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HERI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 7 juin 2000

• 1531

[Traduction]

Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent du patrimoine canadien, qui se réunit aujourd'hui, conformément à l'ordre de renvoi de la Chambre des communes en date du 30 novembre 1999, afin de se pencher et de faire rapport à la Chambre sur le projet de loi C-224,

[Français]

Loi établissant d'ici le début du vingt et unième siècle une exposition au Musée canadien des civilisations pour reconnaître les crimes contre l'humanité, tel que l'expression est définie par les Nations Unies, qui ont été perpétrés au cours du vingtième siècle.

[Traduction]

Je devrais expliquer aux membres du comité que, suite à l'ordre de renvoi de la Chambre, Mme Wendy Lill, qui est membre de notre comité, a expressément demandé ceci au Président:

    Monsieur le Président, vous dites que l'objet du projet de loi est la reconnaissance des crimes contre l'humanité. Que je sache, l'objet du projet de loi est une exposition pour reconnaître les crimes contre l'humanité. J'aimerais qu'on précise ce que nous demandons au comité d'examiner, exactement.

Le Président a répondu:

    Avec tout le respect que je dois à la députée, nous mettrons la question aux voix et chacun pourra voter pour ou contre, mais le débat sur cette question est terminé. Par consentement unanime, l'ordre est révoqué et l'objet du projet de loi est renvoyé au Comité permanent du patrimoine canadien afin qu'il l'étudie et en fasse rapport d'ici le 15 juin 2000.

C'est ce qu'il a été décidé de faire.

Notre mandat est donc vaste: il consiste à examiner l'objet du projet de loi C-224 et à en faire rapport à la Chambre comme nous le jugerons bon.

Pour que les membres et les témoins sachent ce que nous croyons être la tâche du comité, il convient, bien entendu, de faire remarquer que le XXe siècle a été entaché de milliers de crimes contre l'humanité, qui ont conduit au mauvais traitement et à la mort de bien des millions de personnes. Il convient aussi de souligner qu'il y a eu beaucoup trop de manifestations de l'inhumanité de l'humain envers l'humain.

Comment alors pouvons-nous, en tant que société pacifique, renverser la vapeur et contribuer à l'harmonie entre les humains? Comment notre comité doit-il indiquer que ces atrocités soient présentées de façon à interpeller les Canadiens en général et nos enfants et nos petits-enfants en particulier?

Bien qu'il puisse être utile de montrer jusqu'à quel point l'homme peut être inhumain envers l'homme pour inculquer le respect envers la différence et les droits d'autrui, quelle est la meilleure façon de s'y prendre? Dans l'accomplissement de son mandat, le comité devra enfin se demander comment il peut utiliser ses audiences et ses recommandations à la Chambre des communes et au gouvernement pour favoriser la réconciliation entre les communautés canadiennes.

• 1535

Beaucoup de Canadiens ont fui leur pays d'origine parce qu'ils avaient été ou craignaient d'être victimes de crimes contre l'humanité. La réconciliation de ces individus avec leurs persécuteurs n'est peut-être pas possible de leur vivant. Mais qu'en est-il de leurs descendants, de leurs enfants et de leurs petits-enfants nés au Canada? Quels conseils le comité peut-il donner à la Chambre des communes et au gouvernement en vue d'éviter que les enfants comme les adultes se sentent victimisés par des atrocités qui peuvent avoir eu lieu il y a des générations—victimisés du fait de leur association soit avec la communauté dont la souffrance est dépeinte, soit avec la communauté qui est dénoncée comme l'auteur de la tragédie?

Le Canada d'aujourd'hui représente presque toutes les grandes races, religions, ethnies et nations du monde. Quelles mesures le comité peut-il recommander en vue d'encourager et de promouvoir la paix, la compréhension et l'harmonie entre elles? L'exposition se résumera-t-elle à l'illustration et à la description de ces crimes horribles? Serait-il plus instructif de montrer les moyens de faire comprendre l'importance des droits de la personne et de mettre en relief le mouvement international en faveur du respect et de la protection des droits de la personne à l'aide d'exemples de crimes contre l'humanité qui expliquent les origines et l'impératif moral de ce mouvement?

Il me semble que ce sont là les questions qui se posent au comité, mais nous ne sommes bien sûr pas tenus de nous limiter à ces questions-là. J'ai tenu à faire ces quelques remarques afin d'expliquer la façon dont nos délibérations se dérouleront. Bien entendu, le comité est libre de décider de la façon dont il veut aborder toute cette question.

Il est important que nous écoutions et que nous entendions ce qu'on a à nous dire à ce sujet, et nous accueillons aujourd'hui des représentants très importants de diverses communautés. Avant toutefois de vous les présenter, je dois faire lecture au comité d'une lettre.

[Français]

Une lettre vous sera distribuée. C'est une lettre que j'ai reçue il y a quelques jours et que je me dois de vous soumettre parce qu'elle est adressée officiellement au comité. Elle vient d'être traduite et on va vous la distribuer. La lettre porte sur le projet de loi C-224 et a été écrite par la Fédération nationale arménienne du Canada.

[Traduction]

La lettre m'est adressée:

    La présente fait suite à la conversation téléphonique que j'ai eue aujourd'hui avec votre assistant [...] Je tiens à exprimer la déception de l'organisation que je représente devant le refus de votre comité de nous autoriser à comparaître devant lui durant les audiences des 7 et 8 juin au sujet de la création d'un musée du génocide à Ottawa.

    Notre organisation représente un peuple qui a été victime du premier génocide du XXe siècle et, à ce titre, aurait pu utilement contribuer à la création du musée.

    Notre organisation est la seule organisation parapluie représentant la communauté arménienne du Canada et est membre du Conseil ethnoculturel du Canada, et elle oeuvre activement depuis quelques années à la promotion du projet de création d'un tel musée dans la mesure où ce projet ne remplace pas d'autres musées commémoratifs déjà prévus.

    En outre, l'année dernière, nous avons discuté des mérites de la création du musée avec Mme Copps. Lors de cette rencontre, la ministre avait dit apprécier notre apport et nous avait recommandé de poursuivre nos activités de discussion, de consultation et de promotion afin de développer cette noble initiative. Elle nous avait aussi dit qu'elle comptait sur nous pour l'aider à promouvoir l'idée de la création d'un «musée de la réconciliation» à Ottawa.

    Il est ironique qu'après que nous avons investi tant d'efforts, notre organisation soit écartée du processus à la onzième heure. Je vous demande instamment de reconsidérer votre décision et de laisser le comité et le public profiter de notre attachement à cette cause et de notre savoir.

La lettre est signée par le président, M. Aris Babikian.

• 1540

Il convient d'expliquer que nous avons discuté des listes de témoins possibles. Nous avons examiné les diverses listes et fait des choix d'après les conseils que nous avons reçus et d'après le temps dont nous disposions. Si les membres du comité estiment qu'il faudrait inviter cette organisation, nous trouverons le temps voulu. Je voulais vous soumettre cette demande, puisqu'elle m'a été présentée officiellement.

Madame Lill.

Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Monsieur le président, je voudrais proposer une motion. Il n'y a aucun rapport avec cette lettre; alors je vous demande de m'excuser si j'ai pris un peu d'avance et que quelqu'un a quelque chose à dire au sujet de la lettre.

Le président: Ah, je vois. Vous nous donnez un avis de motion.

Mme Wendy Lill: Oui, mais si quelqu'un a quelque chose à dire auparavant, j'attendrai.

Le président: Très bien. Peut-être que nous pouvons d'abord décider de la suite à donner à cette lettre, puis nous ne demanderons pas mieux que de vous donner la parole, madame Lill.

Quelqu'un s'oppose-t-il à ce que nous invitions cette organisation si nous pouvons trouver le temps voulu? Non? Je demanderai donc au greffier de trouver une date.

Madame Lill.

Mme Wendy Lill: Merci.

Je tiens à donner un avis de motion. Je me rends compte que nous n'avons pas le quorum en ce moment, mais j'aimerais proposer une motion. Je l'ai en français et en anglais. Je peux en faire lecture maintenant, si vous le voulez.

La motion que je propose est libellée en ces termes:

    Que le Comité permanent du patrimoine canadien convoque une réunion avant le 23 juin 2000; et que l'objet de cette réunion soit d'examiner de récentes annonces faites par la CBC concernant la programmation locale, et de permettre au comité d'examiner ces annonces à la lumière de la décision du CRTC du 6 janvier 2000 de renouveler le permis d'exploitation de la CBC.

    Et que les témoins pertinents soient invités à la réunion, plus particulièrement Robert Rabinovitch, président de la Canadian Broadcasting Corporation, et Françoise Bertrand, présidente du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.

Je voudrais que nous débattions de cette motion demain, si possible.

Le président: Norman, avons-nous besoin d'un préavis de 24 heures?

Le greffier me dit qu'il est un peu tard. Nous pourrions en débattre jeudi... Ou plutôt, non, il faudrait un préavis de 48 heures. Nous en débattrons donc mardi prochain. Ça va?

Mme Wendy Lill: Ça va.

Le président: Passons donc à l'audition des témoins. Je suis heureux d'accueillir aujourd'hui les représentants de plusieurs autres organisations importantes.

Nous accueillons tout d'abord M. Sarkis Assadourian, le député qui a proposé le projet de loi C-224 à la Chambre. M. Assadourian est le député de Brampton-Centre, en Ontario.

De l'Armenian General Benevolent Union of Canada Inc., nous accueillons MM. Daniel Boyadjian et Barry Khojajian.

Du Centre for Peace in the Balkans, nous accueillons M. Stevan Ivancevic, président.

[Français]

Nous entendrons également, du groupe Canadiens pour un Musée du Génocide, M. James Kafieh, secrétaire exécutif.

[Traduction]

Nous accueillons aussi, du Congrès juif canadien, M. Nate Leipciger, président du Comité sur le souvenir de l'Holocauste, et M. Jack Silverstone, vice-président exécutif et avocat général.

Enfin, de B'nai Brith Canada, nous avons M. Sheldon Howard, directeur des relations gouvernementales.

Nous disposons de deux heures; alors nous aimerions bien que chaque représentant prenne de 7 à 10 minutes à peu près pour présenter son exposé. Nous voulons réserver le plus de temps possible pour que les députés puissent interroger les témoins.

Nous allons commencer par vous, monsieur Assadourian.

• 1545

M. Sarkis Assadourian (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur le président.

Chers collègues, c'est la première fois que j'ai l'occasion de me présenter devant des députés réunis en comité. J'ai déjà été témoin devant un comité dans ma vie antérieure, mais c'est la toute première fois que je témoigne devant un comité en tant que député. Je vous remercie de bien vouloir m'entendre.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, tout ce processus a débuté en mai 1998, quand le Sénat a tenu une audience sur le sujet de l'aménagement d'une salle de l'Holocauste au Musée de la guerre. Le rapport final, intitulé Gardiens de notre histoire, qui a été rendu public en mai 1998, invite, à la 12e recommandation, à la création d'un musée de l'Holocauste ou d'un musée du génocide, ou les deux.

C'est donc de là que m'est venue l'idée de proposer à la Chambre des communes un projet de loi d'initiative parlementaire, qui s'appelait à l'époque le projet de loi C-479. Ce projet de loi invitait à la création au Musée des civilisations, à la fin du XXe siècle, d'une exposition pour commémorer l'anéantissement et le meurtre de près de 95 millions de victimes innocentes dans le monde au cours du XXe siècle.

Je suis heureux de pouvoir vous dire que, la première fois où j'ai proposé le projet de loi, j'ai obtenu de nombreux appuis de Canadiens d'un océan à l'autre qui étaient associés à diverses organisations. Les appuis pleuvaient de toute part.

Je n'ai jamais eu autant d'appui pour aucun des autres projets politiques auxquels j'ai été associé dans les six années et demie depuis que je suis devenu député. Le soutien à cette mesure était sans précédent.

J'aimerais vous lire un paragraphe d'une lettre que j'ai reçue de John Thompson, directeur du MacKenzie Institute, qui résume bien à mon sens les sentiments de beaucoup de Canadiens. Il dit notamment, et je cite:

    La question suscite un certain nombre de ferventes prises de position. Si toutefois nous omettons de rendre justice à la mémoire des victimes d'une atrocité, c'est comme nier que toutes les autres aient existé. Ou bien on rappelle le souvenir de toutes les atrocités, ou bien aucune ne mérite d'être rappelée.

Je dois vous dire que, comme beaucoup de Canadiens, je donne mon entier appui à cette cause, à ce principe voulant que l'humanité dans son ensemble ait souffert plus qu'elle ne méritait de souffrir au cours du dernier siècle. Faire un choix entre les victimes de génocides ou de crimes contre l'humanité équivaudrait à de la discrimination.

L'idée a de nouveau fait surface dans un article intitulé «Lettre du Canada». En tant que personne, je trouve que c'est la pire insulte que de vouloir créer deux musées ou établissements ou expositions distincts, un pour le groupe A et un pour le groupe B. J'ai dit dans cet article que ce serait une nouvelle forme de discrimination contre des victimes qui ont été tuées à cause d'un sentiment discriminatoire à leur endroit.

Chaque génocide à ses caractéristiques propres. Il faut traiter tous les génocides de façon égale—non pas de façon identique, mais de façon égale.

Ce qui est arrivé aux Arméniens, ce n'est peut-être pas la même chose que ce qui est arrivé aux Chinois. Ce qui est arrivé aux Chinois, ce n'est certainement pas la même chose que ce qui est arrivé aux Juifs et ce qui est arrivé au Cambodge ou en Afrique. Nous devons veiller à ce que toutes les victimes soient traitées de façon égale, non pas identique, mais égale. Voilà le principe que je voudrais qu'on retienne. Voilà le principe que je voudrais que le comité comprenne.

Et nier les souffrances qui font partie de l'histoire d'un groupe, c'est synonyme de discrimination, et j'estime que ce n'est pas conforme à notre façon de faire les choses au Canada. Je ne crois pas que nous approuvions la discrimination à l'endroit des survivants de ces génocides ni même à l'endroit de ceux qui en sont morts, car c'est essentiellement pour cette raison qu'ils sont morts. D'où le principe du projet de loi.

Je veux revenir sur les deux raisons pour lesquelles j'ai préféré au terme «génocide» celui de «crimes contre l'humanité» et pour lesquelles je n'ai pas demandé au gouvernement de créer un musée autonome. Nous savons tous, bien entendu, qu'en ma qualité de député d'arrière-ban je ne peux pas demander au gouvernement de dépenser des fonds. Il faut que les fonds soient pris à même le budget existant.

Deuxièmement, quand on parle de génocide, on applique naturellement la définition des Nations Unies, à laquelle nous souscrivons. Malheureusement, beaucoup d'atrocités passées, comme celles qu'ont subies les Chinois, où 35 millions de personnes ont été abattues, ne sont pas reconnues comme des génocides, selon la définition que nous avons retenue au Canada.

Les 12 millions de victimes ukrainiennes sont des victimes de génocide. Le terme «génocide» est généralement réservé aux victimes de l'Holocauste, du Rwanda, et à 49 p. 100 ou à 50 p. 100, selon le fonctionnaire à qui on parle, aux victimes arméniennes. Bien des gens seraient ainsi mécontents d'être laissés pour compte, et il me semble qu'il ne serait ni juste ni convenable de les traiter ainsi.

• 1550

Voilà donc dans quelle optique je me présente ici, monsieur le président.

Je suis sûr que vous avez beaucoup de questions. Je serai heureux de répondre à toutes les questions qu'auront les députés.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Assadourian.

Je cède la parole à l'Armenian General Benevolent Union of Canada. Un de vous deux veut-il bien prendre la parole?

M. Daniel Boyadjian (porte-parole, Armenian General Benevolent Union of Canada Inc.): Monsieur le président, je tiens tout d'abord à remercier le comité et vous-même de nous donner cette occasion de témoigner. Nous tenons également à remercier M. Assadourian d'avoir lancé cette initiative.

Monsieur le président, Barry Khojajian et moi-même voulons vous parler du sujet à l'étude en tant que porte-parole de l'Armenian General Benevolent Union of Canada, qui représente un élément vital et important de la communauté arménienne du Canada. L'AGBU, selon le sigle qui désigne notre organisation, a toujours été, depuis sa fondation comme organisation internationale en 1906, une voix modérée, mais déterminée, cherchant à venir en aide aux Arméniens dans le besoin en Arménie et à l'étranger. Les propos que nous tiendrons devant vous aujourd'hui seront donc justes et raisonnables.

J'inviterais mon collègues, Barry Khojajian, à vous parler de façon détaillée du sujet à l'étude.

M. Barry Khojajian (vice-président, Armenian General Benevolent Union of Canada Inc.): Monsieur le président, je voudrais poser trois questions auxquelles je répondrai en examinant la question à l'étude.

Question un: pourquoi le Canada a-t-il besoin d'un musée global présentant des expositions sur les crimes contre l'humanité commis au XXe siècle?

Point un: au cours du XXe siècle, le monde s'est transformé en un village planétaire. Au sein de ce village, le Canada est devenu une terre d'accueil et un refuge pour les survivants de génocides dans de nombreuses parties du monde: Arméniens, Juifs, Rwandais, etc. Les survivants et les descendants des survivants des génocides du monde représentent une partie importante de la population du Canada en cette fin du XXe siècle. Les survivants et leurs descendants occupent des rôles importants au sein de la société canadienne, révélant ainsi qu'avec de la détermination on peut triompher de l'adversité. Le Canada est devenu un pays pleinement souverain au début du XXe siècle et s'est donné comme projet de devenir un pays tolérant, généreux et humanitaire pour toutes les régions du monde d'ici à la fin de ce siècle.

Question deux: pourquoi les Arméniens-Canadiens souhaitent-ils la création d'un tel musée?

Point un: il représentera, pour les Canadiens d'origine arménienne, l'héritage du XXe siècle. Il illustrera les débuts de l'immigration arménienne au Canada. Il présentera le rôle humanitaire du Canada au cours des années 20, à la suite du génocide arménien. Il expliquera comment le Canada, par le biais d'individus et d'organismes, a fait parvenir une aide importante aux Arméniens affamés, tels que les présentaient les médias de l'époque.

Il montrera comment le Canada a parrainé plusieurs centaines d'orphelins arméniens—les Georgetown Boys, comme à Georgetown, en Ontario—qui sont arrivés au Canada dans les années 20, et qui ont formé les bases de la future communauté arménienne-canadienne.

Il pourrait montrer comment le Canada a encore une fois joué un rôle actif dans une autre tragédie et, ce faisant, a réussi à enrichir sa société et l'humanité.

La troisième question me semble particulièrement appropriée, monsieur le président, puisque vous avez reçu un mémoire d'une autre organisation arménienne qui dit s'appeler la Fédération nationale arménienne. Nous sommes un regroupement tout aussi national que peut l'être la fédération, et je suis convaincu que celle-ci est une institution de bienfaisance tout autant que nous le sommes.

Troisième question: pourquoi l'Armenian General Benevolent Union s'exprime-t-elle à ce sujet au nom des Arméniens-Ccanadiens?

L'AGBU est un organisme international fondé en 1906 par des personnalités de la diaspora arménienne. Soit dit en passant, ces gens ont joué un rôle important dans l'ouverture du canal de Suez. L'organisme devait servir de véhicule à la distribution de fonds aux agriculteurs pauvres du coeur de l'Arménie, en vue de leur enseigner les techniques d'agriculture modernes et de leur fournir des outils pour améliorer leur vie quotidienne. Par suite du génocide qui s'est poursuivi de 1915 à 1923, le centre de l'Arménie a perdu un grand nombre de ses habitants. Par conséquent, l'AGBU a été obligée de changer d'orientation et de devenir un outil de survie et d'éducation pour les orphelins et les victimes de l'Arménie au cours du XXe siècle.

À ce jour, l'AGBU agit en vue d'aider les Arméniens démunis en Arménie et à l'étranger et administre les fonds en fiducie versés par des donateurs.

Monsieur le président, nous voudrions vous faire trois recommandations.

• 1555

En premier lieu, le gouvernement du Canada devrait créer un musée global et autonome à Ottawa pour souligner les crimes contre l'humanité commis au cours du XXe siècle.

En second lieu, le musée canadien ne devrait illustrer que les crimes contre l'humanité commis au XXe siècle contre les membres qui forment maintenant sa population.

Enfin, le musée devrait montrer comment le Canada est parvenu au cours du XXe siècle à devenir une nation souveraine, diversifiée et humanitaire.

Merci de votre attention.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Khojajian.

Y a-t-il ici un représentant du Centre for Peace in the Balkans? M. Ivancevic ou un autre représentant du centre serait-il ici?

M. Sarkis Assadourian: Ils se sont peut-être rendus dans la pièce où nous étions l'autre fois. On pourrait peut-être vérifier.

Le président: Non, on les aurait avertis.

M. Sarkis Assadourian: Bien.

Le président: Nous allons donc céder la parole à M. James Kafieh, secrétaire exécutif des Canadiens pour un musée du génocide.

M. James Kafieh (secrétaire exécutif, Canadiens pour un musée du génocide): Merci.

Je m'appelle James Kafieh, et je suis secrétaire exécutif des Canadiens pour un musée du génocide. C'est au nom de notre président, John Gregorovich et de tous nos membres que je vous remercie de nous accueillir cet après-midi.

Nous sommes une organisation vouée à la recherche de l'équité et de l'intégration pour ce qui est de l'information dispensée au sujet des génocides, et de leur commémoration au Canada. Nous comptons 33 organismes membres, dont nous avons inclus une liste dans notre mémoire. Bon nombre d'entre eux sont d'envergure véritablement nationale. Ils représentent quelque 21 groupes ethnoculturels et des millions de Canadiens.

Tout au long de mon exposé, je mentionnerai des documents qui ne sont disponibles que dans l'une des deux langues officielles, et c'est pourquoi je ne les distribuerai qu'à la fin de la réunion à tous ceux qui souhaitent les obtenir.

En bref, il y a quatre choses que nous aimerions dire. D'abord, le projet de loi C-224 est un premier pas dans la bonne direction en vue de mieux informer les Canadiens sur les génocides; toutefois, il ne va pas assez loin.

En second lieu, ce dont les Canadiens ont véritablement besoin, c'est un musée du génocide dont le mandat, la régie et le nom adhèrent aux principes de l'équité et de l'intégration.

En troisième lieu, la création cette institution trouve un appui généralisé dans toute la population. Cet appui s'est manifesté chez les Canadiens en général, chez les spécialistes qui oeuvrent dans des domaines connexes et chez les parlementaires.

En quatrième lieu, le climat à l'échelle mondiale se prête aujourd'hui parfaitement à la création d'une institution de ce genre.

En ce qui concerne le projet de loi C-224, même s'il n'est pas parfait, il est néanmoins excellent. En effet, c'est une excellente initiative, si l'on pense à ce qui est envisagé. Il a fallu contourner divers obstacles afin qu'il se retrouve à l'étude au Parlement, et afin qu'il soit renvoyé à ce comité-ci, là où il est possible pour nous de faire des recommandations pour l'améliorer.

Ce projet de loi-ci est supérieur aux récentes initiatives visant à traiter de la question de génocide et qui ont échoué, puisqu'il vise l'équité et l'intégration Il tente de placer les génocides les uns par rapport aux autres plutôt que de les considérer isolément, l'un à l'exclusion des autres.

Notre organisme voudrait signaler que les génocides ne sont pas un phénomène nouveau ni un phénomène rare. Pour l'illustrer, nous avons annexé à notre mémoire un tableau des génocides qui donne un bref échantillon des génocides tout au cours de l'histoire de l'humanité, jusqu'à aujourd'hui. Je répète qu'il ne s'agit que d'un échantillon. De plus, il n'existe pas à notre avis de hiérarchie des génocides ou de la souffrance de l'homme. Nous estimons que tous les cas de génocide, petits ou grands, constituent des leçons extrêmement valables pour l'humanité.

Nous croyons que les Canadiens saisissent bien aujourd'hui que toute l'information véhiculée sur les génocides ou toute commémoration de ceux-ci doivent se faire conformément aux principes de l'équité et de l'intégration. En effet, le 5 octobre 1998, la communauté canado-arménienne consacrait à Montréal un monument à toutes les victimes des génocides du XXe siècle. Le 27 novembre 1999, la communauté canado-ukrainienne de Toronto organisait une commémoration oecuménique lors du 66e anniversaire de la famine en Ukraine. Dans le cadre de cette commémoration, les Canado-Ukrainiens ont produit ce document, qui n'est malheureusement que dans une langue. Outre un bref passage consacré aux souffrances des Ukrainiens, ce document parle également des autres souffrances de populations qui forment aujourd'hui le Canada.

• 1600

Tous ces gestes sont extrêmement importants et engendrent toutes sortes de possibilités. En ne considérant pas la souffrance des hommes ou un génocide isolément, cela nous permet comme Canadiens d'en être transformés pour le mieux.

Notre organisme a eu l'occasion d'oeuvrer auprès des conseils scolaires. Or, dans nos contacts avec ces conseils, nous avons constaté que ceux-ci n'arrivaient pas à trouver la documentation dont ils auraient eu besoin, à l'exception peut-être d'un génocide en particulier, qui a fait l'objet d'énormément de documents. Mais dans les autres cas, tout aussi importants, il ne semble pas y avoir suffisamment de documents.

L'une des lacunes du projet de loi, à notre avis, c'est que même s'il peut permettre la tenue d'une excellente exposition, il ne permettra pas la diffusion de documents dans le Canada. Voilà pourquoi nous croyons que notre pays a besoin d'un véritable musée canadien du génocide. Nous entendons par là un musée mettant l'accent sur l'équité et l'intégration, de façon à ce qu'aucune communauté en particulier n'ait le haut du pavé ou n'occupe la majorité de l'espace. Il est important, à notre avis, de donner une formule hybride au musée.

Nous voudrions que l'institution mette l'accent sur la recherche et les publications, auxquelles on combinerait l'aspect muséologique. Cela coûterait moins cher au gouvernement, et cela permettrait d'avoir un musée polyvalent qui répondrait mieux aux besoins des Canadiens. N'oublions pas qu'un nombre accru de musées sont maintenant accessibles en réseau. Les musées deviennent de plus en plus virtuels. Or, la clé, pour ce musée, ce serait la qualité de la recherche qui y serait effectuée.

Beaucoup d'entre vous ont vu ce que notre organisme a déjà fait en vue de démonter que les Canadiens sont largement d'accord avec la création d'un musée du génocide intégré. Vous vous rappelez sans doute nos cartes, que vous avez probablement reçues en grand nombre et qui visaient à appuyer le projet de loi C-479, qui a précédé le projet de loi C-224. Certains de nos autres membres qui appartiennent aux communautés ukrainienne et chinoise ont également produit leurs propres cartes, qui sont disponibles, si cela vous intéresse, mais qui ne sont malheureusement que dans une seule langue.

Toujours dans l'optique de l'équité et de l'intégration, et pour vous parler de ce que font les provinces, sachez qu'un député a déposé un projet de loi d'initiative parlementaire à Toronto, le projet de loi 38, destiné à proclamer la semaine de la commémoration des génocides en Ontario. C'est justement ce que souhaite notre organisme, et c'est pourquoi nous appuyons ce projet de loi sans réserve. C'est une occasion merveilleuse pour faire connaître le dossier des génocides au Canada, et particulièrement en Ontario.

Comme le signalait M. Assadourian, le climat est aujourd'hui propice et permet désormais au Parlement de prendre les rênes dans ce dossier. L'appui qu'il a reçu, si l'on en juge par la vitesse avec laquelle il a pu obtenir des signatures pour faire avancer son projet de loi et si l'on en juge par le consentement unanime qu'a donné le Parlement en vue de maintenir le dossier actif, puisqu'il l'a renvoyé à votre comité, illustre bien l'appui généralisé que l'on trouve au Parlement autour de ce projet.

Tous les partis semblent également être du même avis. Peter Goldring, député d'Edmonton-Est, a même fait savoir le 30 novembre qu'il déposait sa propre motion, la motion M-18, en vue de créer un musée mondial des génocides qui soit permanent et autonome. Le député de West Nova, Mark Muise, a parlé pour sa part de la déportation des Acadiens. Il faut comprendre que si l'on mise sur l'intégration, ce projet sera aussi à teneur canadienne.

M. Muise a parlé des victimes oubliées—les Tziganes, les Ukrainiens, les Cambodgiens. Il ne faudrait pas les oublier. Au fur et à mesure que la société se mondialisera, il faudra comprendre qu'en sensibilisant les Canadiens aux divers génocides, ils ne pourront qu'appuyer les efforts de ceux qui cherchent à mettre fin à ces atrocités.

La députée de Laval-Est, Mme Debien, a signalé qu'elle était d'accord en principe avec le projet de loi, mais que la Loi sur les musées rendait le projet de loi difficile à faire adopter.

La députée Wendy Lill est du même avis. Elle a d'abord signalé à quel point il était important d'enseigner à nos enfants l'histoire des génocides, et de leur faire comprendre que les violations des droits de la personne font également partie de l'histoire du Canada. Elle a mentionné la traite des esclaves d'il y a 200 ans à Halifax. Elle a rappelé la façon dont nos Premières nations ont été traitées d'un océan à l'autre et que les Beothuks ont été exterminés à Terre-Neuve.

• 1605

La députée a précisé que si elle ne pouvait souscrire au projet de loi, c'est parce que son libellé allait à l'encontre de la Loi sur les musées, mais elle a tenu à ajouter qu'elle était d'accord avec le principe du projet de loi, principe qui a également obtenu l'accord explicite de la ministre. En effet, deux semaines avant la réunion du 30 novembre et les débats entourant le projet de loi au Parlement, Mme Copps avait donné officiellement son appui.

À notre avis Mme Lill a posé la bonne question. Pourquoi le comité permanent n'est-il pas en mesure de poser la question logique, puisque M. Assadourian n'a pu le faire? Laissons le comité permanent recommander au Parlement et à Mme Copps de créer ce musée.

Monsieur Lincoln, vos propres paroles ont servi ce jour-là à faire avancer le débat. Vous avez mentionné de façon précise le rôle de chef de file que joue le Canada à l'échelle mondiale. Or, en faisant la promotion de ce musée selon un principe d'équité, d'équilibre et d'intégration nous pouvons justement rester le chef de fil mondial.

Pour clore, laissez-moi vous dire qu'à la lumière de la transcription des délibérations du 30 novembre dernier et de ce que j'ai vu du débat ce jour-là, on semble prôner de façon consensuelle un musée du génocide intégré et équitable. Des Canadiens de tout le pays, muséologues, universitaires, et parlementaires, individuellement et collectivement, souscrivent à ce projet.

Nous exhortons le comité permanent du patrimoine canadien à recommander à la ministre et au Parlement de créer une institution canadienne autonome dont la raison d'être soit d'informer les Canadiens de façon équitable et exacte sur tous les génocides passés, en mettant l'accent sur la recherche et la production de documents pour les écoles canadiennes, de même que sur l'aspect muséologique. Le Canada a une merveilleuse occasion de se hisser au premier rang mondial dans ce domaine, et nous croyons qu'il convient de commencer ici notre démarche en vue de faire grandir un peu plus l'humanité.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Kafieh, de vos propos très pertinents.

Nous passons maintenant à un organisme très important, le Congrès juif canadien. Nous accueillons M. Nate Leipciger, président du Comité sur le souvenir de l'Holocauste; et M. Eric Vernon, qui remplace M. Jack Silverstone, je crois. Monsieur Leipciger, à vous.

M. Nate Leipciger (président, Comité sur le souvenir de l'Holocauste, Congrès juif canadien): Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci de m'accorder la parole. J'ai la distinction équivoque d'être un survivant de l'holocauste. En plus de présider le Comité sur le souvenir de l'Holocauste du Congrès juif canadien, je siège également au Conseil international du Musée d'Auschwitz-Birkenau depuis maintenant 10 ans. Ce musée d'État, qui se trouve en Pologne, s'occupe spécifiquement de préserver les souvenirs de l'Holocauste.

Je m'intéresse de très près depuis maintenant 30 ans ;a l'information sur l'Holocauste. Je suis cofondateur du Musée de l'Holocauste de Toronto, et je me suis adressé à maintes reprises à divers groupes, à des particuliers, et particulièrement à des écoles. Soit dit en passant, le musée de Toronto attire 30 000 écoliers, qui sont parfois de jeunes adultes. Nous y prônons les notions de coopération, de lutte contre le racisme et de commémoration des victimes de divers crimes.

Il se trouve qu'hier le Musée impérial de la guerre à Londres a ouvert une salle de l'Holocauste, comme cela devait être le cas au Canada il y a de cela quelques années, lorsque l'on a agrandi le Musée canadien de la guerre à Ottawa. À cette époque-là, on avait suggéré de créer un musée distinct de l'Holocauste. Le Congrès juif canadien est d'avis que ce musée de l'Holocauste doit être un musée distinct, et je vais vous expliquer pourquoi.

• 1610

Il est de notoriété publique que le Congrès juif canadien défend très activement les droits de la personne depuis 1919. Au Canada, nous représentons 360 000 Juifs d'un bout à l'autre du pays. Notre congrès juif s'est toujours fait le porte-parole de la communauté juive pour divers enjeux d'envergure nationale et internationale, notamment l'antisémitisme, toutes les formes de discrimination, d'intolérance, de racisme et de haine sur l'Internet, et les politiques d'équité et de justice sociale.

Le 27 janvier dernier, jour anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau par l'Union soviétique en 1945, se tenait à Stockholm une conférence internationale intitulée Forum international sur la Shoah. Dans le cadre de cette conférence, 46 États, dont le Canada et le Vatican, ont présenté des observations. À la fin du forum, les participants présentaient une déclaration encourageant tous les signataires à prendre des mesures pour informer leur population sur l'Holocauste, commémorer l'événement et encourager la recherche dans ce domaine. Le Canada était un des signataires de la déclaration.

D'après la grande majorité des participants à cette conférence, l'Holocauste est un cas unique dans l'histoire, comme l'ont confirmé des historiens et des spécialistes en sciences sociales.

Laissez-moi examiner avec vous les raisons du caractère unique de cet événement. D'abord, l'Holocauste a duré très longtemps, soit neuf ans. Il a commencé dès 1933, à l'arrivée des nazis au pouvoir. Ce phénomène s'est répandu dans plusieurs pays, et touchait tout le continent européen. Aucun pays n'en était épargné, sauf les quatre ou cinq qui étaient considérés comme neutres, et même dans leur cas on peut se demander s'ils n'ont pas collaboré d'une façon ou d'une autre au génocide.

On n'a pas procédé à l'Holocauste pour des raisons ou des gains économiques, ni pour des gains territoriaux, ni pour mater une révolte civile. L'Holocauste n'était pas non plus inspiré par des motifs religieux; il ne servait pas de représailles contre une population belligérante ou hostile; il ne visait pas à éliminer des éléments subversifs d'une société; il ne visait pas non plus à venger des actes hostiles qu'auraient perpétrés les Juifs contre les nazis. Non, ce n'est pas pour ces raisons que les nazis ont procédé à l'Holocauste.

L'Holocauste a été perpétré à cause d'une théorie fondée sur la supériorité raciale d'un peuple en particulier. Ce peuple a décidé qu'il était l'Herrenrasse, la race supérieure, et que tous ceux qui ne correspondaient pas à sa description des caractéristiques de cette race seraient considérés comme des citoyens de deuxième ordre ou, comme dans le cas des Juifs, des Gitans, des homosexuels, et d'autres, seraient tout simplement anéantis.

Les Juifs étaient le premier volet de la théorie. Pour être victime, il suffisait d'être né Juif. Il n'y avait aucune issue possible. On ne pouvait pas prêter un serment d'allégeance aux nazis ni changer sa religion. On ne pouvait pas se dire d'accord avec ce que faisaient les nazis. Peu importait quelles idées politiques ou autres on avait, on était condamné à mort du simple fait d'être né Juif. Il n'y avait aucune sortie de secours, aucun endroit où on pouvait se cacher. L'Holocauste a été une destruction sans précédent de la vie de victimes innocentes, dont l'ampleur et la portée sont inimaginables.

L'anéantissement des Juifs, des Romanichels, des homosexuels, des personnes ayant un handicap mental, et cetera, n'était que la première étape de la mise en oeuvre de l'idéologie des nazis. L'étape suivante serait l'asservissement des Polonais et des Slaves.

• 1615

Les expériences auxquelles ont été soumises les femmes juives ne visaient pas à limiter la croissance démographique des Juifs, puisqu'ils devaient être anéantis. Elles visaient plutôt à limiter la croissance démographique des Slaves et des Polonais afin qu'ils puissent être asservis.

L'Holocauste a été perpétré au détriment de l'effort de guerre des nazis, qui ont détourné des trains et des ressources humaines dont ils se sont servis pour tuer les Juifs. C'était là leur principale et unique priorité. La communauté internationale a aussi contribué à l'élimination des Juifs en refusant de prendre des réfugiés en nombre assez grand. Quand 20 pays se sont réunis à Évian, en France, sous la présidence du président Roosevelt, un seul pays, la République dominicaine, a accepté de prendre 20 000 réfugiés. Les autres n'avaient pas de place pour les Juifs.

Le refus d'admettre les 900 Juifs à bord du S.S. St. Louis au Canada, aux États-Unis ou à Cuba a envoyé un message sans équivoque à Hitler, lui faisant savoir que personne ne voulait des Juifs et que personne ne se souciait de ce qui leur arriverait. Le silence de la communauté internationale et celui des Églises pendant l'Holocauste a été assourdissant et a contribué à la détermination des nazis de mettre leurs plans d'action en oeuvre, quel que soit le prix. Ce sont là autant de facteurs qui font que l'Holocauste est unique en son genre.

Que comprend l'étude de l'Holocauste? Elle comprend tous les aspects du comportement humain dans tous les champs d'activité: religion, droits de la personne, philosophie, sociologie, littérature, arts et sciences sociales. Il ne faut pas oublier que, même aux moments les plus sombres de cette époque, certaines personnes ont risqué leur vie pour sauver des Juifs. C'est à ces personnes de divers pays qui avaient un sens moral qu'on a érigé un monument commémoratif à Yad Vashem, dans l'État d'Israël, sur lequel 3 500 noms sont honorés. Ces personnes ont risqué non seulement leur vie à elles, mais aussi celles de tous les membres de leurs familles, pour sauver des Juifs.

Deux membres de ma famille ont été cachés par des chrétiens pour qui les conséquences de ce geste ont été très dures. Les chrétiens ont dû partager avec eux leurs maigres rations alimentaires, les cacher et répondre à tous leurs besoins humains fondamentaux. Ils ont fait cela pour d'autres. Je ne sais pas combien d'entre nous seraient prêts à risquer leur vie et à faire ce qu'ont fait ces personnes de divers pays au sens moral très aiguisé pour sauver des Juifs.

Il faut aussi parler de la contribution des Forces armées canadiennes, qui ont mis fin à la souffrance des survivants de l'Holocauste en libérant Westerbork, en Hollande. Le Canada a payé un prix très élevé pour la destruction qu'il a infligée aux forces de Hitler afin de gagner la guerre.

Tous les génocides, toutes les tragédies humaines sont d'une importance égale. Cela ne fait aucun doute. Nous ne voulons pas nous engager dans une rivalité pour déterminer qui a souffert le plus ou qui a subi la tragédie la plus atroce. Cela ne nous conduit nulle part. Il reste toutefois que l'Holocauste englobe tous les génocides et tous les massacres, quels qu'en soient le lieu et la date.

Nous proposons la création d'un musée de l'Holocauste et des droits de la personne qui serait axé sur l'Holocauste en tant que tel et qui engloberait également la question des droits de la personne, quelle que soit la nature du régime politique ou de l'autorité qui les a abrogés. Car les tragédies humaines ont à leur origine l'abrogation des droits humains de minorités, de personnes ayant des convictions religieuses différentes ou de groupes ethniques. Ainsi, en incluant les mots «droits de la personne», nous prévoyons que le mandat du musée englobe d'autres tragédies et d'autres actes de sauvagerie, comme la violence commise contre les Polonais, l'asservissement des Slaves, le massacre des Serbes, le meurtre des homosexuels, le meurtre des Gitans et des personnes ayant un handicap mental, le meurtre des prisonniers de guerre russes, des prisonniers de guerre ukrainiens et des militants politiques.

• 1620

Le musée doit avoir pour fondement l'éducation, afin de sensibiliser le public à ce dont les êtres humains sont capables. Le musée doit faire en sorte que nos jeunes sachent jusqu'où les nazis sont allés, et nous parlons bien des nazis plutôt que des Allemands ou de n'importe quel autre peuple. Ce ne sont pas tous les Allemands qui étaient des nazis, et il y a des gens appartenant à d'autres peuples qui étaient des nazis. Quand nous parlons d'un groupe identifiable qui a perpétré l'Holocauste, c'est du groupe nazi que nous parlons.

Il faut bien prendre garde aussi de ne pas victimiser ni stigmatiser d'autres personnes, ou encore les petits-enfants des auteurs de ces crimes, qui n'ont eu rien à voir dans les crimes commis par leurs parents ou leurs grands-parents. Tout cela doit faire partie du programme d'éducation des jeunes.

Il faut aussi de la recherche, car un musée qui serait statique ne durerait pas très longtemps. Il faut que ce soit une entité vivante qui ne cesse de poursuivre la recherche sur l'Holocauste et sur les autres événements qui se sont produits avant et depuis l'Holocauste et que l'on qualifie de génocides ou d'atrocités. Ainsi, au musée de Toronto, nous avons des activités en collaboration avec beaucoup d'autres groupes minoritaires. Ces dernières années, nous travaillons avec la communauté rwandaise. Nous avons envoyé des représentants de notre musée s'occuper des centaines de milliers d'enfants rwandais qui ont été traumatisés par le génocide rwandais et qui en sont restés orphelins.

Quand nous parlons de l'Holocauste, nous parlons des Arméniens. Il ne faut jamais oublier que c'est Hitler qui a un jour demandé, quand il était question de l'anéantissement des Juifs: «Qui se souvient aujourd'hui des Arméniens?» C'est là un aspect très important de l'éducation relative à l'Holocauste.

Il ne faut pas non plus oublier que, quand nous parlons de l'Holocauste, nous devons parler de toutes les atrocités qui ont été commises contre d'autres peuples. Cela fait aussi partie du programme d'éducation relative à l'Holocauste.

Pourquoi alors avoir un musée à Ottawa? Le Parlement du Canada se trouve à Ottawa. Ottawa est le siège de toutes nos lois, de nos libertés civiles et de notre structure politique. À ce titre, il faut y inclure une dimension morale. Nous devons veiller à ce que les étudiants et ceux qui viennent à Ottawa soient non seulement initiés au régime politique du Canada et à son système judiciaire, mais sensibilisés aussi aux droits de la personne et aux questions morales qui se posent dans un État multiethnique.

Nous ne pouvons pas parler des droits de la personne sans évoquer les autres atrocités, même celles qui n'ont pas été commises sur notre territoire. Nous ne devons pas oublier que, pendant la guerre, certaines personnes au Canada ont été déportées vers d'autres régions du pays, qu'elles ont été éjectées de leurs foyers sans cérémonie, que leurs biens ont été saisis et qu'elles ont été envoyées dans des camps. Ce n'était pas des camps de concentration, mais ce n'était pas non plus des colonies de vacances. Il faut donc inclure toutes ces atrocités. J'estime que le musée de l'Holocauste engloberait tous ces éléments. Comme je l'ai indiqué, ce sont autant d'éléments que j'incluais dans mes propos pendant les nombreuses années où je me suis rendu dans diverses écoles pour sensibiliser les jeunes à l'Holocauste.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Leipciger.

Monsieur Howard, pourriez-vous prendre la parole au nom de B'nai Brith?

M. Sheldon Howard (directeur, Relations gouvernementales, B'nai Brith Canada): Mesdames et messieurs les membres du comité, monsieur le président, merci beaucoup de nous donner cette occasion de vous présenter le point de vue de B'nai Brith Canada ainsi que de notre ligue des droits de la personne et de notre institut pour les affaires internationales. Je suis accompagné de deux collègues. Tom Gussman est membre de notre conseil d'administration national et Daniel Bentley est membre de notre institut et un bénévole très actif.

• 1625

Je tiens tout d'abord à vous dire comme je vous suis très reconnaissant de bien vouloir nous donner cette occasion de nous faire entendre. Comme bien d'autres, j'estime que le moment est venu de passer à l'action. Je crois qu'on n'a jamais été aussi ouvert au Canada à l'idée de créer un musée consacré au tragique héritage du XXe siècle. Le nombre sans cesse grandissant de ceux qui nient cet héritage fait en sorte qu'il est d'autant plus important d'agir dès maintenant.

Mon exposé visera à répondre à deux questions. Il y a d'abord le quoi. Autrement dit, quelle est la vision qu'a B'nai Brith Canada de l'exposition ou du musée dont nous sommes tous ici pour discuter. Il y a ensuite le pourquoi.

Nous croyons avoir une vision nouvelle et importante de ce que pourrait être l'exposition en question. Notre vision est différente, parce qu'elle est aussi axée sur l'Holocauste, mais qu'elle ne s'arrête pas là. Elle se fonde sur l'idée de l'Holocauste comme thème central, comme tremplin, si vous voulez, pour discuter de génocide, de crimes contre l'humanité et des horreurs de ce siècle.

Je vous expliquerai de façon plus détaillée un peu plus tard quelles devraient être selon nous les composantes de l'exposition. Il est peut-être plus facile toutefois de commencer par la deuxième question: le pourquoi. La réponse est très simple: pour l'éducation, pour que les crimes contre l'humanité dont nous avons été témoins depuis 100 ans, et dont l'Holocauste était le point culminant, ne se reproduisent jamais plus.

À B'nai Brith Canada, nous considérons que ce musée pourrait être un outil d'éducation indispensable. Nous ne le considérons pas comme un dépôt pour les artefacts du génocide. Ce doit plutôt être un centre de ressources, avec toutes les possibilités d'interaction que nous offre la technologie moderne afin que nous puissions faire connaître à tous les Canadiens la vérité sur l'Holocauste et la vérité sur les autres crimes commis contre l'humanité au cours de l'histoire récente. Lorsque ceux qui nient l'Holocauste et qui nient la vérité sont sinistres et diaboliques, nous devons être forts et créateurs. C'est seulement grâce à l'éducation qu'on peut faire échec à leurs efforts cyniques et infatigables pour entacher la mémoire de ceux qui ont péri dans l'Holocauste, pour salir la mémoire collective de ceux qui y ont survécu et pour obscurcir les faits historiques.

Dans la vision qu'en a B'nai Brith Canada, le musée serait inclusif intégré, de manière à refléter l'esprit de notre identité canadienne multiculturelle. Il présenterait toutefois l'histoire de façon rigoureusement exacte. Qu'est-ce que j'entends par là? J'entends par là, et c'est quelque chose que nous avons déjà entendu, mais qu'il vaut la peine de répéter, que l'Holocauste n'était pas simplement une autre tuerie parrainée par un État au XXe siècle. L'Holocauste était unique en son genre. Ce n'est pas là quelque chose dont la communauté juive cherche à s'enorgueillir, mais c'est néanmoins un fait qui doit être commémoré, sans enlever quoi que ce soit aux autres génocides perpétrés au XXe siècle.

L'éminent philosophe juif Emil Fackenheim présente dans son ouvrage intitulé To Mend the World les arguments suivants pour expliquer le caractère unique de l'Holocauste. Ces arguments sont aussi convaincants qu'irréfutables. Premièrement:

    La «solution finale» visait à exterminer tous les Juifs, hommes, femmes et enfants. Les seuls Juifs qui auraient pu vraisemblablement survivre si Hitler avait été victorieux auraient été ceux qui auraient pu par quelque moyen éviter d'être découverts par les nazis.

Deuxièmement:

    Le fait d'être né Juif (en fait le moindre signe de «sang juif») était suffisant pour mériter [d'être exécuté].

Fackenheim souligne que ce fait distingue les Juifs des Polonais et des Russes qui ont été tués parce que les nazis croyaient qu'ils étaient tout simplement trop nombreux. Exception faite des Gitans, les Juifs ont été les seuls à avoir été tués simplement parce qu'ils avaient commis le crime d'exister.

    L'extermination des Juifs n'avait aucune justification politique ni économique.

Troisièmement:

    Ce n'était pas un moyen d'arriver à une fin; c'était une fin en soi. Le massacre des Juifs n'était pas simplement considéré comme faisant partie de l'effort de guerre, mais avait une importance égale à l'effort de guerre; ainsi, des ressources qui auraient pu être affectées à l'effort de guerre ont plutôt été détournées vers le programme d'extermination.

Quatrièmement:

    Ceux qui ont mis en oeuvre la «solution finale» étaient [pour la plupart] des citoyens moyens. Fackenheim les qualifie de «personnes qui avaient un emploi ordinaire et qui étaient appelées à faire un travail extraordinaire».

Il les qualifie aussi de:

    «personnes qui donnaient le ton», d'«idéalistes comme tous les autres, sauf que leurs idéaux étaient la torture et le meurtre».

Ils tuaient le jour, puis rentraient chez eux le soir lire du Schiller et écouter du Beethoven.

C'est aussi un fait qu'il y a eu d'autres cas de génocides dans l'histoire de l'humanité, mais aucun d'entre eux ne présentera sans doute plus d'une des caractéristiques que décrit Fackenheim. Je le répète, la communauté juive ne tire aucune fierté du caractère unique de l'Holocauste. Il serait à la fois malséant et inutile de s'engager dans une espèce de compétition morbide dont le gagnant pourrait prétendre avoir souffert plus que quiconque.

Il est important toutefois que le XXe siècle soit raconté avec une exactitude rigoureuse. Dans la vision qu'en a B'nai Brith Canada, l'exposition serait un moyen de permettre aux Canadiens de se familiariser avec l'histoire du XXe siècle, et pour ceux qui croient déjà la connaître, d'en apprendre peut-être davantage.

Selon le modèle de B'nai Brith, le musée placerait l'Holocauste au centre d'un continuum éducatif. Le musée serait axé sur la nature du racisme et du totalitarisme et sur les liens entre ces phénomènes et le génocide.

Comme je l'ai dit, nous croyons fermement que l'Holocauste devrait être l'étude de cas centrale qui servirait de point de départ à l'étude des autres atrocités passées et contemporaines. Il servirait de puissant rappel montrant comment des circonstances extrêmes et des catastrophes peuvent être l'aboutissement de gestes en apparence anodins et pas menaçants du tout dans des sociétés en apparence civilisées. La campagne nazie contre les Juifs montre de façon percutante comment, en l'espace de deux décennies, une démocratie imparfaite de style occidental a pu se transformer en un État totalitaire ayant pour mission l'extermination d'un peuple.

• 1630

Certains s'interrogent peut-être encore sur l'opportunité de choisir l'Holocauste comme étude de cas principale pour un musée canadien. Il y a trois grandes raisons à cela.

Premièrement, l'Holocauste est le génocide le plus complètement documenté du siècle. Ainsi, du point de vue pratique, il peut servir de fondement à l'étude d'autres atrocités. Deuxièmement, les leçons de l'Holocauste sont particulièrement pertinentes ici au Canada, puisque nous vivons dans une démocratie occidentale industrialisée qui a bien des traditions et des valeurs culturelles en commun avec l'Allemagne de l'avant-guerre. Troisièmement, l'expérience de l'Holocauste sert à illustrer toutes les étapes qui conduisent au génocide: du parti pris social répandu à l'exclusion légale; de l'élimination des droits sanctionnée par l'État à la déshumanisation brutale; de l'épuration ethnique jusqu'au massacre systématique à échelle industrielle que représentait la «solution finale» devenue politique d'État officielle.

L'Holocauste illustre aussi deux grands principes qui doivent être au coeur de l'éducation antiraciste. Il montre que les conséquences du racisme se limitent rarement à un groupe de victimes. Bien des gens ont été balayés par le vent de fureur nazi. En outre, le racisme ne se fonde sur aucune logique ni sur aucune considération rationnelle. La campagne contre les Juifs n'a pas été engendrée par des querelles territoriales, culturelles ou ethniques. Les Juifs d'Allemagne étaient en fait des citoyens farouchement loyaux à leur pays et étaient pleinement intégrés dans leur société.

Quant à sa pertinence dans le contexte actuel, l'Holocauste contient tous les éléments de la violation des droits de la personne à l'époque contemporaine, depuis le préjugé de départ, qui, bien souvent, passe inaperçu et qui, tranquillement, peut mener à des atrocités parrainées par l'État. Qu'on le veuille ou non, l'Holocauste est devenu l'aune à laquelle on mesure les autres atrocités.

La réaction de la communauté internationale à la «solution finale» des nazis est à l'origine de l'établissement du système international des droits de la personne qui a conduit récemment à la création d'un tribunal international, le Canada ayant joué un rôle de chef de file à cet égard. Le lien est tangible et pourrait être utilisé dans le cadre d'un effort d'éducation généralisé. Nous pouvons tirer des leçons de la violation des droits de la personne uniquement si nous comprenons que nous pourrions aussi être victimes de telles violations, ici et maintenant.

Le musée pourrait fournir un environnement pour sensibiliser les gens aux nombreux actes de racisme et d'atrocité qui ont été commis dans le monde au vingtième siècle et qui ont été commis parallèlement aux diverses étapes qui ont mené à l'Holocauste. Une extension naturelle de cette approche serait une étude en profondeur du racisme populaire et de la discrimination systémique et sociale qui prévaut partout dans le monde.

B'nai Brith Canada voit donc ce musée comme un modèle qui pourrait inclure l'expérience de bons nombres de groupes ethniques. Il pourrait également jeter un pont entre les leçons tirées du passé et les défis d'aujourd'hui. Ainsi, l'utilisation de l'Holocauste comme point de référence central ne doit pas être vu comme diminuant en quoi que ce soit l'expérience d'autres groupes ethniques. Il y a des leçons universelles à tirer de cette catastrophe humaine, des leçons qui touchent tous les Canadiens, jeunes et vieux. Le fait que le musée soit consacré surtout à cette question n'empêche pas la possibilité de présenter d'autres atrocités; c'est plutôt une inspiration pour établir ce genre de comparaison.

En conclusion, une question importante a peut-être été oubliée dans l'équation. Quels sont les besoins du Canadien moyen qui dans sa culture ou sa famille n'a connu aucune expérience extrême de souffrance et qui n'est pas personnellement touché par la commémoration de la souffrance d'un autre groupe?

Nous sommes maintenant en l'an 2000, et il est effectivement important de préserver et de se rappeler les événements pénibles du passé, mais il faut le faire d'une façon qui permette d'ancrer fermement dans la conscience nationale une vision de tolérance et d'aversion universelle pour l'atrocité. La commémoration à elle seule ne peut être efficace sans mettre l'accent sur l'éducation de nos jeunes et des générations futures, à qui l'on doit faire comprendre que la démocratie est fragile. Nous devons vraiment protéger la démocratie. B'nai Brith Canada estime qu'il s'agit là d'une leçon que le musée peut enseigner à des générations de Canadiens pendant de nombreuses années à venir.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci, monsieur Howard.

Avant de passer aux questions, j'aimerais souhaiter la bienvenue au Centre for Peace in the Balkans, représenté par Mme Svetlana Cakarevic. Merci beaucoup. Vous avez la parole. Vous avez environ dix minutes pour présenter votre exposé.

Mme Svetlana Cakarevic (représentant, Centre for Peace in the Balkans): Merci.

L'humanité peut espérer construire un monde meilleur, un monde plus humain, en tirant des leçons du passé. Alors que le monde est de plus en plus relié par la technologie, il est fondamental pour assurer l'avenir d'être sensibilisé à l'histoire et de bien la comprendre.

Le Canada s'est distingué comme chef de file mondial en adoptant la Loi sur le multiculturalisme qui a permis aux Canadiens de toutes les origines d'apprécier et de respecter toutes les personnes, peu importe leur race, leur origine ethnique ou leur religion.

En ce qui concerne la transmission de la mémoire, nos quatre organisations canadiennes—l'Association of Serbian Women, le Centre for Peace in the Balkans, la Ottawa Serbian Heritage Society et la Serbian National Shield Society—appuient la création d'une exposition au Musée canadien des civilisations ou d'un musée du génocide qui présenterait les génocides du XXe siècle, car l'histoire a été écrite par les vainqueurs, et il est important que la voix silencieuse des victimes se fasse entendre. Le fait d'omettre l'agonie d'une nation victimisée ne fait qu'assurer que les crimes resteront cachés et que les auteurs de ces crimes ne seront jamais traduits en justice.

• 1635

L'histoire des petites nations est importante dans la continuité de l'histoire. Les efforts considérables du peuple juif pour commémorer les victimes de l'Holocauste et éduquer le monde devraient servir d'exemple à tous. Le génocide des nations est souvent accompagné d'un génocide culturel qui détruit les monuments et toute trace de l'existence de la nation.

D'aucuns disent que le XXe siècle a été le plus sanglant de toute l'histoire de l'humanité. Parmi les horreurs qu'a connues le monde, il y a eu l'extermination des Roumains, des Juifs, des Rwandais, des habitants du Timor-Oriental, des Kurdes, des Tsiganes—et j'en passe. La dévastation infligée par les armées d'invasion lors des deux guerres mondiales est également inscrite dans l'histoire.

Les Serbes, qui ont été beaucoup calomniés, ont perdu des millions de vies au cours du XXe siècle. Parce que leur souffrance est restée relativement inconnue, on dit aujourd'hui qu'elle était sans importance et qu'elle n'est pas justifiée. Au cours des 10 dernières années, les Serbes se sont fait dire à maintes reprises d'oublier le passé. Si notre monde non informé avait compris les problèmes de l'histoire des Balkans et préservé la mémoire des événements du passé, il n'aurait pas jugé si rapidement le peuple serbe ni participé à la tragédie qui s'est déroulée.

Woodrow Wilson a dit qu'aucun pays n'était apte à juger une autre nation. La leçon qu'il faut tirer du passé, c'est la nécessité de préserver la mémoire pour la sécurité et la paix de l'avenir.

La Première Guerre mondiale et les Serbes: au cours des deux guerres mondiales, les Serbes se sont battus du côté des alliés. Pour combattre l'invasion des armées austro-hongroises, les Serbes ont perdu 27 p. 100 de leur population, soit le pourcentage le plus élevé de toute l'Europe. Lors de la conférence de Versailles, le Dr Archibald Rice, un médecin suisse, a parlé de la destruction du peuple serbe par ses envahisseurs.

La Seconde Guerre mondiale et le génocide oublié des Serbes: en 1941, l'État indépendant de Croatie a été créé comme satellite du Troisième Reich de Hitler. Son ministre de la religion et de l'Éducation a publiquement annoncé la nouvelle politique de son gouvernement à l'égard des 2,2 millions de Serbes qui étaient en minorité: un tiers sera tué, un tiers sera expulsé, et un tiers sera forcé de se convertir. Dans une région, on estime que 75 p. 100 des Juifs et près de 100 p. 100 des minorités tziganes sont morts.

Bien que le nombre exact des victimes serbes ne sera jamais connu, des sources fiables comme Simon Wiesenthal, Nora Levin et la Politique stratégique de défense et des affaires étrangères estiment qu'entre 600 000 et plus d'un million de Serbes auraient été tués au total dans l'État indépendant de Croatie créé par Hitler, qui couvrait la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et certaines parties de la Serbie, notamment l'énorme camp de concentration de Jasenovac, qu'on a souvent appelé l'Auschwitz des Balkans. À Jasenovac, un monument commémoratif et un musée ont été détruits à minuit au milieu des années 90 par les forces croates. En effaçant sa mémoire on s'efforce d'effacer en même temps le crime qui a été commis. C'est comme si on assassinait les morts une deuxième fois.

En Bosnie-Herzégovine, les nazis oustachi-croates ont été aidés par les divisions nazies musulmanes, qui ont également liquidé les Serbes. Au Kosovo, sous le pouvoir fasciste, les Albanais ont éliminé des milliers de Serbes. Dans la Serbie occupée, les forces allemandes et hongroises dans le Nord...

Le président: Excusez-moi, veuillez ralentir, car les interprètes...

Mme Svetlana Cakarevic: Mon Dieu, je suis désolée. Je dois vraiment m'en excuser. Vous ne pouvez savoir comment je suis nerveuse.

Le président: Ne vous en faites pas. Tout le monde ici est assez gentil.

Mme Svetlana Cakarevic: Certainement; bien, je vais faire de mon mieux. Je m'excuse.

Pourquoi a-t-on caché le génocide des Serbes?

C'est aux gouvernements qu'il incombe de guérir les blessures de la guerre. Il faudrait mettre en place des programmes et des monuments commémoratifs pour préserver la mémoire des crimes de guerre et empêcher qu'ils ne se répètent à l'avenir, et faciliter la guérison. Sous le régime Tito, qui était né en Croatie, la Yougoslavie communiste d'après-guerre n'a pas réussi à le faire. La Yougoslavie n'a pas institué une guérison entre les groupes ethniques. Aux Nations Unies, Tito n'a pas dénoncé le génocide causé par les nazis oustachi-croates et leurs alliés musulmans et albanais.

• 1640

Tito n'a pas demandé réparation pour les victimes ou que des excuses leur soient présentées. En fait, il a littéralement caché la preuve pour des raisons politiques. Il n'y a pas eu de programme de dénazification. Ceux qui ont commis des crimes ont échappé au jugement, et la plupart ont pu vivre dans un confort relatif dans des pays occidentaux. Nous savons combien de nazis ont pu s'échapper par la bonne filière. Les trois nazis qui ont été traduits en justice n'ont démontré aucun remords pour ce qu'ils ont fait.

Le génocide des Serbes, des Juifs et des Tziganes ne faisait pas partie du programme scolaire des Yougoslaves. Ce n'est pas un sujet qui est beaucoup étudié non plus à l'Ouest. Tout a été passé sous silence pendant 50 ans.

Les ramifications contemporaines du silence et de l'effacement: étant donné qu'aucune guérison ne s'est faite et que la mémoire n'a pas été préservée dans la Yougoslavie de l'après-guerre, les hostilités entre les descendants des agresseurs et les descendants des victimes n'ont pas disparu. Ces hostilités ont été ravivées en 1990 lorsque le nouvel État de Croatie a permis ouvertement la renaissance des symboles et des chants racistes nazis de la Seconde Guerre mondiale, que les écoles et les rues soient rebaptisées pour leur donner les noms des chefs nazis croates, et que l'on accueille d'anciens officiers nazis croates au sein du gouvernement et permette la destruction du camp, du musée et du monument commémoratif de Jasenovac.

Effacer la mémoire facilite le révisionnisme. En effaçant ou en omettant la mémoire, il est plus facile de réécrire l'histoire, de nier les crimes et de détruire les monuments culturels des victimes. Au Canada, ceux qui ont tenté de nier l'Holocauste ont été traduits devant les tribunaux.

Dans les années 90, le révisionnisme a permis au président croate Franjo Tudjman, qui est décédé récemment, d'écrire que l'Holocauste n'avait fait qu'un million de victimes juives. Il a écrit par ailleurs que le nombre de victimes serbes ne s'élevait qu'à 60 000. Il s'est par la suite excusé auprès des Juifs et a corrigé le nombre. Il ne s'est cependant jamais excusé auprès des Serbes, et on utilise toujours ce nombre. Même si beaucoup s'opposaient à ses théories révisionnistes, il a néanmoins assisté à l'ouverture du musée de l'Holocauste américain.

La politique gouvernementale de nettoyage ethnique de 1941 qui consistait à chasser les Serbes de leurs propriétés ancestrales en Croatie a été complétée en 1995 alors qu'environ 300 000 Serbes ont été expulsés au cours d'une fin de semaine. Les Serbes ont subi le même sort que les Juifs et d'autres. Parce que leur histoire n'est pas très connue, ils ont subi un sort semblable dans les années 90.

Dans la grande famille de l'humanité, nous devons tous aspirer à inclure davantage les autres; ainsi, le rappel permanent de ces crimes assurera que les générations futures de Canadiens tireront les difficiles leçons du passé. En tant que société humaine, le Canada peut jouer un rôle de chef de file afin de faire valoir ce que préconisait un penseur juif: l'oubli mène à l'exil; le souvenir mène à la rédemption.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Je pense qu'il s'agit là d'une table ronde très utile. Vous nous avez certainement apporté différents points de vue quant aux résultats que vous recherchez, mais si je peux dégager un thème commun—et je pense que l'un des mémoires l'explique très bien—c'est qu'il faut jeter un pont entre les leçons apprises du passé et les défis que nous devons relever aujourd'hui et qu'il faut le faire d'une façon qui permette d'ancrer fermement dans la conscience nationale une vision de tolérance et une aversion universelle pour l'atrocité.

Plusieurs d'entre vous, sinon tous, ont parlé de la nécessité d'accorder la priorité à l'éducation et à la recherche à l'avenir. Je pense que c'est le thème qui est ressorti des observations de M. Leipciger, de M. Kafieh, de M. Khojajian et de vous également, madame. Je pense que c'est une bonne façon pour nous de lancer la période de questions, et je donnerai d'abord la parole à M. Mark.

M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

J'aimerais tout d'abord remercier les témoins d'être ici aujourd'hui. Je voudrais féliciter notre collègue, M. Assadourian, pour son engagement dans cette cause.

• 1645

Il ne fait aucun doute que les définitions seront déterminantes pour les prochaines étapes. J'ai été heureux d'entendre nos témoins dire qu'ils aimeraient voir une définition large afin d'inclure tout le thème de la tragédie humaine.

C'est quelque chose qui nous touche de très près ici dans un pays comme le Canada, qui n'a pas encore été tenu de rendre compte de nombreuses tragédies humaines qui se sont produites ici. Les témoins en ont mentionné quelques-unes, notamment l'internement des Ukrainiens, la Loi d'exclusion des Chinois de 1923, l'expulsion des Acadiens et l'internement des Japonais.

Il y a certainement un intérêt renouvelé ici au pays pour l'histoire en général, et je pense qu'on s'intéresse même aux périodes les plus sombres de l'histoire du Canada. Mais avant d'arriver à l'étape de la construction d'un immeuble pour ce projet, ou de la préparation d'une exposition, nous devrions peut-être déterminer le processus à suivre afin de nous assurer que personne n'est oublié, que l'on fait toute la recherche nécessaire, comme certains témoins l'ont dit, et qu'on arrive à une entente ou à une sorte de consensus. Ma question est donc la suivante: est-il nécessaire de s'entendre sur le processus que devraient suivre tous les intervenants, ou à votre avis le Comité permanent du patrimoine canadien devrait-il prendre lui-même ses propres décisions?

M. Sarkis Assadourian: Puis-je répondre à la question, monsieur le président?

Le président: Oui, allez-y, monsieur Assadourian, et nous donnerons ensuite aux autres témoins la chance de répondre.

M. Sarkis Assadourian: Merci beaucoup.

Je ne pense pas que nous devions revenir sur la question, tenter de décider ce qu'il faut faire et laisser aux députés ou à votre comité savoir ce que les gens décideront. En fin de compte, le comité lui-même devrait se réunir et prendre... non pas une décision, mais faire une recommandation à la Chambre des communes, car la motion était de faire rapport à la Chambre des communes au plus tard le 15 juin, et non pas de prendre une décision.

Je pense que la décision sera prise par le musée, par le gouvernement ou par la ministre du Patrimoine. Je ne pense pas avoir demandé au comité de prendre une décision, mais tout simplement de faire une recommandation à la Chambre.

M. Inky Mark: Quel type de recommandation? Devrions-nous préciser ce qu'il faudrait construire, ou est-ce qu'on devrait décider de laisser tous les intervenants déterminer ou décider en fin de compte ce qui devrait être fait?

M. Sarkis Assadourian: Je ne pense pas que la responsabilité des intervenants aille jusqu'à prendre une décision au nom du gouvernement. Le gouvernement devra prendre une décision. La ministre elle-même et le comité, en se fondant sur la recommandation, devront faire rapport à la Chambre en disant: «Voici ce que nous pensons qu'il faut faire.»

Et d'après ce que le président a dit précédemment, il y a un large consensus selon lequel il devrait y avoir un musée qui inclurait tout le monde. Nous aimerions tous partager l'expérience commune que les gens ont subi au cours du siècle dernier.

Monsieur Mark, je ne pense pas que les musées soient comme des beigneries qu'on peut ouvrir à tous les coins de rue. Il y en a un, et soit on y est, soit on n'y est pas.

Nous n'avons qu'un Musée des civilisations. Nous n'en avons pas un autre au pays. Il y a un Musée des beaux-arts du Canada. On ne peut pas construire un musée pour ceci ou pour cela, ou pour ce groupe-ci ou ce groupe-là. Ce ne sera plus un musée. Le concept d'un musée intégré est le plus important, et je pense que tout le monde ici autour de cette table partage cet avis.

Merci.

Le président: Monsieur Vernon.

M. Eric J. Vernon (directeur, Relations gouvernementales, Congrès juif canadien): Merci, monsieur le président.

Avant de répondre à M. Mark, j'aimerais préciser aux fins du compte rendu que la population juive au Canada s'élève à 360 000 personnes.

J'aimerais rappeler aux membres du comité qu'on a fait allusion précédemment au plan initial d'intégrer une salle d'exposition consacrée à l'Holocauste dans un projet d'expansion du Musée de la guerre. Lorsque cette décision a été révoquée, le Musée canadien de la guerre a publié un communiqué, et j'aimerais en citer un paragraphe.

    Un établissement distinct entièrement consacré à l'Holocauste sera davantage en mesure de témoigner adéquatement de l'immense impact de l'Holocauste. La société

—c'est-à-dire la Société du Musée canadien des civilisations—

    participera à la recherche d'un nouveau site et continuera d'appuyer la création d'un musée de l'Holocauste autonome et indépendant.

Aux yeux du Congrès juif canadien, on s'est engagé à créer un musée de l'Holocauste autonome et indépendant, et nous préférerions qu'on l'appelle le Musée de l'Holocauste et des droits de la personne, comme M. Leipciger l'a précisé plus tôt.

• 1650

Donc à notre avis une offre a été faite, le gouvernement s'est engagé, et nous préférerions que votre comité recommande à la Chambre des communes que des mesures soient prises pour respecter cet engagement.

Le président: Monsieur Kafieh.

M. James Kafieh: Pour ce qui est des recommandations, à l'exception de ce que le Congrès juif canadien vient de dire, il y avait un large consensus selon lequel que nous voulions un musée qui fasse de la recherche et des publications, peut-être avec certains aspects muséologiques, avec des expositions.

Il est très important pour nous tous, à l'exception du Congrès juif canadien, que tous soient inclus. J'ajouterais aussi qu'il importe d'assurer l'équité. Si on n'assure pas l'équité, si on accorde une importance indue à l'histoire d'une communauté particulière, ce serait fondamentalement inacceptable pour ceux qui sont représentés par nos 33 organisations membres. Il serait injuste que l'une ou l'autre collectivité ne soit mentionnée qu'en passant dans le musée de quelqu'un d'autre, surtout en ce qui concerne une question aussi délicate que celle-ci.

Tous les cas de génocides sont uniques. La collectivité rwandaise fait partie de notre organisation. Elle nous fait remarquer qu'en 100 jours à peine un million de personnes ont été massacrées—100 jours. Et cela s'est fait sans usine. Ces personnes ont été massacrées à la hache et à la machette. C'est un cas unique et important.

J'ai entendu diverses observations ici; il ne s'agit pas de savoir si tous ces cas de génocides sont fondamentalement vrais. Plutôt, il s'agit de comprendre que chacun est unique. Bien des cas sont au moins aussi bien documentés que celui de la Shoah. Nous en avons des exemples récents: le Timor-Oriental, le Rwanda et les Balkans, pour n'en nommer que trois.

Bien des leçons sont pertinentes pour nous, les Canadiens, pas seulement celles qui sont enracinées dans le modèle européen. Prétendre que le Rwanda est moins important parce que ce pays est en Afrique, c'est sous-estimer l'importance des événements qui s'y sont produits. Il importe pour nous de comprendre que cela est tout aussi mal que minimiser les souffrances des Européens à la fin de la Seconde Guerre mondiale en disant: «Ça, c'est le modèle européen. Nous, nous sommes Nord-Américains.»

Nous vivons dans une société globale. Je tiens à souligner que nous n'appuierons l'idée d'un musée que si elle est fondée sur une approche équitable et englobante.

Le président: Je comprends parfaitement votre point de vue. Vous l'avez exprimé clairement. Mais en toute justice, afin que cette discussion ne dégénère pas en débat, ce que nous ne voulons pas, je préférerais que vous nous donniez des idées qui mèneraient à un consensus.

Après avoir écouté M. Leipciger, je ne crois pas qu'il ait été méprisant à l'égard de la contribution des autres. Il a fait valoir que, à son avis, l'élément central est la Shoah, ce qu'il a parfaitement le droit de faire au nom de sa collectivité et du Congrès juif canadien. Je n'ai pas eu l'impression qu'il ait tenté de minimiser l'importance des autres atrocités.

M. James Kafieh: Je vous remercie de cette précision, monsieur.

Le président: Monsieur Kafieh, tentons donc de trouver des idées rassembleuses.

Notre comité est saisi d'une question très difficile. Nous savons tous qu'il s'agit d'un sujet délicat qui peut aussi être explosif. C'est un sujet qui suscite beaucoup d'émotions.

J'ai eu la chance de grandir sans savoir ce que signifiaient les mots atrocité et génocide, mais je sympathise avec ceux qui ont vécu ces expériences ou qui vivent dans une collectivité qui a été déplacée. Je comprends les sentiments profonds de ces personnes, je comprends pourquoi ces sentiments peuvent facilement faire l'objet d'un débat, car chacun envisage la situation de son propre point de vue, à bon droit. Nous sommes tous des êtres humains; chacun d'entre nous voit les choses différemment.

Ce que j'aimerais—ce n'est pas facile, et j'espère que vous m'aiderez dans le peu de temps dont nous disposons—c'est que nous tentions de trouver un terrain d'entente pour tirer des leçons de ces expériences pour l'avenir et les générations futures. Nous voulons rejoindre toutes les communautés qui ont souffert et tirer des leçons de ces souffrances à des fins d'éducation et de recherche. Peut-être cela pourrait servir de point de départ.

• 1655

Je comprends votre point de vue, et le leur est différent; bon, d'accord.

M. Sheldon Howard: Dans notre recherche d'un terrain d'entente, je crois qu'on est tous d'accord pour dire que c'est l'éducation qui prime et que le musée devrait mettre l'accent sur cela. Tout éducateur ou professeur d'histoire vous dira que, à ce chapitre, la précision est de mise. Comme nous l'avons dit tous les deux, personne ne tente de banaliser les expériences des autres collectivités, mais il importe que ce musée raconte l'histoire du XXe siècle et des atrocités commises pendant ce siècle avec précision.

J'aimerais citer un extrait de la déclaration de Stockholm, rédigée dans le cadre du Forum international sur la Shoah, que le Canada a signée:

    La Shoah a fondamentalement remis en question les fondements de notre civilisation. La nature sans précédent de la Shoah aura toujours une signification universelle.

Ce sont des concepts déjà acceptés par la communauté internationale. Ce n'est pas nouveau. Et je tiens à souligner que cela ne banalise en rien les expériences des autres groupes. En racontant l'histoire du XXe siècle, des atrocités et des génocides que nous connaissons malheureusement trop bien, nous n'enlevons rien à personne.

Le président: Monsieur Howard, vous avez exprimé votre point de vue très clairement.

Madame, vous avez demandé à intervenir. J'aimerais faire une suggestion. Nous avons beaucoup de questions, mais peu de temps; par conséquent, après votre intervention, je demanderai aux membres du comité de poser chacun leurs questions l'un après l'autre pour ensuite laisser la parole aux témoins. Ainsi, nous pourrons terminer à temps, et chacun aura la chance de poser ses questions.

Madame Cakarevic.

Mme Svetlana Cakarevic: J'ai une question au sujet du musée même. Ce musée présentera-t-il une exposition statique ou dynamique? Autrement dit, est-ce qu'on y présentera seulement les crimes de guerre, génocides et holocaustes du passé, ou y inclura-t-on les événements en cours de l'histoire mondiale? Le comité du musée pourra-t-il aborder les problèmes actuels, les génocides en cours et les violations des droits de la personne dont on est actuellement témoin, ou présentera-t-il seulement une exposition statique?

Le président: Permettez-moi de vous expliquer, madame Cakarevic. La Chambre des communes nous a confié la tâche d'examiner le projet de loi de M. Sarkis Assadourian, projet de loi très court, pour ensuite faire rapport à la Chambre des communes. Nous n'avons pas de mandat qui nous dise qu'il devra y avoir un musée, que l'exposition prendra telle ou telle forme. Le comité présentera des recommandations après avoir écouté les témoins. Dans son rapport, il pourrait aborder de grands thèmes.

Puis, comme l'a précisé M. Assadourian, il incombera au gouvernement de donner suite à ce rapport après avoir consulté les divers groupes intéressés.

Mme Svetlana Cakarevic: Je recommande que ce soit une exposition dynamique, et pas seulement un outil éducatif sur les holocaustes et les crimes du passé. Ce devrait être quelque chose de dynamique...

Le président: Je pense que si l'on veut faire de l'éducation, cela va de soi. C'est un processus continu.

Si vous n'y voyez pas d'objection, je demanderais maintenant aux députés de poser leurs questions; les témoins pourraient les prendre en note afin de pouvoir y répondre ensuite.

[Français]

Monsieur de Savoye.

M. Pierre de Savoye (Portneuf, BQ): Je vous remercie d'être venus témoigner ici aujourd'hui. Je veux également féliciter notre collègue Assadourian, qui a été d'une ténacité à toute épreuve pour faire avancer une cause dans laquelle il croit à juste titre.

J'écoutais vos présentations, et un mot revenait sans cesse, un mot que l'humanité a été obligée d'inventer pour une chose incroyable: le mot «génocide». C'est un mot qui est rempli de tristesse, de douleur et de souvenirs. C'est un mot qui a été inventé pour que la mémoire de la civilisation n'en perde pas le sens.

• 1700

Vous nous proposez aujourd'hui la création d'un musée qui aurait justement pour objet d'assurer l'éducation et la conscientisation, particulièrement des jeunes, ainsi que de permettre la recherche et la diffusion du matériel. Je comprends ce qu'un musée pourrait faire dans ce sens-là, mais un musée est localisé dans un endroit précis. On m'a appris qu'il y avait un musée de l'holocauste à Toronto. Je l'ignorais. Bien que je sois allé à Toronto à plusieurs reprises, je n'ai jamais eu l'occasion de visiter ce musée. Donc, localiser un musée à un endroit précis n'assure pas l'accès de l'ensemble de la population aux connaissances, aux mémoires, aux souvenirs et aux valeurs éducatives que propose le musée.

Vous n'avez pas expliqué au comité pourquoi des solutions alternatives seraient moins intéressantes. Je pense par exemple à un musée itinérant, à un musée virtuel ou même à un centre d'étude qui aurait des sites subalternes situés dans l'ensemble des provinces. Bref, il y a des solutions alternatives. Pourquoi proposez-vous la création d'un musée plutôt que les solutions alternatives? C'est le sens de ma question, monsieur le président. Je cède la parole à un collègue qui en aurait d'autres.

Le président: Je crois que c'est une question très pertinente et très importante. J'espère que vous l'avez retenue et que vous y reviendrez.

[Traduction]

Monsieur Muise.

M. Mark Muise (West Nova, PC): Merci, monsieur le président, et merci à notre invité, Sarkis. Il m'a parlé de son projet de loi à plusieurs reprises, et je sais qu'il lui tient à coeur. Je le remercie de son dynamisme et de sa ténacité.

Ce que nous faisons ici aujourd'hui m'apparaît très important. Pendant que je vous écoutais, il m'a été impossible de ne pas penser à autre chose. Vos témoignages, inévitablement, m'ont rappelé des choses que j'ai lues ou vues ou entendues sur les crimes de guerre et la grande tristesse qu'ils provoquent. Du moins, c'est ce que moi, j'ai ressenti. Comme l'a dit le président, il est crucial que tous les groupes intéressés collaborent à cet effort en vue d'assurer la commémoration, l'éducation et la recherche.

Ma question fait suite à celle de mon collègue, M. de Savoye. Si nous créons cet énorme musée qui s'occuperait d'éducation et de recherche, ne pourrait-on pas prévoir des méthodes d'éducation à distance ou en ligne? Ainsi, l'immeuble comme tel n'aurait pas à être si grand. On pourrait peut-être en avoir plus pour notre argent tout en atteignant notre objectif et en étant plus efficace dans les domaines de la recherche et de l'éducation.

Ce n'est qu'une question bien générale. Je pense tout haut. Merci.

Le président: Monsieur Bonwick, suivi de M. Bélanger.

M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Merci, monsieur le président.

Avant de poser ma question, je tiens à dire, monsieur Leipciger, que votre présence a produit un effet considérable sur tout le comité. Il est très difficile de traduire en mots l'expérience du génocide ou de l'holocauste, mais quand quelqu'un vous le fait, l'expérience devient on ne peut plus réelle pour quelqu'un de mon âge, qui, je l'espère, n'aura jamais à subir un tel traitement dans l'avenir.

Je suis d'accord sur presque toutes les observations qui ont été faites. J'ai pris en note les mots recherche, reconnaissance et éducation, pas nécessairement dans cet ordre. Ce sont des concepts d'une importance cruciale.

• 1705

Pour ma part, j'ai des réserves concernant l'idée d'un musée permanent à Ottawa. Il incombe à notre gouvernement et à notre société de mener des études sur ces événements et de donner non seulement aux Canadiens, mais aussi à ceux qui visitent le Canada, l'occasion de tirer des leçons de ces atrocités commises dans le passé afin qu'elles ne se reproduisent pas. J'ai peut-être des préjugés, mais j'estime qu'en créant des musées et de grandes institutions comme le Musée des civilisations, le Musée des beaux-arts, le Musée des sciences, etc., à Ottawa, on crée un désavantage pour les autres régions du pays, dont les habitants n'ont pas accès à ces musées comme ceux qui habitent à deux heures de voiture d'Ottawa.

A-t-on envisagé ou pourrait-on envisager, lorsque s'amorcera l'étude en bonne et due forme, la possibilité de commander une exposition itinérante, quelle que soit la forme que prendra cette institution, musée, institut ou autre. Cette exposition itinérante pourrait rester trois mois à Halifax, six mois à Québec ou deux mois à Collingwood, ou à quelque autre endroit. Compte tenu de la superficie du pays, bien plus de gens, surtout dans les régions rurales, pourraient s'instruire sur ces horribles événements du passé.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bonwick.

Monsieur Bélanger, suivi de M. Wilfert.

[Français]

M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Monsieur le président, je voudrais reprendre ce que mes collègues disent. La proposition que nous a soumise la Chambre, c'est-à-dire le projet de loi C-224, ne parle pas d'un musée, mais d'une exposition dans un musée.

Je vous avoue que, personnellement, je ne suis pas prêt à faire le pas qui nous mènerait à la création d'un musée. Premièrement, ce n'est pas ce que la Chambre nous a demandé de faire. Deuxièmement, il faut comprendre l'intention de notre collègue. Je vais expliquer la façon dont je la comprends et, si je me trompe, on me corrigera.

L'intention de notre collègue était de créer une institution, plus précisément une exposition dans un musée, afin que les gens puissent apprendre ce qui s'est passé lors de certains événements tragiques du XXe siècle. Pour ma part, je trouve qu'on ne devrait pas se limiter au XXe siècle. Bien des choses se sont passés plus tôt. Au Canada, en 1755, il y a eu la déportation des Acadiens, et j'aimerais qu'on puisse retrouver cela dans cet exercice.

Le but de l'exercice était de relater à la population des faits qui se sont produits, mais telle n'était pas l'intention ultime. L'intention ultime de mon collègue, si je la comprends bien, était que l'on apprenne de ça pour encourager une réconciliation là où on le peut et pour encourager les Canadiens à ne pas répéter ces erreurs, à se lever pour défendre les droits de la personne lorsqu'ils sont bafoués et ainsi de suite. Il s'agissait donc de créer un instrument pouvant être utilisé pour favoriser le mieux-être de la population canadienne.

J'aimerais que l'on arrête de s'accrocher à la notion de musée et que l'on parle d'autres choses. J'ai l'impression qu'on va rester accroché très longtemps à cette notion de musée. Il y a des gens qui en veulent un pour telle raison et d'autres qui en veulent un pour telle autre raison. Je pense que tous se rejoignent quant à la notion d'inclusivité, afin qu'on apprenne collectivement à mieux se comporter les uns envers les autres. C'est à cela que j'aimerais qu'on s'attache plutôt qu'à la création d'un musée, à Ottawa ou ailleurs. Ce n'est pas ce qui importe, à mon avis. Ce qui importe, c'est d'en apprendre davantage sur les crimes contre l'humanité qui ont été perpétrés au XXe siècle et avant.

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Monsieur Wilfert.

M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Monsieur le président, veuillez excuser mon retard. Je participais à la cérémonie où on a annoncé la bonne nouvelle concernant Toronto, la gare ferroviaire Union et le lien fixe avec l'aéroport Pearson. Malgré mon retard, j'ai trouvé la fin de la discussion très intéressante.

On dit que ceux qui ne tirent pas de leçon de l'histoire sont voués à la répéter. Ayant moi-même enseigné l'histoire pendant 20 ans, plus particulièrement l'histoire du Canada, je sais qu'on doit toujours tenir compte du contexte. Je suis inquiet quand on examine avec nos valeurs de 1990 des événements qui se sont produits dans les années 1900 ou 1920, car cela ne me paraît pas très utile. Je suis d'accord avec le principe de ce qui est proposé, mais la façon dont ce principe se traduira en pratique m'apparaît problématique. Même si j'ai manqué le début de la discussion, j'ai constaté que cela entraînerait des problèmes.

• 1710

J'estime que toute exposition... et nous sommes passés du mot «exposition» employé dans le projet de loi au terme «structure distincte». Que ce soit une exposition ou une structure distincte, la question est bien sûr de savoir ce qu'on y exposera. Qui déterminera le contenu de l'exposition? C'est ce qui pourrait entraîner des difficultés.

À mon avis, monsieur le président, nous ne voulons pas une exposition ou une structure politisée. Ceux qui n'ont pas lu le livre de Jack Granatstein intitulé Who killed Canadian history? devraient le lire. C'est un livre extrêmement utile pour ceux qui veulent comprendre ce que nous avons fait de l'histoire de notre pays; souvent nous n'arrivons pas à nous entendre sur les événements qui se sont produits ici même.

Pour les générations futures, cette exposition devrait, à mon sens, s'intéresser plutôt à l'avenir qu'au passé. J'espère que nous saurons tirer des leçons du passé pour éclairer les générations futures. Si, monsieur le président, nous nous empêtrons dans le quoi et le comment... Nous avons entendu une observation sur l'équité, et je sais que c'est important, mais, en dernière analyse, le projet de loi parle simplement d'une exposition, et, si nous voulons vraiment sensibiliser les gens et les amener à comprendre ce qui s'est passé, il serait préférable de créer une exposition itinérante.

Je n'ai pas appuyé l'idée d'une exposition au Musée canadien de la guerre, car j'estime important que cette exposition soit distincte, que toutes les collectivités aient l'occasion de mieux comprendre les autres collectivités, grandes ou petites.

Tous n'ont pas le privilège de visiter la capitale du pays. Je respecte mon collègue qui adore les musées, et je trouve formidable d'avoir beaucoup de musées nationaux à Ottawa, y compris un musée des sports, une idée que j'appuie. Au bout du compte, toutefois, nous devrions simplement recommander à la Chambre, si nous jugeons le principe méritoire... Vous savez, même cette idée pourrait être litigieuse, cette idée d'un comité d'experts qui déterminerait le contenu de l'exposition en fonction de la définition de crimes contre l'humanité établie par les États membres de l'ONU. Je crois que c'est là l'essentiel de la proposition de mon collègue, M. Assadourian.

Il nous faut donc d'abord déterminer si nous nous entendons sur le principe. Si tel est le cas, il faudra ensuite établir ce que présentera cette exposition aux Canadiens aujourd'hui et demain.

Le président: Je veux donner à tous les témoins qui veulent intervenir l'occasion de le faire. Nous allons commencer par Mme Cakarevic. Ceux qui voudront prendre la parole pourront le faire et ceux qui préfèrent s'abstenir pourront aussi le faire. Je vous demanderais d'être brefs afin que tous aient la chance d'intervenir.

Mme Svetlana Cakarevic: Je ne sais trop. J'aime bien l'idée d'un musée. L'idée d'une exposition itinérante me plaît aussi, ainsi que l'idée des différents thèmes au sein d'un musée. Cette proposition soulève bien des questions; comme l'a dit M. Wilfert, il faut d'abord que nous nous entendions sur la définition de crimes contre l'humanité. Nous ne voulons pas de version politisée. Nous ne voulons pas que la définition change selon les circonstances.

Il nous faut une définition normalisée et précise de ce que sont les crimes contre l'humanité et le génocide. Nous devrions réclamer une définition ad hoc. Que ce soit celle de l'ONU ou une autre établie par le Parlement canadien ou qui que ce soit d'autre, elle devrait énoncer avec précision ce que sont les crimes contre l'humanité. Nous pourrions peut-être même nous résoudre à y inclure les assassinats collectifs qui, en un sens, sont aussi des crimes contre l'humanité.

• 1715

C'est là que je veux en venir. Il sera de plus en plus important de se doter d'une définition ad hoc de ce que sont les crimes contre l'humanité et le génocide. Cette définition ne devrait pas changer selon les circonstances. Elle devrait être la même pour tous, peu importe qui ils sont. Ce sera la question cruciale. Cela sera notre terrain d'entente. Il nous faut un ensemble de règles normalisées qui régissent notre comportement et en fonction desquelles nous devrions être jugés.

Merci beaucoup.

Le président: Merci. Monsieur Vernon.

M. Eric Vernon: Merci, monsieur le président. En réponse à certaines questions soulevées par les membres du comité, je crois que nous tous, les témoins, nous sommes entendus pour dire que le projet de loi de M. Assadourian a catalysé la discussion. Bien que, sur papier, on propose seulement une exposition au Musée des civilisations, je crois que la majorité d'entre nous estiment que cela ne suffirait pas si nous voulons éduquer et sensibiliser le public.

Pour ce qui est d'une exposition itinérante, cela pourrait être utile. En fait, je signale au comité que le Musée des civilisations a déjà commandé une exposition itinérante sur la Shoah qui devrait, d'ici un an ou deux, être présentée dans toutes les régions du pays avant de trouver un foyer permanent à son retour à Ottawa.

Pour ce qui est de savoir pourquoi il nous faut un musée et pourquoi il devrait être à Ottawa, voici ma réponse. À mon sens, un musée constituerait l'élément central du programme d'éducation et de sensibilisation. Une exposition demeure temporaire. Si elle est itinérante, elle prend fin à son retour au point de départ. En revanche, un musée témoignerait à jamais de l'intérêt du pays pour ces questions et la promotion de l'harmonie, ainsi que de son souhait de tirer des leçons du passé pour traiter des droits de la personne à l'heure actuelle et dans l'avenir.

On a déjà indiqué qu'il y a un musée de l'Holocauste à Toronto. Il y en a aussi un à Montréal, à Winnipeg et à Vancouver. Mais ce sont des établissements communautaires. Ce sont des installations gérées par la collectivité, pour la collectivité et pour tous les visiteurs. Le message que transmettrait le gouvernement du Canada serait bien différent s'il créait un musée de la Shoah et des droits de la personne dans la capitale nationale du Canada.

Ce n'est pas sans précédent. Il existe des musées de l'Holocauste dans presque toutes les capitales du monde. Je vous encourage tous à visiter celui de Washington. D'ailleurs, le Congrès a invité deux groupes de députés à le visiter. Le Musée de la tolérance, à Los Angeles, est exceptionnel. Comme l'a mentionné Nate, hier justement Sa Majesté la Reine a inauguré la nouvelle exposition sur la Shoah au Musée impérial de la guerre. De plus, un grand centre d'éducation sur l'Holocauste doit ouvrir ses portes au coeur de Berlin d'ici un an ou deux.

Il y a donc un élan, à l'échelle internationale, qui tend vers la commémoration de la Shoah comme élément central de la compréhension et de la promotion des droits de la personne. J'estime qu'il serait important pour le Canada d'avoir un tel musée dans sa capitale nationale. Il est vrai que tout le monde ne pourra s'y rendre. Mais il est aussi vrai que des milliers de visiteurs viennent à Ottawa chaque année.

L'expérience de Washington nous dit aussi que ce musée deviendrait une ressource importante pour les habitants d'Ottawa. Nous savons que des membres de haut niveau de l'armée, du corps diplomatique et des partis politiques qui sont en poste à Washington visitent ce musée.

Il y a donc des précédents. Il existe de nombreux exemples. Nous trouvons un peu aberrant que le Canada n'ait pas un établissement semblable.

Le président: Brièvement, monsieur Leipciger.

M. Nate Leipciger: Oui, tout établissement éducatif doit être basé quelque part. Cela n'empêche pas les expositions itinérantes. Mais c'est au lieu d'attache que se ferait la recherche, que seraient recueillies, examinées et conservées toutes les informations. Il nous faut non seulement un musée, mais aussi des archives, un lieu de conservation des éléments d'exposition et un endroit où les experts en muséologie pourront travailler à la conservation des artefacts.

• 1720

Cela dit, aucun musée ne peut survivre ou être utile sans un programme complet d'éducation. Il y a une nouvelle génération. Lorsque je vais dans les écoles pour parler aux jeunes de la Shoah et de toutes les autres atrocités qui sont commises ou qui ont été commises depuis, je constate que les adolescents en savent déjà beaucoup. Nous ne devons pas parler aux adolescents avec condescendance, mais plutôt nous entretenir avec eux.

Nous devons aussi leur donner la possibilité de faire leur propre recherche. Je ne connais pas de meilleure méthode que celle du musée virtuel où les élèves peuvent, à l'ordinateur, choisir les informations qu'ils veulent et les assimiler de la façon dont ils le souhaitent dans le cadre d'un projet à l'école ou pour leur propre instruction.

Il ne faut pas que le musée soit statique, mais il faut qu'il soit basé quelque part. N'oublions pas non plus que chaque minute compte. Je suis l'un des plus jeunes survivants. Je suis allé à Auschwitz à 13 ans. J'ai été libéré d'un camp près de Dachau à 15 ans. J'ai failli mourir après la guerre, car j'étais très émacié et très malade. Les images de ce que j'ai vécu pendant ces six ans sont marquées à jamais dans mon souvenir. Elles sont encore très nettes. Je peux encore en parler aux jeunes.

Hier, je me suis entretenu avec une soixantaine d'enfants d'une école séparée, une école privée fréquentée par des enfants de 11 ans. Nous nous sommes identifiés les uns aux autres parce que j'avais 11 ans lorsque la guerre a été déclenchée. Nous avons pu parler de ce que cela signifiait que de vivre une guerre, de vivre des bombardements, etc.

Le temps nous presse. Nous devrions agir pendant qu'il y a encore des survivants qui peuvent raconter leur expérience aux élèves et établir un rapport avec eux afin que l'histoire soit vivante. Car, comme l'a dit M. Wilfert, rien n'est aussi mortel que l'histoire sans vie. Mais cette histoire est encore bien vivante, et nous avons une belle occasion que nous devrions saisir.

Nous avons l'occasion de transmettre non seulement les messages de la Shoah, mais aussi des messages universels. Toutes les leçons que nous avons tirées de l'Holocauste sont des messages universels. Elles traitent de nos relations avec nos amis lorsqu'ils sont stigmatisés en raison de leur différence. Comment faire face à la pression exercée par les camarades? Que faites-vous lorsque les autres disent: «Dehors, les Juifs» ou «Ne parlez pas aux Juifs» ou «Ne parlez pas aux Gitans» ou «Ne parlez pas aux Ukrainiens» ou «Ne parlez pas aux Serbes»? Voilà les messages qu'il faut transmettre dans le cadre des leçons d'histoire et des programmes d'éducation.

Nous portons tous en nous des messages universels. La Shoah n'est pas un cas isolé qui s'est produit sur une courte période. Tous les éléments de la société humaine, de la société nazie, y ont participé: des médecins, des professeurs, des architectes, des ingénieurs, des chimistes, des dirigeants d'usines de produits chimiques, et des banquiers. Des banques non seulement en Allemagne, mais aussi dans toute l'Europe, ont participé au recyclage de l'or provenant des dents des victimes. Il s'agit de la moralité de tous. Voilà les messages universels qui doivent être présentés.

Le président: Merci.

M. Sheldon Howard: Monsieur le président, je serai très bref.

Le président: Oui, je vous en prie, car nous voulons que tous puissent...

M. Sheldon Howard: Je tiens à répéter que j'estime et que B'nai Brith estime qu'on devrait créer un musée permanent. Il est très important qu'il y ait un endroit permanent dans le paysage de la capitale canadienne, un endroit permanent qui commémore la Shoah et les atrocités du XXe siècle et qui sensibilise les gens à ces événements.

Peu importe le problème que cela présente... Le fait que ce musée puisse être établi en permanence à Ottawa, et donc inaccessible pour les autres, ne diffère en rien de la situation des autres musées établis ici ou des autres expositions présentées à Ottawa. Ils sont tout aussi inaccessibles aux autres, mais cela n'enlève rien à leur importance. Il doit s'agir d'un musée ouvert aux gens. Or, la technologie d'aujourd'hui rend ces musées encore plus accessibles qu'avant. Il faut donc en faire l'installation la plus interactive et la plus moderne qui soit. Cette installation devrait évoluer au fil de la technologie, ce qui en ferait un endroit très accessible pour un nombre toujours plus grand de gens.

J'aimerais ajouter brièvement que je souscris à l'idée de se tourner vers l'avenir: la présentation devrait être visionnaire, permettre d'instruire les gens sur l'avenir de l'humanité; mais j'imagine que vous direz avec moi qu'il est bien difficile d'être visionnaire si l'on ne regarde pas d'abord d'où l'on vient et si l'on ne comprend pas d'abord ce qui s'est passé avant nous.

• 1725

Quand à la définition de génocide, dont on a parlé plus tôt, si l'on se pose la question au sujet de l'Holocauste, personne ne contestera le fait que l'Holocauste répond à la définition de génocide. Cela ne fait aucun doute. Voilà pourquoi je crois que l'Holocauste devrait être le pivot central et le thème central du musée, puisque tous les autres génocides seront jugés en regard de celui-là, peu importe la définition que l'on donne à génocide.

Le président: Je vous laisserai le mot de la fin, monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian: Bien.

Le président: Je passe donc à M. Boyadjian ou à M. Khojajian.

M. Daniel Boyadjian: Je m'en remets à mon collègue.

M. Barry Khojajian: Je serai très bref.

Nous préconisons un bâtiment permanent à Ottawa. Tout comme c'est le cas pour la cité parlementaire, les jeunes pourraient venir de tout le Canada pour le visiter. D'un point de vue pratique, je crois qu'il serait impossible d'avoir un musée itinérant, car il coûterait trop cher.

Je conviens avec nos concitoyens canadiens de confession juive que l'Holocauste était un phénomène unique de bien des façons, et particulièrement si l'on tient compte de la façon dont la communauté juive du monde entier a réagi. Il faut suivre leur exemple, et exercer une vigilance à l'échelle mondiale pour que ceux qui nient l'Holocauste ne gagnent pas la partie.

Maintenant, en ce qui concerne les Arméniens, le génocide arménien a été confirmé à nos yeux il y a maintenant 80 ans; or, comme on le constate aujourd'hui, on conteste beaucoup ce génocide, en raison du fait que les Arméniens ne se sont pas disséminés en diaspora comme d'autres victimes l'ont fait. Nous, Arméniens, nous pensions que notre génocide était un événement généralement accepté, mais il se trouve que c'est aujourd'hui contesté.

Bien sûr, les souvenirs s'évanouissent, et soudainement des Arméniens de deuxième et de troisième génération doivent se battre pour faire reconnaître les victimes qu'étaient leurs grands-pères.

La recherche et l'éducation sont importantes, et particulièrement dans le but de démontrer ce que le déni de la réalité peut avoir comme conséquence psychologique pour les victimes et leurs descendants.

Je ne suis pas un survivant de ce génocide, et je ne suis pas né en Arménie, contrairement à mon père. D'ailleurs, mon père a servi pendant huit ou neuf ans dans les armées turque et ottomane, et il a même été témoin du génocide dans un camp comme dans l'autre. J'ai beaucoup appris de lui.

Je sais que la question de la recherche est extrêmement explosive. Je ne sais pas ce que d'autres recherches donneront de plus, mais je crois que le rôle du Canada vis-à-vis des autres tragédies de l'humanité, notamment celle des Serbes, que je connais bien—ils ont gagné deux guerres et perdu deux paix—devrait être mis en lumière dans ce musée. J'ai même déjà signalé que l'arrivée des Arméniens au Canada s'est faite dans la foulée du génocide arménien, et il faut montrer clairement l'aide que le Canada a apportée à cette population.

Le Canada a été à l'avant-plan des activités humanitaires au cours du XXe siècle, et cela devrait être clairement montré dans le musée. C'est ce qui explique que le Canada ait ouvert les bras à tant de différentes populations. Ces populations sont arrivées au Canada en laissant derrière elles des tragédies, après la Première Guerre mondiale, ou après la deuxième, ou même après d'autres conflits.

Au moment de mon arrivée au Canada j'étais étudiant, et sans m'en rendre compte je me suis installé dans le quartier juif de Toronto. Presque toutes les chambres de mon immeuble étaient habitées par des survivants de l'Holocauste. C'était mon premier contact avec le peuple juif. Je n'avais jamais rencontré un Juif jusque-là.

Je compatis beaucoup à leur tragédie. Les Arméniens compatissent beaucoup aux tragédies de tout le monde parce que nous avons perdu un pays. Les Juifs ont gagné un pays après le génocide.

Merci.

Le président: Merci.

Monsieur Kafieh.

M. James Kafieh: Pour répondre à ces questions d'une façon générale, certains parmi vous seront heureux de savoir que le groupe Canadiens pour un musée du génocide a recommandé d'envisager un emplacement à l'extérieur d'Ottawa. Nous ne nous accrochons pas à cette possibilité, mais nous croyons qu'un emplacement à l'extérieur d'Ottawa comporterait d'importants avantages.

Dans l'ensemble, l'emplacement d'un musée est pour nous une question secondaire, parce que, peu importe que la grande majorité des Canadiens et Canadiennes ne viennent pas à Ottawa le visiter, son rayonnement sera fonction de sa capacité d'organiser des expositions éducatives itinérantes crédibles ou, ce qui selon moi est plus important, de sa capacité virtuelle, c'est-à-dire sa capacité de transmettre des informations par voie électronique sur l'Internet. Un bon nombre de musées ont adopté cette orientation, comme je l'ai dit plus tôt, et je crois qu'il faudra en tenir compte.

• 1730

Je crois qu'il faudra en tenir compte, parce que ce qui est vraiment important à mon avis, c'est de s'assurer que le musée puisse faire bénéficier les écoles dans l'ensemble du pays de ces connaissances et de ces recherches. Est-ce qu'on met à la disposition des professeurs des ressources pédagogiques qui portent sur une variété d'études de cas afin qu'ils puissent comparer les études de cas dans leur contexte?

C'est ce qui est vraiment au centre du projet, à mon avis. Il ne s'agit pas seulement des installations physiques sur lesquelles on accroche une enseigne. Si on espère transformer les attitudes des Canadiens et Canadiennes, son influence doit se faire sentir dans nos écoles.

J'aimerais souligner qu'il ne faut pas s'arrêter longtemps sur les plans d'étages, parce que le musée consacrera une grande partie de ses ressources à la recherche et aux projets virtuels. Il ne faut pas s'arrêter longtemps sur le profil, par exemple. J'aimerais simplement souligner qu'il est important que cet établissement, lorsqu'il sera enfin construit, soit équitable et inclusif à l'égard de son mandat, de sa gestion et de son nom, étant donné son importance pour les Canadiens et Canadiennes qui ont été victimes de génocide ou qui sont simplement sensibilisés au fait et s'y intéressent, et étant donné son importance pour tous les Canadiens et Canadiennes au niveau de la commémoration et des souvenirs.

Le président: Chers collègues, la sonnerie nous annonce un vote dans 15 minutes.

Monsieur Assadourian, je vous donne le mot de la fin avant que je lève la séance.

M. Sarkis Assadourian: Je ne parlerai pas longtemps, monsieur le président.

Premièrement, j'aimerais profiter de cette occasion pour remercier encore une fois le Comité du patrimoine canadien ainsi que les témoins qui sont venus aujourd'hui exprimer leurs opinions. C'est une opération qui s'est avérée extrêmement utile.

J'aimerais réitérer le point que j'ai soulevé plus tôt, c'est-à-dire que, quelle que soit notre intervention, quelle que soit la nature de cet établissement, il doit être inclusif et il doit être seul et unique. J'aimerais mettre l'accent sur le fait qu'il n'y aura qu'un seul établissement, parce qu'on a dit plus tôt qu'on pourrait s'attendre à ce que beaucoup de touristes viennent visiter cette exposition, ce musée, quel que soit l'établissement, quel que soit son nom. Ils diront: «Regardez, il y en a un ici pour les X, les Y, et les Z», et on leur dira ensuite: «En passant, il y en a un autre pour les autres groupes.» Je crois qu'il serait très insultant pour les autres groupes de ne pas être inclus avec les groupes d'origine, quels que soient ces groupes d'origine.

Alors, si vous avez l'intention de recommander la création d'un musée pour les victimes arméniennes du génocide et un autre pour les autres victimes, je serai le premier à m'y opposer. D'après moi, nous sommes tous dans le même bateau. Nous sommes tous des êtres humains. Nous avons tous souffert, parfois plus, parfois moins, et de différentes façons, mais il est toujours vrai qu'il y a eu 95 millions de victimes de crimes contre l'humanité au cours du XXe siècle.

Mon collègue Eric a parfaitement raison lorsqu'il dit que l'Holocauste est connu dans le monde entier. Nous avons de la documentation et bien d'autres choses. Je suis complètement d'accord. Je suis allé à Auschwitz moi-même. Je l'ai vu. Je me suis rendu en Pologne. J'ai vu beaucoup d'endroits où il y a eu des atrocités. J'ai vu des endroits où des milliers de personnes ont été fusillées. J'ai vu les fours où elles ont été brûlées. Et pourtant, avant d'entreprendre mes recherches, je n'étais pas au courant du cas des Chinois, je ne savais pas que des millions de personnes ont été tuées. Cela devrait peut-être servir de tribune, afin de permettre aux gens de savoir ce qui est arrivé aux autres, et non seulement aux Arméniens, ou aux Ukrainiens, ou aux Arabes, ou aux Juifs. Il est essentiel de faire en sorte que les gens puissent prendre des décisions intelligentes, avoir des discussions intelligentes, et tirer des enseignements du passé.

Le 22 août 1939, si je ne me trompe, Adolph Hitler a dit aux membres de son unité SS: «Après tout, qui se souvient du génocide arménien?», et il a soutenu que personne ne se souviendrait de son génocide. Eh bien, je suis heureux de voir que vous vous souvenez de ce qu'il a fait à la population juive en Europe.

Alors, conservons la mémoire non pas seulement des Arméniens, mais aussi des autres, les 95 millions, monsieur le président. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les 95 millions de personnes qui ont payé de leur vie au cours du siècle dernier afin que nous puissions vivre dans une société libre.

Merci beaucoup.

Le président: Nous voudrions vous remercier tous très sincèrement d'être venus témoigner ici aujourd'hui. Nous avons beaucoup apprécié vos exposés. Merci encore une fois.

La séance est levée.