STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS

COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 27 avril 1998

• 1532

[Traduction]

Le président (M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.)): Je souhaite la bienvenue à tous, et particulièrement aux membres du Comité des affaires étrangères qui se joignent à nous. Bienvenue aux témoins et au ministre, M. Eggleton.

Je voudrais signaler que le témoignage que nous allons entendre sera plus long que d'habitude, car il durera de 50 à 55 minutes. Ce n'est qu'après que nous passerons à une brève période de questions.

Sans plus tard je cède la parole au colonel Calvin.

Le colonel Jim Calvin (ministère de la Défense nationale): Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs, je suis le colonel Jim Calvin, colonel d'infanterie depuis déjà 29 ans au sein des Forces armées canadiennes. En 1993, j'ai eu le plaisir de commander le deuxième bataillon de la Princess Patricia's Canadian Light Infantry, qui a été déployé en Yougoslavie dans le cadre de l'Opération harmonie en Croatie.

Je suis ici pour vous raconter une histoire remarquable, du genre de celles que l'on entend rarement au Canada. J'estime que c'est une histoire de bravoure et de détermination et qu'elle illustre la grande valeur des jeunes Canadiens et Canadiennes qui m'accompagnaient en 1993 dans l'ex-Yougoslavie. C'est l'histoire de l'opération de la poche de Medak, opération d'imposition de la paix que nous avons menée pendant 14 jours.

Avant de vous raconter les détails de l'opération, j'aimerais pendant quelques instants vous présenter les membres de l'équipe que j'ai réunie aujourd'hui et qui vous donneront une perspective beaucoup plus vaste de l'opération. Après tout, ce sont les soldats qui m'accompagnent aujourd'hui qui étaient les rouages de l'opération.

Voici l'élève-officier Scott Leblanc. En 1993, Scott, qui était un réserviste d'artillerie de la Nouvelle-Écosse, est venu se joindre au bataillon partant de Winnipeg outre-mer. À l'époque, il était mitrailleur C-9. Il s'est retrouvé en plein coeur de l'action et des batailles dont vous entendrez parler, échangeant des coups de feu à des portées de 150 à 200 mètres avec une des factions belligérantes. Pour l'instant, comme vous le voyez, il en est à sa seconde année comme cadet au Collège militaire royal, puisqu'il a choisi de se joindre à nous à temps plein et de devenir soldat de plein droit.

• 1535

Voici maintenant l'adjudant-maître Jim Butters, sous-officier des forces armées au deuxième bataillon, le Princess Patricia's. À l'époque de Medak, il était un sous-officier chargé de mon peloton antiblindé de quelque 25 personnes, le seul peloton de toute l'opération possédant les armes capables de détruire les chars. Il est inusité de demander à un sous-officier, au lieu d'un officier, de commander un peloton, mais l'adjudant-maître Jim Butters l'a fait pendant toute la durée de l'opération.

Elise Huffman est ici à titre de coprésidente du groupe d'aide aux familles que nous avons créé, avant le déploiement, pour les conjointes des soldats qui allaient être déployés. Ce groupe s'occupe d'activités chez nous à Winnipeg et aide les familles à assumer le stress et à surmonter les problèmes qui surviennent lorsque les maris sont déployés en cours d'opération.

En 1993, l'adjudant-chef Mike McCarthy était le sergent-major de régiment pour mon bataillon, et il était le sous-officier qui avait le plus d'expérience, avec ses 32 années d'ancienneté. Il se trouvait être mon bras droit pour toutes les questions de discipline et de tactique de bas niveau au sein du bataillon, et il m'a accompagné pendant toute la durée de l'opération.

Le capitaine Tyrone Green, qui était lieutenant à l'époque, était un réserviste des Seaforth Highlanders de Vancouver. Tyrone était l'un des sept commandants réservistes de peloton qui se sont joints à moi en vue de l'opération. Il a choisi lui aussi de devenir membre à plein titre des forces armées, et il est maintenant capitaine dans le deuxième bataillon. Il a participé aux échanges de feu dont vous entendrez parler et à bon nombre de bombardements.

Le sergent Chris Byrne était un sous-officier qui commandait une section au cours de l'opération. Il a participé à la plus grande partie de l'opération et voudra sans doute vous parler aujourd'hui de son expérience lors du nettoyage qui a suivi l'épuration ethnique dont nous avons été témoins; vous aurez là un témoin de première main de ce qui s'est passé.

Sans plus attendre, passons à l'opération. L'opération de Medak consistait en une opération de 14 jours d'imposition de la paix qui avait été décrétée dans le contexte d'une opération traditionnelle et plus vaste de maintien de la paix. Autrement dit, nous nous sommes déployés pour répondre à un objectif, puis après un très court préavis, on nous a demandé de nous transformer en une opération d'imposition de la paix, et d'utiliser presque tout l'arsenal que nous avions avec nous pour imposer la volonté des Nations Unies à l'une des factions belligérantes qui ne voulait pas souscrire au mandat convenu.

Quand je raconte ce qui s'est passé, j'aime bien rappeler une évidence qui semble néanmoins être souvent passée sous silence: lors de toutes ces opérations, quelles qu'elles soient, nous avons toujours affaire à des humains. Parfois, ici même au Canada, on semble attendre de nos gens beaucoup plus que ce à quoi on devrait s'attendre dans le cas d'individus. Nous parlons toujours d'êtres humains, et ceux qui m'entourent sont des êtres humains, tout comme les 875 autres soldats qui m'accompagnaient là-bas. Il faut donc comprendre que ce qu'ils ont fait est tout à fait remarquable, comme vous en conviendrez sans doute lorsque vous m'aurez entendu.

J'imagine que je n'ai pas à m'appesantir là-dessus, puisque je suis sûr que les membres du Comité des affaires étrangères ont compris que les opérations de maintien de la paix ont évolué considérablement depuis les années 70 et 80, époque à laquelle nous jouions généralement un rôle lorsqu'il y avait eu un accord de paix entre les belligérants. Lorsque ceux-ci avaient accepté le cessez-le-feu, nous étions là pour nous interposer entre les factions qui ne se tiraient pas mutuellement les unes sur les autres. Or, les opérations de maintien de la paix ont évolué au point de devenir quasiment des opérations de guerre. Autrement dit, nous sommes obligés aujourd'hui d'utiliser des tactiques de guerre lorsque nous nous déployons, et ce que je vais vous raconter vous le confirmera.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, vous devez d'abord comprendre à quel type d'unité vous avez affaire. À l'automne 1992, lorsque l'on nous a avertis pour la première fois de l'imminence de l'opération en Yougoslavie, le deuxième bataillon était grandement en manque de personnel militaire. Nous venions tout juste de finir de déployer certains de nos propres soldats auprès du contingent qui partait avant nous, lorsque l'on nous a fait savoir que nous allions être les suivants.

Nous avions à peine comme noyau deux bataillons réguliers du Princess Patricia's, soit 325 soldats à peine, représentant 37 p. 100 du bataillon total. On nous avait renforcés avec d'autres soldats de la force régulière, comme des cuisiniers, des spécialistes de la maintenance et des adjoints médicaux, qui formaient un autre 19 p. 100. Il nous restait donc à combler le reste, soit 44 p. 100 de notre contingent, avec des réservistes que nous devions entraîner en deux mois et demi. Or, au cours d'une année normale, le réserviste suit 44 jours d'entraînement sur 365, ce qui le place très loin derrière le soldat de la force régulière. Voilà la tâche qui nous avait été confiée avant notre départ.

• 1540

Pour comprendre ce que cela signifie pour une unité de 875 soldats, et pour que vous compreniez bien le contexte dans lequel s'est déroulée l'opération de Medak, sachez que les réservistes ne sont pas formés comme techniciens de véhicule, ni comme tireurs de missiles TOW, ni comme mitrailleurs antiblindés, ni normalement non plus comme des transmetteurs; ce sont des carabiniers. En effet, le gros des réservistes que vous obtenez sont acheminés vers votre compagnie de carabiniers et se retrouvent sur les premières lignes comme carabiniers.

Pour bien comprendre ce que faisaient ces soldats sur les lignes de front, il faut savoir qu'ils formaient souvent les sections et les pelotons. Dans une section de dix soldats, vous trouviez souvent un seul commandant de section de la force régulière, et jusqu'à neuf réservistes se trouvant sous ses ordres pour l'aider à accomplir sa mission. Cela imposait donc un fardeau extraordinaire sur les épaules des sous-officiers qui relevaient de moi, et leurs exploits illustrent encore plus leur compétence et leur professionnalisme.

En outre, sept des douze commandants de peloton—le peloton étant une unité de trente soldats commandés par un officier, le seul de l'unité—étaient des réservistes que j'avais entraînés avant le déploiement. Il s'agissait là d'une situation particulièrement extraordinaire. Le pourcentage de réservistes au sein des contingents n'a jamais été aussi élevé qu'à ce moment-là, et je ne crois pas qu'ils atteindront à nouveau jamais ce niveau.

Avec la diapositive suivante, je veux tout simplement montrer le théâtre de l'opération, de sorte que vous puissiez vous situer géographiquement. Lorsqu'il a été déployé à l'origine, le deuxième bataillon s'est rendu en Croatie, et non pas en Bosnie. Nous nous sommes déployés au début dans une région appelée le secteur ouest. Le secteur ouest était une aire de maintien de la paix stable où les deux côtés avaient conclu un accord qu'ils respectaient de façon générale. Cependant, au milieu de notre affectation, étant donné que nous étions la réserve du commandant de la force, ce dernier nous a ordonné de déployer la moitié de notre bataillon à 550 kilomètres dans le secteur sud de la région de Peruca Dam, loin vers le sud, près de l'Adriatique.

Le secteur sud était beaucoup plus stressant et volatile. C'était la guerre ouverte. Il y avait des tirs de mortier tous les jours, et on entendait constamment des coups de feu. Des chars d'assaut tiraient aussi tous les jours. Pendant cinq semaines, notre bataillon a été divisé en deux, la moitié dans le secteur ouest et la moitié dans le secteur sud.

Au bout de cette période, le commandant de la force, le général Cot, a décidé d'effectuer un réalignement total des bataillons avec sa force en Croatie. Les Canadiens resteraient de façon permanente dans le secteur sud et ne retourneraient pas dans le secteur ouest. Nous serions appelés à déménager plus près de la ligne de front dans la région du pont de Maslenica, de l'aéroport de Zemunik et des environs de Medak. La moitié du bataillon I avait commencé à Peruca Dam ce redéploiement sur 100 kilomètres jusqu'à Medak et Maslenica, et le reste du bataillon que j'avais laissé derrière dans le secteur ouest a amorcé son déploiement sur 550 kilomètres jusqu'au secteur sud.

Si je précise cela, c'est que la veille du début de l'opération de Medak, j'ai accueilli la dernière compagnie de 125 hommes de mon bataillon qui s'était déployée du secteur ouest au secteur sud. Nous n'étions pas installés à cette position. Nous étions en train de nous familiariser avec la région lorsque nous sommes arrivés et que nous avons lancé l'opération.

Le tableau suivant illustre le terrain où a eu lieu l'opération de Medak.

Le sud de la région est bordé par les monts Velebit, une chaîne de montagnes rocheuses très élevées impraticables pour les véhicules, mais accessibles aux soldats à pied. Au nord, il y avait une série de petites collines. Entre les deux, vous pouvez voir des terres arables irriguées, habitées par des cultivateurs. Il s'y trouvait une population rurale qui essayait de vivre normalement. Du côté ouest, il y avait les forces croates, avec leur quartier général à Gospic, et du côté est, les forces serbes, dont le quartier général était à Medak.

À titre de contingent des Nations Unies, nous occupions la région contrôlée par les Serbes à ce moment-là. Nous n'avions pas de forces à l'ouest, dans la région occupée par les forces croates. Lorsque nous avons avancé, nous avons avancé en partant de l'arrière des lignes serbes.

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Voici une photo des monts Velebit, qui vous donnera une idée du terrain sur notre flanc sud.

Cette diapositive vous montre le terrain où a eu lieu l'opération. J'ai piraté cette diapositive qui représente une autre région. Ce n'est pas le terrain exact, mais cela vous donne une idée des terres arables coincées entre les chaînes de montagnes où l'opération a eu lieu.

L'opération de Medak a véritablement commencé le 9 septembre avec un barrage d'artillerie. C'était d'ailleurs la méthode typique utilisée par les deux côtés au début d'une opération. En l'occurrence, c'est l'armée croate qui a lancé l'attaque contre les forces serbes. C'est l'armée croate qui a amorcé cette attaque d'envergure dans la région.

Le barrage d'artillerie englobait toute la longueur et la largeur de notre secteur, quelque 60 kilomètres du nord au sud et 40 kilomètres d'est en ouest, mais la majorité des tirs d'artillerie avaient pour cible l'endroit où l'attaque avait commencé, c'est-à-dire la ville de Medak.

On dit que jusqu'à 525 projectiles sont tombés sur la ville de Medak en 24 heures. Si nous le savons, c'est que les soldats qui étaient cachés dans une maison ont commencé à prendre en note le nombre de coups de pièces d'artillerie dans un petit cahier d'écolier qu'ils avaient, environ une heure après le début de l'attaque. Ils voulaient ainsi consigner le déroulement de l'opération.

Imaginez-vous Tyrone Green et 25 soldats coincés dans cette maison où ils avaient emménagé deux jours auparavant. La maison n'avait pas été renforcée de sacs de sable. On s'était borné à l'entourer de fils de fer barbelés en vue d'établir une position de défense initiale, et c'est alors que les tirs d'artillerie ont commencé.

Medak n'est pas une grande ville, mesdames et messieurs. Tout le village de Medak pourrait tenir dans une superficie plus petite que celle où sont érigés aujourd'hui les édifices du Parlement. Par conséquent, lorsque 500 projectiles tombent à raison de trois ou quatre à intervalles de cinq minutes pendant 24 heures, cela mine la capacité de qui que ce soit de supporter le stress.

Au cours de cette période de 24 heures, nous avons fait des pieds et des mains pour résoudre le problème. Il y avait une attaque en cours menée par les Croates dans la région de Medak, et les Nations Unies réclamaient de l'information.

Au cours de cette période de 24 heures, nous avons essayé d'installer un poste d'observation. Le sergent Ruurds Bajema, l'un des commandants de section du lieutenant Green, a bravé les tirs de mortier et installé un poste d'observation sur l'une des collines. L'objectif était de surveiller le terrain avec des jumelles de longue portée et d'essayer de voir quels villages étaient tombés et quels villages continuaient de faire l'objet d'un âpre combat entre les deux parties. Finalement, ce sont ses rapports radio transmis par la chaîne de commandement qui ont permis aux Nations Unies de savoir qui, des Serbes ou des Croates, gagnaient la bataille de Medak à ce stade de la partie.

Parallèlement, il y avait de nombreuses victimes dans la ville de Medak, compte tenu de l'intensité des tirs de mortier. À un moment donné, une femme est entrée dans la maison où le lieutenant Green avait établi son poste de commandement. Elle saignait en raison d'une blessure à la tête. Elle a dit que sa maison venait d'être frappée par un tir de mortier. L'adjudant Trenholm a sauté dans un transport de troupes blindé, tandis que le sergent-major régimentaire donnait à la femme les premiers soins dans la maison. L'adjudant Trenholm s'est rendu chez elle pour aller y chercher ses enfants et les emmener dans un abri serbe où ils seraient en sécurité.

Ce fut une période difficile pour nous. Il y a eu quatre blessés parmi les Canadiens au cours des 24 premières heures en raison des tirs d'artillerie. Deux hommes du peloton du lieutenant Green ont été atteints par des éclats d'obus. Deux autres, qui étaient à quelque 15 kilomètres derrière les lignes en route à bord d'un camion d'approvisionnement, se sont retrouvés sous un tir de barrage au mauvais moment. Ils ont essuyé un tir d'obus, et l'avant de leur camion a été mis en pièces, et ils ont été atteints par des éclats. Aucun d'entre eux n'a subi de blessures mortelles, mais il n'en reste pas moins que nous avons eu quatre blessés avant de pouvoir faire quoi que ce soit pour remédier à la situation.

Voilà qui m'amène à parler de la nécessité d'avoir des installations convenables. Nous avons eu beaucoup de chance que le bataillon français, duquel nous venions de reprendre la région, avait laissé ses installations chirurgicales dans la région où était le quartier général du bataillon. Le Canada n'avait pas déployé d'hôpital de campagne avec ses troupes pour cette opération en particulier, mais étant donné que cette installation était là, sur le théâtre de notre opération, nous avons pu y emmener nos quatre blessés immédiatement, et ils ont pu être opérés dans des délais raisonnables.

• 1550

Je ne saurais trop insister sur la nécessité d'avoir un accès immédiat à des installations chirurgicales lorsque l'on risque la vie de soldats. Cela est essentiel pour permettre aux blessés de survivre et contribue au bon moral du reste des troupes.

Au moment même de ce barrage d'artillerie, les Croates ont commencé leur attaque. Si vous regardez la diapositive qui est projetée sur l'écran, vous pouvez voir une ligne rouge qui s'étend depuis la partie supérieure de l'écran jusque tout en bas, en traversant une sorte de grande poche. C'est la poche de Medak. Les Serbes contrôlaient Medak et également toute la zone inférieure, et les Croates contrôlaient les alentours de Gospic.

Les Croates voulaient se rendre maîtres de la poche, qui représente environ 25 ou 30 kilomètres carrés. Ils ont donc formé une pince en envoyant les chars et l'infanterie par le nord et leurs troupes spéciales par le sud depuis les monts Velebit, que je vous ai déjà montrés. En l'espace de 36 à 48 heures, les Croates et les Serves se livraient bataille pour se rendre maîtres de la poche.

Voici ici un exemple du matériel qu'ils utilisaient. Les Croates ont attaqué en utilisant des chars T-72.

Après les 24 premières heures d'hostilités, les Serbes ont renforcé leur position. Ils étaient alors très clairsemés, avec une réserve centralisée, mais après 24 heures nous avons vu passer devant notre QG des autocars chargés de soldats serbes ainsi que des chars, des pièces d'artillerie et des transports de troupes blindés. Les Serbes ont donc renforcé leur position et, après 48 heures environ, ils ont réussi à stabiliser un nouveau front les séparant des Croates.

Ils ont renforcé cette ligne de front au moyen de chars. Voici une photographie d'un train que les Serbes ont utilisé pour faire venir une douzaine de chars afin de renforcer leur première ligne. Ce que vous voyez est un peu difficile à distinguer, mais il s'agit d'un char amputé de son châssis qui était monté de façon permanente sur la locomotive de tête afin de protéger le train, et vous voyez également au-dessus des missiles antichars. Les locomotives sont suivies d'une douzaine de wagons-plates-formes transportant des chars, et ce convoi est arrivé entre un jour et un jour et demi après le début de la bataille. Les chars ont été déchargés et ont pris position sur la ligne de front pour la stabiliser.

Voici d'autres exemples du genre de matériel que les Serbes ont fait monter au front.

Voici la configuration classique d'un transport de troupes blindé serbe avec des mitrailleuses à l'avant et des armes antichars.

Après environ trois jours de combats, il y eut une interruption. Nous avions alors une nouvelle ligne de front dont personne n'allait pouvoir bouger, et elle se situait juste à l'extérieur de la ville de Medak. Les choses se sont alors stabilisées, et le processus politique s'est enclenché afin de trouver un règlement pour ce secteur. Cela se passait à Zagreb, entre les Nations Unies d'une part et les deux factions belligérantes de l'autre, les Serbes de la Krajine et les Croates.

Dans un premier temps, les négociations n'ont guère progressé, jusqu'à ce que les Serbes qui se trouvaient dans la poche de Bihac, en Bosnie, aient tiré un missile sol-sol en direction de la capitale de la Croatie et un autre qui allait frapper une banlieue de Zagreb. À ce moment-là, on peut raisonnablement penser que le président croate se trouvait en position de vulnérabilité et qu'il a dû revenir à la table pour conclure un accord qui réglait le problème de Medak.

Un accord fut donc conclu au plan politique par les Nations Unies et les deux factions, et cet accord portait que les Serbes allaient demeurer sur les positions vers lesquelles ils avaient été repoussés, que les Croates se retireraient jusqu'à la ligne sur laquelle ils se trouvaient avant leur attaque du 9 septembre et que les Nations Unies s'installeraient dans la poche pour établir une zone tampon entre les deux camps et donc stabiliser le secteur.

La matinée du 14 septembre, j'ai reçu l'ordre de constituer cette zone tampon entre les deux camps dans les 24 heures. Pendant ce laps de temps, j'allais recevoir selon mes ordres deux compagnies françaises qui seraient placées sous mes ordres, ce qui me donnerait un effectif total suffisant pour conduire l'opération. Chacune de ces deux compagnies françaises était forte d'environ 250 hommes et avait son propre système d'armement, ses propres ingénieurs et ses propres soutiens logistiques. Les Français arrivèrent donc avec ces véhicules dans les 24 heures qui suivirent.

• 1555

Je vous montre cela parce que c'est un véhicule muni d'un canon de 20 millimètres. Ces renforcements apportés par les Français nous ont en effet donné la meilleure puissance de feu à longue portée que le groupe-battaillon ait jamais eue. Il faut comprendre que les Croates, qui ont fini par nous tirer dessus, avaient des pièces d'artillerie beaucoup plus imposantes que celles-ci, de sorte que ces pièces étaient les seules que je pouvais utiliser pour répliquer.

Je vous montre ici l'un des autres transports de troupes blindés, et si je vous le montre c'est parce que les mines allaient devenir, pendant toute l'opération de Medak, un facteur déterminant, et ce sont également les Français qui nous ont apporté ces véhicules. C'est un peu drôle à dire, mais ce genre de véhicule encaisse beaucoup mieux une mine que certains de nos propres véhicules. Avec une garde au sol beaucoup plus élevée, la mine a tendance à exploser au contact de la roue, mais sans pour autant percer le blindage. Et tout en ayant à trois reprises en trois jours provoqué l'explosion d'une mine, ces véhicules ont néanmoins résisté aux impacts, qui ne firent pas de victimes. C'était un excellent petit véhicule.

À 16 heures le même jour, j'ai donné mes ordres pour ce qui allait être une opération en quatre étapes. Comme à ce moment-là les deux camps se battaient toujours depuis leurs nouvelles tranchées, la première chose à faire pour moi était d'insérer mes compagnies entre les deux camps de manière à pouvoir arrêter le combat. De cette façon, je pourrais constituer un tampon qui empêcherait les Serbes d'avancer lorsque les Croates allaient se replier. Cela devait donc être la première étape.

Pour la deuxième étape, il fallait que j'établisse une ligne de pénétration à partir de mon point de départ, c'est-à-dire à l'arrière des lignes serbes, jusque du côté croate, et il fallait que je puisse me rendre jusqu'aux premières lignes croates. Je devais alors faire traverser deux compagnies et commencer à surveiller le retrait des Croates jusqu'à la ligne du 9 septembre, après quoi nous allions devoir passer tout le secteur au peigne fin et noter tous les éléments à l'appui des combats que nous avions vus. Comme nous savions que les deux camps avaient été en guerre, nous nous attendions à devoir faire rapport.

Nous avons commencé l'opération en nous servant d'un matériel canadien ordinaire, c'est-à-dire un transport de troupes blindé modèle M-113, édition 1965 dont les blindages protègent le commandant de bord et les soldats dans le compartiment arrière.

Nous avions également les batteries de missiles antichars TOW. Voici le peloton et sa batterie qui étaient sous les ordres de l'adjudant-maître Butters, comme je vous l'expliquais au début. En réalité, c'est ce même adjudant-maître Butters que vous voyez ici sur la photo alors que nous étions au milieu de l'opération de Medak.

Le premier matin de l'opération, c'est-à-dire le 15 septembre, après avoir fait manoeuvre toute la nuit pour mettre en position les deux compagnies canadiennes et les deux compagnies françaises, qui devaient faire 300 kilomètres pour arriver à Medak, dès 9 heures du matin donc, l'essentiel de nos 1 000 soldats étaient en position à Medak et aux alentours, et nous étions prêts à commencer les opérations.

Si je vous mentionne l'heure en question, c'est parce que le commandant en chef, le général français Jean Cot, était venu le matin même en hélicoptère et s'était entretenu avec moi. Pendant une heure et demie ou deux heures, nous avons donc discuté et nous avons fait le tour de Medak. Je suis persuadé qu'il faisait une inspection pour avoir la certitude que nous étions prêts à commencer l'opération, mais nous en avons également profité pour préciser certaines règles d'engagement qui étaient selon moi indispensables pour que je puisse accomplir ma mission.

Le général Cot m'a dit deux choses extrêmement utiles. Il m'a dit pour commencer que selon lui il était tout à fait essentiel que l'opération des Nations Unies réussisse et parvienne ainsi à créer la zone tampon. Il m'a fait très clairement comprendre que jusqu'alors en 1993, les Nations Unies avaient été tout à fait incapables de faire ce qui avait été promis, que nous avions déjà plusieurs fois perdu la face et qu'il était donc impératif de prouver que nous pouvions effectivement imposer notre volonté et créer une zone tampon qui en soit vraiment une.

L'autre chose qu'il m'a dite était beaucoup plus importante pour les soldats. D'après lui, le haut commandement croate n'avait pas ordonné aux soldats sur la ligne de front de se replier sur la ligne du 7 septembre. Vous pouvez vous imaginer l'effet que cela nous a fait, de savoir que nous allions nous rendre derrière la ligne de front serbe, traverser le secteur serbe, devoir nous approcher d'un groupe de belligérants qui ignoraient que leur haut commandement leur avait donné l'ordre de se replier et d'abandonner des positions qu'ils venaient d'arracher.

• 1600

Nous avons communiqué le renseignement aux compagnies canadiennes et françaises, et le général Cot a décidé que l'opération allait commencer à midi ce jour-là.

À midi précis, nos deux compagnies, la compagnie Charlie à gauche et une des compagnies françaises à droite, ont commencé à s'approcher des chars et de l'infanterie serbes pour pénétrer dans la zone entre les deux lignes de front. L'écart entre les deux lignes variait entre 400 et 1 200 mètres; cela dépendait du terrain. Vous comprendrez facilement que si chaque camp avait pris le terrain le plus facile à défendre sur le plan tactique, la zone intermédiaire était ce que l'on appelle la zone meurtrière. C'est là que s'engageaient les Forces canadiennes et françaises.

Passé la ligne serbe, nous avons commencé à essuyer le feu des Croates. Au début, c'était un ou deux coups. Le capitaine Green pourra vous en parler plus tard, puisque son peloton a été l'un des premiers à s'approcher de la ligne.

Au début, nous pensions honnêtement que c'était une erreur. Nous avons donné l'ordre d'accrocher des drapeaux de l'ONU plus gros aux antennes et de mettre les véhicules de couleur blanche bien en évidence pour qu'ils sachent qui pénétraient dans le no man's land. Après, au lieu de coups de feux épars, nous avons essuyé des tirs de mitrailleuses, et il est devenu bien clair que ce n'était pas un accident, mais un tir délibéré contre l'ONU.

Les soldats canadiens et français ont pris les mesures à prendre lorsque l'on se trouve sous le feu de l'ennemi. Ils ont riposté, et cela a duré 15 heures, d'environ 13 heures à 8 h 30 le lendemain matin. Les Canadiens et les Français se sont retrouvés en situation de combat avec l'armée croate à une distance qui variait entre 150 et 800 mètres.

Le peloton de l'extrême gauche, dans la ville de Citluk, commandé par le capitaine Dave McKillop, s'est retrouvé à cinq reprises dans un échange de feu, certains ne durant que cinq minutes, d'autres plus d'une heure.

Lors de ces échanges de feu, ils ont été la cible d'un canon de 20 millimètres, de tirs de mitrailleuses lourdes, de grenades à fusée, et eux ont riposté avec tout ce dont ils disposaient: des mitrailleuses de .50, leurs propres mitrailleuses C7 et C9. Ils ont riposté à tout, sauf à notre gros système antiblindé.

Lorsque les Croates leur tiraient dessus, ils ripostaient jusqu'à ce qu'ils cessent le feu. Certains de ces engagements ont pris plus de temps à remporter que d'autres, mais imaginez-vous la situation: des soldats qui creusent une tranchée, sous le feu de l'ennemi, tout en essayant de riposter et de se protéger.

Cela a duré tout l'après-midi et de façon sporadique pendant la nuit, mais le tir a été nourri à peu près pour une période de six heures environ...

Je pense qu'il y a lieu de jeter un coup d'oeil sur les photos que nous avons ici. Voici le secteur autour de Citluk que j'essayais de décrire. C'est ici que se trouvait le peloton du capitaine McKillop. Vous pouvez constater vous-mêmes les dégâts subis par le bâtiment. Dans certaines de ces photos, vous verrez Scott Leblanc, qui a participé à certains des échanges de feu les plus nourris, puisqu'il était un des mitrailleurs qui se sont fait tirer dessus et qui ont riposté.

Vous pouvez voir l'ouverture pratiquée par l'arme antichar qui a frappé le bâtiment. Au grenier, il y avait des observateurs lorsqu'un obus de 20 millimètres a éventré le bâtiment.

Voici une photo du caporal-chef Deans. J'aime la montrer parce qu'elle a été prise à la fin des échanges de feu. Voici à quoi ressemblait un Casque bleu en 1993 pendant l'opération de Medak. Il n'est pas très reluisant, mais il sait se servir de son arme et riposter au feu de l'ennemi.

Voici une photo du sergent Rod Dearing et de Scott Leblanc dans la tranchée qu'ils ont creusée pendant un des échanges de feu à 8 h 30 le lendemain matin—après le dernier échange de feu et avant la phase suivante de l'opération proprement dite. Scott Leblanc, c'est celui qui sourit dans la tranchée, à l'avant-plan. On est bien loin du collège militaire royal.

• 1605

Vers 18 heures, nous avons reçu un appel d'un des observateurs militaires du réseau radio, d'un des officiers que nous avions stationnés à Gospic, disant que le général croate voulait me parler et qu'il m'avait convoqué à un groupe d'ordres, c'est-à-dire une conférence, à 20 heures à Gospic pour que nous tirions les choses au clair sur la ligne de front. Le moment n'était pas très bien choisi, parce que l'obscurité tombait vers 18 heures et qu'à 19 h 30 il nous fallait trouver le moyen de quitter le camp serbe, où nous étions, pour passer au camp croate, qui nous avait tiré dessus toute la journée, et cela sans se faire toucher.

À 19 h 30, moi et trois autres—mon sergent-major de régiment, Mike McCarthy, le major Dan Drew et un des observateurs militaires—équipés de l'unique radio qui nous permettait de communiquer avec les observateurs militaires à l'autre bout, nous avons commencé la longue marche sur la route qui menait jusqu'aux Croates pendant qu'au loin on entendait des tirs de mitrailleuses dirigés contre l'un de nos flancs.

Cette progression dans l'obscurité, c'était quelque chose. L'homme de tête, un autre que moi, je le précise, avait une torche rouge et donnait des signaux à trois coups en direction des Croates pour qu'ils sachent où nous étions et que nos intentions n'étaient pas hostiles et qu'ils ne nous tirent pas dessus. Il fallait espérer que cette fois-ci ils avaient bien fait passer le message à leurs soldats et qu'ils n'étaient pas censés tirer sur la torche rouge.

Nous avons réussi à traverser sans trop de mal. Nous avons rencontré l'observateur militaire de l'ONU de l'autre côté, et il nous a emmenés à Gospic rencontrer le commandant de l'armée croate, avec qui nous avons eu ce que j'appellerais une discussion très animée. Nous avons rencontré là un autre colonel canadien, le colonel Mike Maisonneuve, qui était venu d'avion de Zagreb et qui devait s'occuper de l'aspect politique des choses. Après un échange assez vif entre moi-même et le commandant croate à propos des raisons pour lesquelles ils tiraient sur mes soldats depuis six ou sept heures, nous en sommes finalement venus à un accord nous permettant d'établir le point de franchissement cette nuit-là, et le lendemain à midi nous allions être autorisés à traverser, à occuper les positions de la ligne de front croate, tandis qu'eux allaient se replier sur leurs lignes du 9 septembre.

Cette nuit-là, jusqu'à 2 heures du matin, nous sommes revenus à la zone qui séparait les deux lignes de front. Le major Drew a fixé le point de franchissement, et vers 2 heures les choses se sont calmées pour le reste de la nuit.

Le lendemain matin, à 8 heures, ou au point du jour, quelle que soit l'heure exacte, nous avons fait le constat de la situation et nous avons réalisé que nous avions fait une erreur tragique en leur donnant jusqu'à midi pour se préparer à partir, parce que, passé le kilomètre qui nous séparait des Croates, il n'y avait rien d'autre que des colonnes de fumée qui montaient de chacun des villages marqués sur nos cartes. Puis nous avons commencé à entendre de grosses explosions et des tirs d'armes légères venant de tous les villages du secteur.

Nous avons tout de suite compris, vu l'expérience des cinq derniers mois, que l'armée croate venait de lancer une opération majeure d'épuration ethnique dans le secteur pendant que nous étions cloués sur place et forcés d'attendre quatre heures, jusqu'à midi, avant de pouvoir passer de l'autre côté.

Je pense que nous avons un extrait d'une bande vidéo qui vous montre à quoi les soldats ont dû assister pendant ces quatre heures d'attente.

C'était à faire rager. Nous n'avions rien qui puisse prouver ce qui se passait, mais on savait en son for intérieur ce qui se passait, parce qu'on l'avait vécu pendant les cinq derniers mois: une opération d'épuration ethnique comme il s'en faisait avant. C'était démoralisant.

À midi pile, j'ai ordonné à la compagnie du major Drew de traverser la ligne de front croate et de l'occuper en vue du repli des forces croates sur la ligne du 9 septembre.

• 1610

Rendus de l'autre côté, nous avons constaté que pendant la nuit l'armée croate avait établi une position défensive derrière les TTB du major Drew, qu'ils avaient mis un char T-72 en position et placé deux systèmes de missiles Sagger antiblindés et deux autres systèmes de missiles antiblindés en hauteur et que plus de 100 soldats étaient établis dans des tranchées pour stopper notre avance. Ils avaient mis des mines des deux côtés de l'unique route asphaltée et des barrages à pointe ainsi que des mines sur la route.

Quand nous sommes arrivés de l'autre côté, ils nous ont dit que nous ne pouvions pas passer. Cela nous a pris de court. Nous étions là, en colonnes, et nous nous attendions à ce que l'accord de la veille soit suivi à la lettre. Nous étions dans la zone meurtrière de cette compagnie, en très mauvaise position. Pendant une heure et demie environ, chacun est resté sur sa position, puis je me suis avancé pour aller discuter avec le général de l'autre côté du champ de mines, et je lui ai dit qu'il devait nous laisser passer. Il avait accepté la veille et aujourd'hui il refusait.

À un moment donné, j'ai dit que nous allions passer de force. Ils ont démasqué leur batterie de Sagger, dépêché tous leurs artilleurs, et tous mes soldats ont armé leurs fusils. L'adjudant-maître Butters a commencé à déplacer ses systèmes d'armes antichars à travers les champs de mines et à les installer de telle sorte qu'ils puissent tirer et nous protéger si quelqu'un ouvrait le feu. Pendant plus d'une heure, la tension a été insoutenable.

À la fin, ce qui nous a sauvés, c'est qu'il y avait une vingtaine de journalistes et de cameramen qui nous accompagnaient et qui s'attendaient à passer avec nous pour aller constater les dégâts de cette nouvelle attaque. Ils s'étaient massés derrière l'un des TTB au cas où le raffut éclaterait. Je me suis dit que le moment n'était pas choisi pour lancer: «À l'attaque!», qu'il fallait mieux biaiser. Je leur ai donc demandé si nous pouvions tenir une conférence de presse devant le champ de mines. Je voulais ainsi mines la réputation des Croates sur la scène internationale, porter des accusations, les amener à ouvrir le champ de mines pour nous laisser passer.

Ils ont accepté tout de suite. Nous nous sommes plantés devant les médias. En anglais, j'ai accusé le général, derrière, d'avoir commis une multitude d'atrocités, et dès qu'il a entendu ce que je disais à la presse internationale, a ordonné à ses soldats de dégager les champs de mines et il a renégocié l'accord pour nous permettre de passer. Ensuite, il a donné une conférence de presse improvisée pour essayer de se donner beau jeu.

Malgré cela, nous avons réussi à avancer, et dès 13 h 30, la première compagnie, celle du major Drew, dépassait cette position et franchissait les premières lignes des tranchées croates, et la deuxième compagnie française a pu avancer à 14 h 30.

Vous voyez ici le drapeau canadien qui indique qu'il s'agit de la compagnie D; c'est l'endroit où la compagnie du major Drew a avancé, occupant ainsi les premières lignes croates, et les chars croates ont commencé à se retirer vers les 15 h 30.

Avec mon peloton de reconnaissance et une compagnie de l'armée française, je me suis avancé plus avant, comme vous pouvez le voir sur cette diapositive-ci, et nous avons commencé à nous approcher du village de Citluk. Nous y sommes parvenus vers les 18 heures, au crépuscule, juste avant la tombée de la nuit. À ce moment-là, il y avait de la fumée dans l'air; c'était une soirée très calme. Nous en avons un souvenir très net. Il y avait encore des bâtiments qui brûlaient des deux côtés de la route. Avançant lentement dans le village, nous avons vu des soldats croates avec des sacs de butin qui sautaient dans des camions et des autobus et qui riaient en évacuant la poche. C'est alors que nous avons vu les premiers signes d'une opération d'épuration ethnique.

Voici deux diapositives montrant des bâtiments qui brûlent, et nous avons un petit vidéo qui vous en montrera d'autres. Ces feux ont brûlé toute la nuit. Je crois que cette vidéo a été filmée le lendemain matin, après que tout eut brûlé pendant la nuit. Une famille occupait ce bâtiment six jours plus tôt.

• 1615

Nous avons commencé aussi à voir des cadavres. Je vous préviens que certaines images que vous allez voir sont assez explicites, tout comme la vidéo que je m'apprête à vous montrer.

Ce soir-là, après notre arrivée juste avant la tombée de la nuit, nous avons procédé à un ratissage préliminaire du secteur que nous venions d'occuper. Cette femme était étendue dans le champ où nous avions décidé d'établir mon poste de commandement tactique. Normalement, lorsque nous pénétrons dans un secteur, l'infanterie débarquée ratisse le secteur pour s'assurer qu'il n'y a pas de mines sur place et qu'il n'y a plus aucun danger. Ils l'ont trouvée en ratissant le secteur, et il nous a fallu, pour ainsi dire, l'isoler et la laisser là jusqu'au lendemain matin afin de la traiter avec plus de dignité.

La compagnie française a trouvé ces deux femmes au cours de la première nuit. Elles avaient entre 16 et 25 ans. C'était très difficile à dire. Elles avaient été prisonnières de l'armée croate pendant 4 ou 5 jours, dans une pièce verrouillée, dans une ferme. On a dû les abattre et mettre le feu à leurs corps juste avant que les Croates ne se retirent, parce que lorsque nous les avons trouvées, leurs corps étaient si chauds qu'avant de les mettre dans des sacs, les soldats ont dû les arroser d'eau pour les refroidir, pour éviter que la chaleur de leurs cadavres ne fasse fondre le plastique des sacs.

Tout le bétail dans le secteur avait été tué. Tous les puits avaient été empoisonnés avec du pétrole ou des cadavres d'animaux. D'ailleurs, pour donner à l'épuration ethnique tout son sens, ils se sont assurés que les gens qui avaient vécu là ne pourraient jamais retourner dans ce secteur, soit en les tuant, soit en détruisant leurs biens, soit en empoisonnant leurs puits.

Je crois que nous avons un petit vidéo ici aussi.

Vous voyez maintenant un inspecteur de la GRC qui accompagnait la police civile. Il avait une formation en criminalistique, et nous lui avons demandé d'enregistrer le moment et la date des blessures ou des décès afin d'établir un rapport pour les Nations Unies. Vous pouvez voir ce que cela a dû être pour les soldats, qui n'avaient aucune formation dans ce domaine, et qui ont dû traiter avec une certaine dignité ce qui n'était que des restes de cadavres épars que nous avons pu trouver, que nous avons mis dans des sacs et que nous avons rapportés à la morgue serbe improvisée qui avait été établie à Medak et où les familles pouvaient identifier ce qui pouvait l'être afin de pouvoir enterrer ces restes plus tard.

Il y avait des gens qui procédaient à certaines analyses médicales relativement aux types de décès. Mes deux médecins faisaient partie de cette équipe. D'ailleurs, mes deux aumôniers faisaient également partie de cette équipe, et ils pouvaient ainsi contribuer à soulager le stress des soldats qui devaient voir cela.

• 1620

Certaines de ces personnes étaient décédées depuis quatre ou cinq jours. Vous devez comprendre qu'il a fallu à ces hommes un bon bout de temps pour se rendre là, si bien que ces cadavres se trouvaient en divers états de décomposition à ce moment-là.

Nous sommes restés sur place parce qu'il y avait trop de mines. On ne bouge pas la nuit. Nous sommes restés sur place ce soir-là, mais le lendemain, je dois vous avouer que les soldats étaient hors d'eux, non seulement parce que les Croates leur avaient tiré dessus, mais aussi parce que des soldats de métier n'attaquent pas des civils impuissants. Je vous dirai qu'ils ont avancé vigoureusement le 17, et à la fin de ce jour-là nous avions repoussé les Croates au-delà de la ligne du 9 septembre, et nous avions réussi à établir la zone tampon voulue entre les Croates et les Serbes.

Au cours de ces trois jours, quatre mines ont explosé, sans toucher de véhicules canadiens, mais sur cette diapositive-ci on voit un véhicule canadien. J'ai aussi piraté une copie de cette diapositive pour vous montrer les dommages qui ont été faits au véhicule canadien. Trois TTB et une chargeuse de l'armée française ont été endommagés par des mines au cours des quatre jours suivants. Je n'ai pas pu obtenir de photos de ces véhicules, mais j'ai la photo du véhicule du contingent canadien qui a roulé sur une mine un an après notre redéploiement, et vous voyez le genre de dommages que peut subir l'un de nos M-113 lorsqu'il explose sur une mine et prend feu. La destruction est totale.

Vous voyez sur la diapositive suivante une photo de l'équipe de ratissage. Il y a une raison pour laquelle on porte des masques et des gants. Au cours des trois jours suivants où nous avons procédé à une fouille méticuleuse du secteur afin d'y trouver les preuves d'une opération d'épuration ethnique, chaque fois qu'une compagnie trouvait un cadavre, elle s'arrêtait et le signalait, et l'équipe de spécialistes, avec ses ingénieurs, arrivait sur place avec une rétrocaveuse pour creuser des tombes, et les deux médecins, les deux aumôniers, et certains de mes soldats du peloton de mortiers, occupaient le secteur sous le commandement du major Craig King, qui était responsable de l'établissement du rapport final pour les Nations Unies, et procédait à une analyse en profondeur des événements.

La diapositive suivante vous montre comment nous les avons divisés par secteur, ce qui complétait la phase 4.

En terminant, si vous voulez une diapositive qui résume tout ce qui s'est passé, la voici. Pour ce qui est de l'ensemble des pertes, quatre soldats canadiens ont été blessés lors du barrage d'artillerie initial, et au cours des quelques jours qui ont suivi, sept soldats français ont été blessés, soit parce que leurs véhicules ont explosé sur des mines antichars, soit parce qu'ils ont marché sur des mines antipersonnel. Deux de ces blessures étaient peut-être mortelles. Les deux derniers soldats qui sont entrés dans le champ de mines antipersonnel ont été grièvement blessés.

Un soldat canadien est mort et deux ont été grièvement blessés lors d'une collision entre une jeep canadienne et un camion serbe. Le capitaine Jim Decoste est décédé le 18 septembre, au milieu de l'opération.

Les Croates ont signalé que 27 de leurs soldats ont été tués ou blessés dans les échanges de feu avec mon groupe au cours des 14 jours à Medak. Et, bien sûr, n'oublions pas les trois transports de troupes blindés et la chargeuse de l'armée française qui ont été abîmés par des mines.

Pour ce qui est de l'épuration ethnique dans son sens le plus strict, nous avons en fait trouvé 16 cadavres. Nous ne croyons pas cependant que le compte y soit, parce que lorsque nous avons traversé la poche de Medak, on a trouvé partout à terre des gants chirurgicaux, et nous avons pensé que la seule raison pour laquelle les Croates laissaient des gants chirurgicaux partout, c'était parce qu'ils avaient une méthode systématique pour cueillir les cadavres que nous ne trouvions pas et pour les faire disparaître avant notre arrivée. C'est peut-être la raison pour laquelle ils ont retardé notre avance au barrage routier.

Au total, 160 maisons ont été détruites, environ 190 granges et tout le bétail et tout ce qui servait à rendre le secteur vivable.

• 1625

Pour ce qui est des réussites autres que strictement militaires, vous devez savoir que le général croate a été relevé de son commandement peu après, mais je ne crois pas qu'il ait été sanctionné. Cependant, le Tribunal des crimes de guerre de La Haye s'intéresse à lui; d'ailleurs, le tribunal a dépêché au Canada deux inspecteurs en décembre dernier pour un séjour de deux semaines. Ils ont parcouru le Canada et interviewé certains hommes qui relevaient de mon commandement et des officiers afin de savoir ce qu'ils avaient vraiment vu. Je crois qu'ils doivent revenir en juin pour obtenir de plus amples preuves, pour voir s'ils peuvent entamer des poursuites contre les Croates à La Haye.

Au terme de cette opération, le général français, le général Cot, s'est dit vivement impressionné par le rendement du bataillon, et c'est pourquoi il a créé la Citation du commandant de la force pour une unité. Avant cela, la Citation du commandant de la force n'était décernée qu'à titre individuel, mais, nous ayant vus agir, il a créé la citation pour une unité, et nous avons été les premiers à recevoir cette citation du commandant de la FORPRONU sur place. Dans toute l'histoire de cette opération, où près de 160 unités de tous les pays ont servi dans la FORPRONU au cours de ces quatre années, seulement trois citations ont été décernées à des unités; nous avons donc de quoi être fiers.

Pour ce qui est des distinctions à titre individuel, notre unité a fait valoir qu'il y avait lieu d'en décerner à certains d'entre nous, et je crois que huit ou neuf citations ont été décernées. L'une a été décernée au capitaine Green et une autre à l'officier-cadet Leblanc pour leur courage sous le feu. L'adjudant Johnson a reçu la médaille de bravoure pour avoir parcouru 400 mètres dans un champ de mines, sous la pluie, et ce, afin de sauver un Casque bleu français qui s'y trouvait. Les autres citations sont indiquées ici.

Dans cette transition qui nous mène vers l'avenir, il est évident dans mon esprit que quand nous devons envoyer des soldats dans des missions comme celles-là, il faut s'attendre à ce qu'ils soient audacieux, et s'attendre à ce qu'ils prennent les décisions voulues sur le terrain. On n'envoie pas là des soldats hésitants à qui il faut tout le temps dire quoi faire. À mon avis, il faut s'assurer qu'ils sont bien formés avant leur départ, et une fois qu'on a décidé de les envoyer là, il faut leur donner ici tout le soutien qu'on peut leur donner.

Des soldats hésitants, qui ne peuvent pas prendre de décisions et qui doivent constamment consulter les autorités au Canada, seront tout à fait incapables de prendre les initiatives voulues. C'est grâce à notre initiative et à nos décisions opportunes que nous avons pu franchir la poche de Medak, et c'est cet esprit de décision que nous devons privilégier à l'avenir.

Voilà le genre d'hommes que nous avons croisés en Croatie. Pour nous, ce sont des brutes armées. Ce ne sont pas des soldats de métier. Des soldats de métier ne s'attaquent pas à des civils innocents, mais là-bas, c'était chose courante. De manière générale, il s'agissait d'hommes à la formation professionnelle très limitée. Devant des civils sans arme, ils étaient très courageux, mais, chose certaine, ils ne montraient pas le même courage devant des soldats qui savaient se servir de leurs armes et qui étaient prêts à se battre pour une bonne cause.

J'aime à le répéter. J'ai commencé à dire cela lorsque nous avons reçu des visiteurs en 1993, parce qu'il y a toujours ce débat sur la formation des soldats qui sont affectés aux opérations de maintien de la paix. Certains se plaisent à dire qu'il suffit d'avoir une gendarmerie armée qu'on placera dans des situations pacifiques et qui se débrouillera fort bien. À mon avis, c'est faux. J'ai la conviction que pour toute situation il faut former le soldat et les petites unités que sont la section et le peloton, de telle sorte que chacun ait une confiance absolue dans l'utilisation de son arme, de telle sorte que chacun sache, non seulement qu'il peut se servir de son arme, mais aussi que son voisin de gauche ou de droite peut aussi se servir de son arme immédiatement et efficacement.

La raison pour laquelle je dis que cela est tout à fait essentiel, mesdames et messieurs, c'est que j'ai constaté que presque hebdomadairement, et peut-être même encore plus souvent, nous nous retrouvions dans des situations où mes soldats étaient confrontés à une force mortelle. Ils étaient confrontés par des gens qui étaient prêts à tirer sur eux. On n'est pas censé riposter immédiatement et tirer.

Si on veut s'attendre à ce que tout le monde reste calme dans une situation comme celle dans laquelle nous nous sommes trouvés à ce barrage routier, où tout le monde était armé et où une seule balle perdue aurait pu déclencher un véritable massacre entre les deux côtés, si on veut que les gens restent calmes, ils doivent savoir que celui qui est à côté d'eux n'a pas eu seulement 51 p. 100 pour son épreuve de tir avec l'arme personnelle. Ils doivent savoir que si je m'avance pour négocier, Mike McCarthy est tout à fait capable de me couvrir et de descendre quiconque me tire dessus avant que ce dernier ne me descende.

• 1630

On ne peut pas envoyer des gens là-bas qui sont à moitié formés. Lorsqu'on les envoie là-bas pour la première fois, on ne sait vraiment pas jusqu'à quel point la situation pourrait être dangereuse. Ils ont été là-bas pendant six mois, et la situation n'a pas changé. Il est absolument essentiel de le dire, et il faut qu'ils soient extrêmement bien formés.

J'aimerais vous présenter deux personnes sur cette diapo. Au cours de la visite de six mois, nous avons perdu deux soldats. Celui à gauche est le caporal John Béchard. Il était membre du 2e bataillon. Il est décédé le 6 août.

John Béchard venait tout juste de rentrer chez lui pour son congé de deux semaines au Canada. Pendant qu'il était au Canada, il a eu le très grand plaisir d'assister à la naissance de sa première fille, Janessa, avec sa femme, Amy. Son congé ne pouvait mieux tomber: il est rentré, et Janessa est née.

Lorsqu'il est retourné sur le théâtre des opérations, il s'est aperçu en retournant dans le secteur ouest que le reste de sa compagnie avait été déployé dans le secteur sud. Vingt-quatre heures après être retourné sur le théâtre des opérations, il est sorti le matin pour mettre son sac à fourbi dans le camion pour se rendre dans le secteur sud. Alors qu'il lançait son sac à fourbi à l'arrière de la remorque, le camion a glissé de sa cale. Les freins ont lâché, et le camion a reculé. Il a été écrasé entre les deux véhicules et est décédé en quelques minutes. Et nous avons dû téléphoner à Amy pour lui apprendre que son mari était décédé.

La deuxième personne que je veux vous présenter est le capitaine Jim Decoste. Il est décédé au milieu de l'opération de Medak le 18 septembre, juste comme les échanges de feu venaient de se terminer. La situation commençait à revenir à la normale, et nous pensions que nous avions traversé le pire de cette opération. Après toutes les situations où nous avions pensé perdre sans doute un soldat à cause d'un coup de feu ou d'un obus, tout à coup nous avons eu un accident routier tragique et nous avons perdu Jim Decoste.

Sa femme, Jan, était chez elle. Nous devions être redéployés le 3 octobre. Il devait rentrer chez lui deux semaines plus tard, mais sa femme a reçu un appel téléphonique lui apprenant que Jim avait été tué.

La mort au cours de missions de maintien de la paix est une réalité pour nous tous autour de cette table et pour les 873 autres membres qui étaient là-bas avec nous. Ce n'est pas tout simplement quelque chose qui était possible dans les guerres passées. Le Jour du souvenir représente quelque chose de tout à fait réel pour nous aujourd'hui.

Cela conclut généralement l'explication de la bataille qui a eu lieu au cours de l'opération de Medak. Nous voulons maintenant passer à la deuxième partie, qui est l'impact qu'une opération aussi dangereuse peut avoir sur les soldats.

Puisqu'il y a ici des membres du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, je pense qu'il est absolument approprié de commencer d'abord par parler un peu du contrat entre les militaires et la nation et de ce que nous ressentons après avoir vécu cette opération.

Nous, les militaires, pensons certainement avoir des responsabilités envers la nation. Nous pensons que lorsque vous, les députés membres du comité des affaires étrangères, décidez que nous devons aller quelque part, dans l'intérêt du pays, ce n'est pas à nous de demander pourquoi nous y allons. Que je sache, nous n'avons jamais posé cette question.

Nous comprenons certainement que ni le génocide au Rwanda, ni ce qui est arrivé à Haïti, ni aucun des conflits où sont intervenues la FORPRONU, puis l'IFOR et la SFOR au sein de l'ex-Yougoslavie, ne menaçaient ma famille ici, au Canada, ni quiconque au Canada, que je sache. Nous ne demandons pas pourquoi nous partons. Nous comprenons que c'est à vous de diriger le pays. Si vous dites que c'est dans l'intérêt du pays d'y aller, nous répondons: «Oui, monsieur!», et nous faisons le travail.

Quand nous partons, nous pensons que c'est notre rôle de partir, malgré ce que vous avez vu avec les deux soldats que nous avons perdus au sein du deuxième bataillon. Il est vrai que la responsabilité illimitée fait partie du port de l'uniforme. Nous sommes prêts à partir même s'il n'y a pas de guerre et nous mourrons dans l'intérêt du pays si vous dites que c'est suffisamment important pour que nous partions.

• 1635

Les militaires n'ont aucun droit de négociation collective. Que je sache, même les policiers et les médecins ont des droits de négociation collective qui leur permettent de s'assurer qu'on les traite adéquatement. Ce n'est pas notre rôle, ni notre mode de vie.

Nous croyons vraiment que le service passe avant nous-mêmes et avant notre famille. Je le répète, si vous dites que dans l'intérêt de la nation nous devons partir, nous partirons, mais nous comptons vraiment sur le gouvernement pour s'occuper de nous quand nous le faisons.

Ce genre d'engagement de notre part, à notre avis, comme dans un contrat tacite, correspond à une responsabilité de la part du gouvernement, et de la nation dans son ensemble, de s'occuper des soldats et de les soutenir. C'est une responsabilité non négociable.

Quand nous partons, nous présumons que vous avez pris les mesures nécessaires: que vous y avez sérieusement réfléchi au ministère des Affaires étrangères; que c'est nécessaire; que nous sommes bien équipés; que nous sommes bien formés avant de partir; et que vous prendrez soin de nos familles pendant notre absence, afin que nous puissions nous concentrer sur notre travail.

Je suis convaincu que vous vous êtes bien rendu compte, dernièrement, que dans nos rangs beaucoup se posent des questions importantes quant à la façon dont la nation s'est acquittée de sa part du marché. Comme exemple, je vous présente cette diapositive.

Je ne doute pas que les membres du comité se sont fait rebattre les oreilles au sujet de la question salariale pendant leurs déplacements. Mais pour les membres du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, j'aimerais vous montrer un exemple du salaire que nous versons aux soldats de première ligne que l'on envoie se faire tirer dessus, sous une pluie d'obus, danser la gigue dans des champs de mines et, parfois, sacrifier leur vie pour le pays.

Cette diapositive montre la solde nette d'un soldat formé, après trois ans de service. Après toutes les retenues pour les impôts et les avantages sociaux, il lui reste 1 714 $ par mois.

J'ai pris l'exemple d'une personne mariée, ayant deux enfants, et j'ai calculé les déductions correspondant aux dépenses courantes.

Il doit payer un loyer pour son logement familial. Je n'ai mis que 490 $, soit le loyer habituellement exigé pour les logements familiaux sur nos bases. Il faut compter 160 $ pour l'électricité, puis 60 $ pour le téléphone et le câble. Prenons encore 65 $ pour les cotisations de mess et les coupes de cheveux, toutes deux obligatoires. Il a besoin d'une voiture pour déplacer ses deux enfants et sa femme; il doit donc faire des versements d'environ 300 $ par mois, plus 100 $ pour les assurances. L'essence lui coûte environ 100 $ par mois, et l'épicerie, environ 400 $. Il s'agit de coûts moyens; ils peuvent être plus ou moins élevés selon les régions du pays, mais je pense qu'ils sont assez représentatifs. Il lui reste donc en poche, à la fin du mois, comme revenu disponible, 49 $.

Vous constaterez que je ne fais pas figurer sur cette liste le prix d'une paire de chaussures, ou de vêtements pour l'un des deux enfants. Ni le coût de soins médicaux ou de médicaments, en cas de maladie. Il n'est pas fait mention de faire participer l'enfant à une équipe de hockey, afin qu'il puisse mener une vie normale, ou même à une excursion scolaire, pour laquelle il faut dorénavant payer depuis que le système d'enseignement s'est déchargé de tous les frais qui en faisaient partie. Que font alors ces gens lorsqu'à la fin du mois il ne leur reste plus que 50 $ en poche?

Voici ce qu'ils font: ils s'adressent à leurs parents pour un emprunt, et papa et maman les aident parfois, afin qu'ils puissent boucler leur fin de mois. Il arrive souvent maintenant que l'épouse travaille également, mais vous savez tous que dans ce cas-là on a des dépenses supplémentaires pour faire garder les enfants, ce qui diminue d'autant le second salaire. Finalement, ce n'est pas tellement payant.

Il arrive de plus en plus souvent que les soldats fassent un travail d'appoint. Le soir, ils deviennent livreurs de pizzas ou chauffeurs de taxi. Ils achètent à crédit, mais une fois qu'on s'engage dans cette voie, il est très difficile d'en sortir. Vous avez tous entendu dire que de temps en temps ils utilisent l'argent destiné aux aliments pour acheter des médicaments pour leurs enfants, et c'est pourquoi ils s'adressent aux banques d'aliments quand ils ne peuvent plus payer leurs factures d'épiceries.

C'est certainement là que nous devrions absolument intervenir, vous le reconnaîtrez sans peine: si les Forces canadiennes, au cours des six ou sept dernières années, ont assumé le gros du fardeau de notre politique en affaires étrangères, je pense que nous ne traitons pas avec la dignité voulue ces soldats de première ligne, à qui incombe une pareille responsabilité.

• 1640

Inévitablement s'impose la comparaison, en matière de prestations générales, avec certains de nos alliés. Comment notre nation reconnaît-elle ceux qui la servent? À titre d'exemple, je vais vous montrer comment on vous traite dans l'armée américaine d'une façon générale. Je ne propose pas que nous en fassions autant, mais je voudrais simplement vous montrer quelques-uns des avantages accordés à ces soldats par le gouvernement des États-Unis.

Il y a tout d'abord le GI Bill. Voilà un projet de loi du tonnerre! Lorsqu'un soldat, en s'enrôlant, s'engage à payer 100 $ par mois pour le GI Bill, au bout de trois ans, et avec un versement total d'environ 3 600 $ pour son éducation, le gouvernement lui verse un chèque d'environ 25 000 $ pour assurer ses études universitaires. C'est un marché auquel on ne peut perdre, à mon avis.

L'armée, d'une part, obtient des recrues d'un niveau plus élevé, car en s'enrôlant les soldats savent qu'ils se pavent la voie de l'université—tous en effet, ont terminé l'école secondaire—et à l'issue de ces trois ans on leur met le pied à l'étrier, et ils entrent à l'université en personnes d'expérience; ils ont probablement été envoyés à l'étranger, ils ont appris à se discipliner, et à l'arrivée à l'université ils sont fin prêts pour cela.

Ils ont également une procédure courante. Le soldat, après un temps de service de trois à cinq ans, reçoit ce qu'on appelle une prime de réengagement. Il a alors reçu une bonne formation. Parfois il a appris à manier des armes sophistiquées; il sait par exemple faire fonctionner un système de missiles TOW, ou faire fonctionner un canon antiaérien. Il en va de même pour les forces aériennes et pour la marine. On lui propose alors le marché suivant: «Si tu prolonges de cinq ans ton temps de service, nous allons te payer un minimum de 15 000 $ en prime, et cela nous évitera de former un autre soldat.» Ils font cela pour tous. Je ne suis pas certain que ce soit une solution pour nous, mais cela montre à quel point, dans d'autres armées, les soldats sont valorisés quand ils s'engagent ou se réengagent.

Mesdames et messieurs, j'en ai assez dit. D'autres veulent dire leur mot là-dessus, et il est bon que je leur cède la place. Merci d'avoir bien voulu m'écouter.

Je voudrais maintenant céder la parole à Mme Elise Huffman, qui est présente ici à titre de coprésidente du groupe de soutien aux familles, qui a été fondé pour s'occuper de tous les problèmes qui se sont posés aux familles lors du déploiement de troupes, d'une durée de six mois, sur ce dangereux théâtre d'opérations. Je vais donc lui céder la parole.

Mme Elise Huffman (ministère de la Défense nationale): Je vous remercie.

Je ne vais pas revenir sur ce que vous venez de voir, mais j'ai quelques diapositives, d'une part à titre d'illustration de ce que j'avance, et d'autre part pour faire le meilleur usage possible du temps qui nous est alloué.

Cette expédition a été marquée par de nombreux événements, et à bien des égards elle constitue un cas unique. Ce n'est pas six mois, mais un an que j'ai passé comme coprésidente, car le bataillon avait déjà détaché une compagnie pour venir à l'aide d'une mission en Croatie, et il y avait environ 160 familles restées à la base, qui se débrouillaient comme elles pouvaient. Puis la principale rotation a eu lieu, avec tout ce qui s'y rattache, les forces régulières, les réserves et leurs familles. Pendant cette année j'ai donc pu acquérir une expérience considérable, si considérable que je ne saurais même vous la résumer aujourd'hui, mais nous avons décidé de la subdiviser en trois étapes principales.

Nous allons d'abord évoquer certaines des difficultés du prédéploiement; nous passerons ensuite au déploiement même, et ensuite aux problèmes du postdéploiement.

Pendant la période de prédéploiement la question qui se pose pour beaucoup, c'est de savoir quand commence réellement l'expédition. Ces messieurs sont partis en mars pour leur expédition de six mois, mais le jour même où l'annonce a été faite ils avaient l'esprit ailleurs: sur la formation qu'il fallait assurer, sur l'organisation nécessaire pour leur transport et leur installation. Les réunions et discussions qui ont eu lieu ont alors détourné l'attention des hommes de leurs familles, au moment où celles-ci avaient grand besoin d'eux.

À ce moment-là les familles ont été placées au deuxième rang sur la liste des questions à suivre. C'est une situation bien compréhensible. Elle a encore été compliquée du fait que nous avions des familles de la compagnie D dont les maris étaient déjà partis et qui se trouvaient ainsi isolées. De sorte que le tout petit groupe arrière qui les soutenait à cette époque a été redéployé pour se charger d'une mission bien plus considérable. Les services donnés à ces familles ont alors été considérablement réduits.

• 1645

Les réserves présentaient une autre complication. Dès janvier des centaines de jeunes gens allaient arriver pour être formés, examinés, sélectionnés et envoyés en mission. De janvier à mars les familles des réservistes ont donc été séparées et isolées, et n'ont bénéficié d'aucun soutien. Les réservistes sont alors partis aux États-Unis pour recevoir leur formation en prévision du départ outre-mer, de sorte qu'il y avait non seulement séparation mentale, mais également séparation physique.

Quand est-ce que le groupe arrière entre en action et se prépare à traiter de ces situations? En général il existe des mécanismes de prédéploiement, mais le groupe arrière est généralement considéré comme ayant une faible priorité. Les membres sont censés se charger de questions secondaires, mais doivent continuer à s'occuper de ce qui constitue avant tout leur tâche régulière, et ils casent comme ils le peuvent leur devoir de soutien aux familles.

C'est l'agent du bien-être qui est essentiellement chargé de traiter avec les familles, à l'époque tout au moins, quand il y avait un grand nombre de ces problèmes, mais les choses ont changé depuis. On lui a donné un nouveau titre, pour commencer; c'est «l'agent familial». C'est peut-être un détail, mais le fait d'associer les familles à la notion de bien-être social, alors que leurs maris, leurs soldats, avaient disparu, semblait avoir une connotation négative. En changeant ainsi son titre—ce qui peut paraître bien peu—on marquait ainsi que la priorité devait aller aux familles.

Les mécanismes en place pour le prédéploiement sont bons, mais certains comportent des lacunes. Là encore, nous avons essayé d'y apporter des changements, mais pendant l'absence de la Compagnie D, les familles ont reçu un manuel pour les familles. C'était un manuel très militariste, rigide et bureaucratique, contenant des renseignements destinés à aider les familles pendant le déploiement, notamment pour ce qui est des réactions à la séparation. C'était l'annexe I du chapitre 6. Juste après, à l'annexe J, il y avait une liste de choses à faire, ce qui montre que la réaction à la séparation n'était pas vraiment une priorité.

Voici l'un des énoncés d'encouragement du manuel: «La seule limite à ce qui peut se produire, c'est votre imagination et votre volonté de participer à des activités dont vous voulez la réussite.»

Dans bien des cas, ce genre d'information peut être stimulante. Mais lorsqu'il s'agit de femmes qui se rendent compte qu'elles seront seules pour prendre soin des enfants tout en travaillant, quand trouveront-elles à participer à ces activités? Leur imagination n'est pas limitée. D'ailleurs, elles s'activent à ce moment-là, et l'idée horrible que leur conjoint puisse disparaître leur tombe dessus.

Il y a un autre mécanisme, soit les rencontres avec l'aumônier. Après avoir lu le manuel, vous rencontrez l'un des aumôniers. En général, cela est fait pour s'assurer qu'en l'absence du soldat on sait s'il y aura des difficultés indues pour sa famille.

Après avoir lu le manuel et le chapitre qui leur dit qu'elles doivent contribuer à la carrière de leur mari, sans chercher des façons de le retenir, qu'elles doivent se rappeler que leur conjoint s'ennuiera aussi, il leur est bien difficile de dire à l'aumônier qu'elles ne pensent pas que leur conjoint peut partir. Elles restent là, hochent la tête, écoutent les paroles rassurantes de l'aumônier, qui affirme qu'on prendra soin de la famille, qu'on les soutiendra et que toutes les réponses à leurs questions se trouvent dans le manuel. Elles signent ensuite un document, et leur conjoint s'en va.

Les séances d'information qui sont tenues sont si importantes que je ne comprends pas pourquoi elles n'y participent pas plus souvent. J'ai été très déçue, lorsque le bataillon a préparé une séance d'information pour donner aux familles une idée exacte de la destination des soldats, de ce qu'ils allaient faire, du genre de soutien et du système en place pour les familles, de ce qui fonctionnait déjà. Très peu de familles y ont assisté, et il y a toutes sortes de raisons à cela.

Pour commencer, avant le départ du conjoint, il y a très peu de temps, et la dernière chose qu'on veut faire, c'est parler du déploiement, de ce qui est militaire et officiel. Il y a aussi une certaine méfiance chez les conjointes et chez les soldats quant à l'information qui sera transmise aux familles. Ce problème existe toujours, mais nous essayons d'y remédier.

• 1650

La procuration est l'un des mécanismes qui sont censés permettre aux familles de continuer à vivre normalement. En fait, pendant notre déploiement, à quatre ou cinq occasions où la conjointe a essayé d'utiliser cette procuration, on lui a refusé le service. Voilà un mécanisme qui ne fonctionne certainement pas.

Voilà donc le système que nous avions au départ. Lors du deuxième grand déploiement, le manuel pour les familles a été grandement remanié, et on a réglé certains de ces problèmes. Mais il en reste toujours.

Tout n'était pas négatif. Nous avions des organismes de soutien et nous avions de la chance, en un sens, que la compagnie D parte. Les femmes se sont rassemblées, et je suis devenue coprésidente d'un groupe dirigé par la femme d'un jeune sergent, Monica Maxwell. Elle avait beaucoup de compassion et de compréhension pour les familles, parce que son conjoint avait participé à divers déploiements, comme mon mari, et elle a décidé de lancer un bulletin de nouvelles locales pour que la communauté des familles soit en communication avec les ressources appropriées. Des activités ont été planifiées pour les conjointes, de même que pour les enfants.

Nous avons commencé à travailler avec le centre de ressources pour les familles de Winnipeg. Très tôt dans nos discussions sur le soutien qui pourrait nous être accordé, le centre a décidé que, comme il s'agissait d'un très faible nombre de familles, seulement 160 par rapport à toute la base, il ne pouvait plus offrir de soutien aux familles sous forme de contacts sociaux fort nécessaires, ni nous permettre d'utiliser ses locaux pour nos rencontres. Il a donc coupé les liens avec le groupe de soutien de la Compagnie D.

Nous avons donc continué nos rencontres dans les maisons de l'un ou l'autre membre, jusqu'à ce que le corps principal apprenne son déploiement et que le commandant amène un officier pour commander le groupe arrière, soit le major Jim O'Brien. Il a commencé la réintégration des services de la base et du groupe de soutien que les femmes avaient créé.

Voilà en gros comment a commencé le prédéploiement. Ses débuts ont été difficiles, mais avec le temps nous avons constaté la nécessité de certaines améliorations, qui ont pu être apportées grâce à l'avènement de la structure du groupe arrière.

Pendant le déploiement lui-même, beaucoup de choses se sont produites, et je vais essayer de vous les présenter succinctement. Nous avons retrouvé les services du Centre de ressources pour les familles des militaires. Nous avons commencé à travailler avec le centre, qui s'est mis à soutenir nos programmes. Des discussions ont aussi été entreprises.

Nous avons toutefois maintenu des organisations distinctes en fonction des mess. Le mess des sous-officiers supérieurs et le mess des femmes des officiers ont continué leurs rencontres. Pendant le déploiement, les femmes des militaires du rang ont décidé de se regrouper et de créer leur propre programme.

Le groupe de soutien lui-même a fini par englober tous ces groupes, car nous avons constaté qu'il ne s'agissait plus simplement des familles de Winnipeg. Nous savions qu'une expansion était nécessaire et nous avons intégré les conjointes et les familles—les pères, les mères et les grands-parents—des réservistes. Nous étions désormais présents dans tout le Canada.

Nous avons vu qu'il y avait bien d'autres membres sur la base et des familles de militaires postés à l'extérieur de la Croatie, dans des missions des Nations Unies. Ils se sont mêlés à nous, et le groupe de soutien a continué de croître.

Le bulletin de nouvelles est devenu une des activités principales de notre groupe, parce que nous savions qu'il était essentiel de rester en contact avec les familles.

Le manuel modifié distribué lors du déploiement principal comprenait un exemplaire de notre premier bulletin de nouvelles officiel, le Yugo News. J'ai des copies de chacun de ses numéros. Vous y verrez comment les groupes traitaient des questions qui nous étaient présentées.

• 1655

On a fait circuler un sondage avec le bulletin de nouvelles qui posait les questions suivantes: «De quel genre de soutien avez-vous besoin? Comment voulez-vous rester en contact?» Nous avons reçu des centaines, vraiment des centaines, de réponses, non pas seulement des familles, mais aussi des militaires eux-mêmes, qui souhaitaient que le nom de leur famille soit inscrit sur notre liste d'envoi. Nous avons répondu à chaque lettre et nous avons publié ces commentaires dans les bulletins de nouvelles.

Nous distribuons le bulletin de nouvelles dans tout le Canada, et en mai le tirage continuait d'augmenter. Nous envoyons 1 100 exemplaires chaque mois. On livre en personne, sur la base, 216 exemplaires, et à la moitié de la mission nous recevions des centaines de demandes.

Chaque lettre que nous recevions nous prouvait le besoin de rester en contact non seulement avec les militaires en service, mais aussi avec les familles qui traversaient cette épreuve, ainsi que la nécessité de réduire l'isolement ressenti. C'est devenu l'objectif de notre groupe de soutien. L'isolement est devenu une question importante pour nous. Les membres de certaines familles n'avaient aucune connaissance de la vie militaire ni aucun soutien de la part des militaires. Nous avions des gens aux États-Unis qui ne pouvaient se tourner vers aucun système de soutien. De même pour nos correspondants européens. Le bulletin de nouvelles est devenu pour eux une source précieuse de renseignements.

Le financement nous a été accordé grâce au groupe arrière, ce qui a soulagé les conjointes qui le finançaient jusque-là. Cela devenait une grande préoccupation pour nous.

Les enfants sont une grande préoccupation, et nous en parlons souvent dans notre bulletin de nouvelles, de même que dans le cadre de nos activités. Nous avions des activités pour les enfants, de même que pour les adultes, pendant tout notre programme. À mesure que le déploiement se produisait, nous avons constaté que le nombre de demandes d'aide pour les enfants croissait.

Les enfants écoutaient la télévision. Ils apprenaient aussi par la radio et dans les journaux ce qui se passait; leurs compagnons de classe faisaient des lectures et formulaient des commentaires sur le même sujet. Les comportements étaient difficiles à contrôler pour les familles. Les enfants se faisaient constamment poser des questions en classe: «Qu'est-ce que ton père fait là-bas? Pourquoi tire-t-il sur des gens? Pourquoi l'a-t-on envoyé là-bas?» Nous nous sommes rendu compte qu'il fallait davantage de programmes pour ces enfants, et beaucoup d'écoles ont mis sur pied des programmes de soutien.

L'adjudant Butters, à Calgary, avait un autre groupe de femmes qui constataient que la situation devenait très stressante. Je sais qu'à Calgary il y avait un bon programme.

Vous voudriez peut-être en parler?

L'adjudant-maître Jim Butters (ministère de la Défense nationale): À Calgary, la situation était bien différente de celle du deuxième bataillon à Winnipeg, qui a eu une période de quelques mois pour se préparer au déploiement. J'ai appris par téléphone qu'on m'envoyait outre-mer à peine 10 jours avant mon départ.

Nos familles et nos enfants... Les soldats étaient très contents, très excités à l'idée de se rendre outre-mer, en Croatie, faire leur travail, mais les familles se demandaient comment le ciel avait pu soudain leur tomber sur la tête. Les femmes ne savaient pas quoi faire. Il n'y avait pas de système de soutien à Calgary à l'époque, parce qu'on n'avait jamais encore parlé d'envoyer qui que ce soit de Calgary outre-mer. Les enfants étaient une grande préoccupation.

Nous avons eu de la chance: à Calgary, à l'époque, je dirais que 90 p. 100 des enfants allaient encore à une école fréquentée à 90 p. 100 par des enfants de militaires: la Currie Elementary School. Nous nous sommes donc adressés à l'école et lui avons présenté nos préoccupations: oui, les femmes sauraient s'en tirer, de même que les maris, parce qu'ils sont des adultes et savent s'adapter, à leur façon. Mais les enfants ne comprennent pas. L'école a donc fait venir des spécialistes, des civils, pour parler aux enfants, dans leurs mots, et pour traiter avec eux comme on doit le faire avec des enfants, à leur niveau.

• 1700

Chaque jour, on consacrait une demi-heure à 45 minutes à visionner les nouvelles télévisées et les lettres publiées dans les journaux. On y discutait avec les enfants, pour leur expliquer ce que nous faisions là-bas: «Oui, c'est un endroit dangereux; mais vos parents sont très bien formés, et ils reviendront sains et saufs à la maison.»

Cela a enlevé tout un poids aux femmes et aux maris qui restaient avec les enfants, et le système a bien fonctionné. Cela ne s'est toutefois pas produit qu'à l'initiative des soldats eux-mêmes. Comme je le disais, il n'y avait pas d'éléments de soutien à Calgary à l'époque, parce qu'on n'avait pas prévu qu'un groupe de combat en partirait.

Mme Elise Huffman: L'un des meilleurs programmes a consisté à faire venir dans la classe de leur fille ou de leur fils des militaires en permission, à leur retour. Ils parlaient à la classe. Ensuite, les enfants ont fait des projets auxquels participait toute la classe, plutôt qu'un ou deux enfants, isolément.

Des classes entières ont mené des campagnes de rédaction de lettres ou encouragé les divers programmes mis sur pied par les soldats eux-mêmes, pendant leur séjour en Croatie. En plus de garder les enfants en contact avec les membres de leur famille outre-mer, cela développait chez eux un sens d'appartenance à la classe. Les enfants dans la classe et la collectivité dans son ensemble ont commencé à mieux comprendre les stress vécus non seulement par les familles, mais aussi plus particulièrement par les enfants eux-mêmes.

À mi-chemin, nous avons pensé que ça allait pas mal. La femme d'un jeune caporal-chef avait pris la présidence du groupe de soutien et elle avait plus de bon sens à mon avis que la moitié du commandement de la force terrestre de l'ouest. Elle a eu d'excellentes idées de programmes concrets et de solutions aux problèmes que nous rencontrions et elle les a mis en oeuvre.

Les gens commençaient à dire: «Ça va marcher. On va y arriver; ce sera assez réussi, et la tension restera supportable.» Il y avait plusieurs soldats qui avaient été blessés au début, mais il se trouvait que tout commençait à aller bien. Nous commencions à penser à la fin de cette tournée, aux réunions, à l'accueil au retour, au fait que nous serions tous ensemble.

Puis les médias ont commencé à parler de tensions croissantes en Croatie. Jusque-là, la Croatie était la fierté de la Bosnie, et toutes les nouvelles venaient de la Bosnie, si bien que nous pouvions être assez soulagés en pensant que ce n'était pas là qu'étaient nos maris. Mais quand ils ont commencé à parler très précisément de la Croatie, nous sommes entrés dans l'actualité, et les médias dévoraient tous les renseignements qui sortaient. La tension a commencé à croître.

Ensuite, nous avons eu soudainement l'indication que le bataillon allait quitter le secteur ouest pour se rendre dans le secteur sud. Il est arrivé tellement de coups de téléphone, non seulement adressés à moi, mais à tout le bataillon, que l'on a décidé que l'on allait devoir informer les familles et leur dire ce qui se passait. En fait, on a annoncé une séance d'information le 4 août pour dire que ce déplacement aurait lieu. Que cela poserait certains problèmes. Effectivement ils se rendaient dans une zone plus dangereuse. Qu'il n'y aurait pas de communications au cours de ce déplacement tant qu'ils ne seraient pas installés dans le Sud, mais que tout allait bien se passer.

Le groupe de soutien en est sorti en disant que tout allait bien. Puis, le 6 août, tout a tout d'un coup semblé s'écrouler. On a appris la mort du caporal Béchard, et j'y reviendrai un peu plus tard.

La séance d'information a bien marché. Le groupe de soutien déménageait aussi. Nous avions été transférés des domiciles au couloir du gymnase principal, puis dans un ancien entrepôt, pour nos réunions et nos centres d'accueil, et nous nous sommes finalement retrouvés dans une ancienne salle de classe. Nous nous sommes installés là suffisamment longtemps pour créer un centre d'information que l'on a signalé à tout le monde lors de la séance d'information.

Un des principaux problèmes que nous allions rencontrer était d'obtenir des renseignements exacts, et les médias nous inquiétaient particulièrement. Le sensationnel se vend, et les manchettes nous ont accablés durant toute cette période.

• 1705

Plus ils se rapprochaient de la Croatie et nous racontaient ce qui se faisait, plus notre tension montait. Nous n'avons qu'un moyen de contrôler ce que font les médias, mais nous devrions certainement apprendre à les interpréter et à les comprendre mieux. C'est une des principales leçons que nous avons retirées de cette expérience.

La désinformation et les inexactitudes dans les reportages ont été à l'origine de beaucoup de tension dans les familles. Chaque fois qu'ils mentionnaient le deuxième bataillon sans préciser lequel, les Royals ou les Patricias, les téléphones ne dérougissaient plus. Nous leur avons demandé d'être plus précis. Nous avons également conseillé aux familles de retourner aux centres de soutien, où on les renseignerait.

Pour les inexactitudes durant les congés... Quand j'ai retrouvé mon mari à Toronto, nous étions dans ma famille. Je prenais le petit déjeuner avec ma maman ce matin-là, et elle m'a remis très calmement la première page du Toronto Star en me disant de la lire. J'ai jeté un coup d'oeil, mais je ne comprenais pas pourquoi elle voulait que je la lise, jusqu'au moment où je suis arrivée à un petit article en première page qui parlait d'un officier tué en Croatie.

J'ai donc lu l'article et lui ai dit très calmement: «Excusez-moi un instant, je vais descendre parler à cet officier.» Je suis descendue et l'ai réveillé doucement en lui disant: «Excuse-moi, mon cher, mais y a-t-il quelque chose que tu as oublié de me dire?» Il s'agissait donc d'informations totalement erronées. Il n'était même pas là-bas au moment de cet incident.

Évidemment, j'ai immédiatement téléphoné à Winnipeg. Tout le monde appelait partout pour essayer de savoir où j'étais et si j'avais ou non disparu de Winnipeg non pas pour aller retrouver mon mari en permission, mais pour aller l'enterrer ou aller le voir à l'hôpital. L'effet des médias sur notre groupe était quelque chose dont il fallait toujours tenir compte.

Je reviens aux décès. Comme je le disais, après la séance d'information que nous avions eue le 4 août pour rassurer les familles et leur dire que ce déplacement ne mettrait pas nos soldats ni la mission en danger, le caporal Béchard est mort le 6. J'ai reçu un appel à minuit de l'officier commandant le groupe arrière. Il me demandait d'aller voir l'adjudant et l'aumônier chez Amy, parce que Amy était membre de notre groupe de soutien. Je suis allée les voir et passer le reste de la soirée à m'occuper d'elle et de sa famille ainsi que de leur jeune bébé, Janessa. Nous avons parlé de ce que nous allions faire et de la façon dont nous allions l'aider.

Au lever du jour, je suis rentrée chez moi et ai commencé à téléphoner aux familles pour leur apprendre ce qui s'était produit. Les jours suivants, tout le monde était en état de choc. Nous ne savions que faire ni comment prendre la chose, et, évidemment, le fait qu'on nous ait dit quelques jours avant que tout allait bien se passer n'aidait pas du tout.

Par chance, tout le monde s'est entraidé. On ne s'occupait pas simplement d'Amy, mais de tout le monde. Nous avons traversé toute cette période des funérailles, puis nous sommes revenus à la réalité en nous demandant s'ils allaient tous revenir. Nous avons compris qu'il fallait se serrer les coudes, s'occuper des enfants, s'occuper de nous tous et penser au retour.

Les choses se sont passées comme cela jusqu'à la poche de Medak. Le téléphone a recommencé à sonner et la tension à monter. Cette fois, les coups de téléphone venaient du monde entier. Nous avions de la famille et des grands-parents en Irlande; cela venait de la Californie, de la Floride et de tout le Canada. Il nous a fallu faire face à nouveau à cette situation et rassurer tout le monde. Des lettres, des communiqués de presse et des séances d'information ne suffisent pas à rassurer une femme ou une mère qui est au bout du fil et demande ce qui se passe. Le contact par la voix est absolument essentiel. Les femmes qui s'en chargeaient le faisaient de leur propre chef, à titre bénévole.

Nous avons traversé cette période, puis ce fut la mort de Jim Decoste, le 18 septembre. J'ai reçu un appel à midi me demandant d'aller voir l'adjudant et l'aumônier chez Jan. Jan était une bonne amie. Malheureusement, l'adjudant et l'aumônier étaient en retard, et Jan m'a vue les attendre avant d'arriver chez elle. C'est une situation très rare, mais j'ai dû lui dire que Jim ne rentrerait pas. Pour moi, ce fut extrêmement traumatisant, et j'espère n'avoir jamais à refaire cela.

• 1710

Tout le monde fut totalement démoralisé. Nous avons dû déployer des efforts énormes pour essayer de remonter le moral de tous. Ce soir-là, après avoir quitté Jan, je devais aller à une réunion avec les femmes des officiers. J'y suis allée, et nous avons parlé; nous avons essentiellement eu une séance de counselling pour personne affligées. Aucune d'entre elles ne réussissait à me regarder dans les yeux quand je leur ai dit qu'il nous fallait poursuivre. Nous nous sentions extrêmement coupables d'avoir chacune d'abord pensé: «Ouf! ce n'est pas mon mari.»

La mort de Jim a eu un effet très profond sur nous tous, et les hommes sur place ont été très frappés par ces deux morts. En fait, il y en a eu trois, parce que six jours seulement avant le décès de Jim, nous avions eu d'autres funérailles, celles du caporal Paul Delmore. Ce jeune soldat s'est suicidé, et une des choses qui nous ont terriblement bouleversés, c'est qu'il était revenu de la mission précédente. La grande question que se posaient les familles était de savoir ce qui s'était passé là-bas pour qu'il soit poussé à faire cela.

Sa maman est venue de Toronto, et, là encore, nous avons dû essayer de consoler cette femme, qui était touchée, mais qui n'était pas directement engagée. Nous pensions être à peu près remis quand Jim est mort.

Peu après, il nous a fallu essayer de parler du moment où tout le monde serait réuni, et ce fut très difficile. Nous avions des survivants—le capitaine Rick Turner et sa femme Kathy. Non seulement Rick était dans le véhicule dans lequel Jim Decoste est mort, mais il avait été aussi avec le caporal Béchard. Sa femme était inconsolable, et sa famille était complètement déchirée parce qu'il avait été touché de si près. Il était vivant, mais il avait été terriblement traumatisé, et elle aussi.

Nous avions d'autres survivants, nos maris. C'était sur eux que nous devions maintenant concentrer nos efforts; c'était eux que nous devions confier à Dieu pour qu'il nous les ramène. Il y avait aussi ceux qui vivaient près de nous. Il nous fallait nous occuper des enfants, leur dire: préparons-nous, ils vont rentrer. Nous nous sommes donc lancés dans des préparatifs pour ce retour sans égal. Pour nous, c'était un mécanisme de survie.

C'est là que prit fin le déploiement, quand ils ont commencé à rentrer et qu'il n'y avait plus de victimes, du moins le pensions-nous.

Après quoi nous avons eu le retour. Quoi que vous fassiez pour vous préparer à ce retour à une situation normale, cela entraîne toujours des tensions énormes. Nous essayons de préparer tout le monde, mais c'est très difficile.

Un des gros problèmes, c'était que toutes ces personnes qui s'étaient tellement occupées de toutes les familles quittaient ces organisations de soutien pour reprendre leur vie de famille. Très vite après le retour, toutefois, la tension a recommencé à croître. Il y avait un vide. Il n'y avait plus rien sur quoi se reposer, et c'est devenu très évident, parce que ceux qui s'occupaient des autres avaient besoin d'aide. Ce fut l'un de nos plus gros échecs. Nous avons beaucoup aidé les soldats à raconter, à raconter les incidents critiques mais il ne restait rien pour les femmes et les membres de la famille, et en particulier pour les femmes qui aidaient tellement.

La névrose post-traumatique dont on a entendu parler dans bien des cas à propos des soldats était quelque chose de réel, et nous avons pas mal de soldats qui en ont souffert. Mais les victimes cachées de cette névrose post-traumatique se trouvaient parmi les membres des familles. Les gens ne veulent pas reconnaître qu'ils en souffrent, mais il est très important de savoir que nombreux sont ceux qui en souffrent. On ne fait pas assez à ce sujet.

Il m'a fallu quatre ans pour comprendre que j'avais perdu la principale doctrine de notre groupe de soutien, qui est de rester en contact. Quand j'ai commencé à me retirer et à avoir du mal à dormir et que j'ai enfin compris que quelque chose n'allait pas, j'ai demandé de l'aide. Ce que l'on m'a répondu, c'est qu'on était trop occupé parce qu'il fallait d'abord prendre soin des soldats. On m'a envoyé une enveloppe avec une liste de noms et d'adresses et de numéros de téléphone de thérapeutes locaux qui pourraient m'aider, en indiquant le tarif horaire. J'étais si furieuse que je ne suis pas retournée les voir avant quatre ans, quand j'ai compris que ça n'allait toujours pas.

• 1715

J'ai fini par aller parler à une femme, pour lui donner un bref résumé de ce qui s'était passé. La première chose qu'elle m'a dit, c'était: «Eh bien, où est votre médaille?» Je me suis dit: j'aime bien cette dame.

Je la vois maintenant régulièrement, parce que l'on a découvert que je souffrais de troubles de stress post-traumatique. Quand je regarde autour de moi, je pense aux conversations que j'ai eues avec d'autres épouses. Je ne pense pas être la seule, mais je suis peut-être la seule à recourir au counselling. Il faut que cela change.

Ma dernière diapositive résume ce que nous avons appris. Il faut adopter une attitude d'utilisation ou d'élimination dans le cas des centres de ressources familiales, et il faut donner un appui à ces centres. Peu importe qu'on s'en serve, c'est réconfortant de savoir que cela existe. Cette idée que l'on finance quelque chose uniquement si c'est nécessaire ne fonctionne pas dans le cas des familles. Il faut un soutien continuel. Il faut un financement continuel.

La majorité des personnes visées sont les épouses. Dans la plupart des cas, il s'agit de bénévoles qui deviennent victimes de ce bénévolat. Il leur faut cet appui et il leur faut l'aide de professionnels qui leur offrent des programmes. Il ne faut pas que ce soit simplement un appoint.

Il faut désigner des sommes à l'intention des centres de ressources familiales, car ces centres font du travail formidable, mettent sur pied des programmes, suite en grande partie à ce qui s'est passé au cours de cette période de service, mais il leur faut le financement nécessaire pour continuer. Il leur faut ce financement pour maintenir des activités quotidiennes, car il ne se passe pas un jour sans qu'un conjoint soit affecté à l'étranger, et cela a des conséquences pour les membres de sa famille.

Pour ce qui est de maintenir les contacts, les réservistes sont vraiment passés entre les mailles du filet. Nous avions au sein de notre propre petit groupe un certain soutien, mais aussitôt que les jeunes soldats sont rentrés chez eux, dans leur région, où il n'y avait aucun groupe militaire semblable pour comprendre ce qu'ils avaient vécu, aucun groupe avec lequel les membres des familles pouvaient communiquer et chercher réconfort, ils ont été isolés, et c'est toujours ainsi aujourd'hui.

Tout cet exposé sur la poche de Medak devrait être envoyé à toutes les unités afin que non seulement les membres des unités voient ce qui a été fait, mais que les familles aussi voient ce que leurs fils et leurs filles ont vécu pour tenter de trouver des solutions. Afin de maintenir le contact, il faut maintenir la liaison entre les bases et les unités de soutien, ce qui permettrait de mettre en place une fondation qui pourrait servir de point de départ, au lieu de toujours devoir recommencer à chaque période de service.

J'aimerais vous en dire beaucoup plus, mais je sais que je ne peux le faire. Je tiens simplement à vous remercier et à vous dire qu'en ce qui concerne les solutions que vous trouverez pour les familles, n'oubliez pas que c'est nous qui devrons nous en accommoder.

Je ne saurais vous dire combien de fois il y a eu des discussions, des réunions, des rapports et des auditions. On a examiné chacune de ces questions par le passé. Nous tenons à vous remercier, dans l'espoir que cette fois-ci les problèmes d'aujourd'hui ne seront pas ceux de l'an prochain.

Le président: Merci. Je vous remercie tous les deux pour vos exposés, qui étaient des plus intéressants.

Il nous reste environ 11 ou 12 minutes. Nous pouvons entreprendre une très brève période de questions, si les membres du comité le souhaitent.

Monsieur Benoit—des questions très brèves, je vous en prie.

M. Leon E. Benoit (Lakeland, Réf.): Merci, monsieur le président, et merci à vous deux pour vos exposés.

Colonel, j'aimerais vous poser une question pour obtenir un peu plus d'informations sur une chose dont vous avez parlé. Vous dites qu'après en être venu à une entente avec le commandant croate en vue d'établir un site de franchissement entre les lignes croates et serbes... que cette entente était intervenue vers les 2 heures du matin?

Col Jim Calvin: L'entente est probablement intervenue vers 22 heures.

M. Leon Benoit: Vers 22 heures. Et vous avez accepté d'attendre jusqu'à midi le lendemain avant de franchir la ligne.

Plus tard, vous avez appris... vous avez vu de la fumée, etc., et vous avez compris qu'une opération de purification ethnique était en cours. En vous approchant, vous avez vu des preuves de cette purification. Auriez-vous pu faire quelque chose pour tenter d'empêcher que cela ne se produise?

• 1720

Col Jim Calvin: D'après mon jugement, fondé sur les considérations militaires, il n'y avait pas grand-chose que nous pouvions faire. Nous ne pouvions pas, à moins de lancer une attaque en règle, un assaut au grand jour, en utilisant toutes les ressources dont nous disposions... Il ne faut pas se leurrer, nous étions surclassés par les Croates. Ils disposaient de chars d'assaut; nous n'en avions pas. Ils avaient de l'artillerie; nous n'en avions pas. Ils avaient des mortiers; nous n'en avions pas. Ce que nous avions de plus puissant, c'était des armes antichars MWO Butters, qu'on ne peut vraiment pas utiliser en se déplaçant. C'est une arme à utiliser d'une position défensive, à l'arrêt.

Monsieur, je dirais que non, nous devions nous en remettre aux Croates pour qu'ils nous permettent de nous rendre sur place avant de pouvoir faire quelque chose. Nous ne pouvions pas faire grand-chose sur le plan offensif.

M. Leon Benoit: Pouvez-vous nous donner une idée de la structure de commandement? Était-ce votre décision exclusivement, ou est-ce que quelqu'un d'autre a pris la décision?

Col Jim Calvin: De quelle décision parlez-vous, monsieur?

M. Leon Benoit: Tout d'abord, la décision d'attendre midi, l'entente intervenue, mais également la décision de ne rien faire au sujet de la purification ethnique. J'essaie d'avoir une idée des pouvoirs qu'on vous avait donnés dans les circonstances. Aviez-vous les pleins pouvoirs?

Col Jim Calvin: Lorsque je me suis rendu à la réunion à Gospic, je n'étais pas le principal représentant des Nations Unies. Le colonel Maisonneuve, la personne qui était venue de Zagreb comme représentant du général Cot, était le principal représentant des Nations Unies à la réunion. J'étais le principal tacticien, mais c'est lui qui s'en est chargé.

Nous avons évidemment exercé des pressions pour qu'on accepte 8 heures le matin comme point de départ, puisqu'il faut voir d'abord où vous allez pour traverser. Les Croates ont réussi à faire valoir à la réunion qu'il leur fallait jusqu'à midi pour transmettre l'ordre de retrait à leurs soldats. C'est pourquoi on s'est entendu pour midi. Une fois cela décidé, je n'avais aucune latitude pour apporter des modifications à mon niveau.

M. Leon Benoit: Une fois la décision prise, vous n'aviez pas... Vous ne disposiez donc pas à ce moment-là du pouvoir d'intervenir si vous aviez décidé de faire quelque chose au sujet de la purification ethnique? Je ne prétends pas qu'il fallait ou non intervenir. Qu'en sais-je? Mais qui avait le pouvoir nécessaire pour prendre une telle décision à ce moment-là?

Col Jim Calvin: À ce moment-là, je dirais que si j'avais décidé que c'était nécessaire et que je pouvais le faire, j'aurais dû consulter deux personnes: le colonel Maisonneuve, à Gospic, de façon à ce qu'il sache que j'avais changé ce qu'il avait convenu la veille, et probablement mon commandant de secteur, le général français Baudot, à Knin. Il m'aurait fallu prévenir ces deux personnes si j'avais décidé d'apporter des changements à ce qui avait été convenu la veille.

M. Leon Benoit: Très bien

Le président: Avez-vous presque terminé?

M. Leon Benoit: J'ai encore des questions à poser.

Col Jim Calvin: Il faut absolument mettre fin à la séance à 17 h 30, parce que...

Le président: J'y venais justement. La réunion se termine officiellement à 17 h 30, mais si vous le voulez bien et si des collègues veulent rester plus tard et vous poser des questions, je suis disposé à rester pour m'assurer que tous auront le temps de poser leurs questions.

Col Jim Calvin: À l'origine, nous pensions qu'il s'agissait d'une réunion de trois heures, et il y a au moins un autre membre des forces armées ici qui aimerait faire une déclaration, monsieur. Je comprends que nous avons peut-être pris un peu plus de temps que prévu, mais on nous avait dit à l'origine...

M. Bob Wood (Nipissing, Lib.): Vous êtes ici...

[Note de la rédaction: Inaudible] Allez-y.

L'adjudant-chef Mike McCarthy (ministère de la Défense nationale): Je ronge mon frein.

M. Bob Wood: Je le sais, et j'attends votre déclaration.

Le président: Nous allons laisser M. Benoit finir, et ensuite nous vous reviendrons, monsieur. Rapidement.

M. Leon Benoit: Merci, monsieur le président.

Je crois savoir qu'une partie des forces françaises sont parties avant cet incident. Était-ce prévu depuis longtemps, ou est-ce que cela s'est produit pour une autre raison?

• 1725

Col Jim Calvin: Le bataillon des forces armées françaises était sur place depuis le début de la FORPRONU. En janvier 1993, les Croates avaient entrepris une attaque semblable. À l'époque de cette première attaque, les Serbes avaient leurs armes dans des sites de cantonnement des NU et sous contrôle des NU, et donc ils étaient essentiellement sans défense. Lorsque les Croates ont attaqué en janvier 1993, les Nations Unies n'ont pas défendu les Serbes, et parce qu'ils les avaient désarmés, les Croates se sont rendus maître des Serbes, et les Nations Unies les ont regardés faire.

À la suite de cette opération, le bataillon français dans ce secteur avait perdu toute crédibilité auprès des Serbes. Ceux-ci refusaient de traiter avec eux, de leur parler, de leur faire confiance, de les laisser avancer, et même d'observer où se trouvaient leurs lignes de déploiement avancées. C'est l'une des principales raisons du changement que le général Cox a fini par devoir faire en déplaçant le bataillon français pour que nous le remplacions et tentions de regagner de la crédibilité. Voilà ce que nous tentions de faire en septembre 1993 lorsqu'on nous a ordonné de nous rendre à Medak.

Dans l'ensemble, d'après les rapports qui sont sortis après notre départ de ce théâtre, une fois notre opération terminée, les Serbes avaient une grande foi et une grande confiance dans ce que les Canadiens avaient fait, parce que nous avions agi de façon impartiale. Nous n'étions pas pour eux, mais nous n'étions certainement pas de l'autre côté non plus; nous avons agi comme de vrais Casques bleus.

M. Leon Benoit: Si vous pouviez prédire qu'il y aurait probablement le même genre d'opération militaire, la même situation accompagnée d'un niveau semblable de tension, que répondriez-vous à ces deux questions: pensez-vous que le Canada doit à nouveau faire face à ce genre de situation dans le cadre des forces des Nations Unies, et deuxièmement, pensez-vous maintenant que les Forces canadiennes seraient équipées correctement et beaucoup mieux afin de faire face à ce type de situation?

Col Jim Calvin: Je vais d'abord répondre à la première partie de votre question. Et il s'agit de mon opinion, mais c'est également l'opinion des autres Casques bleus qui étaient là. Je pense que pour ce qui est de la réputation le Canada se situe toujours parmi les trois ou quatre pays les mieux cotés. Lorsqu'il y a quelque chose de difficile à faire, il y a toujours quelques pays auxquels on peut s'adresser.

En réponse donc à votre première question, tout à fait; s'il y a une mission dangereuse, je crois que nous avons des sous-officiers et des soldats qui possèdent le niveau approprié de formation. Certains de nos sous-officiers sont sur un pied d'égalité avec les officiers d'autres pays. Soyons très francs. Nous possédons d'extrêmement bons sergents, d'extrêmement bons adjudants et d'extrêmement bons sergents-majors. Nos officiers sont extrêmement bons, sur le plan tactique, et donc, très certainement, nous pourrions, à la lumière de notre formation, entreprendre toutes les tâches difficiles.

En ce qui concerne l'équipement, il y a certainement des choses que j'aurais préféré avoir lorsque j'ai traversé Medak. Une partie de l'équipement que nous obtiendrons au cours des prochaines années, surtout les nouveaux transports de troupes blindés—à condition qu'on nous accorde tout ce qu'on va acheter—remédiera à nos lacunes actuelles pour ce qui est des systèmes d'armes à tir direct. La solution, ce n'est pas une mitrailleuse sur pivot de .50 millimètre, mais un canon de 25 millimètres comme ceux que nous achetons, et si on nous accorde les 650 qu'on va se procurer au cours des prochaines années, cela éliminera certains problèmes.

M. Leon Benoit: Au cours des quelques prochaines années, mais dans un mois d'ici, dans deux mois?

Col Jim Calvin: Monsieur, nous disposons de ce que nous avons, et il nous faudra compenser ce que nous avons maintenant par peut-être...

M. Leon Benoit: Il s'est écoulé quatre ans.

Col Jim Calvin: ... une formation supplémentaire et de meilleurs tacticiens. La volonté d'un soldat de faire son travail demeure plus importante que son équipement, monsieur. Si vous pensez pouvoir faire du bon travail, il arrive que vous puissiez trouver des façons créatrices de surmonter la difficulté que pose votre équipement. Si vos soldats n'ont pas cette volonté, la réponse, ce n'est pas de leur donner un meilleur équipement. Toutefois, il faut quand même un équipement de base. Tout à fait.

Le président: Merci, monsieur Benoit.

Adjudant-chef Mike McCarthy, vous avez un mémoire.

Adjuc Mike McCarthy: Merci beaucoup. Je sais que nous sommes ici depuis un certain temps. Je tenterai d'être le plus bref possible. Comme le colonel l'a mentionné, j'étais le SMR de l'unité déployée, et à ce titre j'estime qu'il est de mon devoir et que j'ai la responsabilité de parler au nom des soldats.

Où me suis-je renseigné? L'an dernier, j'ai travaillé au commandement des forces terrestres, pour le général Cox, comme inspecteur du commandement, et à ce titre j'ai eu l'occasion de me rendre à trois ou quatre reprises dans la plupart des bases au Canada et de parler à certains des soldats des forces régulières et de la réserve déployés avec nous. Ils m'ont fait part de leurs préoccupations. Pour certains des points que je vais donc présenter, je ne fais que me faire l'écho de ce qu'ils ont déjà dit, ou j'y ajoute quelque chose.

• 1730

Le premier aspect que je souhaite aborder, que j'estime très important, c'est la reconnaissance des réservistes et de leur impact sur cette opération particulière. Je vais également parler du manque de reconnaissance de l'unité, un autre élément important. Voilà les principaux points que j'ai entendus dans mes voyages au Canada depuis un an.

Dans cinq mois, ce sera le cinquième anniversaire de cette opération. J'y pense, et il me semble que c'était hier. Mais cela fera cinq ans. Si je soulève cet aspect, c'est que, comme nous le savons tous, il est ressorti ces dernières années que lorsque ça va mal dans le milieu militaire, des correctifs sont apportés rapidement, équitablement, etc. Nous l'avons vu. J'aimerais que l'on ait ce même empressement lorsque ça va bien. Or, ce n'est pas ce qui s'est passé, et cela fait cinq ans.

Ce serait bien si l'on rétablissait un peu l'équilibre. Or, ce n'est pas le cas. Comme vous pouvez le voir, comme SMR, je ne suis pas très diplomate. Je dirai les choses telles qu'elles sont ici aujourd'hui, et voilà.

Le colonel a mentionné les 44 p. 100 dans la réserve et pourquoi c'était efficace, mais je pense qu'il est important que vous en compreniez le pourquoi. J'aimerais ajouter un peu à ce qu'a dit le colonel.

Pour la plupart, c'était un peu alarmant. Nous ne savions pas dans quel type d'opération nous nous lancions. Les mots les plus importants étaient «confiance» et «leadership», ainsi que des compétences de soldats—la confiance, d'un bout à l'autre. C'est ce qu'il nous fallait—la confiance du soldat envers le chef, qu'il fait preuve de leadership. Nous avons passé deux ou trois mois à nous entraîner constamment, à nous entraîner intensément, et c'est ainsi que nous avons gagné cette confiance, les chefs envers les soldats, et les soldats envers les chefs. C'est important. Si vous vous lancez dans une telle opération sans cela, vous allez éprouver de graves difficultés. Est-ce que ce type est bon, est-ce qu'il ne l'est pas? Il vous faut avoir cette confiance. Et c'est pourquoi l'opération s'est bien déroulée, parce que la confiance régnait.

J'ai appris certaines choses avec les réserves. Je pense qu'en ce qui concerne le PIR O, le Programme d'intégration à la réserve—officiers, nous nous en tirons très bien. Nous avons gagné beaucoup de terrain. S'il a une bonne formation, s'il reçoit les bonnes instructions et s'il est bien dirigé, le soldat fera exactement ce à quoi on s'attend.

Là où nous devons faire des efforts, là où nous avons des difficultés réelles, c'est au niveau des sous-officiers supérieurs, c'est-à-dire les sous-officiers au sein des réserves. Dans de nombreux cas, il s'agit de jeunes très intelligents, mais ils n'ont tout simplement pas d'expérience. Ils n'ont pas d'expérience de leadership. Ils ne possèdent pas cette expérience qu'ont les sous-officiers des forces régulières. De nombreux sous-officiers qui ont suivi la formation parce que nous allions les intégrer dans les forces régulières ont été refusés parce qu'il leur manquait ce leadership. Il nous faut le reconnaître, et il faut intervenir à ce niveau. Les officiers et les soldats s'en tirent très bien. Il y a des réservistes ici qui, s'ils le souhaitent, pourront s'attarder sur la formation.

Élève-officier Scott Leblanc (ministère de la Défense nationale): Pour ma part, je me suis enrôlé en 1992, après environ un an dans la réserve. Dans le cas de la réserve, vous vous présentez les fins de semaine et vous vous entraînez; ce n'est pas beaucoup de formation... surtout pour moi; j'étais dans l'artillerie.

Donc, en 1993, lorsque j'ai commencé l'entraînement en janvier, je m'attendais à un poste dans l'infanterie, ce qui est tout à fait différent. Il faut apprendre toutes les tactiques, toutes les armes. Nous avons donc suivi trois mois de formation, et tout l'argent dépensé pour la formation a même suscité beaucoup de controverse, surtout lorsque nous sommes allés en Californie, ce qui était essentiel, parce qu'il est assez difficile de pratiquer son tir à Winnipeg, dans la neige. On ne peut pas atteindre l'efficacité et l'intensité. Donc, la formation là-bas, très réaliste—du tir réel—était très importante, puisque vous gagniez ainsi la confiance en vous-même et en vos collègues.

En septembre 1993, il nous a fallu réellement utiliser ces tactiques et toutes les connaissances apprises au cours des trois mois de formation. Sans l'intensité de la formation, nous y serions peut-être restés, mais heureusement nous avions tous reçu une formation très poussée et nous nous en sommes sortis. Pour moi, la formation acquise à Winnipeg était essentielle.

• 1735

Adjuc Mike McCarthy: J'aimerais en dernier lieu aborder la reconnaissance de l'unité. Vous avez vu à l'écran ici aujourd'hui que l'on a reconnu, à juste titre, des individus. Il faut se rappeler qu'un grand nombre d'entre eux ont obtenu une médaille, pour bravoure, ou une mention dans les dépêches, grâce à la performance de leurs subordonnés, et voilà l'élément essentiel. Or, nous n'avons pas reconnu la valeur de l'unité.

J'aimerais vous ramener un peu en arrière, à l'époque où je travaillais l'an dernier au commandement des forces terrestres. On m'a demandé ce que je considérais comme une bonne recommandation en vue de reconnaître cette unité et sa performance. Après y avoir dûment réfléchi, j'ai donné ma recommandation.

Tout récemment, j'ai eu l'occasion de lire la recommandation du commandant des forces terrestres, le général Leach. Je dois reconnaître que le colonel Leach et son état-major ont présenté une excellente recommandation à l'intention de cette unité. Il s'agit d'un général trois étoiles, un commandant de l'armée, qui a présenté une recommandation exceptionnelle concernant les réalisations de l'unité. Essentiellement, nous espérions avoir un bandeau ou une banderole sur notre étendard, pas à même l'étendard, mais une banderole au nom de Medak, et la citation du gouverneur général. C'est semblable à ce que je porte ici, la mention élogieuse du chef d'état-major de la Défense, avec peut-être des étoiles ou autre chose au centre. Nous avons pensé que c'était formidable.

Le général a donc envoyé la recommandation au président du comité des Forces canadiennes sur les distinctions honorifiques. Je dois vous dire que j'ai lu la lettre que le président de ce comité a transmise à ses membres, et j'aimerais faire respectueusement remarquer qu'à mon avis il a raté une belle occasion ici.

M. Leon Benoit: Une précision; puis-je vous demander qui est le président de ce comité?

Adjuc Mike McCarthy: Le président est le général Dallaire, qui a envoyé une note de service à ses membres dans laquelle il réduisait la recommandation à une citation offerte par le ministère. Je pense que nous ratons vraiment une occasion en or, et je vais vous expliquer pourquoi.

Tout d'abord, je pense que nous avons une obligation à l'égard de nos anciens combattants au Canada, ceux de la Corée, ceux de la Seconde Guerre mondiale, qui au cours des deux dernières années n'ont vu que des critiques dans les journaux à la suite de nos activités à l'étranger. Voici l'occasion de montrer quelque chose d'élogieux. Nous avons une obligation à leur égard. Ils nous ont bien servis, ils ont bien servi le Canada, et il faut que cela se sache.

Je pense que nous le devons aux Forces canadiennes, qui ont subi beaucoup de critiques à l'étranger. Je pense que cela va bien maintenant auprès de la population canadienne, à cause du verglas au Québec et en Ontario et des inondations à Winnipeg. Je pense que nous commençons à avoir une vision. Mais ce nuage demeure en ce qui concerne les activités à l'étranger... je pense que c'est ce qui compte ici.

Nous avons ici une excellente occasion, à l'échelle internationale, en ce qui concerne les Français, les deux compagnies qui relevaient du commandement d'un colonel canadien. Nous avons une obligation à leur égard. Je pense que nous allons laisser passer quelque chose de vraiment étonnant. Je le répète, avec tout le respect que je dois au général, je pense que nous ratons la cible ici.

La dernière chose que j'aimerais mentionner, c'est que cette unité, le 2e bataillon, a une histoire formidable. Je vais m'en tenir à deux opérations postérieures à la Seconde Guerre mondiale, la première en Corée, dans les années 50, Kap'yong, et la deuxième, évidemment, en Yougoslavie, l'opération de la poche de Medak. La reconnaissance.

Dans le cas de l'opération Kap'yong, en Corée, vous verrez ici un ruban bleu, mesdames et messieurs. C'est le ruban présidentiel qui a été accordé à cette unité. C'est la seule unité au Canada à avoir reçu cette distinction du président des États-Unis.

• 1740

En deuxième lieu, évidemment, vous avez vu que le général Cot, le commandant de la FORPRONU, a reconnu l'unité et lui a donné une citation.

Je vous demande de regarder au bas: le Canada, rien. Il n'y a absolument rien. Nous pouvons faire quelque chose à ce sujet. Nous pouvons prendre l'initiative. Nous pouvons faire quelque chose pour les Français, nous pouvons reconnaître leur travail. Nous avons une dette à l'égard de ces gens, à l'égard de nos soldats, à l'égard du gouvernement.

Merci beaucoup.

Le président: Merci.

Y a-t-il quelqu'un d'autre qui souhaite faire un exposé? Y a-t-il d'autres témoins?

Col Jim Calvin: Monsieur le président, il y a une chose que je n'ai pas mentionnée au cours de mon introduction. Je sais qu'on s'intéresse beaucoup aux troubles de stress post-traumatique, mais nous avons également un soldat ici, le sergent Byrne, qui à son retour a appris qu'il souffrait de troubles de stress post-traumatique. Il serait disposé à répondre à des questions sur les effets qu'ont les déploiements à haut niveau de stress sur les personnes.

Le président: Merci.

Monsieur Wood, vous avez une question.

M. Bob Wood: J'ai deux ou trois brèves questions à poser, car j'ai déjà posé quelques-unes de ces questions auparavant lorsque j'ai participé à cette séance d'information. J'ai noté rapidement quelques points ici.

Colonel, vous parlez de personnel dont la formation est incomplète. C'est ce que vous avez dit au cours de votre exposé. J'oublie le contexte, mais je suppose que je vais pousser cela plus loin et parler de formation avec l'adjudant-chef McCarthy. Nous en avons dit quelques mots au sujet des réservistes, mais pourriez-vous nous expliquer un peu plus avant comment, à votre avis, les réservistes dans votre unité réagissent à la formation qu'ils ont reçue en si peu de temps?

Adjuc Mike McCarthy: Pouvez-vous répéter, notamment la dernière partie?

M. Bob Wood: Je voulais avoir votre opinion sur l'entraînement suivi par les réservistes.

Adjuc Mike McCarthy: Avant le déploiement?

M. Bob Wood: Oui; dites-nous ce que vous pensez de l'entraînement suivi par les réservistes dans votre unité. Je sais que Scott a dû faire face à un feu nourri et à des situations insolites.

Adjuc Mike McCarthy: Je sais que, compte tenu de l'entraînement que nous avons organisé, peu importait que les réservistes interviennent ou non. Il fallait faire le même entraînement de toute façon. Comme l'a dit le colonel, il est très, très important de s'entraîner en fonction du pire scénario. Le pire scénario, c'est qu'on subisse effectivement le feu de l'ennemi; il faut alors que la section ou le peloton puisse réagir en effectuant des manoeuvres au feu. C'est ce sur quoi nous nous concentrons.

Nous comprenons tous que la présence de femmes dans les unités de combat constitue un sujet très délicat, mais je peux vous dire que j'avais deux femmes réservistes dans les sections qui ont participé à cette opération, dont une capitaine qui occupait le poste d'officier des opérations dans une compagnie. Elles se sont très bien comportées. Elles ont suivi notre camp d'entraînement et ont fait leurs preuves. Elles sont allées sur le théâtre des opérations en tant que membres d'une section de voltigeurs.

Mais pour en revenir à votre question, l'entraînement n'était pas différent pour les réservistes. Ils ont fait le même entraînement que nous. Ils se sont très bien comportés.

Le problème, comme je l'ai dit, ce sont les sous-officiers, qui n'ont pas obtenu de très bons résultats lors du processus de sélection, non pas parce qu'ils étaient moins brillants que les autres, mais simplement parce qu'ils n'étaient pas aguerris. Ils n'avaient jamais fait l'expérience du leadership.

Cela étant dit, ils ont tous baissé d'un rang, pour ainsi dire, et se sont retrouvés commandants adjoints de section au sein d'une section; ils ont donc participé à l'opération, mais non pas au niveau qu'ils souhaitaient. Ils n'en étaient pas capables. Nous n'avons pas pu leur donner une telle responsabilité, sachant que le pire scénario risquait de se réaliser.

M. Bob Wood: À votre avis, est-ce un problème fréquent parmi les réservistes?

Adjuc Mike McCarthy: Oui, absolument.

M. Bob Wood: Que peut-on y faire?

Adjuc Mike McCarthy: C'est bien difficile. Je pense que pour la formation des sous-officiers supérieurs, on pourrait les faire participer plus souvent aux grandes manoeuvres avec les forces régulières, en donnant à un commandant de section réserviste le commandement d'une section des forces régulières sous la tutelle d'un commandant de section des forces régulières. Voilà ce qu'il faut faire. Mais dans la situation actuelle, nous avons toujours un problème sérieux. Il n'est pas résolu.

• 1745

Le capitaine Tyrone Green (ministère de la Défense nationale): L'une des difficultés, en particulier lors des déploiements précédents—c'est peut-être un peu moins vrai actuellement—c'est qu'une grande partie de l'entraînement avant le déploiement était consacrée à faire atteindre une norme minimale aux soldats de la réserve, de façon qu'ils puissent faire aussi bien que leurs homologues des forces régulières en ce qui concerne les aptitudes essentielles des fantassins. Une bonne partie de cet entraînement peut se faire avant que les réservistes n'intègrent un bataillon des forces régulières.

Cela laisse plus de temps, compte tenu des délais très serrés qui nous sont généralement impartis, pour assurer la cohésion au sein des sections et pour que tous suivent le même niveau d'entraînement dès le début, au lieu de passer le premier mois à essayer d'amener une bonne partie des réservistes au même niveau que les soldats des forces régulières. Voilà une réalité qu'on est bien obligé d'admettre.

En ce qui concerne les sous-officiers, nous pouvons donner aux sous-officiers subalternes des réserves, c'est-à-dire aux caporaux-chefs et aux sergents, la possibilité de suivre l'entraînement des forces régulières. Je crois qu'il faut 13 semaines d'entraînement à un sergent pour atteindre les qualifications donnant accès au grade de sous-officier breveté. L'entraînement est assez semblable à celui que subissent les officiers subalternes en phase trois et en phase quatre, lors des programmes d'été.

Cela permettrait de donner une formation essentielle aux sergents et aux sous-officiers brevetés de la réserve. Ils sont généralement prêts à rester dans la réserve, quoi qu'ils puissent arriver. Ils l'ont montré par un engagement de cinq à dix ans qui leur a permis d'atteindre le rang de sergent ou d'officier breveté, et si on peut les faire suivre le même entraînement que les officiers subalternes, on devrait en retirer des avantages considérables à long terme.

Adjuc Mike McCarthy: Je voudrais revenir très brièvement sur un argument antérieur. Il s'agissait de savoir si nous sommes toujours efficaces, compte tenu de notre équipement. J'ai passé trente-deux ans dans l'armée, j'ai fait quatre séjours à Chypre, un en Yougoslavie, et plus récemment, de 1994 à 1996, j'étais sergent-major d'une unité multinationale déployée dans le Sinaï, et je peux vous dire que nous sommes encore très efficaces. Nous sommes parmi les meilleurs du monde. J'ai vu des unités étrangères qui sont parmi les pires. J'ai vu de nombreuses unités multinationales des Nations Unies, et nous leur sommes bien supérieurs. Nous nous acquittons encore très bien de notre tâche.

Le président: Merci.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je voudrais féliciter les auteurs de l'exposé très clair et très impressionnant qui nous a été présenté ici cet après-midi. Je suis membre du Comité des affaires étrangères, et j'espère obtenir des réponses qui pourront faire fléchir les travaux du Comité des affaires étrangères.

Les Canadiens sont à juste titre très fiers de vous et du travail que vous faites. Nous tirons parti de nos aptitudes en matière de maintien de la paix, et nos soldats font ce que les Canadiens attendent d'eux. Mais j'ai été un peu consternée lorsqu'on a parlé tout à l'heure du manque de reconnaissance, car il est vrai qu'on pourrait modifier la situation à peu de frais. Par ailleurs, il y a aussi la question de la rémunération, qui fait qu'en définitive il ne reste pas grand-chose aux familles pour faire face à tous leurs besoins.

J'aimerais savoir comment se place notre grille de rémunération par rapport à celle des autres nations, à niveau de qualification égal. On entend toujours dire que nous sommes numéro un, six ou sept dans tel ou tel domaine. Quelle est la rémunération de nos officiers subalternes par rapport à leurs homologues des pays du G-7, par exemple?

• 1750

Col Jim Calvin: Madame, je n'ai pas fait de recherche pour nous comparer à d'autres pays. Je crains de ne pouvoir vous dire combien touchent les soldats ou les sous-officiers des autres armées par rapport aux nôtres.

Cependant, nous avons au collège d'état-major un officier stagiaire britannique. Comme ce collège accueille essentiellement des officiers, il m'a signalé qu'au rang de lieutenant-colonel les Britanniques touchent l'équivalent de 109 000 $ canadiens, alors que notre taux de rémunération le plus élevé pour ce rang, auquel je me trouvais lors du déploiement, est de l'ordre de 73 000 $ par an.

Je ne sais ce qu'il en est pour les simples soldats, et je ne peux donc pas vous répondre.

Mme Jean Augustine: Ma deuxième question concerne le stress et la névrose post-traumatique.

Le public ne semble pas savoir, madame Huffman, que ces phénomènes atteignent également les familles des soldats qui sont envoyés à l'étranger. Est-ce que vous pourriez nous en parler? Vous avez dit tout à l'heure qu'il y a ici quelqu'un qui a souffert des effets de ce stress; pouvez-vous nous donner quelques précisions?

Mme Elise Huffman: En ce qui concerne les soldats, le sergent Byrne ici présent peut vous faire un compte rendu très personnel de la névrose post-traumatique considérée du point de vue du soldat. Je vais donc demander au sergent Byrne de vous répondre.

Le sergent Chris Byrne (ministère de la Défense nationale): Du point de vue du soldat, lorsque je suis revenu de Croatie en 1993, je rentrais d'un pays déchiré par la guerre et j'ai dû reprendre mes fonctions au Canada dans un délai de 48 heures. Je ne me suis pas rendu compte de ce qui m'arrivait avant les mois d'octobre à décembre de cette année; j'ai alors commencé à avoir des problèmes d'insomnie, des cauchemars et des problèmes de ce genre. Mais un soldat a tendance à occulter ce genre de difficultés et à se dire qu'il n'est pas du genre à en souffrir.

Cependant, tout cela se répercutait sur ma famille. Ce qui se passait dans ma tête me mettait en colère, mais je ne pouvais l'expliquer à personne. J'avais peur d'en parler à qui que ce soit, en particulier à ma femme, et je m'écartais de plus en plus d'elle ainsi que de ma famille.

Tout cela a continué jusqu'en juin 1994, lorsque le SMR est venu me voir pour me demander si je souhaitais être affecté à Valcartier pour un cours de français d'un an. À ce moment-là, j'ai pensé que c'était sans doute la bonne solution; tout allait se remettre en place.

J'espère que mes émotions ne vous gênent pas trop. Laissez-moi seulement le temps de m'expliquer.

À ce moment-là, j'ai pensé que tout allait se replacer. J'allais avoir une nouvelle affectation, dans une nouvelle région, dans un nouvel environnement. Mais, au contraire, les problèmes n'ont fait qu'empirer.

En novembre 1995, mon père est décédé, et par la suite j'ai su que j'avais fait mon deuil après le décès de mon père, et qu'il était temps de partir du bon pied. Mais j'avais toujours l'impression que quelque chose en moi ne tournait pas rond. Je suis allé voir un psychologue à Valcartier, et nous avons parlé de la mort de mon père. Mais je ressentais toujours en moi une difficulté qui n'avait pas été traitée.

L'année suivante, en 1995, j'ai été affecté à Kingston. Après être revenu d'un exercice, j'ai commencé à être saisi de panique.

C'est la chose la plus terrible que puisse connaître un être humain, car on a l'impression que c'est la fin, que tout s'écroule et qu'il faut s'enfuir. J'ai fait cette expérience dans la solitude totale. Je n'en ai parlé à personne, car ce genre de chose n'était pas censé m'arriver. J'étais un soldat, un fantassin grand et fort. Cela n'était pas censé m'arriver.

Un jour, en revenant du travail, je me suis assis sur une marche et je me suis mis à pleurer, et ma fille de trois ans est venue me voir, a mis son bras autour de mon cou et m'a dit: «Papa, tout va bien, tout va bien aller.» Je l'ai regardée et je lui ai dit: «Oui, tout va bien aller.» Le lendemain matin, je suis allé demander de l'aide; je voulais savoir ce qui m'arrivait.

• 1755

J'ai eu la chance de consulter un médecin expert en psychologie, qui m'a envoyé à Ottawa pour une évaluation. Depuis lors, j'ai passé mon temps à lutter contre cette névrose post-traumatique. C'est une longue histoire, et je ne pense pas avoir le temps de tout vous raconter, mais, en résumé, c'est ainsi que les choses se sont passées dans mon cas.

Mme Jean Augustine: Quel est le pourcentage des soldats qui font la même expérience?

Adjum Jim Butters: Je crois que Chris a dit... C'est un fantassin, à qui ce genre de chose n'est pas censé arriver. Cela arrive à tout le monde. Tout le monde fait face à ce stress à sa façon. Dans une certaine mesure, tout soldat qui a participé à la bataille de Medak, qui a vu les cadavres, qui a senti leur puanteur, a traîné tout cela en revenant et doit encore y faire face aujourd'hui.

Certaines odeurs nous rappellent Medak. C'est ce dont je me souviens le plus. En ce qui concerne mon stress lorsque je suis revenu, ma femme en aurait sans doute fait à l'époque un compte rendu totalement différent du mien. Il m'a fallu un an avant de reprendre mes esprits et avant que ma femme puisse véritablement fêter le retour de son mari.

Lorsque je suis revenu, mon seul souci était de voir mes parents et mes frères et soeurs. Ma femme et mes enfants étaient à Calgary et me disaient: «Et nous? Nous attendons ton retour depuis six mois, et tu ne penses qu'à rendre visite à tes parents.» C'était ma façon de réagir à ce qui se passait en moi.

À cette époque, je me disais: «Ça y est. Je quitte l'armée. Je suis prêt à faire mes bagages.» Mais au bout d'un an, en faisant face aux problèmes, j'ai réussi à poursuivre la carrière que j'avais choisie. Il y a un grand nombre de jeunes soldats, en particulier des réservistes, qui après leur retour ne connaissent rien de cette opération et ne savent pas ce qu'ils ont fait à l'étranger. Ils n'ont aucun soutien, comme on l'a dit tout à l'heure. Je vous assure qu'il y a de jeunes réservistes qui ont peut-être quitté la réserve et de jeunes soldats qui ont peut-être quitté l'armée et qui doivent faire face à leurs problèmes dans la vie civile.

Sgt Chris Byrne: J'ai voulu m'exprimer ici aujourd'hui parce que si le gouvernement nous envoie dans ce genre de missions... en tant que soldats, nous sommes fiers d'appartenir au plus grand pays du monde. Nous avons connu le genre de situations où on ne fait pas semblant de se battre. Le capitaine Green et l'élève-officier Leblanc ont subi le feu de l'ennemi. J'étais de l'autre côté; il a fallu que j'aille voir le résultat. J'ai été entraîné à la guerre, mais à mon avis je n'ai pas été entraîné à faire face aux résultats de la guerre.

Si nous sommes obligés de nous exposer ainsi—car c'est bien de cela qu'il s'agit... Il nous a fallu non seulement serrer la main de ces assassins—car les responsables de ce nettoyage ethnique n'étaient pas des soldats—mais nous avons également dû ramasser les cadavres de leurs victimes. Si on nous demande de faire cela, il faut mettre en place des services thérapeutiques qui puissent nous prendre en charge à notre retour. On ne peut pas prendre des gens qui ont connu un pays déchiré par la guerre, les renvoyer dans un pays civilisé comme le nôtre, et s'attendre à ce que tout se passe bien. Il faut prévoir une période de rajustement, un passage à vide.

Je vous dirai franchement qu'à cause des compressions budgétaires, le soldat ne peut guère obtenir d'aide. Depuis que j'ai suivi une thérapie, je trouve dramatique d'entendre le personnel des services de psychologie dire qu'ils ne font qu'effleurer le problème, car je sais qu'un cas comme le mien n'est que la pointe de l'iceberg par rapport à tout ce qui se passe au sein de l'armée, à tous les soldats qui connaissent le même genre de problème.

• 1800

Adjuc Mike McCarthy: Je voudrais simplement vous rappeler l'argument concernant la reconnaissance dans cet exposé.

Vous avez dit que nous n'avons pas participé à de véritables hostilités. Vous aurez bien du mal à expliquer cela aux soldats qui ont vécu dans les tranchées, qui ont subi des pertes, qui étaient entourés par la puanteur des cadavres. Ils ont subi un stress, car ils ont vécu dans des conditions identiques à celles de la guerre de Corée ou de la Seconde Guerre mondiale. Ce fut peut-être moins long, mais l'atmosphère était la même, et tous les ingrédients de la guerre étaient présents. Vous aurez bien du mal à convaincre mes soldats qu'ils n'ont pas connu de scénario de temps de guerre.

Je peux vous dire une fois de plus que nos soldats ne sont pas heureux. Ils ne sont pas heureux parce qu'une grande opération comme celle-là n'a pas été reconnue en tant que telle, mais je pense que nous devons remédier à ce problème.

Merci.

Le président: Monsieur Pratt.

M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je voudrais reprendre les propos de Mme Augustine concernant la grande fierté des Canadiens vis-à-vis de nos soldats du maintien de la paix et, en l'occurrence, du rétablissement de la paix, et vis-à-vis de votre participation aux opérations de la poche de Medak.

Pour en revenir à la question de la reconnaissance des unités, pensez-vous que le quartier général de la défense puisse manifester suffisamment de créativité pour reconnaître la valeur de ce qu'a fait le 2e Bataillon? Pensez-vous pouvoir miser avec confiance sur une telle reconnaissance?

Adjuc Mike McCarthy: J'ai une confiance absolue envers le commandant de l'armée qui a formulé ce que je considère comme une recommandation extraordinaire, comme je l'ai dit, concernant une bannière à nos couleurs, grâce à laquelle on se souviendra encore de nous dans plusieurs centaines d'années; il a aussi recommandé, pour les soldats de notre groupement tactique, une citation du gouverneur général du Canada indiquant la participation du titulaire à cette opération. À mon sens, c'est plus que suffisant.

Comme je l'ai dit, j'ai lu la recommandation du président du comité des distinctions et honneurs à votre comité; il essaie de minimiser les choses en demandant une citation ministérielle, ce qui est à mon sens injuste. Sauf tout le respect que je lui dois, il a dû être mal informé, à moins qu'il ne connaisse pas tous les faits. Il n'a pas assisté à cet exposé, et j'espère qu'il changera d'avis s'il en prend connaissance.

Mais je ne suis pas certain que des mesures seront prises. Notre action sera peut-être minimisée sur sa recommandation. C'est ce que je crains. J'espère qu'il en sera autrement, et que cette tribune sera propice à notre cause.

M. David Pratt: Pensez-vous que des pressions politiques puissent avoir un effet positif?

Adjuc Mike McCarthy: Oui.

Capt Tyrone Green: La reconnaissance individuelle est très importante, par opposition à la reconnaissance d'une unité à laquelle serait décernée une plaque qu'on va accrocher au mur. Plus de la moitié du groupe opérationnel déployé sur le terrain risque de ne jamais entendre parler de cette reconnaissance. Les deux compagnies françaises, par exemple, et les 40 p. 100 de réservistes qui sont maintenant dispersés aux quatre coins du pays, n'en sauront jamais rien.

C'est pourquoi je pense qu'il faut insister sur l'aspect individuel, en particulier pour les réservistes. C'est important, car nous avons eu un réserviste de chaque régiment, ou du moins de la plupart des régiments canadiens. On peut voir les choses de différentes façons. On pourrait évidemment les recruter, mais les conséquences internationales pour nos homologues français posent un autre problème.

M. David Pratt: Le ministère semble avoir bien de la difficulté à se renseigner sur ces résultats positifs, comme dans le cas présent. Il s'est passé quatre ans et demi depuis les faits en question, et c'est la première fois qu'un comité parlementaire vous donne la parole. Où est le problème? À quoi tient la difficulté?

• 1805

Les Canadiens doivent être informés de ce que fait notre armée lorsqu'on l'envoie au Rwanda, en ex-Yougoslavie, à Chypre, dans le Sinaï ou ailleurs. S'ils ne savent pas ce qui se passe, comment peut-on s'attendre à ce qu'ils approuvent notre politique de défense? Ils ne sont pas informés.

Col Jim Calvin: Je pense, monsieur, qu'il faut être juste. Nous savons tous que depuis cinq ans, nous avons traversé des périodes assez troublantes. Jusqu'à l'année dernière, lorsque les Canadiens pensaient à l'armée, ils pensaient automatiquement et toujours à la Somalie.

Cette opération a obligé l'armée à faire une introspection qui n'a pas fait ressortir ce qu'il y avait de meilleur dans nos activités passées, même si le plus grand nombre des militaires qui ont participé à l'opération ont fait un travail fantastique. On a surtout mis l'accent sur les aspects négatifs et en outre, on a découvert que certaines personnes n'étaient pas à leur place au niveau supérieur. Je pense que le climat n'était donc pas idéal pour qu'on entende parler des réussites de l'armée.

De façon générale, je pense que le ministère aurait bien voulu entendre parler des réussites. Je ne sais pas exactement quelle était l'ambiance au ministère à l'époque, mais on ne pouvait pas lutter contre le courant. Nous étions emportés dans un tourbillon de critiques à l'égard de l'armée, et notre action n'aurait pas pu être considérée d'un point de vue positif comme maintenant.

Pour nous, l'expérience a été très frustrante. Nous sommes intervenus à Medak au moment même où, en Somalie, d'autres soldats canadiens battaient à mort leurs victimes. Tout cela s'est produit au même moment. Il aurait fallu présenter des comptes rendus plus équilibrés, mais ce n'est pas cela qui s'est produit en réalité. Le climat actuel est sans doute plus propice. Dans la mesure où on dit la vérité, il faut maintenant mettre l'accent sur l'avenir et sur les correctifs à apporter, et non pas sur les échecs du passé. En vérité, les choses ne pouvaient pas se passer autrement à l'époque.

Le président: Avez-vous fini, David?

M. David Pratt: J'ai une autre question.

D'après votre expérience, colonel, si le CEMD venait vous proposer une opération semblable à celle de l'enclave de Medak, est-ce que vous vous porteriez volontaire? Quelle serait votre réponse et quelle serait la réponse de vos hommes?

Col Jim Calvin: Si cela se produisait, je suis plus sage maintenant que je ne l'étais lors de l'entraînement avant ce déploiement. J'ai entraîné mon unité en fonction de ce que j'avais vu lors de mon voyage de reconnaissance trois mois plus tôt. Rien ne pouvait me laisser prévoir Medak. J'ai entraîné mon unité en fonction de la façon dont l'opération devait se dérouler selon mes prévisions. Lorsque j'ai signé ma déclaration de préparation opérationnelle, comme doit le faire tout commandant avant de partir à l'étranger, j'ai affirmé catégoriquement que j'étais parfaitement entraîné au niveau du peloton et de la compagnie, mais que je n'étais pas prêt à mener une opération au niveau du bataillon.

Ce que je vous ai décrit aujourd'hui est une opération au niveau du bataillon. C'est grâce à Dieu que cette opération s'est déroulée pendant le dernier mois de la mission; nous avions une expérience opérationnelle de cinq mois, qui nous a permis de nous en sortir. Je suis certain que compte tenu de notre entraînement, nous aurions certainement essuyé de lourdes pertes si cela s'était produit au cours du premier mois.

Je dirais donc que je suis tout à fait disposé à repartir à l'étranger, mais j'organiserais un entraînement légèrement différent avant de partir. Je pensais en toute bonne foi être prêt à faire face à ce qui risquait de se produire, mais je ne me serais pas permis un entraînement à un niveau inférieur. J'exigerais maintenant un entraînement au niveau du bataillon, et je demanderais qu'on nous laisse le temps de l'organiser.

Mais vous avez tout à fait raison, j'y retournerais et j'emmènerais tous ces hommes avec moi.

Sgt Chris Byrne: Puis-je dire quelque chose, monsieur?

Col Jim Calvin: Bien sûr.

Sgt Chris Byrne: Ayant fait partie du groupe de soldats du Col Calvin, j'ai traversé une période thérapeutique intense au cours des quatre dernières années. Malgré tout ce que j'ai traversé et les difficultés qu'à connues ma famille, en tant que soldat, j'irais tout de même. Je suis et je serai toujours un soldat car je représente le Canada. C'est la chose la plus importante au monde pour moi, et je pense que tous ceux qui faisaient partie du 2e Bataillon pensent exactement la même chose. Nous n'étions pas là comme membres du 2 Bataillon, mais comme des ambassadeurs du Canada. En dépit de tout ce que j'ai vécu—et l'expérience a été très dure pour moi-même et ma famille—, j'y retournerais encore aujourd'hui.

• 1810

Le président: Monsieur Benoit.

M. Leon Benoit: Merci, monsieur le président. J'ai quelques questions pour le sergent Byrne et une pour le colonel.

Premièrement, adjudant-chef McCarthy, vous avez déclaré que les distinctions remises à certaines personnes étaient fondées sur le travail de leurs subordonnés. Est-ce chose courante? Est-ce ainsi qu'on procède habituellement?

Adjuc Mike McCarthy: Dans certains cas, mais pas dans tous les cas. Pour que ces jeunes soldats offrent un tel rendement, il faut qu'ils soient bien dirigés, et c'est ce leadership qui est reconnu au moyen d'une distinction.

M. Leon Benoit: Est-ce chose courante chez les militaires, au Canada et dans d'autres pays, de laisser de côté complètement les échelons subalternes?

Adjuc Mike McCarthy: Non. Si vous lisez attentivement les dépêches, vous constaterez que de jeunes soldats y ont été mentionnés. Certains sous-officiers ont obtenu une médaille de bravoure. Il y a donc un mélange, selon ce qui s'est produit.

M. Leon Benoit: Pouvez-vous m'expliquer pourquoi vous estimez important que l'unité reçoive cette marque de reconnaissance?

Adjuc Mike McCarthy: Pour les raisons que je viens de d'expliquer. C'est l'unité tout entière qui a fait de cette opération un succès. Certains individus ont eu un comportement exceptionnel, et on leur a accordé une distinction. Nous craignons que dans 10, 20 ou 30 ans, cela soit oublié. Voilà pourquoi l'unité doit être récompensée. Il faut que ses réalisations passent à l'histoire, et la seule façon d'y arriver c'est d'accorder une distinction à l'unité. Cette marque de reconnaissance à l'endroit de l'unité, sous forme de bannière ou de banderole, a quelque chose de permanent. Quant à ceux qui ont servi, ils peuvent arborer un ruban sur leur uniforme. Je pense que c'est très important.

M. Leon Benoit: Dans ce cas, pourquoi pensez-vous que le général Dallaire ne veut pas accorder cette distinction à l'unité?

Adjuc Mike McCarthy: Je ne peux pas lire dans les pensées du général Dallaire. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être n'a-t-il pas été suffisamment renseigné ou peut-être ne comprend-il pas tout à fait ce qui s'est passé.

M. Leon Benoit: Cela vous paraît-il compréhensible?

Adjuc Mike McCarthy: Je n'en suis pas sûr, mais je ne pense pas qu'il ait reçu ce compte rendu particulier. Si c'était le cas, il changerait peut-être d'avis. Je n'en sais rien.

M. Leon Benoit: S'il est président du comité, il va de soi qu'il a reçu toute l'information que vous avez.

Adjuc Mike McCarthy: La seule chose qui m'a quelque peu étonné, c'est qu'il ait fait une recommandation au comité. À mon avis, cela influence le comité. Je pense qu'il aurait simplement dû soulever la question et laisser au comité le soin de tirer ses propres conclusions au lieu de faire lui-même une recommandation. Vous voyez où je veux en venir.

M. Leon Benoit: Si l'on se fonde sur ce que vous nous avez montré ici aujourd'hui, si c'est une description exacte de ce qui s'est passé—et je n'ai aucune raison d'en douter—, je peux vous dire en toute franchise que nous exercerons des pressions politiques pour mener à bien ce dossier.

Adjuc Mike McCarthy: Je vous en remercie beaucoup.

M. Leon Benoit: Compte tenu de ce qui s'est passé, cela n'a aucun sens.

Colonel Calvin, j'ai une brève question avant de passer au sergent Byrne. Je vous ai déjà demandé une fois si vous estimiez que l'équipement dont vous disposez maintenant serait l'équipement que vous vous attendriez à avoir si les casques bleus canadiens se retrouvaient une fois de plus dans une situation comme celle-là, et il est fort possible que cela arrive d'ici un mois ou deux. Cela pourrait facilement se reproduire. D'ailleurs, je ne sais pas si le terme «casque bleu» convient. En l'occurrence, je ne crois pas que ce soit le bon terme.

Vous avez dit que nos soldats étaient parmi les meilleurs, mais cela ne répond pas à ma question. J'en conviens; vos explications étaient très claires, mais ma question portait spécifiquement sur l'équipement.

Col Jim Calvin: Monsieur, l'armée utilise des tonnes d'équipement. Ce n'est pas comme si je pouvais dire que j'ai un bon avion de chasse ou non. Nous utilisons des armes légères qui, à mon avis, sont aussi bonnes que celles qu'on utilise ailleurs dans le monde. Les armes dont se servent nos soldats n'ont rien à envier à celles des autres armées du monde.

Nous utilisons aussi plusieurs types de véhicules, des véhicules à roues et des véhicules à chenilles. Certains véhicules à chenilles commencent à se faire vieux. Ils ne sont pas plus vieux que moi, mais certainement plus vieux que Scott. Il existe de bien meilleurs véhicules.

Le problème c'est que dans certains cas, les soldats avec qui nous devons traiter, en l'occurrence les Croates et les Serbes, ont de meilleurs véhicules que nous. Nous avons pu utiliser les nôtres à meilleur escient, mais si vous voulez savoir s'il existe du matériel plus moderne sur le marché, cela ne fait aucun doute. Il y a certains équipements dont nous pourrions tirer grandement parti, qui contribueraient à mieux protéger les soldats et à leur permettre de faire un meilleur travail.

• 1815

Par ailleurs, il y a vingt ans, en 1988, nous étions prêts à partir en guerre armés de l'équipement dont nous disposons maintenant. Nous étions en Allemagne au plus fort de la guerre froide et nous nous attendions à ce que l'armée soviétique franchisse la frontière. Nous étions prêts à livrer bataille, au côté de nos alliés et des autres forces d'artillerie, avec le même équipement dont nous nous servons maintenant pour garder la paix.

Il faut donc mettre les choses en perspective, monsieur. Oui, il y a des choses que l'on pourrait améliorer.

Les soldats que nous devons confronter sont armés par exemple de canons de 20 ou 25 millimètres. Il faudra corriger cette situation. Il y a d'ailleurs un projet qui vise précisement cet objectif. Il y a aussi un programme vestimentaire qui nous fournira à tout le moins les vêtements de base, mais cela ne règle pas le problème de l'équipement plus coûteux nécessaire.

M. Leon Benoit: J'aimerais en discuter davantage avec vous, mais j'ai une ou deux questions rapides pour le sergent Byrne. J'aimerais en savoir plus long au sujet de la névrose post-traumatique que vous avez vécue. Estimez-vous avoir reçu les meilleurs services possible? Pensez-vous qu'il y ait quelque part en Amérique du Nord...

Sgt Chris Byrne: À l'heure actuelle, non. Le Centre médical de la Défense nationale offre certains services. Ainsi, il y a une aile distincte consacrée aux personnes qui ont vécu ce stress. Ailleurs au Canada, il n'y a rien. Ainsi, lorsque j'ai été de nouveau affecté à Winnipeg, le thérapeute que je devais voir dans le civil ne prenait plus de patient, de sorte que j'ai dû me rabattre sur le travailleur social.

Je ne veux critiquer le travailleur social car en fait, mes visites ont donné de bons résultats. Mais le fait est que j'aurais aimé bénéficier à Winnipeg du même genre d'aide que je recevais à Kingston avant de partir. C'est un peu comme apporter sa BMW chez Canadian Tire pour la faire réparer. C'est un service, mais ce n'est pas la même chose.

M. Leon Benoit: Vous auriez pu recevoir une meilleure aide.

Permettez-moi de poursuivre dans la même veine. Mme Huffman a mentionné que certaines femmes de soldats qui étaient là-bas ont aussi souffert de ce traumatisme. J'aimerais d'abord savoir si vous pensez que l'un ou l'autre membre de votre famille aurait eu besoin d'aide, et dans l'affirmative, en ont-il obtenue? Cette aide leur a-t-elle été offerte? Ont-ils pu l'obtenir par l'entremise de l'armée?

Sgt Chris Byrne: Dans le cas de ma femme, elle pouvait venir discuter avec le travailleur social si elle le souhaitait, mais quiconque souffre d'une névrose post-traumatique doit subir des entrevues individuelles. On ne peut parler en groupe et cela s'est manifesté à l'occasion des débreffages relatifs à un incident critique. Les gens ressentaient certaines choses, mais ils ne voulaient pas les confier à leurs meilleurs amis parce qu'ils craignaient de passer pour des faibles. C'est exactement ce que j'ai ressenti moi-même. Je me disais: «Je ne peux lui en parler car il ne me fera plus confiance. Il ne croira pas que je suis une personne forte. Si je me livre, j'aurai la réputation d'être faible.» En fait, j'ai été faible de ne pas me confier.

Il n'y a rien pour les conjoints. Mme Huffman a bien expliqué la situation. On vous donne une liste de professionnels que vous pouvez consulter, mais sans plus. Et c'est malheureux.

M. Leon Benoit: Notre comité a rencontré plusieurs personnes atteintes de cette névrose. Ces personnes sont dans une situation peu enviable. Je pense qu'il est tout à fait inconvenant que l'armée ne leur ait pas offert davantage de soutien. Certains conjoints nous ont dit que leur femme ou leur mari menaçait souvent de se suicider.

Sgt Chris Byrne: Il faut voir les choses sous l'angle suivant: ce n'est rien de nouveau. La guerre existe depuis des siècles et le stress post-traumatique ne date pas d'hier.

Cependant, c'est un phénomène nouveau pour les Forces canadiennes. Lorsque je me suis confié, j'ai passé deux semaines à Ottawa. On m'a dit que j'étais en quelque sorte un pionnier du syndrome de stress post-traumatique. J'ai trouvé cela très inquiétant compte tenu du grand nombre de militaires qui ont déjà vécu cela. Il y a notamment des anciens combattants de la guerre de Corée et de la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant, aucune mesure n'a été prise.

Je pense que c'est l'une des raisons pour lesquelles je suis ici aujourd'hui, pour mettre la question sur le tapis, pour vous sensibiliser à cette réalité, pour vous dire que ce phénomène touche les soldats et qu'il devrait par conséquent y avoir des mécanismes d'aide pour eux. On ne peut faire fi du problème et dire qu'on ne peut rien en raison des compressions budgétaires. J'estime que ma vie est plus importante que toute considération budgétaire, non seulement la mienne, mais celle de tous les autres soldats qui sont dans les forces armées.

• 1820

M. Leon Benoit: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je me demande... Vous savez, le général Dallaire a comparu devant le comité la semaine dernière et nous a dit qu'il souffrait lui-même de cette névrose. Je pense qu'il doit être extrêmement difficile pour qui que ce soit de s'en tirer. Il nous a également dit que sa famille recevait de l'aide de l'armée. Je pense que c'est formidable. À mon avis, les membres de sa famille doivent pouvoir obtenir l'aide nécessaire. Mais si sa famille reçoit de l'aide, pourquoi pas toutes les autres familles des soldats atteints du même traumatisme? Je pense que c'est impardonnable. Il faut que cela change rapidement.

Sgt Chris Byrne: Il faudrait savoir quel genre d'aide il reçoit. Sa famille voit-elle un travailleur social, ce que j'ai fait moi-même à un moment donné? Cela n'a tout simplement pas fonctionné; cela n'arrangeait pas les choses. Heureusement pour moi—je suis sans doute un cas particulier—, j'ai pu régler les choses avec ma femme. En fait, j'ai pu me confier à ma femme, ce qui a énormément aidé. Si l'on ne peut se confier ainsi et que le conjoint souffre tout autant que vous ou encore pire, les choses s'aggravent et l'on doit demander de l'aide. Si l'armée n'est pas en mesure d'offrir cette aide, il faut voir ce qui est disponible à l'extérieur du contexte militaire.

Ma femme n'est pas dans l'armée. Elle m'a épousé et on lui dit constamment qu'elle a épousé l'armée, mais ce n'est pas le cas. Pour nous, les soldats, la barre est très haute. Mais nous ne sommes que de simples humains. C'est notre lot. On ne nous perçoit pas comme de simples humains.

Adjuc Mike McCarthy: Vous soulevez un point intéressant. Je pense honnêtement qu'il faut sensibiliser nos propres chefs pour qu'ils recensent à l'intention des soldats les ressources disponibles, au lieu d'être dans l'ignorance des services dont ils pourraient bénéficier. Nous devons les sensibiliser.

M. Leon Benoit: Nous avons entendu une chose encourageante, soit que cette maladie est maintenant reconnue sans réserve pour ce qu'elle est. Je crois que c'est le commandant de la base de Petawawa qui nous l'a dit. Cela représente un progrès car il n'y a pas si longtemps les dirigeants militaires canadiens ne reconnaissaient pas du tout l'existence de cette névrose.

Le colonel nous a également fait une révélation plutôt surprenante, soit qu'un plus grand nombre d'Américains sont morts depuis leur retour au Vietnam qu'au Vietnam même. Il n'a pas précisé si c'était à la suite de suicide ou de toxicomanie ou d'autres sévices auto-infligés résultant du stress post-traumatique, mais de la façon dont il en a parlé, je pense qu'il se posait des questions à ce sujet.

Sgt Chris Byrne: Ce sont là les résultats de la névrose post-traumatique. Tout d'abord, on devient violent, soit envers soi-même en recourant à l'alcool ou à la drogue, soit envers les personnes de son entourage. On repousse les gens, on s'enfonce en soi-même. On ne veut plus participer à la société parce qu'on a l'impression qu'il y a quelque chose qui cloche dans notre tête. On essaie de lutter contre ce sentiment mais on ne veut en parler à personne car on craint de passer pour un lâche. Il est très difficile pour la société d'accepter ce phénomène.

Lorsqu'on parle de troubles mentaux à quiconque, c'est comme... Peut-être ne devrais-je pas faire une analogie avec le virus du VIH, mais les gens ont un peu la même réaction. La maladie mentale a une mauvaise connotation. La séroposité aussi. En fait, ce ne sont que deux volets de la réalité. J'ai remarqué que mes propres amis ont tendance à s'éloigner car ils ont peur d'accepter la réalité.

M. Leon Benoit: Ça doit être extrêmement difficile pour vous. À mon avis, cela doit être encore plus difficile pour vous, qui êtes soldat, que ce ne le serait pour moi. C'est presque...

Sgt Chris Byrne: C'est un peu comme être atteint du cancer. Je ne peux savoir ce que ressent une personne atteinte du cancer car je ne l'ai pas. Comment puis-je espérer qu'une personne qui ne souffre pas du syndrome de stress post-traumatique aura de la compassion pour moi? Cette personne ne peut comprendre ce que je vis. Elle peut essayer de comprendre, mais elle ne peut ressentir ce que je ressens. Cela se passe à l'intérieur de la victime elle-même.

M. Leon Benoit: On recommande souvent aux personne atteintes de névrose post-traumatique de quitter l'armée pendant un certain temps, en attendant que le problème soit résorbe. Avez-vous fait cela? Pensez-vous que cela aurait été la meilleur chose à faire pour vous?

Sgt Chris Byrne: À l'époque, on m'a suggéré de prendre congé et de m'éloigner. J'avais l'impression que cela aggraverait les choses.

• 1825

Ce qui s'est passé, j'étais à Kingston, loin du régiment. Nous considérons toujours notre régiment comme une famille. Il était important pour moi de rentrer à Winnipeg, où était stationné le 2e bataillon, et de me retrouver dans cette atmosphère familiale qui me fournirait le soutien dont j'avais besoin. Cela m'a beaucoup aidé. Il y avait dans la hiérarchie des gens qui comprenaient mon problème, notamment le gestionnaire de carrière. À l'époque, je me suis adressé à l'adjudant-maître Butters, à Kingston, et il a pris des dispositions.

Il était important à mes yeux de retourner à Winnipeg, et cela m'a été d'un grand secours. Je sentais le besoin de rester dans le giron de l'armée. J'avais le sentiment que si je partais, la maladie aurait remporté la victoire. C'est encore ce que je pense aujourd'hui. Traitez-moi d'entêté si vous voulez, puisque je suis à la fois Irlandais et Terre-Neuvien, mais cette névrose ne gagnera pas. Je vais m'en sortir. Je prends les choses au jour le jour et progressivement, la situation s'améliorera.

M. Leon Benoit: Évidemment, si vous êtes un commandant dans l'armée et qu'on vous dit que vous souffrez de stress post-traumatique, il se peut que vous soyez écarté de ce poste de commande, et c'est un problème supplémentaire. À mon avis, étant donné que le général Dallaire a annoncé qu'il souffrait de cette névrose, c'est une occasion idéale pour l'armée... Certains vont certainement se demander s'il est apte au commandement tant et aussi longtemps qu'il souffrira de cette maladie.

Je pense que c'est une belle occasion pour l'armée de reconnaître le problème—car c'en est un—et de s'en occuper. Les militaires doivent intervenir de toutes les façons possibles...

Sgt Chris Byrne: Vous vous êtes interrogé sur l'aptitude au commandement du général Dallaire. À ce sujet, je vous signale qu'il y a eu des commandants britanniques qui avaient subi ce stress et qui dans un contexte de guerre, ont commandé avec d'excellents résultats. Pour déterminer l'aptitude au commandement, je dirais que cela dépend de la volonté de l'individu de se colleter avec ce problème. Il faut en garder la maîtrise au jour le jour. On ne peut abaisser sa garde et se laisser aller au point où la dépression s'installe.

M. Leon Benoit: Je tiens à préciser que je ne disais pas qu'une personne atteinte de névrose post-traumatique ne serait pas apte au commandement. Je disais que s'il y avait un doute, il fallait régler le problème.

Je vous remercie énormément. J'ai beaucoup apprécié votre collaboration à tous aujourd'hui. Votre participation a été admirable. L'exposé était fantastique, et je vous remercie tous très sincèrement.

Le président: Merci, monsieur Benoit. Monsieur Clouthier.

M. Hec Clouthier (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Lib.): Merci, monsieur le président.

La plupart des questions que je voulais poser ont déjà été posées. Je me rends compte maintenant que vous avez vécu une expérience très profonde, j'irais jusqu'à dire très poignante, surtout à la lumière du témoignage du sergent Byrne. Et cela ne concerne pas uniquement les soldats de la première ligne car, comme Mme Huffman nous l'a expliqué, on se fait beaucoup de souci au sujet des personnes laissées derrière.

Comme vous le savez, à Petawawa, il y avait ce projet de soutien aux familles qui informait davantage les gens sur ce qui se passait.

Colonel, j'ai deux questions rapides. Je viens du milieu des affaires et lorsque je conclus un marché, j'ai l'habitude de le tenir. Je me demande pour quelles raisons le général aurait changé d'avis. Vous l'a-t-il expliqué? Je me souviens vous avoir entendu dire que le général vous avait accordé l'autorisation de passer, de traverser le pont ou la route...

Col Jim Calvin: Monsieur, j'ai mon opinion là-dessus.

M. Hec Clouthier: Il ne vous a rien dit?

Col Jim Calvin: Non, il ne m'a rien dit. Mais si j'étais un général croate impliqué dans une opération de purification ethnique, je ne voudrais pas que des casques bleus trouvent un tas de cadavres que j'aurais laissés derrière. Il y a fort à parier que ces hommes faisaient une opération de nettoyage. Ils voulaient s'assurer d'avoir détruit les maisons avant de nous laisser passer. Ils nous ont retardés pour pouvoir terminer leur sale travail de purification ethnique de la région.

M. Hec Clouthier: Deuxième question, et ce sera ma dernière. Au sujet du nettoyage ethnique, visait-on les femmes—oui, évidemment—, mais également les enfants et les vieillards? Autrement dit, tout le monde? Le savez-vous?

Col Jim Calvin: Nous n'avons pas trouvé de corps d'enfant, monsieur, mais nous avons trouvé les cadavres de plusieurs personnes de plus de 60 ans. Comment définissez-vous un vieillard?

M. Hec Clouthier: Ça va. Je vous remercie beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, chers collègues. J'avais quelques questions à poser, mais on y a déjà répondu. J'ai une dernière question pour Mme Huffman.

Au sujet des deux soldats qui ont été tués en Bosnie, comment la triste nouvelle a-t-elle été annoncée à leur famille? Ont-elles reçu une lettre ou le commandant de la base s'est-il rendu chez elles pour leur annoncer la nouvelle? Comment a-t-on procédé?

Mme Elise Huffman: C'est l'aumônier et l'adjudant et, dans ces deux cas en particulier, moi-même, qui nous en sommes chargés. C'est une de leurs fonctions, dès qu'une nouvelle de ce genre arrive de l'étranger. Lorsque cela se produit, il y a un embargo total sur les communications tant que les membres de la famille n'ont pas été contactés par le groupe arrière, et particulièrement l'adjudant et l'aumônier. Ces derniers vont rencontrer la famille. Je sais que le commandant fait un suivi avec des lettres, mais il...

• 1830

Col Jim Calvin: Il faut comprendre que dès que survient un événement majeur, que soit un décès, un cas de blessure ou une activité dans un théâtre d'opération, nous interrompons toutes les communications téléphoniques. À titre de commandant, j'interromps toutes les communications en attendant de savoir précisément qui est blessé, quelle est la situation. Une fois tout cela déterminé, on demande à l'adjudant de téléphoner au major qui commande le groupe arrière pour lui communiquer tous les détails.

Ce dernier doit communiquer avec l'aumônier et avec toute autre personne qui, à son avis, pourrait l'accompagner pour avertir le conjoint. Nous rétablissons la communication téléphonique uniquement après que le conjoint a appris la nouvelle de la bouche des personnes appropriées. On agit ainsi pour que la famille n'apprenne pas la nouvelle par CNN, ou par un ami, ou autrement. Nous avons une procédure très rigoureuse pour s'assurer qu'en cas de décès, les proches seront averties comme il se doit.

Le président: En conclusion, je vous remercie beaucoup de vos exposés cet après-midi.

S'il n'y a pas d'autres questions ou observations, je vais mettre un terme à la réunion.

La séance est levée.