STANDING COMMITTEE ON FISHERIES AND OCEANS

COMITÉ PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 4 décembre 1997

• 0936

[Traduction]

Le président (M. George Baker (Gander—Grand Falls, Lib.)): La séance est ouverte.

Conformément à l'article 108 2) du Règlement, nous examinons le rôle de la science dans la gestion des pêches.

Nos témoins d'aujourd'hui sont le Dr Jeffrey Hutchings, et le professeur d'ichtyobiologie à l'Université Dalhousie, le Dr Carl J. Walters, professeur de pêche et de zoologie à l'Université de la Colombie-Britannique. Comme il est à Vancouver, nous lui parlerons par vidéoconférence. Nous accueillons également le Dr Dick Haedrich, professeur de biologie à l'Université Memorial.

Les membres du comité représentant tous les partis politiques sont présents. Nous avons parmi nous des députés du parti Réformiste, du Bloc québécois, du parti Conservateur, du parti Néo- démocrate du Canada et, également, du parti Libéral Canada.

Nous avons reçu par avance les renseignements concernant le sujet dont nous allons traiter aujourd'hui. Chaque membre du comité a lu des échanges, ma foi, assez intéressants entre nos trois témoins et le ministère des Pêches et Océans.

Nous commencerons par entendre une déclaration du Dr Hutchings, après quoi nous passerons au Dr Walters par vidéoconférence, pour terminer par le Dr Haedrich.

Monsieur Hutchings.

M. Jeffrey Hutchings (professeur d'ichtyobiologie, Université Dalhousie): Merci beaucoup, monsieur le président.

Au cours des dernières années, on a commencé à se rendre compte que le ministère des Pêches et Océans ne remplissait pas son rôle principal, celui d'assurer la conservation la ressource halieutique et la viabilité des pêches pour de nombreuses espèces. Or, quand un ministère est incapable d'assumer les responsabilités que lui impose la loi, il est non seulement raisonnable mais nécessaire que la société évalue dans quelle mesure l'institution s'acquitte de ses obligations sociales.

Notre communication scientifique, à Carl Walters, Dick Haedrich et moi-même, constitue une telle évaluation et, en la critiquant, les hauts fonctionnaires du Ministère se trouvent à critiquer le droit des citoyens vivant dans une démocratie d'examiner avec un regard critique la performance de leurs institutions gouvernementales. Il nous appartient, à nous, professeurs d'université, qui ne sommes pas soumis à la sujétion d'un employeur ou d'une institution, et qui n'avons pas à défendre d'intérêts autre que les nôtres, de nous pencher sur les questions relevant de nos domaines de compétence et préoccupant la société en général.

Je tiens à souligner, d'entrée de jeu, que je parle ici d'une institution et non des particuliers qui la composent. Je critique le système, mais pas ceux et celles qui y travaillent, en partie parce que je sais que le Ministère compte un grand nombre d'employés dévoués. En effet, de nombreux scientifiques du Ministère ont une stature nationale et internationale, et j'apprécie beaucoup ma collaboration professionnelle avec eux.

• 0940

Ce matin, je vais soulever une grande question. Le cadre actuel voulant que le secteur scientifique soit entièrement intégré à la fonction publique est-il la garantie: premièrement, que l'on réglera complètement le problème de l'incertitude scientifique; deuxièmement, que les différences d'opinions scientifiques fondées seront communiquées au public et, troisièmement, que le grand public pourra faire connaître ses préoccupations légitimes au sujet des décisions touchant à la gestion de la ressource, d'un point de vue scientifique?

Nous pourrions nous poser d'autres questions. Par exemple, dans quelle mesure le porte-parole d'un ministre ou du gouvernement doit-il prendre acte et faire mention des causes d'incertitudes et de risques biologiques et socio-économiques potentiels associés aux décisions concernant la gestion de la ressource?

On pourrait définir l'incertitude comme étant une connaissance incomplète de l'état de la nature ou d'un processus naturel. S'agissant de l'évaluation des populations halieutiques, il existe une incertitude relativement à certains éléments ichtyobiologiques de base, à l'estimation de l'abondance des espèces et à la structure des modèles servant à évaluer la mortalité des poissons.

Toutes les décisions de gestion de la ressource ont pour élément commun les risques qui y sont associés, le risque étant la probabilité qu'un événement indésirable se produise.

Si l'on applique la notion de risque à la réouverture de la pêche à la morue, par exemple, on est en droit de se demander quelle est la probabilité ou le risque que le stock décline cette année ou l'année prochaine, ou quel est le risque que la population des groupes de reproducteurs passe en dessous des niveaux de conservation.

Quand les services scientifiques font partie intégrante de la fonction publique, il est évident que l'information scientifique risque d'être indûment influencée par des facteurs non scientifiques. Il existe de nombreuses raisons à cela, mais je m'attarderai ici sur une seule. Quand un ministre de la Couronne prend une décision, il ne faut pas que les employés de son ministère paraissent l'embarrasser de quelque façon. Pour les scientifiques des pêches, cet embarras peut revêtir plusieurs formes. Par exemple, un scientifique pourrait directement critiquer la décision prise, d'un point de vue scientifique, en mettant en relief les risques biologiques associés à la déclaration du ministre ou en précisant la base ou l'absence de base scientifique en fonction de laquelle le ministre peut avoir pris sa décision.

Un ministre est tout à fait en droit de prendre une décision inconsidérée du point de vue scientifique. Mais quand celle-ci s'accompagne d'un risque biologique certain, ou qu'on prétend qu'elle a un fondement scientifique quand tel n'est pas le cas, j'estime alors qu'il en va de l'intérêt de la société d'être pleinement informée de l'existence de telles carences scientifiques. Mais un scientifique fonctionnaire n'a tout simplement pas le droit de se déclarer publiquement en désaccord avec la décision d'un ministre ou de parler des risques ou des lacunes scientifiques qu'elle comporte, car cela revient à être publiquement en opposition avec le ministre et à le mettre dans l'embarras.

Pourquoi les Canadiens devraient-ils craindre l'élimination éventuelle de l'incertitude scientifique? Eh bien, la science a pour objet de comprendre la nature. Les scientifiques essaient de comprendre l'extraordinaire mouvance du monde dans lequel nous évoluons. La science, c'est formuler et tester des hypothèses, puis les reformuler et les retester pour expliquer les processus, les tendances et les écarts constatés dans la nature. Plus important encore, les scientifiques acquièrent un savoir et la science progresse en général grâce à leur capacité de communiquer entre eux à l'occasion de discussions officieuses, de présentations dans le cadre de conférences ou d'articles dans des publications scientifiques.

Bloquer la communication scientifique, revient à bloquer la science. Limiter la discussion sur l'incertitude scientifique ou en minimiser l'existence, équivaut à représenter faussement la science. Toute action, intentionnelle ou non, directe ou accessoire, inhibant les moyens par lesquels l'information scientifique est analysée, communiquée au grand public, débattue et acceptée par la communauté scientifique, amoindrit nécessairement l'efficacité avec laquelle la science peut contribuer à la politique gouvernementale et limite la mesure dans laquelle on peut sagement gérer les ressources naturelles. Dès lors qu'on confine la capacité des scientifiques de communiquer publiquement sur des sujets scientifiques, on peut, à juste titre, parler d'une situation de «répression».

Mais comment pourrait-on affaiblir le rôle des sciences et les décisions de gestion concernant la ressource? Je vais vous donner quelques exemples de la façon dont cela peut se produire, à cause de ce phénomène de répression dont je parlais.

D'abord, on peut toujours prétendre que les décisions de gestion de la ressource reposent sur des bases scientifiques, alors que ce n'est pas le cas. C'est ce qui c'est passé quand, entre 1993 et 1996, on a prétendu que la chasse aux phoques au large de Terre- Neuve allait contribuer au rétablissement de la morue du Nord.

Deuxièmement, on peut prétendre que les décisions de gestion de la ressource ont une validité scientifique, même si elles n'ont été soumises à aucun des critères habituels intervenant dans une évaluation scientifique. Mentionnons, par exemple, le moratoire de deux ans imposé en 1992 sur la pêche de la morue du Nord.

• 0945

Troisièmement, les risques associés aux décisions relatives à la gestion de la ressource peuvent ne pas être communiqués ou être mal communiqués à la société. On pensera, à cet égard, à la réouverture de la pêche à la morue ainsi qu'à l'augmentation du quota de flétan noir. L'incertitude scientifique et l'ampleur des différences légitimes quant à l'interprétation scientifique de la nature peuvent ne pas être explicitement mentionnées ou communiquées au grand public, comme c'est souvent le cas dans les déclarations faites par des porte-parole du gouvernement.

J'ajouterai, au sujet de ces deux derniers exemples, que la capacité des scientifiques de communiquer le résultat de leurs recherches peut être limitée par le caractère délicat qu'on leur attribue sur le plan politique.

Je vous donne un exemple. À la fin du printemps de 1995, Alan Sinclair, Ransom Myers et moi-même avons entrepris une recherche sur la mortalité du cabillaud juvénile. L'essentiel de notre travail a consisté à établir si la mortalité de la jeune morue avait évolué au cours des années 80 et au début des années 90, à cause de l'augmentation du nombre de phoques.

Nous avons voulu présenter le résultat de nos travaux lors d'une conférence internationale sous les auspices de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest et du Conseil international pour l'exploration de la mer. Le symposium s'intitulait «Le rôle des mammifères marins dans l'écosystème».

Compte tenu des sujets abordés, ce symposium était l'occasion idéale de présenter les résultats de notre recherche et, plus important encore, d'entendre les réactions de nos collègues scientifiques quant au bien-fondé de notre méthode de travail et à l'exactitude de nos conclusions, sur la foi des données disponibles. Mais voilà, à cause du caractère politiquement délicat de nos travaux et du fait que nos conclusions divergeaient des déclarations faites par le ministre et les porte-parole du gouvernement à propos de l'influence des phoques sur l'effondrement puis sur le rétablissement du cabillaud, nous n'avons pas été autorisés à distribuer des exemplaires de notre communication à nos collègues scientifiques.

Il s'en est suivi une intimidation des scientifiques du Ministère et l'expression d'un manque de confiance envers leur intégrité scientifique. La communauté scientifique internationale a jugé qu'au cours de ce symposium le Ministère s'était comporté de façon peu professionnelle; il a d'ailleurs mis les scientifiques canadiens dans l'embarras.

Les scientifiques devaient en conclure que s'ils entreprennent des recherches épineuses sur un plan politique et parviennent à des conclusions qu'on pourrait juger comme étant contraires à la position du ministre, leur capacité de communiquer les résultats de leurs recherches dépendra beaucoup plus des conséquences politiques éventuelles de la communication envisagée que de la valeur scientifique de leurs travaux.

J'ajouterai ceci. Il semble que le ministre de l'époque, M. Tobin, n'ait pas été informé de la tenue de nos travaux, car ils auraient pu le mettre dans l'embarras.

Enfin, les décisions de gestion de la ressource et des sciences peuvent être affaiblies quand l'information scientifique nécessaire à la prise d'une décision éclairée n'est pas communiquée aux organismes chargés de recommander les mesures de gestion au ministre.

C'est, par exemple, ce qui s'est produit à l'occasion de la présentation au CCPFA des aperçus de la situation du poisson de fond pour 1992 et 1993. Le 2 juillet 1992, le président du sous- comité du poisson de fond de l'Atlantique, sous-comité du CSCPCA, devait faire une présentation au CCPFA. Il s'agissait d'un aperçu des tendances sur les plans de la mortalité du poisson, de la biomasse du stock et des taux d'exploitation des stocks de morue de l'Atlantique au Canada. L'exposé devait insister sur le caractère commun constaté dans les tendances établies pour divers stocks.

Normalement, les personnes chargées de recommander les quotas de prises au ministre auraient dû être avisées, à la suite de cette présentation, que tous les stocks de morue au Canada affichaient une mortalité accrue et un déclin de population. Autrement dit, tous les stocks de morue pouvaient être très sérieusement menacés.

Cependant, les hauts fonctionnaires du Ministère ont décidé de ne pas autoriser le président du sous-comité du CSCPCA à faire sa présentation au CCPFA. On pourrait le confirmer en comparant la présentation prévue à celle qui a été donnée, d'après le procès- verbal de la réunion du CCPFA.

On pourrait attribuer cette décision au fait que les données scientifiques contenus dans la présentation prévue du président du sous-comité divergeaient du contenu de l'annonce faite par le sous- ministre, le 30 juin, à savoir que le ministre allait fermer les pêches à la morue du Nord, que le déclin du cabillaud était exceptionnel et unique, et qu'il n'avait rien à voir avec la situation des autres stocks de morue canadiens.

Les conséquences d'une telle intervention sautent aux yeux. L'organe chargé de recommander les quotas de pêche au ministre n'a pas, comme il l'aurait dû, pris connaissance des bonnes données scientifiques rendant effectivement compte de la situation des stocks de poissons de fond. On a ainsi permis la poursuite de la pêche de tous les stocks de morue canadiens, à l'exception de la morue du Nord, le cabillaud.

Je conclurai en formulant un ensemble de recommandations sous deux grands titres, et cela pour renforcer le rôle de la science dans la gestion de la ressource halieutique.

• 0950

Je recommanderai, d'abord, la création d'un Comité national permanent sur la gestion de la ressource halieutique. Celui-ci aurait pour mandat de rendre compte des risques biologiques associés aux décisions de gestion concernant cette ressource. Il serait composé de scientifiques des pêches, d'écologistes et de biologistes de la population, appartenant au MPO, à des universités canadiennes et à des laboratoires d'État internationaux.

Sur demande d'une des parties intéressées, le comité communiquerait les renseignements scientifiques voulus sur les risques potentiels associés aux décisions de gestion des ressources halieutiques. Les demandes de renseignements scientifiques émanant du comité, ainsi que ses rapports, seraient communiqués au public par un organe agissant en totale indépendance du processus de prise de décision. Cet organe serait le Bureau du vérificateur général.

Un Comité permanent sur la gestion de la ressource halieutique comporterait plusieurs avantages. D'abord, il fournirait un mécanisme grâce auquel les scientifiques, appartenant ou non au MPO, pourraient communiquer les fondements scientifiques des risques associés aux décisions relatives à la gestion des pêches. La société et les clients du MPO en bénéficieraient parce qu'ils seraient pleinement informés, et le ministre y gagnerait aussi sur le plan politique, et pas seulement au début, parce qu'il neutraliserait tout risque de politisation des sciences de la pêche.

Nous pourrions également renforcer le rôle de la science en renforçant la science elle-même. Les compressions effectuées dans les budgets des activités scientifiques au sein de la fonction publique et du milieu universitaire sont en train de compromettre très sérieusement la capacité du Canada de comprendre les incidences de l'activité humaine sur les écosystèmes aquatiques. Par exemple, nous n'avons quasiment aucune possibilité de prévoir dans quelle mesure les stocks de morue pourraient revenir à leur niveau d'abondance du passé, et nous connaissons fort peu cette question. Dans le secteur scientifique du MPO, les réductions du budget de la recherche et la perte de postes de scientifiques, ne pourront que miner la qualité et l'envergure des travaux scientifiques sur lesquels doit être fondée toute prise de décision éclairée.

Il serait possible d'atténuer les effets négatifs de cette situation, d'abord en débloquant un financement pour restaurer les subventions que versait le Ministère au titre de la science, cela pour financer les recherches universitaires ayant une application directe sur la gestion des ressources halieutiques.

Deuxièmement, on pourrait débloquer des fonds pour régénérer les directions générales scientifiques du MPO en engageant de jeunes diplômés d'universités. J'en suis arrivé à la conclusion que la région de Terre-Neuve, par exemple, a perdu environ 40 p. 100 de ses chercheurs au cours des cinq dernières années. Aucun n'a été remplacé. Le seul groupe multidisciplinaire officiel du MPO, dans la région de Terre-Neuve, a été dissout.

Troisièmement, il conviendrait de financer la mise sur pied d'instituts universitaires des pêches composé de pêcheurs, de biologistes des universités et du gouvernement, d'économistes et de sociologues ainsi que des étudiants diplômés. Ce genre de structure permettrait de conduire des recherches interdisciplinaires et multidisciplinaires dans tous les aspects touchant aux pêches.

On pourrait, enfin, envisager de donner suite à la suggestion de décentraliser ou de transférer la prise de décision, le financement de la recherche et le personnel de l'Administration centrale d'Ottawa aux instituts de recherche régionaux pour que les fonds permettent de répondre plus efficacement aux besoins locaux des pêches et aux préoccupations de nature scientifique.

Le statu quo ne se défendrait que si l'on parvenait à prouver que, pour la société, les avantages associés aux investissements dans le personnel et les installations à l'Administration centrale du MPO à Ottawa, compensent largement les coûts que représentent, pour la société, la perte de scientifiques et le déclin du financement de la recherche dans les régions.

Pour terminer, je proposerai ces recommandations comme point de départ à la discussion et j'invite le comité à en tenir compte. Quoi qu'il en soit, l'esprit dans lequel ces recommandations ont été formulées et les motifs qui nous ont poussés à rédiger ce document—Carl, Dick et moi-même—, tiennent à notre désir de renforcer le rôle de la science dans la gestion des ressources halieutiques au Canada.

Le président: Merci, M. Jeffrey Hutchings, professeur d'ichtyobiologie à l'Université Dalhousie. Monsieur Hutchings, nous reviendrons à vous pour vous poser des questions un peu plus tard.

Nous allons à présent entendre M. Carl Walters, professeur de pêches et de zoologie à l'Université de la Colombie-Britannique, par vidéoconférence.

Monsieur Walters.

M. Carl Walters (professeur de pêches et de zoologie, Université de la Colombie-Britannique): Bonjour.

Je crois que je vais exprimer un point de vue assez différent de celui de Jeff. Je n'ai jamais travaillé au ministère des Pêches et Océans et je n'ai jamais, personnellement, ressenti les problèmes qu'il a évoqués. En revanche, je vois régulièrement mes étudiants pleurer en fin de cycle pour ne pas avoir eu l'occasion d'aller travailler au Ministère.

Dans les milieux des années 70, j'ai donné une série de cours pour le compte du ministère des Pêches et Océans qui, à cette époque, était rattaché à Environnement Canada, ainsi que pour le Service américain des pêches et de la faune, à des gens travaillant directement dans la gestion du domaine.

• 0955

Eh bien, j'ai constaté une grande différence entre le système canadien et le système américain. Je dirais que les Américains sont, avant tout, des carriéristes. Dans toutes les discussions que j'ai eues avec eux, je les ai vus se demander comment ils pourraient améliorer leur réputation au sein de la bureaucratie.

Avec les Canadiens, c'est tout à fait le contraire. Ils sont, d'abord et avant tout, responsables et ils ont le sens de l'éthique. Leurs premiers soucis sont la santé de la ressource et l'honnêteté.

J'ai vu ce à quoi ressemble ce système. Je crois qu'il a profondément changé au fil des ans. Je pense que plus la bureaucratie a pris de l'importance, plus elle s'est refermée sur elle-même, s'est placée sur la défensive et a créé le genre de problèmes que Jeff a décrits avec tant d'éloquence.

Comment tout cela est-il arrivé? Comment les choses peuvent- elles changer aussi profondément? Je pense que problème de fond tient au système des récompenses en vigueur à la fonction publique. J'estime qu'il ne favorise plus la personne éthique ou honnête; il favorise ceux qui font le jeu de l'équipe et les doreurs d'image. Je parle ici de celui ou de celle qui parvient à se glisser subrepticement en haut de la pyramide. Le système laisse de côté ceux et celles qui pourraient offrir des conseils éclairés au public, pour ne pas dire qu'on occulte littéralement l'opinion de ces gens-là.

Vous entendrez sûrement dire que les choses vont mieux à présent. On vous dira, tout d'abord, que le ministère des Pêches et Océans et ses politiques font l'objet d'un meilleur examen indépendant par les commissions de conservation en place sur la côte Est et par celles qu'on est en train de mettre sur pied sur la côte Ouest.

Mais vous devez vous demander si ces commissions vont effectuer le genre d'examen voulu, quand on sait que le ministère des Pêches et Océans n'a pas eu son mot à dire quant au choix des membres nommés aux commissions et à la façon dont celles-ci seront dotées. Vous voudrez sûrement savoir si les scientifiques peuvent, aujourd'hui, s'exprimer librement au sujet de leurs travaux, même s'il y a eu des problèmes dans le passé.

Je répondrai, personnellement, par la négative. Ils ne le peuvent pas.

D'abord, les lignes directrices sur les relations avec les médias limitent tout échange à la communication de données factuelles, et il ne peut être question des conséquences des politiques, ni de critiquer ou d'interpréter des décisions politiques. Ce faisant, le scientifique se retrouve dans une position insoutenable. Presque tout ce dont il va parler aura des conséquences immédiates sur le plan politique, surtout s'il veut critiquer les politiques du gouvernement.

De façon plus subtile, si un scientifique rédige une communication pour faire connaître son point de vue, il court un risque énorme sur le plan de la carrière. Les faiseurs d'image de la bureaucratie le targueront de franc-tireur ou de radical, l'affubleront de bien d'autres vocables, et son avancement en sera perturbé. Il est très curieux qu'à l'heure actuelle la plupart des meilleurs scientifiques des pêches au Canada soient tout en bas de l'échelle hiérarchique.

Vous devrez vous pencher sur un événement qui s'est produit cet été et qui ne se limite pas au domaine des pêches. L'un des plus anciens et des plus renommés scientifiques dans les pêches, Ransom Myers, a fait l'objet d'une menace de poursuite par deux hauts fonctionnaires du MPO. Pour moi, cette situation est totalement inacceptable. Elle n'est pas inacceptable parce qu'il s'agit du domaine des pêches, mais parce qu'elle donne à penser qu'un citoyen canadien peut être menacé par un fonctionnaire. Les fonctionnaires du MPO parties à cette poursuite auraient dû, pour le moins, être immédiatement relevés de leurs responsabilités sur le plan de la politique gouvernementale, en attendant l'issue de la poursuite. À ce que je peux voir, le gouvernement n'a rien fait en ce sens.

Je vais terminer par deux ou trois recommandations. Je ne vous ferai pas l'article sur la nécessité de financer la recherche universitaire.

J'estime que vous devrez, entre autres, débattre de la question de savoir s'il nous faut ou non un organisme scientifique indépendant du MPO. Je ne suis pas certain de partager les conclusions de Jeff Hutchings à cet égard. Je serais plutôt d'accord avec David Anderson quant à la nécessité de resserrer les liens entre la science et les politiques, autrement dit d'amener les scientifiques et les administrateurs à travailler en plus étroite relation au sein d'une même organisation. J'estime que cela est particulièrement important quand on songe à l'incompétence technique choquante dont ont fait preuve de nombreux gestionnaires et responsables des politiques au ministère des Pêches et Océans, ces dernières années, dans l'interprétation et le traitement des données scientifiques sur l'incertitude.

• 1000

J'aimerais que le MPO demeure tel qu'il est aujourd'hui, soit un organisme où l'on cherche à intégrer science et gestion, mais je crois que deux choses pourraient faciliter cela. D'abord, il faut s'assurer que des commissions d'examen indépendantes destinées à garantir au public que la bureaucratie demeure honnête, soit effectivement indépendantes et bénéficient d'un réel soutien financier, intellectuel, émotif et politique afin d'être en mesure de critiquer ouvertement le gouvernement et de tirer la sonnette d'alarme en cas d'occultation des faits, d'incertitudes et du reste, comme le recommandait Jeff.

Ma deuxième recommandation est d'application plus large. Il est vraiment nécessaire de réviser les lignes directrices sur les communications au sein de la fonction publique, non seulement pour les rendre acceptables dans le cas des scientifiques désireux de s'exprimer à propos de l'application des politiques et de faire part de leur point de vue sur les conséquences politiques de leur recherche mais, plus encore, pour leur confier la responsabilité fondamentale de communiquer leur point de vue au public et à leur employeur. Nous sommes tout à fait capables de trier les pommes pourries dans le panier et d'exclure ceux et celles qui voudraient simplement se faire remarquer. J'estime que cela est vraiment nécessaire et que les scientifiques ont la responsabilité de nous dire ce qu'ils pensent.

Le président: Merci, M. Carl Walters, professeur de pêches et de zoologie à l'Université de la Colombie-Britannique. Monsieur Walters, nous reviendrons à vous dans un moment, quand les membres du comité voudront vous poser des questions. Vous avez parlé du Dr Ransom Myers, et bien sachez qu'il va témoigner devant ce comité mardi prochain.

Nous allons à présent passer à notre dernier témoin pour la matinée, le Dr Dick Haedrich, professeur de biologie à l'Université Memorial.

Monsieur Haedrich.

M. Dick Haedrich (professeur de biologie, Université Memorial): Merci. Vous rentrez juste des petits ports isolés de Terre-Neuve et vous aurez certainement vu le visage humain de la tragédie environnementale qui s'y est abattue. Que les choses soient bien claires: vous n'avez pas vu les résultats d'un désastre naturel. Tout cela a été causé par l'homme et aurait pu être évité. J'espère que nous saurons tirer les leçons de ce qui s'est produit.

Je félicite ce comité, monsieur le président, d'avoir entrepris cette étude. Je tiens également à vous remercier de m'avoir invité. Je n'avais pas vraiment l'intention de faire une déclaration, mais quand j'ai reçu l'invitation, les rouages se sont mis à tourner et je vous ai préparé quelques points d'intervention.

À de nombreux égards, ce que je vais vous déclarer va refléter le point de vue que viennent d'exprimer mes deux collègues. Je tiens à dire à Jeff, pour qui j'ai énormément d'admiration, que, comme à l'habitude il nous a fait une présentation très éloquente dans laquelle, semble-t-il, il est parvenu à résumer très bien un grand nombre de ces points.

J'étudie les poissons et leur écologie. Dans la première moitié de ma carrière, j'ai été chercheur au Woods Hole Oceanographic Institution. Depuis 1979, je suis professeur à l'Université Memorial. Au cours des dernières années, j'ai participé à un vaste projet portant sur la viabilité des espèces en général, mais ce projet comportait un volet tout particulier consacré à la science et aux politiques.

Une partie de ce travail consistait à se demander comment les décisions scientifiques étaient prises. L'une des questions auxquelles j'ai essayé de répondre est devenue le titre de la communication que Jeff, Carl et moi-même avons publié: «Issu scientific inquiry incompatible with government information control?» (la recherche scientifique est-elle incompatible avec le contrôle de l'information exercé par le gouvernement?). D'ailleurs, Jeff vous a parlé de certaines des ramifications associées à tout ce problème.

Vous savez ce qui s'est passé par la suite. Le document a été publié et nous avons immédiatement subi des attaques personnelles; on a essayé de nous discréditer—ce que quelqu'un continue de vouloir faire en coulisses—et on a essayé de bousculer les normes de la publication scientifique. Cependant, la presse s'est emparée du dossier et a en fait appris beaucoup plus que ce que nous avions nous-mêmes découvert, avant de diffuser largement cette histoire.

• 1005

J'invite le comité à examiner l'autre document publié en même temps que le nôtre, auquel David Cook a fait allusion dans son excellent éditorial. Cette communication était signée par Steve Kerr, ancien employé du MPO, et par Richard Ryder, l'un des plus éminents limnologues du Canada. À bien des égards, ce papier constituait une critique beaucoup plus directe et plus virulente que la nôtre.

J'en suis venu à la conclusion qu'il valait la peine de s'intéresser, de façon plus large, aux questions que Jeff a déjà soulevées, à savoir le rôle de la science dans la prise de décision de nature scientifique, dans les affaires publiques canadiennes et au sein de la fonction publique, et pas uniquement au MPO, mais peut être aussi dans d'autres ministères.

Je vais remettre un peu les choses en perspective. Nous avons entendu parler des universités et s'il est une chose que je tiens à dire à cet égard, c'est que le passé nous montre que les universités canadiennes sont loin d'être des tours d'ivoire. Elles sont aptes et désireuses de s'attaquer à des questions difficiles et à les poursuivre jusqu'à leur règlement, ce qui nous vaut d'ailleurs le plaisir inattendu de comparaître devant ce comité du Parlement.

Les cas dont nous avons eu vent sont... Comme Carl l'a dit, le MPO ne peut pas se contenter de dire que les choses vont mieux à présent, que les choses ont changé et ainsi de suite. La crédibilité scientifique a été endommagée à un tel point que j'estime qu'un changement fondamental est nécessaire.

Je vais réitérer ce que Jeff a dit. Le problème auquel nous sommes confrontés n'est pas celui de la science. Le MPO compte d'excellents scientifiques dans ses rangs. Le Ministère continue de réaliser d'excellents travaux scientifiques. Mais la pratique qui consiste à faire semblant de prendre des décisions politiques fondées sur des constats scientifiques est très dommageable pour le milieu scientifique en général. Voilà pourquoi j'estime qu'il va falloir prendre des mesures draconiennes pour restaurer la confiance du public envers cette organisation.

Un peu plus tôt, j'ai fait allusion à la façon dont certains pays ont recours à la science pour régler les questions relatives aux ressources. J'ai mentionné la Hollande, la Norvège, l'Irlande et les États-Unis, où il est très commun de trouver, sur les campus universitaires, des centres d'étude halieutiques ou des laboratoires de gestion de la faune administrés par le gouvernement. Les scientifiques employés de la fonction publique et ceux travaillant pour les universités travaillent en un même lieu. Tous sont soumis au même harcèlement constant de questions de la part des étudiants, qui sont de merveilleux iconoclastes, qui vous forcent à demeurer honnête et ainsi de suite. J'ai vu cela à l'Université du Massachusetts, à l'Université du Vermont, à l'Université du Maine, à l'UCLA et à de nombreux instituts en Hollande. Je pourrais continuer encore longtemps à vous parler de cette formule, sachez simplement qu'elle fonctionne très bien.

L'un des avantages additionnels qu'elle comporte, dans lequel je crois beaucoup et dont Jeff vous a parlé, tient au fait qu'on s'éloigne de la gestion centralisée pour que les questions soient traitées dans les régions, là où elles ont le plus d'importance. Cette formule présente un autre avantage, qu'on n'a pas mentionné: très souvent, dès la conception d'origine, elle permet de tenir compte du point de vue des pêcheurs, des utilisateurs des ressources locales et des autres.

Je vais vous dire quelques mots de l'avenir. S'agissant, toujours, de l'organisation de la science, au Canada, on s'achemine vers un plus grand transfert de responsabilités, les dossiers étant de plus en plus confiés aux provinces. J'estime que, sur ce plan également, nous devons nous tourner vers les universités qui ont les moyens de reprendre ce genre de dossiers à l'échelon local, surtout dans la région atlantique où j'estime qu'il n'y a pas d'autres établissements scientifiques aptes à assumer le genre de rôle que les laboratoires du gouvernement fédéral ont rempli jusqu'à présent. Je crois que de plus en plus on va confier tout cela aux universités.

• 1010

Il a été question des différentes façons de financer les sciences. Comme je suis professeur d'université, vous trouverez sûrement mon propos intéressé, mais je suis intimement persuadé que, malgré les apparences, tel n'est pas le cas. J'approche l'âge de la retraite et je n'aurai pas plus à vivre cela pendant très longtemps encore.

J'ai travaillé pour le CRSNG et pour la National Science Foundation. Grâce au CRSNG, nous avons, ici au Canada, un très bon système de financement des sciences, mais il ne faut pas le laisser dépérir. Il faut le soutenir. J'estime que les sciences au MPO ont aussi besoin d'appui, mais celui-ci devrait venir des régions. Enfin, j'estime que les universités, bon gré mal gré vont devoir jouer un rôle croissant dans ce domaine.

Il y a une autre petite chose que j'aimerais rajouter. C'est un peu particulier, mais c'est très important à mes yeux et très important en général, aussi, je crois. À l'heure où le comité se penche de plus en plus sur les questions de la politique, de la science et du reste, j'aimerais que nous nous intéressions à la disponibilité des données.

Vous aurez sûrement entendu parler des pêcheurs de Bonavista qui veulent qu'on rouvre tout de suite les pêches parce qu'ils prétendent qu'il y a beaucoup de morues. Eh bien, s'ils croient cela, c'est en partie parce qu'ils n'ont pas pleinement accès aux données existantes. La plupart de ces données sont recueillies par le MPO et rares sont les autres organisations qui sont en mesure de recueillir ce genre d'information, comme les séries à long terme, par exemple. Dans les universités, nous avons beaucoup de difficultés à obtenir ce genre de données. Il arrive que nous puissions y mettre la main dessus, mais parfois ce n'est pas possible. C'est curieux la façon dont elles sont diffusées, sélectivement.

Par ailleurs, je suis d'accord avec ce que Carl Walters nous a dit, c'est-à-dire que les gens vont venir vous déclarer que tout est rentré dans l'ordre, que les choses vont mieux à présent. Si je me fie à mon expérience, je puis vous affirmer que tel n'est pas le cas, surtout en ce qui concerne l'obtention de ces données.

Jeff vous en a parlé de façon plus éloquente. Il vous a dit que les gens doivent savoir avec quel genre de données ils doivent traiter, et j'estime que cela aussi c'est important.

Mais pourquoi ne nous arrêterions-nous pas ici, monsieur le président, pour que nous répondions à vos questions.

Le président: Merci, Dr Dick Haedrich—soit dit en passant, M. Haedrich est professeur de biologie à l'Université Memorial.

Nous allons passer aux questions des députés. Comme cette séance est télévisée, il nous reste 47 minutes pour la période des questions. Nous allons essayer de nous limiter à huit minutes par représentant de parti politique et allons débuter par le Parti réformiste. Monsieur Lunn et monsieur Duncan, vous allez vous partager le temps alloué et vous aurez ainsi quatre minutes chacun. Nous passerons ensuite à M. Yvan Bernier, qui aura huit minutes, puis à Charles Hubbard, du Nouveau-Brunswick, qui aura également huit minutes, et qui sera suivi de M. Peter Stoffer, de la Nouvelle-Écosse, pour huit minutes également. Nous terminerons par M. Paul Steckle, puis par M. Bill Matthews, de Terre-Neuve.

Nous commençons donc par M. Gary Lunn.

M. Gary Lunn (Saanich—Gulf Islands, Réf.): Merci, messieurs. Vos déclarations ont été très bien senties et j'ai bien sûr une question à vous poser. Je vais d'abord passer deux ou trois minutes à vous placer en contexte, après quoi je vous demanderai de réagir.

Je tiens à commenter la remarque du Dr Haedrich qui a dit: «... ce n'est pas un désastre naturel... il aurait pu être évité». C'est là une déclaration très sentie. De toute évidence, nos témoins s'entendent sur le fait qu'il existe un énorme problème dans le domaine de la science. Si je me rappelle bien, le Dr Walters a également déclaré qu'on ne peut entièrement séparer le domaine politique du domaine scientifique. S'il est une seule chose sur laquelle je sois d'accord avec le ministre Anderson, c'est bien celle-là.

Je suis également d'accord sur le fait que l'activité scientifique doit pouvoir être conduite en complète indépendance du Ministère. Pensez-vous qu'il existe une formule permettant d'intégrer entièrement la science et les politiques, autrement dit le MPO et la direction générale des sciences, en un seul et même ministère, mais suivant une formule où le volet scientifique, jusqu'en haut de la chaîne de commandement, ne relèveraient pas du ministre, mais plutôt d'une CC ou d'un autre organisme. Je crois également que, si le gouvernement ne peut se décharger entièrement de ses responsabilités, nous devons tout de même nous rapprocher des ressources et des gens vivant de ces ressources.

• 1015

Une dernière chose. Nous avons entendu le ministre répéter, sans cesse, conservation, conservation, conservation, et nous dire qu'il existe un partenariat entre le MPO et le milieu des pêches. Personnellement, je crois qu'une telle chose n'est pas possible, à cause de la structure actuelle et à cause de ceux qui la composent.

J'ai remarqué que le Dr Hutchings a précisé qu'il voulait être critique du système, mais pas des employés, très dévoués. Je suis sûr, moi aussi, qu'il y a de nombreux employés et employées de qualité. Mais d'après ce que j'ai vu, je suis intimement convaincu- -et je veux avoir votre avis à ce sujet—que nous avons besoin d'une structure globale... Il faut redéfinir la façon dont on pense au sein de ce ministère, mais on ne peut pas le faire avec les actuels cadres supérieurs.

Je ne parle pas, ici, d'une ou deux personnes, je parle des centaines de cadres supérieurs. Il y a beaucoup de gens et il semble tous être engoncés dans un certain modus operandi. Avec ce que nous avons vu, avec le genre de désastre que nous avons constaté, je ne crois pas que ces gens-là soient en mesure d'apporter ce genre de changement.

Monsieur Hutchings, j'aimerais que vous soyez le premier à nous faire part de vos commentaires, parce que vous avez travaillé parmi ces gens-là. Dites-nous si l'on peut envisager une intégration complète du scientifique et du politique, les deux volets étant redevables auprès d'organes distincts.

Le président: Monsieur Hutchings, avant que vous ne commenciez, je vous demanderai d'être assez bref dans vos réponses, pour que nous puissions vous poser le plus grand nombre de questions possible. La deuxième partie de la question s'adressait au Dr Walters, c'est cela? Bien.

Monsieur Hutchings.

M. Jeffrey Hutchings: La science peut-elle faire partie de la fonction publique tout en n'ayant rien à voir avec elle? Une des façons de renforcer l'interaction entre le volet politique et le volet scientifique, consisterait, selon moi, à faire en sorte que les scientifiques soient mis au courant des mesures politiques que l'on compte prendre, pour qu'ils puissent en évaluer et en quantifier le risque potentiel.

Ce n'est actuellement pas le cas. J'estime que ce serait une façon de renforcer l'interaction entre ces deux volets.

Quant au maintien de la science au sein de la fonction publique, tout en lui permettant d'échapper à toute influence possible, c'est, en grande partie, pour cela que je vous ai suggéré de mettre sur pied un organisme chargé de cerner ou de communiquer les bases scientifiques et les risques potentiels associés aux décisions touchant à la gestion de la ressource. Cette façon de faire permettrait, essentiellement, d'empêcher toute politisation éventuelle d'un dossier scientifique ou toute autre forme d'influence de la science.

Le président: M. Walters, puis M. Haedrich.

M. Carl Walters: Je répéterai ce que j'ai dit en dernier lieu. J'estime que l'intégration du volet scientifique et du volet gestion doit débuter par une inversion fondamentale. Il faut rappeler aux scientifiques, de la base au sommet, qu'ils ont une responsabilité envers le public et qu'ils doivent exprimer ouvertement leurs points de vue. D'entrée de jeu, cela rendrait très difficile aux faiseurs d'image dans les bureaux régionaux et à Ottawa, de même que dans l'ensemble du MPO, de venir faire leurs petits tours de passe-passe et dire aux gens qu'il faut leur faire confiance à eux parce qu'ils sont des spécialistes hautement qualifiés.

C'est la seule façon, parallèlement à la tenue d'un examen externe et indépendant visant à éviter que la bureaucratie adopte des politiques néfastes et dangereuses, d'espérer que ce genre d'intégration se poursuive de façon honnête.

Le président: Merci, monsieur Haedrich.

M. Dick Haedrich: Il est important de se rendre compte que la science elle-même est une forme de débat structuré. Ce n'est pas simplement une série de vérités auxquelles on parvient. Il faut débattre de la science ouvertement, il faut la remettre en question, il faut la tester, etc.

Je suggérerais qu'on mette sur pied de petits laboratoires, situés en des endroits où les étudiants pourraient y avoir accès. Voilà le genre de structure qui fonctionnera.

J'estime en outre qu'il serait très important de soumettre clairement aux scientifiques les questions de nature politique, dès le début, plutôt que de les leur soumettre à la toute fin pour leur demander une opinion allant dans le sens des conclusions déjà tirées. Voilà le genre de restructuration qui s'impose.

Le président: Merci, monsieur Haedrich. Nous passons à M. John Duncan.

M. John Duncan (Île de Vancouver-Nord, Réf.): Bonjour. J'aurai deux bonnes heures de questions à vous poser à chacun et je suis désolé que notre temps soit limité.

J'ai trouvé vos recommandations fort intéressantes. Mardi dernier, le vérificateur général a déposé un chapitre de son rapport, à Ottawa. On y dit qu'en Colombie-Britannique, 600 stocks de saumon sont à haut risque. On y dit également que le mandat du MPO, sorte de mandat ne donnant lieu à aucune «perte nette», ne contraint pas le Ministère à s'intéresser aux différentes populations, ce qui est, par exemple, tout à fait contraire avec la nouvelle loi provinciale en vigueur en Colombie-Britannique exigeant qu'on s'intéresse à chaque cours d'eau. Je pense qu'il serait donc très intéressant que vous nous disiez dans quelle mesure ce mandat constitue un obstacle de taille.

• 1020

Par ailleurs, si le ministre ne prend pas les rênes dans toute cette question des sciences de la pêche, et s'il continue de soutenir le statu quo, comment envisagez-vous de promouvoir ce genre de changement sans risquer de démoraliser les scientifiques? Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il y a de bons scientifiques au sein du MPO. Mais vont-ils rester après tout cela? Voilà, je pense, le sens de ma question.

Le président: Nous allons suivre le même ordre.

Monsieur Hutchings.

M. Jeffrey Hutchings: Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, si le ministre défend publiquement le statu quo, je peux vous dire que plusieurs choses se passent en coulisses avec certaines régions—du moins dans le cas de la région des Maritimes—, comme des tentatives visant à inclure des points de vue différents sur l'évaluation des stocks pour ouvrir un peu les choses et améliorer l'examen de l'évaluation des stocks. Il y a toute une série de choses qui se produisent, que j'estime très positives, qui ont permis d'améliorer le moral des scientifiques au sein de certains ministères, et dont le public n'est pas forcément au courant.

Je ne pense pas être compétent pour parler de l'observation faite par le vérificateur général à propos de la côte Pacifique. Je préfère laisser cela à Carl.

Le président: M. Walters, de l'Université de la Colombie- Britannique.

M. Carl Walters: J'estime que ce dont nous venons de parler est une des plus grandes causes actuelles de démoralisation des scientifiques du MPO, soit l'occultation de l'information, les menaces sournoises, etc. L'été dernier, en Colombie-Britannique, un jeune homme du nom de Ken Wilson, l'un de nos meilleurs biologistes du saumon coho, s'est senti obligé de prendre un congé autorisé de longue durée du MPO pour exprimer ouvertement son point de vue à propos de la menace extraordinaire qui plane sur une partie de la population de saumon coho.

Je ne pense pas que la province puisse faire grand chose à ce sujet. La menace découle des changements survenus dans les taux de survie en océan d'une très grande partie des stocks. Elle est également due aux politiques du MPO en matière de capture du poisson, pour des stocks situés à l'extérieur des cours d'eau. Il faut modifier la politique du MPO, mais il n'est pas nécessaire de transférer l'autorité à la province.

Le président: M. Haedrich.

M. Dick Haedrich: J'ajouterai simplement que l'on se prépare à franchir de petites étapes. D'ailleurs, j'estime qu'on ne progresse que par petites étapes, mais ce qui est important, pour en revenir à ce dont vous parliez, c'est la participation des localités. À l'heure actuelle, la plupart de ces projets sont administrés dans le cadre de programmes universitaires, bien que le MPO y participe dans une certaine mesure. À l'Université Memorial, nous travaillons en collaboration avec les collectivités et l'Université Simon Fraser est en train d'effectuer un travail important avec les collectivités côtières.

Tout cela donne des résultats, à petite échelle, avec les localités, sans compter que, dans ce cas, le public est plus intéressé aux différentes questions et qu'il veut être tenu au courant de l'évolution des dossiers. Certains des scientifiques du MPO que j'ai rencontrés, et qui participent à ce genre d'expérience, trouvent un certain réconfort dans le fait que quelque chose semble se produire, mais je ne sais pas quoi vous recommander pour régler ce problème de démoralisation, si ce n'est, comme je le disais, que le ministre devrait prendre des mesures draconiennes, ce qu'il ne fait pas.

Le président: Merci, monsieur Haedrich. Nous allons maintenant passer à M. Yvan Bernier du Bloc québécois.

Vous avez huit minutes, monsieur Bernier.

Nous avons des interprètes, mais M. Bernier maîtrise parfaitement la langue anglaise, comme nous avons pu le constater à l'occasion de notre tournée du Canada atlantique. Il nous a fait quelques excellentes déclarations en anglais.

• 1025

[Français]

M. Yvan Bernier (Bonaventure—Gaspé—Îles-de-la-Madeleine—Pabok, BQ): J'ai trouvé votre présentation extrêmement intéressante. Je pense que c'est une question brûlante d'actualité.

Je voudrais cependant ajouter à la discussion les deux questions suivantes. D'abord, qu'en est-il des publications? On s'interroge sur les publications de recherche scientifique faite par Pêches et Océans pour le grand public au Canada. Qu'en est-il des publications des chercheurs qui travaillent pour l'OPANO? Je crois qu'il y a d'autres pays qui participent à ces recherches-là, notamment la Russie pour les grand stocks de saumon. Qu'en est-il de la publication de ces données dans les différents pays? Comment vos confrères des pays étrangers vivent-ils ce problème? Si je me reporte aux données de l'OPANO, qui est un organisme international, je vois mal comment la politique intérieure d'un pays comme le Canada pourrait intervenir.

Deuxièmement, je voudrais demander au Dr Haedrich de m'aider à trouver une réponse pour les pêcheurs de Bonavista, qui nous disent qu'ils ont du poisson à l'épaisseur de l'eau devant chez eux et qu'ils aimeraient bien aller pêcher.

J'ai toujours pensé que les pêcheurs suivaient d'une façon empirique un modèle scientifique qui leur était personnel, c'est-à-dire qu'ils suivaient la migration. Mais ils ont quand même une certaine rigueur. Est-ce que je dois comparer votre rigueur scientifique, vous qui avez appris votre métier sur les bancs de l'école, à celle des pêcheurs? En français, on dit «suivre un cours à l'école», alors que nos pêcheurs disent qu'ils «suivent un cours d'eau».

Je ne sais pas comment l'expression va être traduite, mais c'est comme si je comparais le biologiste de la rue et le biologiste qui a appris sur les bancs d'école.

[Traduction]

Le président: M. Haedrich.

M. Dick Haedrich: Pour ce qui est du recours aux pêcheurs, question très intéressante sur laquelle je me suis penché, on a affaire à des échelles différentes. Je ne doute absolument pas que localement, là où se trouvent les pêcheurs, il y a beaucoup de morues. Je suis également convaincu—et je l'ai constaté personnellement à Terre-Neuve—que la compréhension que les pêcheurs ont de cet écosystème est plus large que celle des scientifiques du gouvernement.

Mais d'un autre côté, les scientifiques du gouvernement couvrent un secteur géographique beaucoup plus vaste, même si l'objet de leurs études est considérablement plus étroit. Il existe donc un décalage énorme entre ces deux échelles d'observation. Je crois qu'il y a lieu de faire des progrès dans un cas comme dans l'autre.

On pourrait s'attendre, en premier lieu, à assister à un rétablissement du stock de poisson à proximité des côtes. Le stock ne retrouvera pas toute la productivité qu'il avait il y a 30 ans, s'il ne se reconstitue pas d'abord sur le plateau continental. Toutes les études ministérielles concluent au fait que la population de poisson est très, très basse.

On ne dispose pas des données pour les différents chaluts. L'information fournie par l'OPANO et d'autres, fait partie, comme vous le disiez au début, d'un ensemble de données plus générales, regroupées. Cela étant, elles ne se prêtent pas à un réexamen.

Le président: M. Hutchings.

M. Jeffrey Hutchings: Je vais répondre à votre première question, monsieur Bernier. Nous ne suggérons pas que le MPO modifie les données. Certainement pas. Pour ce qui est des publications, les rapports sur la situation des stocks produits à la suite des examens d'évaluation des pêches, par exemple, doivent être approuvés par le MPO à Ottawa. On en a eu des exemples. Nous avons étayé certains cas, mais il y en a d'autres où l'on a exclu des rapports sur la situation des stocks certaines informations dérivées des examens d'évaluation des stocks.

• 1030

Troisièmement, s'agissant de l'OPANO, je dirais que cet organisme ne s'intéresse qu'aux stocks chevauchant la limite des 200 milles; deuxièmement, elle s'occupe de questions liées à la mortalité des poissons et à l'abondance des stocks. Il y a plusieurs autres aspects auxquels on pourrait s'intéresser dans la recherche sur les pêches, mais de façon générale, l'OPANO ne s'y intéresse pas.

Le président: Merci.

Monsieur Walters, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Carl Walters: J'aurais une brève remarque à faire sur cette question de la coopération. J'ai publié toute une série de documents, récemment, dans lesquels j'affirme qu'il faut non seulement instaurer des liens entre les pêcheurs et les scientifiques mais que, de plus, il n'est pas possible de s'y prendre autrement. Il nous faut instaurer de meilleurs systèmes coopératifs de collecte de l'information.

Le président: Parfait.

Nous allons maintenant passer à la province du Nouveau- Brunswick et à M. Charles Hubbard, qui partage son temps avec M. Easter. Donc, commençons par M. Hubbard du Nouveau-Brunswick après quoi nous passerons au député de l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Charles Hubbard (Miramichi, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je commencerai par dire que nous sommes très préoccupés par le ton et par les mots employés pour décrire ce que beaucoup d'entre nous perçoivent comme étant le problème. Nous avons entendu des mots comme «honnêteté», «éthique» et «intimidation». J'ai l'impression, monsieur le président, que si j'avais vécu dans d'autres pays il y a quelques années... c'est un peu comme si nous avions affaire aux méthodes du KGB, qui contrôle et qui essaie de tout coordonner, qui coordonne l'ensemble des communications et des messages. Nous devons remettre tout cela en question.

Au Canada, nous avons accès à un système d'information. J'aurais imaginer que, si certains membres de la communauté scientifique remettent en question les travaux des scientifiques du MPO, ils auraient pu essayer de se procurer les travaux en question, qui sont du domaine public, pour pouvoir déterminer ce qui se produisait en réalité.

Cela m'inquiète, mais j'entends ici poursuivre une question que j'avais posée au Dr Doubleday quand il a comparu devant le comité, et qui n'avait pas eu l'heur de lui plaire. J'avais affirmé que dans d'autres pays, il existait des relations ou des contacts entre les universités et les organismes privés et le secteur public, sur les questions gouvernementales et de pêches, et que même dans certains cas, on versait de l'argent aux agences et aux universités afin de leur permettre de coordonner leurs recherches. M. Doubleday a semblé, pour sa part, affirmer que telle n'est pas la tendance, que ce n'est pas ainsi qu'il faut s'y prendre.

J'aimerais que nos témoins nous disent si, selon eux, il faudrait octroyer plus de fonds aux universités de la côte, pour leur permettre de mettre sur pied et d'administrer des programmes susceptibles de déboucher sur de bonnes recherches. Les universités comptent un grand nombre d'étudiants disponibles pendant l'été, de même que d'étudiants du programme de troisième cycle. J'ai l'impression qu'on pourrait utiliser ces gens-là pour verser efficacement les renseignements scientifiques dans le domaine public. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long sur cette idée?

Le président: M. Hutchings.

M. Jeffrey Hutchings: Je suis entièrement d'accord avec vous. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai recommandé que l'on réactive le programme de subvention du MPO. Avant, celui-ci permettait de distribuer environ 750 000 $ annuellement à des chercheurs universitaires pour que des étudiants des programmes de second cycle puissent effectuer des recherches pouvant être bénéfiques pour le département. D'ailleurs, les départements stipulaient trois ou quatre domaines généraux dans lesquels ils étaient disposés à examiner des propositions d'étude.

Cela a permis, d'abord, de resserrer la collaboration entre les chercheurs universitaires et les scientifiques gouvernementaux, ce qui est très bien; deuxièmement, cette formule permettait d'effectuer des recherches sur des questions que les scientifiques du MPO n'ont pas le temps ni les moyens d'étudier, à cause des réductions budgétaires effectuées au Ministère; troisièmement, on bénéficiait ainsi d'un renouvellement des effectifs, comme je le disais tout à l'heure, grâce à l'apport d'étudiants diplômés des universités formés dans ces matières et aptes à contribuer aux différents travaux, après l'obtention de leur diplôme.

Le président: M. Walters.

M. Carl Walters: Personnellement, je suis dans le travail coopératif jusqu'au cou avec les scientifiques du MPO qui se chargent de l'évaluation des stocks, ici, sur la côte Ouest. Si je le pouvais, je me multiplierais par 10.

Les problèmes dont nous parlons ici ne sont pas simplement des problèmes entre scientifiques appartenant à la fonction publique et scientifiques de l'extérieur. Nous nous entendons très bien, par- delà les points d'accroc. Le problème tient plus à la façon dont on use et on abuse de notre travail.

Le président: M. Haedrich.

• 1035

M. Dick Haedrich: J'ai deux choses à dire. D'abord au sujet de l'accès à l'information et aux données. La politique du MPO à Terre-Neuve en matière d'accès aux données, précise expressément que toute demande d'information formulée dans le cadre de la Loi sur l'accès à l'information peut être refusée si le patron de la Direction générale des sciences déclare qu'un membre de son personnel est en train de travailler sur la même chose. C'est la politique telle qu'elle est énoncée. Je ne sais pas si on l'applique, mais c'est ainsi que les choses sont prévues.

Deuxièmement, je ne saurais être davantage d'accord avec vous quant à la capacité des universités, non seulement grâce à l'apport des étudiants, l'été, mais aussi grâce aux étudiants qui préparent leur thèse de maîtrise. Nos étudiants veulent travailler sur ce genre de problèmes. Mais ils ont souvent besoin du genre de données dont nous parlions. Je viens juste d'encadrer une étudiante qui voulait travailler sur la répartition et sur l'abondance des larves de morue, dans le passé et aujourd'hui. Or, le MPO—par la voix de l'administration, ici, à Terre-Neuve—lui a expressément déclaré que si elle se lançait dans ce genre d'étude, elle ne pourrait absolument rien publier, que ce qu'elle envisageait de faire était tout à fait hors des normes scientifiques. Cela étant, elle ne poursuivra pas son projet. Voilà pourquoi je dis qu'il se passe certaines choses.

Mais les universités disposent effectivement de certaines capacités, elles peuvent compter sur leurs étudiants, qui sont souvent très rentables, même trop, pour étudier ce genre de question.

Enfin, parce que je ne veux pas être trop bavard, je dirais que j'ai également appris dans le cadre de notre projet, à l'Université Memorial, qu'on peut, dès le début, indiquer sur quelle question d'ordre politique les travaux de recherche scientifique vont s'appliquer. Encore une fois, il y a cette question de décalage, mais si l'on part sur cette hypothèse, on finit par arriver là où on veut aboutir.

Le président: M. Wayne Easter, de l'Île-du-Prince-Édouard, pour trois minutes.

M. Wayne Easter (Malpeque, Lib.): Merci, monsieur le président. J'ai une question bien précise à poser à M. Hutchings et des questions d'ordre plus général pour les deux autres témoins.

Quand M. Doubleday a comparu devant le comité, il nous a déclaré, et je cite, que «Les citations de Hutchings sont très parcellaires, et elles ne sont parfois que des bribes de phrase». Il a poursuivi en disant que vous aviez retenu quelques phrases, voire des bribes de phrases, pendant la période de 10 ans que vous aviez passée au MPO, et que vous aviez fondé votre évaluation sur cela. Estimez-vous que votre article était fondé sur des faits scientifiques avérés ou qu'il était politisé à souhait pour être conforme à vos visés? C'est la question que je vous adresse.

Pour gagner du temps, monsieur le président, je vais tout de suite poser une autre question. J'ai été intrigué par les propos de M. Walters, quand il a déclaré qu'un peu plus tôt dans sa carrière, il avait constaté des différences entre la fonction publique canadienne et la fonction publique américaine. Je suis sûr que si vous posiez la question aux politiciens assis ici... Si je me rappelle ce qui se passait il y a 20 ans, quand nous traitions avec Ottawa, je dois dire que j'ai souvent décrié publiquement... Je me demande vraiment si nous vivons dans une démocratie avec un gouvernement représentatif ou sous le régime d'une dictature bureaucratique. Je dis cela avec le plus grand sérieux du monde, parce que je ne doute absolument pas que la bureaucratie... Il fut une époque où la fonction publique était au service du public. Je me demande si c'est encore le cas.

Des voix: Bravo, bravo!

M. Wayne Easter: Je suis effectivement secrétaire parlementaire auprès du ministre des Pêches, mais je trouve tout aussi difficile que n'importe quel autre politicien d'obtenir des renseignements de cette bureaucratie. Et voyez ce qui se passe du côté du ministère de l'Agriculture, c'est tout aussi mauvais pour ne pas dire pire.

Donc, j'aimerais bien obtenir un peu plus de renseignements sur tout cela.

Enfin, et ma question s'adresse à M. Haedrich, sachez que moi aussi je suis préoccupé par l'indépendance du milieu universitaire.

Lors de la dernière législature, j'ai eu énormément de contacts avec des laboratoires pharmaceutiques à qui je reprochais d'utiliser l'hormone STbr, servant à augmenter la production des vaches laitières. Personnellement, j'estime que si les universités doivent de plus en plus compter sur des fonds provenant non plus du secteur public mais du secteur privé, on aura de moins en moins confiance dans la recherche universitaire, ainsi que dans les scientifiques y travaillant. J'ai collaboré avec les gens de l'Université de Guelph à ce sujet. J'aimerais entendre vos remarques à ce propos.

Pour terminer, je m'adresse à vous trois. Lors de nos audiences dans la région de l'Atlantique, nous avons entendu les gens nous dire, pourquoi ne pêchons-nous pas des espèces sous- exploitées, comme le capelan, la crevette, etc., qui sont abondantes. Mais, à l'heure actuelle, estimez-vous qu'on dispose des données scientifiques voulues pour prendre ce genre de décisions en tenant compte des incidences que cela pourrait avoir sur toute la chaîne alimentaire du poisson?

• 1040

Le président: Messieurs, je sais que cela va vous être très difficile, mais j'aimerais que vous nous donniez des réponses assez brèves. Nous devons maintenant passer aux néo-démocrates, puis aux libéraux et, enfin, revenir aux conservateurs.

M. Hutchings.

M. Jeffrey Hutchings: Je répondrai à votre première question, monsieur Easter, celle concernant mes objectifs personnels, que je ne sais pas au juste ce qu'ils sont. Je n'ai certainement rien à craindre du ministère des Pêches et Océans. Pendant que j'étais chercheur universitaire au Ministère, j'ai reçu un prix du MPO, pour une de mes publications. Chaque fois que j'ai demandé des fonds pour la recherche, le Ministère me les a accordés. J'ai collaboré à de nombreuses reprises, et de façon extensive, avec le Ministère.

Donc, personnellement, je n'ai rien à gagner à soulever ce problème dans une communication scientifique.

M. Doubleday prétend qu'une partie de ce qu'il a dit a été interprétée de façon sélective. Eh bien, nous lui avons fait savoir ce que nous en pensons dans notre réponse.

Tout ce que je dirai ici c'est que, selon nous, son co-auteur et lui-même sont passés à côté de ce que nous voulions leur faire remarquer. Finalement, nous avons soulevé un certain nombre de problèmes, des problèmes divers. Bien sûr, il est libre de s'objecter à la façon dont nous nous y sommes pris pour faire part de nos préoccupations.

Mais très honnêtement, il appartient à la communauté scientifique et au grand public de décider de la légitimité de nos inquiétudes.

Le président: M. Walters.

M. Carl Walters: Je ne pense pas que le MPO essaie vraiment de cacher l'information. Pour obtenir des renseignements—étant donné qu'il y a énormément d'informations à puiser et que cela est très complexe—, le truc consiste à s'adresser à une personne possédant la compétence technique voulue pour extraire les renseignements recherchés et qui sache comment les obtenir, ce qu'on a tout à fait le droit de faire.

M. Dick Haedrich: Sur le plan de l'indépendance des recherches à l'université, on retrouve exactement le genre de menace que ce que vous vouliez. Mais, la tradition dans le milieu universitaire veut que toute idée soit sujette à débat. Je sais que certaines universités—aucun nom ne me vient à l'esprit maintenant—ont adopté pour politique de ne pas entreprendre de recherche qui ne pourrait être publiée. Cela évidemment les coupe de certaines sources de financement, mais je suis tout à fait d'accord avec cette position de la part des universités et, d'ailleurs, c'est celle que je soutiens à Memorial.

Le président: Nous allons passer à M. Peter Stoffer, du Nouveau parti démocratique.

Vous avez quatre minutes, monsieur.

M. Peter Stoffer (Sackville—Eastern Shore, NPD): Merci, monsieur le président.

Avant tout, vous voyez maintenant pourquoi je réclame une enquête. Tout cela est extravagant. Je pourrais poursuivre sur cette lancée, mais je vais passer à mes questions, parce que je ne veux pas gaspiller les quatre minutes qui me sont allouées.

C'est absolument incroyable, mais je vais être gentil.

Quand M. Anderson a comparu devant nous il y a quelques semaines, il nous a fait un rapport absolument dithyrambique sur ce qui se passe au MPO. Je vous parierais que son rapport a été rédigé par ceux qui imaginent les légendes des cartes de voeux de Hallmark.

Je lui ai demandé comment il pouvait s'attendre à réaliser toutes ces merveilleuses choses alors que le budget du MPO sera réduit cette année et encore plus l'année prochaine. Personnellement, je crois qu'il n'y parviendra pas.

Monsieur Hutchings, vous avez dit qu'à votre connaissance, le Ministère ne modifie pas ses documents. Eh bien je ferai valoir, monsieur, que si le Ministère ne remet pas au ministre les renseignements dont il a besoin pour prendre des décisions nuancées, cela équivaut à omettre des documents, ce qui est la même chose que de les modifier.

Vous aviez tout à fait raison en disant que les renseignements et les réponses communiqués au ministre sont beaucoup plus fonction des besoins politiques que des besoins scientifiques. Et cela, je l'entends partout où je vais.

Combien de petites enveloppes brunes a-t-on glissé sous ma porte et dont le contenu confirme exactement ce que vous venez de dire, messieurs, et ce qu'a dit aussi le Dr Brodie, sur la côte Est.

J'ai deux ou trois préoccupations dont j'aimerais vous faire part. Ici, à Terre-Neuve, bien des pêcheurs se méfient des études scientifiques, parce qu'ils ne sont pas consultés.

Je vais certainement demander au président de ce comité de nous éclairer sur un point—un test qui a été effectué pour voir s'il y avait de la morue dans des régions où, selon les pêcheurs, il était certain qu'il n'y en avait pas. J'aimerais bien que M. Baker nous en dise un peu plus long à ce sujet, vers la fin de cette réunion. Je l'apprécierais beaucoup.

En outre, les pêcheurs ne réclament pas une réouverture complète de la pêche. Ils ne veulent pas reprendre la totalité de leurs activités. Ils veulent simplement qu'on entreprenne de façon sérieuse la pêche expérimentale de la morue qu'ils savent être là, en relation avec les scientifiques et sous la gouverne du MPO. J'estime qu'on leur doit, moyennant une surveillance stricte et des lignes directrices adaptées, de permettre des pêches expérimentales à la morue dans les secteurs où le contenu des trappes indique que la population de morue a augmenté au cours des trois dernières années. Je vous soumettrai, à vous trois, que si nous pouvions, en fonction de règles strictes, ouvrir une pêche expérimentale limitée à la morue, on constaterait que ces pêcheurs ont raison. Combien de fois avons-nous entendu parler de la présence de quantités incroyables de morue, le long des côtes Nord-Est et Sud de Terre- Neuve. Que pensez-vous de cela?

• 1045

Je tiens à dire, au passage, que je trouve tout à fait choquant que le ministre des Pêches et Océans s'adresse à la presse pour inviter ce comité permanent à baisser le ton d'un cran et à ne plus se plaindre au sujet du volet scientifique de son ministère. Je songe ici à quelques déclarations faites par M. Lunn, mon collègue du Parti de la réforme. Je suis tout à fait d'accord avec lui sur ce plan. Si nous parvenons à énerver le ministre, d'une façon ou d'une autre, je trouve cela merveilleux, parce que ça prouve que nous touchons chez lui un nerf sensible.

Je pourrais poursuivre longtemps encore dans la même veine, mais je dirai simplement que je suis ravi quand j'entends un membre du gouvernement déclarer que nous vivons un véritable chaos démocratique, parce que vous avez tout à fait raison, M. Easter, et je vous félicite pour cette prise de décision.

Alors, messieurs, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez du fait que les pêcheurs de la côte Est manquent de confiance envers la science.

Je vais partager mon temps avec M. O'Brien qui veut vous poser des questions au sujet des phoques.

Merci à vous trois, messieurs, d'être venus nous rendre visite aujourd'hui.

Le président: Nous allons rapidement passer à M. Hutchings, puis à MM. Walters et Haedrich.

M. Jeffrey Hutchings: Merci beaucoup.

Monsieur Stoffer, je pense que ce dont vous venez de nous parler, c'est-à-dire des relations ou du manque de relations entre les pêcheurs côtiers de Terre-Neuve et le ministère des Pêches et Océans, se ramène essentiellement à un problème de communication.

Le scientifique que je suis se pose une question; il se demande comment interpréter les taux de prises dans les trappes à morue des eaux côtières. Peut-être avons-nous affaire à une solide étude scientifique, mais peut être pas. Il y a certainement moyen de savoir ce dont il en retourne. Pour l'instant, j'aimerais assister à une chose. J'aimerais que le Ministère—et c'est sûrement une gageure pour lui, puisque le programme LSPA va bientôt s'achever—trouve quelqu'un en mesure de communiquer les risques potentiels associés aux décisions prises sur la foi de données relativement limitées. J'estime que c'est très, très important. Je souhaiterais que les communications s'améliorent sur ce plan.

Pour ce qui est de la réouverture limitée de la pêche, peut- être pourrions-nous lancer une pêche indicatrice limitée, ou une pêche indicatrice stratégique en utilisant des trappes à morue ou d'autres engins fixes, répartis de façon stratégique pour nous permettre de déterminer la distribution géographique des morues. Il serait sans doute sage de progresser ainsi, mais il faudrait se montrer prudent dans l'étude des données. J'aimerais que le Ministère et les pêcheurs entretiennent de meilleures communications relativement aux risques potentiels que représente l'interprétation des données, sur leur valeur apparente.

Le président: M. Walters.

M. Carl Walters: Il est très courant de rencontrer ce genre de perception très différente entre les scientifiques et les pêcheurs et il est devenu très courant aujourd'hui de recommander des approches de gestion expérimentale consistant, essentiellement, à conduire des expériences mettant en coopération scientifiques et pêcheurs, en vue de régler les problèmes une bonne foi pour toute. C'est une tendance qu'on constate dans le monde entier, pour s'attaquer à ce genre de problème, et elle donne d'excellents résultats pour tout le monde.

Le président: M. Haedrich.

M. Dick Haedrich: Le manque de confiance dont vous parlez est en fait une conséquence triste et malheureuse de toute cette question.

Si l'on envisageait de rouvrir partiellement la pêche, il faudrait le faire suivant des principes de gestion adaptative, consistant à imaginer les expériences en incluant de façon explicite les pêcheurs dès le début et à tester ainsi les prédictions statistiques. C'est ce qu'a fait le Indian Bay Ecosystem Committee pour les eaux douces de Terre-Neuve, dans le cas de la gestion de la truite. Pêcheurs et utilisateurs de la ressource ont été appelés à participer à ce projet dès la formulation des questions.

Le président: Nous passons à présent au député du Labrador, Lawrence O'Brien.

M. Lawrence O'Brien (Labrador, Lib.): Merci, monsieur le président et merci à bon ami M. Stoffer qui, je crois, vient de me rendre le coup de chapeau que je lui avais donné au Labrador.

Je ne suis pas différent de la plupart des gens, surtout pas des pêcheurs. J'ai grandi sur un bateau de pêche le long de la côte du Labrador. Je suis très sceptique. J'estime que la science a un rôle à jouer, mais je suis sceptique.

• 1050

Quand je songe aux scientifiques de Pêches et Océans, qui ont comparu plus tôt devant nous, je me demande si nous n'avons pas affaire à beaucoup de circonlocutions quand on nous parle du Dr Doubleday. C'est un grave problème auquel je suis confronté.

J'estime qu'il est absolument impossible, pour des scientifiques, d'aller sillonner les vastes étendues de l'Atlantique nord pour déterminer la biomasse de telle ou telle espèce. Je crois que c'est impossible. J'estime que nous avons mis complètement à côté de la plaque durant toutes ces années. Et maintenant, je crois que nous sommes en train de manquer le coche dans le cas de la crevette. D'ailleurs, j'estime que nous avons complètement manqué le coche dans la façon de nous attaquer au véritable problème que présente le phoque.

Je l'ai dit au vérificateur général, je vous le répète et je le répète à tout le monde: pourquoi les scientifiques, le vérificateur général et les politiciens, pourquoi les gens en général, ne veulent-ils pas faire face à l'industrie du phoque? Est-ce à cause Brian Davies, de l'IFAW et du nouveau groupe dont on parle en page 3 du Hill Times et du Globe and Mail? C'est cela ou pas? Croyez-moi, il vous faut réagir; qu'il s'agisse de science indépendante ou de science du MPO, le fond du problème, c'est que les phoques mangent du poisson. Cela ne fait aucun doute. Ils ne vont certainement pas se fabriquer une telle épaisseur de graisse sous la peau en ne mangeant rien.

Mes amis pêcheurs, de bons pêcheurs, me disent que le phoque mange de grosses morues, qu'ils viennent leur ménager un petit trou dans le ventre pour leur aspirer le foie, ce qui leur permet de bien s'engraisser. Le poisson mort tombe au fond de l'océan où il sert de repas aux crabes et à d'autres. Et ce n'est là qu'un exemple.

Jamais de ma vie je n'ai vu les phoques se reproduire à un tel rythme. Quand j'étais petit, que je vivais sur la côte du Labrador, les phoques traversaient le détroit de Belle-Isle pour se rendre dans le secteur des Îles-de-la-Madeleine fin décembre, début janvier. À présent, ils traversent en septembre et même au début d'octobre. Ils quittaient le détroit de Belle-Isle fin mai, début juin, et maintenant ils s'en vont mi-juillet.

L'autre chose que je veux vous dire au sujet de la morue et du phoque, c'est qu'il est bien connu des pêcheurs—et je ne sais si la science l'a confirmé ou non—que lorsque le phoque apparaît, la morue s'en va et vice-versa.

On constate donc qu'il y a bien des choses, dans toute cette question du phoque, qui ne semblent pas se prêter... pas plus du point de vue des scientifiques indépendants que de celui des scientifiques du MPO. J'estime que la présence des phoques provoque un grand chaos dans l'Atlantique nord et que cette situation déséquilibre l'écosystème au point que nous risquons d'assister à un véritable désastre.

Qu'avez-vous à répondre à cela?

M. Jeffrey Hutchings: Je suis d'accord avec vous: les choses ont terriblement changé dans l'Atlantique nord, sur le plan de la relation prédateur-proie. Cela ne fait aucun doute. Nous avons réduit nos stocks de morues à des niveaux beaucoup trop bas et le nombre de phoques du Groenland est certainement beaucoup trop élevé.

Nous avons au moins appris de quoi les phoques se nourrissent. Le long des côtes, ils se nourrissent principalement de morues de l'Arctique; au large, ils mangent surtout du capelan. Mais il est vrai que les données dont on dispose sont plutôt maigres.

La vraie question qu'il faut se poser à propos de la chasse aux phoques consiste à savoir si celui-ci a une influence très négative sur le taux de rétablissement de la morue du Nord. Sur ce plan, la science, peut tout au plus affirmer qu'elle ne sait pas. Nous trouverons peut être une réponse un jour, mais nous ne l'avons pas pour l'instant. Vous avez parlé tout à l'heure de l'antagonisme qui oppose les organismes de protection du phoque au gouvernement. Eh bien, si le Ministère, il y a quelques années, n'avait pas invoqué le rétablissement du cabillaud pour imposer la chasse aux phoques, les choses seraient différentes, parce que cette décision était tout simplement indéfendable. Le Ministère aurait dû se contenter de dire, dès le premier jour, qu'il permettait la chasse aux phoques pour des raisons économiques, pour permettre un revenu supplémentaire aux pêcheurs au chômage et à leurs familles, en soutenant qu'une chasse de ce genre bien réglementée et bien organisée est viable, et il aurait dû en rester là.

Le président: Merci, monsieur Hutchings.

Nous passons à présent à Terre-Neuve, avec le porte-parole du Parti conservateur, Bill Matthews.

M. Bill Matthews (Burin—St. George's, PC): Merci, monsieur le président.

Je ne sais pas si l'on s'étonne de constater le genre de chaos scientifique dans lequel nous nous retrouvons. Nous sommes à une époque où nous devrions accroître nos efforts de recherche et nos budgets de science, alors que nous venons de les sacrifier. Alors, pourquoi s'étonner d'un tel gâchis?

Je vais vous poser deux ou trois brèves questions, monsieur Hutchings.

Vous nous avez dit que, d'après vos estimations, nous aurions perdu environ 40 p. 100 des chercheurs dans la région de Terre- Neuve. Pourquoi cela? Et quels pourraient en être l'effet sur la direction générale des sciences?

Le président: Voulez-vous poser d'autres questions, pour qu'ils répondent en bloc? C'est une seule question cela.

M. Bill Matthews: J'en ai d'autres.

Le président: Fort bien, vous pouvez les poser maintenant.

M. Bill Matthews: Il ne lui faudra que quelques secondes pour répondre à celle-ci.

Le président: Parfait. M. Hutchings.

• 1055

M. Jeffrey Hutchings: Les postes laissés vacants l'ont été à la suite de décès ou de départs anticipés à la retraite, ou encore de départs de gens ayant accepté des postes à l'université. Bien évidemment, ces départs ne sont pas sans conséquences.

M. Bill Matthews: Vous avez dit qu'on vous a interdit de distribuer des documents, surtout votre étude sur la mortalité de la jeune morue. Qui avait le pouvoir d'empêcher la distribution de votre document? Qui l'a empêché?

M. Jeffrey Hutchings: Comme je n'étais pas, à l'époque, employé du Ministère, je ne pourrais vous le dire avec certitude, mais ce que je peux vous dire, en revanche, c'est que des fonctionnaires de la région et des fonctionnaires d'Ottawa nous ont empêchés de distribuer des copies papier de notre document.

M. Bill Matthews: L'un des problèmes, selon moi, comme Peter l'a dit, tient aux sondages acoustiques dont vous parlerez sans doute. L'une des raisons pour laquelle la pêche indicatrice a donné des résultats, c'est que les pêcheurs qui y ont participé connaissaient les zones de pêche traditionnelles, contrairement aux scientifiques du MPO. Je prétends que les sondages au large ont été, pendant des années, conduits de la même façon.

Les patrons des chaluts m'ont dit être absolument éberlués par la façon dont le MPO conduisait ses recherches au large, parce qu'eux y avaient pêché pendant des années et avaient gardé des registres. Ainsi, j'ai l'impression qu'il faut attribuer le genre de résultats auxquels on est parvenu au fait que les sondages acoustiques et les recherches conduites au large à bord de navires ont été effectués de la sorte.

Je me demande si le Dr Hutchings ne serait pas d'accord avec moi pour affirmer qu'il y a beaucoup plus de poissons, là-bas. Je ne dis pas que nous sommes sortis de la mauvaise passe dans laquelle nous étions, et que nous devrions interrompre toutes les mesures de conservation, mais je suis sûr que les mauvais résultats communiqués au MPO et dans certains cas rendus publics, sont dus à la façon dont on s'y est pris. Quant à moi, tout cela était inacceptable.

M. Jeffrey Hutchings: Certes. Il est très malheureux, selon moi, que le Ministère n'ait pas ou n'ait que très peu collaboré avec les pêcheurs. Il est vrai qu'on a essentiellement laissé de côté les pêcheurs côtiers et tout le secteur de la pêche côtière, dans toute cette question de la morue. Mais pour ce qui est du hareng à Terre-Neuve, les scientifiques du Ministère et les pêcheurs entretiennent d'excellentes relations, le long de la côte Sud de l'île. Depuis 15 ou 20 ans, les scientifiques collaborent avec les pêcheurs qui jettent leurs engins de pêche exactement aux mêmes endroits où ils savent trouver le hareng année après année, et tout cela a donné d'excellents résultats.

M. Bill Matthews: Dans la mesure où la science et la gestion sont intégrées, deux choses pourront se produire. Encore une fois, Peter vous en a parlé.

Si vous omettez quelque chose d'un document, c'est de la manipulation ou du détournement d'information qui ne parvient donc pas aux hauts fonctionnaires du MPO ou au ministre. Dès qu'on intègre science et gestion, on fait face à ce genre de problème, parce que dans le vrai monde de la politique, c'est ainsi que les choses fonctionnent. Il faudrait que la science soit entièrement indépendante du MPO. Il ne faudrait pas qu'il y ait d'interférence ni d'intégration et il faudrait que les conclusions soient incontournables.

Le président: Monsieur Hutchings et monsieur Haedrich, je vous expliquerai, après la clôture de ce comité—parce que nous n'en avons pas le temps à présent—que notre comité a reçu les témoignages de nombreux pêcheurs qui n'étaient pas d'accord avec la méthode de dénombrement des poissons. Nous sommes convaincus que les pêcheurs ont raison au sujet du genre de sondage effectué. Mais je vous expliquerai tout cela après notre réunion, pour que vous me disiez ce que vous en pensez.

Nous allons vous poser une dernière question. Nous manquons de temps. M. Lunn, pour une brève question.

M. Gary Lunn: Je vais revenir à ma première question à laquelle je n'ai pas eu de réponse. Nous dépensons des milliards de dollars à détruire des ressources le long des deux côtes, mais je soutiens que c'est à cause de l'incompétence de la part du Ministère.

Ma question s'adresse au Dr Hutchings—mais nos deux autres invités pourront, eux aussi, nous fournir leurs commentaires. Jusqu'à quel point devons-nous changer l'administration pour que le Ministère en vienne à redéfinir sa façon de penser? Combien de changements devrons-nous apporter? Les gens en place au Ministère sont-ils capables d'apporter les changements nécessaires, ou sont- ils trop enracinés dans leurs positions?

M. Jeffrey Hutchings: Les gens en place sont au Ministère depuis très longtemps. Comme dans toutes les autres organisations de ce genre, il est important de renouveler les cadres. Je ne suis pas convaincu que nous allons assister à d'importants changements.

Le président: Pour une dernière question, j'allais oublier M. Paul Steckle, de l'Ontario.

M. Paul Steckle (Huron—Bruce, Lib.): Merci beaucoup.

Très rapidement. L'une des tâches de ce comité et l'une des raisons pour lesquelles nous nous rencontrons et posons ce genre de question à nos témoins, c'est que nous devons recueillir des témoignages susceptibles de nous permettre de répondre aux questions qu'on va nous poser, à nous.

• 1100

C'est dans cet esprit que je vais vous poser ma question. Étant donné notre feuille de route en gestion des pêches, feuille de route qui n'est pas très brillante, pourriez-vous nous dire où réside le problème, au bout du compte? Nous avons tourné autour du pot, nous avons effleuré la chose, mais nous n'avons pas vraiment dit... Êtes-vous disposés à communiquer à ce comité les signes que vous avez détectés? Les constats auxquels vous êtes arrivés recoupent-ils les connaissances traditionnelles des pêcheurs, relativement aux populations de poissons et à leurs emplacements? Leurs constats recoupent-ils les vôtres?

Deuxièmement, existe-t-il une corrélation entre les renseignements que vous avez fournis aux bureaucrates... et qui ne parviennent pas aux politiciens? Quelle est la proportion de l'un et de l'autre? Les bureaucrates font-ils le tri comme ils le veulent? Communiquent-ils le genre d'information qu'ils veulent bien? Est-ce que ce sont eux qui dressent les orientations? Où se situe le problème? Nous devons savoir. J'estime que nous devons savoir pour que le comité puisse trancher.

M. Jeffrey Hutchings: Comme je le disais, il y a des incertitudes dans le domaine scientifique, et personne ne vous dira le contraire. Nous pouvons commettre d'importantes erreurs dans nos estimations des stocks et de l'abondance des poissons. Les scientifiques le savent, ils en sont conscients. Le gros problème, selon moi, tient au fait que les incertitudes dans les évaluations des stocks n'ont jamais été clairement communiquées au grand public, ni aux pêcheurs, ni à l'industrie.

Alors, je dirais, premièrement, que la science s'accompagne d'erreurs et d'incertitudes. Deuxièmement, ces erreurs et ces incertitudes ne sont pas correctement communiquées aux personnes qui vivent de la pêche.

La deuxième partie de votre question concernait la communication des informations. J'ai, personnellement, de la difficulté à vous en parler en général. Tout ce que j'ai pu faire, c'est d'attirer votre attention sur deux ou trois exemples dont je vous ai parlé; ce sont des exemples parmi d'autres, le premier étant celui de la réunion du CCPFA, le deuxième étant celui des données concernant les effets potentiels des phoques sur la mortalité de la morue, données qui n'ont apparemment pas été communiquées au ministre de l'époque, M. Brian Tobin.

M. Paul Steckle: Vous qui connaissez le côté scientifique de cette question, qui êtes au courant du genre d'information ayant été communiquée, pourriez-vous nous dire si cela se reflète dans la politique du gouvernement?

M. Jeffrey Hutchings: Très certainement, dans une certaine mesure, mais je ne me sens pas compétent pour vous en parler.

M. Paul Steckle: Mais si vous ne le pouvez pas, qui le peut?

M. Jeffrey Hutchings: Peut-être ceux qui se sont livrés à une partie du travail d'évaluation des stocks.

En fait, je pourrais vous dire une chose. Plus tôt cette année, on a réouvert la pêche à la morue le long de la côte Sud de Terre-Neuve. Deux jours avant que le ministre n'annonce sa décision, un scientifique spécialiste des ressources halieutiques au Ministère des Pêches et Océans a communiqué la nouvelle aux médias. Si le Ministère était aussi ouvert que cela et si cette personne n'avait pas eu à craindre de récriminations, pourquoi aurait-elle communiqué ce renseignement aux médias? Il a estimé que c'était la seule façon de faire part de ses préoccupations, du point de vue de la conservation de la ressource et de son point de vue de scientifique, relativement à la réouverture de la pêche à ce stock.

M. Dick Haedrich: Il est extrêmement important de souligner ici que tous les points de vue que vous avez recueillis auprès des pêcheurs et des scientifiques, ne sont que des petites fenêtres ouvertes sur un grand mur noir où règne la confusion. Pour trouver réponse à toutes les questions que vous posez, il ne faut pas s'adresser à telle ou telle personne en particulier, mais organiser un vaste débat, libre et ouvert, conforme aux règles établies de la science.

J'estime qu'à l'heure actuelle les choses sont beaucoup trop monolithiques. Tout est centré sur la bureaucratie, peut-être même sur quelques personnes. Je répondrai à la question de M. Lunn en disant que nous avons besoin d'entreprendre une vaste restructuration pour faire en sorte que le système soit plus ouvert, davantage régionalisé et ainsi de suite—et n'oubliez pas: il nous faudra bénéficier de points de vue différents. Je viens simplement de répéter ce que Jeff vous a dit à propos du risque.

Le président: Messieurs, Dr Hutchings, professeur d'ichtyobiologie, à l'Université Dalhousie, Dr Haedrich, professeur de biologie à l'Université Memorial, et Dr Carl J. Walters, professeur de pêche et de zoologie à l'Université de la Colombie- Britannique, je vous remercie de vous être rendus à notre invitation et d'avoir témoigné devant notre comité.

Mesdames et messieurs, avant que nous ne levions la séance, je vous rappelle que le comité se rencontrera de façon officieuse pour discuter des problèmes qu'éprouve le Canada pour ne pas avoir ratifié le Droit de la mer et les accords concernant les stocks transfrontières et les espèces fortement migratoires. Nous en avons parlé à ce même comité. Le secrétaire parlementaire a une annonce à faire relativement à certains accords.

• 1105

M. Wayne Easter: Je tiens à vous informer, monsieur le président, que le ministre vient de déposer en Chambre ce matin l'accord sur les pêches des Nations Unies, ayant pour objet de mettre en oeuvre les dispositions de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer et des ententes en découlant. Cela s'est fait ce matin. Cependant, ce texte ne sera pas débattu avant le début de l'année.

Voilà ce que je tenais à vous dire, et dites-moi si vous voulez un exposé sur cette loi avant l'ajournement de Noël ou après. Dites-moi ce que vous en pensez, nous pourrons prendre les dispositions en conséquence.

Le président: Monsieur le secrétaire parlementaire, nous vous le ferons certainement savoir dans les plus brefs délais.

Comme le dépôt de cette loi devant la Chambre des communes est une de nos principales recommandations, nous nous réjouissons de constater que le secrétaire parlementaire et le ministre ont été très actifs pour déposer cette loi en Chambre aujourd'hui.

Mesdames et messieurs, vous avez effectué un très bon travail à ce comité. Je tiens à vous remercier tous et toutes pour ce merveilleux travail que vous avez accompli au cours des huit derniers jours que nous avons passé à sillonner le pays. Merci à nos témoins.

La séance est levée. Nous reprendrons mardi pour entendre, comme le Dr Walters nous l'a dit, un des meilleurs scientifiques en ichtyobiologie au pays, le Dr Ransom Myers.

Donc, rendez-vous mardi matin. Nous ne voulons pas rater ce rendez-vous et vous en serez avisé par la poste.

La séance est levée.