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JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 28 avril 1998

• 1545

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): Veuillez excuser mon retard.

Nous traitons encore du budget et, suite à la demande du Parti réformiste, nous accueillons Neal Sher, conseiller au ministère de la Justice, et John Sims, sous-procureur général adjoint, Citoyenneté et immigration, ministère de la Justice.

Je suis heureuse de vous revoir. Avez-vous un mémoire?

M. John Sims (sous-procureur général adjoint, Citoyenneté et immigration, ministère de la Justice): Si cela vous convient, madame la présidente, je ferais une brève déclaration, après quoi M. Sher en fera une aussi.

La présidente: Très bien. Allez-y.

M. John Sims: L'une de mes fonctions comme sous-procureur général adjoint responsable du Programme de la citoyenneté et de l'immigration, au ministère de la Justice, consiste à superviser le programme du gouvernement concernant les crimes commis pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Je suis donc très heureux de pouvoir m'adresser à votre comité pour parler du travail de Neal Sher pour le ministère de la Justice, et pour répondre aux questions que vous pourriez avoir à ce sujet. Je précise que je serais également très heureux de répondre à toute question concernant tout autre aspect du programme canadien concernant les crimes de guerre, si cela vous intéresse.

Je serai bref. Je sais que vous êtes ici aujourd'hui pour parler à M. Sher mais j'ai pensé qu'il serait utile de vous expliquer en quelques mots pourquoi nous avons décidé de recruter un consultant, et pourquoi c'est lui que nous avons choisi. J'aimerais également vous dire ce que nous lui avons demandé de faire et, ce qui est peut-être aussi important, ce qu'il ne va pas faire.

Le programme canadien sur les crimes de guerre a récemment effectué des progrès considérables. Suite à plusieurs années de travail diligent, nous avons bâti une équipe solide qui gère un programme juste et efficace. Nous avons respecté l'engagement d'entreprendre 12 causes de révocation de la citoyenneté et de déportation pour mars 1997. De fait nous en avons intenté 14 et nous espérons maintenir ce rythme à l'avenir.

J'ajoute que nous n'avons pas fait que lancer ces causes. Quatre procès se sont déjà tenus, et cinq autres se tiendront d'ici au mois de décembre. Deux hommes ont choisi de ne pas contester les poursuites intentées contre eux par le gouvernement. Nous avons eu notre premier jugement dans l'affaire Bogutin, et nous espérons obtenir bientôt le deuxième, dans l'affaire Vitols. Tout cela reflète un niveau d'activité sans précédent dans le cadre du programme sur les crimes de guerre.

Bien que nous pensions avoir fait des progrès notables, nous savons aussi que le temps nous est compté et que les risques d'erreur sont élevés. Il ne reste que quelques années pour juger les personnes qui se trouvent au Canada et qui ont commis des actes répréhensibles pendant la Deuxième Guerre mondiale. Voilà pourquoi nous avons décidé de faire appel à un consultant. Nous pensons que celui-ci pourra rendre notre équipe encore plus solide, et le programme encore plus efficace.

Cette décision ayant été prise, il nous fallait trouver la bonne personne étant donné que nous oeuvrons dans un domaine extrêmement spécialisé. Il n'y a pas beaucoup de gens au monde qui aient la combinaison voulue de compétences et d'expérience. Toutefois, une source évidente de personnes possédant ces compétences et qualifications est le Bureau des enquêtes spéciales—l'OSI—du Département de la justice des États-Unis, et c'est ainsi que nous avons rencontré Neal Sher.

Comme vous allez interroger M. Sher sur ses qualifications, je n'ai pas l'intention d'en parler maintenant.

Je conclus tout de suite mes brèves remarques en décrivant ce que nous attendons de M. Sher et ce qu'il ne va pas faire.

M. Sher est un consultant, pas un employé du ministère de la Justice. Nous l'avons engagé pour conseiller les hauts fonctionnaires du ministère chargés du programme des crimes de guerre, c'est-à-dire essentiellement Paul Vickery, directeur de la Section des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, et moi-même.

De temps à autre, selon nos besoins, M. Vickery ou moi-même pourront consulter M. Sher. Ses avis pourront nous être extrêmement précieux étant donné que M. Sher et l'OSI ont une longue expérience en la matière. Il y a déjà de nombreuses années que l'OSI oeuvre dans ce domaine. Il a donc déjà rencontré bon nombre des problèmes que nous découvrons maintenant.

• 1550

Comme je l'ai dit, nous avons peu de temps à notre disposition. Si nous pouvons obtenir les avis éclairés de M. Sher trois ou quatre jours par mois, par exemple pour ne pas reformuler des arguments juridiques qui ont déjà été développés ailleurs, ce sera selon moi très avantageux.

Comme j'ai vu dans la presse des spéculations tout à fait erronées au sujet de ce que fera M. Sher, je tiens à préciser tout de suite certaines des choses qu'il ne va pas faire.

Il ne sera pas le patron de la Section des crimes de guerre, il ne mènera pas d'enquêtes, il n'interrogera pas de témoins, il ne jouera pas le rôle de juriste du ministère et il ne prendra aucune décision quant à nos stratégies judiciaires. De fait, il ne prendra aucune décision sur rien. Son rôle consistera uniquement à nous conseiller. Nous sommes certains que ses conseils seront précieux mais, en fin de compte, nous prendrons nos propres décisions.

Madame la présidente, j'espère que ce bref aperçu vous sera utile pour entreprendre vos discussions avec M. Sher. Je répète que je suis à votre disposition pour répondre aux questions.

La présidente: Merci.

Monsieur Sher.

M. Neal Sher (conseiller du ministère de la Justice): Madame la présidente, c'est à la fois un plaisir et un honneur pour moi de comparaître devant votre comité permanent. C'est également un plaisir et un honneur que d'avoir été invité à aider M. Sims et la Section des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité dans leur travail.

Je suppose que le ministère de la Justice m'a choisi parce que j'ai 15 années d'expérience au Bureau des enquêtes spéciales. Ce bureau a dû tout inventer dans son domaine. J'y suis entré peu après sa création et j'y ai travaillé pendant 15 ans, dont 11 comme directeur.

Comme John Sims vient de l'indiquer, j'espère être en mesure de les faire profiter, lui et la Section, de l'expérience que j'ai acquise à l'OSI. Je crois que tout ce que je pourrais leur apporter, suite à l'expérience acquise par le gouvernement américain dans l'exécution d'une mission très importante et qui ne saurait souffrir aucun retard, pourra leur être très utile. C'est quelque chose que je serais très heureux de partager avec mes collègues canadiens.

Le Bureau des enquêtes spéciales a obtenu d'excellents résultats. Comme l'a dit John Sims, il y a déjà longtemps qu'il existe et je puis dire que je suis très fier des procédures de révocation de la citoyenneté et de déportation que nous avons entreprises à l'égard des persécuteurs nazis qui ont réussi à entrer illégalement en Amérique ou qui essaient d'y entrer maintenant.

Je dois préciser aussi que, pendant mon travail au Bureau, j'ai évidemment eu l'occasion de me familiariser avec le type de dossiers dont est saisi le Bureau canadien. Lorsque j'étais chef du Bureau, je collaborais assez régulièrement avec les gens qui assument cette responsabilité au Canada, ce qui veut dire que je connais assez bien le type de personnes au sujet au sujet desquelles on mène actuellement des enquêtes au Canada: gardes des camps de concentration et membres d'une unité, comme les SS, la police ou les organisations paramilitaires, ayant commis des atrocités et des persécutions.

Le problème de l'identification et de la poursuite des persécuteurs nazis n'est certainement pas particulier aux États-Unis ni au Canada. Les personnes qui ont commis ces crimes se sont enfuies de l'Europe après la guerre et se sont dispersées dans le monde entier. Beaucoup sont venues en Amérique, beaucoup au Canada et beaucoup en Australie. Les problèmes que posent les enquêtes à leur sujet ne sont particuliers à aucun pays occidental. Dans bien des cas, les gens qui font l'objet d'enquêtes au Canada faisaient partie des mêmes unités où opéraient des gens au sujet desquels j'ai fait enquête et intenté des poursuites aux États-Unis.

• 1555

De ce fait, je crois être assez familier avec le type de preuves qui sont nécessaires, et avec les difficultés que pose la collecte de ces preuves, dispersées dans le monde entier.

Nous parlons ici de crimes qui ont été commis à des milliers de milles de chez nous. Les témoins sont littéralement éparpillés dans le monde entier. J'ai eu à m'occuper de preuves documentaires émanant d'une multitude de sources d'Europe de l'Est, d'Europe centrale, d'Europe occidentale et des États-Unis. J'ai recueilli des témoignages dans le monde entier.

Je connais aussi fort bien les archives. J'ai travaillé avec des historiens canadiens. L'historienne en chef de la Section canadienne est une femme que j'avais recrutée à l'origine pour travailler à l'OSI. Je connais aussi fort bien bon nombre des personnes qui oeuvrent dans ce domaine dans d'autres pays.

L'expérience que j'ai acquise au Bureau américain me permet de deviner et de comprendre les arguments qui seront à l'évidence avancés au Canada, par exemple pour contester la fiabilité de preuves émanant de l'ex-Union soviétique. J'ai déjà traité avec ce genre de preuves. J'ai traité avec des procureurs allemands qui ont eu à connaître de ces preuves. Nous les avons testées. Nous connaissons bien les allégations qui ont été faites au cours des années pour faire croire que le KGB aurait produit de faux documents. Il s'agit là d'arguments qui seront peut-être avancés au Canada même; c'est en tout cas une possibilité qu'il faut envisager.

Je sais aussi que la Section canadienne des crimes de guerre a bénéficié de l'accès libre aux archives de l'ex-Union soviétique après l'effondrement de l'URSS. Je suis très heureux de savoir que vos chercheurs tirent pleinement profit de cet accès très important.

En bref, je pense que les difficultés qui risquent de se poser au Canada en matière de preuves n'auront rien de nouveau pour moi. Je sais fort bien qu'il appartient à vos tribunaux de prendre la décision ultime quant à la fiabilité, l'admissibilité, la crédibilité et le poids à accorder à n'importe quel élément de preuve, tout comme cette responsabilité appartient aux tribunaux américains dans mon pays. Je peux cependant partager avec votre Bureau, et aussi avec votre comité, l'expérience acquise par le Bureau des enquêtes spéciales avec des preuves d'origine soviétique. Laissez-moi vous dire tout de suite que cette expérience a toujours été très bonne. Les tribunaux ont toujours accepté les preuves que nous avons soumises, parce que nous en avions fait la validation scientifique. De fait, nous n'avons découvert aucun cas de documents fabriqués ou de faux documents.

Je peux dire que j'ai même interrogé des anciens cadres du KGB qui, selon nos inculpés, savaient parfaitement que l'Union soviétique nous envoyait de faux documents. On nous avait dit, ainsi qu'à nos tribunaux, que tel ou tel témoin avait fabriqué lui-même ses documents. Quand je leur ai parlé et qu'ils ont finalement témoigné et fait l'objet de contre-interrogatoires de la défense, il est devenu parfaitement clair que, contrairement à ce que prétendait celle-ci, les preuves fournies par l'ex-Union soviétique étaient tout à fait légitimes. De fait, l'un des témoins dont je parle ne connaissait aucun cas de faux documents ayant été envoyés à l'Ouest pour être utilisés dans des procès—et la même expérience m'a été relatée par les procureurs allemands qui, pendant longtemps, dès les années 50 et 60, se sont fondés sur des preuves d'origine soviétique. Chaque fois, ils ont constaté qu'elles étaient totalement fiables.

Voilà le genre d'expérience que j'ai eu le privilège de pouvoir acquérir au cours des années et que j'espère partager avec vos propres services.

À l'OSI, j'avais la réputation d'être un procureur dur mais juste. Il faut dire que j'étais parfaitement conscient de l'importance des causes nous étions saisis et, comme les personnes qui gèrent maintenant le Bureau, du fait que le temps nous était compté. Pour des raisons évidentes, il nous reste peu de temps pour régler ces dossiers. Je sais que certaines personnes m'ont reproché une expression que j'ai utilisée et qui a été reprise dans la presse. J'avais dit en effet qu'il fallait «avoir le coeur au ventre» pour intenter les poursuites. C'est une expression très simple par laquelle je voulais simplement dire que les personnes responsables doivent comprendre que ce travail est à la fois important et urgent. Cela voulait cependant dire aussi qu'il fallait agir correctement.

• 1600

Pendant mon travail à l'OSI, j'ai réglé des centaines et des centaines de cas qui ne seront jamais portés à la connaissance du public même si, dans leur grande majorité, et j'insiste, leur grande majorité, j'avais toutes les raisons de croire que la personne concernée avait commis des persécutions et des atrocités pour les Nazis. Je savais cependant aussi que mon devoir de procureur était de ne pas intenter de poursuites si je ne pensais pas pouvoir gagner.

Je suis par ailleurs assez familier avec d'autres critiques qui ont été formulées au sujet des méthodes de l'OSI. Voici donc ce que je voudrais dire quant à la manière dont nous envisagions notre mission. J'ai personnellement signé une plainte et personnellement intenté des poursuites contre un couple juif, un garde juif de camp de concentration qui avait perdu sa première famille sous ses propres yeux. Toutefois, les preuves dont nous disposions étaient telles que nous avions la conviction qu'il ne méritait pas la citoyenneté américaine à cause des actes qu'il avait commis. Nous avons donc poursuivi cette personne et nous lui avons fait perdre sa citoyenneté.

Nous avons aussi intenté des poursuites ou inscrit sur notre liste de surveillance des personnes japonaises ayant fait l'objet d'allégations de crimes de guerre.

Je ne suis pas expert en droit canadien ni en procédure canadienne. Il serait absurde pour moi de le prétendre, bien que je sache qu'il existe des similitudes entre nos deux systèmes.

Comme l'a dit John Sims, mon rôle est de conseiller, de faire des suggestions et d'exprimer des opinions quant à la manière dont l'expérience américaine, qui est déjà très vaste, pourrait profiter au Canada. M. Vickery, M. Sims et les autres seront évidemment parfaitement libres de ne tenir aucun compte de mes avis, de mes conseils et de mes suggestions. Et ils savent fort bien que le temps leur est compté.

Je sais que vous avez beaucoup de questions à me poser et je peux vous dire que j'ai lu les documents qui m'ont été adressés et qui ont été remis aux députés. Pour ce qui est des critiques exprimées au sujet de mon recrutement, il serait stupide de ma part de prétendre que je n'en ai pas entendu parler. De fait, elles ne m'ont pas vraiment surpris et j'ai même dit en plaisantant à John Sims qu'elles me rajeunissaient beaucoup car j'avais aussi fait l'objet de critiques il y a 15 ans en arrivant à l'OSI. Ce n'est pas étonnant, on s'y attend. J'ai lu la correspondance.

La majeure partie porte sur l'affaire Demjanjuk mais il y a aussi une attaque sous-jacente contre la démarche du gouvernement, qui est axée sur la révocation de la citoyenneté et la déportation. Évidemment, c'est une démarche que j'approuve sans réserve. C'est celle que les États-Unis ont adoptée en 1979. C'est aussi une démarche que les tribunaux américains ont régulièrement jugée acceptable en vertu de notre droit.

Pour ce qui est du Canada, je signale simplement que le rapport Deschênes, publié il y a près de 10 ans, non seulement indiquait que l'on pourrait intenter des poursuites pénales mais précisait aussi que la révocation de la citoyenneté et la déportation constituaient une démarche tout à fait appropriée et pleinement justifiée.

À mon sens, la récente décision à laquelle M. Sims a fait allusion, dans l'affaire Bogutin, m'indique que cette démarche est également jugée valable par votre magistrature. Évidemment, John Sims est beaucoup plus au courant que moi à ce sujet et c'est sans doute à lui que vous devriez poser des questions précises sur ce cas.

Pour ce qui est de l'affaire Demjanjuk qui, je le sais, a été évoquée, je pense qu'il est important pour moi d'en parler directement. Ce cas a été traité de manière exhaustive par de nombreux tribunaux américains, et l'on a en particulier révisé en profondeur la manière dont les procureurs l'ont abordé. Ces procureurs comprenaient des avocats de mon ancien Bureau, l'OSI, ainsi que des avocats du Bureau du procureur général des États-Unis à Cleveland, Ohio, où réside M. Demjanjuk. Des critiques ont été formulées au sujet de ces avocats, y compris de certains qui travaillaient à l'OSI à la fois quand j'en étais directeur adjoint et directeur.

• 1605

Pour ce qui est de la conduite des procureurs fédéraux, la Cour d'appel du sixième circuit, qui siège à Cincinnati, a nommé en 1992 un juge d'appel fédéral, Thomas Wiseman, comme «maître spécial» pour examiner le dossier. Le juge Wiseman—juge fédéral de première instance—avait pour mandat d'examiner en détail des allégations d'inconduite et de fautes commises par les procureurs de Demjanjuk. Son rôle était d'examiner attentivement les faits et de formuler des recommandations sur les mesures qui pourraient s'imposer.

Le juge Wiseman avait et a toujours la réputation d'être un juge de première instance très dur et chevronné, et il a aussi la réputation chez les procureurs fédéraux de ne faire aucun cadeau au gouvernement. Il a mené une enquête extraordinairement minutieuse et exhaustive pendant plus d'un an et demi, et il a ainsi a recueilli de nombreux témoignages. Moi-même, j'ai dû faire une déposition. Je n'ai pas témoigné devant lui mais j'ai fait une déposition devant les procureurs de Demjanjuk, j'ai dû remettre des documents et les procureurs ont obtenu certaines dérogations. C'était tout à fait extraordinaire.

En 1993, le juge Wiseman a rendu sa décision dans un document de 210 pages que vous pourriez facilement obtenir. Je n'en ai pas d'exemplaire avec moi—c'est un gros document—mais il fait partie du domaine public. Dans sa décision, le juge a traité directement de la principale allégation de Demjanjuk, c'est-à-dire, à toutes fins pratiques—et j'essaie d'être aussi concis que possible—que les procureurs avaient agi de manière frauduleuse et de mauvaise foi essentiellement en ne lui remettant pas des informations qui lui auraient été utiles pour sa défense.

Dans son rôle de juge des faits ayant eu accès à la preuve, le juge Wiseman a conclu que le gouvernement n'avait commis aucune fraude. Il a conclu que les procureurs du gouvernement avaient toujours agi de bonne foi. En particulier, il a déclaré, et je le cite:

    Les personnes composant l'équipe qui a intenté des poursuites contre M. Demjanjuk ont agi de bonne foi. Elles n'avaient pas l'intention d'enfreindre les règles ni leurs obligations éthiques. Elles n'ont pas été imprudentes; elles n'ont fait aucune erreur quant aux faits ou au droit tels qu'elles les comprenaient, et elles n'ont fait aucune déclaration délibérément fondée sur l'ignorance. Certes, elles ont peut-être été aveugles face à ce que nous pouvons percevoir aujourd'hui comme étant la vérité, mais elles ne l'ont pas été délibérément.

Voilà ce qu'a conclu le juge des faits. Certes, il a admis, comme nous l'admettons tous, que des erreurs ont été commises dans le cadre de cette poursuite et, dans sa décision, il a fourni des explications. Par exemple, il a évoqué l'intervention de plusieurs bureaux différents, le fait que l'OSI venait tout juste d'être créé, et le fait qu'il y avait d'autres problèmes entre diverses entités du Département de la justice. Il a tout expliqué en détail.

Pour ce qui est des erreurs qui ont été commises, il est évident que j'aurais souhaité qu'elles ne l'aient pas été. Il est par ailleurs tout aussi évident que j'assume une certaine responsabilité globale à l'égard de tout ce qui s'est passé dans le Bureau. Je suis responsable autant des succès que des échecs.

Je constate cependant, si l'on veut parler de ma propre conduite, que le juge Wiseman n'a même pas parlé de moi dans son rapport et qu'il a considéré que j'étais, comme d'autres, un témoin foncièrement moins important. Il n'a pas exigé que nous allions témoigner devant lui.

Les problèmes qui se sont posés dans l'affaire Demjanjuk procédaient avant tout de protocoles et concernaient les déclarations faites par d'anciens prisonniers soviétiques qui avaient servi au camp de la mort de Treblinka. Ces déclarations n'avaient pas été remises à M. Demjanjuk alors qu'elles avaient été communiquées au gouvernement des États-Unis dans les années 70, dans le cadre d'une affaire différente. La première fois que j'ai vu ces protocoles, comme le juge Wiseman l'indique dans sa décision, c'est en 1991, bien après que Demjanjuk soit arrivé en Israël, et dans le cadre d'une demande reliée à la Loi sur la liberté de l'information.

J'ajoute par ailleurs que même les avocats de Demjanjuk, dans leurs mémoires et arguments adressés au tribunal, oralement et par écrit, ne m'ont jamais attaqué personnellement pour ce que j'avais fait. En outre, le Bureau de la responsabilité professionnelle du Département de la justice des États-Unis a rejeté toute suggestion que j'aurais personnellement agi de manière incorrecte. De fait, il a rejeté toute allégation que quiconque à l'OSI ou ailleurs ayant participé aux poursuites aurait agi de manière incorrecte.

• 1610

La décision du juge Wiseman, c'est-à-dire son analyse des faits et ses recommandations juridiques—au fait, il avait recommandé que l'on ne fasse rien d'autre dans cette affaire et qu'il y avait suffisamment de preuves indépendantes pour priver Demjanjuk de sa citoyenneté, même si l'on concluait qu'il n'avait pas été Ivan le Terrible de Treblinka.

Cette recommandation fut portée en appel devant le tribunal qui avait nommé le juge Wiseman. Le tribunal d'appel entérina les conclusions factuelles du juge Wiseman concernant le fait qu'aucune fraude n'avait été commise par aucun des avocats et que tous avaient agi de bonne foi.

En revanche, la cour d'appel décida qu'une fraude n'avait été commise à l'égard du tribunal de première instance car, selon elle, même si aucune des personnes n'avait enfreint ses obligations, on avait fait preuve de mépris flagrant envers la vérité. Cette conclusion ne m'a évidemment fait aucun plaisir, vous n'en serez pas surpris.

J'ai aussi été troublé, comme beaucoup d'autres personnes, par la conclusion que, même si l'on avait jugé que personne n'avait agi de manière imprudente ou frauduleuse, une fraude avait été commise à l'égard du tribunal. En effet, on se retrouvait ainsi avec un jugement foncièrement contradictoire, que beaucoup de gens ont décrit comme étant une «fraude de bonne foi», notion de droit qui m'échappe encore.

J'exprime donc mon désaccord respectueux mais, bien sûr, j'accepte la décision du tribunal. En février 1998, un avocat de droit pénal a publié un article dans le Chicago Law Bulletin pour critiquer la décision. De même, un professeur de la Faculté de droit Northwestern a publié un long article dans le Hastings Law Journal en 1994. Comme eux, le professeur Alan Dershowitz, des membres du Congrès des États-Unis et la Anti-Defamation League ont critiqué cette décision.

Quoi qu'il en soit, la décision est là et il faut vivre avec. Je le répète, j'aurais préféré que les erreurs qui ont été commises ne l'aient pas été. À peu près un mois après cette décision, Demjanjuk a recouvré sa citoyenneté, essentiellement sur la base de l'arrêt de la Cour du sixième circuit que j'ai mentionné. Toutefois, dans sa décision—adoptant les conclusions de la Cour du sixième circuit—le juge Paul Matia, de la Cour du district fédéral de Cleveland, a indiqué très clairement qu'il laissait la voie libre au Département de la justice pour poursuivre son action, sur la base des faits autres que ceux de Treblinka. De fait, il a invité le gouvernement à continuer ses poursuites contre Demjanjuk.

Le procureur général des États-Unis, Janet Reno, n'a fait aucune déclaration publique mais il n'y a absolument rien qui permette de penser... Toutes les informations que j'ai pu obtenir m'indiquent qu'il serait extraordinairement surprenant que le gouvernement américain ne suive pas l'invitation claire du juge à poursuivre des accusations très sérieuses contre Demjanjuk.

Comme l'affaire Demjanjuk est l'un des éléments centraux des critiques formulées au sujet de mon recrutement pour aider M. Vickery et M. Sims, je crois qu'il est important d'examiner le contexte général de cette affaire. Le point de départ en a été la décision de lui rendre la liberté prise en juillet 1993 par cinq juges éminents de la Cour suprême d'Israël.

La Cour suprême d'Israël avait dit qu'elle avait de sérieux doutes quant au fait que Demjanjuk ait été Ivan le Terrible. J'affirme cependant que, malgré les preuves fournies pendant le procès en appel qui a finalement mené à la Cour à avoir ces doutes persistants, les procureurs israéliens, qui étaient un groupe d'avocats éminents comprenant le procureur général d'Israël, n'ont pas reculé d'un pouce quant à leur opinion que Demjanjuk était Ivan le Terrible, sur la base des témoignages très convaincants de survivants de Treblinka.

• 1615

La Cour suprême israélienne a accepté les déterminations factuelles du tribunal de première instance israélien et les affirmations des survivants de Treblinka selon lesquelles Ivan Demjanjuk était bien celui qu'ils connaissaient sous le nom d'Ivan Grozny ou Ivan le Terrible, responsable des chambres à gaz de Treblinka. La cour a accepté ces conclusions mais elle a aussi souligné que, pendant les années durant lesquelles l'appel était pendant, les procureurs israéliens, soit les mêmes personnes qui n'ont jamais reculé d'un pouce dans leur conviction qu'il était Ivan le Terrible—et je ne parle pas ici de la défense mais des procureurs israéliens—avaient trouvé des documents dans l'ex-Union soviétique—l'Union soviétique s'étant effondrée au moment où l'appel a été entendu—et des déclarations de témoins laissant entendre que celui qu'on appelait Ivan le Terrible était un certain Ivan Marchenko.

Or, beaucoup de choses bizarres concernent le nom Marchenko, la moindre n'étant pas le fait que, lorsque Demjanjuk a demandé à venir en Amérique, il a indiqué sur sa demande de visa et a juré devant les autorités américaines de l'immigration, puis plus tard lorsqu'il est arrivé en Amérique et qu'il a rempli une demande de sécurité sociale, que sa mère s'appelait Marchenko.

Lorsque cela s'est su en Israël, il a dit que c'était un mensonge et qu'il avait complètement inventé ce nom. Comme cela fut révélé au moment de la procédure d'appel, il n'était plus possible de reprendre l'examen de ces faits mais, comme l'ont dit les procureurs israéliens dans leurs plaidoyers, le moins que l'on puisse dire est que c'était curieux. En outre, d'autres personnes qui vivaient à proximité de Treblinka ont identifié Demjanjuk comme étant l'homme qu'elles connaissaient sous le nom de Marchenko.

Quoi qu'il en soit, il y avait assez de questions et assez de ces doutes persistants, comme l'a dit la Cour suprême israélienne, pour que celle-ci ne puisse déclarer sans l'ombre d'un doute raisonnable que Demjanjuk était effectivement Ivan le Terrible de Treblinka. Si quiconque s'imagine que cela confirmait l'innocence de M. Demjanjuk et que celui-ci n'avait pas de sang sur les mains, il suffit de lire l'arrêt de la Cour suprême israélienne pour s'ôter toute illusion. Celle-ci n'aurait pu exposer de manière plus claire le rôle de Demjanjuk dans l'Holocauste, dans la solution finale du soi-disant problème juif.

La Cour israélienne a confirmé les conclusions du tribunal de première instance qu'il était membre du wachmanner, c'est-à-dire qu'il était un wachman, un garde à l'unité d'entraînement infâme de Pologne. Pour reprendre les termes de la Cour suprême israélienne, cette unité de Trawnicki avait été créée dans un seul but: étudier et enseigner à ses membres comment exterminer, annihiler, détruire et garantir la solution finale du problème juif.

Les juges ont aussi confirmé que Demjanjuk avait servi au camp parallèle du camp de la mort de Treblinka, le camp de la mort de Sobibor, et qu'il était garde en Allemagne vers la fin de la guerre aux camps de concentration de Regensbürg et de Flossenbürg. Ils ont également mentionné les documents d'Union soviétique et d'Allemagne de l'Ouest indiquant qu'il avait servi au camp de concentration de Maidanek, à Lublin, en Pologne.

Il importe de bien comprendre ce que ça veut dire que d'avoir été wachman à Treblinka ou à Sobibor. C'est ce qu'on appelait être un Aktion Reinhard. En moins de deux ans, près de deux millions de juifs—entre 1,7 ou 1,8 million... Et seuls des juifs ont été détruits à Sobibor, à Belzec et à Treblinka. C'était la seule raison de l'existence de ces camps. Il ne s'agissait pas de camps d'esclavage, il ne s'agissait pas de camps de travail, c'était simplement des usines de mort. Deux heures après leur arrivée aux camps, les juifs étaient réduits en cendres.

Évidemment, ces camps étaient gérés et dirigés par des officiers SS mais il y avait aussi des wachmanner auxiliaires, dont beaucoup venaient d'Europe de l'Est et étaient d'anciens prisonniers de guerre de l'Armée rouge soviétique, comme Demjanjuk, qui venait d'Ukraine... Pendant cette période d'un an et demi, il y a eu moins de 400 wachmanner dans ces trois camps, dont la seule fonction, jour après jour, était d'annihiler 1,8 million de personnes. Quiconque a travaillé à Treblinka, à Sobibor ou à Belzec n'avait qu'une seule fonction: tuer des juifs.

• 1620

La Cour suprême israélienne a déterminé que Demjanjuk avait au minimum travaillé à Sobibor. Quelle preuve avait-on à ce sujet? D'abord et avant tout, l'un des documents qui ont peut-être fait l'objet des études et analyses scientifiques les plus poussées de toute l'histoire de la jurisprudence occidentale, c'est-à-dire le document de Trawnicki, une carte d'identité délivrée à Demjanjuk et portant sa photo, ses inscriptions manuscrites, ses données biographiques, dont le nom, le lieu et la date de naissance de son père, ainsi qu'un numéro d'identification SS—1393.

L'original de ce document a été envoyé aux États-Unis pour faire l'objet de vérifications judiciaires. Les avocats de Demjanjuk ont eu la possibilité d'effectuer leurs propres vérifications mais ils ont choisi de ne pas le faire. Le document a aussi été envoyé en Israël, où il a fait l'objet de vérifications de la part de certains des plus grands experts mondiaux. La photographie a fait l'objet de vérifications dramatiques qui ont montré qu'il s'agissait bien de Demjanjuk. Or, ce document prouve que Demjanjuk était à Sobibor en mars 1943.

Demjanjuk a reconnu qu'il a eu un tatouage de type sanguin sous le bras gauche. Les historiens affirment, et ce fait n'est contesté par personne, que seuls les membres et affiliés des SS recevaient ce tatouage de type sanguin. Demjanjuk a reconnu qu'il avait eu un tatouage et a reconnu qu'il l'a fait découper mais strictement personne n'a cru l'histoire qu'il a racontée pour expliquer comment il l'avait reçu. Quand je dis personne, je veux dire chaque juge qui a examiné la chose.

Il y a eu le même type de déclarations qui ont finalement débouché sur son exonération à l'égard des accusations de Treblinka, des témoignages d'anciens gardes de Sobibor qui ont identifié Demjanjuk comme ayant servi à Sobibor. Pendant l'appel entendu en Israël, des documents découverts en Allemagne de l'Ouest ont confirmé qu'il avait servi à Sobibor et dans trois autres camps de concentration.

Quand il a demandé à venir aux États-Unis, il a déclaré que sa mère s'appelait Marchenko, ce qu'il a ensuite nié. On lui a par ailleurs demandé où il s'était trouvé entre 1934 et 1943. Il a dit qu'il avait été agriculteur dans un lieu qui s'appelait Sobibor, en Pologne. Il s'agit d'une toute petite localité qui ne figure probablement sur aucune carte. Elle n'est connue que pour une chose—la destruction des juifs. Sans son camp de la mort, personne n'aurait jamais entendu parler de Sobibor.

Aux États-Unis et en Israël, Demjanjuk a donné plusieurs versions différentes des raisons pour lesquelles il avait dit s'être trouvé à Sobibor. Les tribunaux, notamment la Cour suprême d'Israël, ont purement et simplement rejeté ses explications en disant qu'il n'y avait qu'une seule raison pour que quelqu'un inscrive Sobibor sur sa demande: c'est d'y avoir été.

J'ai la conviction que le gouvernement des États-Unis va continuer de poursuivre Demjanjuk, à juste titre. Cependant, comme beaucoup des documents que j'ai vus et que vous avez reçus portent sur Demjanjuk, je pensais qu'il était important d'apporter ces précisions afin de replacer l'affaire dans son contexte.

Je vais conclure mes remarques en répétant que je suis maintenant un avocat privé à Washington et que l'une des choses dont je suis le plus fier est de pouvoir travailler avec vos procureurs et de leur offrir toute l'aide qu'ils pourront juger utile. J'ajoute que j'ai été particulièrement impressionné par le dynamisme des membres de votre Bureau. Cela m'a rappelé l'atmosphère de l'OSI, ce qui est très encourageant. J'espère pouvoir aider votre Bureau de toutes les manières possibles et je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

Merci.

La présidente: Merci, monsieur Sher.

Je préviens tout de suite mes collègues que j'ai plusieurs questions à poser. J'espère que vous m'en donnerez le temps, sinon je devrai vous couper la parole.

Allez-y, vous avez 10 minutes.

M. Jack Ramsay (Crowfoot, Réf.): Merci de votre présence, monsieur Sims. J'aurais peut-être une question ou deux à vous poser un peu plus tard.

Merci aussi d'être venu, monsieur Sher.

M. Neal Sher: Tout le plaisir est pour moi.

• 1625

M. Jack Ramsay: Vous savez bien sûr que c'est moi qui ai demandé à ce que vous vous présentiez devant le comité, étant donné que mon bureau a reçu un grand nombre de lettres, de messages télécopiés et de messages électroniques de personnes troublées par votre nomination au ministère de la Justice du Canada. Je vous remercie des explications que vous avez données à ce sujet.

La plupart des préoccupations exprimées portaient sur divers cas dont a été saisi votre Bureau des enquêtes spéciales, l'OSI. Vous avez dit avoir dirigé ce bureau pendant 11 ans, après y avoir déjà travaillé trois ou quatre ans. Je crois comprendre aussi que la principale fonction de l'OSI, qui fait partie du Département de la justice des États-Unis, était de traiter les dossiers de personnes soupçonnées d'avoir été des criminels de guerre nazis et résidant aux États-Unis.

La plupart des préoccupations adressées à mon bureau portent sur la révocation de la citoyenneté de John Demjanjuk et sur son extradition en Israël pour y être jugé des crimes commis par Ivan le Terrible, un garde du camp d'extermination de Treblinka, en Pologne. On affirme que près de 900 000 hommes, femmes et enfants, essentiellement des juifs, ont été mis à mort dans ce camp. Ivan le Terrible s'occupait de l'un des moteurs diesel qui pompaient du gaz dans les chambres hermétiquement scellées après qu'on les ait remplies de victimes, et l'on a dit que c'était un individu sadique et foncièrement vicieux.

À partir des preuves fournies par les procureurs de l'OSI, les tribunaux ont conclu que John Demjanjuk était Ivan le Terrible. Il a donc perdu sa citoyenneté et été extradé vers Israël pour y être jugé. Là-bas, il a été trouvé coupable de meurtre et condamné à mort. La Cour suprême israélienne a cassé ce jugement et a libéré M. Demjanjuk. Toutefois, si je ne me trompe, il a passé quelque sept ans en prison.

Le 17 novembre 1993, la Cour du sixième circuit de l'Ohio a conclu que les procureurs de l'OSI avaient obtenu l'extradition de Demjanjuk en ayant fait preuve d'inconduite professionnelle, c'est-à-dire de fraude envers le tribunal.

Étant donné le temps que vous avez pris pour exposer cette affaire, je pense qu'il est nécessaire de lire quelques extraits pertinents de cet arrêt de la Cour d'appel du sixième circuit des États-Unis. Les juges étaient le juge en chef Merritt, président, le juge de circuit Keith et le juge principal de circuit Lively.

Ils affirment que la décision d'extrader Demjanjuk vers Israël reposait uniquement sur la conclusion de la Cour de district que Demjanjuk était Ivan le Terrible. Le maître spécial dont vous avez parlé, le juge Wiseman, s'est penché sur six affirmations spécifiques de Demjanjuk voulant que certains actes et omissions des procureurs de l'OSI constituaient de l'inconduite judiciaire ou une fraude envers le tribunal.

Voici ce qu'ont dit ces juges:

    Dans chaque cas, le maître a constaté que les procureurs du gouvernement n'avaient pas divulgué ou produit des documents ou d'autres pièces qui auraient dû être divulgués ou produits en vertu des demandes d'information pendantes [...]

Puis:

    Finalement, et c'est particulièrement important, dès 1978 ou 1979, le gouvernement disposait d'informations officielles émanant de l'Union soviétique et indiquant qu'il y avait eu deux opérateurs ukrainiens des chambres à gaz de Treblinka—Ivan et Nikolai—et qu'«Ivan Grozny» était un homme qui s'appelait Ivan Marchenko, pas Ivan Demjanjuk.

À la page 26 de leur jugement, ils disent ceci:

    Les procureurs de l'OSI ont agi avec un mépris flagrant de leur devoir envers le tribunal et de leur devoir d'information en ne divulguant pas au moins trois séries de documents qu'ils avaient en leur possession avant que l'affaire Demjanjuk ne passe en procès.

Au sujet des protocoles Fedorenko—que l'OSI avait en sa possession en 1978—ils ont dit:

    Cette preuve [...] y compris les déclarations de deux anciens gardes de Treblinka, Malagon et Leleko [...] désignent quelqu'un d'autre que Demjanjuk comme le célèbre et cruel «Ivan le Terrible» qui contrôlait les moteurs des chambres à gaz.

Cette preuve contient aussi une liste des gardes transférés du camp d'entraînement de Trawnicki, en Pologne, où l'on ne trouve pas le nom de Demjanjuk. Les juges ont aussi parlé de la liste des gardes de Treblinka du gouvernement polonais, que l'on appelle la liste principale d'affectation polonaise. L'OSI l'avait en sa possession en 1979. Voici ce qu'en ont dit les juges:

    Cette preuve se compose d'un article publié par la Commission principale polonaise, [...] qui contient une liste partielle des gardes connus de Treblinka. Le nom d'Ivan Marchenko figure sur la liste, pas celui de Demjanjuk.

• 1630

Les juges ont ensuite ajouté ceci, qui me trouble beaucoup:

    Au moment où l'OSI a reçu cette liste [...] il avait déjà la déclaration de Leleko identifiant «Nicolai» et Marchenko comme deux personnes différentes faisant fonctionner les chambres à gaz. (Nicolai fut identifié dans des documents reçus plus tard de sources de l'ex-Union soviétique comme étant Nicolai Shalayev, qui avait déclaré en 1950 que c'était lui et Marchenko qui étaient les deux personnes responsables des chambres à gaz.

Les procureurs de l'OSI avaient cette preuve en leur possession en 1979, avant d'intenter des poursuites contre Demjanjuk.

Je voudrais conclure par cette citation du jugement:

    En conséquence, nous concluons que les procureurs de l'OSI ont agi en mépris flagrant de la vérité et du devoir du gouvernement de ne prendre aucune mesure qui puisse empêcher un adversaire de présenter ses arguments pleinement et équitablement. Cela constituait une fraude envers le tribunal étant donné qu'en postulant de manière imprudente la culpabilité de Demjanjuk ils n'ont pas respecté leur obligation de produire les documents de disculpation demandés par Demjanjuk.

    Pour ces raisons, nous cassons le jugement de la Cour de district et le jugement de cette Cour dans la procédure d'extradition, pour la raison que les jugements ont été obtenus à tort grâce à l'inconduite des procureurs constituant une fraude envers le tribunal.

Il est clair que vous pensez toujours que Demjanjuk était Ivan le Terrible. De fait, j'ai sous les yeux une note indiquant que vous avez déclaré, après votre nomination au ministère de la Justice canadien, que c'était un assassin de masse. Croyez-vous toujours que Demjanjuk était Ivan le Terrible?

M. Neal Sher: Monsieur Ramsay, je ne pense avoir rien dit ici aujourd'hui qui indique que je crois que c'était Ivan le Terrible. Ce que j'ai dit, c'est que quiconque lisant l'arrêt de la Cour suprême d'Israël, c'est-à-dire l'arrêt même qui lui a rendu sa liberté... Il est parfaitement clair que la Cour considère qu'il a été garde. Elle a conclu qu'il a été garde à Sobibor, et aussi qu'il a été garde ailleurs. Or, avoir été garde dans l'un de ces camps signifie ipso facto que l'on a participé à des assassinats de masse. C'est ce que j'ai dit.

J'accepte l'arrêt de la Cour suprême d'Israël, qui est le jugement ultime en l'affaire. En ce qui me concerne, la question de savoir s'il était Ivan Grozny—Ivan le Terrible—à Treblinka a fait l'objet d'une décision finale et l'on n'a plus à y revenir. J'accepte ce qu'a dit la Cour suprême d'Israël. Certes, beaucoup de gens pensent néanmoins qu'il aurait dû rester en prison, du fait des autres constatations de la Cour mais, pour ce qui est de la question de savoir s'il était ou non Ivan le Terrible, la décision est définitive et je l'accepte.

M. Jack Ramsay: Avez-vous déclaré à la presse que vous le considérez comme un assassin de masse?

M. Neal Sher: Je considère qu'il a participé à l'Holocauste. Avoir été garde à Sobibor veut dire que l'on a participé à des assassinats de masse.

M. Jack Ramsay: Bien. Merci.

Je voudrais aborder une autre affaire. Puis-je le faire maintenant?

La présidente: Je vous rendrai la parole plus tard.

M. Jack Ramsay: Merci.

La présidente: Monsieur Mancini.

M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Monsieur Sher, je vais poursuivre sur le même sujet que M. Ramsay. En ce qui concerne les poursuites contre Demjanjuk, vous êtes consultant du gouvernement canadien. Vous êtes un avocat privé de Washington. Êtes-vous aussi consultant de votre propre gouvernement en ce qui concerne d'autres poursuites contre M. Demjanjuk? Vous avez dit ici...

• 1635

M. Neal Sher: La réponse est non.

M. Peter Mancini: Bien. Vous avez dit avoir la conviction que le gouvernement continuerait les poursuites.

M. Neal Sher: C'est mon sentiment.

M. Peter Mancini: En ce qui concerne votre rôle de consultant auprès du gouvernement canadien, pouvez-vous nous dire combien de fois, en gros, celui-ci vous a demandé des conseils au cours des trois ou quatre derniers mois?

M. Neal Sher: J'ai discuté de plusieurs questions en cours avec M. Sims et M. Vickery, et c'est ce qui m'a amené ici. Je les ai rencontrés et j'ai rencontré des membres de leur personnel. Je travaille à Washington et je travaille aussi ici. J'ai consacré pas mal de temps à me préparer à ceci.

Je ne sais pas combien de voyages j'ai faits. Pendant mes deux ou trois derniers voyages, nous nous sommes efforcés de prévoir les questions qui seraient posées.

Très franchement, comme il s'agit ici d'une audience publique et qu'il y a des représentants de la presse, je ne pense pas devoir divulguer certains des dossiers précis sur lesquels je travaille. Disons que je m'occupe de communication. Comme je l'ai dit, il y a certains dossiers pour lesquels on constate un chevauchement important avec ce que j'ai fait à l'OSI.

M. Peter Mancini: Je ne vous demande pas de parler des cas précis dont vous vous occupez. Si je me souviens bien, M. Sims a parlé de consultations trois jours par mois.

M. Neal Sher: Je suis à Ottawa trois ou quatre jours par mois. Je travaille aussi à mon bureau de Washington mais c'est à peu près la moyenne.

M. Peter Mancini: Vous seriez donc à peu près trois jours par mois à Ottawa, et vous seriez aussi consulté par téléphone...

M. Neal Sher: C'est ça.

M. Peter Mancini: Je vais maintenant m'adresser à vous, monsieur Sims, puisque vous avez dit que vous étiez prêt à répondre aux questions. Je suis heureux de votre présence.

Combien ont coûté ces consultations au gouvernement canadien jusqu'à présent? Combien pensez-vous qu'elles coûteront à partir de maintenant? Quel budget avez-vous prévu?

M. John Sims: Nous avons négocié un contrat qui comporte un plafond. Lorsque nous faisons appel à M. Sher, il nous envoie une facture. Nous avons donc accès à un avocat américain qui nous facture 200 $ l'heure, ce qui est le tarif payé par le gouvernement canadien à un avocat supérieur du niveau de M. Sher. Le contrat comporte un plafond de 75 000 $.

M. Peter Mancini: Je pourrais demander s'il s'agit de dollars américains ou canadiens, mais je ne le ferai pas.

La présidente: Vous ne facturez pas bien, monsieur Sher?

M. Neal Sher: Beaucoup plus...

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): En dollars américains?

M. Neal Sher: Oui.

M. Peter Mancini: Comme monsieur Ramsay, j'ai reçu de nombreuses lettres, notamment de la communauté ukrainienne. Vous avez dit être au courant des préoccupations de cette communauté et je vais donc vous donner la possibilité d'exprimer officiellement votre position. Que pouvez-vous répondre aux gens qui craignent d'éventuels excès de zèle dans les poursuites contre des membres de cette communauté?

M. Neal Sher: Si j'étais membre de cette communauté, je n'aurais strictement aucune inquiétude à cet égard, considérant la manière dont le Bureau fonctionne et a fonctionné, c'est-à-dire les normes qu'il applique. Il importe de bien comprendre, et cela vaut pour toute communauté ethnique, que le fait que quiconque a fait l'objet de poursuites ou d'accusations ne doit en aucun cas être interprété comme une condamnation globale de sa collectivité d'origine.

• 1640

Comme les États-Unis, le Canada est un pays d'immigrants. Aux États-Unis—je ne peux parler pour le Canada mais c'est certainement la même chose—chaque communauté ethnique, chaque groupe d'immigrants d'Europe de l'Est, d'Europe centrale, d'Europe de l'Ouest, d'Asie, d'Amérique latine, de n'importe où, a apporté une contribution précieuse à sa nouvelle patrie. Et je sais que c'est la même chose au Canada. Le fait que telle ou telle personne fasse partie de tel ou tel groupe ethnique ne doit en aucun cas être considéré comme une condamnation ou une attaque envers ce groupe.

C'est une chose sur laquelle j'ai toujours beaucoup insisté aux États-Unis lorsque je dirigeais le Bureau. C'est très important. Bien sûr, cela devrait aller sans dire mais il est parfois important de le dire. C'est ce que je fais.

M. Peter Mancini: M. Ramsay a parlé de l'arrêt Demjanjuk. Hélas, aucun pays n'a l'exclusivité des erreurs judiciaires. Nous en avons eu notre part. Êtes-vous au courant de l'affaire Marshall ou de l'affaire Morin, au Canada—je sais que cela n'a rien à voir avec les crimes de guerre?

M. Neal Sher: De quelles affaires?

M. Peter Mancini: Des affaires Marshall et Morin, concernant des personnes condamnées à tort.

M. Neal Sher: Je crains que non.

M. Peter Mancini: Cela n'a rien à voir avec les crimes de guerre.

Merci, je n'ai pas d'autres questions.

La présidente: Merci. Peter MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, madame la présidente.

Monsieur Sher, monsieur Sims, nous vous remercions de votre présence devant le comité.

En ce qui me concerne, monsieur Sher, vous avez présenté des arguments très convaincants pour que l'on continue les poursuites contre M. Demjanjuk. Toutefois, comme mes collègues, j'ai reçu divers documents qui révèlent qu'il y a eu, c'est le moins que l'on puisse dire, certains indiscrétions de la part de l'OSI à l'époque où vous en étiez le directeur. Je relève d'ailleurs les termes que vous avez utilisés quand vous avez parlé de votre détermination personnelle à gagner vos poursuites. Vous avez dit qu'il fallait «avoir le coeur au ventre», agir avec agressivité. Dans l'un des documents que j'ai vus, j'ai lu l'expression suivante: «techniques créatives d'exécution de la loi».

Comme vous, je suis un ancien procureur, bien que j'aie loin d'avoir votre expérience. Au Canada, cependant, l'un des principes fondamentaux de notre droit est l'obligation d'être juste et impartial et de toujours divulguer tout ce qui pourrait avoir valeur de disculpation.

Mon collègue M. Mancini a parlé de plusieurs affaires canadiennes qui ont débouché sur des enquêtes—l'affaire Morin, l'affaire David Milgaard et, en Nouvelle-Écosse, Donald Marshall.

J'aimerais vous demander ce que vous savez du droit canadien et, surtout, de l'application de la Charte. Avez-vous reçu une préparation quelconque à cet égard, du point de vue des avis que vous communiquez à notre ministère de la Justice?

M. Neal Sher: Je suis heureux que vous posiez cette question car elle me donne la possibilité de souligner quelque chose que je n'ai peut-être pas assez clairement expliqué dans mon exposé, bien que j'y ai peut-être fait allusion.

L'expression «techniques créatives d'exécution de la loi» et d'autres... Faire preuve d'imagination, c'est ce que j'attends de n'importe quel jeune avocat que j'engage aujourd'hui. C'est tout simplement quelque chose qui est très utile. Cela dit, oui, il faut être déterminé à gagner ses poursuites, mais il va sans dire que l'on est toujours obligé de respecter toutes les règles régissant la conduite d'un procureur. Et cela m'amène à la deuxième partie de la question.

Je serai très franc: je ne suis pas familier avec les conséquences de la Charte. Je ne suis pas familier avec vos normes en matière de divulgation et d'information. Je pense en avoir une idée générale. Toutefois, comme l'a dit M. Sims, ces questions sont précisément celles au sujet desquelles je n'ai absolument pas l'intention de donner mon avis. Je n'aurais certainement pas cette prétention. Il s'agit de décisions que seuls les procureurs canadiens peuvent prendre. Certes, ce qu'ils font peut m'intéresser mais sachez bien que je ne prétendrais jamais donner des avis à ce sujet.

• 1645

M. Peter MacKay: Je suppose, monsieur Sher...

La présidente: Veuillez m'excuser, Peter, M. Sims souhaite intervenir.

M. John Sims: Merci, madame la présidente.

M. Sher vient juste de dire ce que je souhaitais souligner. En fin de compte, c'est nous qui prendrons les décisions et qui en assumeront la responsabilité du point de vue du respect du droit canadien, Charte comprise. Pour ce qui est du reste de la réponse, M. Sher a dit ce que j'aurais dit.

La présidente: Poursuivez, monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Bien. M. Ramsay a donné beaucoup d'informations factuelles. Vous en avez réfuté certaines dans votre déclaration liminaire. Il y a cependant toujours une question qui me trouble: l'allégation que vous n'avez pas révélé des preuves disculpatoires. Et cela n'a rien à voir avec ce que vous avez dit au sujet des autres informations dont on dispose peut-être au sujet d'un rôle différent que cet individu, Demjanjuk, aurait pu jouer.

Que répondez-vous à ceux qui disent que vous aviez en votre possession à l'OSI des informations que vous avez rejetées ou que vous n'avez pas révélées à l'accusé ou à ses avocats?

M. Neal Sher: Je crois qu'il est très important que vous posiez cette question. Il est parfaitement compréhensible qu'il y ait une certaine confusion entre plusieurs aspects différents de la question.

Le fond du problème soulevé dans l'affaire Demjanjuk, qui a mené à l'arrêt de la cour dont M. Ramsay a lu des extraits, était que les procureurs n'avaient pas divulgué plusieurs déclarations qui avaient été obtenues en 1978 avant, en fait, la création de l'OSI. L'OSI n'a été créé qu'en 1979. Or, il y a plusieurs documents qui ont été remis au Département de la justice et qui sont finalement tombés en possession de l'OSI dans le cadre d'une affaire différente, et qui n'ont pas été divulgués dans l'affaire dont vous parlez.

Voilà le fond du problème. Le juge Wiseman, juge des faits, a dit qu'ils auraient dû être communiqués mais il a ajouté qu'il n'y avait pas eu de fraude délibérée, pas d'intention de dissimuler ces informations. Des erreurs ont été commises et je le regrette. Eut-il été préférable que ces informations soient communiquées? Absolument. Cela ne fait aucune doute.

J'ai cependant pris la décision de ne pas parler ici de mon rôle particulier dans ce contexte. Qu'il suffise de dire que des décisions—et ceux d'entre vous qui sont avocats le savez fort bien, tout comme vous, monsieur MacKay, qui avez été procureur—au sujet de documents doivent être communiqués sont prises tous les jours, en tout cas dans le système américain. Ce sont les décisions les plus banales que l'on est amené à prendre. Comme j'étais directeur du Bureau, et directeur adjoint, je peux vous dire qu'une trentaine de causes sont régulièrement en instance et qu'il y a toujours des documents qui sont dévoilés. Les avocats n'en font généralement pas grand cas, à moins qu'il ne s'agisse de quelque chose de tout à fait inhabituel. Dans le système américain, une partie pose des questions et demande des documents, et l'autre partie répond, de telle ou telle manière.

Rien de tout cela n'a donc été porté à mon attention. C'est en 1991 que j'ai entendu parler de ces documents critiques, lorsque tout était terminé. Est-ce que je souhaite aujourd'hui que ces documents eussent été communiqués en 1978, en 1979 ou en 1980 ou n'importe quand? Absolument.

M. Peter MacKay: J'apprécie votre réponse, monsieur Sher. Je dois dire, et vous en conviendrez sans doute, que les procureurs n'abordent pas toutes leurs causes de manière aussi détaillée que nous le souhaiterions peut-être.

Je crois cependant que la nature des causes dont vous étiez saisi était tellement grave qu'il est évident que le fait de ne pas divulguer des informations risquait de produire une terrible erreur judiciaire, tout comme cela pourrait arriver si des informations n'étaient pas divulguées alors que la personne est en fait coupable. Pourtant, à cause des règles d'exclusion qui s'appliquent dans certains cas, il peut arriver qu'une personne coupable soit laissée en liberté parce qu'on a mal traité le dossier. Il y a donc deux risques de catastrophe.

• 1650

M. Neal Sher: Je suis parfaitement d'accord avec vous. Je n'ai rien à contester dans ce que vous dites. C'est exactement pourquoi il existe des règles de divulgation et des devoirs en la matière. Je suis d'accord.

Je ne vois pas ce que je peux dire de plus là-dessus. Des erreurs ont été commises et je le regrette.

M. Peter MacKay: Très bien. Merci.

La présidente: Merci, monsieur MacKay. Monsieur Telegdi.

M. Andrew Telegdi (Kitchener—Waterloo, Lib.): Merci, madame la présidente.

Monsieur Sims, l'une de mes préoccupations au sujet de notre acceptation de réfugiés et d'immigrants de pays déchirés par les guerres est de savoir si nous faisons des enquêtes adéquates pour éviter d'accepter des criminels de guerre. Je crains que l'on ne consacre pas assez de ressources à cela.

J'espère que vous vous battez à ce sujet.

M. John Sims: Absolument, monsieur. Pour la période contemporaine, le fardeau appartient cependant plus au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Évidemment, le ministère de la Justice et mon groupe sommes directement concernés, mais c'est avant tout au ministère de l'Immigration qu'il appartient de mettre en place un système suffisamment efficace pour repérer les criminels de guerre parmi les personnes qui revendiquent, par exemple, le statut de réfugié, ou qui veulent entrer au Canada pour d'autres raisons.

Comme vous le savez, la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration procède à l'heure actuelle à une révision approfondie de toute la législation sur l'immigration. Je suis sûr que votre question fait partie de celles qui seront prises en considération dans ce contexte.

Cela dit, nous sommes très conscients du problème.

M. Andrew Telegdi: Merci. Je pose cette question parce que nous savons qu'il est très difficile de traiter ce genre de cas, surtout lorsque beaucoup de temps a passé.

En ce qui concerne les juges avec lesquels l'OSI a traité, notamment dans l'affaire Ivan le Terrible, que pouvez-vous dire au sujet du juge Gilbert Merritt de la Cour d'appel du sixième circuit, qui a décidé d'extrader Ivan le Terrible vers Israël, et que pouvez-vous dire des remarques qu'il a faites ensuite au sujet de l'OSI?

M. Neal Sher: Je crois avoir essayé d'en parler à la fois dans mon exposé et en réponse à certaines questions de M. Ramsay.

Ses décisions parlent d'elles-mêmes. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec la conclusion judiciaire qu'il a tirée des faits, lesquels sont acceptés par tout le monde, mais il n'y a pas à revenir sur cette conclusion.

M. Andrew Telegdi: Je pensais que vous étiez d'accord avec sa décision d'extrader Ivan le Terrible vers Israël.

M. Neal Sher: Bien sûr que nous sommes d'accord avec cela. C'est après qu'il y a eu des problèmes.

M. Andrew Telegdi: Vous me corrigerez si je me trompe mais j'ai lu qu'il aurait déclaré ceci, après coup:

    Nous savons aujourd'hui qu'ils—l'OSI, les procureurs et le Département d'État—ont menti effrontément. Même s'ils savaient sans l'ombre d'un doute que Demjanjuk n'était pas Ivan le Terrible, ils nous ont dissimulé des informations. Je regrette de ne pas avoir eu ces informations à l'époque. Si je les avais eues, nous n'aurions jamais jugé en faveur de son extradition vers Israël.

M. Neal Sher: Je vois d'où vous tirez cela.

Il a fait ces remarques, mais pas dans sa décision. Si je ne me trompe, il les a faites en novembre 1997 dans une entrevue tout à fait extraordinaire avec un quotidien israélien, étant donné qu'il parlait d'une affaire toujours pendante, ce qui est assez inusité de la part d'un juge de cour d'appel, ou de n'importe quel juge.

Franchement, je ne sais pas si les affirmations qu'on lui a attribuées sont exactes car, je le répète, elles viennent d'un quotidien.

Des voix: Oh!

M. Neal Sher: Sans vouloir offenser qui que ce soit.

• 1655

La présidente: Et personne ne l'a été.

M. Neal Sher: Il est assez extraordinaire qu'un juge des États-Unis fasse des déclarations de cette nature à un journal. Premier point.

Deuxième point: l'idée que le Département de la justice et le Département d'État aient menti effrontément est assez extraordinaire étant donné qu'aucun juge ayant examiné le dossier, y compris ceux de la Cour d'appel ayant révisé la décision du juge Wiseman, n'a fait cette affirmation.

Il s'agit donc là de remarques formulées par le juge Merritt après coup. J'ajoute qu'il a fait après coup beaucoup de remarques à la presse, ce qui est un peu inusité. Je n'en dis pas plus.

M. Andrew Telegdi: Nous avons tous eu nos propres expériences avec la presse—surtout les personnes qui se trouvent autour de cette table—et nous comprenons donc votre point de vue.

Il y a eu de terribles révélations lors des audiences tenues par le juge Kaufman au sujet de l'affaire Guy Paul Morin. J'espère que vous prendrez la peine de vous informer à ce sujet. Cela justifierait à l'évidence une révision fondamentale de l'appareil judiciaire et je ne doute pas que notre comité se penchera là-dessus. Peut-être devrait-on prendre des mesures contre les procureurs qui ne font pas leur travail, ou contre les agents de police qui ne font pas leur travail.

Quelle est la position de l'OSI au sujet d'Ivan le Terrible, puisque la Cour suprême israélienne l'a trouvé non coupable?

M. Neal Sher: À ce moment-là, la question relevait des niveaux les plus élevés du Département de la justice. C'est le procureur général, Janet Reno, et son personnel qui en étaient saisis.

Le procureur général Reno avait décidé que Demjanjuk ne devrait pas être autorisé à revenir en Amérique, du fait des constatations de la Cour suprême israélienne et de toutes les preuves disponibles—autrement dit, du fait des preuves indépendantes. Le juge Merritt et son tribunal n'étaient pas d'accord et Demjanjuk est revenu aux États-Unis, où il se trouve maintenant.

La prochaine décision à prendre sera celle à laquelle j'ai fait allusion, c'est-à-dire reprendre ou non des poursuites contre lui du fait des preuves autres que celles de Treblinka. Comme je l'ai dit, tout porte à croire que l'on reprendra les poursuites.

M. Andrew Telegdi: Merci beaucoup, madame la présidente.

La présidente: Monsieur DeVillers, vous aviez une question.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, madame la présidente.

Ma question porte sur l'arrêt Demjanjuk dont M. Ramsay a cité des extraits disant que, selon le tribunal, les procureurs ont commis une fraude envers la cour. Y a-t-il eu une enquête ensuite? En droit américain, pourrait-il y avoir une enquête pénale à ce sujet?

M. Neal Sher: Personne n'a jamais laissé entendre qu'il y avait eu une fraude pénale. Mais je crois pouvoir dire que l'enquête qui avait été effectuée par le juge Wiseman était aussi exhaustive et complète que possible. L'affaire a aussi été revue, sur le plan interne, par le Bureau de la responsabilité professionnelle qui a déclaré qu'il n'y avait aucune mesure disciplinaire à prendre contre aucun des avocats.

M. Paul DeVillers: Et ce, en vertu des règlements de votre Barreau?

M. Neal Sher: C'est cela.

M. Paul DeVillers: Voici donc ma deuxième question: des mesures disciplinaires quelconques ont-elles été prises contre un procureur quelconque?

M. Neal Sher: Pas à ma connaissance.

M. Paul DeVillers: Ni contre vous, je suppose?

M. Neal Sher: Non.

M. Paul DeVillers: Merci.

La présidente: Merci, monsieur DeVillers. Monsieur Ramsay.

M. Jack Ramsay: Merci, madame la présidente.

Je voudrais aborder un autre cas, monsieur Sher, mais je voudrais revenir auparavant sur quelques détails de l'affaire Demjanjuk. Certains éléments de votre description de l'affaire ont été réfutés, en tout cas par M. Yoram Sheftel, l'avocat de Tel Aviv qui est devenu le principal avocat de la défense pour M. Demjanjuk. Dans son livre, que j'ai avec moi, la manière dont il décrit ce qui s'est passé réfute certainement certaines de vos affirmations.

M. Neal Sher: Le fait est...

M. Jack Ramsay: Si vous me permettez de terminer...

M. Neal Sher: Certes.

M. Jack Ramsay: Il dit que plus de 85 documents déposés devant la Cour suprême d'Israël confirmaient que Damjanjuk n'était pas Ivan le Terrible.

• 1700

En outre, selon ce qu'il m'a dit personnellement et qu'il indique dans son livre, ce sont ses efforts à lui, au début... puis l'émission américaine 60 Minutes qui est allée dans le petit village à côté de Treblinka et a trouvé des témoins qui ont clairement indiqué qu'Ivan le Terrible était cet Ivan Marchenko.

M. John Sims: Mais cela...

M. Jack Ramsay: Ce que je souhaite, cependant—car nous pourrions discuter de cela toute la journée sans aboutir nulle part...

M. John Sims: Je pense qu'il y a...

M. Jack Ramsay: Veuillez m'excuser, mon temps de parole est très limité. Vous allez retourner aux États-Unis et nous ne vous reverrons sans doute jamais. Évidemment, M. Sims vous reverra mais nous, en tant que comité...

Je veux vous demander ceci: j'ai discuté aujourd'hui avec un agent supérieur du Bureau de la responsabilité professionnelle qui m'a confirmé que les avocats de l'OSI, vous compris, faites l'objet d'une enquête suite à des plaintes d'inconduite dans l'affaire Artukovitch. On me dit que l'enquête a commencé à peu près en 1989 et qu'elle est sur le point d'aboutir. Elle a été très longue. Certaines des plaintes d'inconduite sont très sérieuses. Mon interlocuteur m'a confirmé aussi que ces plaintes sont les suivantes—qu'elles soient en fin de compte jugées valides ou non—utilisation frauduleuse de faux affidavits, et parjure de votre part.

Êtes-vous au courant de cette enquête? Deuxièmement, sans vous demander de faire de commentaires à ce sujet, étant donné que l'enquête n'est pas terminée, même si l'on m'a dit qu'elle était sur le point d'aboutir, je voudrais vous inviter à faire toute remarque que vous pensez adéquate devant notre comité.

M. Neal Sher: Certainement.

Il y a tout d'abord plusieurs commentaires que je voudrais faire au sujet du livre de M. Sheftel. Vous parlez de 85 documents qui ont finalement abouti devant la Cour suprême israélienne. Or, l'immense majorité de ces documents sont venus de l'ex-Union soviétique alors que l'appel était pendant. Personne n'a jamais prétendu que ces documents se trouvaient à l'OSI. M. Sheftel a écrit un livre. C'est l'avocat de la défense, haut en couleurs, de M. Demjanjuk.

Après lui avoir parlé, je crois pouvoir affirmer que ses affirmations et même sa description factuelle de la manière dont les preuves ont été recueillies sont très sérieusement contestées par les procureurs israéliens. Je n'ajoute rien à cela.

Pour ce qui est d'Artukovitch, Andrija Artukovitch est quelqu'un que le gouvernement des Américains poursuit depuis la fin des années 40 ou le début des années 50.

M. Jack Ramsay: Si vous me permettez, monsieur Sher, je vous ai demandé si vous étiez au courant de l'enquête...

M. Neal Sher: Bien sûr.

M. Jack Ramsay: ... menée par le Bureau de...

M. Neal Sher: Oui, je suis au courant.

La présidente: Vous connaissez la procédure: vous posez une question et vous attendez la réponse. Il y arrive. Donnez-lui une chance.

M. Neal Sher: Vous avez soulevé l'affaire d'Andrija Artukovitch, individu notoire—aujourd'hui décédé—et il importe d'établir le contexte. Cela dit, pour revenir à votre question, je suis parfaitement au courant des allégations formulées par son fils contre l'OSI, et même d'une allégation très précise et grave formulée contre moi personnellement. Je n'ai aucune hésitation à vous en parler.

Andrija Artukovitch était ministre de l'Intérieur et ministre de la Justice de l'État fantoche nazi de Croatie. On l'appelait le Himmler de la Croatie, le Himmler des Balkans—quiconque connaît l'histoire de l'Allemagne nazie sait qui était Himmler. Dès son arrivée en Amérique, où il fut admis sous de fausses informations, ce qu'il a reconnu, les États-Unis ont tenté de le déporter.

Nous avons intenté une procédure de déportation—je ne sais plus exactement quand—pendant laquelle le gouvernement yougoslave—c'était avant l'effondrement de la Yougoslavie—a réclamé son extradition. Il y a eu une audience d'extradition. De fait, il a été extradé puis jugé, trouvé coupable et condamné à une peine d'emprisonnement à vie. Il est mort en prison car il était déjà assez âgé.

• 1705

C'est lui qui avait été responsable de signer les décrets créant les camps de concentration, dont l'infâme camp de Jasenovac à l'extérieur de Zagreb. C'est aussi lui qui avait signé les décrets de saisie—son fils l'a reconnu dans des entrevues—des biens des juifs, crime de guerre incontestable. Ce fut probablement le criminel nazi de plus haut rang à être jamais venu aux États-Unis, et peut-être même n'importe où en Occident.

Après son extradition, son fils, très dévoué et loyal, a déposé une plainte quant à la manière dont l'affaire avait été traitée pendant l'extradition. Il a formulé certaines allégations, notamment qu'il y avait parmi les volumes et volumes de documents certaines vieilles déclarations de personnes qui avaient ensuite fait d'autres déclarations peut-être différentes. Il a dit que cela n'était pas correct. Voilà l'une des questions qui font l'objet de l'enquête du Bureau de la responsabilité professionnelle dont vous venez de parler.

Le fils a aussi déclaré que je m'étais parjuré, c'est-à-dire que j'avais menti à un juge fédéral lorsque j'avais témoigné en 1985 ou 1986—j'oublie l'année exacte. Apparemment, lorsque mon patron, le chef d'un autre bureau et moi-même étions allés à Belgrade, en 1984 ou 1985 pour discuter de cette question d'extradition, j'aurais apparemment fait un faux témoignage ou fait un témoignage trompeur devant le juge en disant que nous ne faisions aucune pression auprès des Yougoslaves pour obtenir l'extradition, ce qui était la vérité.

Donc, il a fait cette allégation. N'importe qui peut faire une allégation. Pour le prix d'un timbre, on peut envoyer n'importe quelle allégation dans une enveloppe et on peut être sûr qu'elle sortira dans les journaux.

Cela m'a beaucoup préoccupé. Je peux vous dire que j'ai été interrogé par le Bureau de la responsabilité professionnelle. Je ne sais pas ce qu'il y aura dans son rapport mais on m'a dit très précisément que l'allégation me concernant n'avait aucun fondement. Voilà ce que l'on m'a dit personnellement parce qu'il s'agissait d'une attaque personnelle. C'est l'assurance que l'on m'a donnée il y a déjà plusieurs années.

Cela dit, je ne sais pas quand le rapport final sera publié. Personne n'en sait rien. Il n'en reste pas moins que l'allégation me concernant—je tiens à ce que cela soit parfaitement clair car c'est le fils qui fait ces allégations—a été jugée absolument sans aucun fondement.

M. Jack Ramsay: Bien. Une question pour M. Sims.

Monsieur Sims, étiez-vous au courant de cette enquête entourant l'affaire Artukovitch et concernant M. Sher au moment où le ministère l'a recruté?

M. John Sims: Non.

M. Jack Ramsay: Avez-vous interrogé le Bureau de la responsabilité professionnelle—qui fait partie du Département de la justice des États-Unis—au sujet d'une enquête quelconque concernant M. Sher?

M. John Sims: Non.

Je savais que l'affaire Demjanjuk avait été renvoyée devant ce Bureau et l'on nous avait donné l'assurance, comme M. Sher l'a dit aujourd'hui, que la question avait été réglée. Je n'ai entendu parler de l'affaire Artukovitch qu'il y a quelques jours et je n'avais donc aucune raison, au moment où nous envisagions de faire appel à M. Sher, d'imaginer qu'il y avait une cause pendante devant le Bureau de la responsabilité professionnelle. Je n'ai donc certainement fait aucune recherche à ce sujet. Je ne suis au courant de cette affaire que depuis quelques jours.

M. Jack Ramsay: Si vous l'aviez su, auriez-vous fait ces recherches?

M. John Sims: C'est fort possible. Toutefois, si je comprends bien ce que vous venez de dire aujourd'hui, monsieur Ramsay, l'affaire est toujours pendante. Évidemment, ma première question aurait été adressée à M. Sher pour savoir s'il était lui-même au courant. D'après la réponse qu'il vient de vous donner aujourd'hui, il paraît clair que l'affaire est sur le point d'être réglée. Évidemment, selon la réponse que m'aurait donnée M. Sher, j'aurais peut-être fait un appel supplémentaire. Cela dit, je n'étais pas au courant.

M. Jack Ramsay: Bien.

Combien de temps me reste-t-il?

La présidente: Vous avez déjà dépassé 10 minutes mais il n'y a personne qui souhaite poser des questions.

Avez-vous d'autres questions, monsieur Mancini?

M. Peter Mancini: Non. Je laisse la parole à M. MacKay.

La présidente: Bien. Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, madame la présidente.

• 1710

Depuis que vous avez quitté l'OSI, monsieur Sher, vous travaillez dans un cabinet privé. Pouvez-vous me dire si vous avez déjà travaillé ou si vous travaillez actuellement pour n'importe quelle autre entité politique, à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada, qui pourrait donner une impression de conflit d'intérêt?

M. Neal Sher: Non.

M. Peter MacKay: Bien.

En ce qui concerne vos obligations contractuelles au Canada, pouvez-vous nous dire si votre rôle consistera avant tout à poursuivre les criminels de guerre de la Deuxième Guerre mondiale seulement ou s'il sera plus large que cela?

M. Neal Sher: De la Deuxième Guerre mondiale seulement.

M. Peter MacKay: Bien.

Sans aller dans les détails ou donner de noms, pouvez-vous me dire combien de personnes sont actuellement sur la sellette?

M. Neal Sher: Je crois que M. Sims est bien mieux placé que moi pour parler des enquêtes menées par son bureau.

M. Peter MacKay: Puis-je donc vous poser la question, monsieur Sims?

M. John Sims: La ministre de la Justice et la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ont promis qu'un rapport annuel serait déposé chaque année, le premier devant l'être ce printemps. Elles ont pris l'engagement d'y indiquer le détail des dossiers en instance et le nombre de causes pendantes. Tout cela figurera donc dans le rapport qui sera publié dans quelques semaines.

M. Peter MacKay: Mais vous possédez certainement cette information. Ma question est très générale. Je veux simplement me faire une idée de ce que fait votre bureau. Vous occupez-vous du cas de tous les criminels de guerre se trouvant au Canada?

M. Sher a dit qu'il s'occuperait uniquement des cas de la Deuxième Guerre mondiale. Est-ce que votre bureau s'occupe d'autres cas? Vous occupez-vous de cas concernant d'autres pays ou d'autres conflits?

M. John Sims: En vertu de la politique canadienne relative aux crimes de guerre, notre pays ne doit en aucun cas être un refuge pour les personnes qui ont commis des actes répréhensibles en temps de guerre, et cette politique vaut pour tous les pays. Elle vaut quel que soit le pays où les incidents ou persécutions ont pu se produire, et quel que soit le moment où elles ont pu se produire.

Pour revenir à une question antérieure, j'aurais pu dire, en ce qui concerne les crimes de guerre contemporains, par exemple, que le ministère de la Justice est venu à l'appui du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration en obtenant la déportation de plus de 90 personnes qui sont entrées au Canada après la Deuxième Guerre mondiale en provenance de divers pays. Les cas ne se limitaient certainement pas à l'Europe. Il y en avait qui étaient venus d'Afrique, d'Amérique centrale, etc.

La politique vaut donc pour tous les pays. Notre bureau fait actuellement enquête sur une veille affaire qui n'est pas une affaire nazie en soi. Il est trop tôt pour savoir si toutes les preuves recueillies répondront aux critères établis pour pouvoir intenter des poursuites mais je crois qu'il y aura probablement une autre cause qui sera dévoilée pendant cette année civile au sujet d'un incident qui s'est produit il y a des décennies et pour lequel nous prendrons des mesures de révocation de citoyenneté et de déportation.

Évidemment nous avons eu tendance à centrer le programme sur le régime nazi mais la politique est de portée beaucoup plus générale que cela. Si nous obtenons des preuves au sujet d'autres dossiers, il est certain que nous les poursuivrons.

Les chiffres détaillés figureront dans le rapport qui sera publié dans quelques semaines.

M. Peter MacKay: Je vous remercie de cette réponse. En fait, je ne vous demandais pas de chiffres précis. Si c'était ce que je voulais, j'interrogerais la ministre.

Pourriez-vous cependant me donner une estimation générale du nombre de causes en cours dans notre pays? Ça ne devrait pas être difficile. Vous connaissez certainement les chiffres.

M. John Sims: Quatorze causes ont été intentées. D'autres causes sont rendues à des étapes diverses d'analyse et de préparation. Je peux dire que nous avons en gros deux causes en cours de préparation et d'enquête pour chaque cause répondant aux critères nécessaires pour intenter des poursuites.

• 1715

Les ministres ont parlé de maintenir le rythme établi avec le programme relatif à la Deuxième Guerre mondiale. Il s'agit d'environ quatre causes par an, ce qui est le rythme approximatif depuis 1995. Vous pouvez donc en conclure que deux fois plus de dossiers en sont à une étape de préparation avancée, et que quatre feront probablement l'objet de poursuites chaque année. C'est ce que nous prévoyons dans l'immédiat. À plus long terme, dire qu'un dossier est passé de l'étape préliminaire à une étape avancée serait purement spéculatif. Quoi qu'il en soit, tous les détails figureront dans le rapport annuel qui sortira dans quelques semaines. Je crois cependant vous avoir donné une assez bonne idée de la situation, monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur Sims et madame la présidente.

La présidente: Merci, monsieur MacKay. Monsieur Maloney.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Je n'ai qu'une brève question à poser.

M. Sher se trouve parmi nous depuis environ cinq mois, monsieur Sims. Avez-vous bénéficié de ses conseils? Sans révéler de choses confidentielles, pourriez-vous nous dire pourquoi?

M. John Sims: La réponse est incontestablement oui. Il est parfois important de savoir que les efforts que nous déployons sont de même nature et répondent aux mêmes normes que ceux qu'a déployés l'OSI dans les causes qu'il a gagnées.

Par exemple, M. Sher a expliqué dans son témoignage que bon nombre des organisations ou unités qui nous intéressent et au sujet desquelles nous enquêtons sont similaires à celles qu'il connaît très bien. Il est donc tout à fait familier avec le type de preuves que l'on peut obtenir et il sait où aller les chercher. Par exemple, il peut nous dire si nous avons épuisé toutes nos recherches dans certaines archives et dans un certain domaine. Ce genre d'avis est donc très précieux. Je n'ai donc aucune hésitation à vous dire qu'il nous a déjà été très utile. Et je m'attends à ce qu'il continue de l'être.

M. John Maloney: Pendant combien de temps pensez-vous qu'il sera parmi nous?

La présidente: Il sera avec nous pendant 320,5 heures.

M. John Sims: La présidente plaisante mais son calcul est exact. Je m'attends à ce qu'il nous fournisse ses services pendant plusieurs moi, au moins pendant l'année en cours et peut-être au-delà.

M. John Maloney: Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci. Monsieur Mancini.

M. Peter Mancini: Deux brèves questions, madame la présidente. J'ai conscience de l'heure et je sais que vous avez vos propres questions à poser.

Si j'ai bien compris, monsieur Sims, la question posée par M. Ramsay concernait des plaintes adressées au Bureau de la responsabilité professionnelle. Dans votre réponse, vous avez dit que vous n'en aviez pas connaissance au moment où vous avez recruté M. Sher comme consultant, et que vous n'en aviez pris connaissance qu'il y a quelques jours. Pouvez-vous me dire comment vous en avez pris connaissance? En outre, cette information a-t-elle été communiquée à la ministre?

M. John Sims: J'en ai pris connaissance lorsque M. Sher et moi-même avons discuté de son témoignage d'aujourd'hui. Mon collègue est venu avec un gros classeur de documents dans lequel figure cette information et il l'a portée à notre attention.

Je voudrais revenir sur la question posée par M. Ramsay. Celui-ci m'a en effet demandé si j'aurais fait des recherches. Je répète que la première chose que j'aurais faite aurait été de demander des précisions à M. Sher. Or, vous avez entendu sa réponse aujourd'hui. C'est une réponse complète. J'ai l'impression que tout est parfaitement clair. Je ne suis donc absolument pas inquiet de n'avoir appris cela que très récemment. Il me semble que la plainte est sur le point d'être réglée.

M. Peter Mancini: La deuxième question...

M. John Sims: Veuillez m'excuser. Non, je n'ai pas informé la ministre.

M. Peter Mancini: Bien. Une autre question. C'est peut-être quelque chose que je devrais savoir mais je ne le sais pas. Lorsqu'une personne est accusée par la Section des crimes de guerre, y a-t-il des dispositions quelconques pour lui fournir les services d'un avocat? Existe-t-il un budget pour fournir des services juridiques à l'accusé?

Je vous pose cette question parce que j'ai vu une lettre à ce sujet dans le Globe and Mail, que vous avez probablement vue aussi. Il s'agissait d'une jeune femme qui était la fille de quelqu'un qui était accusé. Comme je suis un ancien avocat de l'aide juridique, c'est quelque chose qui m'intéresse toujours.

Y a-t-il donc des dispositions pour fournir un avocat à l'accusé?

• 1720

M. John Sims: Il n'existe aucune disposition spéciale à ce sujet. Évidemment, toutes les personnes dont nous nous sommes occupés depuis 1995 avaient toutes un avocat. Je ne connais donc aucune...

La présidente: Je peux vous aider. Il y a eu des poursuites à Windsor et la personne a bénéficié de l'aide juridique de l'Ontario.

M. Peter Mancini: Bien. Merci. Je n'ai pas d'autres questions, madame la présidente.

La présidente: Allez-y, monsieur Ramsay.

M. Jack Ramsay: Je voudrais dire que j'ai la même citation du juge Merritt que mes collègues ont mentionnée. Il a dit ceci: «Aujourd'hui, nous savons qu'ils—l'OSI, les procureurs de l'affaire et le Département d'État—ont menti effrontément». J'ai trouvé intéressant que vous répondiez que les tribunaux n'avaient pas tiré cette conclusion. C'est en effet une déclaration qui a été faite hors cour.

Toutefois, à la page 5 du jugement auquel je faisais allusion cet après-midi, on dit très clairement ceci: «Nous sommes obligés d'accepter les faits tels qu'établis par le juge, à moins qu'ils ne soient clairement erronés».

Donc, si le juge Merritt pensait que le juge Wiseman avait été généreux dans ses conclusions—j'ai discuté avec le juge Merritt et je lui ai demandé directement si le but du rapport du juge Wiseman avait été de blanchir les parties concernées. Il m'a dit que ce ne pourrait être qu'une conclusion partielle. Je pense qu'il a employé l'adjectif «partielle». Quand j'ai insisté, il m'a dit que l'on pourrait peut-être considérer que les conclusions du juge Wiseman avaient été généreuses.

J'aimerais vous demander, monsieur Sher, comment vous saviez que Peter MacKay était un ancien procureur de la Couronne?

M. Neal Sher: Il me l'a dit.

M. Jack Ramsay: Oh, il vous l'a dit.

M. Neal Sher: Je voudrais cependant vous poser une question. Je veux m'assurer d'abord bien compris. Vous dites que vous avez parlé au juge Merritt, qui a discuté de cette affaire avec vous.

M. Jack Ramsay: Il a répondu à la question que je lui ai posée directement.

M. Neal Sher: Vous avez parlé au juge Merritt?

M. Jack Ramsay: Oui.

M. Neal Sher: Et il a dit que la décision du juge Wiseman avait peut-être été destinée à blanchir les parties?

M. Jack Ramsay: Non. Je lui ai demandé si le but du rapport avait été de blanchir, et il a répondu...

M. Neal Sher: En avez-vous conclu qu'il pensait que c'était le cas?

M. Jack Ramsay: Non, je tire mes propres conclusions.

Monsieur Sher, je ne suis pas ici pour répondre à vos questions.

M. Neal Sher: J'entends bien, mais il est tout à fait inhabituel qu'un juge fasse des commentaires de ce genre. Cela m'a surpris.

M. Jack Ramsay: Vous savez que c'est une question très sérieuse et diverses personnes m'ont demandé de m'y intéresser de près. C'est ce que j'ai fait, et cela m'a pris beaucoup de temps.

Voici la dernière question que je souhaite aborder. Je veux être absolument équitable envers vous, monsieur Sher, mais je suis troublé quand je lis dans le journal que vous avez fait une déclaration disant que M. Demjanjuk est coupable de meurtres de masse, alors qu'aucun tribunal n'a tiré cette conclusion. Cela m'inquiète beaucoup. Si vous me permettez d'achever mon intervention, je dois vous dire que le rôle de notre comité est en partie de protéger la règle de droit et la présomption d'innocence. Or, quand j'entends quelqu'un faire ce genre d'affirmation, je me demande ceci: la personne qui affirme que quelqu'un est un assassin de masse alors qu'aucun tribunal n'a tiré cette conclusion respecte-t-elle vraiment la présomption d'innocence?

M. Neal Sher: Je vais vous répondre en plusieurs points.

Je ne sais pas exactement d'où vient la citation que vous m'attribuez mais il est clair que ce que je vous ai dit aujourd'hui, comme je l'ai déjà dit ailleurs, au sujet du rôle joué par M. Demjanjuk dans la Shoah, l'Holocauste, provient directement des conclusions, constatations et opinions de la Cour suprême israélienne. Je parle de la décision qui lui a rendu sa liberté.

Les remarques que j'ai faites au début au sujet de Demjanjuk étaient fondées sur ce que les tribunaux ont constaté au sujet des unités et des endroits où il a servi. J'ai dit qu'avoir été garde à Sobibor revenait à avoir participé à un programme d'extermination de centaines de milliers de juifs. Je pense qu'il s'agit d'un fait historique qui a largement été confirmé par la décision de la Cour suprême israélienne. C'est de cela que je voulais parler.

• 1725

Je répète qu'il s'agit de la décision même des juges mêmes qui avaient des doutes persistants—c'est leur expression—au sujet de M. Demjanjuk. C'était très intéressant. Je recommande la lecture de cette décision à quiconque s'intéresse à cette affaire. Si vous examinez la dernière phrase de l'arrêt de la Cour suprême israélienne, dans lequel celle-ci affirme avoir un doute et casse sa condamnation, vous verrez que la Cour ne parle pas de l'accusé Demjanjuk, de l'appelant Demjanjuk, ni même de M. Demjanjuk ou d'Ivan ou John Demjanjuk; elle parle à son sujet—et c'est absolument extraordinaire—de «wachman Demjanjuk», wachman étant le terme employé pour désigner les personnes qui travaillaient dans ces camps de la mort. C'est très révélateur.

M. Jack Ramsay: Très respectueusement, cependant, la Cour suprême d'Israël était sans doute l'un des tribunaux auxquels il était le plus difficile de rendre cette décision. Or, elle ne l'a trouvé coupable de rien du tout. Malgré cela, vous arguez de ses conclusions pour justifier votre déclaration que Demjanjuk était un assassin de masse. Je veux bien que M. Tout-le-monde fasse une telle déclaration mais, en ce qui vous concerne, vous êtes avocat et vous avez dirigé l'OSI pendant 12 ans. Nous devrions pouvoir nous attendre à ce que vous respectiez la présomption d'innocence et, sans vouloir vous offenser, ce n'est pas ce que je perçois dans cette affirmation.

M. Neal Sher: Je ne dis rien de plus que ce qu'a dit la Cour suprême d'Israël: avoir été garde, avoir été l'un des wachman à Sobibor revient à avoir participé à l'extermination de centaines de milliers de juifs innocents. Voilà ce qu'a dit la Cour suprême d'Israël. Voilà ce qu'ont dit les historiens. Voilà ce qu'ils ont dit au sujet de Demjanjuk et je ne dis rien de plus. Cela n'a rien à voir avec des présomptions ou avec quoi que ce soit de ce genre. C'est un homme libre aujourd'hui et j'accepte la décision finale de la Cour, mais les conclusions dont j'ai parlé cet après-midi font partie intégrante de cette décision finale, monsieur.

M. Jack Ramsay: Je vous remercie de cette précision.

Je voudrais faire un dernier commentaire...

La présidente: Non, monsieur Ramsay, c'est tout. Vous avez fini.

M. Jack Ramsay: Je ne peux même pas dire au revoir à ce monsieur?

La présidente: Si, vous pouvez dire au revoir. Dites au revoir à tout le monde, Jack.

Des voix: Oh!

M. Jack Ramsay: Vous êtes cruelle, madame la présidente.

La présidente: Je sais. Et implacable.

Je voudrais préciser plusieurs choses.

M. Jack Ramsay: Il est 17 h 30, madame la présidente.

La présidente: La cloche n'a pas encore sonné. Tenez-vous tranquille.

J'ai lu l'arrêt de la Cour suprême d'Israël. Si j'ai bien compris, et cela n'a peut-être pas été clairement indiqué, monsieur Sher, cette décision fut isolée. Les doutes reposaient sur la question de l'identité de Demjanjuk. Ce que certaines personnes présentes aujourd'hui ont peut-être oublié c'est que, si l'on vous accuse d'avoir agressé Fred Smith et que l'on conclut pendant le procès que vous n'avez pas agressé Fred Smith mais John Doe, vous ne pouvez pas être condamné parce que vous n'aviez pas été accusé d'avoir agressé John Doe.

Si je comprends bien l'affaire qui nous intéresse, la Cour a conclu qu'il avait été garde de camp, que les gardes des camps faisaient ces choses-là, et qu'il avait donc participé à certains des actes les plus vils de l'humanité. Toutefois, la Cour ne pouvait conclure hors de tout doute qu'il était la personne qui avait commis les crimes pour lesquels on le jugeait. Est-ce bien cela?

M. Neal Sher: Oui.

La présidente: Je voudrais aussi que votre rôle à l'égard du ministère soit bien clair. Comme vous n'allez pas vous occuper de droit ou de procédure—c'est-à-dire de ce qui se passe vraiment devant les tribunaux—j'en conclus que vos avis porteront sur le genre de preuves que l'on peut obtenir, sur la manière de les obtenir et sur comment les présenter au tribunal. C'est cela?

M. Neal Sher: Oui.

La présidente: Bien. Finalement—cette question m'intéresse personnellement et je pourrais peut-être vous en parler directement plus tard si vous avez le temps—comme vous avez fait d'autres choses, pouvez-vous me dire si, pendant vos fonctions, vous avez vu des informations sur Raoul Wallenberg?

Vous ne l'aviez pas vu venir, celle-là?

• 1730

M. Neal Sher: Oui, j'ai vu des informations à son sujet—peut-être plus que bien des gens.

La présidente: Nous pourrons peut-être en parler plus tard. J'ai un projet de loi d'initiative privée.

M. Neal Sher: J'en serais ravi.

La présidente: Merci.

La séance est levée.