le sont en vertu du Code criminel.

C'est simplement une façon de simplifier les choses. Pourquoi ne pas faire preuve d'une certaine constance lorsqu'il s'agit de l'arrestation de personnes?

M. Derek Lee: Ma foi, dans bien des cas d'extradition, il y a peut-être plus de probabilité ou de possibilité que l'intéressé s'enfuie. C'est un élément.

M. Michael Lomer: Une fois arrêté, c'est ensuite une question de mise en libération sous caution et c'est autre chose dont nous avons parlé dans notre mémoire.

M. Derek Lee: J'ai trouvé que votre allusion aux cellules de police était un peu déplacée sachant que la personne a déjà été mise sous surveillance par voie d'un mandat émis par un juge et que le juge n'a évidemment pas choisi la procédure de sommation pour des raisons particulières au cas en question.

M. Paul Slansky: C'est une partie du problème. Pour l'arrestation provisoire, il n'y a que le pouvoir d'arrestation. Pour les arrestations ordinaires, aux termes de la Loi sur l'extradition ou du projet de loi que vous étudiez, il y aura la possibilité d'arrestation ou de sommation et lorsque l'arrestation est la seule option dans les circonstances provisoires, il est important d'avoir la règle de 24 heures qui existe, si je comprends bien, essentiellement pour éviter de longues périodes sous surveillance policière avant d'être amené devant un juge, afin d'éviter des détentions incognito et le risque d'être soumis à des pressions et poussé à faire certaines déclarations, etc. Cette règle de 24 heures existe dans le droit canadien et dans le contexte de l'extradition.

M. Derek Lee: D'accord, je comprends ce que vous voulez dire pour le mandat provisoire, mais de tels mandats incluent les cas où un mandat a déjà été émis et où la personne a été condamnée. Le mandat provisoire recouvre des circonstances très spéciales, notamment la question de l'intérêt public et des choses de ce genre.

De toute façon, vous avez dit ce que vous aviez à dire. C'est peut-être quelque chose qui exigera notre vigilance.

La deuxième question sur laquelle j'aimerais m'arrêter porte sur le processus puisque nous passons de l'ancienne Loi sur l'extradition et les contrevenants fugitifs à ce nouveau système unique.

Aux termes de la loi, si vous défendez quelqu'un qui fait l'objet d'une procédure d'extradition, que feriez-vous à propos des renseignements que le ministre de la Justice prend en considération et qui lui viennent du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ou du ministre des Affaires étrangères? Comment obtiendriez-vous accès à ces renseignements si la loi ne prévoit pas qu'ils soient divulgués? Comment sauriez-vous quels sont ces éléments que le ministre de la Justice a pris en considération?

• 1115

M. Paul Slansky: Il n'existe pas actuellement de mécanisme permettant d'obtenir la divulgation et il n'y en a pas dans le projet de loi proposé. Cela ne peut se faire que sur demande, cas par cas. Comme l'ont indiqué clairement la décision récente de la Cour d'appel de l'Ontario dans Kwok et la décision de la Cour suprême du Canada dans Dynar, il faut tenir compte de la Charte dans tout cas de divulgation. Il y a aussi une distinction à faire entre divulgation pour les fins de la phase judiciaire, qui sera effectivement limitée aux éléments de preuve, et divulgation aux fins de la phase ministérielle.

On peut supposer que si l'avocat de l'intéressé a besoin de connaître certains documents pour présenter des arguments efficaces pour la phase ministérielle, il devra en faire la demande au ministre. Celui-ci y accédera ou non selon les circonstances et si cela devient un problème, l'avocat se déclarera incapable de présenter des arguments efficaces parce qu'il n'a pas accès à ces renseignements, et le juge pourra examiner la décision du ministre. L'avocat avancera qu'il n'a pas pu à présenter une défense efficace ou qu'on a refusé à son client le bénéfice de la justice naturelle dans la présentation de ses arguments au ministre.

M. Derek Lee: Êtes-vous donc convaincu que l'absence de dispositions touchant la divulgation dans ce projet de loi ne pose pas de problème?

M. Paul Slansky: Pas plus qu'à l'heure actuelle. Il serait utile d'avoir des lignes directrices. Le fait qu'il y ait des lignes directrices dans le contexte criminel, dans la cause Stinchcombe à la Cour suprême du Canada et dans les causes Dynar et Kwok, semble indiquer qu'il faudrait modifier un peu les choses dans le contexte de l'extradition.

Ce n'est pas encore clair, mais on peut penser que ce sera clarifié au fur et à mesure de l'évolution de la common law. Ce n'est pas forcément quelque chose qui doit être dans la loi. On peut critiquer un cas particulier et ne pas être satisfait, dans les cas Kwok ou Dynar, mais je pense que le problème pourrait être réglé à long terme sans que cela entre dans la loi.

M. Michael Lomer: Monsieur Lee, malheureusement, nous sommes une organisation de réaction. Nous passons tout notre temps à réagir aux projets de loi plutôt qu'à présenter des idées qui pourraient être utiles. Pour que la procédure concernant le ministre soit transparente, il serait utile que la loi exige la divulgation des renseignements. Ce n'est pas actuellement le cas et il arrive souvent que la demande soit rejetée. Nous avons ici certains documents touchant... d'une part la peine de mort. Il y a dans les traités une disposition voulant que le ministre puisse exiger l'assurance formelle que l'intéressé ne sera pas exécuté avant que nous n'extradions l'individu.

Mais il existe toutes sortes de procédures officieuses qui interviennent en vue d'essayer de persuader les autorités sans exiger d'assurance formelle. Cela n'a jamais été rendu public, à ma connaissance, bien qu'on l'ait demandé, en particulier lorsque sont rejetées des assurances formelles dans les cas de peine de mort. Un peu plus de transparence aiderait beaucoup.

M. Derek Lee: Vous estimez donc qu'à titre de législateur, du point de vue de votre profession et des clients que vous représentez, je ne devrais pas passer trop de temps à m'inquiéter du fait qu'il n'y ait pas de disposition concernant la divulgation de ces renseignements, qu'il y ait un manque de transparence concernant les données qui viennent de l'Immigration ou des Affaires étrangères.

M. Michael Lomer: Je dis le contraire.

M. Derek Lee: D'accord.

M. Paul Slansky: Je disais—et je suis d'accord avec M. Lomer—qu'il serait utile qu'il y ait une disposition en ce sens. Même s'il n'y a pas de disposition comme telle, cela ne veut toutefois pas dire qu'il n'y a pas de mécanisme qui permette d'obtenir l'information. C'est tout simplement que la chose n'est pas transparente, que ce n'est pas clair. S'il y avait une formule par laquelle on pouvait en appeler de la décision du ministre de refuser de communiquer l'information, bien que cette façon de faire soit nécessairement moins efficace que de pouvoir se fier dès que le départ à des lignes directrices claires...

Je croyais toutefois que vous cherchiez essentiellement à savoir s'il existait un mécanisme quelconque, et je dis qu'il y en a un qui pourrait être appliqué.

M. Derek Lee: Je sais qu'il y en a un. Le mécanisme existe parce que le ministère l'a créé et parce que les tribunaux l'ont demandé. Le mécanisme n'est toutefois pas inscrit dans la loi.

• 1120

M. Paul Slansky: C'est juste.

M. Derek Lee: Merci.

La présidente: Merci, monsieur Lee.

John McKay.

M. John McKay: Je voulais revenir au principal point que vous avez soulevé, à savoir la décision qu'a prise le ministère de prévoir essentiellement un seul processus d'extradition pour les tribunaux et pour les États. Si je comprends bien, les préoccupations que vous avez au sujet de l'absence de protection des éléments de preuve concernent principalement le processus de l'extradition demandé par un État; vous estimez que le projet de loi abaisse effectivement la barre au plus bas niveau possible, comme vous dites, en raison de la tendance croissante à considérer que les tribunaux et les crimes contre l'humanité, etc... Ai-je bien compris ce que vous avez dit? Ai-je bien résumé votre témoignage?

M. Michael Lomer: Je crois que oui. Il convient de rappeler que nous sommes des criminalistes et que nous défendons des gens visés généralement par une demande d'extradition d'un État. Je n'ai aucune expérience des demandes d'extradition de tribunaux internationaux. C'est seulement en fait quand j'ai écouté le témoignage d'Amnistie internationale, qui faisait état de différences considérables entre les demandes d'extradition des tribunaux internationaux visant des fugitifs qui tentent d'échapper aux poursuites pour crimes contre l'humanité et les demandes d'État qui veulent qu'on leur renvoie des personnes pour qu'elles puissent subir leur procès pour d'autres types de crimes, que je me suis rendu compte que la différence est grande. Nous nous rendons effectivement compte, peut-être un peu tard—en ce sens que nous abordons la chose du point de vue du droit pénal—que la barre, comme je l'ai dit, a été abaissée au plus bas niveau possible, et ce, pour tenir compte des obligations internationales.

M. John McKay: Oui.

M. Michael Lomer: La solution serait peut-être de séparer les deux.

M. John McKay: Il n'est pas sûr que le projet de loi puisse être modifié, mais si nous revenons à l'idée de départ, celle de l'extradition d'un État à un autre, y aurait-il moyen de définir les crimes en tant que tels de façon à préciser qu'il doit s'agir, non pas de crimes contre l'humanité, mais de crimes contre la personne? Qu'arriverait-il si, en fait, nous ramenions la barre pour ce qui est des éléments de preuve là où vous trouvez qu'elle devrait être, c'est-à-dire si nous prévoyions une audience préliminaire? Je crois que c'est là le genre de...

M. Michael Lomer: Il s'agit d'une version modifiée.

M. John McKay: D'une certaine façon.

M. Michael Lomer: Il s'agit d'une version papier, si je peux m'exprimer ainsi.

M. John McKay: Parce que vous êtes préoccupé par les témoignages fondés sur le ouï-dire faits sous serment finalement.

Y aurait-il un moyen efficace, selon vous, de faire une distinction entre les crimes de ce genre et la question plus vaste des crimes contre l'humanité?

M. Paul Slansky: Il ne suffirait pas, d'après ce que je constate, de modifier la loi. Il faudrait prévoir un autre cadre pour les tribunaux internationaux comme l'a dit M. Matas tout à l'heure, la définition des termes «État» ou «entité» qui se trouve incorporée à la définition de «partenaire» est formulée de manière à englober simplement les tribunaux criminels internationaux. Il faudrait modifier les définitions et prévoir une catégorie distincte pour les tribunaux criminels internationaux ainsi qu'une structure distincte pour la procédure et la preuve dans les poursuites de ce genre.

Vous pourriez éventuellement adopter certaines des dispositions que nous contestons, les dispositions moins exigeantes en ce qui concerne la preuve, le résumé par la poursuite, etc., comme étant celles qu'il conviendrait d'appliquer aux tribunaux internationaux et réédicter finalement l'article 13 de l'actuelle loi pour préciser que l'audience doit s'approcher le plus possible de l'audience préliminaire. En réédictant cet article et en préservant l'actuelle disposition concernant la preuve pour les tribunaux internationaux, il serait à tout le moins possible de répondre aux préoccupations concernant la preuve, bien qu'Amnistie internationale semble avoir d'autres préoccupations relativement à des questions comme la spécificité et la sanction réciproque. Encore là, il vous faudra peut-être, au cas par cas, établir des normes différentes pour les deux types d'extradition.

M. John McKay: La sanction réciproque, ce n'est rien de plus que de dire que ce qui est un crime ici est un crime là-bas. C'est une façon compliquée de dire cela.

• 1125

M. Paul Slansky: Vous avez raison. Même si, dans ce contexte, c'est un peu compliqué, c'est quand même là le principe.

Il semble que certains soient préoccupés à ce sujet par l'affaire Finta. Je ne suis pas sûr de partager cette préoccupation, mais la préoccupation existe et, dans la mesure où le comité et le Parlement la partageront, il y aura peut-être lieu d'apporter des rajustements à l'égard des tribunaux internationaux afin d'atténuer la définition de la sanction réciproque pour qu'elle n'entrave pas excessivement le travail des tribunaux internationaux.

M. John McKay: À certains égards, nous nous sommes donnés une tâche presque impossible, celle de traiter un Finta de la même façon que nous traiterions un Ng.

M. Paul Slansky: Vous avez raison. C'est pourquoi il est important de faire cette distinction et c'est pourquoi nous sommes effectivement d'accord avec Amnistie internationale pour dire que suivre le même processus pour les deux procédures différentes, c'est comme mélanger des pommes et des oranges, et le processus ne convient ni à l'une procédure ni à l'autre. La barre est bien trop basse dans le contexte pénal et bien trop élevée dans le contexte des tribunaux internationaux. C'est pourquoi en faisant des tribunaux internationaux une catégorie à part, on pourrait être sûr que justice soit faite dans les deux contextes tout en se conformant au droit international et aux obligations internationales du Canada ainsi qu'à la Charte canadienne des droits et libertés. C'est pourquoi la proposition de séparer les deux procédures est valable.

M. John McKay: J'ai une dernière question en ce qui a trait au processus de détermination du statut de réfugié, car ce processus touche les deux procédures. Il se peut que nous ayons ici des ressortissants de la Bosnie ou du Rwanda qui ont commis des atrocités chez eux, mais nous accueillons aussi des réfugiés qui ont commis des crimes qui... des gens comme ceux que vous défendez.

Le projet de loi part du principe que le processus de détermination du statut de réfugié se trouve ni plus ni moins détourné. C'est ainsi que je le comprends. Avez-vous une opinion quant au cas où la demande d'extradition est rejetée, mais où les éléments de preuve qui ont été présentés ont une incidence considérable sur l'admissibilité d'une personne au statut de réfugié? Vous êtes-vous demandé si le processus d'extradition pouvait en quelque sorte l'emporter sur le processus de détermination du statut de réfugié?

M. Paul Slansky: Oui, nous avons réfléchi à cette question et nous avons des préoccupations relativement à ce détournement du processus—je crois qu'il n'est pas déraisonnable d'en parler en ces termes. À l'heure actuelle, rien n'empêche de communiquer, sous forme de transcription ou sous quelque autre forme, les preuves soumises au moment de l'audition de la demande d'extradition aux fins du processus de détermination du statut de réfugié, de sorte qu'il n'y a pas nécessairement de double emploi.

Le problème relatif aux dispositions concernant les réfugiés dans cette loi tient en partie au fait que la personne qui a été reconnue coupable d'un crime grave, c'est-à-dire d'un crime pour lequel on est passible de 10 ans d'emprisonnement, est présumée être inadmissible au statut de réfugié, alors qu'en réalité la disposition qui permet d'exclure certaines personnes du statut de réfugié ne se limite pas au fait d'avoir été reconnu coupable d'une infraction punissable par 10 ans d'emprisonnement, surtout comme l'ont clairement démontré les décisions récentes de la Cour suprême du Canada.

En outre, il y a également des préoccupations du fait que l'examen judiciaire est écarté. Même dans le cas d'une personne qui serait jugée inadmissible au statut de réfugié—il y a des causes comme celle de Nguyen dans la Cour d'appel fédérale qui le montrent bien—si elle a de bonnes raisons de craindre la persécution dans un pays en particulier, son renvoi à ce pays ira à l'encontre de la Charte. Si la personne peut démontrer non seulement qu'elle a de bonnes raisons de craindre d'être persécutée, mais qu'elle s'exposera à des mauvais traitements, comme la torture peut-être, son renvoi serait aussi en violation de la Charte.

La disposition de la loi qui exclut l'examen judiciaire dans des cas comme cela est très préoccupante, car elle supprime dans les faits tout recours contre une telle violation de la Charte. La disposition n'est pas nécessaire. Il devrait quand même être possible de poursuivre le processus de détermination du statut de réfugié. Dans la mesure où on veut éviter le double emploi, on peut permettre que les preuves soumises aux fins du processus d'extradition soient utilisées aux fins du processus de détermination du statut de réfugié. Le processus serait aussi efficient qu'il a besoin de l'être sans pour autant qu'il soit nécessaire de sacrifier quelques droits que ce soit qui sont garantis par le droit international ou par la Charte.

• 1130

M. John McKay: Aidez-moi à comprendre. Si le processus d'extradition se solde par la décision d'extrader la personne, tout s'arrête là du point de vue du demandeur du statut de réfugié—vous dites que non.

M. Paul Slansky: Non, pas nécessairement.

M. John McKay: Justement. Le processus de détermination du statut de réfugié ne s'arrête pas nécessairement là. Si la personne n'est pas extradée, le processus de détermination du statut de réfugié ne s'arrête manifestement pas. Cependant, tous les éléments de preuve qui ont été soumis sont très pertinents pour déterminer le droit au statut de réfugié.

M. Paul Slansky: Surtout pour ce qui est de refuser ce droit. Les éléments de preuve sont effectivement pertinents, mais il n'est pas nécessaire qu'ils conduisent au refus du statut de réfugié. Ils peuvent néanmoins être utilisés. Ils sont pertinents. On peut les utiliser sans présumer que le demandeur est inadmissible au statut de réfugié.

M. John McKay: Merci.

La présidente: Merci, monsieur McKay.

J'ai une question à vous poser. Vous recommandez que le paragraphe 44(2) soit modifié:

    (2) [le ministre] peut refuser d'extrader s'il est convaincu que les actes... sont sanctionnés par la peine capitale.

Vous recommandez que le refus soit obligatoire.

Je vis à Windsor, près de la frontière. De l'autre côté de la rivière, c'est Détroit où il y a entre 400 et 500 meurtres chaque année. Ne serait-il pas intéressant pour celui qui commet un meurtre à Détroit de s'enfuir à Windsor s'il savait qu'il ne pourrait jamais être extradé parce que... eh bien, la peine capitale n'existe pas au Michigan, mais si elle existait...

M. Michael Lomer: Vous supposez une grande intelligence à la personne accusée du meurtre. De toute façon, comme l'a dit le juge Cory dans Kindler, il n'y a aucune preuve qu'il en est ainsi... même si, depuis l'adoption de la Charte, presque tous les cas d'extradition vers un endroit où la peine capitale existe ont fait l'objet de contestations, allant jusqu'à demander et obtenir que l'affaire soit entendue par la Cour suprême du Canada—presque tous les cas. Si l'on veut accélérer le processus, il faut éliminer la peine capitale, car de cette façon, nous n'aurons plus les contestations que nous avons à l'heure actuelle.

L'argument pourrait être valable s'il y avait la moindre preuve que la situation est effectivement telle et que ce ne soit pas simplement une question d'instinct.

La présidente: La question mérite d'être posée.

M. Michael Lomer: Oui.

La présidente: Très bien. Nous allons maintenant nous arrêter parce que nous avons d'autres témoins qui attendent.

Je tiens à vous remercier. C'est bien de voir de nouveaux visages qui représentent la Criminal Lawyers Association, mais vous pouvez dire à Irwin qu'il nous manque.

M. Michael Lomer: Je reviendrai.

La présidente: Très bien. Je vous revois samedi dans une semaine.

Nous prenons une pause de cinq minutes.

• 1133




• 1145

La présidente: Il semble que nous prenions de plus en plus de temps pour nos étirements de la septième manche. La présidente ne peut pas se concentrer très longtemps.

Nous accueillons de Citoyenneté et Immigration Canada, Gerry Van Kessel, directeur général, Réfugiés; Yaron Butovsky, conseiller juridique, Services juridiques; et William Lundy, directeur du contrôle aux points d'entrée, Exécution de la loi. Soyez les bienvenus, messieurs. Avez-vous un exposé à nous présenter?

M. Gerry Van Kessel (directeur général, Réfugiés, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration): Oui, nous avons un très court exposé.

La présidente: Merci. Nous aimons bien les exposés courts.

M. Gerry Van Kessel: Je tiens à remercier le comité de nous avoir invités. Puisque vous avez déjà présenté mes collègues, je me sens dispensé de le faire, mais je tiens à préciser que Yaron est du ministère de la Justice et que Bill Lundy est de la Direction générale de l'exécution de la loi.

Pour commencer, je dirai que le problème fondamental auquel nous sommes confrontés est celui des personnes qui attendent l'extradition et qui réclament le statut de réfugié. Il s'agit, à l'heure actuelle, de deux procédures distinctes. Le rôle actuel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est à la fois de recevoir la demande et de décider si, oui ou non, la personne devrait être exclue du processus de réfugié, et se voir refuser le statut de réfugié.

Les amendements au projet de loi C-40 imposeront, pour la première fois, par voie législative les règles d'interaction entre le processus d'extradition et le processus de détermination du statut de réfugié. Avec le projet de loi C-40, si l'extradition est demandée, suite à une infraction grave, c'est-à-dire une infraction qui entraînerait une peine d'au moins 10 ans d'emprisonnement au Canada, des audiences du CISR n'auront pas lieu ou seront ajournées automatiquement. Si l'extradition n'est pas accordée, les audiences de détermination de statut de réfugié recommencent. Si l'extradition a lieu, la Commission est réputée avoir soustrait cette personne à toute protection comme réfugié.

La personne demandant une protection à titre de réfugié est exclue du processus de détermination; cependant, le projet de loi C-40 n'oblige pas le ministre de la Justice à consulter le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration afin de déterminer si l'extradition devrait avoir lieu. Cette détermination est fondée sur plusieurs facteurs, y compris si la personne respecte les critères qui sont essentiellement les mêmes que la définition de réfugié au sens de la Convention.

Avec le processus d'extradition, il faut tenir compte de questions touchant la criminalité et le risque. S'il ou elle croit que cela en vaut la peine, le ministre de la Justice refusera les demandes d'extradition pour des raisons semblables à celles qu'on évoquerait pour la définition de réfugié. En d'autres termes, bien que le décideur changera, les questions à évaluer—criminalité et risque—seront toujours les mêmes, tout comme l'intention d'assurer une protection lorsqu'elle est justifiée.

Je tiens à souligner que la Convention sur les réfugiés comporte un article précis sur l'exclusion pour infractions graves. On a ajouté cette disposition afin de s'assurer que la Loi sur les réfugiés soit conforme à la Loi sur l'extradition. Cela correspond donc à nos obligations internationales, ainsi qu'à notre législation, afin de s'assurer que les vrais réfugiés reçoivent la protection à laquelle ils ont droit; les fugitifs et autres personnes inculpées ou incarcérées ailleurs ne pourront pas exploiter le système pour créer des retards ou pour contourner les lois, pour échapper ainsi à toute légitime responsabilité criminelle.

Le fait de rationaliser le processus de détermination et le système d'extradition nous permettra de nous acquitter de notre première responsabilité, et de nous occuper de ceux qui réclament le statut de réfugié, ceux qui sont réellement en droit de recevoir une protection internationale et canadienne.

J'ai terminé. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente: Monsieur Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Vous avez suivi nos travaux depuis ce matin et vous savez que quatre témoins qui sont venus nous rencontrer nous ont dit que nous devrions établir deux régimes en fonction de la provenance de la demande d'extradition. Dans le fond, on nous propose de faire une distinction en fonction du type de demandeur, soit un tribunal international, soit un un État partenaire.

• 1150

Je m'adresse plus spécifiquement à votre conseiller juridique, que je sens très fougueux et très désireux de répondre. Est-ce que les fonctionnaires de votre ministère se sont penchés sur ces distinctions? Si tel est le cas, pouvez-vous faire valoir aux membres du comité, qui, sans être néophytes dans nos questions, sont en instance d'apprentissage, les pour et les contre ainsi que le mérite d'une formule unique ou d'un seul régime pour tout le monde, d'une part et, d'autre part, le mérite d'une distinction?

[Traduction]

M. Yaron Butovsky (conseiller juridique, Services juridiques, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration): Monsieur Ménard, les conseils que j'ai donnés à mes collègues du ministère de l'Immigration n'ont rien à voir avec les questions touchant les extraditions vers les tribunaux internationaux.

Les distinctions que vous avez soulevées aujourd'hui, et celles évoquées par les témoins de ce matin, ne se rapportent aucunement ni aux amendements à la Loi sur l'immigration, ni à la compétence du ministère de l'Immigration. Pour ma part, en ma qualité de conseiller au ministère de l'Immigration, je n'ai adopté aucune position sur ces questions.

Pour ce qui est des préoccupations du ministère de la Justice, il faudrait poser la question aux témoins du ministère qui s'occupent de la Loi sur l'extradition, plutôt qu'aux amendements à la Loi sur l'immigration, c'est-à-dire les parties qui intéressent le ministère client ainsi que moi-même

[Français]

M. Réal Ménard: Je m'en veux de vous avoir posé cette première question. On a toujours l'impression que quand on est avocat, on est polyvalent. Mais je sais très bien que dans le fond, chacun obéit à une distinction. Je vous présente toutes mes excuses d'avoir posé la question. J'avoue que j'aurais dû la réserver à M. Jacques Lemire et à ses collaborateurs, qui comparaîtront demain.

Récemment, les ministères de la Justice et de l'Immigration ont pris des dispositions pour retracer avec plus de succès les criminels de guerre. Je sais qu'il y avait eu beaucoup d'excitation au sein de ces ministères à la suite de la divulgation d'un rapport au Toronto Star, qui prétendait que le Canada devenait de plus en plus un lieu d'accueil pour les criminels de guerre.

Pourriez-vous nous faire connaître les dispositions actuelles et les outils dont vous disposez pour vous attaquer à toute la question de l'accueil de potentiels criminels de guerre en territoire canadien?

[Traduction]

M. Gerry Van Kessel: Dans notre ministère, la question des crimes de guerre est la responsabilité d'une autre direction que celle que je représente, ou qui est représentée ici. Donc, je ne pourrai pas vous donner une réponse complète.

Permettez-moi simplement de dire que nous prenons des mesures assez énergiques et que nous faisons ce que nous pouvons pour régler le cas des criminels de guerre, tant ceux de la Seconde Guerre mondiale que les cas contemporains. Sur le plan administratif, nous sommes en train de mettre sur pied, à la Direction générale de la gestion de cas, une division qui s'occupera justement de ce dossier. Le directeur du droit d'asile vient d'ailleurs de quitter son poste pour assumer la direction de cette division. Voilà donc où nous en sommes à l'heure actuelle.

Je regrette, mais je ne suis pas en mesure de vous donner de plus amples détails. Je n'ai qu'une connaissance très générale du dossier.

M. William Lundy (directeur, Contrôle des points d'entrée, Exécution de la loi, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration): Monsieur Ménard, je peux ajouter quelque chose à ce que M. Van Kessel vient de vous dire. Deux processus sont en cours relativement à ce dossier. L'un d'eux vise les personnes qui sont soupçonnées d'être des criminels de guerre et qui ont déjà obtenu la citoyenneté canadienne: la première étape pour ces personnes, est la procédure de dénaturalisation, pour laquelle il faut aller devant les tribunaux. Une fois la personne déchue de sa citoyenneté canadienne, elle tombe sous le coup de la Loi sur l'immigration en ce qui a trait au renvoi.

L'autre processus vise les personnes qui n'ont pas encore la citoyenneté canadienne. Il peut s'agir de personnes qui ont le statut de résident permanent, qui demandent le statut de réfugié ou qui sont ici sans avoir de statut en particulier. La procédure à suivre dans le cas de ces personnes dépend de l'étape où elles se trouvent dans le processus.

[Français]

M. Réal Ménard: D'accord. Je poserai une dernière question, si on me le permet.

• 1155

Donc, si on avait à faire une petite synthèse de l'incidence du projet de loi C-40 sur le ministère de l'Immigration, on dirait qu'en vertu de ce projet de loi, si la demande d'extradition est accueillie, on doit interrompre le processus devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Si l'extradition est autorisée, la demande de statut de réfugié est refusée. Si la demande d'extradition est rejetée, le processus recommence et le demandeur de statut de réfugié pourra ultimement déposer une requête. Est-ce que je fais une bonne synthèse en faisant de telles affirmations?

À maintes reprises ce matin, on a fait allusion à l'arrêt Finta. J'imagine que vous n'êtes pas en mesure de nous parler des incidences de cet arrêt sur l'appréciation qu'on doit faire de la loi. Ce matin, M. Matas nous disait que l'arrêt Finta de la Cour suprême faisait en sorte qu'on ne pouvait pas condamner une personne parce qu'elle avait exécuté un ordre d'un supérieur. Il y a beaucoup d'activisme, pas au niveau judiciaire, mais plutôt d'activisme militant de la part entre autres de la communauté juive, qui a prétendu que le Canada, étant lié par la Cour suprême, n'était pas allé aussi loin qu'il aurait pu et dû le faire, compte tenu qu'il y a des criminels de guerre sur son territoire. Mais j'imagine que vous n'êtes pas en mesure de nous donner votre appréciation de ce que cet arrêt Finta peut vouloir dire face à ce projet de loi.

[Traduction]

M. Yaron Butovsky: Encore là, la réponse que nous pouvons donner à cette question ne vous satisfera guère. Il s'agit également d'une question qui ne relève pas directement de nous. Nous n'avons vraiment pas d'information à vous apporter, malheureusement, ni sur l'arrêt Finta ni sur ses conséquences sur le plan d'une éventuelle modification de la loi.

[Français]

M. Réal Ménard: Merci bien. Vous êtes toujours les bienvenus à ce comité.

[Traduction]

M. Yaron Butovsky: Merci.

La présidente: Merci, monsieur Ménard.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, madame la présidente.

J'ai deux petites questions à vous poser pour obtenir des éclaircissements. Qu'arrive-t-il quand une demande d'extradition est rejetée et que le cas retourne devant la Commission? Quelle est la procédure à suivre à ce moment-là?

M. Yaron Butovsky: Je peux répondre à la question si vous me permettez de demander une précision. Voulez-vous parler de ce qui arriverait selon le régime proposé?

M. Peter MacKay: Oui.

M. Yaron Butovsky: Selon le régime proposé, si l'extradition n'est pas accordée, le plaignant peut alors procéder comme à l'habitude devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

M. Peter MacKay: Ainsi, une fois la décision rendue, on reprend tout simplement là où on en était auparavant.

M. Yaron Butovsky: Exactement. La procédure est suspendue ou ne débute pas tant qu'une décision finale sur la demande d'extradition n'a pas été prise.

M. Peter MacKay: Pour que je sois sûr de bien comprendre, en quoi cela diffère-t-il du système actuel?

M. Yaron Butovsky: Le système actuel est à l'origine de beaucoup de confusion. C'est ce qui est d'ailleurs à l'origine de la modification législative proposée. On voulait apporter une certaine clarté législative au processus. Pour l'instant, les deux systèmes sont distincts. La loi ne fait aucun lien entre les deux. Il est arrivé, dans certains cas, qu'on ne sache pas quel système ni quel décideur avaient la préséance. Je le répète, la modification législative en question vise à clarifier tout cela.

Je n'ai donc pas vraiment de réponse à vous faire quant à ce qui se passe à l'heure actuelle. Chaque système s'applique, avec ses procédures et ses délais. Il est arrivé qu'on conteste différentes choses devant les tribunaux, mais il n'existe aucune procédure législative ni aucune règle qui régisse le régime existant.

M. Peter MacKay: Croyez-vous que le fait que les deux processus qui étaient distincts soient maintenant intégrés dans la nouvelle loi pourrait donner lieu à des conflits, notamment à la lumière du pouvoir discrétionnaire assez important que la nouvelle loi semble—je crois que les témoins que nous avons entendus aujourd'hui l'ont confirmé—accorder au ministre de la Justice? Croyez-vous qu'il serait possible que les ministres aient des opinions divergentes? Il ne s'agirait pas nécessairement d'une situation de conflit, mais le ministre des Affaires étrangères pourrait finalement ne pas être d'accord avec le pouvoir discrétionnaire exercé par le ministre.

M. Gerry Van Kessel: J'imagine que cette possibilité existe toujours en politique gouvernementale, lorsque les points de vue sont différents et lorsque les décisions ont différentes conséquences.

Selon mon interprétation du processus proposé dans le projet de loi C-40, le ministre de la Justice devra tenir compte des informations qu'il aura reçues de différentes sources, y compris du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, et rendre un jugement compte tenu de toutes ces informations provenant de diverses sources. Notre ministre ne constituerait qu'une des différentes sources d'information. Quant à savoir si cela pourrait mener à des désaccords au sujet de la décision finale, c'est une question tout à fait hypothétique. Je suppose que cela pourrait se produire, mais je présume aussi que c'est le genre de décision que tout ministre de la Justice doit prendre, même en ce moment, et qu'il doit souvent tenir compte des différents intérêts qui sont en jeu.

• 1200

M. Peter MacKay: J'ai une dernière question à vous poser. Vous avez fait allusion à une disposition d'exclusion pour certains crimes. Quels sont ces crimes? Vous me pardonnerez mon ignorance.

M. Yaron Butovsky: La Convention sur les réfugiés, le document qui contient ces dispositions d'exclusion, fait mention des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, ainsi que des crimes non politiques graves. Ce sont là les seules exceptions dont nous parlons aujourd'hui. Ce n'est que dans ces cas-là que les modifications législatives s'appliquent dans le cadre de la procédure d'immigration et de détermination du statut de réfugié. Ce sont là les seules dispositions pertinentes au projet de loi.

La troisième infraction figurant sur la liste et excluant les nouveaux arrivants du processus de détermination du statut de réfugié est ce qu'on appelle parfois les actes allant à l'encontre des principes ou des buts des Nations Unies. Le sens de cette expression a récemment fait l'objet d'une décision de la Cour suprême du Canada. Mais ce n'est que la deuxième catégorie, celle des crimes non politiques graves, qui s'applique aux modifications législatives proposées ici.

M. Peter MacKay: Merci. Merci, madame la présidente.

La présidente: Je voudrais une précision. Je crois que nous avons raison, mais je veux m'assurer que le processus de détermination du statut de réfugié ne prendra fin que si le ministre rend une ordonnance d'extradition. Si l'accusé renonce à la procédure d'extradition, le processus de détermination du statut de réfugié se poursuit, n'est-ce pas? Puisqu'il n'y a pas d'ordonnance...

M. Yaron Butovsky: C'est exact. Seule une ordonnance de ce genre peut exclure l'accusé du processus de détermination du statut de réfugié.

La présidente: Mais ne forçons-nous pas l'accusé à choisir ce processus? Essentiellement, nous disons à l'accusé que, s'il veut bénéficier d'une audience de détermination du statut de réfugié, il devra renoncer à la procédure d'extradition pour ainsi pouvoir invoquer la Loi sur l'immigration.

M. Yaron Butovsky: À l'heure actuelle, je crois que c'est vrai si l'intéressé renonce à la procédure d'extradition ou si le juge, à la place du ministre de la Justice, rend une ordonnance d'extradition.

La présidente: Voici ce que dit le paragraphe 69.1(14) proposé:

    (14) Si l'intéressé est, d'une part, visé par l'arrêté du ministre de la Justice pris aux termes de la Loi sur l'extradition (...) l'arrêté vaut décision, par la section du statut (...).

On n'y fait pas mention du juge. C'est très précis.

M. Yaron Butovsky: En effet. Honnêtement, lorsqu'on a rédigé le projet de loi, je ne crois pas qu'on ait pris en compte la renonciation à la procédure d'extradition. Voilà en effet un cas où on pourrait peut-être modifier le libellé du projet de loi.

La présidente: Vous allez corriger cela?

M. Yaron Butovsky: J'aimerais y réfléchir plus longuement, mais c'est tout à fait possible.

La présidente: Vous croyez qu'on n'avait pas prévu que ce libellé aurait une telle conséquence?

M. Yaron Butovsky: Non, je ne crois pas.

La présidente: Du point de vue de l'Immigration?

M. Yaron Butovsky: C'est exact, du point de vue de l'Immigration, qui est le seul qui nous concerne.

Je le répète, selon le projet de loi, c'est l'arrêté pris par le ministre de la Justice qui met fin à la procédure de détermination du statut de réfugié.

La présidente: Mais le libellé proposé pour le paragraphe 69.1(14) est clair:

    (14) Si l'intéressé est (...) visé par l'arrêté du ministre de la Justice pris aux termes de la Loi sur l'extradition

Ce n'est pas si l'intéressé renonce à la procédure d'extradition, ce n'est pas s'il est extradé par un juge, ce n'est pas non plus s'il est renvoyé à procès par un juge—ce n'est rien de tout cela. C'est seulement si le ministre signe une ordonnance d'extradition.

M. Yaron Butovsky: C'est exact.

La présidente: Je mets donc un grand point d'interrogation dans la marge et je vérifie auprès des fonctionnaires du ministère de la Justice.

Monsieur McKay.

M. John McKay: J'aimerais en revenir au fondement philosophique de l'article 96. La philosophie qui sous-tend l'article 96 veut que, une fois que s'amorce la procédure de l'extradition, le processus de détermination du statut de réfugié s'arrête. On est en droit de se demander pourquoi. Par définition, le processus de détermination du statut de réfugié est une enquête beaucoup plus vaste. Elle inclut nécessairement ce genre de preuve. De plus, aux termes du projet de loi, le ministre pourrait interrompre un processus quasi judiciaire. Aux yeux de certains, cela pourrait constituer une violation de la procédure régulière et peut-être même donner lieu à une contestation aux termes de la Charte.

• 1205

Revenons un peu en arrière. Pourquoi n'informe-t-on pas la CISR de la réception d'une demande d'extradition? Les preuves sont là; il suffit d'exécuter simultanément la procédure d'extradition et la détermination du statut de réfugié.

M. Gerry Van Kessel: Dans une certaine mesure, c'est ce qui se fait actuellement. Or, on a conclu qu'il n'était dans l'intérêt ni de la procédure d'extradition, ni de la procédure de détermination du statut de réfugié que de permettre qu'on demande le statut de réfugié, alors que, dans presque tous les cas—mais je précise que ce n'est pas dans tous les cas—on demande le statut de réfugié uniquement pour prolonger et contrecarrer la procédure d'extradition. Dans ces cas-là, on demande le statut de réfugié non pas pour des raisons sérieuses de protection, mais tout simplement pour nuire à la procédure d'extradition. C'est là le premier facteur.

Vous savez certainement qu'il arrive, dans certains cas, qu'une personne faisant l'objet d'une demande d'extradition demande le statut de réfugié sans motif valable, du moins, aux yeux du public et, je dirais, souvent à juste titre. Il fallait donc se demander si on continuait de permettre cela. La question a été tranchée. Le projet de loi C-40 met fin à ce genre de pratique.

Le projet de loi C-40 ajoute toutefois que la protection reste une question dont le ministère de la Justice devra tenir compte. Ainsi, il prévoit que le ministère de la Justice, avant de décider d'extrader ou non, refuse d'ordonner l'extradition si la définition de réfugié s'applique—et je n'ai pas besoin de répéter cette définition. En fait, c'est le décideur qui a changé. On avait le choix entre conserver le statu quo ou confier cette décision au ministre; c'est ce deuxième choix qu'on a retenu dans le projet de loi C-40.

Je ferai aussi remarquer que, à l'heure actuelle, si je comprends bien—et les détails de la procédure ne sont pas toujours faciles à comprendre—lorsque la CISR est saisie d'une affaire où il est question d'exclusion, le processus est alors aussi interrompu. Ainsi, c'est ce qui se passerait si la preuve était irrécusable, s'il n'y avait tout simplement aucun doute. La Commission n'évaluerait même pas le risque puisque les dispositions d'exclusion s'appliqueraient. Les dispositions d'exclusion de la Convention sur les réfugiés stipulent que, dans certaines circonstances, le crime qui a été commis libère l'État de la responsabilité d'accorder sa protection, protection qui constitue le fondement de la politique de non-refoulement de la Convention sur les réfugiés.

En résumé, il fallait faire un choix et, dans le projet de loi C-40, on a choisi de confier la décision au ministre de la Justice, qui prend sa décision en fonction des conseils qu'il reçoit du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, par opposition à la CISR. Comme je l'ai déjà indiqué, dans bien des cas, la CISR n'aura même pas à se prononcer en raison de la façon dont le processus se déroule, selon ce que j'ai cru comprendre.

M. John McKay: Il y aura donc décision par le ministre, puis une nouvelle procédure judiciaire afin de déterminer si la preuve est suffisante et justifie tout cela. On revient au point de départ, ce qui est plutôt étrange. Un étranger arrive au pays et demande le statut de réfugié. Puis, la procédure de détermination du statut de réfugié s'interrompt et le ministre est saisi de l'affaire. Le ministre juge qu'il a suffisamment de preuves pour saisir un tribunal de l'affaire. Le tribunal rend sa décision et si cette décision est positive, le ministre, dans le cadre d'une espèce de détermination du statut de réfugié, décide d'extrader ou non l'intéressé. C'est plutôt compliqué. À certains égards, le ministre semble reconnaître qu'il ne veut pas que la CISR prenne ce genre de décision.

• 1210

M. Gerry Van Kessel: Excusez-moi, quel genre de décision?

M. John McKay: Le ministère de l'Immigration semble reconnaître qu'il ne veut pas que la CISR prenne de décision en matière d'extradition.

M. Gerry Van Kessel: Je n'irais pas aussi loin; je dirais toutefois que nous avons constaté que la procédure de détermination du statut de réfugié était trop fréquemment invoquée, dans de telles circonstances, à des fins n'ayant rien à voir avec les questions de réfugié.

M. John McKay: Nous sommes d'accord à ce sujet.

M. Gerry Van Kessel: Je crois que la majorité des cas confirmerait ma position. Mais Yaron pourra nous en dire plus long, et peut-être même me contredire s'il le souhaite. Cela ne m'ennuie pas.

M. Yaron Butovsky: Non, je ne contredirai pas Gerry. Je suis plutôt d'accord avec lui. D'ailleurs, il y a quelques années, une personne a contesté son ordonnance d'extradition sous prétexte qu'elle avait droit à une audience de détermination du statut de réfugié avant l'extradition. Selon les faits de cette affaire—je crois qu'on avait demandé un sursis de l'instance, de l'application de l'ordonnance d'extradition—le tribunal a jugé que la demande de statut de réfugié avait été faite si tard, des années après l'arrivée de l'intéressé au Canada et pendant la procédure d'extradition, qu'il était évident que l'intéressé ne faisait face à aucun risque sérieux découlant d'une situation de réfugié. Cette affaire illustre très bien le genre de cas auquel s'appliquent ou s'appliqueraient ces dispositions. Il s'agit au plus de trois ou quatre personnes par année. C'est ce que cela a été dans le passé, alors, cela n'intéresse pas beaucoup de gens.

La présidente: Derek Lee.

M. Derek Lee: Merci.

J'estime que ces changements sont nécessaires car l'existence de procédures multiples constitue un problème. En toute honnêteté, en tant que député, j'estime que les Canadiens en ont assez de voir que deux organes du gouvernement font la même chose mais chacun de son côté. Ces modifications représentent donc un pas dans la bonne voie.

J'aimerais vous parler de la Loi sur l'immigration dans la mesure où elle est touchée par ces modifications à la Loi sur l'extradition. Est-ce que le ministère prend des mesures afin d'expulser les nouveaux arrivants ayant commis des crimes graves, et ce, même en cours de détermination du statut de réfugié? Si le ministère est d'avis qu'on devrait éviter la tenue de ce processus si un crime grave a été commis, que la procédure d'extradition devrait primer le processus de détermination du statut de réfugié, pourquoi le ministère n'adopterait-il pas la même position relativement aux procédures d'expulsion dans les cas de crimes graves?

M. Gerry Van Kessel: Nous le faisons. Encore une fois, mes collègues pourront compléter ma réponse, mais l'exclusion c'est...

M. Derek Lee: Nous savons ce que c'est. Je veux seulement savoir si le ministère suspend la détermination du statut de réfugié lorsqu'un crime grave a été commis, comme on le décrit ici.

M. Gerry Van Kessel: Oui.

Oublions l'extradition pour un moment. Limitons-nous à l'exclusion. La Convention sur les réfugiés prévoit l'exclusion. Cela signifie qu'on n'a droit à aucune protection lorsqu'on a commis un crime grave. À cet égard, rien ne changera à l'avenir. À l'heure actuelle, tout nouvel arrivant ayant commis un crime relevant d'une disposition particulière de la loi—disons, une infraction punissable d'une peine d'emprisonnement de 10 ans ou plus, et qui serait considérée comme grave—serait exclu de la protection accordée par la Loi de l'immigration ou par les dispositions de la loi s'appliquant aux réfugiés. La procédure d'expulsion de cette personne s'amorcerait.

M. Derek Lee: Et qui s'occupe de l'expulsion? Cela se fait-il dans le cadre de la détermination du statut de réfugié?

M. Gerry Van Kessel: Non.

M. Derek Lee: C'est le ministère qui s'en occupe?

M. Gerry Van Kessel: Oui

M. Derek Lee: Le ministère attend-il la fin de la procédure de détermination du statut de réfugié?

M. Gerry Van Kessel: Oui.

• 1215

M. Derek Lee: Mais pour l'extradition, le ministère n'attend pas. En l'occurrence, le gouvernement estime que, s'il doit y avoir extradition, il n'attendra pas que soit déterminé le statut de réfugié.

M. Gerry Van Kessel: Il y a deux choses: Premièrement, lorsque la CISR rend une décision d'exclusion, le processus s'interrompt.

M. Derek Lee: Vous dites que c'est la CISR qui rend une décision d'exclusion lorsqu'un crime grave a été commis?

M. Gerry Van Kessel: Oui.

M. Derek Lee: Cela répond à ma question.

M. Gerry Van Kessel: Puis, on expulse l'intéressé.

M. Derek Lee: Merci.

Lorsqu'on suspend le processus de détermination du statut de réfugié, on permet...sous réserve de ce qu'a soulevé la présidente. J'ignore si sa version des faits serait confirmée, mais sous réserve de la question qu'a soulevée la présidente de la renonciation, prenons le cas d'un demandeur du statut de réfugié qui a été extradé du Canada et dont la demande de statut de réfugié a été mise en veilleuse. Mais il y a aussi une disposition qui stipule que, lorsque l'extradition est ordonnée, la demande du statut de réfugié au Canada est annulée. Or, la personne qui est extradée n'a pas encore été reconnue coupable; elle ne fait l'objet que d'allégations. Comment cette personne pourra-t-elle revenir au Canada, si elle le souhaite, comme demandeur du statut de réfugié.

M. William Lundy: Monsieur Lee, en vertu de la loi actuelle, la plupart des demandeurs du statut de réfugié font l'objet d'une ordonnance d'expulsion. Aux termes de la loi, lorsqu'une personne est extradée, l'ordonnance d'expulsion est annulée. Si la personne extradée était jugée non coupable du crime pour lequel elle a été extradée par un tribunal du pays vers lequel elle a été extradée, elle pourrait revenir comme tout autre étranger et demander à être admise au Canada. Ses relations antérieures avec les autorités de l'immigration du Canada ne l'empêcheraient pas de le faire, car l'extradition aurait eu pour effet d'annuler l'ordonnance d'expulsion.

M. Derek Lee: Vous m'inquiétez. Prenons le cas d'une personne effrayée à juste titre, qui a été mêlée à des crimes graves. Cette personne est au Canada; elle n'a été reconnue d'aucun crime ici ou ailleurs. Cette loi permettrait son extradition avant même que son audience de détermination du statut de réfugié ne soit terminée, sous réserve de la décision du ministre, bien sûr. Mais les ministres et les gouvernements peuvent être durs et sans pitié. Il y a une procédure. L'intéressée ne fait pas affaire avec sa grand-mère, et il se peut que des considérations de politique internationale entrent en jeu. Par conséquent, cette personne est renvoyée du pays. Vous avez dit essentiellement que ces dispositions-ci l'empêcheraient de revenir légalement au Canada, même si cette personne n'a été expulsée que parce qu'il avait été allégué qu'elle avait commis un crime grave.

M. William Lundy: Non, monsieur Lee.

M. Derek Lee: À quel titre cette personne pourra-t-elle revenir au pays? Vous m'avez dit qu'elle pourrait revenir comme immigrant ordinaire.

M. William Lundy: Elle pourra revenir au pays comme immigrant ou visiteur. Cela dépendra de la demande qu'elle fera. Moi, je vous dis que l'extradition...

M. Derek Lee: Non, je vous en prie, ne me dites pas que cette personne obtiendra un visa d'entrée au Canada.

M. William Lundy: Je vous dis simplement, monsieur Lee, que l'extradition annule l'ordonnance d'expulsion. L'ordonnance d'expulsion n'ayant pas été exécutée, l'intéressé n'aura pas besoin de la permission spéciale du ministre pour revenir au Canada. Par conséquent, lorsqu'il demandera l'entrée au Canada, qu'il demande un visa à l'étranger ou s'il n'a pas besoin d'un visa, s'il se présente tout simplement à un de nos points d'entrée, on déterminera s'il est admissible ou non aux termes de la loi. Si l'agent juge qu'il est admissible, l'intéressé pourra entrer au Canada.

M. Derek Lee: Nous connaissons ces règles. Moi, ce qui m'inquiète, c'est que cette personne n'a commis aucun crime grave mais qu'elle a peut-être des motifs tout à fait légitimes de demander le statut de réfugié. Il n'a pas été prouvé qu'elle a commis le crime dont elle est accusée. En raison de cette allégation, nous la renvoyons à la case départ, et il ne devrait pas en être ainsi.

La présidente: Derek, avant de vous inquiéter indûment, lisez le paragraphe 44 (1).

M. Derek Lee: Certainement. On y dit...quoi? Que le ministre...?

La présidente: «Le ministre refuse l'extradition(...)»—c'est l'article sur les motifs de refus.

• 1220

M. Derek Lee: Oui, le ministre tient compte de tous ces facteurs, et il devrait aussi tenir compte des facteurs relatifs au statut de réfugié, mais il ne pourra le faire puisque le processus de détermination du statut de réfugié a été annulé. Ces facteurs ne seront pris en compte qu'une fois que le ministre aura rendu sa décision.

M. Gerry Van Kessel: La question est de savoir si des erreurs se produisent parfois au sein du système de détermination du statut de réfugié, compte tenu du nombre de cas où la décision négative a fait l'objet d'une plainte, ou est-ce que le ministre commettrait des erreurs? Nous avons tenté de créer le système permettant la meilleure prise de décision possible. En ce qui a trait aux conseils que je donnerais à mon ministre pour communication au ministre de la Justice, ils seraient fondés sur la meilleure évaluation possible compte tenu des informations dont nous disposons sur la question de savoir si la définition de réfugié s'applique à l'intéressé ainsi que des renseignements provenant d'autres sources, tels que la Convention contre la torture. Nous fournissons ces informations.

Puis-je vous garantir qu'il n'y aura jamais d'erreurs? Non. Puis-je vous garantir que nous ferons l'évaluation la plus honnête possible? Oui. En fait, le ministre de la Justice assume toute une responsabilité puisque le projet de loi dit bien «refuse» et non pas «peut refuser». Il lui incombe donc de déterminer si l'intéressé est un réfugié ou non.

M. Derek Lee: Essentiellement, vous me dites que le ministre, aux termes de ce projet de loi, tiendra une audience ad hoc de détermination du statut de réfugié et rendra une décision ad hoc avant d'ordonner l'extradition.

M. Gerry Van Kessel: Il ne s'agit pas véritablement d'une audience. Si je comprends bien la loi, elle permet à l'intéressé de faire des représentations auprès de l'un ou l'autre ministre sur tout aspect qu'il souhaite, car le ministre de l'Immigration et le ministre de la Justice devront tous les deux peser le pour et le contre et prendre une décision en fonction de ces informations.

M. Derek Lee: Je crois que je comprends maintenant. Merci.

La présidente: On consultera peut-être aussi le ministre des Affaires étrangères.

Monsieur John Reynolds.

M. John Reynolds: Un de mes commettants a déjà, à une certaine époque, fait l'objet d'une demande d'extradition de la part des États-Unis. Il faisait aussi l'objet d'accusations relatives à l'impôt sur le revenu, accusations qui ne peuvent donner lieu à l'extradition, et on a accédé à la demande de l'extradition à la condition que, une fois qu'il aurait face à la justice, on lui permette de revenir librement au Canada. En serait-il encore ainsi aujourd'hui? Pour en revenir à ce que disait mon collègue, si un étranger arrive au Canada et demande le statut de réfugié ou d'immigrant reçu et qu'il a déjà fait l'objet d'une demande d'extradition relativement à des accusations criminelles, nous pourrions prévoir, dans l'ordonnance d'extradition, que, si les allégations s'avèrent non fondées, l'intéressé pourra revenir au Canada et reprendre le processus.

M. Yaron Butovsky: Je crois que la Loi sur l'extradition permet déjà au ministre, de façon générale, d'assujettir l'extradition à des conditions. C'est une disposition très large qui permet d'exiger toutes sortes de conditions.

M. John Reynolds: J'en conclus donc qu'on pourrait le faire si l'on voulait accélérer le processus et permettre à un étranger de revenir au Canada après avoir été jugé. Je sais que cela a été fait dans le cas dont je vous ai parlé. Ce monsieur est maintenant un citoyen canadien, car il a été jugé non coupable du crime pour lequel il avait été extradé. Il est revenu au Canada quelques années plus tard et a obtenu la citoyenneté canadienne.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup. Nous allons informer le ministère de la brillante découverte que nous avons faite. Merci.

La séance est levée.