Passer au contenu
Début du contenu

FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 25 mai 1998

• 1602

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.)): La séance est ouverte.

Nous avons le grand plaisir cet après-midi de recevoir le président de la Roumanie. Nous attendions votre arrivée avec impatience.

Un certain nombre d'entre nous sont allés en Roumanie. J'y étais à l'automne et j'ai été extrêmement impressionnée par les progrès réalisés par votre pays.

Monsieur le président, voudriez-vous nous présenter les gens qui vous accompagnent? Comme nous avons très peu de temps, je vous laisse tout de suite la parole, dans l'espoir que nous aurons quelques minutes à la fin pour vous poser quelques questions.

Avant cela toutefois j'aimerais faire une petite observation personnelle. J'ai constaté dans mes déplacements internationaux que le Canada s'est montré très généreux envers la Roumanie en vous donnant le meilleur de nos ambassadeurs.

Merci. Vous pouvez commencer.

M. Emil Constantinescu (président de la Roumanie): Merci pour l'ambassadeur.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, c'est avec grand plaisir que je saisis cette occasion de m'adresser au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes.

Loin d'être une simple occasion protocolaire au cours de ma visite au Canada, cette rencontre me semble très importante.

[Français]

Cet entretien est une heureuse occasion de vous présenter brièvement les objectifs de la politique étrangère roumaine et quelques remarques sur le potentiel économique de la Roumanie. Pour ce qui est du style, j'ai toujours choisi d'aborder mes partenaires de dialogue par un discours ouvert et direct, à l'abri des clichés galvaudés du langage diplomatique.

• 1605

[Traduction]

Il y en a peut-être encore beaucoup qui se demandent pourquoi le Canada devrait s'intéresser à la Roumanie, pays éloigné de l'Europe de l'Est, pays qui est trop peu connu de la population canadienne. Avec votre aide, nous devrions pouvoir répondre à ces questions et profiter mutuellement des nouvelles réalités politiques et économiques en Roumanie.

Les relations bilatérales entre la Roumanie et le Canada sont excellentes, et nous le devons notamment aux relations parlementaires, qui sont devenues très riches ces dernières années et ont contribué à un accroissement de la coopération entre nos pays. La Roumanie apprécie beaucoup le soutien que le Canada lui apporte dans ses efforts d'intégration aux structures de l'OTAN.

Les conclusions favorables présentées dans les documents d'évaluation préparés par les comités parlementaires pertinents à Ottawa ont contribué à la décision positive du gouvernement canadien, et je tiens à vous en remercier au nom de la population roumaine, qui a trouvé en vous des amis honnêtes qui n'hésitent pas à critiquer au besoin, mais qui savent aussi agir dans un esprit d'amitié et de vérité et soutenir fermement leurs amis.

Je suis fermement convaincu que l'appui du Canada à mon pays est généreux et montre le genre de pouvoir qu'exerce le Canada dans notre monde contemporain, ayant clairement réussi à déceler le potentiel de ses partenaires en Europe de l'Est. Par la force de l'amitié, du respect mutuel et d'une action positive, vos politiques vous ont donné une position privilégiée dans le monde d'aujourd'hui et de demain.

[Français]

Dans ce contexte, je tiens à remercier les membres du Groupe interparlementaire d'amitié Canada-Roumanie qui, conjointement avec leurs collègues du Parlement roumain, ont fait des efforts tout à fait remarquables pour intensifier le dialogue de différents législateurs sur des questions d'intérêt commun. Les démarches de la Roumanie visant à réussir son intégration à l'OTAN reposent sur un argumentaire bien solide.

Tout d'abord, en matière de relations internationales, notre pays a nettement privilégié la sécurité et la coopération. Véritable pilier de stabilité dans la zone, la Roumanie a été à la fois promoteur et premier artisan de la coopération régionale. Ses bonnes relations avec tous ses voisins, notamment les traités avec la Hongrie et l'Ukraine, lui ont valu l'appréciation unanime de la communauté internationale.

[Traduction]

Le bataillon de maintien de la paix mixte roumain-hongrois est déjà une réalité, et la Roumanie est pratiquement le seul pays européen qui compte au sein du gouvernement des ministres appartenant à un parti politique ethnique.

• 1610

Consolider les relations de bons voisins avec l'Ukraine n'est pas facile. La Roumanie s'en préoccupe depuis longtemps et tient à consolider l'indépendance et la souveraineté de l'État ukrainien.

Les ententes trilatérales entre la Roumanie, l'Ukraine et la Pologne ainsi qu'entre la Roumanie, la Moldavie et l'Ukraine entrent dans l'effort commun visant à assurer la stabilité et la sécurité de la région, à lutter contre le crime organisé et à éliminer le trafic des drogues et des armements.

Certes, ces résultats peuvent être jugés nécessaires, mais ne sont pas des garanties ni des raisons suffisantes pour permettre à la Roumanie d'accéder à l'OTAN. Les aspirations légitimes de la Roumanie ne peuvent se réaliser sans le soutien efficace et constant des membres les plus importants de la communauté internationale.

[Français]

Quant à nous, nous faisons la promesse de ne pas vous décevoir et de mériter pleinement la confiance que vous aurez montrée à la nouvelle Roumanie démocratique et au rôle qu'elle pourrait assumer au sein de l'Alliance.

La création de mécanismes de consultation réunissant parlementaires et experts des ministères roumains et canadiens des Affaires étrangères et de la Défense nous permettra de beaucoup apprendre sur les acquis du Canada et sur ses réussites. Une pareille expérience nous apparaît encore plus utile en cette période précédant le Sommet de Washington, durant laquelle la Roumanie sera tenue de fixer les priorités de son action.

[Traduction]

Nous pouvons certainement, et il y va de notre intérêt, développer des relations canado-roumaines dans tous les domaines. Contrairement à la situation passée, et même au passé récent, le nouveau programme du gouvernement roumain présente toutes les caractéristiques d'un programme moderne. Il est pragmatique, puisqu'il définit un plan d'action avec systèmes et responsabilités. Il est également transparent et donne à l'opinion publique les moyens d'évaluer la façon dont il atteint ses objectifs.

L'accent mis sur l'investissement étranger, la restructuration, la privatisation, la définition d'un cadre juridique et la lutte contre la corruption et le crime organisé, sans parler de l'assainissement de l'administration, vont sans aucun doute contribuer aux objectifs de relations bilatérales entre la Roumanie et le Canada, en particulier en matière de coopération économique.

Nous savons très bien que notre volonté politique doit se traduire par des faits et que nous devons trouver les moyens de nous doter d'une économie prospère pour pouvoir envisager l'avenir avec confiance. Toutefois, nous savons aussi que nous ne pouvons réussir seuls. Une augmentation importante des investissements canadiens directs sur le marché roumain est encore plus nécessaire aujourd'hui, dans un monde d'intégration économique.

[Français]

Le système énergétique, les télécommunications, les banques, l'agroalimentaire, l'industrie légère et le tourisme, à quoi on ajoute la coopération en matière d'énergie atomique, sont autant de domaines d'intérêt pour les investisseurs canadiens. Le gouvernement de la Roumanie et moi sommes déterminés à soutenir le développement du rapport roumano-canadien sur tous les plans. Vous trouverez en nous un partenaire de dialogue prêt à discuter ouvertement sur tous les dossiers touchés par la coopération. Ensemble, nous serons capables de trouver des solutions pour aller de l'avant. Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Merci à vous tous.

• 1615

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur le président, lors de nos réunions, nous posons nos questions à tour de rôle.

Je crois que cette fois-ci nous nous limiterons à cinq minutes par personne.

Monsieur Grewal.

M. Gurmant Grewal (Surrey-Centre, Réf.): Merci, madame la présidente.

Au nom de l'Opposition officielle du Canada, je voudrais, avec mes collègues du Comité des affaires étrangères et du commerce international, souhaiter la bienvenue au président de la Roumanie, Son Excellence Emil Constantinescu, et aux membres de sa délégation.

Les Canadiens sont heureux de recevoir aujourd'hui le premier président non communiste de la Roumanie. Lors de la campagne électorale de 1996, nous nous en souviendrons, Son Excellence avait pour programme de lutter contre la corruption, de réduire les impôts et de rapprocher la Roumanie de l'Europe occidentale. À mes yeux, c'est un autre «réformateur», à la fois réformiste et réformateur.

Si l'on repense à l'histoire, les Canadiens se rappelleront qu'en 1978 le gouvernement libéral Trudeau, auquel appartenait M. Jean Chrétien, a aidé à soutenir la dictature communiste roumaine lorsque le peuple roumain souffrait sous la répression et la tyrannie de l'un des dictateurs communistes les plus brutaux de tout le Pacte de Varsovie, M. Ceausescu.

Le dictateur Ceausescu a reçu de Trudeau les flatteries canadiennes. Le Canada a vendu un réacteur nucléaire CANDU au dictateur communiste en 1978 et a accordé une ligne de crédit d'un milliard de dollars en 1979 par le biais de la Société pour l'expansion des exportations. Nous savons que Ceausescu a commandé cinq réacteurs, mais n'en a construit qu'un seul.

J'aimerais savoir ce que sont les projets de votre gouvernement pour l'avenir. Le président continue-t-il à vouloir se doter d'une force nucléaire, ou a-t-il compris que cela n'est pas nécessaire dans son pays?

J'aimerais poser une deuxième question très rapidement, car je ne dispose pas de beaucoup de temps, mais je ferai d'abord un commentaire. Le Canada a appuyé la France, qui préconisait que la Roumanie accède cette année à l'OTAN en même temps que la Slovénie, mais, du fait des priorités américaines, seules la Pologne, la Hongrie et la République tchèque ont été considérées. Nous avons essayé, et nous ne réussirons probablement pas.

Quelles sont les intentions du président à propos de l'OTAN, et pourquoi pense-t-il que le Canada pourrait l'aider à atteindre ses objectifs?

Enfin, le Canada est le douzième investisseur étranger en Roumanie à l'heure actuelle, ou il y a probablement un an. Le Canada a signé une entente de protection des investissements avec la Roumanie. Si j'ai bien compris, nos investissements en Roumanie se chiffrent à 42,8 millions de dollars dans divers domaines, et j'espère que cela augmentera.

J'aimerais aussi avoir votre point de vue sur la coopération économique dont vous parliez tout à l'heure. J'aimerais aussi savoir comment on peut accroître cette coopération entre le Canada et la Roumanie.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur le président, pourriez-vous essayer de répondre à tout cela en deux minutes?

[Français]

M. Emil Constantinescu: J'ai appris, grâce à mon expérience universitaire, que les questions sont plus intéressantes que les réponses. Je vais répondre à chaque question, point par point.

Les dictateurs passent, mais les réacteurs demeurent. Je crois pourtant que le premier groupe de la centrale nucléaire de Cernavoda est une bonne chose. Le fait est qu'elle existe bel et bien, qu'elle fonctionne, qu'elle témoigne de la coopération des Roumains et des Canadiens en tant que personnes, en tant techniciens et en tant que spécialistes. Ce fut l'occasion pour de nombreux jeunes Roumains talentueux d'acquérir une formation au Canada pour la construction et l'exploitation d'une centrale thermonucléaire. Ils ont réussi à apprendre et travaillent maintenant avec succès. La puissance électrique fournie par la centrale de Cernavoda est la meilleure marché quand on la compare à la puissance d'autres types de centrales thermo-électriques alimentées au mazout, au gaz naturel, au charbon ou à l'hydro-électricité. Je suis heureux de pouvoir discuter, de vive voix, devant les députés canadiens des problèmes associés à la construction des groupes 2,3,4 et 5. La centrale thermique de Cernavoda est une centrale canadienne de type CANDU. C'est la seule centrale thermonucléaire sûre dans toute l'Europe de l'Est et du Centre. Toutes les autres centrales ont été construites selon des plans semblables à ceux de la centrale de Tchernobyl qui a provoqué une catastrophe nucléaire qui aurait pu détruire une immense partie de l'Europe. Même encore maintenant, ses effets se font sentir jusqu'en Allemagne de l'Est. À ce jour, par suite de l'accident de Tchernobyl, des enfants naissent avec des malformations et des plantes et animaux en souffrent. Près de chez nous, la Bulgarie a aussi une centrale nucléaire très dangereuse à Kozloduj. Étant donné la sûreté de notre centrale nucléaire en Roumanie, il n'existe pas un seul opposant aux centrales nucléaires. Non seulement les parlementaires et le gouvernement, mais aussi toute la population acceptent le fait qu'il s'agit là d'un moyen sûr et non polluant de produire de l'électricité. Il nous reste maintenant à achever la tranche numéro deux, dont 35% a déjà été construit; un arrangement financier de 750 millions de dollars a été mis sur pied, pour lequel, fait surprenant, une garantie souveraine a été demandée à la Roumanie - 100% de garanties, des taux d'intérêt élevés et de courtes périodes de grâce. Nous avons eu du mal à expliquer aux Roumains pourquoi des pays riches comme le Canada et l'Italie, qui participent au projet, ont besoin de garanties d'un pays, ou de garanties du gouvernement d'un pays, qui éprouve des difficultés financières dans la période de transition de l'après-communisme.

Récemment, dans des discussions avec le premier ministre, le vice-premier ministre et d'autres personnes concernées, d'intéressantes propositions ont été présentées pour le financement de la tranche 2, parce qu'elles présentent de grands avantages. Il est inutile d'échafauder des programmes extrêmement coûteux, de l'ordre de centaines de millions de dollars, pour le choix d'un site et l'installation du projet. L'infrastructure est déjà prête, y compris les installations pour l'adduction d'eau réfrigérante puisée dans le Danube. Toute la plate-forme est prête et en partie construite et, enfin, les ressources humaines sont disponibles. Le seul problème est d'ordre financier et nous croyons qu'on pourra trouver un arrangement favorable pour la Roumanie, ce qui aboutira aussi à accroître la sûreté et la sécurité dans la région...

Quand à la seconde question, la Roumanie...

• 1625

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je suis désolée, monsieur le président, pourriez-vous attendre pour cela? Il y en a d'autres qui ont des questions. Pourriez-vous ne répondre à cela que plus tard, si nous en avons le temps? Merci.

Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Tout d'abord, monsieur le président, j'aimerais vous souhaiter la bienvenue aux travaux de ce comité, ainsi qu'à votre ministre des Affaires étrangères et aux autres membres de votre délégation.

Notre parti, le Bloc québécois, est présent dans ce Parlement et détient une majorité de 60 p. 100 des sièges qui émanent du Québec, soit 44 sur 75. Notre premier chef, Lucien Bouchard, est actuellement le premier ministre du Québec et vous aurez l'occasion de le rencontrer un peu plus tard cette semaine.

J'ai une question à laquelle j'aimerais entendre la réponse du chef d'État, qui vient tout juste de dire que le langage diplomatique est un langage qu'il n'utilise pas toujours dans ses propos. J'aimerais savoir du chef d'État que vous êtes, cet État dont la démocratie est naissante, quelle est la difficulté principale durant cette transition démocratique pour la Roumanie. J'aimerais savoir en particulier si la question des rapports entre la majorité roumaine et la minorité hongroise peut compter parmi les difficultés de cette transition.

[Traduction]

M. Emil Constantinescu: La principale difficulté en période de transition tient au fait que dès que vous avez résolu un problème très difficile, il ne compte plus; un nouveau problème surgit alors et devient le seul important. Une fois que vous avez également résolu celui-là, il faut en résoudre un troisième. Je suis très fier de dire, parce que ce n'est pas à moi qu'en revient le mérite mais plutôt au peuple roumain, que nous avons réussi en un an et demi à créer une démocratie renforcée, dans laquelle tous les droits des divers groupes humains sont respectés, et qui fonctionne bien. En ce qui concerne les relations entre groupes majoritaires et minoritaires, des choses incroyables ont été réalisées, non seulement pour la Roumanie mais aussi pour toute l'Europe. Nous sommes le seul pays dans lequel le parti de la minorité hongroise est représenté au gouvernement par des ministres, par un grand nombre de secrétaires d'État dans des ministères clés, par des préfets, qui équivalent aux gouverneurs de provinces, dans des départements à forte population hongroise ainsi que roumaine. Nous y sommes parvenus grâce à un changement de mentalité du public, ce qui est très important non seulement pour la Roumanie, mais aussi pour l'Europe et même pour le monde entier, parce que cela prouve que c'est possible. À l'heure actuelle, le mécanisme de l'équilibre mondial repose sur la peur, un modèle négatif. C'est le cas de la Bosnie-Herzégovine, du Kosovo ou de la Somalie. On nous dit: «Si vous faites comme eux, vous aurez des milliers de morts, des viols et tout sera détruit». C'est bien sûr un équilibre, mais un équilibre fondé sur la peur. Je crois que les modèles positifs sont bien plus efficaces. Nous aurions pu avoir une Bosnie-Herzégovine en Transylvanie et nous l'avons échappé belle. En 1990, nous aurions pu avoir un Kosovo, quelque chose qui aurait pu arriver dans le district de la Bucovine, en Roumanie, et un vaste conflit aurait pu éclater entre la Roumanie et l'Ukraine, ou entre la Hongrie et la Roumanie, comme cela s'est passé pendant des siècles. À présent, tout cela est terminé, pour des siècles; et tout cela est dû au changement de mentalité de la population.

Il y a quelques années, quand on a demandé à la population à l'occasion de sondages d'opinion: «De quoi avez-vous le plus peur?», les réponses les plus courantes étaient: «des conflits inter-ethniques», «des conflits inter-religieux» et «des conflits entre voisins». Maintenant, ces préoccupations sont en fin de liste puisqu'elles sont presque insignifiantes. En tête de liste figurent les problèmes reliés au niveau de vie, aux réformes économiques et au chômage. Et ce sont là de véritables problèmes pour la Roumanie. Parce que la Roumanie a été très rigoureusement surveillée mais jamais aidée financièrement. Des prêts massifs ont été accordés et des investissements énormes ont été réalisés dans les pays de l'Europe centrale, tels que la Pologne, la République tchèque, la Hongrie et d'autres. Cependant, ça n'a pas été le cas de la Roumanie et ça ne l'est pas non plus maintenant. De plus, tout récemment, de manière injustifiée et inattendue, la cote de la Roumanie en tant que pays a été abaissée, non pour des raisons d'ordre bancaire ou financier, étant que l'inflation a diminué, mais en raison de l'instabilité politique - qui n'existe pas. Cependant, je suis ici pour vous dire la vérité et j'encourage davantage de parlementaires canadiens à venir en Roumanie pour qu'ils se rendent compte personnellement que c'est la vérité. Nos problèmes sont reliés à la réforme économique, étant donné qu'une réforme rapide et radicale représente un coût énorme que doit supporter la population. Mon problème en tant que président est de maintenir l'équilibre entre la vitesse et l'ampleur de la réforme et la capacité de la population à la supporter.

• 1630

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Je sais que vous avez un autre rendez-vous très bientôt, mais je me demandais si vous pourriez rester avec nous quelques minutes encore pour donner à mes collègues la possibilité de vous interroger. Vous reste-t-il un peu de temps? Environ un quart d'heure. Merci.

Monsieur Robinson.

M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Merci, madame la présidente.

J'aimerais moi aussi souhaiter la bienvenue au président Constantinescu au Canada.

Je dois être le seul membre de ce comité à avoir eu le privilège d'aller en Roumanie à plusieurs occasions, la première fois à titre d'observateur international pour les élections de 1990, et j'y suis retourné de nombreuses fois depuis.

Je suis ravi de voir ici notre ambassadeur, Gilles Duguay, qui représente magnifiquement le Canada dans ce pays.

Je dois dire que je suis un grand ami de la Roumanie. C'est un pays magnifique, qui a une population très forte, une belle culture et une grande histoire, et je suis fier d'être membre du groupe interparlementaire Canada-Roumanie. J'espère pouvoir retourner bientôt dans votre pays.

J'aurais deux questions très brèves à poser. Monsieur le président, vous avez parlé des dictateurs qui vont et viennent. Vous avez raison, Ceausescu est parti, mais il en reste certaines séquelles, et l'une d'entre elles est l'article 200 du code pénal, article qui a provoqué de grandes douleurs et qui dans certains cas a mené des innocents au suicide tout simplement parce qu'ils étaient homosexuels ou parce que leur conduite a été jugée criminelle.

Je sais que vous avez personnellement montré l'exemple à cet égard, et je vous en félicite. Je me demandais si vous ne pourriez dire au comité ce que le gouvernement roumain a l'intention de faire pour abolir l'article 200 et le remplacer par un texte qui soit conforme aux exigences de l'Union européenne. Pourriez-vous aussi nous dire quelles mesures vous avez prises pour accorder le pardon aux prisonniers qui ont été condamnés pour une activité menée entre adultes consentants. Je sais que vous avez déjà accordé le pardon à un certain nombre de personnes. Il ne s'agit pas évidemment d'une question de moralité, mais de droits fondamentaux de l'homme. J'aimerais savoir si le gouvernement a l'intention d'abolir cet article et ce que vous faites personnellement en matière de pardon.

Ma seconde question est très brève; il s'agit du traité sur les mines antipersonnel. J'étais ravi de voir que la Roumanie était l'un des pays qui ont signé ce traité. Pourriez-vous nous dire si la Roumanie entend le ratifier rapidement?

• 1635

[Français]

M. Emil Constantinescu: Je vais essayer de vous répondre en quelques mots. Le gouvernement roumain a déposé devant le Parlement un projet de loi portant amendement du Code pénal qui éliminera complètement l'article 200. Il n'y aura plus de discrimination fondée sur l'homosexualité. Le projet de loi fait maintenant l'objet d'une discussion au Parlement et se adopté. La majorité - la majorité parlementaire - est tout à fait d'accord là-dessus.

En ce qui concerne le pardon présidentiel, je l'ai accordé à tous. Nous avons effectivement accordé des pardons. En ce moment, il n'y a personne dans les prisons roumaines pour cette seule raison. Il existe, bien sûr, des criminels qui on perpétré de vrais crimes et qui sont homosexuels. Mais ce n'est pas là le problème. Je me suis renseigné et j'ai demandé un rapport sur la situation. J'ai rencontré des représentants de groupes homosexuels en Allemagne et aux Pays-Bas et quand je suis retourné dans mon pays, j'ai pris un décret de pardon qui a été mis en vigueur.

En ce qui concerne les mines antipersonnel, comme vous le savez...

M. Svend Robinson: Pour ce qui est des mines antipersonnel, pourriez-vous nous dire combien de prisonniers ont en fait obtenu le pardon jusqu'ici du fait de ce décret?

[Français]

M. Emil Constantinescu: Oui, si vous pouvez répéter.

M. Svend Robinson: Je demandais simplement combien de prisonniers, aux termes de ce décret, ont en fait obtenu jusqu'ici votre pardon de président?

[Français]

M. Emil Constantinescu: Seule une personne a été condamnée non pas seulement sur la base de cet article, et elle a été relâchée immédiatement; d'autres personnes qui ont aussi commis d'autres infractions moins graves, ont aussi été graciées, soit dix personnes au total. Mais, en général, le nombre est peu élevé, il n'y a pas de nombre et il n'a jamais été trop élevé, parce que, même si le décret existe dans les faits, il n'a pas été mis en vigueur. J'ai aussi demandé au ministère de l'Intérieur de dresser un relevé dans toutes les prisons de Roumanie et de signaler les cas d'abus ou de traitements discriminatoires contre des lesbiennes et des homosexuels emprisonnés. Je vous assure que le problème a été traité avec tout le sérieux qu'il méritait. Je suis originaire de la société civile et j'ai milité dès le début en faveur de cette question.

En ce qui concerne la dernière question, la ratification du [traité sur les] mines antipersonnel, je voudrais vous dire qu'il sera ratifié de toutes façons, puisqu'il ne suscite aucune opposition politique. La défense de la Roumanie était basée sur les mines antipersonnel. Cela est dû au fait que le nombre de chars d'assaut et d'autres systèmes de défense était sensiblement réduit, et au fait que la Roumanie a produit et vendu [à l'étranger] des mines antipersonnel. Par conséquent, la Roumanie devra faire face à de grandes pertes économiques en adhérant à ce traité; aussi a-t-elle demandé et continue-t-elle de demander au Canada d'envisager d'octroyer une aide financière à la Roumanie, pour la destruction des mines antipersonnel. Nous sommes donc très ouverts à toute suggestion de nature politique. J'ai répondu immédiate par téléphone au premier minitre Chrétien et j'ai donné des instructions au Conseil suprême de la défense nationale pour qu'il donne son approbation; mais nos problèmes financiers demeurent.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Madame Folco.

[Français]

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Je voudrais aussi vous souhaiter la bienvenue, monsieur le président. Il nous fait plaisir de vous recevoir, la Roumanie étant un pays où il y a toujours eu énormément d'amour pour la langue française. Je viens d'une province où le français est la langue parlée communément. Alors, ça me fait plaisir de vous accueillir aujourd'hui.

• 1640

J'aimerais faire un commentaire et par la suite poser quelques questions. Mon commentaire est dans la foulée des interventions de mes deux collègues, M. Turp et M. Robinson, qui ont tous deux posé des questions par rapport à des minorités, la minorité hongroise d'une part et la minorité homosexuelle d'autre part.

Un nombre important des demandeurs de statut de réfugié qui arrivent ici au Canada nous disent faire partie de la minorité hongroise et avoir été victimes de persécution par rapport à leur droit à la propriété, ou faire partie d'une minorité homosexuelle qui est protégée par une loi, mais une loi que les cours de justice locale ne respectent souvent pas. J'aimerais entendre votre point de vue sur ce commentaire.

J'ai aussi une question relativement à la minorité des gitans ou des romans qui semblent eux aussi subir une discrimination, peut-être pas de l'État—je ne le sais pas—, mais certainement de groupes de la population locale et qui n'ont pas pu, d'après les informations que j'ai, recevoir la protection de l'État.

Enfin, j'aimerais vous poser une dernière question au sujet de la composition de votre délégation. Je remarque que les deux femmes qui vous accompagnent sont toutes deux des conseillères. Je me demandais s'il y avait des femmes élues, députées ou ministres, dans votre parlement. Merci.

[Traduction]

M. Emil Constantinescu: Je commencerai avec le dernier problème. Le professeur Zoe Petre est la première conseillère présidentielle et c'est l'une de mes anciennes collègues d'université. Elle était doyenne de la faculté d'histoire. Jusqu'à présent, il y a eu un bon nombre de femmes députés et, récemment, l'une d'elles a été élue vice-présidente de la Chambre des députés. Pendant la réorganisation du ministère des Affaires étrangères, j'ai nommé une femme sous-ministre - elle est à ma gauche - et j'ai aussi nommé il y a peu de temps de nombreuses femmes ambassadrices de Roumanie. Elles viennent presque toutes de la société civile et ont combattu pour les droits de l'homme, spécialement pour les droits des minorités. Les prochaines nominations mettront aussi cet aspect en valeur. Il est vrai qu'il existe 25 femmes députés et qu'il y a 2 femmes au Sénat. Je le répète, ce n'est suffisant. De nombreux postes de sous-ministres sont occupés par des femmes, mais ce n'est toujours pas suffisant. Il existe aussi un problème spécifique à la Roumanie : de nombreuses femmes ont préféré se lancer dans les affaires, domaine qu'elles maîtrisent souvent, spécialement dans les entreprises moyennes et les banques. Du temps de Ceausescu, la présence des femmes dans la politique était, de par la mentalité, formelle et imposée, et elles étaient promues non pas pour leurs qualifications mais afin d'atteindre un certain quota de femmes parmi les membres du présidium.

Au sujet des demandes d'asile politique, je vous demanderais de les analyser soigneusement parce que l'asile politique est dans la nature des choses. Il vaut bien mieux vivre au Canada qu'en Roumanie, à l'heure actuelle. Le système social, les avantages sociaux, les salaires sont bien meilleurs dans votre pays qu'en Roumanie. J'aimerais que tous ceux qui se plaignent de persécutions en Roumanie, et aussi ceux qui appartiennent aux minorités dont vous parlez, s'adressent au président de la Roumanie qui, en vertu de ses prérogatives constitutionnelles, doit protéger les droits de tous les membres de la société. Vous recevrez sous peu des réponses sur ce sujet et sur chaque cas particulier. À mon avis, en ce moment, l'asile politique ne se justifie pas du tout pour les gens qui viennent de Roumanie. Mais, bien sûr, les demandes continueront à être présentées jusqu'à ce que la Roumanie devienne plus riche que le Canada. Nous pourrions alors recevoir des demandes d'asile en provenance du Canada.

En ce qui concerne la minorité tzigane, il s'agit d'un problème compliqué. Tout d'abord, j'aimerais vous signaler que c'est un problème européen. Il s'agit d'un problème transfrontalier qu'il faut étudier attentivement parce que c'est surtout un problème social et non pas un problème ethnique. Même les Tziganes ne le considèrent pas comme un problème ethnique. Afin de clarifier la situation, un programme social a été lancé pour les Tziganes. Je m'occupe moi-même personnellement de ce programme. Je suis bien placé pour en parler parce que, quand j'étais recteur de l'Université de Bucarest, avant de devenir président, j'ai pris quelques mesures : tout d'abord, j'ai introduit un cours de langue tzigane à la faculté de philologie, puis j'ai invité des professeurs de la minorité tzigane à enseigner l'assistance sociale à la faculté de sociologie. J'ai créé une situation de discrimination positive en réservant un certain nombre de postes pour la minorité tzigane à la faculté, parce que leur problème est surtout un problème d'éducation. J'ai participé, il y a quelques semaines, à une réunion avec des représentants tziganes, qui ont aussi un député au Parlement, élu par eux. La minorité tzigane a en effet le droit d'élire, au Parlement roumain, son propre député, qui représente ses intérêts et fait partie d'un groupe qui appuie la politique du gouvernement. Ce n'est qu'un début, mais personne ne peut résoudre aisément ce problème. Je dois vous le dire en toute honnêté, comme je l'ai dit pour commencer, il y a une tendance à transposer tous les problèmes non résolus des pays européens ou même du monde, dans les anciens pays communistes de l'Europe du Centre ou de l'Est, qui peuvent être aisément surveillés.

Je pense souvent à ce qui se passerait si la Roumanie était un pays très riche ou si les pays de l'Europe centrale ou de l'Europe l'Est étaient très riches et que le reste de l'Europe veuille se joindre à l'Europe centrale ou de l'Est. Comment surveillerions-nous les sociétés de l'Europe occidentale où il existe aussi des conflits inter-ethniques, des conflits inter-religieux, des problèmes avec la minorité tzigane et toutes sortes d'autres problèmes? Il est très facile de regarder de haut les sociétés qui se démènent pour assurer la transition et de leur demander de résoudre en un an ou deux des problèmes que les démocraties consolidées ont mis cent ou deux cents ans à résoudre. C'est un problème avec lequel nous devons vivre, souvent sans bien le comprendre, ce qui n'est bon pour personne parce que ce complexe de supériorité créera rapidement de l'arrogance, ce qui ne présage rien de bon pour le dialogue.

• 1645

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci, monsieur le président. On me signale que vous devez vous rendre ailleurs.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier d'être venu ici et de nous avoir permis de vous poser quelques questions. La Roumanie est un pays extrêmement intéressant, et son peuple est très fort et merveilleux. Le Canada vous voit un peu par les yeux de notre ambassadeur, M. Duguay. Ce fut un grand plaisir et un grand privilège de vous avoir ici aujourd'hui. Merci infiniment.

La séance est levée.