Les entreprises de haute technologie exercent leurs activités sur un marché mondial très concurrentiel et très mouvant, dont 2 à 3 p. 100 des parts sont occupées par des sociétés canadiennes. Dans le secteur des logiciels et des services logiciels, où il arrive que la durée de vie d'un produit ne dépasse pas six mois et où les petites entreprises dominent, il faut savoir tirer avantage des nouvelles avancées technologiques et répondre rapidement aux besoins pressants et immédiats de la clientèle. Souplesse, changement et croissance sont les marques distinctives de cette industrie.
Certes, les travailleurs qualifiés sont nécessaires à tous les échelons de l'industrie, mais, comme plusieurs témoins l'ont souligné, le manque de travailleurs expérimentés et très spécialisés, capables de piloter des travaux, peut avoir de graves effets sur une entreprise et, d'une manière plus générale, sur l'ensemble de l'économie canadienne. Rapidité et souplesse sont d'une importance vitale, et le fait de ne pas avoir le personnel adéquat, au bon moment, pour diriger un projet ou apporter des compétences essentielles signifie, et continuera de signifier, la perte de certains contrats au bénéfice d'autres sociétés ou d'autres pays. Les nouveaux investisseurs risquent d'hésiter à créer des entreprises au Canada, s'ils ont l'impression qu'il existe des pénuries de main-d'oeuvre insurmontables, et les sociétés déjà en place pourraient bien transférer leurs activités, ou une partie de celles-ci, à l'étranger.
La présence de personnes qualifiées et indispensables à la réalisation d'un projet est en outre synonyme d'emplois pour toute une équipe. Les estimations varient quant au nombre de postes qui peuvent être ainsi créés grâce à un seul travailleur qualifié, indispensable à la réussite d'un projet. Toutefois, même si l'on retient l'estimation prudente de quatre emplois créés pour le recrutement d'un seul travailleur qualifié, on voit à quel point sont importantes les retombées économiques produites par la présence d'une personne essentielle au moment voulu. On reconnaît aussi que le savoir-faire apporté à l'entreprise par ce genre d'expert est en partie transmis aux travailleurs déjà en place et par conséquent, tout le monde y gagne.
La formation de travailleurs qualifiés capables de répondre aux besoins de l'industrie de la TI peut être assurée de trois façons : par nos collèges, nos universités et nos établissements privés; par l'amélioration des compétences de la main-d'oeuvre existante; et par le recrutement de travailleurs étrangers, qui viendraient au Canada temporairement ou d'une façon permanente. Nous ne nous attarderons pas ici aux deux premiers moyens; il ne fait guère de doute cependant qu'à long terme, il est indispensable que le Canada approvisionne lui-même son marché du travail. À cet égard, d'ailleurs, le Comité souscrit aux préoccupations de quelques-uns de ses membres, selon lesquels l'industrie de la TI ne consacre pas suffisamment de moyens à la formation et au recyclage de sa main-d'oeuvre et ne collabore pas assez étroitement avec les établissements d'enseignement pour s'assurer que ses besoins en main-d'oeuvre sont mieux connus et que des stratégies sont élaborées pour y répondre.
Les représentants de l'industrie de la TI qui ont témoigné devant le Comité ont pris acte de ces critiques et nous ont assuré qu'ils travaillaient à l'amélioration de la situation. Par exemple, le Conseil des ressources humaines du secteur des logiciels encourage ses membres à consacrer 3 p. 100 de leurs coûts salariaux à la formation. Le Comité note avec satisfaction que le Québec donne un coup de pouce à la formation depuis quelque temps, en exigeant de certaines sociétés qu'elles consacrent, au minimum, 1 p. 100 de leurs coûts salariaux à la formation et au recyclage, sous peine de sanction pécuniaire. Le Comité encourage fortement le gouvernement fédéral à envisager l'intégration d'une mesure analogue dans sa stratégie générale de développement économique. Si l'on juge que l'octroi d'une réduction d'impôt aux sociétés qui investissent effectivement dans la formation de leurs employés n'est pas souhaitable, peut-être pourrait-on imposer un prélèvement spécial à celles qui dépassent une certaine taille et qui ne le font pas.
Les représentants de l'industrie et du gouvernement fédéral ont cité un certain nombre de partenariats conclus entre des sociétés et des établissements d'enseignement. Même si ces derniers ont déjà grandement augmenté leurs capacités en matière de formation, il faudra, d'après ce qui a été dit au Comité, des années avant que les premiers diplômés puissent entrer dans l'industrie et plusieurs années encore avant que tous les besoins de l'industrie soient satisfaits. De plus, comme nous l'avons dit plus haut, lorsqu'un besoin immédiat se fait sentir, ce ne sont généralement pas des débutants qui peuvent occuper les postes en question (les postes temporaires surtout), mais des personnes d'expérience, hautement qualifiées et capable de remplir des fonctions stratégiques. Il faudra, semble-t-il, que l'industrie mûrisse davantage pour que le Canada puisse trouver un nombre suffisant de travailleurs de cette catégorie dans son propre réservoir de main-d'oeuvre.
Le Comité est d'avis, toutefois, que l'admission au pays de travailleurs qualifiés et expérimentés destinés à des fonctions spécifiques pourrait et devrait avoir un effet immédiat au niveau de la formation. Les témoins ont donné au Comité des exemples de cas réels où des transferts de ce genre se sont effectivement produits. Étant donné l'importance que cela revêt pour l'amélioration des compétences professionnelles des travailleurs canadiens d'aujourd'hui, nous encourageons donc les sociétés de TI à établir des mécanismes pour que soient réellement transférées aux employés en place les connaissances spécialisées apportées par les travailleurs temporaires, au lieu de laisser le hasard faire les choses.
Nos pénuries de main-d'oeuvre qualifiée dans l'industrie de la TI sont encore aggravées par les efforts de recrutement, dynamiques et efficaces, que déploient les sociétés américaines au Canada. D'après Mme Lynn Nicholson, de la Société Corel, il y aurait plus de 190 000 postes vacants dans l'industrie de la TI américaine. Bien évidemment, cet «exode des cerveaux» vers les États-Unis nuit à notre position concurrentielle, même si le Canada demeure l'une des destinations préférées des professionnels de la TI en provenance d'autres pays.
Par conséquent, le Comité souscrit à l'avis unanime de ses témoins, dont plusieurs fonctionnaires de l'administration publique, à savoir que, pour répondre aux besoins en main-d'oeuvre à court et à moyen termes de l'industrie de la TI, il faut absolument faciliter l'entrée des travailleurs étrangers au Canada. Notre étude nous a convaincu que cela ne compromettrait pas les possibilités d'emploi des Canadiens. De fait, comme nous l'avons expliqué, en encourageant le dynamisme et la croissance de l'industrie, cela devrait plutôt les améliorer et faire naître des emplois. M. Nydam et plusieurs autres témoins ont assuré le Comité que le recrutement d'un travailleur étranger n'est pas une démarche que les entreprises font à la légère, car elles doivent pour cela engager des frais beaucoup plus importants que pour embaucher un Canadien.
Le Comité se réjouit que le ministère fédéral de la Citoyenneté et de l'Immigration, ainsi que celui du Développement des ressources humaines, aient répondu aux besoins évidents de l'industrie par un projet-pilote destiné à accélérer la venue de travailleurs temporaires de l'industrie de la TI au Canada. Comme ce projet-pilote n'a pas encore démarré, il nous est impossible de juger s'il y a lieu d'en faire un mécanisme permanent. Nous prenons note que la réaction de l'industrie à cette initiative a été généralement positive, même si quelques témoins soutiennent qu'on pourrait faire plus.
Recommandations
1. Que le gouvernement fédéral, dans le cadre de sa stratégie générale de développement économique, envisage sérieusement soit d'offrir un dégrèvement fiscal spécial aux sociétés qui consacrent un certain pourcentage de leurs coûts salariaux à la formation ou au recyclage, soit de pénaliser les sociétés qui ne le font pas.
2. Que les sociétés de technologie de l'information établissent des mécanismes pour faire en sorte que les compétences spécialisées apportées par les travailleurs temporaires soient transférées à leurs employés canadiens déjà en place.
Aucun témoin ne s'est opposé au projet-pilote. Certains pensent même qu'il devrait être élargi. Il nous est toutefois difficile de mesurer la pertinence de cet avis, du fait que nous n'avons pas étudié les descriptions des emplois en question, et surtout parce que le projet-pilote n'a jamais été mis à l'épreuve dans la réalité.
Comme l'a dit M. Nydam, un projet qui paraît intéressant sur le papier peut échouer au moment de la réalisation, notamment s'il a été conçu sans tenir compte des personnes qui devront l'administrer et sans prévoir une formation suffisante à leur intention. C'est là un danger potentiel pour ce projet-pilote. Les sept descriptions d'emploi n'ont pas été fournies au Comité. Si elles ont une teneur trop technique, il est possible que l'agent des visas, dont on ne peut raisonnablement pas s'attendre à ce qu'il connaisse à fond le vocabulaire de la TI, éprouve beaucoup de difficultés à décider rapidement et facilement s'il y a concordance entre la description et l'offre d'une part, et les qualités du candidat d'autre part. Il faudrait peut-être que les agents en poste à l'étranger suivent une formation spéciale pour pouvoir assurer la réussite de ce projet-pilote. Si l'on ne fait rien à cet égard, l'allègement des formalités pourrait bien se révéler inutile.
Le Comité recommande aussi que le projet-pilote fasse l'objet d'une surveillance et d'évaluations continuelles. Il faudrait faire un décompte des travailleurs qui entreront au Canada dans le cadre du projet et mesurer le temps consacré au traitement de leurs dossiers. Il faudrait aussi recueillir, de manière suivie, l'avis des employeurs concernant l'adéquation des sept profils d'emploi et le fonctionnement du projet. Ces mécanismes de contrôle devraient être intégrés dans le projet dès sa conception, et non pas être ajoutés plus tard.
Recommandations
3. Que le projet-pilote soit conçu de manière à ce que les agents des visas en poste à l'étranger puissent déterminer facilement si telle ou telle offre d'emploi et les qualités du candidat à cet emploi correspondent à l'une ou l'autre des sept descriptions d'emploi.
4. Que l'on envisage de donner aux agents en poste à l'étranger une formation axée expressément sur la réalisation du projet-pilote.
5. Que le projet-pilote fasse l'objet d'une surveillance et d'évaluations continues.
Il vaudrait peut-être mieux, en l'occurrence, se demander non pas ce que les autres pays font, mais plutôt ce qu'il faudrait faire pour faciliter la réalisation de nos objectifs économiques généraux et, surtout, pour donner aux sociétés canadiennes un avantage concurrentiel sur le marché mondial de la main-d'oeuvre de l'industrie de la TI. Le Comité conclut donc que le gouvernement devrait reconsidérer sa politique relative à la délivrance des permis de travail aux conjoints des travailleurs étrangers temporaires.
Recommandation
6. Que le gouvernement reconsidère sa politique relative à la délivrance des permis de travail aux conjoints des travailleurs étrangers temporaires.
Selon M. Wayne Scott, représentant d'IBM Canada Ltée, il est possible que le nombre d'agents des visas en poste dans les missions clés à l'étranger ne soit pas suffisant. On trouve dans plusieurs pays étrangers, a-t-il dit, des gens qualifiés qui souhaiteraient venir au Canada, mais dont les dossiers ne peuvent être traités, ou ne sont pas traités assez rapidement. Il faudrait que, lors de la restructuration générale de ses missions et de ses postes à l'étranger, Citoyenneté et Immigration Canada se rappelle que l'industrie canadienne de la TI a de grands besoins et en tienne compte dans les pays où l'on trouve des spécialistes capables de répondre à ces besoins.
M. Howard Greenberg, avocat et spécialiste du droit des ressources humaines, a fait une suggestion intéressante au Comité. Comme nous l'avons dit plus haut, il est possible que les descriptions d'emploi, qui constituent l'un des éléments essentiels du projet-pilote, soient trop techniques pour être bien comprises par la majorité des agents des visas. M. Greenberg propose donc que l'on choisisse trois ou quatre missions à l'étranger et que l'on y affecte des experts qui ne s'occuperaient que de ce genre de demandes et seraient en mesure d'évaluer les cas complexes.
Recommandations
7. Que les agents des visas en poste à l'étranger reçoivent instruction de réexaminer leurs méthodes et d'accélérer le traitement des dossiers chaque fois que cela est possible.
8. Que l'on envisage de faire savoir aux agents des visas que l'élément «temps» est primordial dans les emplois de l'industrie de la TI et que les dossiers concernant ce secteur doivent être traités en priorité.
9. Que, dans le cadre de la restructuration globale de ses missions et de ses postes à l'étranger, Citoyenneté et Immigration Canada attache une attention particulière à l'industrie canadienne de la TI et aux missions situées dans des pays où l'on trouve des travailleurs spécialisés capables de répondre aux besoins de cette industrie.
10. Que Citoyenneté et Immigration Canada envisage la possibilité de centraliser le traitement des demandes complexes concernant des travailleurs étrangers et d'y affecter des membres de son personnel experts en la matière.
Il y a plusieurs motifs pour lesquels l'agent peut approuver une demande sans validation, notamment le fait que la dotation du poste en question entraînera la création ou le maintien d'avantages ou de débouchés importants, sur le plan de l'emploi, pour des Canadiens ou des résidents permanents. Cette exception, selon Mme Paliga, pourrait être utilisée pour faciliter le mouvement des travailleurs étrangers de la TI, en remplacement du projet-pilote. Le recours à cette dispense prévue au Règlement, aurait l'avantage d'être simple et économique et sa mise en place pourrait se faire très rapidement, de même qu'une éventuelle annulation, en cas de problème.
Le Comité est conscient que cette solution pourrait créer des difficultés d'application à Citoyenneté et Immigration Canada. Des problèmes de définitions pourraient survenir, et le traitement des dossiers à l'étranger pourrait effectivement demander du temps lorsque les agents, connaissant mal la question, aurait, de sucroît des difficultés à déchiffrer le langage technique; les agents pourraient alors exiger une véritable preuve que tel emploi est susceptible d'apporter des avantages aux Canadiens sur le plan de l'emploi.
D'un autre côté, le Comité remarque que les instructions actuelles du Guide de l'Immigration destinées aux agents des visas pour les aider à interpréter cette disposition mentionnent que rien n'oblige à ce que les avantages ou débouchés éventuels se rattachent directement à l'emploi. Les instructions donnent même lieu à une interprétation large : «seul le jugement d'une personne peut limiter le domaine des possibilités». Même si l'élargissement de la dispense aux travailleurs de l'industrie de la TI en général risque de poser un certain nombre de difficultés, le Comité accueille cette idée avec intérêt et recommande au gouvernement d'y réfléchir.
Recommandation
11. Que Citoyenneté et Immigration Canada envisage la possibilité de faciliter l'entrée des travailleurs étrangers temporaires de l'industrie de la TI en recourant à l'actuelle dispense réglementaire, en vertu de laquelle la validation d'un emploi n'est pas exigée si celui-ci doit permettre la création ou le maintien d'avantages ou de possibilités d'emploi importants pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents.
Toutefois, comme nous l'avons souligné au début de ce rapport, le Comité reconnaît que la facilitation de l'admission au Canada des travailleurs étrangers, dans le but d'aider l'industrie de la TI, doit demeurer une solution à court terme au problème de l'insuffisance de la main-d'oeuvre hautement qualifiée et spécialisée. Il faut que les solutions à long terme soient différentes; nos établissements d'enseignement doivent s'associer à l'industrie pour cerner les besoins et former les compétences qui serviront le pays à l'avenir, et l'industrie doit s'engager davantage en faveur de la formation et du recyclage de ses effectifs.
Le Comité se réjouit que cette réalité soit mieux reconnue aujourd'hui qu'elle ne l'était dans un passé récent. Les enjeux sont élevés. Comme l'a dit Mme Shirley-Ann George, de l'Association canadienne de technologie de pointe :
« Le train est sur le point de quitter la gare, littéralement. Si nous faisons fi des vastes problèmes liés à la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée et si nous n'agissons pas de manière à augmenter considérablement le nombre des travailleurs qualifiés, ce sont nos enfants et nos petits-enfants qui, hélas, ne pourront que constater ce qui se passe dans les pays qui auront pris les bonnes décisions au bon moment. Ou encore, ce qui est plus probable, ils seront forcés de quitter le Canada pour aller chercher de bons emplois ailleurs. »