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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 10 février 1998

• 0910

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte. Nous reprenons l'étude du comité concernant la non-prolifération nucléaire, le contrôle des armements et le désarmement.

Nous sommes très heureux de recevoir ce matin trois témoins.

[Français]

Ce sont M. le professeur Yves Le Bouthillier, qui est professeur de droit international à l'Université d'Ottawa. Il n'est pas le seul de cette catégorie. Monsieur Turp, restreignez votre enthousiasme car nous avons un autre professeur de droit devant nous.

[Traduction]

Sentez-vous le vent d'académisme qui souffle sur les délibérations du comité?

Nous avons aussi le plaisir de recevoir Mme Peggy Mason, notre ancienne ambassadrice au désarmement, qui est actuellement représentante du Conseil canadien pour la paix et la sécurité internationales, ainsi que M. Paul Buteux, directeur du Centre for Defence and Security Studies, de l'Université du Manitoba. Je vous remercie beaucoup d'être venus.

[Français]

Je donne d'abord la parole à M. le professeur Le Bouthillier.

M. Yves Le Bouthillier (professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa): D'abord, je remercie le comité de m'avoir invité pour discuter de la politique du Canada concernant l'emploi de l'arme nucléaire.

Ma communication a pour objet, d'une part, de résumer les aspects les plus importants de l'Avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l'emploi de l'arme nucléaire émis par la Cour internationale de justice en juillet 1996 et, d'autre part, en me fondant sur l'avis de cette cour, de suggérer qu'il est important pour le gouvernement canadien de développer une stratégie qui fasse du désarmement nucléaire une de ses priorités en politique étrangère.

Formellement, la Cour internationale de justice a émis cet avis consultatif à la demande de l'Assemblée générale des Nations unies, mais à l'incitation des États et des organisations non gouvernementales opposés à l'emploi de l'arme nucléaire. Pour ces acteurs internationaux, un avis de la Cour sur cette question constituerait un développement positif dans leur quête pour l'élimination de l'arme nucléaire.

À en juger par les premières réactions des médias à l'avis de la Cour et par les analyses subséquentes de divers experts et expertes, l'avis de la Cour a eu l'effet recherché. Il existe un vaste consensus que cet avis constitue un apport important dans la lutte pour le désarmement. Ce consensus repose sur deux constats tirés de l'avis: d'abord, premier constat, le fait que le recours à l'arme nucléaire ne se justifie que dans une situation extrême et, deuxième constat, l'obligation pour tous les États de négocier et de conclure un accord pour un désarmement nucléaire complet.

Pour ma part, je partage les conclusions de cette analyse en partie seulement. L'avis de la Cour m'apparaît malheureusement beaucoup moins clair que certains le prétendent. En particulier, comme je l'expliquerai plus loin, les conclusions de la Cour relativement aux situations où le recours à l'arme nucléaire est ou non justifié prêtent à diverses interprétations. Par ailleurs, les insuffisances que révèle une lecture attentive de l'avis de la Cour sont, à mon avis, en soi des arguments convaincants en faveur de l'interdiction de tout emploi de l'arme nucléaire.

D'abord, l'avis de la Cour souffre de sérieuses ambiguïtés. En particulier, ses conclusions suggèrent diverses interprétations. Pour les fins de cette allocution, je me limiterai à évoquer deux interprétations possibles du dispositif, donc de la conclusion de la Cour, en faisant ressortir brièvement dans chaque cas les incertitudes qui en découlent.

L'interprétation de l'avis la plus fréquemment retenue par les experts et expertes est que tout emploi de l'arme nucléaire, sauf peut-être dans les cas de survie d'un État, est illicite. La Cour ne peut affirmer, par ailleurs, qu'il existe une prohibition totale de l'arme nucléaire, car, et je cite:

    À la lumière du droit existant et des faits à sa disposition de la Cour, elle ne peut conclure de façon définitive à la licéité ou à l'illicéité de l'emploi d'armes nucléaires par un État dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle sa survie même serait en cause.

• 0915

De l'avis de la Cour, il y a donc incertitude du droit sur la licéité de l'emploi de l'arme nucléaire.

Cette incertitude de la Cour remet en question, si on accepte cette interprétation, la politique des États qui préconisent la doctrine de la dissuasion nucléaire. Selon cette interprétation de l'avis de la Cour, aucun État ne peut aujourd'hui prétendre qu'il peut être licite d'utiliser l'arme nucléaire, et ce même lorsque la survie de l'État est en jeu. Aucun État ne peut faire une telle déclaration avec certitude. De plus, si le droit existant ne permet pas à la Cour de déclarer illicite tout recours à l'arme nucléaire, compte tenu de l'évolution prévisible du droit, il est difficile de concevoir que la Cour puisse un jour conclure que le droit international justifie dorénavant l'emploi de l'arme nucléaire dans le cas de survie de l'État. Comme la Cour le reconnaît, le momentum est clairement dans le camp des États qui veulent abolir l'arme nucléaire, et elle parle à cet effet d'une règle émergente, en droit international, vers l'abolition.

En supposant toutefois, en dépit de mes remarques précédentes, que le droit évolue un jour de façon à permettre à un État de recourir à l'arme nucléaire pour assurer sa survie, il y aurait alors lieu de définir le terme «survie» de l'État. La Cour pourrait être appelée à répondre à des questions auxquelles son avis apporte peu d'éclairage.

En particulier, la Cour n'a pas précisé si le concept de survie de l'État signifie sa survie comme entité politique ou la survie physique de sa population. Vu l'absence de réponse à cette question, il est difficile de se prononcer sur la licéité des scénarios suivants:

1) Lors de l'invasion et de l'occupation complète du Koweït par l'Irak, les États-Unis auraient-ils pu employer l'arme nucléaire contre l'Irak pour assurer la survie du Koweït?

2) Le recours à l'arme nucléaire serait-il permis uniquement pour assurer la survie de l'État dans son intégralité ou également pour protéger une seule partie de son territoire?

3) Y a-t-il atteinte à la survie de l'État si une agression est dirigée spécifiquement contre un groupe ethnique d'un autre État, en épargnant les membres du groupe ethnique de l'État qui attaque?

4) Les dangers susceptibles de menacer la survie de l'État se limitent-ils à l'emploi d'armes de destruction massive, tel le recours à des armes nucléaires, chimiques ou bactériologiques? Une atteinte grave, par exemple aux moyens de subsistance d'une population, sans le recours à une arme de destruction massive, peut-elle justifier le recours à l'arme nucléaire?

Que la survie de l'État ait un fondement politique ou physique, la Cour aurait encore à résoudre les dilemmes suivants:

1) La survie d'un État peut-elle se faire aux dépens de celle d'un autre État? On sait que pendant longtemps, l'objet des ogives nucléaires américaines était de dissuader une invasion de l'Europe par les forces conventionnelles soviétiques. La survie de certains États européens aurait-elle pu justifier une attaque nucléaire américaine, sans égard aux pertes civiles prévisibles? D'ailleurs, quel État aurait pu décider d'une telle mesure? Que se serait-il passé si les États européens menacés avaient été divisés sur la question? Un État européen pourrait-il user de l'arme nucléaire pour assurer sa survie au risque de menacer la survie d'un allié ou d'un pays neutre qui pourrait directement subir les séquelles de cette arme nucléaire ou, et on l'oublie souvent, craindre une escalade d'un échange nucléaire?

2) Est-ce qu'un État peut avoir recours à l'arme nucléaire en vertu de la légitime défense anticipée pour assurer sa survie? Autrement dit, un État peut-il recourir à l'arme nucléaire pour répondre à une menace d'agression, que cette menace prenne la forme d'une attaque nucléaire ou conventionnelle?

• 0920

3) Le droit de survie par l'emploi de l'arme nucléaire appartient-il aux seuls États nucléaires ou aussi à leurs alliés? Autrement dit, existe-t-il un droit de légitime défense collective? Cette question est évidemment d'une importance fondamentale pour déterminer si le parapluie nucléaire de l'OTAN est ou non licite. Bien que l'avis de la Cour ne soit pas clair à ce sujet—parce qu'on parle parfois du droit de légitime défense d'un État et, à d'autres moments, des États—, on peut dire que certains passages du dispositif ainsi que les opinions séparées de certains juges semblent suggérer l'existence d'un droit de légitime défense collective. Mais ce n'est pas clair.

4) En vertu du concept de proportionnalité, inhérent à la légitime défense, l'État ne peut user que de la force nécessaire pour faire face à une attaque. La Cour ne suggère toutefois aucun critère précis pour mesurer la proportionnalité d'une réponse nucléaire, laissant à chaque État le soin d'évaluer la proportionnalité de son action dans le feu de l'action. Un État peut-il considérer comme proportionnelle une réplique nucléaire visant à priver l'agresseur de tout moyen de le menacer dans l'avenir?

5) En supposant que même lorsque sa survie est menacée, l'État doit respecter le droit humanitaire, le droit applicable dans les conflits armés, jusqu'où un État peut-il aller dans l'infliction de pertes civiles indirectes chez l'agresseur au nom de la nécessité militaire?

Ces questions se posent dans le cadre de ce que j'appelle la première interprétation, c'est-à-dire que l'usage de l'arme nucléaire est illicite, mais que la Cour n'en est pas certaine dans les cas de survie de l'État. Par ailleurs, l'exception de survie de l'État pose beaucoup de problèmes également.

Comme je l'ai indiqué auparavant, les conclusions de la Cour se prêtent également à une autre interprétation, selon laquelle l'emploi de l'arme nucléaire est possible dans des situations autres que celles où la survie de l'État est menacée. En vertu de cette interprétation, le recours à l'arme nucléaire est généralement illicite car, comme l'affirme la Cour, la nature de l'arme nucléaire n'est guère conciliable avec le droit humanitaire. Le recours à l'arme nucléaire n'est cependant pas exclu dans les rares cas où le droit humanitaire peut être respecté, notamment lorsque la survie de l'État est menacée. Mais ce ne serait pas la seule exception. Par ailleurs, toujours selon cette interprétation, la référence de la Cour à la survie de l'État ne signifie pas que c'est la seule situation où le recours à l'arme nucléaire peut se justifier mais plutôt la seule situation où les États ne seraient pas tenus de respecter le droit humanitaire lorsqu'ils ont recours à l'arme nucléaire. Quoique plausible à la lumière de l'avis de la Cour, cette interprétation semble cependant en conflit avec la position des États nucléaires devant la Cour: tous ces États ont affirmé que le recours à l'arme nucléaire doit être conforme au droit humanitaire.

À mon avis, il serait regrettable que l'interprétation permettant le recours à l'arme nucléaire dès lors qu'un État respecte le droit humanitaire s'impose. Le débat porte alors non plus sur le concept de survie de l'État mais d'abord sur l'équilibre toujours difficile à établir entre nécessité militaire et droit humanitaire. Plusieurs des questions mentionnées auparavant demeurent pertinentes. Peut-on avoir recours à la légitime défense anticipée? Peut-on avoir recours à la légitime défense collective? Qu'est-ce qu'une réponse proportionnelle?

Il est vrai que plusieurs de ces questions non résolues ne sont pas propres à l'emploi de l'arme nucléaire. Elles se posent pour tout emploi de la force. Cependant, ces incertitudes peuvent avoir des conséquences particulièrement graves lorsqu'il s'agit de l'emploi de l'arme nucléaire.

Étant donné l'ambiguïté du jugement de la Cour et l'absence de réponse à un certain nombre de questions, on doit avouer qu'il est difficile de déterminer dans quelle mesure la politique d'un État, le Canada ou un autre État, relativement à l'emploi de l'arme nucléaire est conforme aujourd'hui au droit international. Chose certaine, toute interprétation de l'avis de la Cour permettant à un État de recourir à l'arme nucléaire dans certaines circonstances laisse une discrétion passablement large aux États. Aux dires de la Cour, l'usage de l'arme nucléaire semble difficilement conciliable avec le respect du droit humanitaire. Nous ajoutons qu'à notre avis, les paramètres à l'intérieur desquels il est permis d'user de la force—la nécessité, la proportionnalité—ne sont pas suffisamment précis, ne sont pas suffisamment étroits pour qu'on puisse espérer qu'en situation de crise, des États aux intérêts divergents partagent une analyse commune quant à licéité de l'emploi de l'arme nucléaire.

• 0925

Sûrement consciente que la réglementation par le droit de l'emploi de l'arme nucléaire ne sera jamais une garantie suffisante pour l'humanité, la Cour insiste sur l'obligation des États de poursuivre des négociations et de conclure un accord sur le désarmement nucléaire sous tous ses aspects. En se prononçant fermement en faveur du désarmement, ce qui est très clair dans la fin de l'arrêt, la Cour discrédite le discours voulant que la sécurité de l'humanité réside dans la dissuasion plutôt que dans le désarmement. Ce choix de la Cour, à mon avis, constitue sa contribution la plus importante à la problématique des armes nucléaires. La Cour rappelle à l'humanité qu'elle s'est enfermée elle-même dans le corridor de la mort et qu'il appartient à elle seule de s'en sortir. À cet égard, le Canada a un rôle à jouer.

Le président: Monsieur le professeur, excusez-moi de vous interrompre, mais nous essayons de restreindre les observations préliminaires à une durée de 10 minutes pour permettre la tenue d'une période de questions. Donc, pourriez-vous terminer rapidement? Je sais qu'un professeur est habitué à une période de 50 minutes plutôt qu'à une période de 10 minutes, mais il faut...

M. Yves Le Bouthillier: J'en étais d'ailleurs à mes dernières remarques.

Je pense qu'il faut déplorer le mutisme observé par le gouvernement canadien concernant l'avis de la Cour. Plusieurs membres de l'OTAN et plusieurs autres États ont articulé leur position sur la question au bénéfice de leur population et de la communauté internationale devant la Cour. Le Canada n'a pas pris avantage de la situation pour se faire un participant actif au débat. Il a donc privé encore une fois sa population d'une partie du débat, et il est maintenant difficile d'évaluer dans quelle mesure l'avis de la Cour correspond à la position canadienne puisque le Canada n'a pas fait connaître cette position. On ajoutera que le silence du Canada ne veut pas dire évidemment qu'il est neutre sur la question. Dans son avis, la Cour a clairement dit que ce sont les États qui préconisent la dissuasion nucléaire, y compris les États de l'OTAN, qui empêchent l'émergence d'une règle interdisant tout recours à l'arme nucléaire. À mon avis, le Canada doit maintenant clairement indiquer, à la lumière de l'avis de la Cour, laquelle des approches, la dissuasion ou le désarmement complet, assure le mieux l'avenir de l'humanité.

En présumant que le Canada, comme l'y invite la Cour, opte pour la voie du désarmement, il devra alors investir les ressources nécessaires pour développer, de concert avec d'autres États intéressés, une stratégie et un échéancier réaliste pour éliminer cette menace.

Je m'en voudrais de finir sans faire allusion au monde de demain, c'est-à-dire les générations des enfants. Au milieu de la Deuxième Guerre mondiale, Saint-Exupéry nous a fait découvrir un Petit Prince qui craignait que sa précieuse planète soit un jour détruite par une prolifération de mauvaises plantes. Il s'acharnait à arracher ces plantes avant qu'elles se transforment en arbres géants, en baobabs, qui un jour pourraient faire exploser sa petite planète. Je pense que Saint-Exupéry, qui a écrit ce livre en 1943, ne se doutait pas que deux ans plus tard, nous allions créer nous-mêmes nos propres baobabs et que nous les aménagerions pendant 50 ans.

Merci.

[Traduction]

Le président: Madame Mason.

[Français]

Mme Peggy Mason (témoigne à titre personnel): Monsieur le président, messieurs les députés, c'est un très grand privilège d'être ici aujourd'hui. Malheureusement, avant de faire ma présentation orale, je dois vous présenter mes excuses pour ne pas avoir produit un texte suffisamment à l'avance pour permettre sa distribution aujourd'hui dans les deux langues officielles. Je vais laisser le texte au greffier en espérant que dans les jours qui viennent, il pourra le distribuer dans les deux langues officielles et faciliter les délibérations du comité.

• 0930

Pour aujourd'hui, j'ai préparé un résumé d'une page, une sorte de synthèse des points principaux élaborés dans le texte. Si les membres du comité sont d'accord, j'aimerais le faire circuler de façon informelle pour les aider à suivre ma présentation orale. J'en ai laissé des copies au greffier. Merci, monsieur le président.

Encore une fois, je vous présente mes excuses pour ce procédé.

[Traduction]

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je voudrais brièvement exposer mes principaux points. Auparavant, toutefois, j'aimerais faire une précision. Je suis ici à titre personnel. Je suis très heureuse d'être la directrice du Conseil canadien pour la paix et la sécurité internationales, mais cette organisation, très diversifiée, n'a pas pris position sur le sujet. Je parle donc ici aujourd'hui en mon nom propre.

Avant d'exposer mes arguments, j'aimerais que vous sachiez à quoi vous en tenir sur mes convictions personnelles, mon point de départ, pour ainsi dire.

Tout d'abord, je suis d'avis que l'OTAN est une institution vitale pour la sécurité régionale et mondiale, et c'est précisément parce que je suis fermement convaincue que son importance ne se dément pas que je veux faire en sorte que la doctrine nucléaire évolue au même rythme que la situation sur d'autres fronts.

Deuxièmement, j'estime que la politique canadienne de non- prolifération, de contrôle des armements et de désarmement est dynamique et tournée vers l'avenir; elle est sans doute à l'avant- garde par rapport à celle de nos alliés de l'OTAN. Nous sommes donc bien placés pour promouvoir la tenue d'un débat de fond authentique au sein de l'OTAN.

Troisièmement—et cela ne figure pas dans mon texte—cela nous ramène à la première journée des audiences, lorsqu'un membre du comité a demandé quelle pourrait être la conséquence de l'examen entrepris par le comité ou d'une révision de la politique nucléaire pour les ventes de réacteurs CANDU. Quelqu'un aurait contesté la pertinence de cette question.

Sauf votre respect, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, il s'agit à mon sens d'une question très pertinente. Depuis 1974, quand l'Inde a fait exploser sa prétendue bombe nucléaire pacifique à l'aide de la technologie transmise de bonne foi par le Canada à des fins pacifiques, le Canada a tenu—il est même à l'avant-garde du mouvement—à défendre et à adhérer à un régime vigoureux de non-prolifération nucléaire.

C'est pourquoi notre défense de l'énergie nucléaire pacifique est intimement liée à un régime de non-prolifération vigoureux. Le but est de faire en sorte que cette technologie ne serve jamais plus à promouvoir les armes nucléaires. Dans la mesure où la politique nucléaire actuelle de l'OTAN semble miner notre politique de non-prolifération, elle aura aussi pour effet de saper notre crédibilité au pays et à l'étranger comme promoteur responsable de l'énergie nucléaire pacifique.

Après cette introduction, je voudrais maintenant passer à mes principaux arguments. Ils sont énumérés sur cette feuille. Je ne m'étendrai pas sur le premier, puisque mon collègue l'a très bien développé dans son exposé.

Tout d'abord, j'estime que la politique nucléaire actuelle de l'OTAN, même sous sa forme révisée de 1991—parce que dans l'après- guerre froide l'OTAN a examiné sa politique nucléaire et l'a révisée pour réduire sa dépendance par rapport à l'arme nucléaire— maintient l'option de recourir à l'arme nucléaire dans des circonstances contraires au droit international, précisément parce que la politique actuelle de l'OTAN conserve toutes les options nucléaires. Elle stipule expressément qu'elle repose sur une politique d'incertitude, de sorte que toutes les options nucléaires sont conservées.

• 0935

Quelles que soient les divergences de vues sur l'avis de la Cour internationale de justice, il est clair que la majorité des juges n'approuvent pas le maintien de toutes les options nucléaires.

Les chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN, en 1990—à l'occasion du sommet de Londres, le premier de l'après-guerre froide—ont déclaré que la politique de l'OTAN allait être révisée pour que les forces nucléaires soient véritablement «des armes de dernier recours». Or, la politique publiée en 1991 ne respectait pas cet engagement de politique de haut niveau. Comme je l'ai dit, elle conserve toutes les options nucléaires de l'OTAN, y compris celle de l'emploi en premier de l'arme nucléaire, ou première frappe.

Le nouvel examen de la politique nucléaire, toutefois—parce que les audiences du comité arrivent à point nommé... En 1997, les chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN ont annoncé un nouvel examen de la politique nucléaire. Il est censé commencer au début de 1998. C'est une occasion historique pour le Canada de collaborer avec d'autres pays aux vues semblables aux siennes au sein de l'organisation pour faire approuver le début de négociations sur un régime de non-première frappe.

Je parle de début de négociations parce que je ne veux pas laisser entendre que l'OTAN devrait faire une déclaration unilatérale. Je dis plutôt que l'organisation devrait étudier sérieusement la façon dont devraient être entreprises des négociations, en particulier avec la Russie et d'autres États dotés de l'arme nucléaire, en vue de créer un régime de non-première frappe.

Je sais que le comité a déjà entendu mon éminent successeur, l'ambassadeur du Canada à l'ONU pour le désarmement, M. Mark Moher, à l'occasion d'une séance à huis clos. Ce que je dis se fonde sur son texte, qui a circulé. Je sais que le comité s'est fait dire que la tâche ne serait pas facile et qu'il y aura une forte résistance, en particulier de la part des États dotés de l'arme nucléaire au sein de l'OTAN, à l'idée d'entreprendre un examen comme celui-là. Toutefois, ce qui compte, c'est que l'examen a été annoncé. En principe, donc, l'alliance est prête à tenir un débat sérieux.

Évidemment, l'une des principales raisons du lancement de ce débat, c'est que la Russie le réclame vigoureusement. Avec l'expansion de l'OTAN, maintenant que trois membres de l'ancien Pacte de Varsovie ont été invités à se joindre à l'organisation, la Russie tient beaucoup à ce que soit abordé le problème des armes nucléaires tactiques dans d'autres pays que le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, dans le cadre de la politique de l'OTAN.

Il y a donc de réelles pressions. Il y a donc une démarche et des pressions axées sur la mise au rancart de la doctrine de la première frappe.

J'ajouterai en outre que l'examen sérieux de la politique nucléaire de l'OTAN va tout à fait dans le sens des intérêts de l'alliance. Voici mes raisons.

Tout d'abord, une politique nucléaire périmée donne à penser que l'OTAN elle-même est périmée. Ici, je parle de perception dans la population. Celle-ci continue en effet de croire fermement que l'OTAN s'agrippe à sa politique nucléaire parce que sans elle, elle n'aura plus de raison d'être. Rien n'est plus faux à mon avis. Le rôle joué par l'OTAN aujourd'hui, en matière de coopération et de renforcement de la sécurité, en collaboration avec les pays de l'ex-Pacte de Varsovie, notamment en Bosnie, illustre le rôle extrêmement important que l'OTAN peut jouer dans l'après-guerre froide sans politique de première frappe.

Ma mise en garde est la suivante: il ne faut jamais fermer les yeux sur l'absence d'appui dans la population pour une institution donnée, voire son cynisme, surtout lorsque la survie de l'institution exige des moyens considérables. C'est donc un argument très important. L'OTAN doit montrer qu'elle est de son temps en matière de politique nucléaire.

• 0940

En insistant pour conserver toutes ses options nucléaires alors qu'il n'y a qu'une seule superpuissance dotée d'une capacité conventionnelle extraordinaire, l'OTAN donne aux États «au seuil du nucléaire» le plus mauvais exemple qui se puisse imaginer.

De plus—et je crois que les membres du comité ont déjà entendu cet argument avancé par d'autres groupes—la majorité des États ne possédant pas l'arme nucléaire qui sont parties au TNP y voient une violation de l'engagement des puissances nucléaires à poursuivre de bonne foi des négociations en vue du désarmement complet. Je relève dans l'exposé de M. Le Bouthillier que sur un point la Cour internationale de justice était unanime, et c'est l'obligation de tous les États dotés de l'arme nucléaire de poursuivre ces négociations de bonne foi.

Autrement dit, l'attitude actuelle de l'OTAN mine le soutien international dont le Canada a besoin pour l'un de ses plus importants objectifs de sécurité, à savoir un régime de non- prolifération nucléaire mondial et crédible. Un régime qui, je l'ajoute, ne s'applique pas uniquement aux armes nucléaires, mais aussi à toutes les armes de destruction massive. Il ne faut pas l'oublier si l'on songe à ce qui se produit aujourd'hui en Irak.

Il y a une autre raison pour laquelle un examen sérieux de la doctrine nucléaire de l'OTAN sert ses intérêts. En effet, l'absence de débat combinée à l'ambiguïté du concept stratégique—le nom que l'on donne à la doctrine nucléaire de l'OTAN—en ce qui concerne le recours ou la menace de recours à l'arme nucléaire signifie qu'en cas de crise c'est peut-être la politique de contre-prolifération des États-Unis qui dictera la politique nucléaire de l'OTAN.

Ce n'est un secret pour personne que les États-Unis épousent et élaborent des stratégies de lutte contre les armes biologiques au moyen de la dissuasion nucléaire. Voilà une question qui devrait être débattue énergiquement par les membres de l'OTAN, en particulier les États non nucléaires. C'est une nouvelle application de l'arme nucléaire à l'OTAN, largement en marge des traités internationaux que nous avons conclus, qui appellent à son interdiction, et non pas à lui trouver de nouvelles applications. Il me semble qu'il y aurait lieu de tenir un vrai débat sur cette question au sein de l'OTAN au lieu de voir la politique américaine devenir par défaut celle de l'OTAN.

Le président: La «contre-prolifération» est une expression technique qui désigne une politique en cours d'élaboration aux États-Unis et qui veut qu'il est légitime de recourir à l'arme nucléaire sous la menace d'une autre arme de destruction massive, en l'occurrence chimique ou biologique.

Mme Peggy Mason: C'est bien ça.

Le président: Je voulais m'assurer que tous les membres du comité comprennent bien que c'est de cela qu'il s'agit.

Mme Peggy Mason: Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: La contre-prolifération... cela ne me semblait pas évident, mais tout le monde semble hocher la tête. Tous les experts semblent s'entendre là-dessus.

[Français]

Même en français, je l'espère, monsieur Le Bouthillier.

[Traduction]

Mme Peggy Mason: Monsieur le président, vous venez de parler d'armes chimiques, et cela m'amène à ce que je voulais dire à propos de cette politique de contre-prolifération en gestation. Dans le cas des armes chimiques, cette politique va à l'encontre de la convention sur les armes chimiques.

Cette convention, ratifiée par les États-Unis, interdit la fabrication, la production et l'emploi—à des fins de représailles ou autres—des armes chimiques. C'est ce que dit le traité. Voilà qui montre bien la difficulté que présente ce genre de stratégie, cette stratégie envahissante de contre-prolifération.

Mais là où je veux en venir, c'est que cette stratégie, que les États-Unis poursuivent de bonne foi parce qu'ils estiment qu'elle est la bonne, ne devrait pas être adoptée par l'OTAN en cas de crise. C'est une position que tous les membres, notamment les pays non nucléaires, doivent adopter en toute connaissance de cause.

Comme l'ambassadeur Moher, je suis d'avis que le débat à l'OTAN ne sera pas facile. Pourquoi?—et c'est ici que je me démarque de certains des intervenants qui m'ont précédée—parce que le chemin qui mène à l'abolition complète des armes nucléaires n'est pas un chemin facile. Pourquoi? Parce quÂà ce jour nous assistons à un dialogue de sourds. Un camp dit qu'il n'y a aucun rôle pour l'arme nucléaire et qu'il faut s'en débarrasser, tandis que l'autre dit faire de son mieux, mais pour toutes sortes de raisons cette arme est toujours nécessaire.

• 0945

Il n'y a pas de véritable débat sur la façon de s'y prendre. Il faut examiner sérieusement les motifs de ceux qui croient en la nécessité de l'arme nucléaire.

Cela m'amène à mon avant-dernier argument. Si le Canada est convaincu de la priorité élevée accordée...

Le président: Désolé; pourriez-vous combiner les deux derniers arguments? Vous avez largement dépassé les 10 minutes réglementaires, ce qui est la seule intervention que je semble faire ici.

Mme Peggy Mason: Entendu.

Le président: Il me faut une force de dissuasion nucléaire ici, je crois.

Une voix: Il vous faut un réacteur à fusion.

Mme Peggy Mason: Merci, monsieur le président. Je vais essayer de terminer.

L'essentiel, c'est que si nous voulons réduire la dépendance vis-à-vis de l'arme nucléaire, il faut engager dès maintenant le dialogue sur l'édification de structures de sécurité collective non nucléaires efficaces, et cela ne sera pas tâche facile. Le point de départ idéal, pour moi, c'est au sein d'une alliance composée de pays aux vues généralement semblables aux nôtres qui attachent tous autant de prix à la non-prolifération nucléaire.

La difficulté de trouver une réplique à l'Irak montre que les problèmes de sécurité dans le nouveau millénaire exigeront de vastes appuis internationaux. Que le Canada collabore avec les autres pays au sein de l'OTAN pour veiller à ce que l'alliance ne soit pas embourbée dans une doctrine nucléaire rétrograde qui l'empêcherait de bâtir ce nouveau consensus. Il faut de larges appuis internationaux si nous voulons nous doter d'un régime crédible de sécurité collective. L'OTAN peut participer à l'élaboration de ce consensus ou elle peut y faire obstacle.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, madame Mason.

Professeur Buteux.

M. Paul Buteux (directeur, Centre for Defence and Security Studies, Université du Manitoba): Merci.

Avant de commencer mon mémoire, je voudrais dire ceci. J'ai appris par le journal de ce matin le décès, hier, d'un ami à moi, John Halstead, ancien ambassadeur du Canada à l'OTAN et grand patriote. Je sais qu'il aurait suivi les délibérations du comité avec beaucoup d'attention et de dévouement.

John, de là-haut, tu regardes par-dessus mon épaule avec ton sourire narquois, et tu n'es pas d'accord avec moi, comme d'habitude.

J'imagine que mes propos d'aujourd'hui se démarqueront un peu de ceux de M. Le Bouthillier et de Mme Mason, mais Peggy ne s'en étonnera pas, puisque nous nous connaissons depuis des années.

Comme je suis un simple universitaire, j'ai lu la lettre du ministre adressée au comité demandant un examen de la politique canadienne de non-prolifération, de contrôle des armements et de désarmement, et je l'ai prise, justement, à la lettre. Mes propos d'aujourd'hui portent donc sur certains des rapports et documents publiés ces dernières années et préconisant l'interdiction ou l'élimination de l'arme nucléaire ainsi que sur l'avis consultatif de la Cour internationale de justice.

Le but de mon mémoire est d'indiquer les motifs pour lesquels l'arme nucléaire ne sera pas éliminée ou interdite et de contester la pertinence et l'utilité du renvoi à la CIJ.

Moi qui ne suis pas avocat de droit international, je dois dire que ce qui m'autorise à commenter cet avis consultatif, c'est que c'est l'un des juges de cette cour qui m'a enseigné le droit international. Je me souviens de Rosalyn Higgins comme d'une jeune femme très séduisante et très charmante, un an plus âgée que moi environ, et qui m'a enseigné le droit international à la London School of Economics, il y a des lustres. Et me voici aujourd'hui à commenter ses avis.

• 0950

En ce qui concerne l'arme nucléaire, il y a lieu de constater que depuis le mois d'août 1945 cette arme n'a pas été utilisée au cours d'une guerre, malgré le fait qu'elle fait partie des arsenaux des grandes puissances et de certaines autres depuis une cinquantaine d'années. Quand on considère l'histoire des armements et de la guerre, c'est un fait remarquable, qui pose la question de savoir pourquoi elle ne l'a pas été.

La réponse toute simple réside, je crois, dans la nature et la structure de la sécurité internationale pendant cette période et les principaux intérêts des intervenants majeurs dans ce système.

Nous étions dans un univers bipolaire où les deux centres de pouvoir acceptaient grosso modo le statu quo dans les domaines d'intérêt essentiel pour eux. Chaque camp pouvait souhaiter un meilleur arrangement, mais après 1962 en tout cas, ni l'un ni l'autre n'était prêt à recourir à la force pour y parvenir si cela supposait le risque d'une guerre nucléaire.

Par conséquent, l'Est et l'Ouest ont adopté des stratégies pour éviter la guerre basées sur leur aversion commune pour la guerre nucléaire. C'est ainsi qu'ont évolué les stratégies de la dissuasion réciproque et les politiques de contrôle des armes nucléaires. En effet, pour gérer la force de dissuasion en toute sécurité, il fallait un contrôle des armements.

En dépit de déclarations contraires faites occasionnellement, les deux camps en vinrent à accepter le fait que l'arme nucléaire avait peu d'utilité, voire aucune, comme instrument de combat, mais ils reconnurent cependant qu'elle avait un effet profond sur la structure du système international en général et sur la relation bipolaire en particulier. L'arme nucléaire faisait donc partie intégrante de ce qui était, rétrospectivement, un ordre international remarquablement stable.

Cet ordre a maintenant disparu, et la question posée au comité sur le rôle futur de l'arme nucléaire devra obtenir une réponse dans un cadre qui a beaucoup changé et qui est marqué par l'incertitude. Nous ne sommes pas certains—moi, en tout cas, je ne le suis pas—de ce qui va se passer.

Toutefois, une conséquence est déjà claire. Comme dans toute période d'après-guerre, il y a eu un désarmement majeur chez ceux qui ont participé au conflit. Le désarmement nucléaire a déjà débuté et se poursuivra vraisemblablement pendant un certain temps encore. On peut prévoir qu'au cours de la première décennie du siècle prochain il y aura moins d'armes nucléaires en service sur la planète qu'en tout autre temps depuis les années 60.

De plus, si on prend le TNP au sérieux, ce qui est un peu mon cas, et si l'on prend au sérieux l'avis consultatif, ce qui n'est pas du tout mon cas, les puissances nucléaires ont montré qu'elles négocient déjà le désarmement de bonne foi. Mais tout comme les périodes d'après-guerre précédentes n'ont pas permis d'atteindre l'objectif utopique du désarmement général et complet, les tentatives actuelles en vue de l'interdiction ou de l'élimination complète de l'arme nucléaire échoueront elles aussi.

Pourquoi? Tant que le système international demeurera essentiellement ce qu'il est aujourd'hui, l'arme nucléaire conservera son utilité, pas seulement pour tous les pays qui la possèdent—après tout, l'Afrique du Sud représente bien un cas d'ex-puissance nucléaire—et pas parce que plusieurs parmi ceux qui ne la possèdent pas la voudront, mais parce que l'arme nucléaire est l'ultima ratio, l'argument final, si vous voulez, du pouvoir militaire et parce que son existence ne peut être niée.

Il existe une raison beaucoup plus pratique qui autorise à penser que l'arme nucléaire continuera d'exister longtemps encore. Le démantèlement des arsenaux existants est coûteux, difficile sur le plan technique, et prend beaucoup de temps. L'application complète des accords actuels de désarmement nucléaire conclus entre la Russie et les États-Unis ne sera pas terminée d'ici au siècle prochain, et de nombreux problèmes restent encore à résoudre. Je pense notamment à la comptabilisation et au maniement sûr des matières fissiles issues du démantèlement des ogives nucléaires. Il en existe beaucoup d'autres reliés à la vérification.

• 0955

Bien que les deux grandes puissances nucléaires se soient engagées à mener une troisième série de pourparlers sur la limitation des armes stratégiques, même dans l'hypothèse de circonstances politiques favorables à leur succès, ils n'aboutiront pas rapidement. L'échéance convenue de l'an 2007 paraît de plus en plus optimiste. Si l'on ajoute les réductions supplémentaires à ce qui est déjà prévu, on peut conclure qu'un nombre important d'armes nucléaires continueront d'exister bien après le début du prochain millénaire. Et cela ne tient pas compte des arsenaux des puissances nucléaires du second niveau, des puissances nucléaires non déclarées et des puissances nucléaires émergentes qui décideront de franchir le seuil du nucléaire. Le calendrier se calcule donc en décennies plutôt qu'en années. À ce moment-là, il est bien possible que le monde soit bien différent de ce qu'il est aujourd'hui.

Le problème majeur—et je pense qu'on l'a oublié—que soulèvent les plans de désarmement nucléaire complets qui ont été présentés au comité, c'est que le temps nécessaire pour les appliquer dépasse tout horizon réaliste. On peut se fixer un but, mais il est impossible de forcer la démarche. C'est un fait simple, logique et pratique.

Ces dernières années, aux États-Unis, un certain nombre de documents officiels et semi-officiels continuent d'affirmer que l'arme nucléaire a sa place dans la stratégie américaine. Tous reposent sur la conviction que les États-Unis doivent conserver une force de dissuasion pour faire face à un large éventail d'éventualités. Il y a lieu de faire remarquer que les instruments de la dissuasion se ne limitent pas à l'arme nucléaire. On nourrit de grands espoirs, qui ont bien des chances d'être déçus, à propos d'une éventuelle révolution des affaires militaires: les armes perfectionnées intelligentes. Si la guerre du Golfe éclate à nouveau, on verra à CNN des missiles disparaître dans un puits d'aération, et tout le reste.

Personne aux États-Unis, en tout cas pas dans les milieux officiels, ne propose d'exclure l'arme nucléaire de la stratégie américaine. Là où il y a consensus sur le changement à apporter à la stratégie américaine, il ne va pas dans le sens de l'abolition de l'arme nucléaire, malgré le fait que le meilleur document de tous les documents brillants produits sur le sujet est celui de l'Académie nationale des sciences, de l'an dernier, à côté de qui la Commission de Canberra a l'air d'une bande de militants du dimanche. Non, il n'ira pas dans ce sens, mais plutôt dans celui de tracer un périmètre de défense réduit. Dans ces circonstances, le maintien de l'arme nucléaire dans une stratégie de dissuasion limitée sera le corollaire obligé de ce choix.

Force est de reconnaître que pendant longtemps encore les politiques et les gestes des États-Unis seront le facteur déterminant de l'avenir de l'arme nucléaire ainsi que du régime de contrôle des armements. Deux aspects de ce régime sont particulièrement pertinents ici: la non-prolifération et le désarmement. Évidemment, les deux sont reliés à l'article 6 du Traité de non-prolifération nucléaire, mais il faut rappeler que par le passé la non-prolifération et le désarmement nucléaire ne l'étaient pas.

Comme le temps presse, je vais me contenter de survoler ce que j'avais à dire sur le sujet. Je dirai seulement que pour la non-prolifération cela est la clé de voûte de la stratégie de sécurité nationale des États-Unis. De plus, il est important pour les États-Unis, et semble-t-il pour l'OTAN, que des stratégies de contre-prolifération soient en préparation, et certains ont laissé entendre que l'arme nucléaire a un rôle à jouer dans ces stratégies.

Deuxièmement—ici encore je vais me contenter de survoler la question et enchaîner—la problématique de la prolifération, qui a été définie pendant la guerre froide, a été ébranlée par la fin de la guerre froide. Il est de moins en moins efficace de parler de prolifération comme on en parlait à cette époque, puisque les circonstances qui lui ont donné le jour sont en mutation.

J'ajouterai une autre chose. Nous sommes tous très partisans de la non-prolifération, ou en tout cas nous donnons tous l'impression de l'être. Mais, évidemment, de notre point de vue, celui de l'Ouest riche et replet—la non-prolifération est une très bonne affaire. Parce que le régime actuel cherche à consolider un équilibre de la puissance militaire dans le monde et donc un ensemble d'arrangements qui nous conviennent tout à fait.

• 1000

Beaucoup de pays qui essaient de prendre à parti l'Ouest sur la question du désarmement nucléaire, sur la prolifération, le font parce qu'ils reconnaissent très clairement que tant que les choses resteront en l'état nous continuerons d'avoir le dessus, et eux continueront d'avoir le dessous. Personnellement, j'aime assez avoir le dessus mais ne nous leurrons pas, il ne faut pas s'en enorgueillir. Les arrangements actuels servent notre intérêt, et nous, pendus aux basques des États-Unis, sommes prêts à recourir à la force pour les conserver. Et la seule façon dont nous pouvons recourir à la force est de garder en poche l'arme nucléaire. Elle est très utile, très fonctionnelle, et n'est pas près de disparaître. Le paradoxe, c'est qu'elle est essentielle au régime de non-prolifération. Donc, je vous en conjure, soyons réalistes. Ne nous gargarisons pas de lieux communs vertueux. C'est un domaine où il y en a déjà trop.

Tout cela, pourtant, n'est pas incompatible avec le désarmement nucléaire qui a lieu depuis 1987 et qui va continuer à l'avenir. L'objectif du START III annoncé par la Russie et les États-Unis, soit abandonner de 2 000 à 2 500 missiles nucléaires de chaque côté, semble plausible. Tant que la situation reste inchangée, on pourrait même, à mon avis, envisager un abaissement des plafonds. Mais au-delà de l'échéance du traité START III, on entre en pleine incertitude. Du point de vue de la politique canadienne, il faut reconnaître que dans un avenir prévisible les armes nucléaires vont rester très nombreuses. Elles répondent à des besoins de sécurité et de politique beaucoup trop pressants pour qu'on puisse y renoncer.

En outre, je ne suis pas certain que les facteurs qui ont limité leur prolifération pendant la guerre froide vont rester de mise. À mon avis, il faut reconsidérer fondamentalement nos points de vue en matière de prolifération, et formuler à cette fin un nouveau paradigme et de nouveaux principes.

Je voudrais maintenant parler brièvement de l'avis consultatif.

Le président: Très brièvement.

M. Paul Buteux: C'est un document très confus, qui prête beaucoup à confusion. À mon avis, il repose sur une méthode erronée. La cour nage en plein irréel lorsqu'elle essaie de définir le droit applicable aux armes nucléaires en fonction du droit humanitaire. S'il est une chose que nous avons apprise au cours de ce siècle, c'est que la guerre, en devenant totale, a entraîné un effondrement complet des lois de la guerre. Force est d'admettre qu'une guerre dont les principaux protagonistes utiliseraient des armes nucléaires serait une guerre totale. Or, il est tout à fait absurde, à mon sens, de s'interroger sur la licéité des armes nucléaires sous prétexte qu'elles ne sont pas conformes aux principes de saint Thomas d'Aquin en matière de proportionnalité.

Si l'on veut essayer de limiter les armes nucléaires par le droit, la façon de procéder, à mon sens, est de se fonder non pas sur les lois de la guerre, mais sur le droit de faire la guerre, en considérant les circonstances dans lesquelles un État est fondé de menacer de recourir aux armes nucléaires et, éventuellement, de les employer, plutôt que d'essayer de prouver qu'elles sont incompatibles avec le droit humanitaire ou de définir les circonstances dans lesquelles elles pourraient être incompatibles avec lui. En pratique, il existe un régime juridique bien établi qui régit les armes nucléaires, et qui est défini par les accords de contrôle des armes nucléaires. Et ce droit donne des résultats, car les États s'y conforment dans une très large mesure.

Pourquoi s'y conforment-ils? Parce que ce droit, qui sert leurs intérêts, n'existe que s'ils s'y conforment. Et lorsqu'on considère cet avis consultatif en dehors des recueils juridiques, sauf tout le respect que je dois au collègue assis à ma droite, on constate que l'argumentation juridique portant sur les différents aspects du problème est totalement dénuée de pertinence par rapport à l'application pratique de ce droit.

• 1005

Les conditions qui permettraient une application du droit international telle que la conçoit la cour n'existent tout simplement pas, et on aurait tort, à mon sens, de vouloir ériger notre politique en fonction d'un droit prétendu plutôt qu'en fonction d'un droit réel.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Buteux.

Je vous remercie également de vos commentaires concernant le professeur Halstead. Certains d'entre nous ont travaillé avec lui à la préparation d'une étude de notre politique étrangère au sein du comité mixte du Sénat et de la Chambre.

Je voudrais également attirer l'attention des membres du comité sur le fait que le rapport de l'Académie nationale des sciences auquel vous avez fait référence figure dans nos documents d'information dont tous les membres du comité ont reçu copie.

Monsieur Mills.

M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): Nous sommes en train de parler de désarmement, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de la Russie, etc. Il me semble que, comme on l'a dit, le nombre des armes nucléaires devrait diminuer, que le processus est déjà amorcé et que tout le monde s'en réjouit. Évidemment, on aimerait bien qu'il n'y en ait pas du tout.

Est-ce de leur disparition que certains s'inquiètent? Je pose cette question parce que le phénomène est déjà en cours. Est-ce que l'on craint que des États arrogants, terroristes ou autres aient accès aux armes de ce type?

C'est comme le traité sur les mines antipersonnel. Les États qui le signent ne sont précisément pas les États qui les utilisent ou qui en fabriquent. Il y a des gens qui en fabriquent dans leur sous-sol, puis qui les posent. Peut-être ne savent-ils ni lire ni écrire, mais de toute évidence ils savent fabriquer une mine. N'est-ce pas plutôt de cette menace-là qu'il conviendrait de se préoccuper pour le prochain siècle, c'est-à-dire l'utilisation par des terroristes de ces armes de destruction massive?

Deuxièmement, quelqu'un a dit que les États-Unis sont désormais la seule superpuissance, et que c'est donc sur eux qu'il faut porter notre attention. Je ne suis pas d'accord. Il n'est pas abusif de considérer la Chine comme une superpuissance, ni de prévoir quelle sera sa capacité d'action d'ici 10, 20 ou 50 ans.

Le caractère dissuasif de l'arme nucléaire... Si horrible que cela puisse paraître, elle nous a assuré la stabilité au XXe siècle, et il n'est peut-être pas déraisonnable de penser qu'elle assurera encore la même stabilité au siècle prochain.

Voilà des questions de portée très vaste, mais à mon avis, c'est de tout cela qu'il faut traiter. Je le soumets donc à tous nos témoins.

M. Paul Buteux: Permettez-moi de répondre par quelques arguments.

Pour parler franchement, je ne sais pas comment mesurer le risque qu'un terroriste ou un État terroriste se dote d'une arme nucléaire. Ce risque existe sans doute, mais il me semble impossible de le chiffrer.

Ce que je puis dire, c'est que je ne vois pas comment les mécanismes politiques et diplomatiques dont nous disposons et les méthodes de gestion du risque nucléaire, le contrôle des armes nucléaires, les accords de désarmement, la non-prolifération, etc., nous permettraient de résoudre ce risque limité, mais inconnu, de recours à des armes nucléaires à des fins terroristes.

Vous nous soumettez là un nouveau casse-tête, et je ne suis sans doute pas expert en la matière. Je signalerais simplement que la fabrication d'une arme nucléaire n'est pas aussi facile qu'on voudrait nous le faire croire. La théorie, la description sommaire du procédé de fabrication, est sans doute à la portée d'un étudiant en physique un tant soit peu doué. Mais les moyens techniques nécessaires pour en fabriquer une sont très complexes et extrêmement coûteux. Vous nous soumettez un véritable casse-tête, mais je ne pense pas qu'on puisse le résoudre par les politiques de non-prolifération.

• 1010

M. Bob Mills: Permettez-moi de vous interrompre brièvement. On nous montre à la télévision des bombes nucléaires contenues dans une mallette. Est-ce de la pure fiction...

M. Paul Buteux: Non.

M. Bob Mills: ... ou s'agit-il de bombes réelles?

M. Paul Buteux: L'OTAN en a déployé deux dans les années 60. Elle les a retirées, je crois, au début des années 80. C'était ce qu'on appelait des munitions de démolition atomiques. Elles avaient été confiées à deux équipes, l'une de deux hommes et l'autre de cinq. La première pesait environ 40 kilogrammes. Il est donc possible d'en fabriquer de très petites.

Enfin, l'OTAN a déployé des engins nucléaires susceptibles d'être montés sur la pointe d'un obus de 155 millimètres. Je ne sais pas si vous avez déjà vu un obus de 155 millimètres, mais cela n'est pas bien gros. Quant à l'ogive nucléaire en question, elle est très lourde, mais de très petite dimension.

La bombe dans une mallette, ce n'est pas du roman, c'est la réalité. Ce n'est pas facile à fabriquer, mais pour des pays comme les États-Unis et la Russie, qui fabriquent toutes sortes d'armes nucléaires depuis des années, ce n'est plus du roman, c'est une possibilité réelle.

J'aimerais vous répondre à propos de la Chine; j'enseigne la politique internationale depuis 30 ans, et j'attends depuis 30 ans que la Chine devienne une superpuissance. Elle n'y est pas encore parvenue, et je me demande si elle y parviendra jamais.

Je signale cependant qu'au moment où toutes les autres puissances nucléaires déclarées réduisent leur arsenal, la Chine est la seule à augmenter le sien.

Mme Peggy Mason: J'aimerais moi aussi répondre à ces questions.

Pour parler tout d'abord de la Chine, elle a encore bien du chemin à faire avant de devenir un sujet de préoccupation sérieux pour les trois puissances nucléaires occidentales.

L'élément essentiel dans ce débat, c'est qu'il n'est pas question de désarmement nucléaire unilatéral. Le désarmement est fondé sur des négociations entre les cinq États qui disposent de l'arme nucléaire. Autrement dit, lorsque les États-Unis auront réduit leur arsenal à un niveau qui les obligera à considérer la puissance du programme nucléaire de la Chine, ils suspendront leur opération de réduction, à moins que la Chine ne se joigne aux négociations. Bref, il n'est pas question de désarmement nucléaire unilatéral.

Mais laissez-moi vous livrer maintenant mon argument essentiel: c'est précisément à cause de mes préoccupations concernant les États délinquants que je souhaite une mise à jour de la politique nucléaire de l'OTAN. À mon avis, la seule crédibilité qu'on puisse reconnaître à l'arme de dissuasion nucléaire, c'est qu'elle dissuade qui que ce soit d'y recourir. On peut du moins prétendre que c'est là son utilité.

Quant au débat tout à fait différent sur la menace terroriste et celle des États délinquants, ce dont on a besoin de toute évidence, à défaut d'une intervention militaire contre le pays délinquant, c'est d'un régime international très fort.

Je considère l'Irak comme un exemple important. Après la guerre du Golfe, la communauté internationale a accordé un appui massif aux Nations Unies. Le Conseil de sécurité a unanimement demandé la mise en place du régime de contrôle le plus minutieux qui soit. Grâce à ce régime, il a été possible non seulement de rechercher, mais également de trouver et de détruire des armes de destruction massive, qu'elles soient chimiques, nucléaires ou biologiques, et de mettre en place un système de surveillance à long terme dans toutes les installations industrielles susceptibles de permettre à l'Irak de reconstituer sa capacité de destruction. Ces opérations n'ont pu être menées que grâce à un consensus international très fort.

Quel est le problème actuel? De quoi se sert Saddam Hussein actuellement? Il se sert de la désunion de la communauté internationale. Il exploite le fait qu'indépendamment du parti pris de la politique américaine au Moyen-Orient, l'attitude du Congrès américain a paralysé les Nations Unies en les privant des milliards de dollars que leur doivent les États-Unis. Ces derniers ont fait fi de l'opinion de la communauté internationale, selon laquelle ils devaient s'acquitter de leur dette.

• 1015

Maintenant qu'ils viennent nous dire qu'il faut s'opposer à Saddam Hussein au nom de la communauté internationale—et je reconnais que c'est ce qu'il faut faire—une grande partie de cette communauté internationale se montre réticente. Même si tout le monde reconnaît en définitive qu'une action s'impose, c'est la désunion qui prévaut. On remarque au Conseil de sécurité un désaccord fondamental auquel correspond une désunion encore plus vaste dans la communauté internationale.

Je considère que pour contrer avec succès des menaces comme celles de Saddam Hussein, il faut un appui international massif. Quelque mise à jour que puisse nécessiter la politique de non-prolifération—et je suis d'accord avec mon collègue sur la nécessité de cette mise à jour—il est évident que la recherche de nouveaux arguments et de nouveaux prétextes au sein de l'OTAN pour tergiverser... Je ne demande pas une abolition du jour au lendemain; je dis qu'il faut entreprendre un débat sérieux sur la façon de franchir cette étape. Oui, j'affirme qu'on ne peut pas constituer une véritable coalition si l'on refuse à l'OTAN le droit de s'opposer à une première frappe nucléaire.

Comme l'a bien dit mon collègue, le véritable moteur de cette politique, c'est la nécessité d'une certaine cohésion. Je considère, pour ma part, que le Canada s'est toujours fié aux Nations Unies et aux mécanismes collectifs de sécurité; pour que cette politique soit valable à long terme, il faut qu'elle soit partagée par le plus grand nombre.

Le président: Je dois redonner la parole à M. Turp; peut-être aurons-nous assez de temps pour revenir ensuite de ce côté.

[Français]

M. Yves Le Bouthillier: Il est intéressant que vous ayez mentionné la Chine, puisque nous avons vu récemment que la dissolution de l'Union soviétique était venue compliquer le débat sur l'arme nucléaire. Il a fallu procéder à de nouvelles répartitions et faire des arrangements entre les États pour disposer de ces armes nucléaires. Il n'est pas impossible que des empires éclatent à l'avenir et, évidemment, plus il y a d'armes nucléaires, plus cela peut devenir compliqué. On ne peut pas prévoir ce qui arrivera à moyen terme. Quand on parle de la Chine, il y a des gens qui disent qu'il n'est pas impossible qu'il y ait des dissolutions d'empire. Cela peut arriver et c'est d'ailleurs déjà arrivé. Je pense qu'on pourrait se retrouver devant un problème à cet égard. Vous parlez d'États, de rogue states. Il n'est pas impossible que les États se brisent, et là aussi il peut y avoir un problème. Je crois qu'il faut aussi penser à de telles possibilités. Pourquoi? Même si ce n'est qu'une mince possibilité, les conséquences peuvent être énormes. Merci beaucoup.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): D'abord, j'aimerais remercier les trois témoins d'avoir pris le temps de venir devant notre comité et de nous présenter, de façons très différentes d'ailleurs, leurs points de vue. Notre ami Le Bouthillier est un juriste qui fait l'analyse d'une décision dont son collègue Buteux dit qu'elle n'est pas pertinente en définitive et qu'elle n'a aucune influence sur le comportement des États, alors que Mme Mason—et j'ai trouvé cela intéressant—laisse entendre que la politique de l'OTAN devrait tenir compte de cet avis de la Cour internationale de justice et être revue à la lumière des prescriptions que la Cour a présentées dans son dispositif.

J'aimerais présenter ma question ou mes questions autour de la décision de la Cour et de ce que l'on peut en penser dans chacun de vos milieux. Ma première question s'adresse à M. Le Bouthillier. D'ailleurs, je vous dirai que je ne suis pas surpris du tout, si vous me permettez de faire un commentaire un peu politique, que le Canada n'ait pas pris position sur la décision ou ait été très modeste dans ses réactions, parce qu'il avait dit que la Cour internationale de justice ne devait pas se pencher sur une question politique. On aimerait bien qu'elle ait la même attitude à l'égard d'autres questions, puisqu'il semble qu'elle veuille jouer un rôle politique dans d'autres tribunaux, dont les tribunaux internes par exemple.

• 1020

Mais voilà, je ne suis pas surpris de cette attitude, bien que le Canada ait parlé de cette partie du dispositif du jugement de la Cour qui a été adoptée à l'unanimité et qui veut qu'il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme les négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects sous un contrôle international strict et efficace.

C'est la question que je vous adresse, monsieur le professeur Le Bouthillier. Est-ce que, selon vous, cette obligation qu'on retrouve à l'article 6 du Traité de non-prolifération nucléaire est une obligation qui résulte du droit coutumier, parce qu'il y a quelques États qui ne sont pas partie à ce Traité de non-prolifération nucléaire? Quelle est votre opinion juridique?

M. Yves Le Bouthillier: C'est une excellente question dans la mesure où je pense que c'est un des développements importants de l'avis de la Cour. À la toute fin de son avis, la Cour a émis un commentaire, commentaire qu'elle n'avait pas à faire pour répondre directement à la question. Elle a non seulement invoqué l'article 6 du Traité de non-prolifération, mais aussi parlé d'une obligation de tous les États, quels qu'ils soient. À cet égard, je pense que tous les gens qui ont écrit depuis conviennent que la Cour visait davantage que l'article 6 du Traité et qu'en ce sens-là, oui, c'est une obligation qui liait l'ensemble des États. C'est d'ailleurs pour cela que cela a été vu comme un aspect important de la décision, parce que la Cour n'avait pas à dire cela. Elle est allée plus loin.

M. Daniel Turp: Est-ce que cette vue est partagée par d'autres publicistes qualifiés comme vous, à savoir que cette obligation est de droit coutumier?

M. Yves Le Bouthillier: À la lumière même du jugement de la Cour et également selon Roger Clark, qui avait participé au débat, je pense que... Par ailleurs, Matheson, qui représentait le gouvernement américain, avait peut-être une vue un peu plus restrictive. Beaucoup de ceux qui ont écrit depuis sur cette question étaient des juristes engagés de part et d'autre dans le débat. Dans ce sens-là, vous serez tenté de dire que tout le monde essaie de tirer un peu la couverte de son côté.

Cela étant dit, n'y ayant pas participé, je regarde cela et me dis que l'avis est très ambigu, bien qu'à cet égard je le trouve très clair. Il y a l'article 6 et ensuite on énonce que tous les États ont l'obligation de négocier et de conclure un accord sur les armements à la lumière de l'avis de la Cour.

M. Daniel Turp: Dans cette même perspective, ma deuxième s'adresse à Mme Mason. Vous parlez justement de l'avis de la Cour et de son rapport avec l'OTAN. Est-ce cette partie du dispositif que vous avez en tête qui obligerait les pays membres de l'OTAN, et l'OTAN elle-même, à participer à un effort pour le désarmement nucléaire dans tous ses aspects? Est-ce bien ce que vous avez en tête lorsque vous parlez du rapport entre l'OTAN et la Cour internationale de justice ?

Mme Peggy Mason: Non, pas spécifiquement. Premièrement, j'aimerais dire que l'autre décision adoptée à l'unanimité par la Cour internationale portait sur l'application du droit humanitaire aux menaces ou à l'utilisation des armes nucléaires. Cette décision a aussi été adoptée à l'unanimité.

[Traduction]

Voilà exactement ce que je voulais dire. L'un des deux éléments unanimes de l'avis consultatif, c'est que l'utilisation ou la menace d'utilisation des armes nucléaires doit être compatible avec les exigences du droit humanitaire international.

Je remarque au passage que la réserve du Canada envers le protocole de Genève sur les mines terrestres, à savoir que le droit humanitaire ne s'applique pas aux armes nucléaires, n'est pas fondée. Il s'agit d'une décision unanime de la cour.

Évidemment, la cour se heurte à une difficulté. Après tout, il s'agit d'un avis consultatif. La cour essaie de définir l'état général du droit et de donner des lignes directrices fondées sur les traités et le droit coutumier qui permettraient de trancher un litige concret. Dans cette décision, de toute évidence...

• 1025

Revenons un peu en arrière. Dans ce débat sur la décision de la cour, si nous voulons citer quelques chiffres—et je pense qu'il faut le faire en l'occurrence—sept juges, dont le président de la cour, ont décidé que l'utilisation ou la menace d'utilisation d'une arme nucléaire était illégale dans tous les cas, sauf un, à savoir la survie d'un État, dont M. Le Bouthillier a parlé. Trois des juges ont estimé que l'utilisation ou la menace d'utilisation était illégale en toutes circonstances. Autrement dit, une partie de l'opinion minoritaire de la cour était favorable à une interdiction complète des armes nucléaires. Quatre juges ont considéré que l'utilisation ou la menace d'utilisation n'était pas fondamentalement contraire au droit international.

Autrement dit, 10 des 14 juges ont affirmé que l'utilisation ou la menace d'utilisation était généralement ou toujours illégale.

Dans ce contexte, il me semble que parallèlement aux mesures prises de bonne foi par les puissances nucléaires en faveur du désarmement nucléaire, il existe également une obligation qui pèse sur tous les États membres de l'OTAN. Et nous revenons ici à l'argument de M. Turp.

Tous les États membres de l'OTAN, et en particulier ceux qui n'ont pas d'armes nucléaires et qui croient en l'importance du droit international, comme le Canada, ont l'obligation de veiller à ce que la politique de l'OTAN s'efforce dans la mesure du possible de se conformer à cette décision.

Dans la mesure où cette décision limite les circonstances dans lesquelles il est possible de recourir légalement à l'armement nucléaire—et je pense que c'est là son sens véritable—l'OTAN devrait essayer, dans le cadre de la révision de sa politique, de restreindre les circonstances dans lesquelles un recours aux armes nucléaires est possible. Il est intéressant de remarquer que c'est précisément ce qu'ont déclaré les chefs de gouvernement et les chefs d'État en 1990.

Je vois un paradoxe dans l'énoncé de politique de haut niveau formulé en 1990 par les chefs de gouvernement et les chefs d'État de l'OTAN, lorsqu'ils ont dit qu'ils allaient modifier cette politique pour faire de l'arsenal nucléaire une arme de dernier recours. À mon avis, cette formule est très proche de la décision de la Cour internationale de justice.

Or, si l'on considère les mesures qu'ils ont prises par la suite—dans mon document, je les cite spécifiquement—elles ont un effet tout à fait opposé. Dans la politique réellement mise en oeuvre, l'OTAN ne s'engage pas à considérer les armes nucléaires comme des armes de dernier recours. C'est plutôt le contraire. L'OTAN affirme que la pierre angulaire de sa politique est l'incertitude. Autrement dit, tout est possible. Nous nous réservons le droit de déterminer à quel moment nous pouvons y recourir. C'est donc tout à fait le contraire.

Ce que je demande—et j'insiste une fois de plus—c'est qu'à l'occasion de cette révision de la politique de l'OTAN, le Canada demande que cet engagement pris au plus haut niveau, cette expression, «armes de dernier recours», utilisée par nos dirigeants, soit traduit en termes techniques concrets dans le concept stratégique de l'OTAN.

[Français]

M. Daniel Turp: Merci, madame. Vous êtes très énergique, mais j'aimerais aussi entendre M. Buteux répondre un peu à cela.

Mme Peggy Mason: Bien sûr.

M. Daniel Turp: Monsieur Buteux, lorsque l'ambassadeur Douglas Roche était venu ici et avait répondu à une de mes questions, il s'était montré un peu moins cynique que vous sur la question de l'élimination éventuelle des armes nucléaires. Il nous a dit que ce qui est important,

[Traduction]

le point crucial,

[Français]

comme il le disait, c'est les États-Unis. Il faut réussir à influencer les États-Unis. C'est là qu'est vraiment le nerf de la guerre. Est-ce que vous êtes d'accord sur cela? S'agit-il moins de la Cour internationale de justice que des États-Unis? Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

M. Paul Buteux: Pour parler franchement, Doug Roche, au demeurant le meilleur homme du monde, est complètement dans l'erreur.

Il a raison sur un point. Les États-Unis constituent effectivement le point crucial. Pourquoi en est-il ainsi? Eh bien, parce que les États-Unis sont actuellement la seule puissance hégémonique. Ils ont un arsenal nucléaire opérationnel offrant la plus grande souplesse d'utilisation. À moins d'une intervention des États-Unis, il ne se passera rien. Voilà tout simplement la réalité.

Les négociations essentielles à l'heure actuelle se déroulent entre les États-Unis et la Russie. Cette dernière ne peut prendre aucune initiative, mais elle est inquiète. Les Américains se préoccupent de la Russie, puisque c'est la seule grande puissance nucléaire sur terre. L'issue de ces négociations sera déterminante dans le débat sur les armes nucléaires.

• 1030

Je n'ai pas eu le temps d'en parler dans mon exposé et je n'aborde pas ce sujet non plus dans mon mémoire, mais on peut valablement prétendre qu'au lendemain de la guerre froide l'utilité et la prolifération des armes nucléaires présentent un intérêt croissant. Et cet argument, qu'on l'accepte ou non, n'est pas facile à réfuter. La situation mondiale actuelle n'est pas propice au désarmement nucléaire; au contraire, on peut considérer qu'un nombre croissant d'États voudront se doter d'un arsenal nucléaire.

Après la guerre du Golfe...

M. Daniel Turp: Et pourquoi Doug Roche est-il dans l'erreur? Vous ne l'avez toujours pas dit.

M. Paul Buteux: Pourquoi est-il dans l'erreur? Parce qu'il n'y aura pas de désarmement nucléaire. C'est bien simple. On ne se débarrassera jamais des armes nucléaires. Tant que le monde sera divisé en divers États comme il l'est aujourd'hui, il y aura des armes nucléaires.

Ce que je crains, c'est que les États ne veuillent de plus en plus en faire l'acquisition. Les contraintes qui ont limité le nombre des puissances nucléaires à l'époque de la guerre froide ne s'appliquent plus aujourd'hui. On peut voir dans le rapport de la Commission de Canberra et dans le rapport de l'Académie nationale des sciences, qui sont à l'origine de la démarche vers une élimination ou une interdiction des armes nucléaires, que les États-Unis devront jouer un rôle essentiel pour garantir la sécurité et pour imposer en fait une pax Americana.

À mon avis, cette opinion présente deux inconvénients. En un certain sens, elle est réaliste. Le problème, c'est que les États-Unis ne seront peut-être pas d'accord pour assurer le bien public et ne voudront peut-être pas l'assurer s'ils ne disposent pas d'armes nucléaires. Ces rapports comportent donc une contradiction fondamentale.

Le deuxième inconvénient, c'est que ces rapports émanent du monde libéral occidental, malgré le caractère cosmopolite des comités qui les ont produits. Ils présentent le point de vue d'un monde occidental opulent et repus. N'ayons pas peur des mots: on a refusé de reconnaître qu'un grand nombre de gens, d'États et de pays considèrent précisément que cette pax Americana fait elle-même partie du problème. Les armes nucléaires présentent notamment l'avantage de pouvoir contester cette pax Americana.

Je ne sais pas si c'est vrai, mais il paraît qu'après la guerre du Golfe, le chef d'état-major de la défense de l'Inde a dit qu'on ne pouvait pas battre les États-Unis sur leur propre terrain. La technologie militaire perfectionnée dont disposent les États-Unis empêche les pays moins puissants comme le nôtre de contester leur puissance militaire. La seule solution, c'est l'arme nucléaire.

[Français]

M. Yves Le Bouthillier: Peut-être juste pour...

Le président: Excusez-moi, mais vous avez déjà eu 15 minutes. Peut-être aurez-vous la chance de revenir plus tard.

Monsieur Bachand.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Ce qui est intéressant ce matin, c'est que le comité s'est fait brasser la cage, pour reprendre une expression de chez nous. En écoutant les interventions ce matin, on se rend compte que le Canada, ou du moins son ministre, n'est pas prêt à prendre son bâton de pèlerin et à aller partout dans le monde dire qu'il faut abolir les armes nucléaires. Il y a beaucoup plus de travail que cela à faire. Il ne s'agit sûrement pas d'une problématique comme celle des mines antipersonnel. Cela s'est avéré un succès diplomatique, bien qu'au niveau de l'applicabilité, ce soit une autre chose.

• 1035

J'aimerais peut-être aussi revenir à M. Buteux et parler de l'applicabilité des conventions sur les armes nucléaires, en supposant que la majorité ou même la totalité des pays s'entendent. L'application des conventions internationales est toujours difficile, et c'est pourquoi je crois que l'avis de la Cour internationale de justice dont on parle ne vaudrait pas cher en cas de conflit.

Pour étudier la problématique de ces conventions, on n'a qu'à se pencher sur ce qui se passe en Irak. Depuis 1925, on a à Genève un protocole qu'on a modifié et qui interdit la production, l'entreposage et l'utilisation des armes chimiques et bactériologiques. C'était en 1925, il y a près de 75 ans. L'Irak signait ce protocole en 1972. On dit aujourd'hui qu'il faut intervenir en Irak parce qu'il s'y trouve des armes chimiques et bactériologiques. La problématique nucléaire remet aussi en question l'applicabilité des conventions internationales. À mon avis, ce n'est pas un pouvoir dont dispose la Cour internationale de justice.

Monsieur Buteux, j'aimerais vous entendre sur la question de l'applicabilité. J'ai cru comprendre que vous disiez que les armes nucléaires avaient toujours existé. Cela étant dit, je crois qu'on doit viser un objectif d'élimination, pour faire en sorte qu'il y ait éventuellement une plus faible prolifération. Effectivement, je ne pense pas, à moins que vous ne viviez très longtemps, que vous puissiez voir cette terre sans armes nucléaires. Je vous souhaite de vivre très longtemps, mais je pense que ni vous ni moi ne vivrons assez longtemps pour cela.

J'aimerais donc vous entendre sur l'applicabilité des différentes ententes qui existent. Bien qu'il s'agisse de situations différentes, peut-être pourriez-vous ramener la problématique du nucléaire à ce qu'on a vécu au cours de la dernière année au niveau des mines antipersonnel et des conventions régissant les armes chimiques et bactériologiques qui feront peut-être en sorte que le Canada partira en guerre.

Monsieur Le Bouthillier, j'ai beaucoup aimé votre intervention. Vous disiez entre autres que la Cour parlait de situations extrêmes et de survie de l'État. Deux grands volets étaient soulignés: les volets politique et humain, donc la survie de la population. Mais on a souvent fait des guerres sous le drapeau économique, en raison de l'aspect économique.

En réponse à une première question de M. Mills, vous aviez traité de la question des frontières. Comme vous le savez, lorsqu'on regarde les frontières des pays il y a 150 ans et aujourd'hui, on constate que c'est complètement différent. Il y a 40 ans, on avait des blocs, tandis que c'est maintenant plutôt un casse-tête dont les morceaux s'additionnent d'année en année. Encore là, comment peut-on appliquer une convention, ou comment peut-on faire pour que ces États acceptent de ne pas jamais avoir en leur possession des armes nucléaires?

Alors, monsieur Buteux, et ensuite M. Le Bouthillier.

[Traduction]

M. Paul Buteux: Je vous dirai deux choses. D'abord, les armes nucléaires sont régies par un droit précis. En effet, il existe des documents fondés sur des principes juridiques qui sont reconnus par les États-Unis et auxquels ils se conforment. Donc, ce droit s'applique. Il ne s'agit pas d'un droit coutumier. C'est un droit qui découle des conventions ou des traités, et auquel se rattachent l'ensemble des accords de contrôle des armements et de désarmement.

En 1987, les États-Unis puis l'Union soviétique ont signé pour la première fois un traité dans lequel ils s'engageaient à éliminer tous les missiles vecteurs d'armes nucléaires d'une portée de 500 à 5 000 kilomètres. Les deux parties ont respecté cet accord. Il existe tout un ensemble juridique fort complexe de traités qui régissent les armes nucléaires. Ce droit comporte peut-être une certaine ambiguïté, peut-être donne-t-il lieu à quelques tricheries, mais il est efficace, du moins tout autant, sinon plus, pour autant que je puisse en juger, que la limitation de vitesse dans notre pays.

Pourquoi est-il efficace? Il est efficace parce que les États auxquels il s'applique ont intérêt à s'y conformer. Le droit international n'est efficace que s'il est appliqué. S'il ne représente qu'un idéal, il ne vaut pas plus cher que des voeux pieux et ne sera jamais d'aucune utilité.

• 1040

Si j'ai des réserves sérieuses à propos de l'avis consultatif, c'est parce qu'il essaie de trouver un droit là où il n'y en a pas. Pour reprendre les propos des juges dissidents, le juge américain—je crois qu'il s'appelle Schwebel—a dit: «Il ne faut pas confondre le droit tel qu'il est avec le droit tel qu'on voudrait qu'il soit.»

Sauf tout le respect dû à Doug Roche et à tous ceux qui partagent son opinion, je dois dire qu'ils cèdent à une idée fausse très répandue voulant que le droit international soit de même nature que le droit municipal ou le droit national. Or, ce n'est pas le cas. Le droit international s'applique dans un contexte totalement différent.

Lorsque 14 éminents juristes se creusent les méninges et découvrent différentes sources de droit qui leur permettent d'affirmer que le recours aux armes nucléaires est incompatible avec le droit humanitaire, ils font peut-être, comme je l'ai dit, un exercice intellectuel utile, mais néanmoins totalement dénué de pertinence d'un point de vue juridique. S'il fallait que les armes nucléaires commencent à voler dans tous les azimuts, le dernier des soucis serait bien le droit humanitaire. La décision unanime des 14 juges de La Haye déclarant que tout cela est illégal est tout à fait hors de propos.

Si l'on veut véritablement gérer les risques et éviter une conflagration nucléaire, il est préférable d'aborder le problème d'un point de vue différent. À mon avis, tout cela frise l'absurdité. Il existe un droit régissant les armes nucléaires. Ce droit fonctionne efficacement. Pourquoi fonctionne-t-il? Parce qu'il se trouve que les circonstances sociales qui permettent à un droit de fonctionner, que ce soit ici au Canada ou ailleurs dans le monde, sont effectivement en place, et que ceux qui doivent impérativement se conformer à ce droit pour qu'il puisse s'appliquer ont effectivement intérêt à s'y conformer. Si ces conditions ne sont pas réunies, peu importe que l'on parle de droit municipal au Canada ou de droit international, ce droit sera inefficace.

Le président: Merci, monsieur Buteux. Je suis sûr que vous êtes un adepte de John Austin plutôt qu'un avocat de droit naturel. Puis-je présenter...

M. Paul Buteux: À mon avis, c'est bien simple: ce droit a une fonction sociale, et si la société ne préserve pas cette fonction sociale, il n'y a plus de droit.

M. Bob Mills: Cela tombe sous le sens. Je dirais tout simplement que c'est tout à fait juste. Du reste, c'est également l'opinion la plus courante concernant les avocats.

[Français]

Le président: Monsieur Le Bouthillier.

M. Yves Le Bouthillier: Il faut peut-être dire que la juge Rosalyn Higgins, avec qui vous avez enseigné, est une juge qui a manifesté sa dissidence dans le jugement de la Cour.

Je préciserai quelques points. D'abord, comme Mme Mason l'a bien indiqué, que l'on soit d'accord ou non, la Cour internationale de justice est après tout l'organe compétent pour affirmer que le droit international dit clairement que le droit international humanitaire doit s'appliquer. Mais ce n'est pas seulement la Cour, mais aussi les États-Unis, la Russie et tous les États qui ont dit que le droit humanitaire s'applique.

Maintenant, je préférerais peut-être non pas regarder ce qu'on appelle le jus in bello, le droit international humanitaire, mais plutôt le jus ad bellum. Dans quelles circonstances pourrait-on utiliser ou non l'arme nucléaire? Je pense avoir bien démontré, et cela revient à votre question de survie de l'État, qu'au nom de cette survie de l'État—même si le juriste américain engagé dans la cause Matheson avait dit que cela pouvait vouloir dire beaucoup de choses—, on a tenté de justifier beaucoup d'abus dans le passé. Alors, quand vous dites qu'il vaut peut-être mieux regarder le jus ad bellum, je crains que vous n'écartiez le domaine du droit pour en venir à un autre qui, dans le fond, n'offre pas de solution non plus.

Maintenant, je pense que l'argument que l'on pourrait défendre, c'est que l'international law works as it is now et que les traités existants prévalent. Je pense qu'on peut tenter de faire une analogie avec les infractions au Code de la route.

• 1045

À mon avis, le problème se situe au niveau de la certitude avec laquelle on le dit. Ainsi, dans le cas de l'arme nucléaire, on sait très bien que cette certitude doit être à 100 p. 100 parce que si cela ne fonctionne pas un jour, comme on vient de nous le dire, le droit international humanitaire n'aura plus d'importance. Pourquoi? Parce qu'effectivement, l'arme nucléaire fera en sorte qu'on va déshumaniser et faire disparaître l'humanité.

Alors, dans le fond, ultimement, tout cela revient un peu à un acte de foi. Ensuite, il faut décider si on va utiliser la voie juridique, par exemple, pour construire vers le désarmement ou non. Ce qu'on nous dit ici, c'est que cela fonctionne parce que cela a fonctionné pendant 45 ans et que cela continuera de fonctionner malgré le fait que le monde change.

Je reviens à vos propos sur les frontières. Ce que je voulais pointer du doigt quand je parlais des frontières, ce n'est pas qu'il serait difficile de faire la vérification. C'est que vous pouvez avoir des États nucléaires déclarés, comme la Chine, ou non déclarés, comme l'Inde, qui se scinderont peut-être un jour en d'autres États, et ce sera davantage compliqué. Vous allez avoir encore plus d'États, qu'ils soient rogue ou non, qui disposeront d'armes nucléaires. Il faut penser d'avance.

Maintenant, j'en reviens à l'autre aspect dont vous parliez: les armes chimiques. On vient tout juste de négocier une convention sur les armes chimiques avec un système de vérification extrêmement précis. Vous nous donnez le cas de l'Irak. En passant, il faut lire le Globe and Mail de ce matin où l'on rapporte que le général Lewis MacKenzie, qui a quand même une certaine expérience, n'est pas d'accord. Il ne pense pas que c'est le temps d'utiliser la force contre l'Irak. Nous convenons que Saddam Hussein continue de cacher des armes, mais il faut quand même dire que depuis quelques années, lorsqu'on parle de vérifications, de par les déclarations mêmes des Nations unies, on a presque complètement éliminé tout son matériel, nucléaire ou chimique. On parle maintenant d'armes bactériologiques. À mon avis, il fait tout en son possible pour essayer d'enlever les sanctions. Il y a donc un débat là-dessus.

Il est clair pour moi qu'ultimement, il est certain qu'il faut que cela soit soumis à un système de vérification. On a trouvé cela utile dans le domaine des armes chimiques, et il est clair que c'est aussi la seule solution pour les armes nucléaires.

Maintenant, il y a toujours, et je pense qu'on peut se rejoindre là-dessus et c'est évidemment pour cela que le droit existe, des gens qui vont à l'extérieur du droit. Alors, en ce qui a trait à l'arme nucléaire, l'idée est de construire un système qui empêche cela dans la plus grande mesure possible. Est-ce que c'est un contrôle international? Est-ce que c'est une vérification et un désarmement progressif? Le problème actuellement, c'est qu'on ne sent pas la volonté d'aller dans cette direction-là. Pourquoi? Je pense que certaines gens partagent l'opinion de M. Buteux, à savoir qu'on va toujours avoir l'arme nucléaire. Si on prend cette attitude, il est évident qu'on ne fera pas de progrès vers le désarmement puisqu'il n'est pas souhaitable dans cette analyse. Donc, il faut décider. C'est effectivement une question de certitude, mais on est pris entre deux extrémités réelles: la sécurité par la dissuasion ou encore la destruction.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Il nous reste 12 minutes; M. McWhinney et Mme Augustine voudraient poser des questions. Je vais leur donner la parole, et nous conclurons brièvement par la suite. Écoutons tout d'abord M. McWhinney, puis ce sera le tour de Mme Augustine.

M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Je remercie les témoins de nous avoir livré une palette plutôt qu'une unité d'opinions. La deuxième éventualité aurait été plutôt fastidieuse.

Je dois toutefois vous mettre en garde de ne pas accorder trop de crédit aux opinions de la Cour internationale de justice. Lorsque la chose était à l'étude au comité international qui a rédigé les mémoires—l'OMS et l'Assemblée générale—c'était l'hypothèse du maintien de la majorité militante qui avait fait qu'en 1986 la cour avait rendu son jugement dans l'affaire du Nicaragua par 14 voix contre une. Trois personnes qui auraient pu se représenter aux élections et qui étaient vraiment au coeur même du groupe militant—Nagendra Singh, Taslim Elias et Manfred Lachs— étaient morts. C'est donc une cour tout à fait différente.

Les problèmes qui se posent tiennent à ce qui est en fait le plus petit commun dénominateur: les opinions multiples, les opinions consultatives, qui sont simplement aboutées grâce à tous les talents de diplomate du président algérien Bedjaoui. Il ne faut donc pas y voir trop de choses.

Je me demande si je pourrais demander, pour mémoire, madame Mason... Vous êtes assez catégorique à plusieurs endroits de votre exposé, et j'aimerais vous demander des éclaircissements. Vous dites, par exemple, que la politique actuelle de l'OTAN «ouvre incontournablement sur l'option de l'utilisation d'armes nucléaires dans des circonstances contraires au droit international». Cela a- t-il un lien avec ce que vous dites au deuxième paragraphe: «La politique qui en résulte laisse à l'OTAN toutes les options nucléaires possibles, y compris celle d'une première frappe nucléaire»? Est-ce cela qui, comme vous le dites, est contraire au droit international: la première frappe nucléaire?

• 1050

Mme Peggy Mason: Ensuite, j'ai dit dans ma communication, dans laquelle j'aborde la question de façon plus détaillée, qu'il est possible d'envisager un cas pour lequel une première frappe nucléaire pourrait effectivement correspondre à cette exception possible. Par exemple, si un allié de l'OTAN était menacé par une attaque massive d'armes biologiques qui mettraient en danger la survie même de l'État, à ce moment-là une réponse nucléaire, qui serait une première frappe, étant donné que l'arme nucléaire n'aurait pas encore été utilisée, pourrait effectivement s'inscrire dans le cadre de cette exception possible. Bien sûr, je conviens avec vous que nous devons faire preuve de prudence en décidant jusqu'où aller. Mais là encore, j'en reviens à...

M. Ted McWhinney: Ce n'est pas une décision, c'est une opinion...

Mme Peggy Mason: Effectivement, une opinion consultative, mais qui cherche toutefois à préciser de façon péremptoire l'état actuel du droit international. Il n'empêche qu'à mon avis vous évoquez ici un élément très intéressant, c'est-à-dire qu'en partant de l'argument que certains membres de la cour semblent mettre de l'avant, on pourrait envisager au moins un cas dans lequel la première frappe pourrait s'inscrire dans le cadre de cette exception possible.

Quoi qu'il en soit, il me semble que le grand acte de cette intervention consiste à limiter autant que possible toutes les options, ce qui m'a conduit à avancer... Bien sûr, je ne présente pas cette cause en m'inspirant uniquement du jugement de la Cour internationale de justice. Mon argument repose également sur la déclaration qui, selon moi, traduisait fort bien ce que le public voulait entendre en toute sincérité, le genre de déclaration faite à un très haut niveau par les chefs de gouvernement et les chefs d'État selon laquelle l'arme nucléaire doit être une arme de dernier ressort pendant l'après-guerre froide, et non pas une arme de premier ressort, réelle ou potentielle. C'est sur ces deux éléments que je fonde mon argumentation selon laquelle l'OTAN envisage très sérieusement de revoir cette politique de la première frappe.

M. Ted McWhinney: Le président Nagendra Singh et moi-même avons étudié la question et avons tous deux conclu, avec hésitation, dirais-je, dans son cas, qu'il n'existe aucune loi excluant une première frappe nucléaire. Dans le meilleur des cas, c'est lex ferenda, et dans le pire des cas lex lata. Je ne trouve rien dans l'opinion consultative de 1996 qui soutienne le contraire, mais cela est essentiellement la démonstration de la proposition que vous formulez vous-même dans le premier paragraphe; ce n'est pas la première frappe.

Mme Peggy Mason: Ici encore, j'aimerais apporter un éclaircissement. Je ne veux pas dire que le jugement de la Cour internationale de justice, cette décision majoritaire dans la mesure où on peut l'interpréter ainsi, rendrait illégale une première frappe, quelles que soient les circonstances, mais ce jugement semble mettre sérieusement en cause une politique générale de première frappe dans tous les cas de figure, ce qui laisserait donc cette option ouverte. Voilà ce qu'est à mon avis la politique actuelle de l'OTAN. Je pense qu'il serait très utile de préciser et de bien circonscrire cela pour l'aligner sur ce que les chefs de gouvernement ont dit être prêts à faire de cette politique.

Je vous remercie.

M. Ted McWhinney: J'ai comme l'impression, professeur Buteux, que vous préféreriez sans doute la position du juge Oda, qui est beaucoup plus forte que celle du juge Schwebel. Soit dit en passant, les juges Oda, Schwebel et Higgins ont tous eu le même professeur de droit international, et c'est le genre de chose qui produit des effets assez étranges...

M. Paul Buteux: Une complicité.

Le président: Il serait préférable de ne pas vous lancer dans ce genre de discussion, étant donné que nous avons ici présents trois professeurs de droit international. Je pense à tous les étudiants corrompus dans le monde entier.

M. Ted McWhinney: Je ne parle pas de corruption.

Le président: Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Monsieur le président, je voudrais tout d'abord remercier nos témoins, qui nous ont présenté une série d'arguments très lucides. Je les ai écoutés avec beaucoup de plaisir. Mais je suis ici en tant que membre du comité et je sais que nous avons des recommandations à faire.

Pendant que vous présentiez vos arguments, je me suis demandé si vous nous disiez que nous devrions recommander une interruption, un statu quo, la poursuite du processus, ou ceci ou cela. Si vous faisiez partie du comité et si vous aviez des recommandations à faire, quelle serait la recommandation qui serait à votre avis la plus importante, celle dont nous devrions nous souvenir ce matin?

• 1055

Le président: Allons-y chacun à tour de rôle, en commençant par Mme Mason.

Mme Peggy Mason: Je dis ceci à la toute fin de ma communication:

    En conclusion, nous recommandons donc respectueusement que le Canada, à la suite de l'annonce récente par l'OTAN d'une révision de sa politique nucléaire, travaille de concert avec les autres États membres ayant la même opinion de manière à ce que ce concept stratégique soit désormais mieux aligné sur le droit international. En particulier, il s'agirait d'envisager sérieusement de travailler avec les autres alliés ayant la même opinion pour que l'OTAN accepte l'idée d'ouvrir des négociations entre les cinq États dotés d'armes nucléaires en vue de l'adoption d'un régime excluant toute première frappe nucléaire.

Je vous remercie.

Le président: Paul Buteux.

M. Paul Buteux: Je suis un théoricien, et ainsi il m'incombe de vous dire pourquoi cela ne fonctionnera pas au lieu de vous suggérer des choses qui pourraient aboutir.

M. Daniel Turp: Ce n'est pas la définition que je fais du terme.

M. Paul Buteux: J'aurais deux éléments, je pense, à faire valoir. Le premier est qu'à mon avis la politique du Canada doit partir de la prémisse selon laquelle aussi longtemps que ce sera possible du point de vue politique, il continuera à y avoir des armes nucléaires en grand nombre.

Le Canada est le proche allié de pays qui se sont dotés d'armes nucléaires et qui continuent à en avoir. À mon sens, la dernière chose à faire pour le Canada serait effectivement de se distancier sans motif de ses alliés les plus proches en condamnant les armes nucléaires pour des raisons hautement morales ou hautement juridiques. Voilà donc ma recommandation pour ce que selon moi la politique canadienne ne devrait pas faire.

Quant à ma recommandation pour ce que la politique canadienne devrait faire, je pense que le Canada aurait oeuvre utile à faire en repensant tout le problème de la prolifération, parce que je pense que l'actuel régime de non-prolifération est en train de s'effriter et qu'en poursuivant dans le même sens on ne parviendra sans doute pas à lui conserver sa cohésion.

Est-ce que j'ai une solution instantanée? Non. Mais je pense par contre qu'il y a au Canada une foule de talents, dans les milieux gouvernementaux et non gouvernementaux, qui pourraient s'atteler sérieusement à ce problème. Voilà ce que je recommande.

Le président: Monsieur Le Bouthillier.

[Français]

M. Yves Le Bouthillier: Je dois dire que je n'ai pas non plus de solution, ce qu'on appelle un quick fix. Par ailleurs, je pense que le Canada doit aller plus loin et respecter l'esprit de l'avis de la Cour, c'est-à-dire s'engager vers le désarmement et construire des alliances avec certains États qui partagent cet objectif.

Pour l'instant, à la suite de l'avis de la Cour, les Canadiens et Canadiennes ont besoin de savoir clairement de leur gouvernement si on va continuer avec le statu quo, c'est-à-dire ne pas encourager de prolifération, si on continuera sous le parapluie nucléaire de l'OTAN, avec la doctrine de la dissuasion, ou si on va s'engager plus activement vers le désarmement. Dans le fond, il s'agit un peu de choisir entre ce qui est réaliste et souhaitable pour l'humanité, parce que cela concerne pas uniquement le Canada. Est-ce une question de penser qu'on va toujours vivre avec l'arme nucléaire ou est-ce que le désarmement complet est possible?

Je ne pense pas que le gouvernement canadien ait jusqu'à maintenant donné un signal clair sur cette question. Je pense que l'avis de la Cour, indépendamment de ses nombreuses ambiguïtés, nous invite à nous poser cette question, à faire un choix et à vivre avec les conséquences de ce choix.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie.

• 1100

Dans la même veine que Mme Augustine, monsieur Buteux, si je vous comprends bien... Il me semblait en effet que Mme Mason disait assez clairement, et le professeur aussi d'ailleurs, que peu importe le lien ou l'absence de lien avec le jugement de la Cour internationale de justice, la position de l'OTAN en matière de première frappe et l'incertitude qui en découle conduisent tout droit au danger de l'utilisation des armes nucléaires, ce qui signifierait alors bien sûr une violation du droit humanitaire international et toutes les autres conséquences qui s'ensuivraient.

Si je vous ai bien compris, vous nous dites que d'un point de vue pratique l'incertitude et la nature même de la doctrine de la première frappe qui a cours à l'OTAN nous prémuniraient plutôt contre le recours aux armes nucléaires précisément parce que cette doctrine crée un genre d'incertitude stratégique, et que le comité sera appelé à se prononcer non seulement sur la question morale, mais également, dans une certaine mesure, sur le plan pratique, parce quÂaprès tout nous ne voulons pas qu'on en arrive à utiliser des armes nucléaires, n'est-ce pas?

Je présume que les défenseurs de l'OTAN nous diront que c'est la meilleure façon de prévenir le recours aux armes nucléaires, alors que Mme Mason nous dira que c'est une pente dangereuse.

Je veux m'assurer de vous avoir bien compris. Êtes-vous de ceux qui croient que la position actuelle de l'OTAN est en fait la meilleure garantie qui soit contre le recours futur à des armes nucléaires?

M. Paul Buteux: Je suis heureux que vous me posiez la question, mais je ne me souviens pas d'avoir mentionné l'OTAN dans ce que j'ai dit. Je ne crois pas en avoir parlé.

Le président: Je suis désolé, mais lorsque vous nous avez dit de ne pas jouer avec la théorie, j'ai cru que vous nous disiez de ne pas jouer les trouble-fêtes à l'OTAN.

M. Paul Buteux: En ce qui concerne l'usage en premier, honnêtement, je suis agnostique, parce que j'ai toujours trouvé que ces déclarations ne voulaient rien dire. Essentiellement, la question de l'emploi en premier de ces armes nucléaires est sans pertinence et ne sert qu'à nous rassurer du point de vue diplomatique.

Si vous tenez d'autres audiences sur la nécessité pour l'OTAN d'avoir des armes nucléaires, je serai ravi de revenir et de vous présenter un mémoire.

Le président: D'accord.

M. Paul Buteux: Cette question ne m'apparaît pas terriblement importante pour l'OTAN en ce moment. Il n'y a pas de cible pour ces armes nucléaires de toute façon. Elles ne servent qu'à des fins symboliques. Elles ne servent qu'à combler les besoins politiques très différents des Français, des Britanniques, des Américains, des Allemands et de certains autres.

À mon avis, l'OTAN n'a pas de stratégie d'utilisation de ces armes nucléaires. Elle possède des armes nucléaires et a des raisons d'en avoir, mais elle n'a pas de stratégie.

Le président: Je résumerai donc votre position en reprenant les paroles de Dean Acheson, qui a dit qu'il y a des questions auxquelles le droit international ne s'applique pas. Je pense qu'il a fait cette déclaration au moment de la crise des missiles cubains. J'en conclus que c'est votre position aussi.

M. Ted McWhinney: Il a parlé de «survie de l'État» en 1963, expression que tout le monde a reprise depuis sans lui en donner le crédit.

Le président: Chers collègues, nous allons faire une pause avant notre prochaine séance. Mais auparavant nous devons régler une question de procédure. Je vais demander à M. McWhinney de nous en parler, mais je vais d'abord l'expliquer brièvement.

Il y a en fait deux questions à régler. Nous pouvons régler les deux en même temps ou n'en régler qu'une aujourd'hui. Il y a deux questions.

Premièrement, nous devons entendre les fonctionnaires jeudi; cette séance devrait-elle se tenir à huis clos pour qu'ils puissent nous donner le plus d'informations possibles ou croyez-vous que la réunion devrait être publique?

Deuxièmement, M. Laverdure, qui viendra nous entretenir de la situation qui prévaut en Algérie, a aussi dit que son témoignage pourrait être plus utile au comité s'il était présenté à huis clos. Tout cela se passerait le 17 février. Nous devons en décider. Si la discussion se prolonge, nous ne pourrons régler la question aujourd'hui, parce que nous n'avons pas beaucoup de temps. L'ambassadeur Gooch nous attend.

Réglons d'abord la question de l'OTAN. Aux termes de la procédure, c'est possible. Nous entendrons quatre témoins jeudi. Nous pourrions tenir deux séances et entendre d'abord les deux fonctionnaires à huis clos, puis entendre les deux autres témoins en public; nous pourrions aussi entendre les quatre témoins en public. Nous devons régler cette question dès maintenant avant de passer au point suivant.

Monsieur McWhinney, vous voulez peut-être faire quelques remarques, tout comme d'autres membres du comité.

Mme Jean Augustine: Pouvons-nous remercier les témoins?

• 1105

Le président: Oui, excusez-moi. Nous ne levons pas la séance tout de suite, mais si les témoins veulent partir, ils peuvent le faire.

Nous promettons de ne pas vous demander ce que vous pensez de cette question. Merci beaucoup d'être venus.

Merci, madame Augustine, de m'avoir rappelé à l'ordre.

En ce qui concerne la question de procédure, monsieur McWhinney...

M. Ted McWhinney: À ce sujet, les témoins du ministère ne demandent pas une séance à huis clos pour se protéger, mais il y a des politiques; elles ne sont pas nécessairement gravées dans le marbre, mais la situation actuelle est telle que les témoins ne peuvent nous rencontrer qu'à ces conditions. À nous de décider si nous voulons les entendre ou non. C'est aussi simple que cela.

J'ai eu des discussions sur des enjeux à long terme, mais, je le répète, nous ne sommes pas en mesure de modifier les règles de base pour l'instant. Les fonctionnaires pourront donc témoigner seulement à huis clos. Si nous préférons ne pas les rencontrer à huis clos, ils comprendront et accepteront poliment notre décision.

Pour ce qui est du long terme, j'ai pris note des opinions des membres du comité, et les pourparlers se poursuivent.

Le président: J'en conclus que si nous voulons entendre le témoignage des fonctionnaires, il faudra que cela se fasse à huis clos. Les autres témoins n'ont pas de préférence.

M. Ted McWhinney: Non. Les fonctionnaires sont disposés à témoigner à huis clos, conformément aux règles établies pour eux. Si nous ne voulons pas les entendre à huis clos, ils comprendront et se plieront à notre décision.

[Français]

M. Daniel Turp: Je ne comprends pas très bien. Ils seront là si les séances sont tenues à huis clos, mais si nous ne siégeons pas à huis clos, ils n'y seront pas.

M. Ted McWhinney: Il est bien possible qu'ils acceptent de témoigner en public, mais on pourra s'attendre à ce qu'ils fassent preuve de réserve. Le contenu des témoignages risque donc d'être considérablement différent. On peut en principe prévoir de nombreuses autres séances publiques sur ce point, mais en ce qui concerne la situation immédiate, il est clair qu'on a le choix entre l'un et l'autre.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Monsieur le président, l'autre jour, on a entendu à huis clos un ambassadeur du Canada, M. Moher. Il n'a rien dit qui n'aurait pas pu être dit en public. J'ai trouvé ce huis-clos inutile. Cette comparution a fait en sorte que ce comité a été l'objet de critiques à mon avis fondées et justifiées. Nous connaissons les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Ils ont trop souvent, et c'est peut-être leur métier qui leur a appris cela, la langue de bois.

Je ne vois pas ce qu'ils pourraient nous dire qui ne serait pas d'intérêt public, parce qu'ils ont l'habitude de ne pas dire, même devant des parlementaires, ce qu'ils pensent ou ce qu'ils ne peuvent pas dire. Ce comité va encore s'attirer des critiques, à mon avis sérieuses et justifiées, d'un public qui souhaite que ces délibérations soient le plus ouvertes possible et qu'on puisse y participer. Et puisque la question de l'OTAN est une des questions les plus importantes, à mon avis, ce huis-clos sera sans intérêt. Ils vont dire la même chose devant nous qu'ils diraient en présence de quelques représentants d'ONG, d'autres groupes d'universitaires ou d'étudiants qui assisteraient à nos séances.

[Traduction]

M. Ted McWhinney: C'est une question de politique gouvernementale. Le ministère des Affaires étrangères occupe une position particulière. Ces fonctionnaires sont extrêmement compétents et savent s'exprimer et bien choisir leurs mots, mais nous ne pouvons changer notre relation avec le ministère sans que cela ait une incidence sur les autres ministères.

Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne l'ambassadeur Moher: c'est un homme qui se maîtrise parfaitement, qui maîtrise bien ses mots. Les discussions se poursuivent. Toutefois, pour ce qui est de la comparution de M. Laverdure, il faudra tenir compte d'autres facteurs, car il s'agit là aussi d'enjeux hautement politiques.

• 1110

Le président: Il importe que la discussion ne se prolonge pas, car M. Gooch attend, et nous n'avons que jusqu'à midi. Je pense que nous pouvons trancher rapidement.

M. Assadourian voudrait faire une remarque.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Je voudrais avoir une précision. Lorsqu'on tient une séance à huis clos, cela signifie qu'il n'y a pas de compte rendu ni de radiodiffusion, n'est-ce pas?

Le président: Il y a un compte rendu, mais il n'y a pas de radiodiffusion ni de public.

M. Sarkis Assadourian: Cela ne m'empêche pas de répéter par la suite ce que les témoins ont dit; quelle est alors l'utilité du huis clos?

Le président: Il est entendu qu'on demande le huis clos précisément pour permettre aux députés d'obtenir des informations délicates qui leur permettront de bien faire leur travail. S'ils s'empressent de répéter ce qu'ils ont entendu en sortant de la réunion, cela ne sert à rien. Mais nous n'avons jamais eu ce problème à ce comité-ci. Les membres du comité ont toujours respecté la confidentialité des discussions, parce que nous savons tous que si nous ne le faisons pas, au bout du compte, nous ne pourrons obtenir ces informations si délicates. Les députés comprennent que c'est ainsi que cela fonctionne.

Si j'ai bien compris le secrétaire parlementaire, lui et les fonctionnaires du ministère sont d'avis que ces informations délicates pourraient être communiquées au comité mais pas en public. Nous devons donc décider si nous voulons entendre ces témoignages ou non.

M. Ted McWhinney: Oui, sans exclure d'autres décisions à long terme.

Le président: Sans exclure la possibilité de tenir d'autres audiences dans l'avenir, etc. Seul le témoignage des deux fonctionnaires se ferait à huis clos. Manifestement, le reste de la réunion avec les deux professeurs se fera comme d'habitude en public.

J'aimerais mettre la question aux voix.

[Français]

M. Daniel Turp: Je voudrais bien comprendre qu'on parle ici seulement du témoignage des deux experts du ministère, et non pas de celui de M. Laverdure.

Le président: Non, pas pour le moment. Nous devrons revenir à ce sujet, faute de temps.

M. Daniel Turp: D'accord. Seulement au sujet de ces deux experts.

Le président: Sur la question de l'OTAN.

[Traduction]

Tenons-nous un vote? Monsieur Mills, voulez-vous un vote?

M. Bob Mills: Non, ça va.

Le président: Monsieur Turp, voulez-vous un vote?

M. Daniel Turp: Oui, mettons la question aux voix.

Le président: D'accord. Que ceux qui sont pour que les deux fonctionnaires témoignent à huis clos jeudi matin et que les autres témoins témoignent en public lèvent la main.

(La motion est adoptée)

Le président: Merci beaucoup.

Nous faisons maintenant une pause de deux minutes. Je crois qu'on réclame cette pause pour permettre à notre témoin, M. Gooch, de prendre place à la table.

La séance est suspendue pour deux minutes; nous demandons à l'ambassadeur Gooch de bien vouloir prendre place à la table. Merci beaucoup.