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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 19 novembre 1996

.1530

[Traduction]

Le président: Pourrions-nous ouvrir la séance? Le Comité des finances de la Chambre des communes est ravi d'accueillir plusieurs personnes dont l'action a marqué le mouvement d'alphabétisation au Canada.

Je crois savoir que chacun d'entre vous disposera d'environ trois minutes pour exposer son point de vue en gros, puis nous passerons à la discussion. Je promets que vous aurez tous suffisamment de temps pour présenter les points que vous n'aurez pas pu amener pendant votre exposé ou pendant la période de questions.

Nous pourrions peut-être commencer avec M. Michael Bloom, chargé de recherche principal au Centre national sur les affaires et l'éducation du Conference Board du Canada. À vous, monsieur Bloom.

M. Michael Bloom (chargé de recherche principal, Centre national sur les affaires et l'éducation, Conference Board du Canada): Merci, monsieur le président. Je suis heureux de témoigner devant vous aujourd'hui.

Je me contenterai pendant les quelques minutes qui suivent d'expliquer pourquoi le Conference Board of Canada pense que l'alphabétisme est une question importante. Je citerai pour la cause deux projets menés par le Conference Board. L'un est la rédaction du rapport intitulé Rendement et potentiel qui porte sur le rendement social et économique du Canada. Il a mis en lumière certains facteurs indispensables à la création et au maintien d'un niveau de vie au élevé au pays.

Avoir une main-d'oeuvre qualifiée et alphabète figure parmi les facteurs les plus importants que nous avons cernés. Nous avons en même temps jugé importantes les questions entourant l'alphabétisme des jeunes qui entrent sur le marché du travail et les capacités de lecture de la main-d'oeuvre actuelle.

Nous avons laissé entendre que si l'on veut accroître la productivité nationale, il faut relever le niveau l'alphabétisme et les capacités de lecture des travailleurs canadiens - des 12,6 millions de Canadiens qui occupent actuellement un emploi à temps plein et des centaines de milliers de personnes qui s'ajoutent chaque année à la population active.

En ce qui concerne le deuxième projet, nous avons entrepris une étude qui porte sur les avantages économiques qu'apporte le relèvement du niveau d'alphabétisme au Canada. Nous nous intéressons à deux aspects en particulier: les avantages qu'en retirent les employés et les avantages qu'en retirent les employeurs.

Nous en sommes au milieu de l'étude, qui sera publiée en mai. Je suis cependant déjà en mesure de dire à ce stade-ci que l'alphabétisme des travailleurs est important pour la productivité et la réussite des entreprises canadiennes, et que tout porte à croire qu'il deviendra probablement encore plus important à mesure que le Canada rivalisera avec d'autres pays dont les travailleurs sont toujours plus qualifiés. C'est pour cela que nous trouvons l'alphabétisme important.

Nous croyons aussi qu'il faut pousser encore plus loin notre recherche pour connaître la nature de l'alphabétisme au Canada et savoir ce que l'on peut faire pour en relever le niveau.

Voilà pour mon exposé. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bloom.

Je passe la parole à M. Kenneth Mader, de Laubach Literacy of Canada.

M. Kenneth Mader (Laubach Literacy of Canada): Merci, monsieur le président.

L'organisme que je représente compte environ 10 000 bénévoles qui travaillent pour 200 conseils d'alphabétisation répartis dans toutes les provinces du Canada. Nos activités sont diverses, mais nous fournissons d'abord et avant tout des services d'alphabétisation individualisés par l'entremise de bénévoles.

.1535

Je débuterai en disant que l'alphabétisme doit être une responsabilité partagée. Notre société doit valoriser et permettre l'apprentissage continu. Le gouvernement, les entreprises, les éducateurs, les bénévoles et les citoyens ont tous un rôle à jouer.

L'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes confirme que l'alphabétisme agit directement sur la capacité des gens et de l'industrie de garder une longueur d'avance dans un marché où la concurrence se fait toujours plus vive. L'alphabétisme devient donc une question de survie non seulement pour les gens, mais aussi pour l'économie des pays.

Nous ne pouvons être dans le peloton de tête si la lecture pose des difficultés plus ou moins grandes à une bonne partie de la population. Il faut que le gouvernement et le secteur privé consacrent des ressources à l'amélioration des capacités de lecture. C'est une obligation incontournable, tant pour l'économie du pays que pour la qualité de vie des citoyens.

La solution se trouve dans la création de partenariats. Le gouvernement doit établir des structures pour favoriser l'alphabétisme. Entre autres mesures, il pourrait allouer des fonds pour l'alphabétisation dans les budgets de la justice et de la santé, aider financièrement le Secrétariat national à l'alphabétisation pour qu'il s'attaque directement aux problèmes de lecture avec les fournisseurs de services d'alphabétisation et adopter des mesures d'incitation fiscale pour favoriser le versement de dons aux organismes bénévoles.

Une foule d'organisations - de défense, de sensibilisation, de recherche par exemple - et de services d'alphabétisation s'attaquent aux différents aspects du problème.

Les tuteurs bénévoles jouent un rôle essentiel dans l'alphabétisation. Ils travaillent dans les régions rurales et éloignées et dans les établissements correctionnels, mettent au point du matériel didactique et donnent gratuitement des cours particuliers adaptés aux besoins des apprenants. Le travail d'alphabétisation familiale, qui consiste entre autres à distribuer des livres à des mères de nouveau-nés, l'alphabétisation en milieu de travail et les programmes de tutorat entre jeunes font partie de la solution centrée sur la collectivité.

Tous les organismes ont besoin d'argent depuis que les gouvernements fédéral et provinciaux ont réduit leurs subventions. La rivalité se fait de plus en plus intense auprès des donateurs, si bien que les groupes d'alphabétisation doivent étirer leurs ressources au point de laisser sans service des personnes qui en auraient besoin.

L'efficacité de l'action des bénévoles dépend, en fin de compte, de l'existence de ressources financières et humaines suffisantes.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Mader.

Monsieur John Daniel O'Leary, du Frontier College of Canada.

M. John Daniel O'Leary (président, Frontier College): Merci monsieur le président. J'aimerais remercier tous les membres du comité de nous avoir demandé de venir cet après-midi.

Je suis le président du Frontier College, un organisme qu'un groupe de Canadiens a créé en 1899 pour enseigner la lecture et l'écriture aux travailleurs vivant dans des endroits isolés. Aujourd'hui, notre action s'étend dans toutes les régions du pays. Nous recrutons et formons des bénévoles pour qu'ils agissent comme tuteurs auprès d'enfants, d'adolescents et d'adultes. Chaque année, environ 8 000 bénévoles jouent ce rôle de tuteurs par le biais de notre réseau.

Les éducateurs que nous sommes font aujourd'hui un travail extrêmement difficile, un travail que les éducateurs et les enseignants d'autrefois n'ont jamais eu à faire. Nous avons à remplir une mission sans précédent, à la fois extraordinaire et difficile, pour aider la société à relever les défis posés par l'économie moderne. Nous devons faire en sorte que tout le monde acquière des connaissances et sache lire.

Lorsque le ministre des Finances a comparu devant vous le mois passé, il a dit notamment que l'une des grandes tâches du gouvernement est de donner aux Canadiens et aux Canadiennes l'aide dont ils ont besoin pour tirer parti de l'économie moderne, et en particulier d'offrir aux jeunes toutes les possibilités de réussir. Nous croyons que l'alphabétisation doit faire partie de ces possibilités. Je vous félicite, ainsi que le gouvernement, du travail qui s'accomplit grâce au Secrétariat national à l'alphabétisation.

Comment faire pour que tout le monde acquière des connaissances et sache lire? En créant une véritable culture d'apprentissage, c'est-à-dire un contexte qui rend tous les citoyens prêts à agir en faveur de l'acquisition de connaissances, de l'apprentissage et de l'alphabétisme. Nous avons beaucoup accompli dans ce domaine ces dernières années.

.1540

Le programme du Secrétariat national à l'alphabétisation mobilise des personnes du milieu de la santé et du droit ainsi que des personnes du monde du travail et des affaires pour atteindre un objectif: donner à tous les Canadiens et à toutes les Canadiennes la possibilité d'apprendre et de savoir lire. Il existe maintenant partout au pays un réseau au service de l'alphabétisation. Des programmes communautaires reposant sur des bénévoles, des projets privés, des services sociaux, etc. contribuent sous une forme ou une autre à l'alphabétisation. Voilà ce que nous entendons par créer une culture d'apprentissage.

Nous faisons beaucoup de progrès, mais nous devons en faire encore plus. J'aimerais féliciter le gouvernement d'avoir supprimé la TPS sur les livres achetés par des groupes comme le nôtre, par les bibliothèques publiques et par d'autres établissements à vocation éducative. C'est une mesure importante en faveur de l'alphabétisme, et nous espérons bien en faire encore davantage dans ce domaine nous aussi.

Nous croyons par ailleurs que si le Secrétariat national à l'alphabétisation recevait une aide accrue au cours des prochaines années, la Chambre des communes et le gouvernement pourraient franchir la dernière étape qui ferait de tous les Canadiens des citoyens alphabétisés.

Le président: Merci beaucoup, monsieur O'Leary.

[Français]

Nous entendrons maintenant Luce Lapierre, de la Fédération canadienne pour l'alphabétisation en français.

Mme Luce Lapierre (directrice générale, Fédération canadienne pour l'alphabétisation en français): Merci.

Je m'appelle en effet Luce Lapierre et je suis la directrice de la Fédération canadienne pour l'alphabétisation en français. Notre fédération regroupe différents organismes qui travaillent à l'alphabétisation en français dans toutes les provinces et territoires canadiens. Notre mandat est d'assurer les échanges entre intervenants et de promouvoir l'alphabétisation en français. Nous regroupons, par l'intermédiaire de nos organismes membres, près de 40 000 personnes apprenantes. Ces dernières sont engagées dans un processus d'alphabétisation en français. Ces gens sont les piliers de notre réseau.

Nous tenons à souligner, par contre, que ce groupe ne constitue qu'une infime partie des personnes qui ont de sérieuses difficultés avec la lecture et l'écriture. Des millions de personnes, en effet, évitent l'écrit et sont aujourd'hui marginalisées par notre société.

Nous sommes honorés de participer aujourd'hui à la consultation organisée par le Comité permanent des finances. Notre intervention se limitera à la brève présentation de trois points.

En premier lieu, j'aimerais mettre en lumière certains faits concernant la francophonie canadienne et l'alphabétisation, c'est-à-dire examiner le taux d'alphabétisation des francophones. Je vous communiquerai ensuite très rapidement, parce que cela pourrait être long, les solutions qui ont été proposées par le réseau francophone d'alphabétisation. Et enfin, je parlerai du rôle du gouvernement fédéral dans le domaine de l'alphabétisation selon l'expérience que nous avons eue au cours des dernières années.

Si je parle surtout de l'alphabétisation des francophones, c'est que notre organisme s'occupe principalement des francophones. Susan, tout à l'heure, va vous donner un bref aperçu de ce qui se passe sur le plan de la population canadienne en général.

Le rapport canadien de l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes, en utilisant des tableaux qui comparent les groupes linguistiques francophone et anglophone, révèle que25 p. 100 des francophones, comparativement à 13 p. 100 des anglophones, ont un niveau d'alphabétisation ne leur permettant pas d'identifier une courte séquence de renseignements, dans un article écrit, à propos des caractéristiques d'une plante de jardin. Dans le même tableau, on apprend que 27 p. 100 des francophones ne pourraient pas établir laquelle parmi quatre critiques de films est la moins favorable.

Ces données sont pour nous alarmantes quand on compare ce type d'information à d'autres éléments par rapport à la lecture et l'écriture. On pense à des descriptions de tâches, à l'introduction d'un nouvel outil de travail, à la compréhension des devoirs des enfants, à l'administration d'un médicament, etc., et on constate combien de personnes ne peuvent remplir ces activités parmi les francophones. C'est très alarmant.

Ces données sont alarmantes lorsqu'on constate qu'au total, si on additionne les deux pourcentages, 52 p. 100 de la population francophone se retrouvent au niveau 1 et 2, n'ont pas les capacités suffisantes pour exécuter certaines activités quotidiennes et, surtout, comme le disait John Daniel et comme le dit le Conference Board du Canada, ne peuvent pas se trouver un emploi, se débrouiller pour remplir des formulaires, etc.

Pour les membres de notre réseau, les données que nous venons de mettre en lumière se traduisent par des milliers de personnes, des milliers d'adultes qui décident de retourner faire l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul et reconnaissent qu'elles aussi, elles peuvent apprendre.

Pour nous, du réseau francophone, l'alphabétisation passe par une variété de services fondés sur une approche centrée sur l'apprenant ou l'apprenante, afin de répondre à ses besoins spécifiques. Donc, peu importent les structures des services offerts, ceux-ci doivent être variés parce que les besoins sont variés.

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Les services d'alphabétisation en français au Canada sont offerts inégalement d'une province à l'autre. On n'a pas la même qualité de services ni la même quantité de services d'une province à l'autre.

Si vous voulez, nous pourrons parler d'aspects plus spécifiques au moment des questions.

Le président: Merci, madame Lapierre.

Mme Lapierre: Monsieur le président, je n'ai pas terminé. Je vais poursuivre et en arriver au rôle du gouvernement fédéral.

L'alphabétisation des francophones devrait se faire dans la langue maternelle, naturellement. De ce point de vue, nous disposons de données qui nous permettent de dire que le choix de la langue utilisée en alphabétisation est d'une extrême importance. Ces données découlent d'une étude qui a été faite par le Conseil international d'éducation des adultes. Les analphabètes apprennent plus facilement et plus rapidement dans leur langue maternelle et, dès qu'ils ont un niveau de connaissance suffisant et une confiance dans leur langue première, ils peuvent mettre à profit les aptitudes acquises dans la langue seconde. Pour nous, ce sont des choses qui sont importantes et dont nous voulions informer les membres du comité.

Avant de terminer et de donner la parole à Susan, j'aimerais parler un peu du rôle du gouvernement fédéral dans le développement de l'alphabétisation des francophones du Canada.

Dans le domaine de l'alphabétisation, le gouvernement fédéral est intervenu pour compléter les initiatives provinciales et territoriales. Au Québec, l'appui du Secrétariat national à l'alphabétisation, aux dires de nos groupes membres, a permis de développer de nouveaux partenariats, de faire de la recherche, de publier des ouvrages sur l'alphabétisation et d'en assurer une bonne distribution.

Ailleurs au Canada français, et je pense qu'il est important de vraiment voir la différence, l'engagement du gouvernement fédéral a permis aux groupes francophones en situation minoritaire de développer leur propre expertise en alphabétisation, répondant ainsi aux besoins exprimés par les communautés.

Aujourd'hui, nous pouvons dire que la francophonie canadienne est sensibilisée à l'alphabétisation et que des interventions ont eu lieu partout. L'arrêt de cet appui signifie concrètement, pour le réseau d'alphabétisation francophone, un ralentissement important des activités et même, dans certaines provinces, la fin des activités d'alphabétisation.

Nous sommes donc d'avis que le gouvernement fédéral maintienne, par l'intermédiaire du Secrétariat national à l'alphabétisation, son engagement face à cette question. L'appui du gouvernement à l'alphabétisation doit servir de complément à l'action des gouvernements provinciaux et territoriaux. Pour nous, le gouvernement fédéral peut assurer la livraison équitable des services dans les deux langues officielles du Canada. Je vais m'arrêter là et laisser la parole à ma collègue.

Le président: Merci beaucoup, madame Lapierre.

[Traduction]

Madame Susan Sussman, du Movement for Canadian Literacy.

Mme Susan Sussman (présidente, Movement for Canadian Literacy): Merci beaucoup, monsieur Peterson. Permettez-moi de vous remercier de m'avoir invitée aujourd'hui. Il m'est particulièrement agréable de mettre un visage sur le nom de Mme Chamberlain, qui est très active dans le mouvement de l'alphabétisation en Ontario, et de mettre aussi un visage sur le nom deM. Campbell, représentant élu de mon secteur, Pinewood Avenue.

Le président: Vous avez vraiment beaucoup de chance.

Mme Sussman: Beaucoup de chance, en effet. J'ai eu aussi l'occasion de rencontrerM. St. Denis. Cela me rassure de voir des visages de personnes connues dont je sais qu'elles ont une opinion favorable sur la question.

On nous dit souvent que ce serait bien si tous les organismes d'alphabétisation parlaient d'une seule et même voix. Vous avez devant vous les représentants de quatre organismes qui unissent leurs voix pour parler du même sujet. Le message que nous avons à vous livrer aujourd'hui reprend, d'après nous, les paroles que le ministre des Finances a prononcées devant vous il y a un mois seulement.

Le mois dernier donc, quand M. Martin s'est présenté devant vous, il a souligné les progrès qui ont été accomplis en vue de créer ce qu'il a appelé les conditions essentielles à la croissance économique du Canada. Il a aussi souligné qu'il demeure de la responsabilité du gouvernement d'aider les Canadiens et les Canadiennes à s'adapter à l'économie moderne et de surmonter les difficultés.

Nous voudrions que vous voyiez la question de l'alphabétisme dans cette perspective. Nous voudrions aussi que vous compreniez qu'avoir une population adulte alphabétisée est une condition essentielle à la croissance économique du pays. M. Bloom y a d'ailleurs fait allusion lorsqu'il a parlé des projets menés par le Conference Board du Canada, et c'est aussi ce qui ressort de l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes.

Nous voulons en outre que vous compreniez que l'adaptation des capacités de lecture des Canadiens à l'évolution de l'économie est également une condition essentielle.

Avant de vous entretenir de l'ampleur du problème de la lecture chez les Canadiens adultes, je crois important de vous expliquer ce que l'on entend par «capacités de lecture» afin que les chiffres, souvent qualifiés d'effarants, n'en viennent pas à paraître invraisemblables. Il ne s'agit pas de la simple capacité de dire «Susan Sussman» ou n'importe quel autre mot après avoir regardé cette feuille de papier. Il s'agit de la capacité d'une personne de comprendre les mots écrits, de sa capacité d'abord de décoder puis de tirer une signification de ce qu'elle a lu. C'est cette capacité qui permet, par exemple, de lire et de comprendre ce que dit l'étiquette sur la bouteille de Tylenol avant de donner un comprimé à un enfant de sept ans, de se rendre à un des guichets ouverts par le Centre d'emploi du Canada, lire les renseignements affichés sur l'écran et comprendre leur signification et, enfin, de saisir ce que veut l'enseignant qui fait parvenir à la maison une note dans laquelle il demande une rencontre pour parler de l'enfant.

.1550

Si l'on part de cette sorte de définition fonctionnelle, l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes indique que 22 p. 100 des Canadiens de plus de 16 ans éprouvent énormément de difficulté à effectuer des tâches aussi simples que celles que j'ai décrites. Les résultats de l'étude montrent aussi qu'une autre tranche de 26 p. 100 de Canadiens adultes sont capables de faire ces tâches, mais commencent à avoir de sérieuses difficultés si le sujet traité ne leur est pas familier, si les notions sont nouvelles pour eux ou si la disposition du texte n'est pas vraiment claire.

Quand nous disons que la faible capacité de lire des gens pose un grand problème au Canada, c'est de cette capacité-là dont nous parlons, c'est-à-dire de la capacité de décoder des textes, d'en comprendre le sens et d'utiliser les renseignements obtenus.

Une autre façon de considérer le problème et de le relier une fois de plus aux objectifs de croissance économique et de prospérité que s'est donnés le gouvernement, c'est de réfléchir au fait que 22 p. 100 seulement des Canadiens adultes semblent posséder les capacités de lecture que nécessiteront les emplois dans les secteurs en croissance, à savoir les emplois dans les domaines de l'information et de la haute technologie qui exigent de hautes qualifications.

Donc, si l'on parle des conditions essentielles à la prospérité et à la croissance économique du Canada, les faibles capacités de lecture des adultes posent certainement un grave problème.

Nous sommes ici aujourd'hui...

Le président: Excusez-moi. Vingt-deux pour cent seulement des Canadiens adultes possèdent les capacités de lecture ou les compétences que réclament les nouveaux emplois?

Mme Sussman: Ont les capacités de lecture requises, oui. Je vous explique ce que j'entends par là. Pour l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes, on a établi cinq niveaux de capacités de lecture. Les sept pays qui ont participé à l'enquête jugent le niveau trois comme le seuil minimum qu'une personne doit maintenir pour performer suffisamment sur le marché du travail. Une personne classée aux niveaux quatre ou cinq est capable de comprendre et d'intégrer le sens d'une foule de textes imprimés et de résoudre des problèmes compliqués.

Vu les sortes d'exigences rattachées aux emplois hautement spécialisés et aux emplois faisant appel à beaucoup de savoir qui s'en viennent, force est d'associer ces emplois aux niveaux quatre et cinq. Or, 22 p. 100 seulement des Canadiens adultes possèdent les capacités de lecture associées à ces niveaux.

M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Ce que vous décrivez là est la capacité de raisonner et d'analyser et non la capacité de lire.

Mme Sussman: Vous soulevez un point intéressant. Si l'on définit la capacité de lire comme je viens de le faire, c'est-à- dire la capacité de comprendre la signification de ce que l'on lit et d'utiliser l'information ainsi obtenue pour poser un jugement, la ligne de démarcation entre la capacité de lire et la capacité de raisonner n'est pas aussi évidente qu'entre décoder un mot et le dire. C'est de la capacité plus englobante dont nous parlons ici et c'est cette capacité que le rapport mesure.

Jusqu'ici, le gouvernement fédéral a activement appuyé l'apprentissage de la lecture dans le cadre de l'ancien programme d'assurance-chômage et par le biais du Secrétariat national à l'alphabétisation, qui fait de l'excellent travail. Cependant, nous sommes ici pour vous faire bien comprendre que le gouvernement fédéral ne doit plus se contenter de ce rôle. Il doit absolument jouer un rôle accru dans le dossier de l'alphabétisme.

Les Canadiens et les Canadiennes devront payer pour les lacunes qu'ils ont au chapitre de la lecture. Ils paieront tôt ou tard. Soit qu'ils paient sous forme de productivité insuffisante, de taxes perdues, de multiplication des accidents, d'augmentation des coûts des soins de santé, d'accroissement du nombre de personnes dépendantes de l'aide sociale, soit qu'ils paient de façon préventive, en s'attaquant au problème.

En prévision de l'avenir, nous demandons au gouvernement de maintenir et même d'accroître son aide. Les quatre organismes que nous représentons ont cerné ensemble certaines questions prioritaires.

Tout d'abord, l'apprentissage de la lecture commence à la maison. Cela ne fait aucun doute. Des recherches probantes montrent que ce qui arrive aux enfants avant leur entrée à l'école est un indicateur aussi valable qu'un autre de ce qui leur arrivera dans le système d'éducation. Il faut donc s'attaquer à la question de l'alphabétisation familiale, qui est comme inexistante au Canada.

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Il y a ensuite la question des jeunes qui abandonnent l'école tôt, des jeunes à risques, à laquelle il faut trouver une solution. Il ressort nettement de l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes qu'il existe une forte corrélation entre l'aptitude au travail, l'emploi, le niveau de revenu, les problèmes au travail, les problèmes de main-d'oeuvre et l'alphabétisme. Il faut aussi répondre aux besoins des travailleurs en milieu de travail.

Le Secrétariat national à l'alphabétisation a contribué de façon remarquable à la production de matériels didactiques, à la recherche et à la circulation des renseignements à l'intérieur du pays. Nous avons besoin qu'il poursuive ce travail. Tout porte à croire par ailleurs que la capacité de lire dans la langue maternelle est une condition essentielle à l'acquisition de la capacité de lire dans une langue seconde. Toutes sortes de problèmes y sont reliés, et ils ne touchent pas seulement la population francophone. Dans les Territoires du Nord-Ouest, la langue maternelle pose aussi un grand problème.

Enfin et surtout, il nous faut de l'argent pour alphabétiser. Avec les programmes en place en Ontario, où je vis, nous avons servi l'an dernier moins de 5 p. 100 des personnes jugées avoir les plus profondes difficultés à lire et à écrire. Nos subventions ont été réduites, de sorte que nous manquons d'argent pour faire notre travail d'alphabétisation.

En résumé, l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes présente donc à la fois des problèmes à résoudre et des occasions à saisir, pour employer un euphémisme. En ce moment, le Canada fait partie d'un groupe de cinq pays concurrents, et c'est en misant sur son capital humain qu'il parviendra à se démarquer sur le plan économique. Ce que notre pays doit faire, s'il en a la volonté, c'est de s'attaquer aux problèmes liés aux capacités de lecture de la population active pour rehausser la valeur de son capital humain. Ce que nous voulons pour l'avenir, ce sont des Canadiens et des Canadiennes alphabètes qui donneront au pays un avantage concurrentiel. C'est cette idée que nous demandons au gouvernement d'appuyer.

[Français]

Le président: Monsieur Bélisle.

M. Bélisle (La Prairie): Nous avons entendu des propos très intéressants cet après-midi de la part de tous les témoins.

J'adresserai une première question à Mme Luce Lapierre. Dans votre document, à la page 4, vous nous dites, en parlant d'alphabétisation, qu'attendre que le problème s'élimine avec le temps est illusoire. En tant que profanes, nous avons souvent l'impression qu'étant donné que la scolarisation augmente de génération en génération, le phénomène va se corriger. Vous nous dites que c'est illusoire. J'imagine que c'est parce que que la situation des parents finit par se reproduire chez les enfants. Est-ce que c'est effectivement ce qui se produit? Je vous pose la question.

Mme Lapierre: Il y a plusieurs éléments d'explication. Effectivement, ce que vous dites est une des causes. Il va de soi que, si on a des grands-parents analphabètes, les habitudes de lecture ne seront peut-être pas encouragées au sein de la famille. En mettant cela dans le document, on voulait faire allusion à l'étude internationale de Statistique Canada où il est dit que, s'il y a deux francophones pour un anglophone au niveau 1 d'alphabétisation, c'est que les francophones n'avaient pas accès aux écoles françaises dans la majorité des provinces, sauf au Québec, et que, lorsque tous les francophones auront la même accessibilité à l'école française, le problème s'éliminera.

Pourtant, quand on regarde la situation concrète de certaines provinces, comme le Nouveau-Brunswick, où les services en français existent depuis la fin des années 1960, et qu'on parle d'une population qui a aujourd'hui entre 35 et 55 ans, on voit que ces personnes sont maintenant des parents, des gens qui pourraient être actifs sur le marché du travail et qui ne le sont pas toujours. Ce sont des personnes dont on doit tenir compte puisqu'elles ne s'élimineront pas d'elles-mêmes. Donc, ce n'est pas un problème qui concerne seulement les personnes qui ont aujourd'hui 80 ans.

M. Bélisle: Oui, c'est assez surprenant. Ces gens sont quand même relativement jeunes.

Le président: Très jeunes, en effet.

M. Bélisle: Oui, vous avez raison.

Il y a un autre élément que je trouve très intéressant dans votre document. Je pense que vous utilisez le mot juste, à la page 5, quand vous parlez de bilinguisme soustractif, d'un bilinguisme qui ne vient pas s'ajouter à la langue première mais qui lui soustrait quelque chose. J'imagine que ce phénomène - vous y avez fait allusion, je crois - est surtout le propre des francophones de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick plutôt que des anglophones du Québec qui vivent dans un environnement nord-américain anglophone.

.1600

Le bilinguisme soustractif ne frappe-t-il pas principalement les francophones?

Mme Lapierre: Dans le contexte, on faisait allusion principalement aux francophones hors Québec, puisqu'on parle, entre autres, des provinces de l'Ouest et de la périphérie, même de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick. Effectivement, quand on parle d'assimilation des francophones, cela se fait évidemment au détriment de la langue première. Ce que je veux dire, surtout, c'est que l'acquisition de nouvelles connaissances dans la langue seconde ne permet pas de maintenir les acquis de la langue première.

Cependant, nous ne pouvons parler que des francophones. Je ne connais pas la communauté anglophone et notre réseau ne travaille pas directement auprès d'elle. Il faudrait donc poser la question à d'autres personnes. Effectivement, quand nous parlons de bilinguisme soustractif, c'est en fonction des francophones hors Québec.

M. Bélisle: Je pense que le phénomène que vous soulignez est très intéressant en relation avec la situation des francophones du Québec, du Canada ou même d'Amérique du Nord. Ce bilinguisme soustractif est illustré, au Québec, par un énoncé souvent utilisé comme boutade mais qui décrit bien le phénomène. On dit souvent aux jeunes, enfants ou étudiants, qu'il est très important de bien posséder sa langue française, au Québec et en Amérique du Nord, parce qu'autrement on risque de ne parler que deux langues secondes toute sa vie. On leur dit que s'ils veulent apprendre une langue seconde, ils doivent au départ très bien posséder la première.

Je pense que l'expression «parler deux langues secondes» traduit bien la situation à laquelle sont confrontés les francophones du Québec; si au départ on ne connaît pas bien sa langue maternelle, si on n'essaie pas de la protéger, on risque de parler deux langues secondes toute sa vie. On ne sera pas plus à l'aise en français qu'en anglais.

Mme Lapierre: Pour saisir l'occasion que suscite votre question, je voudrais élaborer davantage sur la situation de la francophonie au Canada. Effectivement, dans les milieux où on a des écoles françaises homogènes, dans les milieux où les francophones ont un pouvoir sur la gestion du système d'éducation, les jeunes connaîtront très bien leur langue maternelle et acquerront une deuxième langue naturellement, puisqu'ils sont entourés d'anglophones. Leur bilinguisme sera alors, selon l'expression que nous employons, additif.

Ces systèmes homogènes deviennent de plus en plus fréquents dans tout le Canada, à cause justement de ce que font le ministère du Patrimoine canadien et d'autres organismes. Il y a quand même des améliorations sur ce plan.

Le bilinguisme soustractif est le résultat du manque de base dans la langue première, donc de l'absence d'un système d'éducation qui permette d'acquérir une formation dans la langue maternelle, aux niveaux secondaire et même postsecondaire. À ce moment-là, on en perd automatiquement quand on développe son vocabulaire en anglais.

En ce qui a trait à l'alphabétisation, cela se matérialise de la façon suivante. Nous travaillons auprès de gens qui n'ont pas eu la chance d'avoir une formation de base en français jusqu'à la fin du secondaire. Donc, ils ont appris le français au primaire et à la maison. En arrivant au secondaire, ils ont dû rapidement intégrer des notions d'anglais. Ils se retrouvent à l'âge adulte avec des lacunes dans les deux langues.

M. Bélisle: Les personnes réellement bilingues sont les personnes qui ont eu l'occasion d'acquérir un bilinguisme additif, comme vous dites. Sinon, ce que vous décrivez comme le bilinguisme soustractif est ce qui pave la voie à l'assimilation, à la deuxième ou à la troisième génération. On connaît la situation historique des francophones au Canada.

[Traduction]

Le président: Monsieur Grubel.

M. Grubel: Merci, monsieur Peterson.

Voilà qui est très instructif pour moi. Je sais maintenant pourquoi mes étudiants ont échoué à certains de mes examens en économie. C'est parce qu'ils ne savaient pas lire et non parce qu'ils n'étudiaient pas, n'avaient pas d'aptitude d'analyse ou n'avaient pas de discipline intellectuelle.

Je ne trouve toutefois pas l'expression «capacités de lecture» particulièrement pertinente ici. En étirant sa définition comme vous le faites, je crois que vous diluez tout ce que la notion d'alphabétisme recouvre. Ce que vous dites en fait, c'est que certaines personnes sont plus instruites que d'autres et que seulement 20 p. 100 des Canadiens adultes ont un certain niveau d'éducation, celui que nous pouvons nous permettre et qu'ils ont pu assimiler.

J'en connais très peu sur le sujet et cela m'inquiète toujours de savoir qu'il y a un problème. Prenons l'exemple de voitures qui sortent de l'usine et qui fonctionnent mal. Va-t-on investir énormément d'efforts pour essayer de les faire fonctionner normalement, ou va-t-on aller à l'usine pour essayer de trouver, dans la chaîne de montage, la cause d'autant de malfaçons?

.1605

J'ai une question objective à vous poser. Attachons-nous au groupe des personnes classées dans le plus bas des cinq niveaux, celles qui ont le plus de difficultés à lire d'après la définition que vous en avez donnée sur le plan fonctionnel.

Sur l'ensemble des personnes qui sont allées à l'école pendant toute la période obligatoire imposée par le système d'éducation au Canada, c'est-à-dire entre l'âge de 6 ans et de 18 ans, combien en sont sorties analphabètes au sens où vous l'avez entendu? Je crois que l'expression utilisée parfois est «analphabète fonctionnel». Quel pourcentage d'élèves sont analphabètes fonctionnels dans ce sens?

Mme Sussman: Il faudrait que je consulte les tableaux pour vous donner le pourcentage exact. Je ne peux vous le dire de mémoire. Nous savons cependant qu'il existe une corrélation étroite, sinon parfaite, entre l'achèvement des études secondaires et l'atteinte du seuil d'alphabétisme minimum acceptable.

Autrement dit, les chances d'avoir des capacités de lecture suffisantes sont considérablement plus élevées quand on termine les études secondaires.

Nous savons en outre que le plus fort pourcentage de personnes ayant de faibles capacités de lecture se retrouve parmi les personnes de plus de 45 ans. La proportion des jeunes qui terminent l'école secondaire s'est accrue avec le temps.

M. Grubel: Laissez-moi y aller pas à pas si vous le permettez. Depuis combien d'années l'école est-elle obligatoire dans notre pays?

Mme Sussman: C'est une question difficile. Quelqu'un connaît-il la réponse?

M. Mader: Cent ans.

M. Grubel: Donc, si je comprends bien votre analyse, le problème vient de ce que les jeunes décrochent trop tôt.

Mme Sussman: Bon nombre de personnes qui ont de la difficulté à lire ont quitté l'école avant la fin du secondaire.

M. Grubel: Jusqu'à quel âge l'école est-elle obligatoire?

Mme Sussman: Jusqu'à seize ans.

M. Grubel: Donc, ces personnes répondraient à cette exigence?

Mme Sussman: Oui.

M. Grubel: Pensez-vous que l'on réglerait le problème de ces personnes si elles devaient rester à l'école deux ans de plus et si l'on rendait cette période obligatoire? Est-ce que les enfants qui entreraient alors à l'école en sortiraient plus alphabétisés?

M. Mader: Je ne pense pas pouvoir répondre à cette question qui est formulée globalement, mais il est largement prouvé que des personnes qui terminent le secondaire avec un diplôme sont promues et finissent par ne plus pouvoir comprendre ce qu'elles lisent dans un journal. Elles ne pourraient pas lire le Globe and Mail et comprendre ce qu'il dit.

Il y a dans notre conseil d'administration un représentant qui a été un de nos candidats reçus, un apprenant qui a réussi, un étudiant qui a obtenu son diplôme. S'il était ici aujourd'hui, il vous dirait que l'école ne savait trop quoi faire de lui, alors on le faisait avancer. Ses anciens professeurs vous diraient qu'il poursuivait un cheminement qui ferait de lui une personne. C'est manifestement ce qu'il est devenu, mais il s'est retrouvé dans un emploi - je ne devrais pas dire le mot - sans avenir parce qu'il ne savait ni lire ni écrire.

Il a cherché de l'aide. Pendant un an ou deux, il a bénéficié d'un enseignement individualisé et il a développé ses connaissances au point de pouvoir faire pratiquement tout ce que la majorité de ses camarades d'école faisaient. C'était un de ces enfants dont on disait à l'école qu'il était - et je cite - «non pas un élève présentant des difficultés d'apprentissage, mais un problème».

Voilà pour un aspect. Un autre élément qui ressort de l'étude fondée sur les résultats de l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes est que si l'on ne pratique pas ses capacités de lecture, on les perd. La première fois que j'ai entendu cette affirmation, j'ai trouvé cela tout à fait inconcevable et difficile à avaler. Mais mes associés ont fini par me faire entrer dans le crâne et accepter l'idée que l'on peut perdre la capacité de comprendre ce qu'on lit. Il semble bien que les jeunes formés dans notre système d'éducation arrivent finalement dans l'ensemble à comprendre suffisamment ce qu'ils lisent pour passer tous les examens nécessaires, ce qui n'a pas été autant le cas ces vingt dernières années. Par la suite, leur mode de vie fait en sorte que la lecture ne fait plus partie de leur vie quotidienne, si bien qu'ils perdent leur capacité de compréhension au bout de 10 ou 15 ans. C'est tout à fait possible parce que l'on ne communique plus de la même façon entre autres.

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On ne peut éluder le fait que, selon l'étude, quelle que soit la façon dont ils en sont arrivés là, près de 40 p. 100 des Canadiens adultes classés dans les deux niveaux les plus faibles ont de la difficulté à lire le journal et à comprendre ce qu'il dit. Certains comprennent des mots çà et là mais ne saisissent pas la signification d'ensemble.

M. Grubel: J'aimerais poursuivre dans cette direction, madame Sussman. Le Canada compte parmi les pays du G-7 qui dépensent le plus pour l'éducation par habitant. Il a donc bel et bien fourni aux gens un tas de possibilités pour devenir alphabètes.

Toutes vos demandes visent à accroître l'offre pour les gens qui veulent atteindre un niveau d'alphabétisme plus élevé. Or, je vous entends dire que la demande n'est pas là. Quiconque le veut peut devenir parfaitement alphabète en fréquentant l'école. N'importe quelle personne ou presque qui le veut peut aller au collège ou à l'université si l'on étire la notion d'alphabétisme jusque-là.

J'aimerais que vous me disiez en toute sincérité ce que vous allez faire en vue d'accroître la demande pour la formation dont les gens ont besoin pour atteindre un niveau d'alphabétisme plus élevé. Autrement dit, on peut conduire un cheval à l'abreuvoir, mais on ne peut l'obliger à boire. On place l'abreuvoir, on y amène le cheval, mais il ne se passe rien si le cheval ne veut pas boire.

Il y a quantité d'analphabètes qui ont eu la possibilité d'apprendre depuis l'âge de 6 ans et qui s'y sont refusés. À la sortie du secondaire, ils pouvaient peut-être lire et écrire, mais cela ne les intéressait tout simplement pas de lire les journaux.

Qu'est-ce qui fera en sorte dans votre programme que ces personnes vont vraiment aller chercher et utiliser les possibilités qui leur sont offertes pour améliorer leurs capacités de lecture?

Mme Sussman: Monsieur Grubel, je crains que les données ne confirment pas l'analyse que vous faites du problème. Les données ne permettent pas de penser que le grand nombre de personnes ayant de la difficulté à lire, celles dont nous parlons, ont eu toutes les chances au monde de profiter du système d'éducation canadien, de fréquenter l'école secondaire jusqu'à la fin et de réussir. Bon nombre d'entre elles sont allées à l'école à une époque où la scolarité n'était pas obligatoire jusqu'à 16 ans. Elles grandissaient dans des familles où l'on avait besoin qu'elles quittent l'école pour aller travailler. Chacune vivait une situation personnelle particulière dans la famille. Nous n'avons malheureusement pas eu le temps d'amener certaines de ces personnes avec nous, mais elles seraient les premières à dire que la situation qu'elles vivaient au temps où elles allaient à l'école se prêtait peu à un bon rendement scolaire.

Et vous voudriez les punir de nouveau. Elles ne peuvent simplement arriver tout d'un coup à l'université. Elles ne peuvent simplement arriver tout d'un coup au collège. Elles n'ont pas les rudiments nécessaires en lecture. À moins de leur donner accès à des programmes, il leur sera impossible de le faire.

M. Grubel: Je vous demande pardon, mais personne n'a parlé de punition. J'ai en fait la conscience très claire. Je vis dans une société où les dépenses en éducation par habitant dépassent celles de la plupart des autres pays du monde. Ce n'est donc pas une question de possibilités.

Vous pouvez me citer des personnes qui viennent vous dire que si elles avaient pu avoir plus de ressources, elles auraient appris à lire et à écrire. Je ne suis pas convaincu que cela justifie de dépenser des millions sinon des milliards de plus en éducation. Je crois qu'il faut, premièrement, que ces gens aient la volonté d'apprendre - parce que les possibilités sont là - et, deuxièmement, qu'ils persistent.

J'aimerais que vous me disiez quelles sont vos idées sur la façon d'amener ces gens à y arriver. Il n'en faut pas tant que cela pour apprendre à lire et à écrire. Combien d'années de scolarité comptaient-ils à l'âge de 16 ans? Dix ans? S'ils n'ont pas appris à lire et à écrire pendant toutes ces années, qu'ont-ils appris? Que faisaient nos écoles? Je vous pose la question.

M. Bloom: Je pense que la tournure de la discussion nécessite certaines précisions. L'alphabétisme, selon la définition utilisée pour la recherche, n'est pas une notion aussi tranchée que noir et blanc. Vous semblez laisser entendre qu'on est alphabétisé ou qu'on ne l'est pas.

En fait, l'étude a eu le mérite de montrer que l'alphabétisme est un continuum de capacités. Tout le monde est plus ou moins alphabète. Personne n'est parfaitement alphabète. Cette façon d'aborder la question a été importante dans la recherche parce qu'elle a fait ressortir tout ce que l'alphabétisme recouvre et aussi le fait que c'est un continuum de capacités.

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Soit dit en passant, le mot «alphabétisme» a été défini pour la réalisation de l'enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes comme la capacité d'une personne de comprendre et d'utiliser des imprimés et des écrits nécessaires pour fonctionner dans la vie de tous les jours, à la maison, au travail et dans la collectivité pour atteindre ses objectifs, parfaire ses connaissances et accroître son potentiel. Les enquêteurs se sont intéressés à la capacité de lire des textes simples et documentaires et des textes au contenu quantitatif. C'est de la notion de capacité de lire la plus complexe dont nous parlons. Je crois que les autres témoins se reportent à cette définition.

L'intérêt de cette définition est qu'elle montre l'alphabétisme comme un continuum de capacités et, en même temps, comme une cible en mouvement. Je ne veux pas m'engager dans une discussion où l'on voudrait juger de la qualité du produit issu de notre système d'éducation ou savoir si notre système a fait certaines choses dans le passé. Je crois plutôt qu'il importe de reconnaître le fait que presque toutes les personnes qui ont de la difficulté à lire et dont nous parlons occupent un emploi ou font partie de la population active - ou du moins aimerions-nous qu'elles en fassent partie. La solution à leurs préoccupations ne se trouve donc pas nécessairement dans le système d'éducation.

De plus, la recherche que nous avons menée semble indiquer que les tâches rattachées aux emplois deviennent de plus en plus compliquées. Les emplois deviennent aussi sans cesse plus polarisés au Canada parce que nous devons livrer concurrence à d'autres pays, ce que vous savez certainement. Dans les secteurs où la concurrence joue, il existe des domaines où le nombre d'emplois est en hausse. À notre avis, on exige de plus en plus des travailleurs qu'ils soient alphabètes selon la définition utilisée pour l'enquête internationale.

Donc, des personnes qui conservent le même niveau d'alphabétisme - encore une fois au sens que lui donne l'enquête internationale - ces personnes donc deviendront, au fil du temps, relativement moins capables de performer sur le marché de l'emploi.

M. Grubel: On appelle cela normalement parfaire sa formation pour acquérir des compétences plus élevées dans un contexte de mondialisation de l'économie. Je ne comprends pas pourquoi vous appelez cela «alphabétisme».

M. Bloom: Nous ne semblons toujours pas avoir la même définition du mot «alphabétisme». Laissez-moi vous expliquer encore. Il serait difficile, je crois, de poursuivre la discussion si ce point-là n'est pas clair. La définition que nous utilisons n'est pas...

M. Grubel: Non, je comprends cela. Ce que je conteste, c'est la pertinence d'utiliser cet argument comme moyen de pression pour obtenir plus d'argent pour l'éducation.

M. O'Leary: Si je peux aussi donner une explication, monsieur Grubel, je crois que le point que vous faites valoir au sujet de des sommes consacrées à l'éducation au Canada est un point important à signaler. Il importe aussi de dire que grâce à ces sommes, nous avons un des meilleurs systèmes d'éducation au monde. Nous ne sommes pas ici pour contester ce fait.

Ce qui est arrivé... je dis cela au nom d'un organisme qui existe depuis 1899. Si nous prenons les personnes qui se trouvent dans cette pièce, on se rend compte que 1899, c'était à l'époque de nos grands-parents pour la plupart d'entre nous. Cela ne remonte pas à si longtemps donc.

M. Grubel: Je m'en souviens... mais je dis beaucoup de mensonges aussi.

Des voix: Oh, oh!

M. O'Leary: Vous vous souvenez alors qu'en 1899, la plupart des Canadiens, la plupart des citoyens comme nous dirions aujourd'hui, étaient ce que nous appellerions probablement des analphabètes fonctionnels.

J'ai obtenu mon diplôme d'études secondaires en 1970. Cette année-là, au Canada, le taux officiel de décrochage avant la douzième année était de 50 p. 100. Un étudiant sur deux quittait l'école secondaire pour travailler à la maison, dans le secteur de la pêche, dans des usines ou dans des fermes. Je n'ai sûrement pas besoin de dire à un groupe de députés que le monde a profondément changé depuis, au cours des 10 ou 20 dernières années pour être plus précis...

Là où j'essayais d'en venir lorsque je faisais mon exposé, c'est que les enseignants et les éducateurs font face à un défi sans précédent, à savoir faire acquérir à pratiquement toute la population de hautes capacités de lecture et d'écriture. Les écoles ne peuvent y arriver seules.

Il est actuellement 16 h 15. Dans tous les coins du pays, une foule d'enfants ont terminé l'école et rentrent chez eux. Ils retournent dans des milieux où, pour des raisons de pauvreté, disons, ou à cause d'autres problèmes qu'ils connaissent dans leur vie, ils ne trouvent ni l'enrichissement ni le soutien dont ils ont besoin pour réussir et exceller en classe.

Une grande partie de notre tâche et de celle d'autres groupes que nous représentons consiste à mobiliser d'autres ressources pour appuyer le travail des écoles. Si je me fie au chemin parcouru depuis le temps de nos grands-parents, je crois sincèrement que l'on relèvera très nettement le niveau d'alphabétisme dans l'avenir grâce à l'excellence des éducateurs et des enseignants et grâce aussi à toutes les connaissances qu'ils ont maintenant.

M. Mader: On nous a demandé un peu plus tôt comment amener le cheval à boire. En misant sur ce que nous appelons l'alphabétisation familiale, une culture familiale propice à l'apprentissage de la lecture.

Laissez-moi vous parler une minute d'un petit programme que certains de nos bénévoles ont lancé à Cornerbrook, dans la province de Terre-Neuve. Nous l'essayons et l'étendons peu à peu ailleurs au pays.

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Nos alphabétiseurs bénévoles se sont rendu compte qu'une des causes des difficultés de lecture était qu'avant leur entrée à l'école, les enfants grandissaient dans un milieu où le style de vie ne faisait pas une place importante à la lecture. Ils ont donc conçu un programme qui consiste à rendre visite aux mères de nouveau-nés dans les maternités et à leur donner des livres qui traitent des bébés. Ces livres parlent de l'allaitement dans des termes simples, dans des mots que nous utilisons pour les apprenants. Certaines mères peuvent ne pas savoir lire, tandis que d'autres peuvent avoir perdu une partie des capacités de lecture acquises au temps où elles allaient à l'école.

On ne peut présumer des choses parce qu'il faut laisser s'écouler une génération avant de comprendre ce qui se passe. Nous croyons cependant important de créer, au sein de la famille, une culture où l'on comprend l'importance d'apprendre à lire. C'est un volet du programme de prévention que mènent certains de nos organismes. Ce volet ne vise pas simplement à s'occuper des personnes qui ont des difficultés de lecture. Il vise aussi à trouver une façon de prévenir ces difficultés. Nous avons affaire à un phénomène qui revient, dans une certaine mesure, d'une génération à l'autre, et c'est prouvé.

Mme Chamberlain (Guelph - Wellington): Monsieur le président, j'aimerais remercier tout d'abord nos invités d'être venus. J'ai été moi-même pendant six ans directrice exécutive du conseil d'alphabétisation du comté de Wellington. Je connais donc très bien le problème de l'analphabétisme.

Je vous ai parlé un jour, John, à l'Université de Guelph. Je ne sais pas si vous vous rappelez. Cela fait longtemps, mais je me souviens très bien de la discussion que nous avons eue.

Vous aviez dit alors, John, que les choses avaient beaucoup changé en quelques années et que le monde actuel risquait d'être très différent. Un des points que j'aimerais faire valoir, c'est le fait que si une grande partie de la population sait bel et bien décoder, elle ne comprend pas ce qu'elle décode. Telle est la réalité.

M. Grubel dit qu'il ne comprend pas comment tout cela a pu arriver. Est-ce la faute du système d'éducation? Il y a en fait un certain nombre de raisons à cette situation.

À mon avis, une des raisons est que, dans le temps, on n'accordait pas une grande valeur à la lecture. On ne voyait pas cette compétence comme un outil peut-être important ou nécessaire à posséder. Nous savons très bien aujourd'hui que savoir lire est indispensable, essentiel.

Nous comptons aujourd'hui au Canada un grand nombre d'adultes qui ne lisent pas, qui ne savent pas lire des choses aussi simples qu'une plaque de rue. Je ne crois pas qu'il se trouve ici quelqu'un qui, à bien y penser, ne se soit pas déjà retrouvé dans un magasin derrière une personne qui a tendu la main au caissier en demandant qu'on lui rende la monnaie. Si l'on réfléchit à la raison pour laquelle cette personne agit ainsi, on se rend compte que c'est parce qu'elle ne sait pas compter l'argent, qu'elle ne comprend pas comment cela fonctionne. Il y a des gens qui commandent uniquement des hambourgeois et des frites parce qu'ils ne savent pas lire le menu ni comment commander autre chose.

Le président: Je commande des frites.

Mme Chamberlain: Le président dit qu'il commande des frites lui aussi, mais c'est parce qu'il les adore. Et il sait lire aussi.

La vie que ces gens sont condamnés à mener est vraiment tragique.

Pour revenir à la comparaison que M. Grubel a faite avec le cheval et l'abreuvoir, il y a beaucoup de Canadiens qui veulent avancer dans la vie et qui veulent apprendre. C'est là qu'est toute l'utilité du travail de vos organisations. Elles donnent à ces adultes un mécanisme pour apprendre et un endroit où aller.

Le conseil d'alphabétisation pour lequel j'ai travaillé étendait en plus ses services aux enfants. Il s'agit là d'une autre stratégie, et elle joue un rôle clé à mon avis. C'est une autre stratégie que de laisser les conseils former les gens. Des enfants s'adresseront alors peut-être à eux, ou bien est-ce des adultes seulement qui le feront. Cela leur donne la possibilité de se rattraper, de travailler avec des gens comme eux peut-être, de travailler souvent seul à seul avec une autre personne. L'enseignement se fait en partie en groupe, mais il est souvent individuel, ce qui n'est possible dans aucun système que je connais actuellement.

Les mécanismes et les stratégies d'apprentissage qu'offrent les conseils sont tout à fait différents. Je crois qu'il faut arriver à comprendre que ces gens font partie de nos collectivités. Bon nombre d'entre eux veulent vraiment apprendre. Et à franchement parler, si nous éliminons ces conseils, ils ne sauront plus vers qui se tourner. C'est ainsi que la situation se présente.

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En premier lieu donc, je veux simplement revenir sur les raisons de votre présence ici. Ce que j'ai vu dans le milieu des services l'alphabétisation, c'est du vrai. Les gens concernés veulent apprendre. Dieu merci, il y a des organismes comme les vôtres qui les aident à apprendre et qui les soutiennent tout le long du processus d'apprentissage.

Je sais qu'il y en a beaucoup parmi eux qui ont réussi à trouver un emploi après avoir suivi tout le processus. Ce processus englobe non seulement l'enseignement de la lecture à des adultes qui sont restés à la traîne pendant de longues années, mais souvent d'autres éléments qui s'y rattachent. C'est extrêmement précieux.

J'ai une question que j'aimerais poser. Susan, vous avez parlé de l'alphabétisation familiale qui est comme inexistante au Canada. J'aimerais que vous vous expliquiez un peu plus, parce que je ne suis pas très sûre d'avoir compris ce que vous vouliez dire par là.

Mme Sussman: L'éducation étant généralement de la compétence des provinces, celles-ci ont tendance à considérer que le système officiel d'éducation commence à s'appliquer à 5 ans et continue jusqu'à l'âge auquel les enfants quittent l'école, à 21 ans peut- être dans certains cas. Les provinces n'ont pas pris la responsabilité de l'éducation préscolaire.

Nous entendons par alphabétisation familiale le soutien offert aux familles pour les aider dans le travail qu'elles font auprès de leurs enfants d'âge préscolaire; il s'agit, en grande partie, d'aider ces enfants à acquérir des capacités de lecture. Souvent, ces capacités sont très faibles chez les parents. Nous n'avons pas encore trouvé un ministère qui dise: «C'est notre responsabilité. C'est donc nous qui finançons ces programmes.»

Mme Chamberlain: Je voudrais également ajouter que les groupes d'alphabétisation mènent souvent énormément de campagnes de levées de fonds. Ils travaillent avec beaucoup d'ardeur et fonctionnent souvent avec très peu d'argent. Je sais que Frontier College a eu d'excellents programmes. Ils sont tout à fait à l'avant-garde d'un grand nombre de nouvelles méthodes qui visent à aider les gens.

Je dis, à titre de membre du parti au pouvoir, que nous ne pouvons pas être indifférents à la question de l'alphabétisation. C'est, pour moi, quelque chose d'absolument fondamental. Il y en a qui diront que c'est ma marotte, mais je ne le vois pas comme ça. Pour moi, c'est simplement un droit fondamental que les gens ont de pouvoir fonctionner dans la société. S'ils désirent apprendre, nous devons continuer à laisser des portes ouvertes.

Le président: Merci beaucoup, madame Chamberlain. Monsieur Campbell.

M. Campbell (St. Paul's): Merci, monsieur le président. Je voudrais remercier moi aussi les témoins qui sont ici aujourd'hui, monsieur le président, et les féliciter de l'excellent travail qu'ils font.

Mes collègues et moi savons que la question qui se pose est très complexe. Ce n'est pas aussi simple que de dire: «L'école offre à ces gens les possibilités d'apprendre à lire et à écrire et, s'ils n'en profitent pas, c'est tant pis pour eux. Ce n'est pas en débloquant des fonds supplémentaires qu'on va régler le problème.»

Je sais bien, d'après les discussions que j'ai eues dans ma propre circonscription, dans la ville de Toronto, que c'est malheureusement souvent le milieu familial qui est en cause et non l'école en raison des pressions qui s'exercent sur les deux parents ou sur les familles monoparentales: le logement ne convient pas, il y a les tensions et les pressions du travail, les conflits à la maison... Dans une atmosphère pareille, l'apprentissage ne se fait pas facilement à l'école, et il n'y a pas d'encouragement à la maison de la part des parents. C'est une question complexe. Je vous félicite des efforts que vous continuez de faire.

J'ai entendu l'autre jour à la radio une entrevue tout à fait étonnante. Une personne qui en aide maintenant d'autres à apprendre à lire a révélé qu'elle avait vécu et travaillé pendant de nombreuses années en étant analphabète fonctionnelle. Elle avait en fait progressé assez bien à l'école - ceux d'entre vous qui hochez de la tête avez peut-être entendu cette entrevue - et elle a occupé et occupe toujours un poste assez élevé dans une entreprise de Toronto. Cette personne a expliqué qu'on pouvait se tirer de nombreuses de situations en faisant semblant. Vous savez que vous faites semblant, mais c'est étonnant de constater qu'il y a si peu de gens qui s'en rendent compte.

M. Grubel savait peut-être quand ses étudiants faisaient semblant, mais...

Des voix: Oh, oh!

M. Grubel: Je fais semblant, vous savez.

M. Solberg (Medicine Hat): Personne n'a été dupe.

Des voix: Oh, oh!

M. Campbell: Vous ne m'avez pas eu, monsieur Grubel.

L'entrevue était vraiment très convaincante. Cette personne a raconté qu'elle pouvait faire écrire ses notes de service par d'autres et qu'elle hochait beaucoup de la tête. Elle connaissait son travail, mais ne savait pas écrire. Il y a d'autres cas comme celui-là, que Mme Chamberlain a cités où on voit...

C'est très pénible. Je n'ai pas vraiment de question, monsieur le président. Je voulais juste faire ces observations.

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Je me rends compte de la difficulté du défi que vous avez à relever et de l'importance du travail que vous faites. Aussi aurais-je une recommandation à faire. Je ne sais pas si quelqu'un y a déjà pensé. Au cours d'un voyage que j'ai fait il y a longtemps en Thaïlande, j'ai été surpris d'apprendre qu'il existait une encyclopédie, l'Encyclopédie de Thaïlande s'appelait-elle je crois, dans laquelle chaque article était rédigé pour trois niveaux différents de capacités de lecture, de façon à ce que les familles puissent étudier ensemble. J'ai supposé que les enfants lisaient le texte du plus bas niveau, et les parents, les textes des niveaux les plus élevés de chaque article.

Ce que j'ai trouvé intéressant, c'est que la personne qui m'a montré cette encyclopédie m'a expliqué que c'était souvent les parents qui lisaient le texte le plus simple, et que les enfants lisaient les deux autres versions. C'était là une façon d'aider toutes les personnes de la famille à apprendre ensemble, même si elles n'avaient pas le même niveau d'alphabétisme.

C'est ce que j'avais à dire. Je ne sais pas si quelqu'un a des commentaires à faire là-dessus.

M. O'Leary: Pourrais-je juste répondre aux commentaires de M. Campbell?

Le président: Oui, monsieur O'Leary.

M. O'Leary: Je me rappelle un de mes professeurs à l'université qui... Il y en a peut-être parmi vous qui ont connu Roby Kidd, un éminent éducateur canadien de l'Université de Toronto. J'étais un jeune enseignant qui débutait dans le domaine de l'alphabétisation et j'enseignais dans une prison du Manitoba quand il m'a dit un jour en me regardant: «N'oubliez pas. Les personnes auprès desquelles vous travaillez n'ont peut-être pas fait de longues études, mais lorsqu'on n'est pas très éduqué, on doit vraiment utiliser son cerveau.»

Il y a un autre point que vous comprenez tous très bien, je pense. C'est qu'il n'est pas question ici d'intelligence. Il est question de possibilités, d'aléas de la vie et, comme vous dites, des complexités de la vie des Canadiens de tous les coins du pays.

Monsieur Grubel, nous savons très bien qu'il y a le plus souvent de très longues listes d'attentes de personnes qui veulent accéder à des programmes comme ceux que nous offrons et aux programmes qu'offrent les collèges et les commissions scolaires. Ces personnes cherchent d'autres possibilités pour apprendre au sein de la collectivité et en milieu de travail. Je serais heureux de vous en parler à un autre moment pour vous donner de plus amples détails à ce sujet et aussi de vous recruter comme tuteur bénévole. Je suis sûr que vous feriez de l'excellent travail.

M. Grubel: Vous ne croyez pas qu'on ait un problème d'offre...

M. O'Leary: Non.

M. Grubel: ... je veux dire un problème de demande. Vous pensez qu'il y a des gens qui veulent à tout prix apprendre, mais qui n'ont pas la possibilité, dans notre société, d'acquérir eux- mêmes la capacité de lire comme il faut un journal. Vous affirmez que c'est ça la situation.

M. O'Leary: C'est là mon expérience d'enseignant.

M. Grubel: Je vis manifestement dans un autre monde.

Mme Chamberlain: Tout à fait.

Le président: Merci, monsieur Campbell. Madame Whelan.

Mme Whelan (Essex - Windsor): Monsieur le président, je voudrais soulever deux points rapidement.

Je suis d'accord avec tout ce que Mme Chamberlain a dit. Je crois qu'il est extrêmement important de savoir où nous allons dans le dossier de l'alphabétisme. Voici mes deux questions:

D'abord, vous avez parlé, madame Sussman, de la formation ou, je crois, du financement de la formation. Je ne sais pas exactement ce que vous voulez du gouvernement fédéral. Je suppose que cette incertitude est à la base de mes deux questions...

Vous avez également parlé du niveau d'éducation. Je crains vraiment que nous ne soyons en train de créer une société qui n'atteindra peut-être jamais le quatrième ou le cinquième niveau, parce que beaucoup d'enfants d'âge scolaire des régions pauvres du Canada n'ont pas l'avantage de se servir d'un ordinateur à un jeune âge. Ils n'acquerront peut-être jamais la maîtrise qui leur permettrait d'interpréter et de lire les données sur l'écran de l'ordinateur et de dialoguer avec lui. Je suppose que les capacités dont il est question ici sont celles des quatrième et cinquième niveaux, et certaines sont d'un niveau technique très élevé.

Si l'on ne commence pas par les rudiments quand on est tout jeune, on ne sera jamais en mesure d'atteindre le niveau auquel pourra accéder quelqu'un issu d'un milieu aisé au Canada. Je me demande simplement si nous n'allons pas commencer à créer une nouvelle catégorie d'alphabétisme plus tard.

L'autre point qui me préoccupe beaucoup est de savoir ce que va devenir notre système d'éducation. L'éducation primaire est de compétence provinciale. Lorsque j'oeuvrais dans ma collectivité avant d'être élue, je faisais partie d'un groupe qui intervenait auprès de personnes ayant des difficultés d'apprentissage. Une des raisons pour lesquelles certaines personnes ne savent ni lire ni écrire et n'ont pas atteint le niveau quatre ou cinq, c'est que leurs difficultés n'ont jamais été correctement diagnostiquées à l'école primaire ou secondaire.

Il y en a qui donnaient le change... mais pas tous. On ne leur a jamais bien montré comment vivre avec leur problème, de dyslexie ou autre. Certaines personnes peuvent arriver à se débrouiller avec ce genre de problème, mais d'autres ont besoin qu'on leur montre.

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Deux choses m'inquiètent. Premièrement, sommes-nous en train de créer une autre génération qui ne sera pas en mesure d'atteindre le niveau quatre ou cinq, même si elle sera très instruite? Va-t-il y avoir un fossé entre des gens extrêmement instruits? Je vois cette situation apparaître pour différentes capacités. Je le remarque dans ma propre collectivité. Je ne sais pas si vous constatez la même chose dans les grandes villes.

Deuxièmement, de quelle façon allons-nous nous attaquer aux difficultés d'apprentissage plus tard?

Mme Sussman: Je voudrais répondre à certains points que vous avez soulevés. Ils sont tous valables, et je vous en remercie.

Si je comprends bien ce que vous venez de dire, vous parlez de ceux qui ont des ordinateurs et de ceux qui n'en ont pas, et des avantages ou des désavantages qui en découleront pour l'enfant à l'école. Un groupe de travail mis sur pied par le gouvernement fédéral au sujet de l'autoroute de l'information s'est dit inquiet de la division qui se dessine de plus en plus dans la société canadienne entre ceux qui ont l'information et ceux qui ne l'ont pas.

Le commentaire qui nous vient souvent à l'esprit à nous, intervenants en alphabétisation, c'est que les capacités de lecture - savoir lire et écrire, tout simplement - sont la bretelle par laquelle on accède à l'autoroute de l'information. Vous pouvez mettre un ordinateur devant une personne, mais si cette personne n'a pas les capacités fondamentales de lecture, la machine à elle seule ne lui permettra pas d'accéder à l'inforoute.

Avant de commencer à nous demander ce qui va arriver dans une société où certains enfants ont des ordinateurs et d'autres pas, commençons par nous préoccuper du fait que tout le monde doit d'abord avoir les capacités nécessaires pour y accéder et ce n'est qu'ensuite qu'ils auront besoin des ordinateurs. Voilà pour le premier point.

Le second point que vous avez soulevé concerne les difficultés d'apprentissage. Un grand nombre d'adultes inscrits aux programmes d'alphabétisation nous disent apprendre de telle ou telle façon ou ont différentes façons d'apprendre. Certains semblent présenter une carence de nature neurologique très précise que d'aucuns définiront comme une difficulté d'apprentissage, mais ces carences ne ressortent pas pendant les cours d'alphabétisation. Ces personnes ont été scolarisées à un moment où les systèmes scolaires ne disposaient pas d'outils pour cela.

Les intervenants en alphabétisation sont extrêmement désireux de se perfectionner dans leur domaine pour pouvoir travailler, souvent seul à seul, avec des personnes qui ont des besoins d'apprentissage particuliers. Nos programmes répondent également à cela.

[Français]

Mme Lapierre: Je voudrais ajouter qu'on s'est aperçu, au cours de notre travail dans les réseaux d'alphabétisation auprès d'adultes ayant eu des problèmes d'apprentissage, que les intervenants en alphabétisation ont eu à développer une réflexion qui aujourd'hui sert aux enfants.

Entre autres, je pense à un livre publié il y a quelques années sur la métacognition, qui présente une approche nouvelle à l'alphabétisation qui peut servir dans les écoles primaires pour les enfants ayant des problèmes d'apprentissage.

Je pense donc que le travail en alphabétisation ne se fait pas isolément de ce qui se fait dans les écoles pour les enfants. Entre autres, l'alphabétisation familiale apporte ce genre de contribution sur un autre plan.

Par rapport à l'interrogation que vous aviez, à savoir si nous ne sommes pas en train d'élargir le fossé entre les jeunes qui seront alphabétisés et ceux qui le seront moins par le processus d'alphabétisation, nous sommes justement en train d'abolir ou de minimiser cette distinction entre les deux groupes. Au moyen de l'alphabétisation familiale, on intervient directement dans de telles situations. Peu importe si les parents ont ou non des capacités en lecture et en écriture, on permet à l'enfant, dans le cadre des programmes d'alphabétisation familiale, d'acquérir ces capacités en même temps que ses parents. Il se crée donc toute une culture d'apprentissage, comme le disait John dans sa présentation.

Je ne sais pas si cela contribue à répondre aux questions que vous posiez.

[Traduction]

Mme Whelan: Je vous remercie de vos réponses, mais je dois avouer que le problème des ordinateurs me préoccupe réellement.

Je comprends qu'il faut continuer, mais je voudrais vous donner l'exemple de deux enfants de quatre ans. L'un vient d'une famille aisée et il n'a peut-être pas, à mon avis, les mêmes capacités que l'autre enfant qui n'a pas accès à un ordinateur. L'un commence à être très à l'aise avec un ordinateur, mais l'autre n'aura peut-être jamais d'ordinateur chez lui parce que sa famille n'a pas les moyens d'en acheter un. Bien que les deux enfants sachent lire et écrire et se situent au même niveau sur le plan de la lecture, et bien qu'ils soient probablement très intelligents l'un et l'autre, je pense qu'un facteur aura pour effet qu'un de ces enfants n'atteindra jamais le niveau quatre ou cinq. C'est cela qui me préoccupe.

Mme Sussman: Oui, votre préoccupation est probablement très légitime.

Des recherches réellement intéressantes ont été effectuées sur les différences qui existent entre les enfants qui grandissent dans des foyers où les parents sont alphabétisés et ceux qui grandissent dans des foyers où les parents ne lisent pas. Les auteurs de ces études ont constaté qu'un enfant moyen de cinq ans qui entre en première année et dont les parents ne sont pas alphabétisés a l'équivalent de 2 000 heures de retard par rapport à un enfant qui a fait seul à seul avec ses parents l'apprentissage de notions de lecture essentielles. Les chercheurs qui se sont penchés sur la question de la lecture se demandent comment un enseignant de première année qui doit s'occuper de 25 enfants pourra jamais combler ce retard. C'est assez fondamental.

.1640

Le même genre de raisonnement pourrait s'appliquer aux enfants qui grandissent dans des foyers où se trouve un ordinateur, avec des parents qui s'assoient avec eux pour leur montrer comment s'en servir. Dès qu'ils se retrouvent devant un ordinateur à l'école, ils laissent les autres enfants loin derrière.

C'est une préoccupation tout à fait légitime. Nous parlons de 22 p. 100 de la population adulte qui ne fait pas la lecture aux enfants parce qu'elle ne sait pas lire ou pour d'autres raisons. Lire avec les enfants est une condition préalable à l'apprentissage de l'utilisation de l'ordinateur; alors les deux choses se tiennent.

Le président: Merci beaucoup, madame Whelan.

M. Mader: Monsieur le président, l'ordinateur vient après l'alphabétisation et non avant.

La vérité est que, lorsque les gens ont appris à lire, ils trouvent une façon ou une autre d'accéder à un ordinateur. Cela n'est pas vrai et c'est probablement moins important au premier stade de l'apprentissage que cela ne l'est au niveau de l'école primaire, c'est-à-dire au moment où la capacité d'utiliser un ordinateur semble être à la mode. Ainsi, même si c'est une question importante, elle l'est nettement moins que la question de l'alphabétisme pour ce qui est de comprendre...

Mme Whelan: Non, ce que j'ai dit concernait la façon dont étaient testés les gens au niveau quatre et cinq, où on mesure leur aptitude à décoder le message et à porter un jugement. Les ordinateurs contribuent au développement de la capacité d'analyse.

Ceux qui ont l'avantage d'apprendre à utiliser un ordinateur à un jeune âge acquerront cette capacité beaucoup plus rapidement, je crois, parce qu'ils apprennent à leur niveau seul à seul avec une personne, tandis que les autres enfants apprendront avec plusieurs autres en même temps. C'est ce que je voulais dire.

Le président: Monsieur Solberg, s'il vous plaît.

M. Solberg: Monsieur le président, je voudrais en premier lieu revenir sur la question des possibilités d'apprentissage qui a été soulevée et savoir si oui ou non les enfants ont l'occasion d'apprendre.

Je suis le père de deux garçons qui sont à l'école maintenant et j'ai constaté que l'école accueillait toutes sortes d'enfants. Certains sont très intelligents et disciplinés, et ils n'ont aucun problème. D'autres sont intelligents, mais peu disciplinés; ils ne prennent pas leurs études au sérieux. D'autres encore s'amusent pendant toute la période de scolarité malgré tous les efforts des enseignants. À leur sortie de l'école, ils ne peuvent pas trouver l'emploi qu'ils veulent et ils doivent, en fin de compte, trouver le moyen de retourner à l'école pour faire le travail qu'ils voudraient. Ils peuvent même avoir à améliorer un peu leurs capacités de lecture.

Il y a aussi à l'école des enfants qui n'ont tout simplement pas les aptitudes intellectuelles voulues pour apprendre. Les enseignants ont beau faire pour leur inculquer quelque chose, cela ne donne rien.

Ce que je veux dire, c'est que les enseignants travaillent extrêmement dur pendant les 10 ans que l'enfant passe à l'école jusqu'à ce qu'il ait 16 ans, ou même pendant 12 ans jusqu'à ce qu'il ait 18 ans, pour essayer de leur faire acquérir des aptitudes. Les enseignants sont à la base du système d'éducation. Je pense qu'ils font du mieux qu'ils peuvent, mais parfois, pour une raison ou une autre, les enfants ne peuvent ou ne veulent pas apprendre.

J'abonde dans le sens de M. Grubel. Il existe beaucoup de possibilités d'apprentissage, mais pour une raison ou une autre, les enfants ne les saisissent pas parfois.

Voilà pour ce qui est de l'offre. Parlons maintenant de la demande, dont vous n'avez pas réellement discuté. Je n'ai entendu jusqu'ici aucune recommandation quant à ce que nous pouvons faire pour encourager les familles à donner à leurs enfants les capacités et le milieu nécessaires à l'apprentissage.

Il est possible que les enfants viennent de familles n'ayant pas les aptitudes intellectuelles voulues. C'est triste, mais c'est vrai dans certains cas, une minorité de cas. Je ne sais ce qui peut être fait alors.

Pour la grande majorité des gens toutefois, il y a des choses que l'on peut faire. La réalité du monde moderne est qu'un grand nombre de familles sont composées de deux parents qui travaillent à l'extérieur, de sorte qu'il leur est difficile de consacrer à leurs enfants le temps qu'ils aimeraient pour faire des choses comme la lecture. Très souvent, ce n'est pas leur faute. Les parents aimeraient rester à la maison, mais les deux doivent travailler ou même avoir plusieurs emplois. Ils resteraient peut- être à la maison s'ils avaient le choix.

.1645

Je voudrais vous faire une recommandation. Je crois très fermement que si d'une façon ou d'une autre nous pouvions alléger le fardeau fiscal dans notre pays, alors les parents ne se sentiraient pas obligés de travailler tous les deux à l'extérieur tout le temps - dans certains cas, six ou sept jours par semaine - pour payer les factures. Si les impôts étaient réduits, ne pensez-vous qu'on créerait un contexte où les gens auraient plus de temps à consacrer à leur famille ou à leurs enfants pour leur apprendre à lire et leur faire la lecture lorsqu'ils sont tout jeunes?

M. O'Leary: Vous faites allusion, monsieur Solberg, à ce que les éducateurs appellent l'alphabétisation familiale. C'est un de nos tout nouveaux domaines. Lorsque j'ai commencé à enseigner au Frontier College en 1976, nous enseignions aux adultes qui avaient besoin d'aide en lecture et en écriture; nous n'intervenions pas auprès des enfants ou des familles. Au cours des 15 ou 20 dernières années, nous avons tous commencé, nous qui sommes du domaine de l'alphabétisation, à intervenir de plus en plus auprès des familles.

Nous travaillons de deux façons. Nous faisons les choses comme il faut maintenant. Des activités sont prévues pour aider les adultes, ces 22 p. 100 de la population qui ne sont pas à l'aise en lecture et qui ne lisent pas beaucoup. Nous pouvons leur apprendre et leur montrer, dans la collectivité, dans les quartiers et chez eux, comment travailler avec de jeunes enfants, lire à haute voix et améliorer leurs propres capacités de lecture.

Des adultes s'inscrivent à des programmes comme le nôtre pour améliorer leurs capacités de lecture principalement dans le but d'aider leurs enfants. Il n'y a pas de doute là-dessus. C'est un des principaux facteurs qui les motivent.

Donc, des programmes sont en place. Rappelons encore une fois que la Chambre des communes et le gouvernement, par l'entremise du Secrétariat national à l'alphabétisation, financent actuellement quelques études de grande qualité. Il s'est tenu aussi plusieurs congrès sur l'alphabétisation familiale ces deux dernières années. On y a examiné les nouveaux programmes et les nouvelles activités susceptibles de soutenir les efforts qui sont faits en matière d'alphabétisation familiale. C'est donc un domaine assez nouveau. Je crois que vous avez raison lorsque vous dites que ce nouveau besoin tient largement à l'incidence que la situation de l'économie et de l'emploi a sur la vie des Canadiens.

Du bon travail se fait dans ce domaine, et nous l'appuyons avec l'aide du Secrétariat national à l'alphabétisation. C'est sûrement un des domaines de l'alphabétisation que nous devons développer dans l'avenir.

Mme Sussman: Pourrais-je seulement ajouter quelque chose à ce que vous venez de dire, John?

Il y a une drôle d'ironie - c'est même presque de l'humour noir - dans la situation actuelle. Les personnes les plus susceptibles de rester maintenant à la maison avec les enfants sont les chômeurs. Et les prestataires d'aide sociale sont les moins susceptibles de savoir lire. Vous parlez de réduire les impôts ou de donner un avantage aux personnes ayant un emploi qui savent lire. Les chances sont pourtant que leurs enfants grandissent dans des foyers alphabétisés.

Ce que les recherches montrent clairement, c'est que les familles où les capacités de lecture sont faibles se transmettent cette caractéristique d'une génération à l'autre. Les enfants qui grandissent dans des foyers où les parents n'ont pas ces capacités sont ceux qui risquent le plus d'avoir des problèmes à l'école. Ce sont aussi ces parents qui sont les plus susceptibles d'être au chômage ou de recevoir des prestations d'aide sociale.

Je sais qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps. D'une certaine façon, nous avons, semble-t-il, passé à autre chose.

Il est important de penser à nos enfants, de chercher des moyens d'améliorer le système d'éducation et de faire en sorte que le nombre de jeunes qui sortent de l'école secondaire avec des difficultés de lecture n'augmente pas.

Mais le fait est qu'aujourd'hui, 22 p. 100 des Canadiens adultes - des gens qui ont besoin d'un emploi pour ne plus dépendre des prestations d'assurance-chômage ou d'aide sociale - ont déjà beaucoup de difficulté à lire, ce qui les empêche de participer à l'économie. C'est vraiment çà le problème dont nous sommes venus parler aujourd'hui. Nous avons des collègues dans le système d'éducation qui sont plus versés que nous en ce qui concerne l'éducation des jeunes enfants; nous, nous sommes ici pour vous parler des questions relatives aux difficultés de lecture des adultes et de leur incidence sur l'économie et la prospérité du Canada.

M. Solberg: J'aimerais juste formuler un dernier commentaire. Je comprends ce que vous dites, à savoir que si une personne est analphabète fonctionnelle, elle est au chômage parce qu'elle ne sait pas lire. Donc, elle ne peut transmettre aucune capacité de lecture aux membres de sa famille. Elle vient alors chercher votre aide. C'est très bien. Je pense que la plupart des gens veulent aider leur famille.

Mais ce que j'essaie de dire, c'est qu'il s'agit de cas isolés. J'ai vu des situations où des personnes tout à fait intelligentes n'ont tout simplement pas de temps à passer avec leurs enfants pour leur montrer quoi que ce soit. Cela veut dire non seulement lire, mais aussi comment comprendre et interpréter des textes.

.1650

J'ai un exemple en tête. Des parents ont demandé à leur enfant qui était en dixième année de lire une bande dessinée. Ce jeune, qui venait d'une famille de la classe moyenne, pouvait à peine comprendre la bande dessinée. Il avait manifestement toutes les compétences pour devenir député - j'anticipe les paroles du président.

Cela m'a paru incroyable, je dois l'avouer, que ce jeune ait pu se rendre aussi loin, jusqu'en dixième année. J'attribue sa situation en partie au fait que ses parents ne pouvaient être aussi présents qu'ils auraient dû l'être parce qu'ils travaillaient tous les deux à l'extérieur. Le jeune avait, à mon avis, toutes les aptitudes voulues. C'est un cas isolé.

M. Mader: Nous avons des programmes pour faire face en partie à ce genre de problème. Il y a celui qui s'appelle «Summer Reading for Fun», qui s'adresse aux enfants pendant les vacances d'été, lorsque les parents travaillent. Ce sont, en fait, des camps de lecture. C'est un programme assez vaste. Nous avons organisé des camps dans des centaines d'endroits au pays l'an passé.

L'autre programme, connu sous le nom de «Peer Youth Training», est le premier de Laubach Literacy of Canada à avoir reçu une subvention de l'État. Les jeunes qui s'intéressent à la lecture améliorent les capacités de lecture d'autres jeunes en travaillant avec eux. Ce programme existe depuis 15 ans.

M. Solberg: Je comprends ce que vous dites, mais vous changez la perspective de la question. Vous vous demandez ce que nous pouvons faire pour devenir quasiment des parents pour ces jeunes. Ce que je dis, c'est que nous devrions faire quelque chose pour permettre aux parents de remplir leurs responsabilités traditionnelles.

M. Mader: Notre domaine est l'alphabétisation.

M. Solberg: Oui.

M. Mader: C'est cela que nous pouvons faire. L'autre question est de nature politique et socio-économique.

M. Solberg: Cela est également relié à l'alphabétisation.

M. Mader: Je ne pense pas qu'il soit indiqué de continuer dans cette voie.

Si c'était vrai, on n'aurait pas des sociétés de modèles différents où il y a encore des problèmes de lecture. L'enquête internationale a permis de recenser d'autres sociétés qui ont les mêmes problèmes. La nôtre n'est pas la seule touchée. Les situations socio-économiques des pays sur lesquels l'enquête a porté sont très variées. On vient de vous remettre un exemplaire du rapport; vous pourriez peut-être le lire. Les questions socio- économiques y sont visiblement traitées.

Il ne faut pas non plus oublier qu'on vise une cible en mouvement. Toutes les capacités de lecture qui sont exigées sont une cible appelée à se déplacer. Qu'importe la norme aujourd'hui, dans 20 ans, la barre sera placée plus haut.

M. Solberg: Donc, il vaut mieux créer ces capacités lorsque les enfants sont jeunes. Nous avons déjà entendu des témoignages à ce sujet. L'investissement le plus productif qui soit, l'établissement d'enseignement le plus rentable qu'on puisse mettre sur pied, c'est, je crois, une famille qui lit. Ainsi, si nous pouvons d'une manière ou d'une autre orienter nos efforts dans ce sens, nos chances de prévenir des taux d'analphabétisme fonctionnel qui atteignent 20 p. 100 chez les jeunes de 18 ans seront bien meilleures.

Mme Sussman: Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit. Les témoignages et les faits que nous avons laissent croire que le problème se situe dans les familles où les parents ne savent pas lire. Nous n'avons pas de preuves attestant que l'incapacité de l'enfant à apprendre à lire est un problème qui tient au fait que les deux parents sont au chômage. Les preuves que nous avons montrent plutôt que les enfants qui grandissent en ayant des difficultés de lecture viennent de foyers où les parents ne peuvent pas lire avec eux, qu'ils soient à la maison ou non. C'est pour cela que nous essayons de briser ce cycle.

M. Grubel: S'il n'y avait pas de télévision, qu'arriverait-il? Que se produirait-il si, demain, on pouvait obliger tout le monde à regarder «The Learning Channel» ou le genre d'émissions que vous mettriez au programme?

Mme Chamberlain: Faites-vous allusion au Nouveau Départ du Parti réformiste?

Des voix: Oh, oh!

M. Grubel: Je blague à moitié. Les données obtenues contiennent-elles des preuves attestant d'une différence entre des pays où le niveau d'éducation est le même, mais où les habitudes de consommation d'émissions sont différentes?

Mme Sussman: Les résultats de l'enquête internationale montrent que les personnes dont les capacités de lecture sont faibles ont tendance à regarder davantage la télévision que celles dont les capacités de lecture sont élevées. C'est vraiment la question de la poule et de l'oeuf qui se pose ici. Est-ce parce qu'elles regardent davantage la télévision que leurs capacités de lecture sont faibles, ou regardent-elles davantage la télévision parce que leurs capacités de lecture sont faibles? Nous ne connaissons pas la réponse, mais il existe un rapport entre de faibles capacités de lecture et la tendance à regarder la télévision.

Mme Chamberlain: Mais le fait demeure qu'il y a des gens qui veulent apprendre. Nous voulons avoir la possibilité de les diriger quelque part plutôt que de dire simplement qu'il n'y a rien pour eux et qu'ils sont condamnés à ne jamais savoir lire.

M. Grubel: Monsieur le président, je suis d'accord avec cela, mais cela relève clairement du jugement empirique. Nous nous laissons dire comme toujours par les témoins que le gouvernement doit dépenser plus d'argent, qu'il leur faut cet argent, qu'ils le dépenseront très sagement et qu'ils feront de grandes choses pour le Canada. Je reste sceptique. Dans mon esprit, la question n'est pas du tout réglée, parce que je crois qu'il existe énormément de possibilités d'apprentissage.

.1655

J'ai grandi dans ce que l'on appellerait une cabane. Mes parents n'ont jamais acheté de journal. Il est possible de sortir d'une condition comme celle-là. Mes parents n'avaient fréquenté que l'école primaire en Allemagne. J'ai grandi durant la guerre. Je peux vous assurer que cela n'est ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante pour que tant de ressources soient mises à la disposition des gens. Je ne crois tout simplement pas que la solution du problème passe par l'augmentation du financement des programmes.

J'aimerais savoir précisément ce que les intervenants du milieu font pour promouvoir l'utilisation des possibilités d'apprentissage qui existent pour atteindre un niveau d'éducation supérieur, lequel, d'après ce qui a été dit en gros, augmente le niveau d'alphabétisme. Je ne pense pas qu'il y ait un tel manque de possibilités d'apprentissage.

À mon avis, le grand problème auquel notre société de heurte - je n'ai pas de réponse et c'est pourquoi je pose la question - est de savoir quoi faire pour amener les gens à cesser de regarder les matchs de football, les téléromans, etc., et les pousser à sortir pour acquérir l'éducation nécessaire qui, je crois, est accessible. Pour moi, cela est plus important que d'augmenter le financement des établissements où ils peuvent aller.

J'aimerais que vous me prouviez qu'il n'y a pas assez d'établissements disponibles pour accueillir les gens qui ont pris la décision de s'instruire et d'apprendre à lire. Prouvez-le moi.

Le président: Quelqu'un d'entre vous pourrait-il répondre? Luce Lapierre.

[Français]

Mme Lapierre: Par rapport à la question de M. Grubel, si on veut une confirmation de ce que nous soutenons, on peut consulter les données de l'enquête internationale qui font état du pourcentage des personnes qui ont des difficultés par rapport aux éléments que nous venons d'énumérer. Il y a là, je pense, une indication importante.

De plus, nous vous avons cité tout à l'heure des exemples que vous considérez, d'après les commentaires que vous avez faits, comme des cas individuels, donc isolés. Nous ne pouvons donc pas nous en servir pour vous convaincre ou vous les citer comme preuves.

Il n'en demeure pas moins que dans nos réseaux, en particulier les réseaux francophones, les personnes qui témoignent de leur expérience de vie n'ont pas eu ces chances, soit pour des raisons de santé, soit pour les raisons que nous avons mentionnées tout à l'heure, soit pour toute autre raison qui les excluait du processus d'apprentissage. Entre autres, dans le cas des francophones, il n'existait pas de services, ni en français ni en anglais, qui leur permettaient d'acquérir des habiletés en lecture et en écriture et d'apprendre à utiliser ce matériel.

Ce sont là des indices sûrs par rapport à la question que vous posez.

[Traduction]

M. Grubel: Ils viennent vers vous et vous êtes là.

[Français]

Mme Lapierre: Oui.

[Traduction]

M. Grubel: Combien de gens ne reçoivent pas vos services à l'heure actuelle?

[Français]

Mme Lapierre: Actuellement, dans le réseau francophone, nous répondons aux besoins de 40 000 personnes. Il y a environ cinq ans, nous répondions aux besoins de 45 000 personnes parce qu'à ce moment-là, on offrait plus de services.

Dans la totalité des groupes qui donnent des services d'alphabétisation, il y a des listes d'attente parce qu'on n'a pas suffisamment de ressources. On n'a pas les ressources même en termes de bénévoles parce que les bénévoles sont débordés.

L'apprentissage de la lecture et de l'écriture est offert actuellement dans certaines provinces à raison de deux heures semaine parce que les bénévoles sont surchargés de travail. Quand on dispose d'une bénévole pour 30 étudiants, c'est du temps plein qui est demandé à la bénévole. Je pense, par exemple, au Manitoba où, en ce moment, les francophones fonctionnent ainsi. Dans un contexte comme celui-là, l'adulte dispose de deux heures par semaine pour s'asseoir et vraiment faire son apprentissage. On sait qu'apprendre à lire et à écrire réclame bien davantage.

C'est de ce point de vue que nous faisons valoir qu'il faudrait des ressources supplémentaires. Nous aimerions que le gouvernement appuie les efforts qui sont faits. Pour nous, cela revêt une importance capitale pour l'économie, ce dont on vous parle surtout ici, mais aussi pour les personnes dont je parle et pour qui c'est sur d'autres plans que se passe le...

[Traduction]

M. Grubel: Merci. C'est ce genre de renseignements que je cherchais.

Le président: Monsieur Pillitteri, s'il vous plaît.

M. Pillitteri (Niagara Falls): Merci, monsieur le président, et je remercie les témoins pour les exposés qu'ils ont faits.

Il ne m'est pas arrivé tellement souvent d'écouter M. Grubel, mais j'ai découvert, à l'entendre parler, que nous avions quelque chose en commun. C'est l'idée que l'on s'instruit quand on a la volonté de s'instruire. M. Grubel et moi, peut-être parce que nous venons de pays étrangers, avions quelque chose à nous prouver et nous aspirions donc certainement à nous instruire.

.1700

Personnellement, j'ai continué de lire et d'essayer de m'instruire par moi-même jusqu'à ce que je me marie. Mon épouse n'était pas trop d'accord là-dessus par la suite. Par exemple, je m'endormais toujours en lisant un livre, mais après notre mariage, j'ai dû changer mes habitudes.

Laissez-moi vous dire que depuis que je viens au Parlement, j'ai plus de liberté pour lire que dans le passé.

M. Grubel a parlé d'une autre chose que nous avons en commun. Ses parents n'avaient reçu qu'une instruction de niveau primaire en Europe, et je peux dire la même chose des miens. Mon père et ma mère n'avaient qu'une troisième année et ont eu cinq ou six enfants qui ont fréquenté l'université ici au Canada. Je crois que quand on recherche l'instruction, on la trouve.

Depuis la fin des années 50 et le début des années 60, les occasions de s'instruire sont beaucoup plus nombreuses qu'avant et les possibilités d'apprendre se multiplient grâce aux cours du soir. Je suis d'ailleurs passé aussi par ce processus-là.

Aujourd'hui nous avons atteint un point où l'intégration est bien plus avancée, tant celle des immigrants que celle des Canadiens et des Canadiennes d'ici qui essaient d'entrer dans le système scolaire pour s'instruire.

Le taux de décrochage du secondaire n'a pas cessé de baisser, car il est passé de 50 à 30 p. 100. Je crains toutefois autre chose. C'est une bonne discussion que nous avons eue jusqu'ici, et nous n'avons probablement pas fini d'en ressasser les éléments, mais laissez-moi vous poser une question. D'un point de vue constructif, compte tenu de la façon dont l'économie évolue de nos jours, nous savons que les emplois auxquels nous étions habitués il y a 20 ou 30 ans n'existeront plus à l'avenir. Alors comment allons-nous rejoindre les jeunes décrocheurs? Pouvons-nous y arriver en leur consacrant plus d'argent ou devons-nous vraiment travailler en collaboration avec l'industrie pour faire un meilleur usage de nos fonds?

M. Bloom: J'aimerais répondre à cela. En passant, le taux de décrochage est d'environ18 p. 100 - 30 p. 100 a longtemps été cité, mais ce chiffre est inexact. Certaines personnes disent qu'il est passé à 15 p. 100 maintenant. Mais votre argument est vrai: le décrochage a diminué de façon constante et le taux de participation à l'instruction de niveau secondaire a subtilement augmenté.

Je trouve intéressant le point que vous soulevez concernant la façon dont nous pourrions travailler avec les employeurs. Compte tenu de l'intérêt des intervenants en alphabétisation qui s'occupent du secteur des adultes et des gens qui sont déjà sur le marché du travail, ce point est particulièrement opportun. Un certain nombre de membres de mon organisme appartiennent à de grandes ou à de moyennes entreprises dont beaucoup ont intérêt à ce que leurs employés soient alphabétisés.

Les enquêtes menées auprès des employeurs montrent qu'au Canada, aux États-Unis et dans d'autres pays, nombreuses sont les grandes entreprises qui considèrent que les difficultés de lecture constituent un problème pour la main-d'oeuvre de leur pays. Il est toutefois curieux de voir les chiffres diminuer lorsqu'on leur demande dans quelle mesure les difficultés de lecture posent un problème dans leur propre entreprise. Nous ne savons pas trop quoi faire de ces données. Il est vrai, malgré tout, que la majorité des employeurs reconnaissent que leur main-d'oeuvre éprouve des difficultés de lecture. Certains d'entre eux ont d'ailleurs entrepris des programmes visant l'amélioration des capacités de lecture en milieu de travail.

Parlant de ce que nous pourrions faire pour favoriser l'augmentation de la demande, je pense qu'il faudrait promouvoir cet aspect auprès des employeurs qui disposent de certaines ressources afin qu'ils puissent contribuer. Une des étapes du processus serait de leur prouver qu'ils en bénéficieraient. Je suppose que c'est l'intérêt personnel éclairé qui est en cause ici, mais nous devons explorer cette dimension pour montrer qu'il existe une corrélation entre les capacités de lecture et la productivité des employés, d'une part, et le profit des employeurs, d'autre part.

Certains d'entre eux le reconnaissent d'ailleurs déjà. Syncrude en Alberta, quelques banques et plusieurs autres sociétés ont recours à des programmes d'alphabétisation. Il existe donc un certain engagement, mais le nombre d'entreprises qui participent au mouvement pourrait certes augmenter de façon importante et les genres de programmes qu'ils mettent à la disposition de leurs employés pourraient s'accroître.

.1705

Je crois que les possibilités sont là. La clé, c'est de rendre les avantages évidents. De la même façon, les employés ont généralement, en ce moment même, le sentiment qu'ils devraient améliorer leurs capacités de lecture. Mais il faudrait leur dire plus explicitement comment s'y prendre.

Je pourrais peut-être mentionner comme dernier point qu'une partie du processus consiste à faire comprendre aux gens la façon dont le milieu du travail évolue. Les gens ont leur propre expérience de travail et plus ils changeront d'emplois, plus la notion de compétences génériques et de capacités de lecture les intéressera.

Mais il y a un écart entre ce que les gens savent et ce qui se passe réellement hors de leur milieu. Leur faire acquérir les compétences nécessaires prend du temps. Je crois donc que nous devons nous assurer le concours des employeurs. L'alphabétisme est un enjeu auquel ils peuvent contribuer et dont ils profiteront. Une partie de la solution consiste à les informer, à leur signaler que l'alphabétisme importe à d'autres employeurs. Nous devons leur donner les renseignements dont ils ont besoin pour comprendre ce qu'ils peuvent en retirer.

Le président: Merci, M. Bloom.

Passons à M. O'Leary. Je vous demanderais d'être bref.

M. O'Leary: Je n'ai que deux observations à faire. Si j'avais de la difficulté à lire, la dernière personne à qui j'en parlerais, c'est à mon patron.

Nous n'avons pas beaucoup de temps, mais pour le bénéfice de M. Grubel et des autres qui veulent parler de la question de la demande, je dois expliquer que l'analphabétisme s'accompagne d'un sentiment de honte et d'embarras. J'enseigne dans ce domaine depuis 25 ans et je n'ai jamais entendu personne me dire: «M. O'Leary, je suis illettré.»

Les Canadiens peuvent être fiers de ce qui se fait dans certains milieux de travail pour éveiller l'intérêt des employés à l'acquisition de connaissances et à l'apprentissage. Tout près de la Colline du Parlement, juste un peu plus loin sur la rue, il y a un hôtel dont la direction a fait un travail formidable au fil des ans pour que tous les employés se sentent à l'aise et appréciés dans leur milieu de travail. On peut donc faire du bon boulot dans ce domaine.

C'est la même chose en ce qui concerne le deuxième point de votre commentaire à propos des jeunes. Comment donnerons-nous à nos enfants et à nos adolescents le goût d'acquérir des connaissances, d'apprendre et de s'alphabétiser? Je crois que nous le ferons en misant sur ce que nous savons.

Je suis fier - et je pense que tous les Canadiens peuvent l'être aussi - de ce que nous avons accompli au Canada sur le plan de l'éducation pour tous. Notre expertise est remarquable dans ce domaine. Notre pays pourrait être aussi réputé en matière d'acquisition de connaissances et d'apprentissage que la Suisse l'est, par exemple, dans le domaine bancaire, comme je l'ai lu récemment dans un document.

À mon avis, nous devons chercher et découvrir des moyens de susciter l'intérêt des jeunes pour l'acquisition de connaissances et l'apprentissage. Nous avons de merveilleux exemples qui prouvent que c'est possible. Je serais heureux, tout comme les autres qui sont ici, de vous donner des détails là-dessus.

Mme Chamberlain: Puis-je ajouter quelque chose à ce qu'a dit M. O'Leary?

M. Grubel, lorsque je travaillais dans ce domaine, un pompier est venu me voir un jour. On lui avait offert le poste de chef, mais il avait dû refuser la promotion parce qu'il ne savait pas lire. Après avoir refusé le poste, il est venu nous demander de l'aide parce qu'il ne savait pas à qui d'autre il aurait pu s'adresser.

Enfin, votre modèle de tutorat individuel est maintenant utilisé dans un grand nombre d'écoles secondaires un peu partout au Canada, particulièrement dans le comté de Wellington. Ce programme de tutorat par les pairs s'est avéré extraordinaire pour les jeunes de neuvième et de dixième année qui ne pouvaient vraiment pas lire. Les résultats ont été tout à fait étonnants. Alors c'est vous, de fait, qui avez été les pilotes de première ligne de ce type d'enseignement. Vous avez fait un merveilleux travail.

Le président: Merci, madame Chamberlain. La parole est maintenant à Mme Brushett, qui sera suivie de M. Bélisle, puis de M. Grubel.

Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Merci, monsieur le président. Je serai brève.

Je voudrais dire un mot sur le nombre de sociétés ou plutôt donner des exemples de sociétés qui font leur part comme employeur pour relever le degré d'alphabétisme.

Je sais que, dans ma propre province, le ministère du DRH travaille dans maintes petites entreprises dont les propriétaires s'aperçoivent tout de suite si un employé ne décode pas assez vite. On donne du temps de chaque côté: l'employeur en donne une moitié et l'employé donne l'autre moitié. Ils consacrent chaque jour deux heures à relever le degré d'alphabétisme. Des centres d'auto- apprentissage informatisés ont été mis sur pied dans le même but.

Le taux de décrochage est aussi une question qui me préoccupe énormément. S'il y avait beaucoup d'emplois, on pourrait comprendre. Mais les emplois sont rares et les élèves décrochent quand même. Les résultats d'un sondage qui a été effectué dans le grand Montréal auprès de toutes les écoles publiques et privées indiquent que le décrochage atteignait 45 p. 100 au printemps dernier. C'est épouvantable. Au moment où nous entrons dans le vingt et unième siècle, que faisons-nous à cet égard sur le plan de l'alphabétisation?

Des gens viennent me voir en disant que les jeunes ont l'occasion de continuer leurs études, car nous offrons d'excellentes écoles. Pourquoi devrions-nous faire demi-tour alors et les instruire plus tard dans leur vie en leur offrant tous ces extras? Des gens sont venus me dire cela. Je ne peux expliquer pourquoi nous ne semblons pas pouvoir nous pencher sur ce problème en tant qu'enseignants qui travaillons à relever le degré d'alphabétisme.

.1710

[Français]

Le président: Madame Lapierre.

Mme Lapierre: Je pourrais parler d'une chose que notre réseau des apprenants et apprenantes francophones a décidé de mettre de l'avant. C'est un projet qui s'appuie sur une relation très personnalisée, soit la relation entre l'étudiant et l'adulte qui a décidé de retourner à l'école.

C'est un projet qu'on appelle «Imagine-toi dans dix ans». Ce projet a été lancé par un apprenant du nord de l'Ontario qui est allé rencontrer des jeunes des écoles secondaires et leur a parlé de son expérience à lui, de ce par quoi il était passé en tant qu'analphabète ayant eu à retourner à l'école à l'âge adulte.

Cette initiative a eu un impact énorme dans les écoles où il est allé. Les étudiants ont écrit des lettres - nous en avons à peu près 1 000 au bureau - pour nous dire qu'ils étaient tellement surpris qu'on leur ait parlé de cela, que le père de certains avait le même problème et qu'ils voulaient lui en parler, qu'eux-mêmes avaient des difficultés mais n'avaient pas cru qu'ils pouvaient devenir analphabètes et ne pas pouvoir se débrouiller dans la vie s'ils ne prenaient pas leurs études plus à coeur, etc.

Ce projet a été très ponctuel. Il a été réalisé par un bénévole, au départ. Nous essayons de l'étendre à toutes les provinces canadiennes. C'est intéressant, parce que cela vient toucher le jeune dans le milieu où il peut ressentir un tel besoin. Dans le processus du décrochage scolaire, les études nous apprennent que les jeunes décrochent parce que c'est comme un mode de fonctionnement par rapport à une activité quelconque; il va décrocher d'activités sportives, il va décrocher... C'est comme une réaction qu'il a vis-à-vis d'un engagement.

Pour briser le cycle de cette réaction, il faut arriver à le toucher personnellement. Par notre projet, nous essayons de modifier ses attitudes et de l'amener à reconnaître que l'école est peut-être plus importante que toute autre chose.

C'est peut-être une goutte d'eau dans l'océan par rapport au phénomène du décrochage, mais je pense que c'est un type important d'initiative. Naturellement, ce sont des apprenants, des personnes qui ont décidé d'apprendre à lire et à écrire à l'âge adulte qui font ce travail.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup madame Brushett. À vous monsieur Bélisle.

[Français]

M. Bélisle: On parle cet après-midi du degré d'alphabétisation. Je pense qu'on peut affirmer que de génération en génération ou d'une décennie à l'autre, il y a de plus en plus de gens qui sont alphabétisés. Moi, j'ai l'impression qu'ici, au Canada, et même en Amérique du Nord de façon générale, il faut relier cette évolution à tout l'environnement culturel nord-américain.

On sait que nous descendons de pionniers qui ont vécu il y a quelques générations seulement, de gens qui sont venus ici pour bâtir le pays. M. Grubel parlait plus tôt de l'expérience de sa famille originaire d'Allemagne. J'ai toujours été frappé, lorsqu'on interviewait des parlementaires de France, d'Angleterre ou d'Allemagne à la télévision de Radio-Canada, de constater le degré de bilinguisme de ces gens. Souvent, on interview des parlementaires britanniques à Londres et, que ce soit à CBC ou à Radio-Canada, ils sont bilingues ou assez intellectuels. C'est la même chose en France.

Quand nos ancêtres sont venus ici, ce qui importait pour eux, c'était de bâtir le pays. Si les gens s'étaient consacrés à la lecture il y a 200 ou 300 ans, je pense que dans bien des cas, ils seraient morts de faim.

Cela dit, j'ai l'impression que la vie intellectuelle n'a jamais été valorisée ici, dès le départ, autant qu'elle l'a été dans les pays européens ou ailleurs.

Pour rester dans le domaine des histoires de famille, quand j'étais jeune, mon père me racontait que le grand-père avait fait instruire le dernier de la famille parce qu'il n'avait pas de santé, parce qu'il était plus maigre. On en avait fait un notaire, un curé ou un médecin parce que le grand-père avait peur qu'il crève de faim plus tard. Les gens bien bâtis et solides, on en faisait des cultivateurs ou des bûcherons. Je dirais que, dans notre inconscient collectif, cela a laissé des séquelles. Heureusement, les choses sont en train de changer.

J'ai toujours l'impression, que ce soit ici au Québec, au Canada ou aux États-Unis, que la vie intellectuelle n'est pas encore aussi valorisée qu'elle l'a été en Europe ou ailleurs. Voyez l'importance accordée aux sports, au hockey, au football, au baseball à la télévision canadienne ou américaine! Selon moi, tout cela est peut-être relié à toute cette activité ou cette suractivité physique qu'on a dû déployer depuis plusieurs générations. Heureusement, les choses changent actuellement.

Je pense que dans les familles, sous l'influence du milieu et de l'école, on accorde de plus en plus d'importance à la vie intellectuelle. Cependant, dans notre histoire, le fait qu'on devait survivre dans un environnement géographique hostile nous a amenés à valoriser l'activité physique aux dépens de l'activité intellectuelle. J'ai toutefois l'impression que c'est en train de changer, parce que maintenant, on ne parle plus de construire un chemin ou une route entre deux villages, mais de l'autoroute électronique, ce qui est bien différent.

L'autoroute électronique fait davantage appel aux activités intellectuelles que ce que nous avons connu dans le passé.

Le président: Merci, monsieur Bélisle.

Monsieur Grubel.

.1715

[Traduction]

M. Grubel: Monsieur le président. J'espère que le panel d'aujourd'hui n'a pas l'impression que M. Solberg et moi n'apprécions pas le travail qu'il fait ou que nous n'estimons pas nécessaire qu'il ait les ressources qu'il lui faut pour effectuer ce travail. C'est seulement qu'en tant que spécialiste en économie...

Une voix: Spécialiste en scepticisme.

M. Grubel: ... spécialiste en scepticisme, j'essaie de comprendre la logique derrière tout cela et j'essaie de découvrir, en faisant cette distinction entre l'offre et la demande, s'il y a d'autres côtés à considérer, par exemple, peut-être dépensons-nous suffisamment mais avons-nous absolument besoin de mettre en place de meilleures structures d'encouragement pour les enseignants et de meilleures structures d'encouragement pour inciter les étudiants à finir leurs études.

Pour répondre au point que Dianne a soulevé, j'ai des amis qui sont très instruits et dont les enfants ont décroché du secondaire ou l'ont à peine terminé alors qu'on attendait d'eux qu'ils aillent à l'université. La raison en était fort simple. En Colombie- Britannique, les emplois syndiqués à 15 ou 20 $ l'heure étaient accessibles sur demande aux jeunes de 18 ans. Ces emplois n'étaient pas difficiles: il s'agissait de balayer le plancher d'un atelier. Il ne faudrait normalement que de cinq à dix ans à ces jeunes pour devenir des membres à part entière du syndicat et gagner 30 $ l'heure. À 18 ans, ils pouvaient s'acheter leur propre véhicule à quatre roues motrices, se marier, prendre des vacances. Pourquoi seraient-ils allés à l'université?

Les gens prennent le maximum de ce que la vie leur offre en y consacrant le moins d'argent et d'effort possible. C'est dur d'aller à l'université ou de faire des études supérieures. Nous savons tous cela puisque nous l'avons fait. Ces gens agissent donc de façon parfaitement rationnelle. De leur point de vue, il n'y avait pas de problème. C'est seulement maintenant que nous rendons le problème apparent lorsque nous disons: «Eh bien, tu aurais dû prendre des assurances et t'instruire et, si tu l'avais fait, tu gagnerais probablement le même salaire.»

Nous essayons d'établir dans notre esprit les réponses à ce genre de questions. J'espère que vous ne vous méprenez pas en croyant que je mets en doute la valeur de ce que vous faites. Je suis enchanté de savoir que Brenda a participé à tout cela. C'est un travail très important. J'espère que vous pourrez trouver encore plus de bénévoles pour vous aider.

Je vous souhaite la meilleure des chances. J'espère que la situation financière du gouvernement se rétablira un jour et que je n'aurai plus à jouer le rôle du spécialiste en scepticisme.

M. Mader: L'investissement nécessaire au soutien du genre de mesures d'alphabétisation dont nous parlons est minime. Le budget du Secrétariat national à l'alphabétisation est de 25 millions de dollars, ce qui est certes minime comparativement aux fonds de toutes sortes qui se dépensent. On nous frappe dessus pas mal fort pour bien peu d'argent.

Pour répondre en partie à la question que vous avez posée plus tôt... Vous avez décrit en plein la culture que nous devons changer. Il faut que nous parvenions à intégrer l'apprentissage à la culture pour empêcher le problème de se perpétuer.

Le président: Monsieur St. Denis.

M. St. Denis (Algoma): Merci, monsieur le président.

Merci à tous d'être ici. Comme par le passé, nous apprécions la chance d'être tenus au courant des questions qui touchent l'alphabétisme. Je suis personnellement heureux de faire partie d'un gouvernement qui a un secrétariat pour s'occuper de ces questions, même si les fonds ne sont peut-être jamais suffisants. Nous avons aussi une ministre responsable de l'alphabétisation.

De toute évidence, c'est une question complexe. M. O'Leary a mentionné que bien des gens n'iraient pas voir leur patron en disant: «Je ne sais pas lire.» Mais le fait que les ressources font actuellement l'objet d'une énorme demande dément l'idée que si l'analphabétisme n'était pas aussi stigmatisé, plus de gens admettraient qu'ils ne savent pas lire. Grâce à votre travail, non seulement aidez-vous les clients qui ont besoin d'apprendre à lire, mais vous rendez aussi plus acceptable leur admission qu'ils ne savent pas lire.

J'ai une image mentale lorsque je pense à l'alphabétisme et je vais vous demander ce que vous en pensez. J'imagine un marathon. Environ cinq minutes après le départ de toute course de fond, on voit le premier groupe de coureurs qui mènent le peloton, puis on voit un deuxième groupe se dégager et enfin un troisième groupe. Les coureurs ont tendance à rester en groupes. Dans ma tête, le quatrième et le cinquième niveau, les niveaux les plus élevés d'alphabétisme, forment le groupe de tête. Puis il y a le troisième niveau au milieu. Enfin, le premier et le deuxième niveaux traînent derrière.

.1720

Laissons de côté le groupe du milieu un instant, ce groupe qui peut rattraper les meneurs du peloton si on lui donne de bonnes occasions et de bonnes ressources; ce qui m'inquiète vraiment et qui sans doute vous inquiète aussi, ainsi que mes collègues, c'est qu'à mesure que la course progresse, il semblerait que les groupes un et deux prennent de plus en plus de retard. Lorsque je discute avec les électeurs de ma circonscription à l'occasion de petites réunions qui portent sur l'adaptation à la nouvelle économie et au nouveau marché du travail et sur les façons de s'assurer que nos programmes sociaux demeureront stables et viables, je dis que nous ne pouvons laisser les gens derrière dans notre société.

Je me demande si vous pourriez nous faire un portrait, en termes simples et faciles à visualiser, de la façon dont le marathon progresse? L'écart entre les groupes quatre et cinq, les plus alphabétisés, et les groupes un et deux, les moins alphabétisés, s'élargit-il? Ce n'est pas tant le nombre de personnes qui font partie du dernier groupe qui m'intéresse - aussi importante que soit cette question - que l'écart qui semble s'allonger à n'en plus finir. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Et quelqu'un pourrait-il me dire à combien s'établit le nombre de bénévoles qui font que les efforts d'alphabétisation sont si vigoureux dans notre pays?

M. O'Leary: La personne qui défend sans doute le plus efficacement l'alphabétisation au pays, comme vous l'avez vous-même reconnu, est la ministre responsable de cette question, Mme Joyce Fairbairn, que j'ai le plaisir de connaître depuis plus de 12 ans. Je me rappelle lorsque je l'ai rencontrée, il y a environ 12 ans, et qu'elle commençait à faire des discours sur l'enjeu de l'alphabétisation, elle se servait d'une analogie très semblable. Elle disait que notre pays devait focaliser son effort d'alphabétisation sur les gens qui se trouvaient au niveau le plus élémentaire.

La plus grande partie du travail que nous faisons en tant qu'organisme d'alphabétisation est centrée sur les gens qui appartiennent aux niveaux élémentaires un et deux. Les défis que pose l'économie moderne, pour utiliser une expression du ministre des Finances, contribuent sans contredit à faire croître l'écart. Il n'y a aucun doute là-dessus. Comme on l'a fait remarquer au comité, la meilleure chance que puissent avoir ces gens est d'améliorer leurs capacités de lecture de façon à se rattraper.

En ce qui concerne les chiffres, je demanderais à Susan et à Luce de m'aider. Nous estimons rejoindre environ 10 p. 100 des adultes qui ont besoin d'être alphabétisés au pays. Le nombre de bénévoles qui participent à ce programme s'élève actuellement à des dizaines de milliers de personnes quand il en faudrait des douzaines et des centaines de milliers. Mais un solide réseau est en place, et je vous assure que nos efforts sont centrés sur les gens qui se trouvent aux niveaux les plus élémentaires. Tous nos organismes ciblent ces gens pour les intégrer à de petits groupes de soutien et leur offrir un tutorat individuel afin qu'ils puissent se rattraper plus rapidement.

M. Mader: Il y a environ trois ans, notre organisme a déterminé qu'il fallait jouer un rôle préventif ainsi qu'un rôle de fournisseur de services auprès des gens qui appartiennent aux groupes un et deux. Nous avons intensifié nos efforts dans des activités comme l'alphabétisation familiale et d'autres du même genre parce que nous avons conclu qu'avec les ressources que nous pouvions escompter, nous n'arriverions pas à faire le rattrapage.

Faire passer un pour cent des gens du premier au deuxième groupe signifie changer 200 000 personnes. Si vous vouliez faire monter d'un niveau tous ceux qui appartiennent aux groupes un et deux, nous parlerions de millions de personnes.

Le président: À mon avis, les statistiques que vous nous avez présentées aujourd'hui sont scandaleuses. La plupart d'entre nous avions entendu dire que 22 p. 100 des Canadiens sont des analphabètes fonctionnels. Mais je ne m'étais pas rendu compte et j'ai été encore plus secoué d'apprendre que 40 p. 100 des adultes ont de la difficulté à lire nos journaux et à les comprendre, bien qu'on puisse sans doute dire que c'est compréhensible si on considère certains de ces journaux.

.1725

J'ai eu encore plus de difficulté à concevoir que seulement 22 p. 100 des Canadiens, comme vous l'avez dit, font partie des deux catégories d'alphabétisme les plus élevées qui auront à faire face à l'économie de l'avenir.

[Français]

Vous avez parlé des problèmes des francophones dans la province de Québec et hors du Québec et de la nécessité d'une éducation de base dans la langue maternelle.

[Traduction]

Vous nous avez parlé du nombre incroyable de bénévoles que vous avez été capables de mobiliser pour aller enseigner certaines des compétences les plus élémentaires aux apprenants. Vous méritez toutes nos félicitations, chacun d'entre vous et chacun de vos groupes, le groupe du Laubach Literacy, le Frontier College que je connais personnellement par ma famille, la Fédération et le Movement for Canadian Literacy.

M. Bloom, notre comité attendra avec impatience de recevoir votre rapport final au printemps prochain.

En fin de compte, peu importe comment nous avons pu en arriver à cette situation déplorable en matière d'alphabétisme, peu importe les raisons qui font que nous en soyons là, il est évident que nous devons faire quelque chose pour y remédier. Nous devons nous attaquer au problème. Même si nous devions doubler vos ressources, vous n'atteindriez que 20 p. 100 des adultes qui se débrouillent à peine. Et nous ne parlons même pas de nous occuper des enfants et de changer toute cette culture.

Je trouve que vous faites un travail remarquable avec le peu de ressources que nous avons mises à votre disposition. Je veux féliciter publiquement la sénatrice Joyce Fairbairn pour le leadership officiel qu'elle a donné à cette cause pendant si longtemps et je veux remercier chacun d'entre vous de faire autant pour tant de gens avec le peu que nous vous donnons. Nous avons besoin de votre aide. Notre avenir économique en dépend. Merci beaucoup.

La séance est levée.

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