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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 16 mai 1996

.0937

[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

En guise de précision, je vous signale que notre ordre du jour prévoit un vote sur le projet de loi C-245. Il nous faudra un quorum de huit députés. Lorsqu'il y aura quorum, nous devrons peut-être interrompre le témoignage de nos invités pour procéder au vote. M. Ramsay tient à y participer et nous voulons le satisfaire dans la mesure du possible.

M. Ramsay (Crowfoot): Oui, je devrai partir vers 10h15.

La présidente: D'accord.

M. Ramsay: Mais je m'intéresse beaucoup aux témoignages de nos premiers témoins de ce matin.

La présidente: Eh bien, mettons-nous au travail.

Dans le cadre de notre étude de la Loi sur les jeunes contrevenants, nous avons jusqu'à présent laissé les témoins faire ce qu'ils voulaient de leur temps. Dites-nous ce que vous avez à nous dire, nous vous écoutons. Nous aimerions toutefois que vous vous gardiez un peu de temps pour répondre à nos questions, parce que, bien que ce soit votre première comparution, nous avons quant à nous entendu de nombreux autres témoins et nous tentons de comparer les différents témoignages et ce que nous avons vu sur le terrain.

Nous avons visité des installations sur la côte de l'Atlantique et prévoyons d'aller voir sur place le fonctionnement d'un certain nombre de programmes communautaires et d'installations - pas seulement des établissements de détention - dans tout le pays. Lorsque nous entendons des témoignages ici, nous les comparons à ce que nous avons vu sur place et qui nous a le plus impressionné.

Je m'arrête ici pour vous céder la parole.

Dr Paul D. Steinhauer (président, comité directeur, Alliance de Sparrow Lake): Merci beaucoup, madame la présidente. C'est en fait notre deuxième comparution devant votre comité. Nous avons témoigné pendant la première étape de vos audiences, en 1994.

Je dirai pour commencer que nous représentons trois organisations. Nous représentons l'Alliance de Sparrow Lake, un regroupement de 10 groupes professionnels qui travaillent avec les enfants: psychiatres, psychologues, techniciens de services à l'enfance, travailleurs sociaux, personnel de garderies, enseignants, conseillers scolaires, juges, avocats, policiers, infirmières de santé publique et médecins de santé publique, qui tous tentent d'assurer un bon départ aux enfants et de mieux mettre à profit les ressources dont on dispose pour s'occuper des enfants.

Nous représentons aussi l'Institute for the Study of Antisocial Behaviour in Youth et l'Académie canadienne de pédopsychiatrie, qui regroupe la très vaste majorité des pédopsychiatres du pays.

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Je tiens aussi à vous signaler que je suis aussi ici à titre de victime de crime. Au cours des deux dernières années, on a cambriolé ma maison, cambriolé ma voiture, cambriolé le chalet que je partage avec une autre famille et cambriolé l'appartement de ma fille, et le vélo de ma fille a été volé.

Je le mentionne, parce que je tiens à lutter contre un stéréotype. Ma vision stéréotypée des députés veut qu'ils croient tous que les pédopsychiatres sont indulgents à l'égard des criminels.Je veux qu'il soit très clair que nous voulons être aussi fermes que vous à l'égard des jeunes contrevenants.

La présidente: C'est aussi la vision stéréotypée qu'a M. Ramsay de nous tous.

Des voix: Oh, oh!

Dr Steinhauer: Nous voulons mettre fin à la criminalité juvénile, parce que cela coûte trop cher au pays. Nous ne pouvons, financièrement parlant, laisser la criminalité juvénile continuer à affecter la qualité de notre société. Nous n'avons pas les moyens d'assumer les coûts de la répression du crime. En outre, dans une économie mondiale, la sécurité des collectivités confère aux entreprises un avantage concurrentiel. Par conséquent, si le taux de criminalité juvénile continue de monter, le milieu des affaires en ressentira aussi les effets.

L'envergure de la criminalité est décrite brièvement à la troisième page d'un document que je vous ai distribué et qui comporte un tableau intitulé «Developmental Outcomes of Present Generation of Children». Le troisième point comporte des statistiques sur la délinquance et la violence.

M. Ramsay: Excusez-moi, mais de quel document s'agit-il?

Dr Steinhauer: C'est le document intitulé «Standing Committee on Justice and Legal Affairs, May 16, 1996». C'est un document de trois pages que j'ai distribué ce matin.

M. Ramsay: Je l'ai. Merci.

Dr Steinhauer: Très bien.

Cela vous donne une idée de l'envergure de la criminalité juvénile. Vous trouverez une explication plus détaillée dans le document qui vous a déjà été distribué et qui s'intitule «Model for the Prevention of Delinquency».

Nous voulons vous parler des façons les plus efficaces de réduire la criminalité juvénile et des façons les plus rentables de mettre à profit les rares ressources financières et autres dont on dispose.

Il y a essentiellement une hiérarchie d'interventions. En général, il est probable que la prévention sera plus efficace et plus rentable que l'enseignement correctif précoce ou même tardif au sein de la collectivité. De même, il est probable que l'enseignement correctif précoce et tardif au sein de la collectivité sera plus efficace et moins coûteux que l'enseignement correctif en détention. Enfin, il est probable que la détention sans enseignement correctif sera la moins efficace et la plus coûteuse.

Soit dit en passant, je signale que l'enseignement correctif n'a aucun effet s'il ne responsabilise pas l'adolescent. La responsabilisation est un aspect important de l'enseignement correctif.

Bien que la prévention soit la plus efficace et la moins coûteuse, cela ne signifie pas que nous devons négliger les cas de délinquance établis. Nous devons aussi assurer l'équilibre entre la prévention, l'intervention précoce et la gestion des cas des jeunes contrevenants endurcis, parce que ce sont ces derniers qui nuisent le plus à la collectivité.

Pourquoi mettre l'accent sur la prévention? Parce que c'est payant d'intervenir tôt. Je vous parlerai donc de prévention.

Le développement de l'enfant comporte certains créneaux avant l'âge de trois ans. Avant cet âge, l'enfant devient capable de s'attacher à une personne, ce qui, plus tard, lui permettra d'établir des rapports avec les autres. Cela est essentiel si l'on veut inciter les enfants à modifier leur comportement et à respecter les normes de la société afin de protéger la relation avec leurs figures d'attachement et de leur apprendre à se consoler eux-mêmes lorsqu'ils sont contrariés.

C'est aussi ce qui permettra aux enfants de ressentir de l'empathie à l'égard des autres. Tremblay a démontré que cette capacité à l'empathie constitue un des principaux facteurs de protection contre la délinquance et les tendances violentes pendant l'adolescence chez les enfants qui présentent par ailleurs d'autres facteurs de risque.

C'est aussi avant trois ans que les enfants acquièrent la maîtrise de leurs émotions. Comme Tremblay l'a indiqué, tous les enfants sont agressifs pendant leur deuxième année, mais, à la fin de la troisième année, s'ils n'ont pas appris à maîtriser leur agressivité, il est fort probable qu'ils seront agressifs le reste de leur vie.

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La troisième capacité est celle du fonctionnement cognitif. Dans une grande mesure - mais pas totalement - les prérequis au succès scolaire sont établis à la fin de la troisième année. Toutes les études indiquent qu'il y a une corrélation élevée entre l'échec scolaire et l'incapacité de maîtriser son agression. Chez l'enfant qui manifeste des tendances antisociales et qui échoue à l'école, chacune de ces caractéristiques aggravera l'autre; il est fort probable que cet enfant décrochera et deviendra antisocial.

Cela ne signifie pas que, après trois ans, il n'y a plus rien à faire, mais cela signifie que les enfants qui ne prennent pas un bon départ devront lutter contre un courant puissant toute leur vie.

J'ai déjà dit que Tremblay a déclaré que tous les enfants de deux ans sont agressifs et que leur capacité à maîtriser leur agression dans la troisième année est cruciale. «Staying on Track», une étude menée auprès d'enfants de l'est de l'Ontario, montre que 23 p. 100 des mères prétendent que leur enfant de trois ans est incapable de maîtriser son agressivité. Dans une étude menée environ 20 ans plus tôt, ce pourcentage n'était que de 7 à 10 p. 100. En 20 ans, le nombre de mères qui estiment que leur enfant de trois ans est incapable de maîtriser son agressivité a presque triplé.

Tremblay a montré que, à cinq ans, à l'âge où l'enfant entre en maternelle, on peut voir les garçons qui risquent de manifester un comportement antisocial et violent pendant leur adolescence. Robins, dans une étude longitudinale d'importance, a montré que l'enfant qui, à la première année, c'est-à-dire à l'âge de six ans, a de graves troubles de comportement risque à 71 p. 100 de devenir un adulte antisocial. Meltzer a montré que, à la deuxième année, le mode d'apprentissage et le retard qui sont associés à la délinquance et qui risquent aussi de l'aggraver sont déjà établis.

Dans le modèle de prévention de la délinquance, qui figure dans le long document numéro I que j'ai fait distribuer, j'ai tenté de montrer qu'il y a des façons efficaces d'intervenir à tous les niveaux, de la conception à l'âge adulte, et que ces méthodes permettent de réduire de façon significative le taux de délinquance. De la conception à la naissance, l'objectif est de réduire les effets de lésions cérébrales et d'un poids très faible à la naissance.

À partir de la naissance, les visites à domicile auprès de mères à risque en Hawaii ont entraîné une baisse de 75 p. 100 du taux de sévices contre les enfants. Le taux de sévices contre les enfants de ces mères à risque à qui on a rendu visite à domicile a atteint un niveau équivalent à 50 p. 100 de la moyenne nationale et de 25 p. 100 du taux chez les mères à risque qui n'ont pas reçu de visite.

Nous savons que des soins de haute qualité donnés aux enfants... Et je ne parle pas seulement des services de garderie, mais plutôt des soins prodigués aux enfants, qu'ils le soient par le père ou la mère, par un parent, par une bonne d'enfant ou une éducatrice. L'enfant dont on s'occupe bien, dans la famille ou à l'extérieur de la famille, risque beaucoup moins de devenir un délinquant.

Je ne les ai pas annexés à ce document, mais j'ai inclus aux autres documents que je vous ai envoyés les résultats d'une étude péri-pré-scolaire. Elle montre que pour les enfants qui risquent le plus de devenir délinquants, le fait d'avoir reçu des soins de haute qualité - en l'occurrence, dans une école, de trois à six ans...

On a suivi des enfants jusqu'à l'âge de 27 ans et on les a comparés à d'autres enfants provenant de la même société et présentant les mêmes facteurs de risque; on a constaté qu'il y avait chez eux 50 p. 100 de moins d'arrestations et de condamnations et 42 p. 100 de moins de grossesses chez les adolescentes. Cette donnée sur les grossesses ne serait probablement pas comparable dans notre société, mais la base du potentiel de violence est exactement la même.

Cette étude a aussi montré que ces enfants étaient plus nombreux de 33 p. 100 à obtenir leur diplôme d'études secondaires, quatre fois plus nombreux à gagner au moins 2 000$ par mois et à payer des impôts plutôt que de dépendre de l'aide sociale, et moitié moins nombreux à avoir reçu de l'aide sociale au cours des dix années précédentes. L'investissement dans les soins aux enfants est donc un des meilleurs investissements qu'on puisse faire.

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Je pourrais vous en dire plus long, mais tout cela figure dans le document que je vous ai envoyé. Nous pouvons intervenir à l'école, dans les familles, dans les collectivités. Essentiellement, je répète que l'on doit mettre l'accent sur la prévention, tout simplement parce qu'elle est la plus efficace. Utiliser ainsi nos rares ressources est plus rentable que prévenir la délinquance que tenter de la corriger plus tard.

Maintenant, j'aimerais céder la parole à mon collègue, le docteur Shamsie, qui vous parlera des principes de détermination de la peine.

Dr Jalal Shamsie (Institute for the Study of Antisocial Behaviour in Youth): J'adopterai le point de vue du contribuable, parce que je trouve que ces adolescents qui commettent des crimes nous coûtent beaucoup d'argent. Nous devons réduire ces coûts. C'est très important.

Aux États-Unis, dans le cadre d'une étude, on a calculé que le délinquant moyen commence à commettre des crimes à 13 ans et cesse à l'âge de 37 ans. De 13 à 37 ans, cette personne coûte 350 000$ à la collectivité en frais judiciaires, de probation, de police, de soins de santé mentale et en prestations d'assurance-chômage et d'aide sociale. Ces personnes sont très coûteuses; on leur consacre 350 000$ de mes impôts de 13 à 37 ans. Je suis certain qu'on pourrait trouver d'autres façons de dépenser ces 350 000$. D'ailleurs, ces personnes paient peu d'impôts sur le revenu, ou même pas du tout. Moi, je paie mes impôts, et c'est grâce à mes impôts qu'ils peuvent vivre. Je veux que cela change.

À quoi sert cet argent? Surtout à la détention et aux prisons. Le plus coûteux, c'est d'offrir24 heures sur 24 le logement, les repas et la supervision. Un jeune qui vit dans un centre de détention ou une école de réforme coûte jusqu'à 100 000$ par année. C'est énorme. Nous devons trouver des façons de réduire ces coûts et adopter des méthodes qui se sont avérées efficaces et rentables.

J'ai lu dans une étude que, en Floride, on envoie devant les tribunaux pour adultes plus d'enfants que n'importe où ailleurs aux États-Unis. Dans cet État, de plus en plus d'enfants purgent de lourdes peines d'emprisonnement.

On a récemment examiné ce qu'étaient devenus ces enfants qui avaient été jugés par un tribunal pour adultes, traités comme des adultes et emprisonnés, parfois dans des pénitenciers pour adultes. On s'est demandé ce qu'ils étaient devenus à leur sortie de prison. Le taux de récidive chez ces adolescents qui ont été jugés par un tribunal pour adultes et qui ont purgé leur peine dans une prison pour adultes est le plus élevé de tous les États-Unis. Manifestement, ce genre de solution n'est pas rentable.

Nous devons comprendre une chose très simple: la majorité des crimes sont commis par un très petit nombre d'enfants. Ce qui rend les statistiques plus frappantes, ce n'est pas que de nombreux enfants commettent des crimes, mais plutôt qu'un petit nombre d'entre eux commettent des crimes à répétition. Par conséquent, si nous voulons la criminalité juvénile, nous devons nous attaquer à la récidive.

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Cela m'apparaît crucial. Nous devons nous assurer que, lorsque nous arrêtons un jeune contrevenant et que nous l'envoyons dans un centre de détention, nous faisons l'impossible pour qu'il ne commette pas une autre infraction après sa remise en liberté. Cela m'apparaît critique, parce que si nous ne réduisons pas le taux de récidive, nous n'accomplirons rien. Ces enfants continueront de commettre des crimes à répétition.

Que devons-nous faire? Comment pouvons-nous réduire le taux de récidive? Étant médecin et scientifique, j'estime que nous devrions nous baser sur la méthode scientifique. Autrement dit, nous devrions examiner toutes les méthodes qui ont montré qu'elles abaissent efficacement le taux de récidive et faire fi des préjugés, des théories et des hypothèses. Je veux des preuves scientifiques qui me montrent que, si je fais ceci, peu importe ce que c'est, une punition, la détention, ou la bastonnade, peu importe, le récidivisme baissera; et dans ce cas je le ferai.

Ce qui m'intéresse, c'est de m'assurer que cet enfant ne récidivera pas. Une fois qu'il sera à nouveau libre, je ne veux pas qu'il commette un autre crime, parce que cela me coûtera de l'argent. Je veille à mes propres intérêts. Je ne me préoccupe pas de considérations humanitaires. Ce qui m'intéresse, c'est que cet enfant ne se mette pas à commettre des crimes à répétition. Cela me coûte trop cher.

Nous devons donc nous pencher objectivement sur ce qui fonctionne. Que la bastonnade soit efficace à Singapour ou que 27 États américains aient des camps de type militaire, cela ne m'intéresse pas. Mais si vous me prouvez que les camps militaires donnent des résultats, j'opterai pour ces camps militaires. Si vous me prouvez que la bastonnade donne des résultats, je préconiserai cette méthode. Si vous me prouvez qu'il suffit de discuter avec un contrevenant jusqu'à la Saint Glin-Glin pour qu'il ne récidive pas, je le ferai. Je veux avoir des preuves.

Nous savons ce qui ne marche pas. Ce qu'on a fait en Floride - renvoyer les adolescents devant les tribunaux pour adultes et leur imposer de lourdes peines sans supervision à leur sortie de prison - ne fonctionne pas. Ces adolescents récidivent en quelques semaines ou quelques mois.

Qu'est-ce qui nous attend? Je vous fais d'abord un court historique. Il y environ dix ans, j'ai rédigé un article intitulé «Antisocial Adolescents: Our treatment does not work - where do we go from here?» Certains m'ont critiqué pour avoir publié cet article, parce que j'y disais que la psychothérapie, le counselling, toutes ces méthodes libérales, ces séances où on passe en revue la vie de l'adolescent, où on demande où il est né, le genre d'homme qu'était son père, étaient inefficaces. Aucune étude n'est parvenue à prouver que ces entretiens rapportaient des dividendes.

J'ai écrit cet article il y a dix ans et, depuis, j'ai constaté que la plupart des professionnels de ce domaine ne font plus de psychothérapie avec ces enfants antisociaux, parce qu'on perd son temps à leur parler et à les écouter raconter leurs problèmes. Cela n'entraîne aucun changement de comportement.

Ce qui est nouveau, ce sont ces camps de type militaire, la discipline très stricte, peu importe le nom qu'on donne à cette méthode. Du point de vue idéologique, je ne m'oppose pas aux camps militaires. Toutefois, je constate qu'ils ne donnent pas de résultats. Aux États-Unis, une étude a démontré que, dans les 27 États où ces camps existent, en un mois, 10 p. 100 de ces enfants avaient commis un crime et, en un an, de 30 à 60 p. 100 avaient fait la même chose.

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Les longues peines d'emprisonnement peuvent donc sembler une bonne idée, mais nous devons nous demander si elles sont efficaces. Je n'ai pas de preuves scientifiques pour l'instant qui me prouvent qu'elles permettent de réduire le taux de récidive. Par conséquent, je vous exhorte, dans vos délibérations, à examiner sans préjugés tout ce qui pourrait diminuer la récidive. Vous devriez exiger des preuves scientifiques avant d'appuyer quelque solution que ce soit.

Merci beaucoup.

M. Ramsay: J'invoque le Règlement.

La présidente: Oui.

M. Ramsay: Huit députés sont présents. Pourrions-nous régler rapidement cette autre question; et j'aimerais bien pouvoir ensuite parler aux témoins.

La présidente: Je n'en doute pas. Je sais que vous avez des questions à poser.

Passons donc au vote sur la motion de M. Gallaway proposant que la présidence fasse rapport du rejet du projet de loi à la Chambre.

Mme Torsney (Burlington): Du rejet du projet de loi.

La présidente: C'est la motion. Y a-t-il des remarques au sujet de cette motion? Madame Venne.

[Français]

Mme Venne (Saint-Hubert): Nous revenons à la motion de M. Gallaway, n'est-ce pas?

[Traduction]

La présidente: Oui.

[Français]

Mme Venne: M. Kirkby n'avait pas déposé de motion?

[Traduction]

La présidente: Non.

M. Kirkby (Prince Albert - Churchill River): Je crois que la motion a déjà été déposée. Par conséquent, elle peut être mise aux voix.

[Français]

Mme Venne: Nous allons discuter de celle-ci en premier et nous verrons alors si elle est adoptée ou non. Nous verrons ensuite s'il y en a d'autres. On continue le débat là-dessus?

[Traduction]

La présidente: Oui. Je me demandais simplement s'il y avait d'autres remarques sur la motion de M. Gallaway. Sinon, je mets la motion aux voix.

La motion est rejetée [Voir Procès-verbaux]

La présidente: Très bien, je vous remercie. Nous revenons à nos témoins.

Dr Steinhauer: Docteur Davidson.

La présidente: Nous entendrons le Dr Davidson puis nous passerons aux questions.

Dr Simon Davidson (Académie canadienne de pédopsychiatrie): Bonjour.

Nous avons tous une chose en commun: nous voulons une société sûre où vivent des citoyens productifs. Pour cette raison, nous soutenons collectivement la création d'un système de justice efficace et efficient.

Comme le Dr Shamsie l'a déjà indiqué, plusieurs méthodes se sont révélées inefficaces. C'est une belle occasion pour nous au Canada de nous doter de notre propre modèle plutôt que d'adopter des solutions qui ont été infructueuses.

J'ai fait distribuer un document qui résume les recommandations des trois organisations que nous représentons. Je vais le passer en revue avec vous brièvement afin que nous puissions ensuite entreprendre la discussion.

Une des principales caractéristiques de nos recommandations - vous l'avez sans doute déjà remarqué - c'est qu'il faut établir un ensemble exhaustif et systémique d'interventions. Chaque recommandation ne doit pas être suivie isolément. De plus, comme on l'a déjà indiqué, il faut créer un continuum de services qui comprend la prévention, que le Dr Steinhauer a abordée, l'intervention, dont le Dr Shamsie a dit quelques mots, et le programme de probation et de réinsertion sociale.

Une fois établi ce continuum de services, nous devons tenir compte des besoins précis de chaque âge et de chaque étape développementale et adopter les méthodes de réhabilitation dont la méthodologie de recherche a prouvé qu'elles étaient efficaces et rentables.

Les interventions ont pour but de prévenir la récidive. L'imposition d'une peine n'a pas pour raison première de punir l'enfant, mais bien de garantir que l'enfant ne viole pas la loi de nouveau.

Nous estimons qu'il faut établir un programme national de recherche en matière de criminalité juvénile. Cela nous permettrait de poser les questions pertinentes, d'éviter les dédoublements, de déterminer les lacunes dans les informations dont on dispose et d'évaluer les propositions de modèles.

Nous estimons aussi que le gouvernement fédéral devra établir des normes nationales pour toutes les provinces en ce qui concerne tous les aspects des programmes pour les jeunes contrevenants.

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Lorsqu'on crée un programme exhaustif, on doit tenir compte des coûts. Il faut donc assurer l'équilibre entre les services de détention et les autres.

Nous devons aussi examiner les programmes de détention. À notre avis, la détention devrait se limiter aux adolescents pour qui elle est absolument nécessaire. Il faut alors prévoir une gestion adéquate des besoins en matière de développement et de réinsertion sociale de ces jeunes ainsi que des techniques et programmes qui réduiront le taux de récidive.

Le gouvernement fédéral dispose d'un levier pour assurer la surveillance de ces programmes, en ce sens qu'il ne paiera pas pour des programmes de détention qui ne comportent aucun élément correctif ou qui ne répondent pas aux besoins développementaux des adolescents. Il ne devrait aussi verser de fonds qu'aux provinces offrant un choix suffisant de mesures de rechange primaires et secondaires. Autrement dit, il faut que les provinces mettent en oeuvre le programme exhaustif de mesures que nous jugeons essentielles.

Les programmes efficaces comportent différentes caractéristiques. Il nous faut des programmes de traitement amélioré et axé sur l'âge. Nous estimons par ailleurs que tous les adolescents comparaissant devant un tribunal pour adultes pour préjudices graves à autrui devraient d'abord faire l'objet d'une évaluation psychiatrique. Enfin, des services de détention de haute qualité doivent être prévus.

Nous pourrions vous en dire plus long, mais vous trouverez plus de détails dans les documents qui ont été distribués.

Il ne faut pas mêler les contrevenants primaires aux contrevenants endurcis. Il faut tenir compte des besoins culturels des jeunes contrevenants. Il faut aussi tenir compte de différents besoins en matière de placement, par exemple, s'assurer de ne pas mêler des adolescents à de jeunes adultes. À cet égard, je reviens à l'idée d'établir des normes nationales et à assurer le respect de ces normes.

En ce qui a trait aux services de détention et aux crimes violents, nous ne nous opposons pas à quoi que ce soit; plutôt, nous sommes prêts à adopter toute mesure dont la méthodologie est solide. Nous ne nous opposons pas à l'imposition de lourdes peines aux contrevenants les plus violents, à condition que l'on mette en vigueur les autres recommandations concernant les plafonds des coûts et les programmes de réinsertion sociale pour les détenus.

En matière de probation et de peine communautaire, nous estimons qu'on devrait imposer des normes minimales et uniformes pour l'élaboration d'un programme de suivi et de soutien pour les enfants et les adolescents, particulièrement pour ceux qui sont le plus à risque après leur remise en liberté. Sinon, quels que soient les efforts qui auront été déployés, il n'en résultera qu'une augmentation du taux de récidive.

Nous croyons aussi que le gouvernement fédéral doit élaborer un processus de planification stratégique communautaire afin de sensibiliser la population, les professionnels et les politiciens à l'importance qu'il y a à satisfaire les besoins des enfants en matière de développement et à assurer la réinsertion sociale des jeunes contrevenants dans le cadre d'un ensemble de mesures exhaustives et efficaces.

Il est essentiel de former les personnes qui travaillent avec les jeunes contrevenants afin qu'elles comprennent mieux et qu'elles éliminent leurs propres préjugés et ceux du système à l'égard des minorités visibles ou ethniques.

Je le répète, le concept du continuum de mesures exhaustives est extrêmement important.Je vous rappelle que cela s'inscrit dans un ensemble de recommandations que nous avons formulées. À cet égard, le tout est bien supérieur à la somme de ses parties.

Merci.

La présidente: Merci, docteur Davidson.

Madame Venne, vous avez 10 minutes.

.1010

[Français]

Mme Venne: Docteur Steinhauer, dans votre mémoire qui s'intitule The «Whys» and «Hows» of Mental Health Promotion for Children, vous dites au paragraphe 6 de la page 6:

[Traduction]

[Français]

et c'est là le mot-clé,

[Traduction]

[Français]

Et là vous expliquez le genre de structures.

J'aimerais savoir si vous avez des preuves de ce genre de situation quand vous dites: «may well assign the reduced transfer payments to existing institutional structures». Est-ce que vous lancez cette idée en l'air? Venant de vous, je ne crois pas que cela soit possible.

Je voudrais vous poser une autre question concernant ce que vous dites:

[Traduction]

[Français]

Vous suggérez donc qu'il y ait un ministre responsable des enfants dans les provinces, n'est-ce pas? Ou bien est-ce plutôt une allusion à une personne qui serait responsable des enfants? J'aimerais savoir ce que vous voulez dire, finalement.

[Traduction]

Dr Steinhauer: Me permettez-vous de parler d'abord de la question des paiements de transfert? On nous a dit, avant que commence le transfert canadien en matière de santé et de services sociaux, qu'il était tout à fait probable que le gros de ce transfert réduit irait aux services institutionnels, par exemple l'assurance-santé et les collèges et universités, et que ce serait l'assistance sociale ainsi que les services sociaux qui absorberaient le gros des compressions. Ces services sociaux sont ceux qui jouent le rôle le plus important dans l'assistance aux familles où le développement des enfants pose un problème.

Avec la diminution des transferts aux provinces, celles-ci peuvent faire deux choses. Ce qui se fait normalement, c'est qu'on restructure, ce qui veut dire qu'on comprime. Chose certaine, dans des provinces comme la Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario, on voit que ce sont les services sociaux qui subissent le plus de compressions.

Deuxièmement, ce qui se passe lorsqu'on opère des compressions, c'est qu'on accentue la fragmentation et la rigidité des bureaucraties existantes dans les ministères provinciaux, si bien que l'on aggrave l'effet de silo entre les divers ministères provinciaux responsables de l'enfance. En même temps, ce genre de climat décourage la créativité, l'imagination, le partage d'informations, l'établissement de partenariats et la prise de risques qui sont nécessaires si l'on veut vraiment réaménager les systèmes et mettre au point de nouveaux systèmes qui seront plus sensibles aux besoins des enfants.

Donc, ce qui nous inquiète, c'est qu'en l'absence de normes régissant les services sociaux, ce seront nos groupes les plus vulnérables, particulièrement les enfants et les familles où il y a des enfants à risque, qui, sans ces services spéciaux, vont souffrir le plus, et cela va miner l'épanouissement de ces enfants. Ma famille à moi ne souffrira pas. Je peux me permettre le genre de services spécialisés dont on aura besoin et qui ne seront pas accordés aux familles qui ont des besoins plus grands que les miens.

À propos de ce que vous avez dit aussi au sujet du ministre responsable de l'enfance, ce qu'on dit, je crois, c'est qu'il devrait y avoir un ministre responsable de l'enfance ou un ministre qui serait désigné par le gouvernement provincial pour faire valoir les besoins des enfants et s'assurer que les enfants, qui ne votent pas, ne seront pas oubliés lorsque les provinces et le gouvernement fédéral établiront leurs nouveaux rapports.

[Français]

Mme Venne: Merci. C'est tout pour l'instant.

.1015

[Traduction]

La présidente: Monsieur Hanger, vous avez 10 minutes.

M. Hanger (Calgary-Nord-Est): Merci, madame la présidente.

Tout d'abord, je tiens à demander pardon aux témoins de mon retard. Je n'ai pas entendu tout ce que le Dr Steinhauer a dit et je lui en demande pardon.

Docteur Shamsie, savez-vous s'il existe des études canadiennes sur le coût du récidivisme?

Dr Shamsie: Je n'en connais aucune comme celle que j'ai citée et qui a été faite aux États-Unis. Là-bas, on a suivi ces enfants jusqu'à l'âge de 35 et 37 ans.

Je serais très surpris si les coûts étaient très différents de ce qu'indique l'étude américaine. Ces enfants évoluent de la même façon. Ils suivent le même itinéraire, soit le centre de détention, l'assistance sociale, les centres de santé mentale, le chômage, etc. Ils évoluent de la même façon. Je n'ai pas d'étude canadienne comme celles qui ont été faites aux États-Unis, mais je serais très surpris si le coût était très différent.

En fait, avec nos programmes nous fournissons de meilleurs soins, donc c'est peut-être un peu plus coûteux que dans la plupart des États américains, où l'on dépense moins per capita qu'ici pour le même genre de centres de détention et de centres de formation.

M. Hanger: Vous dites que dans 27 États, on a instauré cette philosophie du camp de type militaire. Donc, pour autant que vous sachiez, on n'a pas encore analysé ce genre de programme.

Dr Shamsie: Non, je ne dis pas ça. Je dis que le ministère de la Justice des États-Unis a publié un rapport, et je peux vous le faire parvenir si vous le voulez. On y a évalué 27 camps de type militaire dans huit États américains. C'est un rapport d'environ 120 pages qui montre que les camps militaires ne valent pas mieux que les prisons au chapitre du récidivisme.

Je vous ai cité le chiffre de ce rapport du ministère de la Justice américain, où il est dit que 10 p. 100 des enfants qui ont été dans les camps de type militaire ont commis un autre crime moins d'un moins après avoir quitté le camp, et de 30 à 60 p. 100 des jeunes commettent un autre crime moins d'une année après.

M. Hanger: Je sais que dans divers centres canadiens, bien sûr, il existe ce qu'on appelle des camps de type militaire. On dit de celui de Winnipeg que c'est un camp de type militaire à la façon manitobaine. En Alberta et ailleurs, c'est un peu différent. Ces camps n'ont pas tous la même philosophie dans leur façon de traiter les jeunes contrevenants.

Je pense que ce sera difficile à évaluer. J'ai étudié la situation au Manitoba, et on n'y est pas très sévère. On appelle ça un camp de type militaire, mais c'est en fait un centre de détention modifié. Donc, d'une certaine façon, il sera difficile d'évaluer ces programmes et de les comparer. J'imagine qu'on aura le même problème aux États-Unis.

Pensez-vous que ceux à qui l'on confie les jeunes contrevenants sont dans la bonne voie?

Dr Shamsie: Il y a deux choses ici. Premièrement, comme je l'ai dit, le rapport du ministère de la Justice américain dit que sur le plan du récidivisme, les camps de type militaire n'ont pas réussi tant que ça. Ils ne valent pas mieux que les prisons.

Deuxièmement, ce qui est également très important, c'est qu'on y compare des États différents. Vous dites que le Manitoba est différent de l'Alberta, et c'est la même chose là-bas. Chaque État américain préconise une approche différente dans l'établissement des camps de type militaire. Dans certains États, par exemple, on accorde beaucoup d'importance à la réhabilitation et on enseigne aux jeunes des choses comme la maîtrise de la colère et comment vivre en société. Dans d'autres États, on s'en tient strictement à la discipline. Donc, l'approche n'est pas la même.

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Ce rapport montre que les États - par exemple, l'État de New York a obtenu de très bons résultats - où l'on préconise les techniques de réhabilitation dans les camps de type militaire obtiennent de meilleurs résultats. Et point le plus important, ce rapport montre que les États qui préconisent une supervision rigoureuse et intensive, après que l'enfant a quitté le camp de type militaire... Par exemple, dans l'État de New York, la supervision est sévère et très appuyée pendant un an après que l'enfant a quitté le camp de type militaire. Et on a là un taux de récidivisme beaucoup plus bas que dans les camps de type militaire où il n'y a aucune supervision après que l'enfant est parti.

Si nous voulons nous engager dans cette voie, si nous voulons établir des camps de type militaire ou des programmes de ce genre, nous devrions du moins adopter les mesures américaines qui ont donné de bons résultats.

Dr Steinhauer: Si vous le permettez, madame la présidente, vous trouverez à la deuxième page du mémoire du Dr Shamsie la liste des caractéristiques des camps de type militaire qui ont donné le plus de résultats. Au bas de cette page et à la page suivante, il parle de ce qu'on appelle la «thérapie multisystémique», qui donne un taux de non-récidivisme de 74 p. 100 après quatre ans. On laisse l'enfant dans son milieu mais on s'occupe de lui, de la famille, de l'école et de l'entourage. Cela coûte à peu près un sixième de ce que cela coûte normalement, et le taux de non-récidivisme est plus élevé que dans n'importe lequel des camps de type militaire.

M. Hanger: Docteur Steinhauer, j'ai été agent de police à Calgary pendant 22 ans et je me suis occupé des jeunes délinquants pendant un certain temps, dans le cadre de mes fonctions normales. J'ai vu la transition qui s'est faite lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants a été adoptée, à l'époque où, si vous voulez, les avocaillons ont commencé à s'en mêler. Tout à coup, les parents ont été écartés du système, et c'est devenu un petit jeu entre avocats. C'était eux qui menaient tout une fois que le jeune était accusé. Et on s'est mis à procéder exactement comme dans le système des adultes. Je considère d'ailleurs que c'est devenu même pire, parce que les parents étaient pas mal oubliés après ça. L'État intervenait, et ça devenait très difficile à gérer.

Avec ça, j'ai vu les jeunes contrevenants, si vous voulez, particulièrement les récidivistes, devenir plus arrogants, exiger d'être accompagnés de leur avocat, exiger toutes ces mesures de protection. Et on les leur accordait à tous les échelons du système.

À mon avis, cela a eu les pires effets sur les jeunes contrevenants. En conséquence, les jeunes contrevenants endurcis n'ont jamais vraiment changé, et ils sont devenus la cible des services de police. En fait, à cause de la situation américaine, qui semble avoir ses effets au Canada aussi, les services de police du pays tout entier ont alors créé des services pour les jeunes qui ciblaient les jeunes criminels endurcis. Mais lorsqu'il s'agissait de s'occuper du jeune contrevenant, de la famille et du milieu, rien ne se faisait. Tout est devenu une guérilla juridique, et on dirait qu'on ne s'occupe que de ça. En conséquence, je pense que beaucoup de ces jeunes se sont endurcis, sont devenus des criminels adultes endurcis bien avant qu'ils ne deviennent adultes. C'est l'effet opposé qui a été obtenu.

J'aimerais que tous les avocats cessent de se mêler de ça, et on pourrait alors s'occuper des jeunes contrevenants, du moins de ceux qui en sont à leur première infraction, et les avocats n'interviendraient plus. Est-ce une possibilité?

Dr Steinhauer: J'aimerais beaucoup que ce soit le cas, monsieur Hanger. J'ai du respect pour votre expérience. Je suis d'accord avec ce que vous dites. Je pense moi aussi que c'est très malheureux, avec le système qu'on a aujourd'hui, d'exclure souvent les familles au lieu de les aider à s'intéresser de nouveau à l'enfant.

Je pense donc que tout ce qui nuit à la famille, pour ces enfants qui ont des familles, lesquelles pourraient, avec un peu de soutien, être renforcées... À mon avis, c'est l'un des points forts de la thérapie multisystémique.

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Dr Davidson: Me permettez-vous d'intervenir ici? En agissant ainsi, vous créez une expérience corrective pour ces enfants qui vont devenir des adultes eux-mêmes et qui vont recréer dans leur famille la même dynamique qu'ils ont subi dans leur enfance. Donc, il ne faut pas seulement se préoccuper de ce qui se passe aujourd'hui; il faut songer à demain et à l'avenir.

La présidente: Madame Bethel.

Mme Bethel (Edmonton-Est): Merci, madame la présidente.

J'ai siégé à la Commission de police pendant quatre ans et j'ai été également membre du conseil qui a créé le groupe de travail des maires sur la sécurité des villes. Nous sommes très fiers du travail que nous avons accompli.

Le groupe de travail des maires sur la sécurité des villes a produit d'excellentes recommandations pour tous les paliers de gouvernement, le système de justice, les avocats et tous les intéressés. Je crois que bon nombre de ces recommandations ont été mises en oeuvre au niveau des villes. Je crois que beaucoup a été fait. Je suis d'accord avec vous de tout coeur lorsque vous dites qu'il faut des normes nationales. Qu'il s'agisse d'ententes, ou de quoi que ce soit d'autre, la nécessité d'avoir des normes nationales dans ce domaine ainsi que dans d'autres domaines est très forte.

Comment allons-nous faire cela au niveau fédéral ou provincial? En substance, c'est presque une question d'unité nationale, parce que c'est le rôle le plus important que les Canadiens veulent voir jouer par le gouvernement fédéral. Alors qu'allons-nous faire? J'ai la certitude que vous pouvez jouer un rôle vous aussi, et que vous ne vous contenterez pas de nous dire quel est le problème. Qu'allez-vous faire avec nos partenaires?

Dr Steinhauer: Tout d'abord, je suis d'accord avec vous. Je pense que c'est un problème important et je pense que c'est une question d'unité nationale.

Je pense qu'on a vu ça dans le sondage publié dans la revue Maclean's du 1er janvier. On y disait que ce qui constitue la plus grande fierté des Canadiens, c'est le réseau de sécurité sociale qui fait partie du patrimoine canadien.

J'ignore quelle est la solution à tout cela. Mais l'une des solutions consiste à essayer. Et c'est pourquoi on a fondé Voices for Children. Et dès que j'aurai terminé mon intervention, je vous remettrai des exemplaires du premier bulletin de Voices for Children, si vous me le permettez, madame la présidente.

Nous avons fondé Voices for Children uniquement pour faire connaître la situation des enfants. De quoi les enfants ont-ils besoin pour bien se développer? Combien d'enfants canadiens ne se développent pas bien? Que nous apprend la recherche pour ce qui est de venir en aide aux enfants à chaque étape?

Nous croyons que la solution ne réside pas dans la création d'un plus grand nombre de services professionnels. Pour obtenir des résultats, il faut apporter des changements dans la vie familiale, particulièrement faire participer le père davantage. Nous allons devoir apporter des changements dans les lieux de travail, parce que ce ne sont pas seulement les enfants pauvres qui ont des ennuis avec la justice. Les enfants des professionnels, des cadres supérieurs et des techniciens très spécialisés comptent parmi ceux qui sont le plus privés de parents dans notre société.

Nous devons également apporter des changements à notre vie communautaire. Récemment, l'une de nos membres circulait en voiture dans un quartier opulent de Toronto, et un enfant de quatre ans est arrivé au milieu de la rue en tricycle. Elle s'est arrêtée, elle est descendue de sa voiture et elle a amené l'enfant jusqu'au trottoir. Elle lui a expliqué que ce qu'elle faisait était dangereux et qu'elle ne devait plus le refaire. La mère est sortie en hurlant et en la menaçant d'alerter la police si elle ne laissait pas sa fille tranquille.

Ce n'est pas un incident isolé. On assiste, entre autres choses, à l'effondrement de la nature civique de notre société. Pendant des années, nous n'avons jamais verrouillé nos portes...

Mme Bethel: Docteur Steinhauer, j'ai l'impression que vous prêchez à des convertis ici.Ce que je voudrais savoir, donc, c'est quel rôle vous nous donnez à tous.

Dr Steinhauer: Je crois que le ministre de la Justice est l'une des rares personnes de la vie publique qui se sert de sa fonction pour détruire les mythes et éduquer les gens. Je le respecte beaucoup pour cela. En particulier, il a fait des observations sur l'importance de la prévention et l'importance des conditions sociales qui sont propices à la criminalité.

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Je pense que vous êtes les chefs naturels de notre pays. J'espère que vous ferez tout votre possible pour détruire les mythes que vous verrez et que vous direz la vérité aux gens. C'est une chose pratique et efficace que de...

Mme Bethel: Je vois que votre institut est situé en Ontario.

Dr Steinhauer: Oui.

Mme Bethel: Avez-vous des alliances ou des allégeances, disons en Alberta, où il est peut-être plus nécessaire qu'ailleurs de détruire certains de ces mythes?

Dr Steinhauer: Le groupe d'éducation publique le plus important auquel je suis associé est Voices for Children, qui est un groupe ontarien. C'est une grande alliance qui a été créée par la Sparrow Lake Alliance, lorsque nous avons appris que 200 professionnels qui travaillaient dans leur temps libre n'arrivaient pas à s'entendre sur ce qu'il fallait faire. Nous avons donc constitué un groupe qui se compose de l'Ontario Medical Association, de la Fédération des enseignantes et enseignants de l'Ontario, de la Fédération du travail de l'Ontario, de l'Ontario Federation of Chambers of Commerce, de l'Ontario Association of Chiefs of Police et de l'Association canadienne pour la santé mentale.

Nous avons plusieurs partenaires nationaux. Nous avons des partenaires nationaux comme la Child Welfare League of Canada et l'Institut canadien de la santé infantile, et nous travaillons de très près avec l'Institut canadien des recherches avancées de Fraser Mustard. Mais nous ne sommes pas une organisation nationale.

Mme Bethel: Je pense que ce serait un excellent début, particulièrement pour ce qui concerne cette question en particulier - la nécessité d'établir des normes nationales - au niveau d'une action presque politique, pas seulement fédérale, mais avec nos dix partenaires provinciaux et nos deux partenaires territoriaux.

Merci.

La présidente: Monsieur Wells, vous avez à peu près quatre minutes qui restent dans ce tour.

M. Wells (South Shore): J'aimerais revenir sur l'une des questions qu'a posée M. Hanger et sur la réponse qui a été donnée, par le Dr Shamsie, je crois, au sujet du culot qu'ont certains de ces jeunes qui exigent un avocat après qu'ils ont été accusés d'une infraction criminelle.

Vous disiez que vous étiez d'accord avec M. Hanger. Est-ce à dire qu'il faudrait exclure les avocats du système de justice pénale concernant les jeunes?

Dr Shamsie: Je ne suis pas sûr que les avocats nous aient beaucoup aidés. Personnellement, j'aimerais que les familles, et non les avocats, participent davantage et jouent un plus grand rôle. D'après mon expérience personnelle, et d'après les recherches qui ont été faites, si la famille ne s'intéresse pas au sort du jeune, les chances de réussite sont très minces.

M. Wells: D'après ce que j'ai pu constater à l'époque où je pratiquais, c'était la famille qui venait voir l'avocat lorsque l'enfant avait des ennuis. Est-ce que vous ne voulez pas que des avocats conseillent les familles quant aux droits qu'elles ont dans le système de justice pénale concernant les jeunes, avant qu'elles se présentent devant les tribunaux?

Dr Shamsie: Non, je n'exclurai pas l'avocat, mais je m'assurerai que la famille reste présente dans la vie du jeune.

M. Wells: Je pense moi aussi que la famille doit être présente. Je croyais avoir compris que parce que la famille reste présente, il faut alors exclure l'aide juridique.

Dr Davidson: Je ne crois pas qu'il faille choisir entre les deux, monsieur.

M. Wells: Je suis d'accord. C'est pourquoi...

Dr Davidson: Mais à l'heure actuelle, avec ou sans la famille, les tribunaux sont tellement engorgés que, pendant qu'un jeune attend de passer devant le tribunal, il peut commettre 10 ou 20 autres crimes. Donc, tous les crimes s'accumulent, personne n'en fait un seul crime et ça devient une expérience professionnelle pour le jeune qui doit se présenter devant le tribunal pour chaque crime qu'il a commis.

Ainsi, les jeunes deviennent arrogants. Je suis d'accord avec M. Hanger. Ils deviennent arrogants et commencent à croire que leurs actes n'ont aucune conséquence. Lorsque le système judiciaire finit par les punir, vous vous retrouvez devant des criminels qui sont déjà pas mal endurcis.

M. Wells: Sur quelles provinces ou territoires porte votre analyse? Vous en tenez-vous à l'Ontario seulement?

Dr Davidson: Je me réfère à propre expérience professionnelle dans la région d'Ottawa-Carleton.

M. Wells: Dans votre région, dans quelle mesure recourt-on aux solutions de rechange?Le problème tient-il au fait que vous ne disposez pas des mesures de rechange qui s'offrent dans d'autres provinces ou territoires?

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Dr Davidson: Il existe des mesures de rechange, mais je ne crois pas qu'on les applique avant que le système judiciaire ait décidé de la peine qu'il imposera au jeune.

Je connais un jeune qui a suivi parfaitement l'évolution que je viens de décrire, et il a une famille qui s'intéresse beaucoup à son bien-être.

Si l'on pouvait trouver un meilleur moyen de faire intervenir le système judiciaire et les familles pour résoudre le problème de la criminalité, nous aurions peut-être des chances de réussir. C'est pourquoi nous parlons d'un programme plus complet. Mais à l'heure actuelle, dans ma région en tout cas, ça ne marche pas.

Dr Steinhauer: Notre but premier doit être la réhabilitation du jeune. Il y a trop de jeunes qui se noient dans le système accusatoire, et l'on perd la réhabilitation de vue.

Bien sûr, les avocats sont là pour protéger nos droits. Tout ce que nous disons, c'est que le système accusatoire perd souvent de vue la nécessité de réhabiliter le jeune.

M. Wells: Je suis d'accord.

M. Hanger: En réponse à M. Wells, je n'ai jamais dit qu'il fallait exclure les avocats du processus. Je pense qu'ils ont un rôle à jouer, mais ils ne devraient pas tout contrôler. Encore là,je parle d'expérience personnelle.

Docteur Shamsie, j'ai pu jeter un coup d'oeil sur une étude réalisée par M. Edwin Zedlawsky, du National Institute of Justice des États-Unis. Je ne sais pas si vous connaissez cette étude, mais elle portait sur le coût du crime, sur les décisions qui mènent à l'emprisonnement. L'auteur a examiné les coûts du maintien de l'ordre, des tribunaux et d'un certain nombre d'organismes sociaux, et il en a conclu que si l'on considère la criminalité sous l'angle financier, plus le criminel reste enfermé longtemps, moins il coûte à la société. Êtes-vous d'accord avec ça?

Dr Shamsie: Plus le criminel reste enfermé longtemps?

M. Hanger: Plus la personne reste enfermée longtemps, moins il coûte à la société.

On a parlé de récidivisme, on a mentionné des statistiques. Lorsque le contrevenant est libéré plus tôt, selon l'auteur, le coût de l'emprisonnement serait à peu près de 20 000$, et le coût social total avoisinerait les 25 000$, si ce contrevenant est libéré et qu'il récidive.

Si l'on prend en compte les enquêtes, les coûts des tribunaux, et tout ce qu'il en coûte pour passer dans le système, cela reviendrait deux fois moins cher de le garder en prison.

Dr Shamsie: Oui, mais est-ce que cela ne reviendrait pas encore moins cher si, pendant son incarcération, nous faisions tout ce que nous pouvons sur le plan scientifique pour réduire les risques de récidivisme?

M. Hanger: Je suis d'accord.

Dr Steinhauer: Et s'il existait un suivi assorti d'un soutien communautaire très solide.

M. Hanger: Oui. Je ne suis pas en désaccord avec ça. Je dis seulement que, avec le taux de récidivisme que nous avons, c'est bel et bien ce qui se passe. Parce qu'il n'existe pas cet élément de dissuasion ou peu importe comment vous appelez ça de ce côté-ci, après que le contrevenant est libéré, qu'il soit libéré tôt ou non, sa remise en liberté et le fait qu'il n'est pas réhabilité coûtent à notre société beaucoup plus d'argent que si on le gardait en prison.

Je suis d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut faire tout notre possible pour le réhabiliter afin qu'il ne récidive pas et afin qu'il devienne un membre productif de la société. Avec les programmes que nous avons dans la situation actuelle, ça ne marche pas.

Dr Shamsie: Vous avez raison.

M. Hanger: Je dis donc que c'est ce que nous coûte la criminalité aujourd'hui. Ça coûte beaucoup plus cher de libérer un contrevenant, cela revient beaucoup plus cher à la société, que de le garder en prison.

C'est ce que dit Zedlawsky.

Dr Shamsie: S'agit-il de chiffres américains ou canadiens?

M. Hanger: Américains.

Dr Shamsie: Je pose la question parce que je sais qu'en Ontario, il en coûte environ 40 000$par année pour garder quelqu'un en prison.

M. Hanger: Vous avez raison, oui.

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Dr Shamsie: C'est très cher. Il y a beaucoup de gens au Canada qui ne gagnent pas 40 000$par année.

M. Hanger: Mais Zedlawsky dit que si un contrevenant est libéré et qu'il récidive, il en coûte davantage à la société à cause des enquêtes de police et des tribunaux que si on le gardait en prison.

Dr Shamsie: Mais il coûterait beaucoup moins si...

M. Hanger: S'il ne récidive pas. Exactement.

Dr Shamsie: ...s'il faisait ce qu'il faut pendant son incarcération; après quoi, on le suivrait à sa sortie de prison et on s'assurerait qu'il est bien supervisé.

M. Hanger: Ce que je reproche au système tel qu'il fonctionne aujourd'hui, c'est que ça ne marche pas. Il en coûte en fait davantage à la société parce que les programmes qui servent à libérer le contrevenant et à le réhabiliter ne marchent pas.

Dr Shamsie: Parfaitement. Je suis d'accord avec vous. C'est pourquoi je pense que nous devons examiner tout ce que nous faisons et nous assurer que l'argent qu'on dépense aujourd'hui donnera les résultats voulus. L'argent qu'on dépense ne produit pas les résultats que nous voulons aujourd'hui.

Dr Steinhauer: Comme je l'ai dit, monsieur Hanger, il existe toute une gamme d'interventions, en commençant par la prévention qui est l'approche la plus efficace et la plus rentable. Il y a ensuite les interventions communautaires qui sont aussi très efficaces et les interventions dans un milieu fermé, où il faut avoir recours à la détention afin de protéger la société. Ce qui réussit le moins, c'est l'incarcération à répétition sans un bon programme de réinsertion sociale.

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Maloney (Erie): Vous préconisez un soutien accru à la famille de préférence à des interventions juridiques et à d'autres solutions. Je crois que tout le monde serait d'accord en principe. En pratique, comment fait-on quand il s'agit d'une famille dysfonctionnelle? Je suppose que la grande majorité des enfants caractériels ont des familles qui laissent à désirer. Que fait-on quand les parents s'en fichent?

Dr Shamsie: L'étude dont nous parlons comporte un programme multisystémique, qui met l'accent sur le traitement de la famille. Nos statistiques montrent que 74 p. 100 des enfants n'ont pas récidivé pendant une période de 4 ans, ce qui est assez impressionnant. Il s'agissait de travailler avec la famille, et seulement 11 p. 100 des familles ont refusé de participer.

Je sais qu'il y a des familles dysfonctionnelles mais dans cette étude on ne faisait pas venir les familles dans nos bureaux pour des consultations mais on allait les voir chez elles à un moment qui leur convenait. Autrement dit, même si la famille est dysfonctionnelle, on peut l'aider. En fin de compte, il faut décider si on est disposé à faire un effort supplémentaire afin d'encourager la collaboration de la famille ou bien si on se contente d'attendre que celle-ci prenne l'initiative.

Ces familles sont trop dysfonctionnelles pour prendre un rendez-vous et s'y présenter, mais si vous allez chez elles à un moment qui leur convient, elles veulent bien participer. Dans cette étude, seulement 11 p. 100 des familles n'ont pas voulu participer.

M. Maloney: Vous avez également préconisé une intervention précoce. S'agit-il aussi de baisser l'âge minimal pour les jeunes contrevenants, peut-être en fonction du récidivisme ou de la nature du crime? Est-ce que l'idée pour paraît intéressante?

Dr Steinhauer: Non. Pour des raisons que nous avons exposées en détail dans un mémoire présenté au ministère de la Justice, il y a environ deux ans, nous sommes d'avis qu'il n'est pas nécessaire de baisser l'âge minimum. Ces enfants ont effectivement des difficultés mais, à notre avis, il est préférable de s'en occuper en dehors de l'appareil judiciaire.

Quand je parle d'une intervention précoce, je pense à l'importance d'un bon départ dans la vie, notamment dans les trois premières années de l'enfance et pendant toute la période qui suit. Quelqu'un a fait la comparaison avec un camion remorque à 19 roues. Si vous voulez aller vers le nord, c'est beaucoup plus raisonnable de partir en direction nord plutôt que de prendre la direction sud, atteindre une vitesse de 100 km/heure et ensuite dire au camionneur de faire un demi-tour rapide.

Si les enfants arrivent à prendre un bon départ et entrent à l'école avec le genre de compétences et de qualités qui leur permet de réussir dans leurs études et de maîtriser leur agressivité, ils ont de bien meilleures chances de réussir dans les autres domaines de leur vie et de contribuer à la société.

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Il faut donc qu'on commence à s'en occuper très tôt. Avant de venir à cette réunion, j'ai parlé aux membres du Comité de la santé et je leur ai fait remarquer que depuis qu'on tient des statistiques aux États-Unis, on n'a jamais constaté une période où les parents passaient si peu de temps auprès de leurs enfants. Il y a eu une réduction très importante du temps que les parents passent avec les enfants. Certains estiment que ce manque de vie familiale constitue une crise.

Les raisons sont diverses. En 1976, avant la mondialisation de l'économie, quelqu'un qui travaillait 41 heures par semaine pouvait faire vivre une famille de trois personnes au-dessus du seuil de pauvreté. Maintenant il faut 75 heures de travail par semaine au salaire minimum pour permettre à une famille de trois personnes de vivre au-dessus du seuil de pauvreté. Les gens travaillent plus fort. Deuxièmement, il y a eu une très forte augmentation du taux de divorces. Troisièmement, étant donné la plus grande mobilité de la population, on ne peut plus compter sur l'aide de la famille élargie dans l'éducation des enfants. À cause de tous ces facteurs réunis, les parents et les enfants passent moins de temps ensemble.

Cela signifie - et je sais que cela arrive à un moment où tous les paliers du gouvernement ont tendance à se retirer de certaines activités - que l'État a un rôle à jouer afin d'aider les familles qui ont du mal à élever leurs enfants.

Et dans les familles où les deux parents doivent travailler, nous savons que les enfants au début de l'adolescence se trouvent parfois seuls avant l'école, à l'heure du déjeuner et après l'école. Or, plus longtemps ils sont seuls, moins bien ils réussissent à l'école et plus ils risquent de se droguer.

Le manque de surveillance des enfants constitue un problème. Si les deux parents travaillent toute la journée et arrivent fatigués à la maison sans avoir du temps à consacrer à leurs enfants, s'ils ne font que le nécessaire en préparant les repas, en nettoyant la maison, en obligeant leurs enfants à faire leurs devoirs - ou encore pire, s'ils se contentent de les laisser devant la télévision - et en les envoyant ensuite dormir, nous savons que si la vie familiale se résume à une série d'ordres et d'interdictions sans que les parents et les enfants passent des moments agréables ensemble, les enfants ont tendance à s'opposer même à des demandes raisonnables.

Au fond, il faut reconnaître que bien des familles n'ont pas de choix. Notre société doit faire le maximum afin de faire prendre un bon départ aux enfants.

M. Maloney: Merci.

La présidente: Monsieur Hanger, vous avez cinq minutes.

M. Hanger: Qu'est-ce que vous préconisez dans le cas de jeunes de 14 ou 13 ans qui ont commis un crime de violence, qui sont accusés d'un crime comme le meurtre? D'après vous, comment faudrait-il les traiter? Traiteriez-vous différemment un jeune qui a commis un crime contre la propriété?

Dr Shamsie: J'estime qu'un jeune qui a commis un crime violent doit être enfermé afin de réduire le risque pour la société.

Pendant la période où il est enfermé, je pense que nous devons faire tout notre possible afin de réduire au minimum les chances de récidiver. Les gens pensent que la durée d'un emprisonnement est un facteur critique. Je pense que c'est un des facteurs. Le facteur critique, c'est ce que nous faisons comme rééducation pendant cette période afin de réduire la probabilité d'un autre crime.

M. Hanger: Très bien. Je connais plusieurs situations où un jeune contrevenant qui a commis un crime violent a été envoyé en prison pendant une très courte période. Même s'il était clair qu'il n'y avait pas eu de rééducation et qu'il y avait une forte probabilité de récidive, les jeunes étaient libérés sans pouvoir compter sur un certain réseau de soutien.

Dr Shamsie: C'est très important.

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M. Hanger: Malgré cela, les tribunaux décidaient dans leur sagesse qu'une peine de trois ans était suffisante pour avoir tué sa mère à coups de bâton de baseball. Voilà le genre de crime, et ce n'est pas un incident isolé. Les tribunaux sont régulièrement confrontés à ce genre de problèmes, régulièrement.

Dr Shamsie: Oui, mais la question est de savoir ce que vous avez fait au cours de ces trois années. Le risque de récidive est évidemment très élevé si un jeune contrevenant côtoie pendant trois ans des criminels endurcis et se laisse influencer par eux.

M. Hanger: Oui.

Dr Shamsie: On pourrait cependant consacrer ces trois années à la réadaptation de cette personne. S'il a du mal a s'exprimer, par exemple, on peut l'aider à s'améliorer. On peut aussi l'aider à apprendre à vivre en société et à maîtriser sa colère. Il s'agit donc d'aider le détenu à régler ses problèmes. Il se peut, par exemple, qu'il ait beaucoup de mal à se concentrer sur ce qu'il fait.

Si pendant trois ans, on suit de près ce jeune contrevenant, qu'on lui accorde le soutien et les encouragements nécessaires et qu'on collabore étroitement avec sa famille, on réduit ainsi de beaucoup le risque de récidive.

Ce qu'il convient de faire, ce n'est donc pas nécessairement d'imposer une peine de sept, dix ou quinze ans plutôt qu'une peine de trois ans. L'important, c'est de prendre tous les moyens possibles pendant cette période de trois ans pour protéger la société contre le risque que ce jeune contrevenant récidive.

Dr Steinhauer: J'aimerais aborder cette question sous un angle un peu différent. Je suis d'accord avec ce que vient de dire le Dr Shamsie. Il faut évidemment protéger la société des criminels violents. Il faut aussi favoriser du mieux possible la réadaptation des jeunes délinquants. Il est irréaliste de penser que la réhabilitation de certains d'entre eux est possible en trois ans. La réadaptation de certains jeunes contrevenants sera beaucoup plus longue, en particulier ceux qui se sentent complètement isolés ou qui ont été tellement déçus par les adultes qui ont joué un rôle important dans leur vie, qu'ils ne font plus confiance à personne.

Si on les incarcère et on les empêche de se causer du tort ou de causer du tort aux autres et si l'on répond à leurs besoins et que l'établissement carcéral devient pour eux le parent qu'ils n'ont jamais eu, nous savons que vers la fin de la deuxième année, 50 p. 100 d'entre eux établiront un lien avec l'une ou l'autre des personnes avec lesquelles ils sont en contact. À partir de ce moment, il devient possible, grâce à ce lien, de les amener à changer leur comportement et d'oeuvrer à leur réadaptation.

Je pense donc effectivement que la réadaptation de certains jeunes contrevenants demandera plus de trois ans.

M. Hanger: Voyez, je crois que c'est...

La présidente: Je regrette, monsieur Hanger, mais votre temps est écoulé. J'attendais seulement de voir ce que vous vouliez dire.

Monsieur Maloney.

M. Maloney: J'ai seulement deux questions à poser. Certains d'entre nous sont en faveur des châtiments corporels. J'aimerais savoir quel est votre avis à ce sujet.

Je n'ai pas tout à fait compris ce que vous disiez au sujet des camps de type militaire. J'ai cru comprendre que vous y seriez favorable si le Dr Shamsie pouvait vous prouver scientifiquement qu'ils sont efficaces. Vous avez dit que certaines études portent sur les camps de type militaire. Certains semblent donner de meilleurs résultats que d'autres. Les résultats obtenus grâce à ces camps vous permettent-ils de dire qu'ils favorisent l'adaptation des détenus?

Dr Shamsie: Une étude américaine porte sur 24 camps de type militaire. Il semblerait que ces camps ne contribuent pas à faire diminuer le taux de récidive chez les jeunes contrevenants. Ce que je fais remarquer dans mon mémoire, c'est que les camps de type militaire qui se donnent comme objectif de favoriser la réadaptation des jeunes contrevenants et qui prévoient une surveillance postérieure à la période passée au camp donnent de bien meilleurs résultats que les autres.

Je ne pense pas qu'on ait prouvé la valeur thérapeutique de la discipline stricte qui est imposée dans les camps de type militaire et qui consiste, par exemple, à réveiller les jeunes à une certaine heure, à leur faire faire certains exercices et à leur imposer du travail manuel dur. Ce n'est pas le fait de faire lever les jeunes contrevenants à 5 heures du matin et de les faire marcher au pas qui fait la différence, mais plutôt les activités favorisant la réadaptation, la surveillance communautaire intensive ainsi que la participation de la famille. À mon avis, la discipline stricte qui est imposée dans ces camps n'a pas de véritable valeur thérapeutique.

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Dr Steinhauer: Pour ce qui est du châtiment corporel, les recherches démontrent qu'il n'est pas préjudiciable si le jeune croit que la personne qui l'administre a à coeur ses intérêts. Cependant, si un tel lien n'existe pas ou si l'enfant puni ne croit pas qu'il existe, il se fâchera davantage, deviendra plus rebelle et, s'il est déjà en contact avec le système judiciaire pour les jeunes, il sera plus susceptible de commettre une autre infraction.

En ce qui concerne les camps de type militaire, Jalal, nous ne les préconisons pas, mais on commence à les établir. Nous disons simplement que si l'on décide de créer de tels camps, il faut qu'ils soient bons et qu'ils offrent des services efficaces de réinsertion sociale et de suivi. Mais nous ne les préconisons pas.

Le système le plus efficace que nous connaissons est le modèle multisystémique, que le Dr Shamsie a décrit dans son exposé. Mais si vous décidez de créer des camps de type militaire, il faut au moins s'inspirer d'un modèle qui a des chances de réussir.

M. Maloney: Comment peut-on s'assurer que la personne punie comprend que la personne qui administre le châtiment corporel a à coeur ses intérêts?

Dr Steinhauer: S'il y a une relation d'affection entre les parents et l'enfant...

M. Maloney: Mais je parle de la relation entre l'État et l'enfant.

Dr Steinhauer: Franchement, je ne sais pas comment l'État peut le présenter ainsi.

M. Maloney: Exactement.

Dr Steinhauer: Je ne crois pas que l'État puisse invoquer une relation d'affection.

Dr Shamsie: Vous parlez des camps de type militaire?

M. Maloney: Je parle du châtiment corporel que fait administrer l'État.

Dr Shamsie: Selon les études que j'ai lues, rien n'indique que le châtiment corporel que fait administrer l'État aide la personne punie. Je n'ai vu que des conséquences négatives.

Comme Paul l'a signalé, j'ai trouvé intéressant que certains de mes patients d'origine italienne frappaient leur enfant ou lui donnaient une tape dans le dos par exemple s'il n'était pas sage. Ils ont appris qu'ils ne pouvaient pas le faire au Canada. Ils m'ont demandé pourquoi, car les parents italiens le font, et leurs enfants grandissent bien.

J'ai vu l'étude que Paul a citée et qui démontre que c'est la façon dont l'enfant perçoit la personne qui le punit qui détermine si le châtiment corporel aura des conséquences préjudiciables. Par exemple, si l'enfant voit son père comme quelqu'un qu'il aime, qu'il accompagne à des parties de baseball et à d'autres activités, et avec lequel il a une relation d'affection, même si le père lui donne une gifle de temps en temps, les conséquences sont moins préjudiciables que ce ne serait le cas si le père rejetait complètement l'enfant, le négligeait et le battait. Dans ce contexte, le châtiment corporel est beaucoup plus préjudiciable.

Ce qui compte finalement, c'est la façon dont l'enfant perçoit la personne qui le punit.

M. Maloney: Merci.

La présidente: Monsieur Wells, vous avez une courte question.

M. Wells: Oui, j'ai une question pour le Dr Steinhauer.

En réponse à la question de M. Hanger, qui était d'ailleurs une bonne question, vous avez dit que certains enfants ont besoin de plus de trois ans pour surmonter leurs problèmes. Vous avez dit ensuite que ce programme de traitement de trois ans pourrait aider 50 p. 100 des enfants. Qu'est-ce qu'on fait pour les 50 p. 100 qui restent?

Dr Steinhauer: Je travaille surtout dans le domaine de la protection de l'enfance, avec les enfants qui ont recours au système de placement familial. Pour ce qui est des 50 p. 100 restants, dans certains cas on ne peut rien faire. Certains apprennent à manipuler le système sans établir de vrais rapports, mais au moins ils apprennent que s'ils ne s'opposent pas constamment au système, ils auront moins d'ennuis et leur vie sera plus agréable. Avec d'autres, il est impossible d'établir le moindre rapport, et leur situation se détériore.

Je ne peux pas vous donner un pourcentage pour chaque catégorie.

M. Wells: Vous ne faites donc aucune recommandation sur la façon dont le système judiciaire pour les jeunes devrait traiter les 50 p. 100 restants. Doit-on imposer des peines de plus de trois ans afin de protéger la société? S'il est impossible d'assurer leur réinsertion sociale, doit-on prévoir que...

Dr Steinhauer: Vous me demandez de dépasser mon domaine de compétence. Je dois vous dire que l'imposition de peines plus sévères aux criminels violents ne me consterne pas à condition que l'on insiste sur la réinsertion sociale.

M. Wells: Merci.

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La présidente: Je vous remercie de votre exposé fort intéressant. Je dois vous signaler que les gens ici dépassent régulièrement leur domaine de compétence. Nous vous remercions beaucoup de nous avoir aidés dans notre travail.

Docteur Shamsie, vous avez parlé d'un rapport ou d'une analyse sur les camps de type militaire aux États-Unis. Pourrez-vous en faire parvenir un exemplaire à la greffière du comité?

Dr Shamsie: Je peux vous faire parvenir...

La présidente: Ou si vous nous donnez la référence, nous le trouverons. Cela suffira.

Dr Shamsie: D'accord.

La présidente: Merci beaucoup.

La séance est levée.

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