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CITI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CITIZENSHIP AND IMMIGRATION

COMITÉ PERMANENT DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 25 mars 1998

• 1635

[Traduction]

Le président (M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.)): La séance est ouverte. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous étudions la recommandation 155 du rapport du Groupe consultatif sur la révision de la législation intitulée: «Au-delà des chiffres: l'immigration de demain au Canada» traitant particulièrement de détention et d'ordonnances d'expulsion

Au nom de tous les membres du comité, je remercie les témoins de nous avoir attendus patiemment pendant que nous participions à un vote à la Chambre. Nous sommes maintenant assez nombreux pour commencer la séance.

Je suis très heureux de vous présenter M. David Matas, avocat- conseil honoraire, qui représente B'nai Brith Canada. Je vais maintenant lui céder la parole.

La séance prendra la forme aujourd'hui d'une discussion ouverte. Autrement dit, si un membre du comité soulève une question qui vous semble intéressante, vous n'aurez qu'à me le laisser savoir si vous voulez poursuivre la discussion dans la même veine ou obtenir plus de précisions du témoin.

Monsieur Matas, je vous remercie beaucoup d'être venu.

M. Rubin Friedman (directeur, Relations avec le gouvernement, B'nai Brith Canada): Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Rubin Friedman et je suis directeur des Relations avec le gouvernement à B'nai Brith Canada. Je suis venu prêter main-forte à M. Matas.

Comme vous le savez, B'nai Brith Canada est la plus ancienne association nationale juive au Canada. Sa création à l'échelle mondiale remonte à 150 ans. Notre association oeuvre dans de nombreux domaines à l'échelle nationale et internationale, et plus particulièrement dans le domaine des droits de la personne. Nous connaissons bien la question des criminels de guerre. Notre association appartient au groupe national d'ONG qui, en collaboration avec la World Federalists Association, réclame la création d'un tribunal international des criminels de guerre.

David Matas est notre avocat-conseil honoraire depuis maintenant quelques années. C'est lui qui nous a représentés devant la Commission Deschênes. Il connaît à fond la question des criminels de guerre et le droit de l'immigration et on fait fréquemment appel à ses services comme expert-conseil dans ces domaines.

Je vais maintenant céder la parole à David qui vous expliquera les recommandations très précises que nous formulons au sujet des questions d'immigration et de citoyenneté liées à la présence de criminels de guerre au Canada.

M. David Matas (avocat-conseil honoraire, B'nai Brith Canada): Je vous remercie.

Comme notre groupe ne dispose que d'une demi-heure et qu'on m'a demandé de faire une déclaration liminaire d'au plus cinq minutes, je serai très bref.

Si je ne m'abuse, le comité s'intéresse surtout aux criminels de guerre contemporains par opposition aux criminels de guerre nazis, mais les questions qui se posent dans chaque cas sont évidemment à peu près les mêmes. Certaines questions se rapportent plus spécifiquement aux criminels de guerre nazis, mais d'après notre expérience de ce dossier, le cas des criminels de guerre contemporains se rapproche beaucoup de celui des criminels de guerre nazis.

On peut cependant dire que la dénaturalisation, qui consiste à retirer la citoyenneté à quelqu'un, et la déportation n'ont un véritable effet dissuasif que dans le cas des criminels de guerre nazis qui sont ici depuis très longtemps. Dans le cas des criminels de guerre contemporains, seules des sanctions pénales peuvent avoir un véritable effet dissuasif.

Le droit pénal ne permet pas actuellement de vraiment régler la question des criminels de guerre. En raison de l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Finta, il faudra modifier le Code criminel pour remédier à la situation. Tant que ce ne sera pas fait, les criminels de guerre contemporains ne s'exposeront en venant au Canada qu'à la possibilité qu'on leur demande de partir, une mesure qui n'a pas vraiment de caractère dissuasif. Nous recommandons donc de modifier le droit pénal et d'y recourir dans le cas des criminels de guerre contemporains.

Nous recommandons également de ne pas tarder avant de prendre les mesures qui s'imposent. Dans le cas des criminels de guerre nazis, on a mis 50 ans à s'attaquer au problème. Il faut aussi éviter que les choses ne traînent en longueur une fois que les tribunaux sont saisis du dossier d'un criminel de guerre. Il faut aussi appliquer leur décision rapidement. Dans certains cas, on met beaucoup de temps à expulser du pays des gens dont on a reconnu la culpabilité comme criminels de guerre.

• 1640

Ainsi, après avoir été reconnu coupable de crimes de guerre en juillet 1997, Ladislaus Csizsik-Csatary est demeuré au pays jusqu'en octobre 1997. Il a d'ailleurs quitté le pays volontairement. Le gouvernement ne l'avait pas encore expulsé.

Wasily Bogutin et Roland Maciukas dont la culpabilité a aussi été reconnue par les tribunaux sont toujours ici. Seules des questions de forme entravent leur expulsion, mais le gouvernement n'a toujours pas pris les mesures voulues.

La législation elle-même comporte certaines lacunes. À l'heure actuelle, les motifs en vertu desquels une personne peut perdre sa citoyenneté sont la fraude ou la fausse représentation ou l'omission de dévoiler certains renseignements. On ne peut pas cependant priver quelqu'un de sa citoyenneté du simple fait qu'il est reconnu coupable de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité.

Voici quelles sont les procédures à suivre. Il y a d'abord la procédure qui mène à la condamnation pour crime de guerre. Il y a une autre procédure à suivre si l'on veut priver quelqu'un de sa citoyenneté parce qu'il a caché le fait qu'il avait commis des crimes de guerre. La déportation constitue une troisième procédure. Du temps s'écoule évidemment entre chaque procédure. Il faudrait faire en sorte qu'il n'y ait qu'une seule procédure comportant une étape ou au plus deux.

Il nous faut aussi faire preuve de plus de rigueur. Après tout, un crime de guerre est un crime grave et il ne faut pas accuser quelqu'un d'être un criminel de guerre simplement parce qu'il s'est joint au mauvais groupe. La Loi sur l'immigration comporte des dispositions reconnaissant la culpabilité par association et il convient de les revoir.

Il faut aussi veiller à ce qu'il y ait une application régulière de la loi. Cela ne signifie pas que la procédure devrait comporter plusieurs étapes. La loi prévoit actuellement que des fonctionnaires peuvent décréter que certaines procédures seront omises en procédant à une entrevue, par exemple, ce qui ne peut pas se comparer à un procès pour crimes de guerre. Nous nous opposons à cela. Tout accusé a droit de se faire entendre.

Il nous faut aussi nous pencher sur la question des risques qu'on fait courir aux criminels de guerre. En droit international, il est interdit de déporter quelqu'un vers un pays où il est susceptible d'être torturé ou d'être arbitrairement tué même si cette personne a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Il convient que notre droit reflète les engagements que nous avons pris à l'échelle internationale.

Je pense que cinq minutes se sont maintenant écoulées depuis que j'ai commencé mon exposé. En résumé, en ce qui touche l'application régulière de la loi, on va dans certains cas trop loin et dans d'autres, pas assez. D'une certaine façon, la portée de la loi est trop vaste et d'une autre, elle ne l'est pas assez.

Nous pensons qu'il faut faire en sorte d'éviter les délais inutiles dans le cas des criminels de guerre, ne pas offrir d'immunité à qui que ce soit et punir ceux qui ont commis des crimes de guerre.

Voilà ce que j'avais à dire en guise d'introduction.

Le président: Je vous remercie beaucoup. Je vais maintenant ouvrir le débat. Quiconque veut poser une question... Je vais d'abord donner la parole à M. Saada.

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): J'ai une très brève question à poser, mais il s'agit sans doute d'une question de principe. Corrigez-moi si j'ai mal compris, mais je pense que vous avez dit que les criminels de guerre ne pouvaient pas être privés de leur citoyenneté. Ai-je raison?

M. David Matas: Quelqu'un ne peut pas être privé de sa citoyenneté simplement parce qu'on considère qu'il est un criminel de guerre.

M. Jacques Saada: Je vois.

M. David Matas: On peut perdre sa citoyenneté pour d'autres motifs.

M. Jacques Saada: Dans ce cas, n'y a-t-il pas contradiction entre ce que vous réclamez ou ce à quoi vous faites allusion et ce qu'ont dit de nombreux autres témoins, c'est-à-dire qu'on devrait traiter les demandeurs d'asile de la même façon que les personnes qui se trouvent déjà au pays?

Autrement dit, ils souhaitent qu'on traite les demandeurs d'asile de la même façon que les citoyens canadiens. Vous dites qu'il faudrait faire une distinction entre ceux qui sont des criminels de guerre et ceux qui ne le sont pas. Comprenez-vous ce que je veux dire?

• 1645

Mme Maria Minna (Beaches—East York, Lib.): Non.

M. Jacques Saada: Je regrette. Permettez-moi de reformuler ma question.

Mme Maria Minna: Vous pouvez vous exprimer en français, si vous le souhaitez.

M. Jacques Saada: En anglais et en français.

[Français]

Les criminels de guerre ne peuvent pas perdre leur citoyenneté sur la base du fait qu'ils sont criminels de guerre. Vous regrettez que ça se passe ainsi, n'est-ce pas?

M. David Matas: Oui.

M. Jacques Saada: Vous souhaiteriez qu'on puisse effectivement leur retirer la citoyenneté. Retirer la citoyenneté, c'est donc traiter différemment des gens qui sont des criminels de guerre au Canada, par opposition à n'importe quel autre citoyen canadien.

M. David Matas: Oui.

M. Jacques Saada: Or, il y a quelques jours, on a fait des représentations auprès de nous pour que leur soit appliqué le même processus, sur le plan juridique, que celui qui s'applique à n'importe quel citoyen canadien. On nous a fait savoir que c'est ce qu'on souhaite.

M. David Matas: Oui.

M. Jacques Saada: Est-ce qu'il n'y a pas une différence de philosophie entre les deux: d'un côté, on fait une distinction et de l'autre côté, on n'en fait pas?

N. David Matas: Non.

M. Jacques Saada: Est-ce que ma question est plus claire?

M. David Matas: Oui, c'est plus clair.

[Traduction]

Il faut faire une distinction entre le fond d'une affaire et la procédure. Sur le plan de la procédure, nous voulons qu'il y ait application régulière de la loi, c'est-à-dire des lois canadiennes. Nous sommes d'accord là-dessus. Mais il faut de toute évidence faire une distinction en droit entre ceux qui sont des réfugiés et ceux qui sont nés au Canada. Le droit des réfugiés ne s'applique pas vraiment à ceux qui sont nés au Canada. Il s'applique à ceux qui sont nés ailleurs et qui ont la citoyenneté d'un autre pays.

Je pense que les intérêts des défenseurs des droits des réfugiés dont je suis ne divergent pas de ceux qui réclament la déportation des criminels de guerre parce que les réfugiés eux-mêmes souffrent de la présence au Canada de ceux dont ils ont été les victimes. Si l'on veut vraiment accueillir au Canada des réfugiés, les traiter avec respect et leur permettre de s'intégrer à notre société, il faut punir leurs bourreaux.

M. Jacques Saada: D'accord. Je posais une question plus théorique, mais je suis d'accord avec vous.

Le président: Un représentant de l'opposition veut-il poser une question? Non.

Madame Minna.

Mme Maria Minna: Je vous souhaite de nouveau la bienvenue. Je vous ai tous les deux vus à quelques reprises ces derniers temps.

J'aimerais revenir à ce que vous disiez, monsieur Matas. Vous avez abordé quelques questions sur lesquelles je me suis aussi penchée au cours des deux dernières années. Il y a d'abord la question de la culpabilité par association. Comme vous le savez, deux ou trois cas de ce genre se sont posés. Pourriez-vous m'en dire un peu plus long là-dessus et me dire notamment à partir de quel point on pousse trop loin ce concept?

M. David Matas: Il y a différents aspects à cette question. La Loi sur l'immigration stipule qu'on peut déporter du pays un membre important d'un gouvernement qui violerait de façon flagrante les droits de la personne. C'est ce qu'a recommandé le comité consultatif sur la révision de la législation. Le comité a donc recommandé de priver de leur citoyenneté ceux qui seraient reconnus coupables d'avoir appartenu à un organisme ayant commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.

Il faut donc se demander si l'organisme dont il est question n'a pour objet que de commettre des crimes. Au procès de Nuremberg, on a jugé que certains organismes n'avaient pour seule raison d'être que la perpétration de crimes. D'autres organismes ne pouvaient être classés dans cette catégorie. Il a donc fallu établir si l'accusé avait lui-même commis des crimes de guerre et non pas simplement établir s'il avait appartenu à un organisme dont le seul but était de perpétrer des crimes.

La plupart des groupes auxquels on reproche des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité mènent différents types d'activités. C'est notamment le cas des gouvernements.

Ce qu'on vise, après tout, c'est de punir des personnes. Quand il est bien évident qu'un organisme n'a pour seul rôle que de commettre des crimes, toute personne qui en est membre est nécessairement coupable. Mais ce type d'organisme est assez rare. La loi actuelle ainsi que les recommandations du comité de révision de la législation vont trop loin en ce sens.

Mme Maria Minna: Pour faciliter les choses ou plutôt pour rendre le système plus gérable, vous recommanderiez de définir ce qu'on entend par «association» de façon plus restrictive et qu'on établisse le rôle qu'a joué une personne au sein d'un organisme ainsi que la raison d'être de cet organisme.

• 1650

M. David Matas: Oui.

Mme Maria Minna: Permettez-moi de vous donner un exemple d'un cas sur lequel j'ai travaillé récemment. Il s'agit du groupe LTTE qui existe au Sri Lanka. Nous acceptons des réfugiés de la région de Jaffna dans le nord du Sri Lanka. On considère maintenant que les personnes qui ont appartenu à cet organisme ne sont pas de véritables réfugiés. Est-ce le genre de cas auquel vous songez?

M. David Matas: Oui. Je connais le Sri Lanka et le LTTE. À mon avis, il est tout à fait inacceptable de considérer que tous les membres du LTTE ont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.

Ce qui s'oppose ici... Les risques se situent aux deux extrémités du spectre. D'une part, on en fait trop peu trop tard et cela revient à donner l'immunité, ce que nous voulons éviter. D'autre part, à l'autre extrémité du spectre, il y a risque qu'on banalise toute la notion de criminel de guerre et qu'on soupçonne aussi des gens d'avoir commis des crimes de guerre sans en avoir vraiment la preuve. Il faut éviter ces deux extrêmes. Comme nous n'avons pendant longtemps pas accordé le sérieux que nous aurions dû accorder à la question des criminels de guerre, il faut éviter maintenant l'autre extrême qui serait de voir des criminels de guerre partout.

Mme Maria Minna: Est-ce ce que vous vouliez dire lorsque vous avez dit que la portée de la loi est à certains égards trop vaste et à d'autres pas assez? Est-ce ce à quoi vous songiez?

M. David Matas: Oui. Je sais que nous avons laissé s'échapper beaucoup de criminels de guerre nazis. Nous leur avons permis de rester au pays pendant des décennies. Quand je disais que la portée de la loi était trop vaste, je pensais à la question de la culpabilité par association.

Mme Maria Minna: J'aimerais obtenir une précision du président. À l'ordre du jour, il est inscrit que M. Matas comparaît à titre de représentant de B'nai Brith et ensuite à titre personnel. Faut-il comprendre que nous allons à un moment donné discuter de la question des réfugiés en général, question que M. Matas connaît très bien?

Le président: C'est exact.

Mme Maria Minna: Très bien. Dans ce cas, je poserai le reste de mes questions plus tard.

Le président: Nous suivons notre ordre du jour.

[Français]

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Monsieur Matas, il se trouve qu'avant le début de cette réunion, j'ai eu l'occasion de vous parler et vous m'avez dit que, dans votre mémoire, vous alliez faire un certain nombre de recommandations. On n'a peut-être pas le temps de passer maintenant à travers toutes ces recommandations, mais il y en a peut-être une ou deux qui sont, disons, fondamentales par rapport aux autres. Est-ce que vous pourriez prendre quelques minutes pour nous en parler?

[Traduction]

M. David Matas: Oui. Au sujet des criminels de guerre, nous avons présenté au nom de B'nai Brith un rapport dans lequel nous formulons des recommandations en réponse au rapport du Groupe consultatif sur la révision de la législation. La principale de ces recommandations est de ne prévoir qu'une seule étape au processus qui consiste à priver quelqu'un de sa citoyenneté. Une fois que c'est fait, on devrait déporter cette personne immédiatement. Deuxièmement, comme je le faisais remarquer à M. Saada, nous voudrions que quelqu'un puisse être privé de sa citoyenneté s'il a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité et pas seulement s'il est coupable de fraude ou de fausse représentation.

À l'heure actuelle, il y a prescription à partir d'une certaine date pour les crimes de guerre. Il faut être arrivé au Canada après une certaine date. La date importe peu pour ce qui est de la citoyenneté, mais ce n'est pas le cas pour l'immigration. Si quelqu'un est arrivé avant une certaine date, il ne peut pas être déporté du pays pour crime de guerre, mais seulement pour fraude. Il faudrait éliminer cette distinction.

Le Groupe consultatif sur la révision de la législation recommande une certaine immunité après un délai de trois ans. Nous nous opposons évidemment à toute forme d'immunité.

Le Groupe recommande également qu'on permette à un criminel de guerre de demeurer au pays quel que soit le type de crime qu'il a commis pourvu qu'il se soit bien intégré à la société canadienne ou qu'il ait des responsabilités familiales importantes. Nous nous y opposons. Quelqu'un qui est reconnu coupable de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité ne devrait pas pouvoir rester au Canada simplement parce qu'il s'est bien comporté depuis qu'il est ici et qu'il a payé des impôts.

Ce ne sont que quelques-unes de nos recommandations. Il y en a d'autres dans notre mémoire dont je ne vous parlerai pas maintenant.

Mme Raymonde Folco: Je voulais qu'on aborde les plus importantes. Je vous remercie.

[Français]

Le président: Madame Girard-Bujold.

Mme Jocelyne Girard-Bujold (Jonquière, BQ): Bonjour. Vous disiez tout à l'heure, lors de votre exposé, qu'il y a des consolidations de procédures en deux étapes plutôt qu'en trois. Quel effet cela aura-t-il sur le processus? Qu'est-ce qui se trouvera modifié avantageusement?

• 1655

Vous disiez également qu'on devait assujettir les criminels de guerre nazis au droit pénal. Pourriez-vous élaborer davantage sur ce sujet, s'il vous plaît?

[Traduction]

M. David Matas: Ces deux suggestions sont en un sens liées. Il est actuellement possible de poursuivre les criminels de guerre en vertu du Code criminel, mais on ne le fait pas. On ne le fait pas en raison de l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Finta—et je n'entrerai pas dans les détails de cette affaire—qui a créé certains obstacles techniques qui ne pourront être surmontés qu'en modifiant la loi, ce que le gouvernement a promis de faire, mais n'a pas encore fait. L'arrêt remonte à près de quatre ans. Il faut donc sans tarder modifier le Code criminel.

À mon sens, il y a trois étapes. La condamnation est la première étape. Le fait d'enlever la citoyenneté est la deuxième. La troisième étape est l'ordonnance de déportation. Nous voudrions qu'il n'y ait qu'une étape. Une fois qu'un juge aura reconnu quelqu'un coupable d'un crime de guerre, il devra aussi le priver de sa citoyenneté et ordonner sa déportation. Si ce n'est pas possible, à tout le moins le juge qui prive quelqu'un de sa citoyenneté devrait aussi pouvoir ordonner sa déportation du Canada.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Le processus se trouverait amélioré parce qu'autrement, il y a une première étape, qui est la condamnation par le juge, et ensuite vous devez engager un autre processus pour le retrait, puis un autre processus pour l'expulsion. Il y a donc trois étapes. C'est pourquoi le criminel a la possibilité, comme vous le disiez au début de votre exposé, de rester chez nous plus longtemps à la suite de sa condamnation d'expulsion.

[Traduction]

M. David Matas: Oui, et de toute façon la deuxième et la troisième étapes ne sont que pour la forme. Rien de vraiment important ne se passe. Il s'agit simplement d'une formalité. La deuxième étape ne sert qu'à confirmer ce qui a été décidé lors de la première. Pourquoi ne pas la supprimer?

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Après cette condamnation, il y a encore deux étapes. Combien s'écoule-t-il de temps entre la condamnation et la deuxième étape, puis avant la troisième étape?

[Traduction]

M. David Matas: C'est difficile à dire. Comme je l'ai dit au début, Csizsik-Csatary a perdu sa citoyenneté en juillet 1997. En octobre 1997, il a quitté volontairement le pays, et on ne lui avait toujours pas ordonné de le faire.

Deux autres personnes ont perdu leur citoyenneté, l'une en janvier et l'autre en février. Il s'agit de Wasily Bogutin et de Roland Maciukas. Or, ils sont toujours ici. On ne sait pas quand ils seront déportés.

M. Rubin Friedman: Je peux vous donner quelques exemples de plus. Certains cas se sont produits aux États-Unis.

Ainsi, Konrads Kalejs était soupçonné d'avoir commis des crimes contre l'humanité, mais il s'est installé en Australie après la guerre et a obtenu la citoyenneté australienne. Il est ensuite allé aux États-Unis, où l'on a essayé de l'arrêter. Il est parti et il est ensuite revenu. Il a porté en appel le jugement rendu contre lui.

C'était un homme en santé. On a mis dix ans aux États-Unis avant d'exécuter l'ordonnance de déportation rendue contre lui. Il est venu au Canada comme visiteur. Nous avons mis deux ans à régler son cas. Au total, 12 années se sont écoulées depuis qu'un tribunal a ordonné sa déportation.

Certaines personnes condamnées pour crimes contre l'humanité au Canada sont demeurées au pays pendant 15 ans avant d'être finalement déportées.

Nous ne savons donc pas exactement combien de temps prend le processus, mais on voit qu'il est long.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Je vous remercie.

Le président: Madame Hardy.

Mme Louise Hardy (Yukon, NPD): Je vous remercie.

La semaine dernière des fonctionnaires du ministère nous ont dit que dès qu'un réfugié d'un certain âge provient d'un pays où il aurait pu faire partie d'un gouvernement ayant commis des atrocités, on le soupçonne immédiatement d'être un criminel de guerre. J'ai demandé si on avait les mêmes soupçons à l'égard des hommes d'affaires qui auraient pu exploiter une entreprise fournissant des armes, du gaz ou des poisons à ce gouvernement. Ils m'ont dit que non.

Pensez-vous qu'on devrait prévoir cette catégorie?

M. David Matas: Je n'aime pas beaucoup qu'on soupçonne les gens. À mon avis, la division chargée de l'application de la loi le fait trop. Le scepticisme y est de rigueur.

À mon avis, ce qu'il nous faut, ce sont des preuves. Si nous avons des preuves que quelqu'un est un criminel de guerre, nous devrions nous en occuper. Cependant, et cela revient à ce que je disais tantôt, nous ne devons pas automatiquement considérer que quelqu'un est un criminel de guerre simplement parce qu'il correspond à une catégorie générale quelconque.

• 1700

La définition de catégories est une tâche sans fin et ingrate, qui peut devenir extrêmement politique. Cela dépend du genre de catégories qu'on aime ou qu'on n'aime pas, alors que la notion de criminalité est très claire. Elle s'applique à ce que vous avez fait par opposition à la catégorie dont vous faites partie.

Mme Louise Hardy: Vous ne voudriez donc pas qu'on ait des catégories dans un cas comme dans l'autre.

M. David Matas: Non. Cela nous ramène à la disposition relative à l'égalité. Il y aura des injustices si vous commencez à soupçonner les gens parce qu'ils font partie d'une catégorie particulière.

Mme Louise Hardy: Relativement à la question du scepticisme, pensez-vous que nous devrions avoir des centres de détention et, dans l'affirmative, comment devrions-nous les utiliser?

M. David Matas: Je pourrais peut-être répondre à cette question dans un deuxième temps, parce que je vais parler tantôt de façon plus générale de la détention et des renvois, si vous êtes d'accord.

Mme Louise Hardy: Oui.

Le président: Très bien.

[Français]

Madame Girard-Bujold.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: J'aurais une autre question. Tout à l'heure, vous avez parlé de date butoir et de trois ans d'immunité. Vous nous disiez tout à l'heure faire allusion à quelque chose qui est arrivé, à un exemple bien concret. Pourriez-vous expliquer davantage ce à quoi vous faisiez allusion? Je ne comprends pas très bien.

[Traduction]

M. David Matas: Oui. C'est dans le rapport; il n'y a pas seulement les chiffres... On recommande que si quelqu'un est immigrant reçu et est arrivé comme réfugié, il devrait y avoir des procédures de cessation s'il s'agit d'un criminel de guerre ou d'une personne qui a obtenu le statut d'immigrant reçu par fraude, mais seulement pendant une période de trois ans, après quoi ce serait impossible.

Ainsi, pour le petit groupe d'immigrants reçus qui ont obtenu leur statut parce qu'ils faisaient partie de la catégorie protégée, ils obtiennent une immunité après trois ans, même s'ils sont des criminels de guerre, et nous considérons que cela ne doit pas arriver. Nous ne sommes pas d'accord avec cette recommandation.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Il serait donc important que cette date butoir soit retirée du projet de loi.

[Traduction]

M. David Matas: Ce n'est pas une ébauche de projet de loi; ce n'est même pas une proposition du gouvernement. C'est seulement...

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: ...l'examen législatif, oui.

[Traduction]

M. David Matas: Oui. Le gouvernement n'a pas appuyé cette recommandation, et j'espère qu'il ne le fera pas.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: D'accord. Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur Saada.

M. Jacques Saada: Il y a deux choses que je voudrais savoir. Existe-t-il une définition officielle ou reconnue à l'échelle internationale d'un criminel de guerre? Deuxièmement, pour poursuivre dans la même veine que Mme Hardy, peut-il y avoir des criminels de guerre par association? Cette notion est-elle définie en droit?

M. David Matas: Oui, il y a une définition internationale d'un criminel de guerre. En réalité, il y en a un certain nombre, et c'est peut-être une des causes du problème. C'est dans notre Code criminel. Les crimes de guerre sont définis dans notre Code criminel. Cette notion a été définie par le tribunal de Nuremberg. Il existe aussi une ébauche de loi pour le tribunal pénal international, qui pourrait être adoptée en juin prochain à Rome lors d'une conférence diplomatique et qui contiendra une définition des crimes de guerre.

Cependant, aux fins de la Loi sur l'immigration, nous utilisons maintenant la définition de crime de guerre contenue dans le Code criminel. L'affaire Finta a posé certains problèmes, surtout en ce qui concerne l'intention. À mon avis, il faudrait modifier la définition de crime de guerre dans le Code criminel par suite de l'affaire Finta, parce que plus personne ne peut être déclaré coupable de ce crime à cause de la façon dont il a été interprété dans cette affaire. Essentiellement, ce que le tribunal a constaté pour les crimes contre l'humanité, c'est qu'il ne suffit pas d'avoir l'intention de commettre le crime, comme pour les autres actes criminels, mais il faut aussi avoir l'intention d'agir de façon inhumaine, ce qui est impossible à prouver. Je pense que nous devrions examiner cette question.

Relativement à la criminalité par association, cela revient à la question que me posait Mme Minna. Il y a effectivement des organismes criminels identifiés par le tribunal de Nuremberg, par exemple les SS ou le groupe Einsatz, et si vous faisiez partie de l'un de ces groupes, vous êtes criminel de guerre. Le groupe Einsatz était une unité itinérante utilisée pour tuer des Juifs. C'est tout ce qu'elle faisait. Elle n'avait pas d'autre rôle. Si vous faisiez partie du groupe Einsatz, vous étiez un criminel de guerre. Il n'est pas nécessaire d'en savoir plus long.

Il y a donc des groupes de ce genre, mais je n'irai pas jusqu'à dire que le LTTE en était un. Je pense qu'il faut être prudent et ne pas abuser de la notion d'association.

M. Jacques Saada: Merci.

Le président: Vouliez-vous ajouter quelque chose, monsieur Friedman?

• 1705

M. Rubin Friedman: Je pense que David a aussi fourni d'autres renseignements.

Je vous rappelle que les cas de viol où l'on a invoqué l'ivresse comme argument de défense dépendaient de certaines des mêmes considérations, soit la nature de l'intention et la question de savoir si quelqu'un avait des intentions coupables. Cette notion ne s'applique pas uniquement aux criminels de guerre dans notre droit pénal, et le gouvernement a pris très rapidement des mesures pour modifier la loi dans l'autre cas pour s'assurer que l'on ne pourrait plus invoquer cet argument.

Nous espérons que le gouvernement fera quelque chose du même genre pour garantir qu'on ne pourra plus prétendre pour sa défense que l'on croyait vraiment que les Juifs constituaient une menace et que l'on ne voulait pas être inhumain, mais qu'on s'efforçait simplement de protéger son pays. Cela devient un argument pour excuser le fait qu'on a aidé à déporter des Juifs vers les camps de la mort. À notre avis, ce n'est pas une notion appropriée en droit au Canada.

Le président: D'autres membres du comité ont-ils des questions à poser?

Je voudrais en poser une. Si l'on part du principe selon lequel toute personne qui a un comportement qui fait du tort à une autre personne commet en réalité un crime contre cette autre personne, et compte tenu du fait que, pour ceux qui viennent au Canada, dès qu'ils arrivent en territoire canadien, nous leur garantissons plus ou moins les mêmes droits, libertés et privilèges qu'à tous les autres Canadiens, que pensez-vous de... Si nous avons suffisamment de preuves pour établir que quelqu'un est ce qu'on pourrait appeler un criminel de guerre moderne, il devrait être traité comme n'importe quelle autre personne au Canada. Comme nous lui donnons les mêmes droits qu'à n'importe quel autre Canadien, il devrait être traité selon la même procédure et exactement de la même façon que n'importe qui au Canada qui commet un crime contre un autre être humain, autrement dit qui fait du tort à un autre humain ou qui détruit un autre être humain. Sans créer d'autres complications, pour simplifier les choses, nous pourrions avoir un processus comparable et semblable à celui qu'on utilise pour n'importe quel Canadien qui commet un crime contre une autre personne.

M. David Matas: Je pense qu'il faut faire une distinction entre les crimes en droit international ou les crimes contre l'humanité, les crimes les plus abominables qui soient, et les crimes ordinaires que l'on voit tous les jours, parce qu'il y a une distinction en droit entre ces deux notions. Cette distinction se fonde sur le principe voulant que c'est toute la population du globe qui est victime des crimes contre l'humanité, et non pas simplement la population locale. Ce n'est pas seulement la victime, mais nous tous comme êtres humains qui souffrons de ces crimes, et nous avons donc le pouvoir, la responsabilité et le devoir de nous en occuper.

Du point de vue de la procédure, il serait logique qu'il y ait une certaine uniformité. Bien entendu, on peut concevoir que des Canadiens commettent aussi des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. À ce moment-là, ils ne seraient pas exposés à la déportation ou à la perte de leur citoyenneté, mais bien à un procès criminel qui serait sans doute le même que celui qu'on ferait à un étranger qui arrive au Canada et qui a commis un crime contre l'humanité.

Les droits de l'homme ne sont pas simplement... Ils sont définis par le droit canadien et par la Charte des droits et libertés, mais ce ne sont pas simplement des normes canadiennes qui s'appliquent uniquement aux Canadiens. Il s'agit de normes universelles qui doivent s'appliquer à tout le monde, parce que nous sommes tous des êtres humains.

Nous ne devons donc pas nous laisser induire en erreur par le fait que cette notion existe en droit canadien et qu'il s'agirait donc uniquement de normes canadiennes qui s'appliquent aux Canadiens.

Le président: Très bien. Merci.

Comme il n'y a pas d'autres questions, nous allons maintenant changer de direction. David Matas va continuer à témoigner comme seul représentant de... Il est avocat pour les réfugiés.

M. David Matas: Merci. Je n'ai personne qui puisse me présenter.

Le président: Vous changez de rôle.

M. David Matas: J'exerce le droit à titre particulier. Je m'occupe du droit des réfugiés, et non pas des criminels de guerre. D'ailleurs, aucun criminel de guerre ne s'est jamais présenté à mon bureau.

J'ai remis un mémoire au comité. La plus grande partie de ce mémoire a aussi été traduite, et je vais donc vous parler brièvement des recommandations. Une bonne partie du mémoire traite de cas individuels dont je me suis occupé au cours des années et de certains des problèmes que j'ai constatés relativement aux renvois et aux détentions.

• 1710

La première partie du mémoire parle essentiellement des problèmes qui touchent le ministère et le mécanisme de renvoi à cause du cynisme des employés. Je parle ensuite de certaines questions très précises, notamment le refus de donner accès à un avocat au point d'entrée. Il y a aussi la façon superficielle dont on détermine qu'une personne n'est pas admissible à présenter une demande pour obtenir le statut de réfugié au point d'entrée. Cela vient de toute évidence du fait que les demandeurs n'ont pas accès à un avocat. Il est plus facile à ce moment-là de prendre une décision pour des raisons superficielles. Le problème porte sur l'exclusion plutôt que sur le renvoi, mais cela revient au même. Ce que je recommande au comité, c'est de considérer l'exclusion aussi bien que le renvoi, parce que les deux décisions ont essentiellement les mêmes conséquences.

Je parle ensuite des mariages. À cause du cynisme des agents chargés d'appliquer la loi, il est peut-être difficile d'obtenir qu'un mariage réel soit reconnu, même si le gouvernement a pour politique de reconnaître les mariages véritables.

Il y a aussi la question de la séparation des familles. Quand on renvoie des gens, on renvoie souvent une partie de la famille, et ensuite une autre partie de la famille. Parfois, le deuxième renvoi se passe des années après le premier, et je trouve que ce n'est pas approprié. Si l'on décide de renvoyer une famille, on devrait renvoyer toute la famille ensemble.

Il y a aussi le problème de l'échec d'un mariage et du renvoi du conjoint étranger, d'habitude la femme. Il s'agit souvent de femmes maltraitées qui ne peuvent pas essayer d'obtenir une allocation d'entretien ou une pension alimentaire, ou même d'intenter des poursuites, parce qu'elles sont renvoyées. Il y a aussi le critère de la possibilité de s'établir avec succès, qui joue tout particulièrement contre les femmes qui ont de jeunes enfants.

Il y a le problème des restrictions dans le processus d'immigration. Les personnes détenues sont d'habitude gardées avec des menottes, des chaînes et des entraves, même si cela va à l'encontre des règles minimales pour le traitement des prisonniers selon les Nations Unies. Le ministère des Affaires étrangères prétend essayer de respecter ces normes, le ministère du Solliciteur général déclare que cela dépend de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et celle-ci prétend qu'elle ne peut rien y faire. Quelqu'un doit en assumer la responsabilité.

Il y a ensuite toute la question des moratoires pour les renvois. Il y a certains pays auxquels le Canada ne renvoie pas de demandeurs, mais la liste de ces pays n'est pas très bien connue. Parfois, les réfugiés ont du mal à obtenir un permis de travail. La politique du moratoire permet de lever le moratoire dans des cas individuels, mais il n'y pas de procédure établie pour lever la suspension. Les demandeurs ne sont pas avisés et n'ont pas la possibilité de présenter leurs arguments. Même en cas de moratoire, nous pouvons renvoyer les demandeurs à des pays tiers, et ceux-ci renvoient les demandeurs au pays auquel nous ne les aurions pas renvoyés nous-mêmes. C'est une politique qui ne veut pas dire grand-chose, et elle n'est pas appliquée de façon très uniforme.

Il y a aussi le problème des renvois à des situations dangereuses, dont j'ai parlé dans mon premier exposé. Il n'y a pas de système qui permette de tenir compte d'autres choses que de la convention sur les réfugiés. Il y a toutes sortes de normes relatives au renvoi, notamment la convention sur la torture, l'exécution extra-judiciaire, la Convention de Genève sur la protection des civils en temps de guerre, les disparitions, les normes coutumières pour les réfugiés internationaux, mais nous n'avons pas vraiment de mécanisme pour les appliquer. Selon notre manuel sur l'immigration, si vous renvoyez un réfugié à un pays où il sera en danger, vous devez consulter le haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, mais cela ne se fait jamais.

Il y a le problème des renvois éclairs. Cela peut prendre beaucoup de temps pour obtenir une ordonnance de renvoi et pour en obtenir l'exécution, mais une fois qu'il a été décidé d'exécuter l'ordonnance, les gens sont enlevés sans préavis. On ne leur permet pas de faire leurs valises ni de dire au revoir à leur famille ou à leurs amis avant qu'ils ne soient renvoyés. On les fait venir au bureau local sous de faux prétextes et on les renvoie sans préavis. Ils ont beaucoup de mal à avoir accès aux tribunaux pour obtenir la suspension de l'ordonnance de renvoi. Encore là, je donne plusieurs exemples de cas semblables.

Il y a toute cette question de la détention en vue du renvoi. Il arrive bien trop souvent que des gens qui répondent à tous les critères soient inutilement détenus. Il n'y a aucune raison de croire qu'ils prendraient la fuite—et là encore, je donne des exemples.

Il y a encore le problème de divulgation de renseignements confidentiels. Bien souvent, les gens sont renvoyés, et le pays où ils sont renvoyés est au courant que leur demande de statut de réfugié a été refusée. Je cite deux cas dont j'ai moi-même eu à m'occuper. Dans le cas de ces deux personnes, le gouvernement du pays où elles avaient été renvoyées savait que leur demande de statut de réfugié avait été refusée par le Canada. Elles ont aussitôt été arrêtées, et l'une d'entre elles a été battue et l'autre a été violemment torturée. Elles ont toutes deux réussi à s'enfuir et à revenir au Canada; elles ont présenté une nouvelle demande de statut de réfugié, et, dans les deux cas, même si leur demande avait été refusée la première fois, elle a été acceptée la deuxième fois à cause de la façon dont elles avaient été renvoyées par le Canada et du danger que le Canada leur avait fait courir.

• 1715

Enfin, il me semble qu'il nous faudrait une forme de surveillance quelconque de la part du public, car nous avons en fait un système d'application de la loi qui n'est soumis à aucune surveillance de la part du public et qui agit souvent de façon inacceptable. Deux de mes clients à moi ont été victimes d'une contrefaçon de la part d'un agent chargé de l'application de la loi à Winnipeg; l'agent avait contrefait des documents de renvoi pour que les deux puissent être renvoyés. Bien souvent, les gestes posés ne violent pas les règlements de façon aussi flagrante, mais sont de nature à surprendre quiconque n'est pas du milieu. L'ensemble du processus d'application de la loi devrait être davantage soumis à une surveillance de l'extérieur.

Voilà les remarques que je voulais faire en guise d'introduction.

Le président: Très bien. Il y a certainement beaucoup d'information dans ce rapport, et je suis sûr que les membres du comité le trouveront très informatif. Le rapport nous aidera énormément dans nos délibérations et aussi lorsque viendra le temps de tirer des conclusions.

Je voudrais commencer moi-même à vous interroger au sujet d'une affirmation que j'ai relevée dans le rapport. Si je pose la question, c'est simplement pour obtenir un éclaircissement, mais c'est aussi pour que l'affirmation soit consignée au compte rendu.

Vous dites ici que le ministère fait office de souteneur. Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous donner des précisions à ce sujet?

M. David Matas: Je dis cela à cause des cas où il y a rupture du mariage. Ce qui arrive—et je donne deux ou trois exemples—c'est que la femme vient ici, se marie, le mari la parraine, et elle passe par le processus d'établissement. Le mari paie 1 475 $, soit les droits exigés pour l'établissement et la demande. Le mari en a ensuite assez de sa femme et la met à la porte. Le ministère renvoie la femme. Voilà comment cela se passe. Le mari paie donc de l'argent au gouvernement canadien, et, quand il en a assez de sa femme, le gouvernement canadien la renvoie. Voilà dans quel sens j'ai fait cette affirmation.

Le président: La femme en question est-elle mariée à la personne qui la parraine?

M. David Matas: Oui.

Le président: Et elle peut quand même être renvoyée?

M. David Matas: Oui.

Le président: Hmmm.

Madame Folco.

[Français]

Mme Raymonde Folco: Justement, je me souviens avoir discuté avec le ministère de l'Immigration du gouvernement du Québec de cette question du parrainage et des droits des femmes—parce que ce sont très souvent des femmes—qui avaient été parrainées, qui avaient par la suite été victimes de violence conjugale, qui avaient décidé de quitter le foyer et à qui le mari avait dit: «Si tu me quittes, je retire mon parrainage et on va te déporter dans ton pays d'origine.»

Je croyais que des démarches avaient été entreprises, du moins du côté du gouvernement du Québec, pour protéger ces femmes et empêcher qu'elles ne soient ipso facto renvoyées quand leur mari leur retire son parrainage. Est-ce que je me trompe? Ces démarches n'ont peut-être été entreprises que par le gouvernement du Québec. Je ne comprends pas exactement quel est l'équilibre entre les deux.

[Traduction]

M. David Matas: Il faut tout d'abord faire la distinction entre les immigrants reçus et les autres. Quand on est parrainé et qu'on vient ici en tant qu'immigrant reçu, on ne peut pas être renvoyé en cas de retrait du parrainage. Si toutefois on vient ici en tant que visiteur, qu'on se marie et qu'on est ensuite parrainé par le mari en vue de l'établissement au Canada, on demeure visiteur tant que le processus d'établissement n'est pas terminé. Quand il y a rupture du mariage pendant cette période, la personne peut être renvoyée.

Dans son manuel, le ministère précise que, même en pareil cas, l'épouse peut être autorisée à rester pour des raisons humanitaires, mais le fait est—et c'est là où qu'intervient la mentalité du milieu de l'application de la loi—que, dans bien des cas où l'épouse devrait être autorisée à rester, elle ne l'est pas parce que le ministère dit qu'elle ne pourra pas subvenir à ses besoins, et c'est notamment le cas de celles qui ont un nouveau-né. Du fait qu'elle s'est mariée et qu'elle a eu un enfant, elle n'est pas vraiment en mesure de subvenir à ses besoins, et, pour cette raison, le ministère refuse d'exercer son pouvoir humanitaire discrétionnaire et la renvoie.

• 1720

Bien souvent, dans les cas dont je vous parle, le problème ne tient pas tellement à la politique, même si la politique pourrait être améliorée. Il tient plutôt au fait que la politique est appliquée par des gens qui considèrent qu'ils sont là pour protéger les frontières du Canada. Ils considèrent que tous ceux à qui ils ont affaire essaient d'entrer et de rester au Canada par des moyens frauduleux. Ils sont très durs et, dans certains cas, bien trop durs.

Le président: Vous avez parlé tout à l'heure d'un juste milieu, et vous dites qu'ils sont «bien trop durs». Croyez-vous qu'il y a des cas—peut-être beaucoup trop de cas—où il est bien trop facile de rester ici?

M. David Matas: Pas quand il s'agit de ruptures du mariage.

Le président: Ainsi, l'application des lignes directrices, quelles qu'elles soient, se fait de façon assez uniforme?

M. David Matas: Non, je ne dirais pas que le système d'application de la loi est trop laxiste. Nous avons bien sûr eu un problème par le passé, dans le cas de ces criminels de guerre dont je parle dans mon mémoire qui sont venus ici il y a 40 ans. À l'époque tout un chacun pouvait entrer chez nous. Maintenant, je ne crois pas que le problème soit que le système est «trop laxiste».

Le président: D'accord.

[Français]

Madame Girard-Bujold.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Je poursuivrai dans le même ordre d'idées que vous, monsieur le président. J'ai été vraiment frappée par ce que vous avez dit lors de votre exposé au sujet des conjoints étrangers que les Canadiens parrainent et qu'ils rejettent, lorsqu'ils ne veulent plus les avoir, en rompant les liens du mariage.

Vous disiez que le ministère faisait office de souteneur. Pour moi, un souteneur veut dire beaucoup de choses. Est-ce que cela veut dire qu'à ce point-là, c'est le ministère qui devient le souteneur de ce conjoint étranger? En tant que souteneur, le ministère est obligé de le renvoyer là d'où il vient, parce que les liens du mariage ont été rompus. J'aimerais que vous m'expliquiez cela.

[Traduction]

M. David Matas: Ils n'ont pas besoin de le faire. Ils ont le pouvoir discrétionnaire voulu. Ce qui me préoccupe, c'est qu'ils ne s'en servent pas à bon escient. Ils s'en servent trop souvent pour renvoyer les femmes qu'ils ne devraient pas renvoyer. Ils ont pourtant le pouvoir de faire l'opposé. Ils ont le pouvoir de leur permettre de rester.

Même si, dans mon mémoire, je fais état d'un certain nombre de problèmes en particulier, c'est le même thème qui revient sans cesse, à savoir que le milieu de l'application de la loi témoigne de l'existence d'une sous-culture qui l'amène à se comporter d'une manière qui, pour quelqu'un de l'extérieur—pour moi, c'est-à-dire—semble scandaleuse. J'essaie de décrire certains des problèmes qui se produisent, ceux qui sont les plus flagrants.

Il y a des moyens de régler ces problèmes. Nous avons eu le groupe de travail Tassé, nous avons eu le groupe de travail Peat Marwick, nous avons eu le vérificateur général, qui ont tous fait d'excellentes recommandations. Elles sont bonnes, mais elles n'ont pas été mises en oeuvre. Il faudrait que les recommandations du rapport Tassé soient mises en oeuvre; que les recommandations de Peat Marwick soient mises oeuvre. Il nous faudrait une forme de surveillance de la part du public. Il nous faudrait un mécanisme quelconque qui s'occuperait des plaintes. Nous ne pouvons pas laisser sans surveillance ces gens qui sont chargés d'appliquer la loi, tout comme nous ne pouvons pas laisser les policiers sans surveillance.

Le président: Monsieur Mahoney.

M. Steve Mahoney (Mississauga-Ouest, Lib.): Merci beaucoup.

J'ai lu le document et je l'ai trouvé intéressant—le langage y est assez incendiaire, mais il y a peut-être de bonnes raisons à cela.

Notre comité cherche notamment à savoir ce qui fait que le système fonctionne ou ne fonctionne peut-être pas à certains égards.

J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus long au sujet de l'affirmation, parce qu'elle est très catégorique, que vous faites sous la rubrique «Leadership», selon laquelle le syndicat soutient.. et il me semble, d'après le premier paragraphe sous cette rubrique, que vous entérinez cette assertion. Je n'ai pas entendu le syndicat le dire directement, mais vous soutenez, d'après ce que je comprends de votre mémoire, qu'il est d'avis qu'il existe un problème de leadership au ministère.

Les fonctionnaires sont venus témoigner devant nous. Ils nous ont présenté des graphiques, des diagrammes et plein d'explications sur la façon dont fonctionne le système, sur les problèmes et sur le fait qu'il faut au minimum 17 mois pour en arriver à une détermination définitive dans le cas d'une demande de statut de réfugié qui passe par la procédure d'appel. On nous a dit que les seules personnes qui semblent aimer la procédure d'appel sont les avocats. C'est ce qu'on nous a dit à une des séances auxquelles j'ai assisté.

M. David Matas: Je ne l'aime pas.

M. Steve Mahoney: Vous ne l'aimez pas? Je suis heureux de vous l'entendre dire.

• 1725

J'aimerais que vous expliquiez ou que vous justifiiez l'affirmation selon laquelle il y a un problème de leadership au ministère. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, et je ne dis pas non plus qu'il y en a un. Je voudrais que vous nous donniez plus d'explications à ce sujet et que vous étayiez peut-être l'affirmation. J'aimerais aussi savoir ce que vous pensez de la procédure d'appel, des recours qui existent à cet égard, du temps qu'il faut pour entendre les appels et en arriver à une décision.

M. David Matas: Premièrement, c'est peut-être parce que j'ai présenté le mémoire, non pas au nom d'une organisation, mais en mon nom personnel, que le langage est un peu plus incendiaire qu'il ne l'aurait été autrement. Par ailleurs, j'ai représenté un certain nombre de clients qui ont été très maltraités. J'ai des clients qui ont été victimes de contrefaçon de la part du ministère. J'ai des clients qui ont été renvoyés sans motif valable. J'ai des clients qui ont réussi à être acceptés comme réfugiés la deuxième fois à cause de la façon dont ils avaient été renvoyés la première fois. J'ai donc vu personnellement beaucoup de problèmes.

Quand je vois ces problèmes et que je les signale au ministère, il me semble que je n'obtiens guère de réaction. L'affirmation que je fais au sujet du leadership est en partie attribuable au fait que le ministère ne semble pas réagir aux problèmes qui lui sont signalés. Il ne semble pas réagir comme il le devrait, avec assez de sérieux et de rapidité.

L'affirmation tient aussi à la façon dont le ministère est structuré. La loi sert en fait deux objectifs. Le premier est d'admettre certaines personnes et l'autre est d'en exclure certaines. Le ministère est donc bicéphale, comme je le dis dans mon mémoire. Ces gens travaillent toutefois d'un côté ou de l'autre, du côté de l'admission ou du côté de l'application. Ils s'occupent, selon le cas, uniquement d'admission ou uniquement d'application. Ceux qui travaillent du côté de l'application ont une éthique de groupe et ont tendance à s'appuyer les uns les autres, ont tendance à approuver ce que font leurs collègues et à adopter certaines pratiques particulières à leur milieu. Quand l'un d'entre eux fait quelque chose d'inacceptable, les autres n'en sont pas horrifiés. Ils ont tendance à être trop indulgents. C'est l'existence de ce problème d'éthique de groupe que Roger Tassé a voulu démontrer dans son rapport, bien qu'il l'ait fait de façon bien plus diplomatique que moi.

En ce qui a trait à la procédure d'appel, j'estime qu'il en faut une. Je n'aime pas les appels, mais j'estime que la procédure d'appel est nécessaire pour permettre de corriger les erreurs qui se produisent. Le problème que présente le système est attribuable, non pas à la procédure d'appel, mais à la multiplicité des étapes non fonctionnelles qui grugent du temps et des ressources sans vraiment permettre d'accomplir quoi que ce soit. Ainsi, tout le monde doit passer par la détermination de l'accessibilité, mais presque tout le monde franchit cette étape. Qu'accomplissons-nous ainsi? Par contre, presque tout le monde échoue à l'étape de l'examen des demandeurs non reconnus. Qu'accomplissons-nous ainsi? Il y a aussi l'examen judiciaire, qui est important, mais dont les limites sont tellement strictes qu'il ne permet pas, le plus souvent, de régler les problèmes majeurs.

Dans une certaine mesure, c'est ce que l'examen législatif vise à faire ressortir. Nous avons un système très compliqué qui gruge beaucoup de temps et de ressources, mais qui ne permet pas d'obtenir un minimum de résultats sur le plan de l'application régulière de la loi et de la procédure d'appel.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Madame Girard-Bujold.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Vous m'avez fait sursauter, monsieur. Vous avez dit que pour renvoyer dans leur pays d'origine des femmes étrangères qui avaient été parrainées par des Canadiens, qui étaient venues s'établir ici et qui n'étaient plus liées par les liens du mariage à leur parrain, des fonctionnaires auraient émis de faux documents.

[Traduction]

M. David Matas: Non, ce sont là deux problèmes distincts. Dans les cas de contrefaçon dont j'ai eu connaissance, il n'était pas question de mariage. Il était en fait question de mariage dans un cas, mais le conjoint étranger était, non pas une femme, mais un homme. Dans l'autre cas, il s'agissait d'un client à moi dont la demande de statut de réfugié avait été rejetée. Ce sont les deux cas de contrefaçon dont j'ai eu connaissance. Il y en a eu d'autres au ministère, mais les personnes en cause n'étaient pas de mes clients.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Mais est-ce qu'on pourrait en savoir davantage? Existe-t-il des statistiques au sujet des femmes qui sont venues s'établir au Canada, qui étaient parrainées par des Canadiens, qui ont été mises en cause et qui ont été expulsées? Je serais intéressée à en prendre connaissance.

[Traduction]

Le président: Nous pourrions certainement faire enquête et essayer d'obtenir des informations à ce sujet. Vous soulevez là un point intéressant.

M. David Matas: Le problème dont il est question aussi dans ce rapport...ils font des recommandations à ce sujet.

• 1730

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Vous souligniez également l'importance des rapports Tassé et Peat Marwick et disiez qu'on n'en avait pas tenu compte pour faire avancer tout ce qui touche la question de l'immigration. Est-ce que vous pourriez nous préciser votre pensée? Vous disiez qu'ils contenaient de bonnes recommandations, mais qu'on ne les avait pas pris en considération.

[Traduction]

M. David Matas: C'est le rapport Citoyenneté et Immigration Canada, rapport d'évaluation du Groupe de travail fait par KPMG Investigation and Security en date du 25 mai 1995. C'est celui-là. Le rapport Tassé a été publié le 22 février 1996. Il s'intitule Les renvois, un processus et un personnel en évolution. Ça, c'est l'autre.

Dans les deux cas, c'était de bons rapports, à mon avis, et ils n'ont pas eu de suite à ma connaissance.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Folco.

[Français]

Mme Raymonde Folco: Je voulais justement vous poser une question au sujet du rapport Tassé parce que vous avez parlé de l'éthique des agents d'immigration et des fonctionnaires du ministère de l'Immigration et de la Citoyenneté. Les recommandations du rapport Tassé disaient très clairement qu'il fallait revoir toute l'éthique qui était sous-jacente au fonctionnement de ce ministère, y compris sur la question des renvois.

Il devait y avoir, d'une part, une revue de toute l'éthique sous-jacente au fonctionnement de ce ministère et, d'autre part, de la formation à l'intention des agents du ministère par rapport à cette nouvelle éthique. En fait, si j'ai bien compris l'esprit de cette partie des recommandations, toute la culture du ministère en ce qui concerne les renvois était à revoir, autant au point de philosophique que pratique. À votre avis, y a-t-il eu des changements depuis 1996, quand le rapport Tassé a été rendu public?

[Traduction]

M. David Matas: Si vous vous reportez aux recommandations précises qui ont été faites par M. Tassé, elles n'ont pas été mises en oeuvre à ma connaissance. S'il existe un code déontologique, je ne l'ai pas vu. À ma connaissance, c'est simplement quelque chose qui est en cours de préparation.

Pour ce qui est des personnes en cause dans les cas qui surviennent chaque jour, certaines des histoires d'horreur dont je fais état dans mon mémoire sont nouvelles, tandis que d'autres sont plus anciennes. J'en vois toujours. Je vois toujours des problèmes qui, selon moi, sont attribuables à la mentalité qui prévaut dans le milieu de l'application de la loi. On n'a pas encore mis fin à cela. Il faut prendre des mesures radicales pour y mettre fin, et on ne l'a pas encore fait.

[Français]

Mme Raymonde Folco: C'est l'impression que j'avais aussi, monsieur le président, et c'est pourquoi j'ai posé la question. Je voulais que cela soit inscrit dans le procès-verbal de la réunion. Merci.

[Traduction]

Le président: Merci.

Madame Minna.

Mme Maria Minna: Je voulais simplement ajouter un élément d'information au sujet du rapport Tassé et du code déontologique. Il existe un code déontologique, mais il s'applique à l'ensemble du ministère à l'heure actuelle. Il ne vise pas un service en particulier, mais il existe des lignes directrices précises qui tiennent lieu de code déontologique pour l'ensemble du ministère.

J'ai certaines questions à poser. J'ai pris connaissance de votre mémoire et je veux en lire certaines parties plus attentivement, mais j'aimerais parler un peu de la détention, des renvois et de quelques autres questions. Je suis désolée, mais je n'ai pas encore lu votre mémoire en entier.

Comme nous traitons aussi de certaines des recommandations contenues dans le livre, il faut que nous nous attardions à ces recommandations. Je veux parler un peu de la question, par exemple, du statut provisoire recommandé. Que pensez-vous de cette recommandation? Nous devons en tenir compte dans nos discussions.

M. David Matas: Le statut provisoire?

Mme Maria Minna: Oui.

M. David Matas: La préoccupation majeure que j'ai à ce sujet... Le statut provisoire n'est pas sans mérite, car il donne un statut à des personnes qui autrement n'en auraient pas, et à l'heure actuelle les gens qui sont sans statut pourraient avoir du mal à obtenir un permis de conduire, à obtenir des soins de santé, à ouvrir un compte en banque et plein d'autres choses. Les gens ont besoin d'avoir un document d'identité quelconque, et le statut provisoire les aide en ce sens.

Le problème majeur qui se pose à l'égard du statut provisoire tient au fait que, si on ne l'a pas, on est mis en prison. On peut ainsi détenir automatiquement plein de gens. L'effet est pervers, et le statut provisoire conduira à la détention de toutes sortes de personnes qui ne devraient pas être détenues.

• 1735

Il y a de bonnes raisons d'avoir un statut provisoire, mais il n'y a aucune raison de détenir tout le monde qui n'a pas ce statut.

Mme Maria Minna: D'après l'interprétation que je fais du rapport, tout le monde devrait l'avoir. Il ne serait révoqué que si la personne refusait de collaborer—ça, c'est une tout autre définition—et elle serait alors détenue, ce qui m'amène à ma question suivante. Dans quelles circonstances une personne pourrait-elle être détenue selon vous? Quelles seraient les raisons de détenir quelqu'un? Dans le rapport, on recommande que le niveau de détention soit bien plus élevé, si je ne m'abuse.

M. David Matas: Le refus de collaborer dont il est question pourrait conduire à des détentions qui, selon moi, constitueraient un effet assez pervers. Ainsi, il serait possible de détenir le réfugié qui refuserait de collaborer et de faire sa part pour obtenir un passeport—ça, c'est dès son arrivée-ou encore qui ne se dirait pas prêt à repartir—dès son arrivée. Cette situation est incompatible avec le processus de demande du statut de réfugié. La personne qui veut demander le statut de réfugié ne veut pas retourner dans son pays; alors pour éviter d'être détenue, elle doit reconsidérer sa demande.

Je le vois chez mes clients... Le ministère a un pouvoir de détention préliminaire. Les fonctionnaires disent au demandeur qu'il doit les aider à lui obtenir un passeport, sinon il sera mis en détention. Le demandeur fait donc ce qu'il faut pour obtenir un passeport, puis les fonctionnaires lui disent qu'il n'est pas un réfugié au vrai sens du terme parce qu'il a fait une demande de passeport. C'est le genre de situation impossible dans laquelle se retrouvent les demandeurs du statut de réfugié et dont il est question dans le rapport. C'est tout à fait inacceptable.

Pour ce qui est de ce qui serait acceptable, je crois que la loi est assez bonne dans l'ensemble. Les motifs de détention énoncés sont notamment le défaut probable de comparaître et le danger pour le public. Ce sont les seuls critères qui à mon avis sont acceptables. Toutes les autres exigences, comme de nous aider à déterminer qui vous êtes—à quoi cela rime-t-il, sinon de dire que, si nous ne savons pas qui vous êtes, ce doit être que vous êtes un indésirable. On détient des gens en se fondant uniquement sur des soupçons.

Mme Maria Minna: Nous avons entendu beaucoup d'autres témoins nous dire qu'on détient ceux dont on pense qu'il est probable qu'ils ne se présenteront pas. Dans les faits, ils n'ont pas encore eu à se présenter; alors, si j'estime qu'une personne ne se présentera pas, sur quoi dois-je me fonder? Il n'y a rien de prouvé. C'est que l'agent ou la personne suppose ou conclut que le demandeur ne se présentera pas, en se fondant vraisemblablement sur d'autres comportements; je ne sais pas. Les autres témoins s'inquiétaient de la marge de manoeuvre qu'on aurait ainsi pour déterminer s'il y avait lieu de détenir le demandeur.

M. David Matas: Je crois que cela revient à un point que M. Dromisky a soulevé, à savoir la compatibilité de ces procédures avec d'autres procédures. Après tout, ces procédures ne sont pas les seules en matière de détention. Il y a aussi les procédures de cautionnement en cas de détention, et bien souvent ce sont les mêmes personnes qui sont visées par les deux types de procédures. À mon avis, elles devraient être compatibles les unes avec les autres.

Or, elles ne le sont pas. Il est bien plus facile d'être libéré quand on est détenu pour un acte criminel, il est bien plus facile d'obtenir son cautionnement dans ce cas-là qu'il n'est facile de l'obtenir quand on est détenu pour une question d'immigration. Il ne devrait pas en être ainsi.

Cette différence ne s'explique pas par une différence dans la loi. Si vous confrontez la Loi sur l'immigration et le Code criminel, vous verrez que les critères sont essentiellement les mêmes. C'est l'attitude qui fait la différence. Si vous vous reportez aux critères plus détaillés, vous constaterez que, dans certains cas, ils sont beaucoup moins rigoureux.

Il me semble qu'il faut que les critères soient semblables. Il faut que les montants soient semblables aussi. La Loi sur la réforme du cautionnement se fondait notamment sur le principe qu'on ne met pas les gens en prison parce qu'ils sont pauvres. On ne fixe pas le montant de la caution à un niveau tellement élevé que les gens n'ont pas les moyens de la payer et doivent donc rester en prison.

Ce principe ne se retrouve pas dans la Loi sur l'immigration. Des montants exorbitants sont fixés pour le cautionnement dans les cas d'immigration, et les gens sont effectivement retenus dans ces cas-là parce qu'ils sont pauvres. Il ne devrait pas en être ainsi.

Le président: Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, monsieur Matas. Je suis heureuse de vous revoir.

Je me débats avec toute une série de questions. Je voudrais tout d'abord vous demander si, dans l'exercice de votre profession, vous avez constaté qu'il y avait des différences de traitement— en raison de la race, de la couleur, du lieu d'origine—si vous avez constaté que la légitimité d'un mariage était plus susceptible d'être mise en doute dans certaines circonstances; la question des tests sanguins exigés pour prouver les liens de parenté; la question des chances qu'on puisse s'établir avec succès au Canada et le refus du droit aux services d'un avocat—ce sont là autant d'éléments qui, à mon avis, peuvent comporter des aspects discriminatoires. Je me demande s'il s'agit là d'une perception seulement ou si vous avez effectivement constaté qu'il y avait de ces différences.

• 1740

Ma deuxième question tient au fait que j'essaye d'établir des liens plus clairs—et je vous demande de m'aider à cet égard— entre l'inacceptabilité, la détention et le renvoi du Canada et ce dont nous avons besoin dans ce domaine en particulier en fait de ressources, de formation et d'autres liens pour assurer l'efficacité de tous ces processus.

M. David Matas: En réponse à votre première question, si je m'en tiens uniquement au nombre de cas auxquels j'ai eu affaire et où il y a eu des problèmes, je dirais que, dans un nombre disproportionné de cas, c'était des non-Blancs, des résidents de pays du tiers monde.

En fait, j'ai présenté une plainte, avec d'autres. Et quelques-uns d'entre nous ont déposé une plainte contre le bureau local à la Commission canadienne des droits de la personne parce que nous pensions déceler une tendance. Nous avons eu quelques rencontres avec les représentants du bureau local et de la Commission. Le personnel du bureau local a présenté des statistiques mais elles n'étaient pas suffisantes pour tirer des conclusions, quelqu'elles soient.

Il existe toutefois des critères objectifs qui ont manifestement des effets discriminatoires. Si vous prenez le critère utilisé pour juger d'un établissement réussi, vous verrez qu'il a un effet discriminatoire à l'endroit des femmes avec de jeunes enfants à charge. Il aura un effet discriminatoire à l'endroit de ceux qui viennent de pays plus pauvres.

Si vous prenez par contre le critère relatif aux documents d'identité, il aura un effet discriminatoire à l'endroit de ceux qui viennent de pays où les systèmes de documentation laissent à désirer. Dans notre culture, nous attachons beaucoup d'importance aux documents, tout est consigné, mais d'autres personnes viennent de pays où la tradition est davantage orale. Nous faisons de la discrimination à l'encontre de ceux qui viennent de pays à tradition orale qui n'attachent pas une si grande importance—je dirais même une importance indue—aux documents écrits.

De nos jours, la discrimination est beaucoup plus subtile qu'elle ne l'était il y a quelques décennies où les gens avaient des comportements manifestement discriminatoires. Maintenant la discrimination se voit surtout dans ses effets. Je crains que le ministère se soucie peu des effets discriminatoires de ses politiques. Je ne peux pas présenter des résultats d'analyse pour étayer mes dires et je pense que le ministère devrait lui faire faire de telles analyses.

Votre deuxième question concernait le lien entre la non-inadmissibilité, la détention et le renvoi. Ce qui me préoccupe c'est que le lien soit actuellement beaucoup trop étroit. Trop de gens sont détenus en vue de leur renvoi et trop de gens sont détenus sous prétexte qu'ils sont inadmissibles. C'est un gaspillage de ressources. C'est aussi inhumain. Beaucoup de ces gens pourraient être renvoyés sans détention préalable.

Le président: Merci.

Je dois mettre fin à la séance. Merci des mémoires que vous avez présentés.

M. David Matas: Merci de nous avoir invités.

Le président: Nous allons maintenant passer à notre témoin suivant, M. David Garon de la Fédération maritime du Canada.

David, vous avez la parole.

M. David Garon (gérant, Administration maritime, Fédération maritime du Canada): Bon après-midi, et merci de prendre ainsi le temps de nous écouter aujourd'hui.

Comme M. Matas, j'aimerais faire un exposé d'environ cinq minutes. Cela suscitera peut-être des questions dans vos esprits et alimentera une discussion un peu plus poussée.

Je soupçonne par ailleurs que mon éclairage de la question sera quelque peu différent de celui d'autres témoins que vous avez entendus jusqu'à maintenant. Notre approche est plus technique et porte sur un aspect plus restreint de la question.

La Fédération maritime, que je représente, est formée de 78 compagnies canadiennes qui agissent à titre d'agents pour environ 90 p. 100 des navires océaniques qui ont pour port d'attache des ports de l'est du Canada. Ces navires transportent plus de 150 millions de tonnes de marchandises à chaque année entre les ports canadiens et étrangers.

• 1745

Depuis 1991, environ 3 600 personnes sont venues au Canada comme passagers clandestins ou comme déserteurs. Ces personnes réclament le droit d'asile au Canada.

Un nombre toujours croissant d'entre eux font l'objet d'ordonnances de renvoi quand leur dossier a été examiné. Entre temps, au cours de la dernière année, le ministère a augmenté d'environ 90 p. 100 le nombre de renvois de candidats au statut de réfugié dont la revendication a été rejetée.

Les coûts de ces renvois grimpent en flèche en partie du fait que les revendicateurs de statut déboutés commencent à résister violemment au renvoi. Quand deux tentatives de renvoi d'une personne mise à bord d'un vol commercial ont échoué, le ministère nolise un avion privé pour transporter ces personnes jusqu'à leur destination. Les coûts d'escorte sont de 16 000 $ par personne et les coûts du vol atteignent 20 000 $ par revendicateur de statut débouté. Ces sommes sont facturées à nos membres.

Les coûts préliminaires imputés à nos membres par le ministère au moment de l'arrivée d'un revendicateur de statut s'élèvent déjà pour notre secteur d'activité à plus de 25 millions de dollars depuis 1991. Étant donné qu'il y a environ 1 600 personnes qui devront être renvoyées à nos frais au cours des quelques années qui viennent, le coût de ces renvois dans les conditions que je vous ai décrite, nous coûteront encore 40 millions de dollars de plus.

La plupart des entreprises canadiennes mandataires, que le ministère tiendrait redevables de ces coûts, sont des petites et moyennes entreprises. Un sondage réalisé en 1995 révèle que notre secteur compte environ 4 000 employés dont 60 p. 100 travaillent pour des entreprises comptant moins de 50 employés. Le fardeau que représentent les coûts de renvoi pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour nos membres puisque la menace de faillite est très réelle.

La définition de transporteur dans la loi ne fait aucune distinction en fonction du secteur d'activité. C'est là l'un des problèmes. Il y a de nombreux genres de transporteurs allant de British Airways, par exemple, aux transporteurs routiers internationaux en passant par les compagnies ferroviaires et nos membres.

Dans chacun des secteurs d'activité, l'entreprise canadienne a plus ou moins de contrôle sur les mesures de sécurité prises à l'étranger. Songez, par exemple, aux mesures de sécurité financées à même les fonds publics dont bénéficient les compagnies aériennes dans tous les aéroports du monde et comparez-les aux mesures de sécurité financées à même leurs fonds privés que les transporteurs maritimes peuvent parfois imposer aux administrations portuaires ou aux fournisseurs de services de débardage à l'étranger. La loi ne fait aucune distinction entre la responsabilité d'un grand transporteur aérien international, par exemple, et les agences maritimes.

Nous ne demandons pas que le transporteur cesse d'être responsable. Nous demandons plutôt que ce soit les transporteurs et non pas les agences maritimes qui soient tenues d'assumer les frais s'ils transportent des passagers clandestins ou des déserteurs. La loi doit faire une distinction entre les deux modes afin de refléter les différentes structures du secteur maritime.

Nous appuyons les recommandations du rapport Trempe en ce qui a trait à la liste des tiers pays sûrs. Je soupçonne que ce n'est pas une position très répandue. À notre avis, un régime de renvoi vers un tiers pays sûr, étant donné les diverses mesures et normes recommandées, aurait pour effet de contrôler le nombre de demandeurs du droit d'asile qui se réfugient dans des pays contigus à leur pays d'origine.

Le renvoi vers un tiers pays sûr réglerait aussi le problème moral qui se pose à ceux dont dépend le sort d'un revendicateur de statut. À l'heure actuelle, le Canada reçoit des demandeurs d'asile qui viennent ici uniquement par opportunisme. De nombreux demandeurs du droit d'asile pourraient très bien être traités dans un tiers pays sûr mais ils viennent au Canada parce qu'ils ont les moyens de s'acheter un passage frauduleux ou illégal. Cela les met aussi à la merci de passeurs criminels.

Des dizaines de milliers de personnes ont désespérément besoin de notre aide, particulièrement en Afrique où la majorité des réfugiés sont trop éloignés des ports qui leur permettraient de venir par mer au Canada et sont trop pauvres pour se payer les services douteux de passeurs criminels. Il faut modifier le système pour qu'il soit impossible d'acheter son passage jusque dans un pays où l'on demandera le droit d'asile.

En ce qui a trait plus particulièrement aux passagers clandestins, la désignation préalable de plusieurs pays de l'Union européenne comme tiers pays sûr pouvant accueillir d'authentiques demandeurs d'asile aurait eu pour effet d'éliminer l'essentiel de la migration roumaine illicite par mer vers le Canada. Environ 70 p. 100 des passagers clandestins sont roumains. Cela aurait garanti le respect du régime de tiers pays sûr et aurait garanti le renforcement du nouveau système grâce à des politiques d'application plus rigoureuses au Canada. Nous croyons que cela aurait empêché la tragédie survenue à bord du Dubai en 1996.

Par ailleurs, les déserteurs posent un problème différent et plus difficile à régler parce qu'ils arrivent au Canada comme membres d'équipage légitimes. Toutefois, l'imposition du renvoi vers un tiers pays sûr éliminerait de nombreuses demandes d'asile opportunistes parce qu'obligation serait faite au demandeur d'asile de présenter sa demande dans le premier pays sûr traversé par le marin.

Étant donné le mauvais pas dans lequel se trouve notre secteur, nous recommandons la mise en place de cinq mesures: que la nouvelle loi, lorsqu'elle sera adoptée, prévoie l'adoption de recommandations pour l'instauration d'un régime de tiers pays sûr conformément au rapport Trempe; que la nouvelle loi impose le fardeau financier à ceux qui transportent effectivement au Canada des passagers clandestins et des déserteurs, et non pas à l'Agence maritime canadienne; qu'il y ait dans la nouvelle loi des dispositions distinctes concernant le secteur maritime afin de régler, entre autres choses, le problème des déserteurs et des passagers clandestins; que la nouvelle loi habilite le ministère à détenir un navire pendant un maximum de sept jours au lieu des 48 heures prévues actuellement—et, si vous le voulez, je vous fournirai plus tard l'explication; et, enfin, que la nouvelle loi comporte des définitions positives et indépendantes des termes «passagers clandestins» et «déserteurs». À l'heure actuelle, ces deux notions ne sont pas définies dans la loi et cela crée certains problèmes.

• 1750

Le président: Très bien.

[Français]

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Tout d'abord, merci de votre présentation. J'ai trouvé, à mon corps défendant, dois-je dire, qu'il y a bien des choses que vous dites qui sont tout à fait vraies. Par exemple, quand vous dites à la page 4 que beaucoup de gens n'arrivent pas au Canada parce qu'ils n'ont pas l'argent pour le faire, c'est tout à fait vrai. Nous l'avons remarqué et j'ai moi-même remarqué que très peu de gens nous viennent des pays de l'Afrique qui ont Dieu sait combien de millions de réfugiés. Une des grandes raisons pour lesquelles ils sont si peu nombreux à venir chez nous, c'est qu'ils ne peuvent pas se le permettre financièrement. C'est tout à fait vrai.

Cependant, j'aimerais que vous nous parliez davantage de la question du troisième pays de refuge. Je vois difficilement comment le fait de les renvoyer vers un troisième pays peut vous aider, en tant que représentant d'une compagnie maritime et en tant que lien faisant partie du chaînon entre le point de départ et le point d'arrivée. Vous êtes en plein milieu: vous êtes le chaînon qui amène du point de départ au point d'arrivée. J'aimerais que vous puissiez m'expliquer en quoi le renvoi vers un troisième pays pourrait faciliter votre travail en tant que propriétaires de petites et moyennes entreprises dans ce domaine.

[Traduction]

M. David Garon: Oui, et comme Brian Grant vous l'a signalé il y a quelques semaines, je crois, le défi serait de régler le problème des renvois avant d'y être obligé. C'est-à-dire de tenter de régler le problème des revendicateurs là où ils sont plutôt que là où ils se retrouvent, c'est-à-dire ici.

Comme je vous l'ai dit il y a quelques instants, 70 p. 100 des passagers clandestins arrivés au Canada au cours des sept dernières années étaient Roumains. La quasi-totalité d'entre eux sont embarqués dans des ports en France, en Belgique, en Italie, en Allemagne et en Angleterre. S'ils sont montés à bord dans ces pays c'est qu'un grand nombre d'entre eux ont déjà présenté une revendication de statut, habituellement en France, en Belgique ou en Allemagne où ils ont essuyé un refus, ou ils se sont lassés d'attendre une décision sur leurs revendications. De fait, lorsqu'au cours du voyage ils révèlent leur présence à un membre de l'équipage, bon nombre d'entre eux ont sur leur personne une ordonnance d'expulsion des divers États.

À notre avis, s'il existait un régime de renvoi vers un tiers pays sûr, comme nous l'indiquons dans notre recommandation où il est question d'une catégorie précise—c'est-à-dire les Roumains qui arrivent comme passagers clandestins—nous rendrions le Canada, comme destination, bien moins attrayant pour les passagers clandestins roumains. C'est qu'ils pourraient présenter leurs revendications et être retournés vers leur pays d'origine.

[Français]

Mme Raymonde Folco: Merci, monsieur le président.

C'est justement ça. À quelques exceptions près, ce sont presque toujours des Roumains qui font ce genre de voyages. Je me disais qu'on pourrait les renvoyer vers la France, par exemple, qui a des lois par rapport aux réfugiés dont on a refusé la demande ailleurs. Pourquoi la France accepterait-elle maintenant de recevoir des gens dont nous avons refusé la demande, lorsqu'elle avait elle-même refusé il y a six mois ou un an de les accueillir?

Ce que je comprends de vos propos, c'est que ce n'est pas véritablement une question de renvoi vers un troisième pays, mais plutôt une question de faire peur aux réfugiés pour qu'ils ne viennent pas ici au Canada en première instance. C'est ça, le fond de votre présentation. Est-ce que je me trompe?

[Traduction]

M. David Garon: Je ne dirais pas que le but est de les effrayer, mais plutôt de les dissuader.

[Français]

Mme Raymonde Folco: Peut-être n'ai-je pas utilisé le bon mot.

[Traduction]

Un effet dissuasif.

M. David Garon: Oui, pour les dissuader. Je ne crois pas que nous ayons jamais préconisé... je m'occupe de ce dossier depuis six ans. Nous ne voudrions pas être perçus comme hostiles aux réfugiés, parce que ce n'est pas le cas.

Notre problème, c'est que nous voulons empêcher les gens de courir des risques ou d'en faire courir à d'autres. Ce n'est pas une très bonne façon de venir au Canada. Ce n'est pas bon pour nous et ce n'est pas bon pour eux.

• 1755

Nous savons, par exemple, que depuis 1992, 20 personnes ont trouvé la mort alors qu'elles tentaient de venir au Canada, et la grande majorité des morts ont été trouvés avant d'arriver au Canada. Les causes des décès varient. Par exemple, dans notre secteur d'activité, les conteneurs utilisés pour transporter des denrées alimentaires ont un revêtement en bois sur lequel on utilise un produit de fumigation qui est incolore, inodore et très toxique. Trois Roumains sont morts à Felixstowe en 1993 pour avoir respiré ce produit.

J'aimerais aussi aborder la question de savoir si la France ou un autre pays accepterait que ses passagers clandestins soient retournés. Certaines mesures ont été prises en ce sens. En novembre de l'an dernier, l'Organisation maritime internationale, l'équivalent maritime de l'OACI, a adopté un amendement à la Convention internationale pour faciliter le transport maritime dont le Canada et la France sont signataires. L'amendement, entre autres choses, prévoyait le partage des responsabilités en cas de renvoi des passagers clandestins et, bien entendu, l'application des règles de droit.

J'ajouterai que la nouvelle position de l'OMI résultait des efforts faits par notre ministère ici. Le principal négociateur, maintenant retraité, était le directeur des transports à Immigration Canada.

Des efforts ont été entrepris pour qu'une loi canadienne soit adoptée dans le même sens. La convention internationale inclut, pour la première fois, une définition de passager clandestin qui pourrait être reprise dans la loi canadienne.

[Français]

Mme Raymonde Folco: Je trouve que l'élément que vous venez de soulever est extrêmement intéressant. Pourriez-vous nous donner un exemple de ce changement au règlement? Vous avez parlé de deux raisons, dont ce partage des responsabilités, avec une possibilité de législation à l'interne en ce qui concerne les pays signataires, et la définition des déserteurs et des...

M. David Garon: Des clandestins.

Mme Raymonde Folco: C'est ça. J'ai trouvé ça intéressant.

[Traduction]

Le président: Merci

Monsieur Mahoney.

M. Steve Mahoney: Merci, monsieur le président.

J'aimerais vous demander de nous donner plus de détails. Je suis un peu secoué par certains faits présentés ici. Je n'étais pas conscient de la gravité du problème. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de cas où l'on nolise des avions privés pour effectuer le renvoi? Pouvons-nous obtenir des détails sur ce genre de pratique?

Vous pourriez peut-être m'expliquer ce que vous voulez dire lorsque vous affirmez que vous êtes d'accord pour que l'on fasse payer les frais d'expulsion aux compagnies de transport individuelles plutôt que... Est-ce votre association qui reçoit la facture? Vous pourriez peut-être éclaircir ce point pour moi.

M. David Garon: Pour le moment, la définition d'une compagnie de transport inclut soit le propriétaire-exploitant d'un navire, soit l'agent canadien. Le propriétaire ou exploitant du navire est habituellement une société étrangère.

M. Steve Mahoney: L'agent canadien est-il comme un courtier?

M. David Garon: C'est un peu comme un agent de voyage sauf qu'il s'agit de marchandises.

M. Steve Mahoney: C'est donc un courtier en douane.

M. David Garon: Oui, en un sens, pour ce qui est de la taille, bien qu'il assume certaines responsabilités, c'est-à-dire monter sur le navire avec les douaniers, s'occuper des formalités d'immigration pour l'équipage, de la documentation, du marketing et du soutien opérationnel. Mais le navire appartient à des intérêts étrangers et c'est habituellement une société étrangère qui en assure le fonctionnement.

Le problème c'est que dans la plupart des cas les navires qui viennent au Canada—on entre ici un peu dans les détails de nos activités—s'appellent des navires de tramping, c'est-à-dire qu'ils sont affrétés au voyage. Ce sont des navires qui parcourent les mers à la recherche de marchandises. Ils viennent donc au Canada ballastés, c'est-à-dire non chargés, après avoir été repositionnés à partir de pays comme Cuba. Un courtier à New York ou à Londres aura réussi à vendre l'espace sur le navire à un expéditeur de Chicoutimi par exemple. Donc, pendant que le navire est en mer il recevra l'ordre de se rendre au Canada. Il arrivera au Canada et l'exploitant du navire qui loue le navire du propriétaire nomme un agent au Canada—qui serait un de mes membres—qui s'occupe de remplir les papiers nécessaires pour que le navire puisse entrer au Canada.

Le navire arrive au Canada et nous découvrons qu'il y a quatre Cubains à bord qui ne devraient pas s'y trouver. Selon la loi à l'heure actuelle, mon membre ou le propriétaire l'exploitant du navire sont responsables conjointement ou individuellement.

• 1800

Le propriétaire appareille son navire, met les voiles et tire sa révérence. L'agent canadien est coincé et doit payer le montant total. Dans ce cas-ci, pour quatre personnes le montant préliminaire à payer serait de 28 000 $ et plus tard, jusqu'à 9 ou 10 ans plus tard lorsque ces personnes seront finalement renvoyées, si elles sont renvoyées, notre membre serait responsable de régler le reste de la facture.

M. Steve Mahoney: Ce navire qui aurait des droits d'escale ici au Canada aurait un numéro d'enregistrement. Il y aurait une façon de le retracer...

M. David Garon: Non.

M. Steve Mahoney: Ah non? il disparaît dans l'Atlantique?

M. David Garon: Non. Malheureusement, c'est justement le problème. Dans un domaine comme le nôtre, l'armateur a tendance à changer de pavillon, de nom, de banque et à disparaître dans la nature de façon assez régulière. C'est ainsi que les choses se passent dans ce secteur.

L'une des choses...

M. Steve Mahoney: Il semble que vous ayez un problème plus grave que le nôtre.

M. David Garon: Il y a des solutions. C'est un problème canadien de façon assez directe car le Canada n'a pas de flotte de haute mer et ce, pour de très bonnes raisons économiques, et tout notre commerce sauf avec les Américains se fait sur ces navires, de sorte que nous devons résoudre ce problème pour que nous puissions poursuivre nos activités commerciales. Je pense que cela est une question importante pour nous tous.

L'une des recommandations que nous avons faites c'est que le ministère, qui a actuellement le pouvoir de ne détenir un navire que pour 48 heures—c'est-à-dire, non pas d'arrêter le navire ou de le saisir, mais tout simplement de le détenir pendant 48 heures—puisse détenir les navires pendant un maximum de cinq jours.

La raison, c'est que, par exemple, un vendredi soir un navire est prêt à appareiller et on s'aperçoit qu'il y a trois déserteurs. Le navire bat pavillon de la Grèce ou a des propriétaires grecs. En Grèce, ils sont rentrés chez eux. Donc, l'agent canadien communiquera avec le propriétaire grec—lui enverra un message par télécopieur, lui passera un coup de fil, ou autre—mais il n'y a personne là-bas pour lui répondre.

M. Steve Mahoney: Jusqu'à lundi.

M. David Garon: Oui, mais le dimanche soir les 48 heures viennent à échéance. Le navire appareille et l'agent canadien ne pourra jamais récupérer l'argent. Voilà le problème.

Nous avons des sociétés membres qui se sont retrouvées après quelques mois avec une dette de 280 000 $ uniquement sous forme de dépôts préliminaires.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Girard-Bujold.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Monsieur Garon, ce que vous venez de nous dire est effrayant: n'importe qui peut amener des gens de l'extérieur à bord de bateaux ou à bord de n'importe quoi et ne pas être tenu responsable. Quand ils les déportent ici, c'est vous autres et nous autres qui sommes responsables.

M. David Garon: Exactement.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Et il n'y a absolument rien dans la Loi sur l'immigration pour contrer cela. Ces frais deviennent les nôtres.

Il est important que la Loi sur l'immigration tienne compte de votre recommandation D, ainsi que de votre recommandation E, qui porte sur la distinction entre un déserteur et un passager clandestin. Pourriez-vous préciser votre pensée?

[Traduction]

M. David Garon: Si j'ai bien compris, nous devons avoir une définition de ce qu'est un passager clandestin. À l'heure actuelle, la loi traite les passagers clandestins comme de simples arrivants non munis des documents voulus, et il y a une différence considérable entre un passager clandestin, par exemple, qui demande l'asile et, à notre avis, toutes les autres catégories de demandeurs. Seul le passager clandestin à bord d'un navire met d'autres personnes en danger en venant au Canada. C'est le seul demandeur qui fait cela, et c'est parce que lorsqu'il est à bord du navire sa présence n'est pas connue.

Je vais vous donner un exemple. Un navire arrive à Halifax avec 6 000 conteneurs. Il a un équipage de 14 personnes. Des 6 000 conteneurs, il y en a peut-être 600 qui contiennent des produits dangereux: des explosifs, des produits radioactifs, des produits poisons, etc. Ces personnes sont habituellement cachées dans des conteneurs qui sont chargés sur le pont et non dans la cale—car il est plus facile pour eux d'en sortir une fois que le navire est en mer depuis trois jours.

L'Atlantique Nord est extrêmement froid pendant presque toute l'année, et s'ils sont tentés d'allumer un feu dans le conteneur et qu'il se retrouve à l'intérieur d'un conteneur qui contient des bonbonnes de peroxyde d'hydrogène, celles-ci pourraient exploser et faire couler le navire. Ce ne serait pas très amusant si cela se produisait dans le port de Halifax ou dans le golfe Saint-Laurent.

Les navires qui viennent à Montréal à l'heure actuelle transportent environ 2 500 conteneurs. La situation est semblable. En fait, Montréal est le port de destination de préférence pour la plupart des passagers clandestins qui viennent au Canada.

Le président: Merci beaucoup. Aviez-vous une autre question?

• 1805

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Oui, je voudrais renchérir sur vos prévisions selon lesquelles il nous en coûtera bientôt 40 millions de dollars pour renvoyer ces gens qui n'ont pas de statut chez eux, parce que c'est nous qui sommes supposés les renvoyer

Moi, je trouve cela gros. On n'a jamais été saisis de ce fait. N'avez-vous jamais fait de démarches auprès des fonctionnaires du ministère de l'Immigration pour leur faire part de cela? Quelle a été leur réaction? Leur en avez-vous fait part à plusieurs reprises? J'aimerais que vous nous en brossiez le tableau. Est-ce que vous faites des démarches depuis plusieurs années sans réussir à les faire bouger?

[Traduction]

M. David Garon: Depuis 1992, j'ai passé environ le tiers de mon temps à travailler sur ce dossier. Je rencontre régulièrement les hauts fonctionnaires responsables de l'application de la loi. La dernière fois que j'ai rencontré Brian Grant et Susan Leith, c'était le 13 mars. En fait, j'ai rencontré M. Matas, le dernier témoin, en 1994 au cours d'une série de consultations sur la loi; je faisais partie du groupe du contrôle et de l'application de la loi.

Nous communiquons constamment avec le ministère. En 1993, nous avons établi un groupe de travail mixte avec le ministère, les avocats des sociétés de transport maritime et les sociétés d'assurance maritime et nous avons travaillé très fort pour éduquer le ministère au sujet des réalités de notre entreprise. La position du ministère, comme nous l'avons appris à un moment donné, était... ils ne tenaient pas vraiment compte des problèmes qu'ils nous ont causés lorsqu'ils ont apporté de nombreuses modifications à la loi en 1992. Entre autres, ils nous ont dit qu'ils mettaient l'accent sur les lignes aériennes et qu'ils s'occupaient des lignes aériennes; que c'était l'orientation que prenait leur politique, c'est-à-dire contrôler le problème des lignes aériennes. On nous a laissés pour compte dans toute cette affaire.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Est-ce que ces gens viennent par bateau ou par avion? On semble s'occuper du transport aérien, mais pourquoi est-ce qu'on ne s'occupe pas de ce qui se passe chez vous?

[Traduction]

M. David Garon: C'est exactement ce que nous disons. Les chiffres sont relativement peu élevés. En tout, nous avons eu 3 600 cas au cours des 7 dernières années, mais au total, nous n'avons habituellement pas plus de 400 déserteurs et passagers clandestins par année. À titre de comparaison, je ne sais pas, mais il y en a peut-être 5 000 par an qui arrivent par transport aérien.

Le président: Madame Augustine.

Mme Jean Augustine: Monsieur Garon, vous devez avoir réfléchi à votre troisième recommandation, c'est-à-dire qu'il y ait dans le nouveau projet de loi un article qui soit consacré au transport maritime. À votre avis, où devrait-on retrouver cet article spécifique? Est-ce que cela devrait à votre avis faire partie du texte ou aimeriez-vous qu'il y ait un article distinct sur le transport maritime...

M. David Garon: À l'heure actuelle, il y a un article de la loi qui porte sur les infractions dans le domaine du transport. Cet article pourrait comporter un paragraphe...de toute évidence, il y aura des dispositions générales pour toutes les sociétés de transport qui continueront de s'appliquer, mais à notre avis, il y a un certain nombre de problèmes spécifiques à notre secteur qu'il faut régler. J'ai écrit quelques notes justement à ce sujet.

Naturellement, dans cet article, même si les définitions se retrouvent habituellement ailleurs dans la loi, il est question de passagers clandestins et de déserteurs. À l'heure actuelle, à l'article concernant les infractions dans le domaine des transports, il y a une partie qui porte sur l'immigration clandestine par bateau. Il conviendrait de l'inclure dans la section sur le transport maritime.

En ce qui concerne la question de la détention des navires, tout à l'heure j'ai parlé des changements qui ont été apportés à la loi en 1992. L'un des changements... Auparavant, nous avions une garantie générale par laquelle, lorsque l'évaluation préliminaire était faite, un groupe de compagnies d'assurance maritime pouvaient garantir qu'elles étaient prêtes à payer sur une longue période, ce qui facilitait considérablement la situation. Il y a des compagnies qui assurent l'armateur. Cependant, étant donné que les lignes aériennes abusaient de ces dispositions de l'ancienne loi sur la garantie générale, le gouvernement a éliminé ces dispositions et a obligé nos membres à offrir une garantie individuelle pour chaque société. Nous avons donc maintenant huit sociétés qui ont un protocole d'entente avec le ministère, une lettre de crédit ouverte et privée pour garantir qu'elles finiront par payer. Les compagnies d'assurance ne peuvent plus garantir le paiement, ce qui leur rend la vie un peu difficile.

II y a d'autres dispositions qui seraient certainement de nature générale. L'une des choses que nous aimerions voir, par exemple, c'est la commercialisation d'une partie de la procédure de renvoi, plus particulièrement la privatisation d'une partie de la procédure relative à l'escorte. De toute évidence, c'est quelque chose qu'il faudra aborder dans un article distinct de la loi, si l'on exige que les gens fassent ce genre de travail. Naturellement, cela libérerait des années-personnes pour le ministère également.

• 1810

Le président: Merci beaucoup, David.

En raison du temps et du fait que les membres du comité devront aller voter sous peu, je dois mettre fin à votre exposé et donner la parole à notre dernier témoin.

M. David Garon: Merci.

Le président: Le dernier témoin est Janina Lebon, vice-présidente nationale du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada.

Merci beaucoup, David.

Madame Lebon, pouvez-vous nous présenter les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît?

Mme Janina Lebon (Vice-présidente nationale, Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada): Merci, monsieur le président. Je suis accompagnée aujourd'hui de Jeannette Meunier-McKay, vice-présidente exécutive nationale du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada, et de Alan Lennon, représentant syndical principal, du syndicat également. Je m'appelle Janina Lebon.

Le président: Merci.

Mme Janina Lebon: Nous vous remercions de l'occasion qui nous est donnée d'exprimer nos vues. Je crois que vous avez reçu notre petit mémoire de trois pages. Nous allons vous le présenter brièvement.

Jeannette.

Mme Jeannette Meunier-McKay (vice-présidente exécutive nationale, Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada): Permettez-moi de vous dire brièvement qui nous sommes, Naturellement, notre syndicat fait partie de l'Alliance de la Fonction publique et nous représentons environ 3 000 employés du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Il est important de comprendre que certaines modifcations de la loi et le rapport auront des conséquences considérables pour nos travailleurs, nos membres.

L'une des choses auxquelles nous sommes certainement ouverts—et nous voulons nous assurer que cela est clair—c'est que nous voulons pouvoir parler avec vous de la recommandation 155. C'est important. Cette recommandation concerne la détention et le renvoi, et ce sont des questions qui ont également des répercussions sur nos membres.

M. Alan Lennon (représentant syndical principal, Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada): Une partie de notre exposé porte sur les problèmes auxquels nos membres doivent faire face et dont M. Matas a parlé, à cause du processus d'accueil et d'admission, d'une part, et du processus d'application de loi, d'autre part. Cette dichotomie particulière est devenue encore plus difficile pour nos membres parce que le ministère n'a pas cessé de rationaliser ses activités, de réduire ses effectifs et de diminuer la capacité de nos membres de s'occuper des questions d'admission et d'application.

Il en résulte notamment un risque pour les Canadiens et pour nos membres étant donné que nous n'avons pas suffisamment de temps, d'énergie et de ressources pour mener à bien les fonctions du ministère.

Les agents d'escorte et d'expulsion doivent examiner chaque cas pour déterminer si une personne doit être renvoyée escortée ou non escortée et si elle devrait être escortée d'une ou de deux personnes. Ce qui arrive constamment, c'est que l'employeur renverse les décisions des agents d'escorte et renvoie des gens dans des conditions de sous-représentation—il n'y a pas suffisamment d'agents d'escorte—ou sans escorte. C'est ce qu'on appelle la gestion du risque.

Les gens qui sont en danger dans ce cas-ci sont les Canadiens, les voyageurs. Nous tenons à faire remarquer qu'avec une telle gestion du risque, ce n'est pas le ministère qui se retrouve en danger, mais plutôt d'innocents particuliers. La situation Baylis à Toronto est un exemple d'un cas de gestion du risque qui a mal tourné.

• 1815

À notre avis, le vrai problème c'est que le ministère manque de personnel et de ressources pour faire le travail qu'il doit faire et, peu importe le processus, si on manque de personnel, ça ne peut pas fonctionner.

Janina.

Mme Janina Lebon: Le problème que nous avons, comme M. Matas l'a souligné, est un problème de leadership. Dans le bureau qui s'occupe de plus du tiers des renvois et qui vient tout juste d'être réorganisé, pendant la période où nous étions affectés là-bas, il n'y avait aucun cadre supérieur sur place. C'était des superviseurs qui faisaient le travail. L'été dernier, il n'y avait pas un seul cadre supérieur sur place. On a parlé de gestion par réunion, de gestion par absentéisme. C'est une véritable porte tournante.

Par ailleurs, les méthodes de dotation pour le recrutement des gens manquent souvent d'uniformité. Il y a eu de graves problèmes, et nous voulons souligner tout particulièrement le problème des agents d'escorte. Ceux-ci étaient les seuls à s'occuper des renvois escortés et c'était leur travail. C'est ce qu'ils font depuis des années. Ils ont réussi...par exemple dans le bureau où ils ont tous perdus leurs postes—ils ont d'autres postes—nous avions plus de 120 années d'expérience. C'est fini.

Dans une autre région, en Colombie-Britannique, ces mêmes personnes ont eu la chance que l'on reconnaisse leurs compétences. L'un de ces agents bénéficie de droits acquis jusqu'à la retraite. Les trois autres suivent une formation pour occuper un autre emploi avec les mêmes compétences tandis que les nôtres se sont fait dire: «voici votre poste et voici votre niveau». Certains se retrouvent dans des postes de commis et d'autres à l'aéroport.

Nous avons perdu tout un groupe de gens dont les compétences étaient extrêmement importantes. Au cours du processus, nous avons de nouvelles personnes qui font leur travail—des gens qui ne l'ont pas fait souvent par le passé et qui ont des problèmes.

Il y a également un autre problème, celui de la technologie. Si on regarde ce qui s'est passé au ministère, l'an dernier ils ont laissé tomber la technologie qu'on appelle le système de gestion de l'exécution de la loi, après avoir dépensé plus de 20 millions de dollars. Le nouveau système qui a été mis en place est un système improvisé. Il fonctionne à partir de DOS, non pas de Windows. En d'autres termes, nous sommes revenus à l'ère des dinosaures plutôt que de faire des progrès. Nous avons besoin de cette technologie, car nous ne pourrons pas faire le suivi de nos dossiers; nous ne savons pas combien de dossiers il y a dans le système.

Je crois que de façon générale, il y a un problème de moral au sein du personnel. On renverse les décisions qu'ils ont prises en invoquant la gestion du risque, ou encore on entrave leurs décisions. En d'autres termes, l'agent est censé décider s'il va détenir ou libérer. Il reçoit une note dans son dossier d'un gestionnaire qui dit «libérer». Il y donc un problème à ce niveau.

Nous devons admettre que nous n'avons pas eu d'augmentation depuis 1991, et je pense que vous êtes dans le même bateau, mais ça montre qu'on ne reconnaît pas nos services.

Plus particulièrement, même si je n'ai pas mentionné Vancouver, j'aimerais proposer une visite au bureau de Vancouver qui s'occupe des renvois, et au bureau de Montréal, qui s'occupe d'une autre partie des renvois, et plus particulièrement à leurs installations de détention, car ils ont acheté une prison provinciale. Ils ont dû réduire leurs coûts. Je vous invite à venir visiter mon propre bureau qui s'appelle maintenant le Centre d'exécution de la loi du Grand Toronto, et qui s'appelait auparavant Détention et Renvois et, avant cela, Renvois centraux.

Le président: Où est situé votre bureau?

Mme Janina Lebon: Au 6900, chemin de l'Aéroport. Je serais très heureuse d'organiser une rencontre avec le personnel.

Mme Jean Augustine: Est-ce le Celebrity Inn?

Mme Janina Lebon: C'est le Celebrity, oui, au bout de la rue.

Le président: Le Celebrity. Oh, oui.

Mme Janina Lebon: Non, non—nous ne sommes pas au Celebrity. Le Celebrity c'est le centre de détention au bout de la rue. Nous sommes le centre international. Nous venons tout juste d'emménager et maintenant tout le service de l'application de la loi du Grand Toronto se trouve à un même endroit. Je pense que vous voudriez certainement venir le visiter.

Le président: Je pense que nous devrions. Je suis d'accord avec vous.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: On n'a donné la parole à personne.

Mme Janina Lebon: Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le président: Madame Girard-Bujold.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Bonjour, mesdames et monsieur. Ce que vous venez de m'annoncer, c'est quasiment l'apocalypse au ministère de l'Immigration par rapport aux gens qu'il faut renvoyer et qui n'ont pas d'escorte. Tous les gens qui étaient là avaient acquis de l'expérience. On n'a pas su le reconnaître et ils sont partis. Il y a eu la plus grosse coupure. Les gens qui ont été transférés étaient ceux qui avaient le plus d'expérience. Ils n'ont pas gardé une certaine expertise afin que le système puisse continuer.

Mme Janina Lebon: Oui.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: C'est effrayant!

Mme Janina Lebon: Oui.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Est-ce que vous avez fait des démarches?

Mme Janina Lebon: Oui. On a présenté toutes sortes de griefs sur l'abus d'autorité. Nous espérons gagner, tout particulièrement parce qu'il y a une différence entre le traitement de nos membres en Ontario et celui de nos membres en Colombie-Britannique. On continue notre bataille contre l'employeur.

• 1820

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Depuis combien d'années présentez-vous des griefs sans succès? Vous n'avez plus cette expertise.

Mme Janina Lebon: C'est arrivé le 1er octobre.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: En 1997?

Mme Janina Lebon: Oui. Mais à partir de ce moment-là, les griefs ont été portés au deuxième palier. On attend et on continue. On a embauché d'autres personnes qui assument les fonctions, bien qu'il ne soient pas des experts.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Et combien avez-vous de griefs présentement qui touchent uniquement cela?

Mme Janina Lebon: Dix.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Dix.

Mme Janina Lebon: Seize personnes faisaient tous ces travaux, tandis qu'en Colombie-Britannique, il n'y en avait que quatre.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Monsieur nous disait que parfois on ne peut pas avoir les services d'une escorte ou de deux escortes dont on aurait besoin, mettant ainsi en péril les gens qui prennent le même vol. C'est effrayant, ce que vous nous dites.

[Traduction]

Mme Janina Lebon: Je vais vous donner un autre exemple. Il y avait une escorte médicale, une personne qui avait besoin d'être escortée avec un agent médical. Il y avait un agent médical et un autre agent. Le rôle de l'escorte médicale n'est pas de maîtriser la personne, et il y eu un incident. J'ai d'ailleurs reçu un exemplaire du rapport de cet incident.

Il y a donc des problèmes sur les vols. Cela ne fait aucun doute. L'employeur estime qu'il n'y a pas de danger.

Pour ce qui est des observations au sujet des dépenses, tous nos arrangements de voyage sont faits par Rider Travel. Des vols nolisés sont utilisés. Il y a d'autres méthodes permettant de déterminer qui partira. Il y a donc eu moyen de réduire les fonds, car c'est un gros problème. Mais il y a une chose dont les gens ne se rendent pas compte. Jusqu'à l'an dernier, l'administration centrale nationale finançait une grande partie des renvois. Il y a un montant non provisionné, comme on l'appelle, de 1,5 million de dollars pour lequel Ontario devra trouver l'argent quelque part. Si vole Pierre pour payer Paul, on se retrouve avec encore plus de problèmes.

Le président: Merci beaucoup. Je vais devoir mettre fin à la séance, car nous devons partir dans quelques minutes pour aller voter, comme vous pouvez le constater.

Mme Janina Lebon: J'entends la sonnerie.

Le président: Je m'en excuse, mais il n'y a rien que nous puissions faire. Cependant, nous allons sérieusement considérer votre invitation.

J'ai une question. Travaillez-vous tous dans le même édifice?

Mme Janina Lebon: Non.

Le président: Sera-t-il possible, si nous allons visiter votre centre à Toronto, de rassembler tout le monde?

M. Steve Mahoney: C'est à Mississauga, monsieur le président.

Mme Janina Lebon: Oui, c'est à Mississauga.

Le président: Désolé, Mississauga.

Mme Janina Lebon: Alan est à Toronto et je suis à Mississauga. Nous pouvons être là.

Le président: Vous pourriez être là, et pendant la visite de vos installations, nous pourrions nous entretenir de nombre de ces problèmes.

Mme Janina Lebon: Oui.

Le président: Cela serait plus réaliste pour nous, et vous auriez davantage de temps pour nous expliquer la situation en détail, n'est-ce pas?

Mme Janina Lebon: Nous saurions très heureux de faire cela.

Le président: Je vous remercie d'être venus.

Mme Janina Lebon: Merci.

Le président: La séance est levée.