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HERI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 21 mars 2000

• 1107

[Traduction]

Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): La séance du Comité permanent du patrimoine canadien est ouverte.

[Français]

Le comité se réunit aujourd'hui pour une table ronde afin de continuer son étude sur l'industrie canadienne de l'édition du livre,

[Traduction]

afin de continuer son étude de l'industrie canadienne de l'édition du livre.

[Français]

Nous avons plusieurs invités aujourd'hui.

[Traduction]

Nous vous sommes très reconnaissants d'être des nôtres et nous nous sentons vraiment très privilégiés de vous accueillir ici aujourd'hui. J'ai pensé qu'il vaudrait mieux, au lieu que je vous présente, que nous fassions un tour de table. J'inviterais donc nos témoins à se présenter brièvement, en commençant par M. Cabral.

[Français]

M. Louis Cabral (directeur général, Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation): Merci, monsieur le président. Je tiens à vous remercier....

Le président: Monsieur Cabral, pouvez-vous seulement vous présenter pour le moment?

M. Louis Cabral: Excusez-moi. Je m'appelle Louis Cabral et je suis le directeur général de l'ASTED, l'Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation.

Le président: Pouvez-vous vous présenter, madame?

Mme Carole David (écrivaine et professeure, Union des écrivaines et écrivains québécois): Je m'appelle Carole David et je suis de l'Union des écrivaines et écrivains québécois.

[Traduction]

Mme Vicki Whitmell (directrice exécutive, Canadian Library Association): Je suis Vicki Whitmell, directrice exécutive de la Canadian Library Association.

Mme Leacy O'Callaghan-O'Brien (directrice exécutive associée, Canadian Library Association): Je suis Leacy O'Callaghan-O'Brien, directrice exécutive associée, Canadian Library Association.

Mme Victoria Ridout (directrice exécutive, Periodical Writers Association of Canada): Je suis Victoria Ridout, directrice exécutive de la Periodical Writers Association.

Mme Penny Dickens (directrice, Writers' Union of Canada): Je suis Penny Dickens, directrice exécutive de la Writers' Union of Canada.

M. Christopher Moore (président, Writers' Union of Canada): Je suis Christopher Moore, président national de la Writers' Union of Canada.

[Français]

Le président: Monsieur Cabral, on va vous laisser ouvrir la séance, mais auparavant, je voudrais expliquer aux membres du comité

[Traduction]

que M. Cabral nous a remis un mémoire en français uniquement. Conformément à la résolution que nous avons adoptée à ce sujet, le mémoire aurait dû être traduit auparavant, mais nous venons tout juste de le recevoir. Je demanderais donc le consentement unanime pour que le mémoire puisse être distribué aujourd'hui en français, étant entendu que la traduction suivra.

[Français]

M. Pierre de Savoye (Portneuf, BQ): Monsieur le président, je suis un peu mal à l'aise parce que vous savez combien je tiens, lorsque les mémoires sont présentés en anglais seulement, à ce qu'ils soient présentés dans les deux langues par respect pour ceux qui ne peuvent pas lire le mémoire dans l'autre langue. Je me sentirais dans une situation inverse à celle que l'on vit habituellement si j'acceptais que le mémoire en français, que je serais tout à fait capable de lire, soit distribué à des gens qui ne pourront peut-être pas le lire. Vous me voyez donc dans l'obligation de m'abstenir de voter et de laisser mes collègues décider.

• 1110

Le président: D'accord.

M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Monsieur le président, c'est peut-être parce qu'on a changé de greffier, mais si je ne m'abuse, les membres du comité ont décidé à l'unanimité, lors de leur première rencontre, que les document ne seraient pas distribués s'ils n'étaient pas disponibles dans les deux langues. Je vous ferai remarquer qu'encore une fois, la semaine dernière, on a reçu un document de la BBC qui n'avait pas été traduit. J'espère qu'on va respecter la décision que les membres du comité ont prise à l'unanimité: les documents ne sont pas distribués à moins qu'ils ne soient dans les deux langues officielles du Canada.

Le président: D'accord, mais cela ne m'empêche pas de demander le consentement unanime des membres du comité. S'ils préfèrent s'en tenir à la résolution qu'ils ont adoptée, je suis tout à fait d'accord avec eux. Ça va.

[Traduction]

M. Dennis J. Mills (Broadview—Greenwood, Lib.): Je crois que nous sommes tous bien conscients du fait que tous les documents doivent être produits dans les deux langues officielles, mais que notre système n'est pas parfait. Dans une situation exceptionnelle comme celle-ci, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de tout arrêter. Nous devrions recevoir le document et poursuivre nos travaux. La plupart de nous peuvent lire les deux langues; c'est simplement que nous avons parfois du mal à parler les deux langues. Ce serait donc utile à mon avis d'avoir le document.

Le président: Je ne vois pas qu'il y ait consentement unanime pour que nous modifiions notre résolution, alors je pense bien que nous allons simplement...

M. Dennis Mills: Il s'agit d'une exception. Nous ne modifions pas la résolution.

Le président: Je pose de nouveau la question. Y a-t-il consentement unanime? Non. Nous allons donc poursuivre.

Monsieur Cabral.

[Français]

M. Louis Cabral: Je vous remercie, monsieur le président.

Je tiens à vous remercier d'avoir invité le milieu des bibliothèques à venir échanger avec les membres du Comité permanent du patrimoine canadien sur la problématique de la commercialisation du livre au Canada. La présence à ces audiences de la Bibliothèque du Canada, de la Canadian Library Association et de l'ASTED aujourd'hui témoigne d'un intérêt évident du Comité du patrimoine canadien à discuter avec l'ensemble des intervenants concernés par cette problématique et d'une volonté évidente d'entreprendre une réflexion globale embrassant l'ensemble des facettes de la diffusion du livre au Canada.

La convocation adressée à l'ASTED pour cette quatrième table ronde par la greffière du comité indiquait que la séance d'aujourd'hui allait faire place aux bibliothécaires, et je la cite, «qui sont responsables d'une grande partie des achats publics de livres au pays». Cette assertion est véridique et recèle une réalité importante de la participation des bibliothèques au processus de commercialisation du livre, dimension qui est trop souvent sous-estimée. Nos collègues de la Canadian Library Association m'ont présenté des chiffres très révélateurs. Je vous fais grâce de cet aspect, car ils vont vous le présenter dans les grandes lignes.

Vous me permettrez de passer outre aux deux premières questions qui nous étaient posées, qui portaient particulièrement sur les effets de la création et les intérêts des auteurs canadiens. Je m'emploierai à démontrer que les bibliothèques sont des agents de premier plan voués à la mise en valeur des écrivains et de leur oeuvre.

À la question de la place des bibliothèques au regard des intérêts des auteurs et des lecteurs canadiens, je crois qu'il est important d'insister sur la fonction d'animation culturelle qu'assument principalement les bibliothèques publiques au Canada. Ces dernières sont des lieux populaires conviviaux pour l'ensemble de la communauté, elles sont des institutions du milieu et, dans beaucoup de régions du Canada, elles sont gérées par le milieu lui-même.

Mais comment rendre compte de manière probante de l'impact des bibliothèques dans notre société? Les 21 000 bibliothèques canadiennes n'ont pas la possibilité, déjà depuis quelques années, de disposer de statistiques récentes sur leurs activités, comme en compilait par le passé Statistique Canada. M. Roch Carrier, qui était ici, à cette commission, le 2 mars dernier, a d'ailleurs fait état de ce manque de données pour mesurer l'impact des bibliothèques sur le milieu du livre. L'ASTED souscrit entièrement à cette proposition et souhaite que le comité puisse en faire une recommandation au gouvernement, car les bibliothèques sont en quête d'indicateurs valables pour leur permettre de mesurer leur impact sur la vie culturelle, scientifique, voire économique du pays.

Donc, notre première recommandation est que l'on puisse disposer d'outils valables pour bien mesurer les activités des bibliothèques sous forme de statistiques pouvant refléter adéquatement l'impact des bibliothèques sur la vie culturelle canadienne et que cette fonction soit confiée à Statistique Canada.

• 1115

Pour ce qui est des scénarios de partenariat avec le milieu des bibliothèques et celui du commerce du livre, nous insistons sur le fait que la question dont nous débattons aujourd'hui, celle de la diffusion du livre et de son impact commercial, est primordiale. L'enjeu culturel sur une collectivité semble toutefois relégué au second plan. Je me permettrai d'illustrer notre perception du dossier par un exemple qui a cours au Québec et qui mérite d'être exploré plus attentivement.

Au Québec, les autorités gouvernementales ont choisi de mettre en place une politique de la lecture et du livre. L'inclusion de ces deux enjeux dans une même loi n'est pas un caprice sémantique. Elle décrit bien une réalité indissociable des fondements d'une entreprise culturelle comme l'édition, qui n'a de raison d'être que dans la mesure où elle répond aux besoins des lecteurs. Ce sont les lecteurs et ceux qui auront acquis des compétences de lecture qui seront des clients des librairies et des usagers des bibliothèques. Ces dernières doivent donc combler des attentes en éducation et en développement personnel de l'ensemble de leurs usagers.

Le lien entre la capacité de lecture et la prédisposition à l'achat de livres, de même que la fréquentation des bibliothèques a été clairement établi dans différentes études. Je les cite dans mon mémoire. En gros, il est nécessaire de retenir que de 20 à 26 p. 100 des gens qui fréquentent les bibliothèques achètent des livres. Donc, il y a un effet d'entraînement, et les deux entités ne sont pas en concurrence. La Politique de la lecture et du livre a fait du «savoir lire» un enjeu social, économique et culturel. Cette politique s'est avérée nécessaire devant le constat qu'une partie importante de la population ne possédait pas des habiletés de lecture suffisantes pour être fonctionnelle dans la vie de tous les jours.

Voici donc notre seconde recommandation: que le Comité permanent du patrimoine envisage sérieusement de recommander au gouvernement du Canada de réaliser une politique nationale de la lecture; cette dernière, en plus d'avancer de grands objectifs de compétence en lecture, ferait place à une série de recommandations quant au commerce du livre.

J'évoque aussi, dans le document que je n'ai pas pu distribuer ce matin, le fonctionnement de cette politique en regard du commerce du livre.

En conclusion, l'ASTED estime que la meilleure façon de soutenir l'activité et la créativité littéraires, au-delà des ressources financières équitables qu'il faut consentir pour l'aide à la création, est d'inscrire la promotion des auteurs comme un souci constant dans les activités d'animation des bibliothèques.

À titre d'exemple, j'ai souligné le Canada Book Day et la Journée mondiale du livre, des activités menées conjointement par le milieu de l'édition, le milieu de la diffusion, les librairies et les bibliothèques, en concertation avec les auteurs. Au cours d'une journée, on met l'accent sur la lecture et le livre.

Nous souhaiterions que le Comité permanent du patrimoine canadien retienne l'idée de faire part au gouvernement des attentes spécifiques en matière d'élaboration d'une politique de la lecture afin de favoriser l'accès au livre et d'encourager des initiatives d'alphabétisation et des actions susceptibles d'accroître le public de lecteurs au Canada.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Cabral. Avant de donner la parole au prochain invité,

[Traduction]

je tiens à vous signaler que nous allons nous limiter à un porte-parole par groupe pour avoir le plus de temps possible pour les questions. Je vous inviterais aussi à vous limiter à 5 ou 10 minutes pour votre exposé. Nous vous en serions très reconnaissants, et nous aurons ainsi beaucoup de temps pour les questions.

Je cède la parole à Mme O'Callaghan-O'Brien, qui représente la Canadian Library Association, ou à Mme Whitmell.

Mme Vicki Whitmell: Bonjour, monsieur Lincoln, et mesdames et messieurs les membres du comité.

La Canadian Library Association est une association de bibliothèques de langue anglaise qui représente les 58 000 personnes qui travaillent dans les bibliothèques du Canada. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de participer à l'étude de votre comité sur l'industrie canadienne de l'édition du livre, ou, comme l'a dit le bibliothécaire national, Roch Carrier, à votre étude sur l'écologie de l'industrie canadienne du livre.

Il convient de souligner d'entrée de jeu que les bibliothèques publiques sont les institutions culturelles les plus utilisées dans beaucoup de localités canadiennes et qu'elles sont un consommateur important des produits de l'industrie de l'édition.

• 1120

Chaque année, les 19 millions de Canadiens qui ont une carte de bibliothèque empruntent 276 millions d'articles. En 1996, les bibliothèques ont dépensé plus de 320 millions de dollars pour enrichir leurs collections et ont dépensé au total entre 2 milliards et 4 milliards de dollars.

Les bibliothèques du Canada sont une composante essentielle dans la diffusion des auteurs canadiens. Si on s'interroge expressément sur l'importance des bibliothèques publiques pour la diffusion du livre canadien, signalons qu'une étude de 1998 a constaté que 33 grandes bibliothèques publiques en milieu urbain ont acheté plus de 12 000 exemplaires de 100 ouvrages canadiens de milieu de liste publiés en 1996 et 1997. Cette étude est un excellent exemple de la façon dont la recherche—parrainée dans ce cas par l'Association of Canadian Publishers—soutenue par les bibliothèques publiques et financée en partie par Patrimoine Canada peut montrer ce qui se passe réellement dans le monde de l'édition. La CLA exhorte Patrimoine Canada à faire davantage pour promouvoir et financer la recherche sur l'édition et la diffusion du livre ainsi que sur la lecture au Canada.

Il ne faut pas oublier les bibliothèques lorsqu'on entreprend ces recherches. Voici un exemple récent. Dans une étude réalisée par Patrimoine Canada en novembre, A Profile of the Canadian Book Wholesaling Industry, on préconise une présentation bibliographique normalisée pour concevoir et réaliser une base de données sur les livres canadiens disponibles. Selon le rapport, cela doit se faire en consultant les éditeurs, grossistes et détaillants canadiens.

Les bibliothèques canadiennes, et plus particulièrement la Bibliothèque nationale, peuvent beaucoup contribuer à ce processus: les fiches bibliographiques, c'est notre métier, et ce sont en réalité les bibliothèques qui ont réclamé une base de données au cours des consultations sur les règlements sur l'importation parallèle.

Les bibliothèques publiques jouent le rôle essentiel de rendre les livres gratuitement accessibles dans nos collectivités sans qu'interviennent des considérations commerciales. On peut dire que la grande librairie commerciale est à son mieux le jour de son ouverture. Ensuite, les stocks diminuent car les ouvrages se vendent et ne sont pas commandés de nouveau ou bien sont commandés et ne sont pas fournis.

Par contre, les collections des bibliothèques s'améliorent avec le temps, car elles offrent les ouvrages courants et ceux qui ne sont plus disponibles, ceux qui sont populaires ou plus ésotériques. Puisque les bibliothèques conservent les livres bien après leur cycle commercial, les auteurs sont bien servis, puisque leurs ouvrages restent disponibles et que l'apport des droits de prêt est maintenu si bien qu'avec le temps, ces droits rapportent plus que les redevances.

Il faut démentir le mythe voulant que les grandes librairies commerciales ou même les libraires indépendants, et les bibliothèques soient des concurrents. Outre le fait que nos fins sont fondamentalement différentes, notre relation est à bien des égards symbiotique—de nombreux lecteurs sont à la fois des emprunteurs de livres et des acheteurs et font appel aussi bien aux librairies qu'aux bibliothèques, comme l'a souligné M. Cabral. Les bibliothèques et les grandes librairies commerciales apprennent d'ailleurs les unes des autres, les unes adoptant les meilleures pratiques des autres et vice versa.

La bibliothèque publique est la seule institution de notre société qui se donne pour mission de faire connaître le livre aux enfants d'âge préscolaire. Si un enfant ne connaît pas les joies de la lecture et des livres au moment de son entrée dans le réseau scolaire proprement dit, il est souvent trop tard pour que la lecture devienne un élément permanent de sa vie.

La CLA, en partenariat avec les éditeurs canadiens, tente actuellement d'obtenir des fonds du ministère du Patrimoine canadien pour aider à lancer un projet pilote «Books for Babies», qui aurait pour but de faire parvenir aux nouvelles mamans du Canada tout entier des cartes de bibliothèque et des livres-cadeaux. Il s'agit là d'une initiative qui pourrait rapporter d'importants dividendes sociaux.

Le succès ultime des programmes d'alphabétisation préscolaire dépend grandement d'initiatives correspondantes aux niveaux élémentaire et secondaire. La CLA partage la profonde préoccupation exprimée par le bibliothécaire national devant votre comité au sujet des graves problèmes avec lesquels les bibliothèques des écoles au Canada sont aux prises, depuis l'indigence des collections jusqu'au départ du personnel spécialisé. La CLA exhorte le gouvernement fédéral à trouver des moyens d'assurer, comme partenaire des ministères provinciaux de l'Éducation, des éditeurs et des bibliothécaires, que les bibliothèques des écoles aient les collections d'imprimés et les ressources en personnel et en technologie qu'il leur faut pour servir correctement les élèves.

Jusqu'à maintenant les audiences du comité ont porté sur l'effet que les Chapters et Pegasus ont eu sur l'édition et la diffusion du livre au Canada. Les bibliothèques se procurent leurs livres auprès de sources diverses: des éditeurs et de leurs agents, des grossistes du livre, des grossistes généraux, des librairies indépendantes et de Chapters et Pegasus, bien sûr.

Pegasus a de toute évidence l'intention de devenir la force dominante dans le commerce de gros des livres au Canada. Il pourrait bien entraîner la disparition de grossistes existants, phénomène analogue aux répercussions de l'apparition de Chapters dans le commerce de détail.

• 1125

Les bibliothèques, institutions en grande partie soutenues par les impôts locaux, doivent appliquer des critères objectifs lorsqu'il s'agit de savoir où acheter leurs livres. D'après les premières indications, Pegasus sera pris au sérieux comme fournisseur de livres. Cependant, cela ne veut pas dire que les bibliothèques canadiennes ne partagent pas certaines des préoccupations exprimées par la Canadian Booksellers Association et les associations d'éditeurs au sujet de la concentration des parts de marché et des répercussions à plus long terme pour l'édition et le prix des livres.

Le gouvernement fédéral, par l'entremise d'Industrie Canada et de DRHC, joue un rôle important pour aider les bibliothèques à adopter les technologies nécessaires pour brancher les Canadiens sur Internet. En dehors du soutien accordé par le Conseil des arts du Canada pour les visites d'auteurs, il existe fort peu de financement pour le développement des bibliothèques publiques et scolaires et l'entretien et la promotion des collections classiques d'imprimés.

Dans une société où trop de décideurs sont portés à présumer qu'Internet remplacera les bibliothèques et les livres, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour aider les bibliothèques au Canada, notamment pour ce qui est d'effectuer des recherches sur son effectif ainsi que sur le rôle et l'importance des bibliothèques comme principaux diffuseurs d'informations gouvernementales et principaux sites d'accès à Internet pour le public.

Il est facile de céder à la sempiternelle attitude du monde de l'édition décrite par Robert Fulford: «Même si les choses vont déjà mal aujourd'hui, elles sont sur le point d'empirer, et elles deviendront ensuite vraiment catastrophiques.» À notre point de vue de bibliothécaires et de lecteurs, la création est plus vigoureuse au Canada qu'elle ne l'a jamais été, et des oeuvres canadiennes sont acclamées au niveau international, et un grand nombre des joueurs clés affirment qu'on vend aujourd'hui plus de livres que jamais sur le marché canadien. Chapters et Indigo ont leur part de mérite dans cette augmentation du volume des ventes.

Le défi que nous avons à relever est de veiller à ce que les changements qui transforment les secteurs du détail et du gros ne minent pas le développement, l'édition et le marketing de livres canadiens de grande qualité. La première étape essentielle consiste à veiller à ce que nous ayons une compréhension objective de ce qui se passe sur le marché. Il s'agit certainement là d'un domaine où votre comité pourrait avoir une influence favorable.

Les bibliothèques canadiennes ont pour mission de travailler avec les auteurs, les éditeurs, les distributeurs, les détaillants, les lecteurs et le gouvernement pour que les progrès accomplis par l'industrie de l'édition depuis 30 ans se poursuivent. Merci.

[Français]

Le président: Madame Carole David de l'Union des écrivaines et écrivains québécois.

Mme Carole David: Merci de m'avoir invitée à participer à ce comité. Je n'ai pas de texte et je répondrai aux questions dans l'ordre dans lequel elles se présentaient sur la convocation.

Je représente aussi l'Union des écrivaines et écrivains québécois au Comité Larose, un comité qui a été institué au Québec par la SODEC, la Société de développement des entreprises culturelles, et qui se penche présentement sur les pratiques commerciales dans le domaine du livre au Québec. Ce comité est surtout là pour explorer les différentes avenues qui pourraient nous aider à sauver les librairies indépendantes au Québec, entre autres choses.

Les écrivains québécois sont très inquiets de ce qui se passe aujourd'hui dans les grandes surfaces ainsi que du changement qu'on constate dans l'édition québécoise et canadienne en général. Nous observons depuis plusieurs années ce qui se passe en France, en Angleterre, notamment, et au Canada anglais. Nous avons remarqué, par exemple, que les éditeurs étaient intéressés à être d'abord rentables. Les auteurs s'attendent à ce que les éditeurs fassent autant de publicité à ceux qui n'écrivent pas de best-sellers qu'à ceux qui en écrivent. Ils s'attendent aussi à ce que les éditeurs s'intéressent à des auteurs qui publient des genres qui ne sont pas nécessairement rentables, comme la poésie, le théâtre ou l'essai.

Donc, les auteurs s'attendent à ce que les éditeurs canadiens fassent en sorte qu'ils puissent être lus eux aussi, qu'ils puissent être mis en évidence et qu'on leur assure une concurrence viable par rapport aux autres littératures, que ce soit la littérature américaine ou la littérature traduite. Il est de plus en plus difficile pour un auteur de se faire publier à cause de toutes ces raisons, ainsi qu'à cause de la mondialisation des marchés.

• 1130

La deuxième question était celle-ci: dans quelle mesure les librairies canadiennes servent-elles les intérêts des auteurs? Évidemment, les auteurs attendent que leurs livres soient vendus et qu'on en fasse la promotion. Ils ne veulent pas qu'ils soient relégués dans le fond de la librairie. Ils veulent qu'ils soient montrés, non pas de face, mais surtout de côté. Présentement, plusieurs auteurs pensent que les librairies mettent surtout l'accent sur la rentabilité et ne sont pas intéressées à présenter une littérature qui, pour elles, ne sera pas rentable, justement à cause de la prolifération des grandes surfaces.

C'est cet aspect qui nous intéresse particulièrement. On constate qu'il y a maintenant une culture des best-sellers, c'est-à-dire des romans ou des livres qui sont fabriqués à peu près tous sur le même modèle. Ce n'est pas un phénomène uniquement canadien ou québécois, mais un phénomène international.

Pour ce qui est de la prolifération des grandes surfaces, on pense à Costco ou encore aux librairies qui se sont regroupées. Au Canada anglais, c'est Chapters, alors qu'au Canada français, il y a entre autres Archambault et Renaud-Bray, des librairies à grande surface qui sont en train de tuer les petites librairies de fond, c'est-à-dire les librairies qui gardent plusieurs titres des auteurs et qui ne mettent pas tout l'accent sur les nouveautés et les best-sellers. Les auteurs pensent en général qu'ils ne sont pas respectés dans ce changement dans le commerce du livre, dans cette mutation du commerce du libre, et que l'accent est mis principalement sur le vedettariat.

On constate aussi que la forme l'emporte sur le fond et que la valeur principale est l'argent. Le commerce du livre est évidemment un commerce, et il ne faut pas être naïf, mais les auteurs pensent que toute l'édition est principalement centrée là-dessus. On constate aussi qu'il y a une édition à deux vitesses: l'édition rentable et l'édition peu rentable. Cette prolifération des grandes surfaces a pour conséquence qu'il y a maintenant deux sortes d'éditeurs.

Tout cela laisse une bien petite part aux librairies indépendantes qui veulent servir leur clientèle, une clientèle qui recherche non seulement les best-sellers, mais aussi des ouvrages plus profonds ou plus spécialisés. Les petites librairies ont beaucoup de difficulté à survivre à cette mutation du commerce du livre.

Les grandes surfaces ont le pouvoir de négocier avec les éditeurs et les distributeurs; les petites librairies n'ont évidemment pas ce pouvoir. On n'a qu'à voir ce qui s'est passé en Grande-Bretagne ou en France, surtout en Grande-Bretagne, où le commerce des petites librairies indépendantes a chuté de façon dramatique depuis cinq ans à cause de la libération du prix.

Voici ce qu'on souhaite. Les bibliothèques ont un rôle essentiel à jouer. Ce rôle n'est pas celui des grandes surfaces. Comme l'ont déjà souligné d'autres participants à cette table ronde, les bibliothèques ont un rôle de premier plan à jouer. D'abord, elles doivent former les lecteurs—on pense aux enfants—et éduquer les lecteurs. Leur présence est aussi primordiale en tant que prescripteurs. Elles doivent conseiller les usagers et les amener vers une lecture qui dépasse les best-sellers.

Les bibliothèques ont un rôle primordial à jouer du côté des lecteurs, mais aussi du côté des librairies. Je donne l'exemple du Québec. Au Québec, nous avons ce qu'on appelle la Loi 51, qui avait été adoptée pour protéger l'édition québécoise. Les bibliothèques achètent souvent dans les petites librairies; elles vont privilégier les petites librairies. En ce moment, c'est le contraire qui se produit: les grandes chaînes sont en train d'enlever aux petites librairies l'argent qu'elles avaient pour survivre dans cette jungle en faisant, elles aussi, le service aux collectivités. D'autres l'ont dit avant moi et le répéteront sûrement. J'insiste sur le rôle très important que les bibliothèques auront à jouer dans les prochaines années puisque nous assistons à une uniformisation dans le monde de la librairie.

• 1135

Pour ce qui est des relations entre les différents milieux, les relations sont très difficiles entre les auteurs, les librairies, les grandes chaînes, les éditeurs et les distributeurs. On peut dire que c'est une boîte de Pandore. Celui qui est le moins privilégié, celui qui a un statut moindre, c'est toujours l'écrivain, le créateur, qui se retrouve à la fin de la chaîne et qui ne récolte que très peu d'argent, parce que c'est la valeur principale à la fin de ce processus. Ce sont les distributeurs et certains éditeurs qui contrôlent entièrement ce marché, de même que les librairies de grande surface qui négocient directement avec eux.

On n'a qu'à aller voir ce qui s'est passé aux États-Unis. Maintenant, les librairies commandent directement aux éditeurs. Les éditeurs leur demandent si tel ou tel titre va fonctionner et, si tel titre ne fonctionne pas, l'éditeur ne publie pas le livre en question. C'est un marché qui est assez sauvage et qui peut être très difficile pour tous les maillons de ce qu'on appelle l'industrie du livre.

Donc, les relations entre ces différents milieux sont actuellement très tendues. Un comité comme celui-ci gagnerait à entendre les recommandations des différents groupes afin qu'il y ait un consensus pour au moins sauver l'édition canadienne et les librairies indépendantes.

Quel rôle le gouvernement du Canada ou même les gouvernements en général auraient-ils à jouer? Le gouvernement devrait d'abord établir une politique claire. Ce qu'on reproche souvent au monde politique à ce niveau-là, c'est l'apathie. C'est un milieu qui ne génère peut-être pas beaucoup d'argent, et on a donc l'impression que plusieurs intervenants du monde politique ne s'en soucient guère.

Il y a une autre façon d'intervenir: c'est toute la question du prix unique pour les livres. On se pose cette question depuis longtemps. Vous savez qu'en France, il y a un prix unique pour les livres. En Grande-Bretagne, il n'y en a plus, non plus qu'aux États-Unis. Il y a des leçons à tirer de ce qui s'est passé un peu partout. S'il y avait un prix unique, dans quelle mesure cela pourrait-il protéger les auteurs et les petites librairies?

Il serait bon aussi qu'on respecte les accords entre les éditeurs et les distributeurs. Il arrive souvent que les grandes surfaces commandent directement en Europe ou obtiennent des rabais très intéressants en négociant directement avec le distributeur. Il faudrait peut-être légiférer ou porter une attention spéciale à cet aspect.

Il y a aussi toute la question du commerce électronique. Si on commençait à parler de cela ici, ce pourrait être très long. Je dirai simplement que le commerce électronique est une menace pour tous les maillons de l'industrie du livre. Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, madame David.

[Traduction]

Je voudrais maintenant donner la parole à la Writers' Union, représentée par Mme Dickens et M. Moore.

[Français]

M. Christopher Moore: Thank you.

Je voudrais d'abord dire que, comme notre collègue Cabral, nous avons aussi un mémoire qui n'est pas encore traduit. J'espère qu'il sera traduit sous peu et disponible pour tout le monde.

[Traduction]

Nous sommes très heureux d'être des vôtres aujourd'hui.

Je tiens à vous dire, au nom de la Writers' Union of Canada, que nous supposons que ce qu'on appelle les grandes surfaces consacrées aux ventes au détail de livres ne constituent pas un phénomène éphémère. Nous constatons que le gouvernement a étudié la concentration de la presse écrite et des médias depuis 30 ans, et cette concentration ne cesse de s'intensifier. Nous sommes plutôt d'avis en fait qu'il en sera sans doute de même pour nous.

Nous nous sommes intéressés aux conséquences de l'avènement des grandes librairies au Canada, au lieu de chercher à les faire disparaître. Nous sommes bien sûr conscients des avantages que représentent ces grandes librairies. Nous avons certainement remarqué l'effervescence que connaît depuis quelques années le secteur de la vente au détail du livre au Canada à cause de Chapters et de ses compétiteurs. Ces grandes librairies attirent des gens qui ne fréquentaient pas nécessairement les librairies auparavant et, dans certains cas, elles ont sans doute fait augmenter les ventes de livres.

• 1140

Je vous en donne un exemple personnel: l'an dernier, j'ai écrit un ouvrage intitulé Canada: Our Century, qui est devenu en quelque sorte un succès de librairie. Nous en avons vendu près de 50 000 exemplaires l'automne dernier, et je ne pense pas que nous aurions pu en vendre autant aussi rapidement sans la capacité de distribution des grandes surfaces comme Chapters. Chapters et les librairies semblables sont très utiles pour ce qui est de vendre un grand nombre d'exemplaires de succès de librairie en un laps de temps très court, et je crois qu'il s'agit là d'un exemple des avantages que procure Chapters.

Il y a toutefois aussi des conséquences défavorables auxquelles je voudrais m'attarder aujourd'hui. Je vous en décrirai deux en particulier: les conséquences financières et les conséquences pour la promotion, la distribution et le développement. Puis, en conclusion, je vous livrerai certaines réflexions sur ce que pourrait être le rôle du gouvernement dans tout ce processus.

Je crois que les éditeurs canadiens vous ont beaucoup parlé des pressions qui s'exercent sur eux et de la compression de marge qui résulte de la domination du marché par Chapters et Pegasus, du fait que leurs revenus sont compromis en raison des pratiques relatives aux prix que Chapters et Pegasus ont réussi, ni plus ni moins, à leur imposer. Je ne sais pas dans quelle mesure on a déjà discuté de cette question avec vous, mais je tiens à vous dire que cette situation se répercute manifestement sur les auteurs aussi. Ce sont non seulement nos membres qui s'en plaignent, mais aussi les associations d'auteurs de la Grande-Bretagne, des États-Unis et d'autres pays. La compression de marge qui résulte de l'arrivée des grandes surfaces consacrées à la vente de livres à l'échelle internationale a clairement un effet sur le revenu des auteurs.

Nous parlons dans notre mémoire du cas d'un livre qu'un de nos membres a publié il y a environ un an et qui s'est vendu à 10 000 exemplaires. C'était un succès extraordinaire pour l'auteur. Quand elle a enfin reçu ses droits d'auteur, elle a constaté qu'elle avait reçu le plein montant pour moins de 1 000 exemplaires sur les 10 000 qui avaient été vendus. Il existe dans les contrats des auteurs une formule compliquée selon laquelle, quand un exemplaire d'un livre se vend moyennant une remise très élevée, l'auteur reçoit un montant bien plus petit que ce à quoi il a normalement droit. Cette formule a toujours été considérée comme mineure et d'application très ponctuelle. Nous n'avons jamais apprécié la retrouver dans des contrats, mais elle a toujours été invoquée dans des cas très particuliers.

Or, un certain nombre d'éditeurs voient maintenant leur marge comprimée par les fortes remises qu'ils doivent accorder, et il est clair que ces remises se répercutent en aval. Nous sommes heureux de pouvoir vous dire que certains éditeurs ont déclaré qu'ils n'invoqueraient pas cette disposition pour les ventes au détail et les ventes à Chapters, mais d'autres y ont manifestement recours.

Nous en voyons aussi des exemples dans d'autres pays, où il semble que la compression de marge que subissent les éditeurs se répercute sur les auteurs.

Cette situation est tout à fait inadmissible à nos yeux. S'il est possible de réaliser des économies grâce à l'avènement des grandes surfaces, il nous semble qu'il doit s'agir d'économies réelles. On ne peut pas réaliser ces économies en privant tout simplement les auteurs d'une partie des droits qui sont les leurs. Nous avons discuté de cette question avec nos membres et avec les éditeurs, et nous entendons continuer à en discuter avec l'Association of Canadian Publishers et le Canadian Book Publishers Council. Une chose est certaine cependant: quoi qu'il arrive à la tarification des éditeurs canadiens, il nous paraît tout à fait inadmissible que l'on s'attende à ce que les auteurs subventionnent les fortes remises qui sont accordées aux grandes surfaces de détail.

Le deuxième point que je veux soulever concerne l'effet sur la promotion et le développement. Depuis 30 ans, nous assistons à un essor remarquable de l'écriture au Canada. Le succès des auteurs canadiens auprès de lecteurs tant canadiens qu'étrangers est vraiment une des grandes histoires de réussite culturelle au Canada, et j'estime que nous devrions tous avoir à coeur de faire en sorte que la nouvelle génération d'auteurs connaisse aussi le même succès.

Les librairies indépendantes jouent et ont joué un rôle critique dans ce succès. Les librairies indépendantes ont vraiment à coeur de mettre lecteurs et auteurs en communication les uns avec les autres au Canada, de découvrir de nouvelles voix et de présenter à leurs clients une multitude de voix canadiennes. Ce sont elles qui, invariablement, présentent les auteurs à leurs lecteurs de manière à favoriser et à enrichir l'expérience littéraire.

Ces deux ou trois dernières années, nous avons reçu d'innombrables plaintes de nos membres au sujet des tentatives des grandes librairies qui cherchent à imiter cet effort de promotion personnalisée des auteurs. Une auteure en particulier nous a parlé d'une tournée qu'elle a faite dans six librairies: trois grandes surfaces et trois librairies indépendantes. Dans chacune des grandes librairies, elle était tout simplement là pendant que chacun s'affairait autour d'elle, emporté dans un tourbillon d'activités fébriles comme on en voit généralement dans les librairies Chapters ou Indigo. Par contre, chacune des librairies indépendantes avait fait un travail de marketing, avait préparé l'auditoire, avait fait en sorte d'attirer les lecteurs qui étaient intéressés par le livre et par l'auteur en question, servant vraiment de pont entre l'auteur et ses lecteurs comme elles le font depuis de nombreuses années.

• 1145

J'ai moi-même...je suis allé de Halifax à Vancouver et je me suis rendu dans la plupart des grandes villes entre les deux pour faire la promotion l'automne dernier de Canada: Our Century. Toutes les fois où j'ai parlé à des lecteurs qui étaient venus me rencontrer, il s'agissait d'une activité organisée soit par une bibliothèque publique soit par un libraire indépendant.

Quelles que soient leurs intentions à cet égard, nous ne croyons tout simplement pas que Chapters et Indigo ont la même capacité à servir de pont entre les auteurs et les lecteurs canadiens comme le font les libraires indépendants qui pratiquent en quelque sorte de la vente personnalisée, grâce au bouche à oreille et grâce à la diversité du réseau qui leur permet de repérer divers livres qui pourraient intéresser leurs lecteurs et de piquer l'intérêt de leurs lecteurs, qui se donnent ensuite le mot.

Le réseau de librairies indépendantes, qui comprend aussi bien le Book Room de Halifax, le Different Drummer de Burlington, Pages de Calgary et Munro's de Victoria, pour ne nommer que ceux-là, a effectivement joué un rôle vital dans le rapport qui s'est établi entre lecteurs et auteurs au Canada. C'est le plus souvent à ce niveau-là que les nouveaux best-sellers sont créés par le bouche à oreille et par l'encouragement personnalisé à l'achat que pratiquent les librairies indépendantes. Nous ne voyons pas vraiment comment les grandes surfaces pourront en faire autant, quelles que soient leurs intentions; le paradoxe du phénomène des grandes surfaces, peu importe la taille de leur fonds, c'est de vendre des best-sellers à 30 p. 100 de réduction. Ce qui les intéresse vraiment, c'est d'écouler en grande quantité les livres qui sont des best-sellers. Elles ne disposent pas des mêmes ressources pour découvrir, faire circuler, promouvoir et vendre à la pièce des oeuvres canadiennes, qui proviennent souvent de petites maisons d'édition, comme le font les librairies indépendantes.

Si nous nous retrouvons avec une seule librairie, et que toutes les librairies sont copiées sur le même modèle, nous aurons beaucoup de mal à faire ce genre de distribution, à faire passer des écrivains, surtout les moins connus, les écrivains émergents du Canada, de l'anonymat à la notoriété. À mon avis, les librairies indépendantes ont joué un rôle vital à cet égard au cours des 30 dernières années, et nous nous inquiétons vivement de les voir disparaître une à une.

Enfin, nous nous demandons, s'il est vrai que le réseau des librairies indépendantes qui ont tant fait pour promouvoir la littérature canadienne au cours de la dernière génération disparaît graduellement à cause de la concurrence, que pourrait faire le gouvernement pour remédier à cela?

Il nous apparaît tout d'abord essentiel que les ministères reconnaissent que les marchés culturels sont peut-être différents des autres marchés. Nous avons pris part à l'enquête du Bureau de la concurrence sur Chapters et Pegasus l'an dernier, et l'on nous a dit que la domination d'un marché ne déclenche pas nécessairement l'intervention du Bureau de la concurrence. Mais il nous semble que dans le marché culturel, il n'y a pas que les gros sous qui comptent, et que les complications culturelles qui découleraient de la perte de notre réseau de librairies indépendantes comportent un élément de mesure de la concurrence autre que celle qu'emploie le Bureau de la concurrence.

En marge de cela, à mon avis, le ministère du Patrimoine canadien doit avoir pour rôle de nourrir pour la prochaine génération la croissance remarquable de la littérature canadienne dont nous avons été témoins dans notre pays au cours des 30 dernières années. Nous pensons que les librairies indépendantes ont joué un rôle vital dans cette réussite. Si elles disparaissent, il appartiendra alors au gouvernement de prendre d'autres mesures.

Dans votre rapport, Appartenance et Identité, de l'été dernier, vous avez fait remarquer que les créateurs ont besoin de subventions accrues. Vous avez nommé une série de programmes qui permettent au gouvernement de soutenir l'essor de la culture et de la littérature dans notre pays. Autrement dit, votre comité a déjà reconnu que le gouvernement a un rôle à jouer dans ce domaine. Si nous perdons les librairies indépendantes qui font partie de ce réseau de promotion et de distribution, le gouvernement, me semble-t-il, devra redoubler d'efforts dans le soutien traditionnel qu'il accorde à la commercialisation et à la distribution de livres dans notre pays et à l'étranger.

Dans notre mémoire, nous proposons des mesures comme celle qui consisterait à offrir une déduction fiscale pour les revenus relatifs au droit d'auteur. Dans la province de Québec, le fisc a reconnu la place particulière qu'occupe le droit d'auteur dans la mesure où il s'agit d'un bien qui disparaît tout de suite après la mort de l'écrivain, du détenteur du droit d'auteur, ainsi que le rôle particulier que jouent les créateurs dans la mesure où ils apportent des avantages économiques à toutes ces personnes qui publient nos ouvrages. Le moment est peut-être venu pour le gouvernement du Canada d'envisager le même genre de mesure, une déduction fiscale relative au droit d'auteur qui viendrait en aide aux auteurs au Canada.

Nous avons au Canada un programme de droit de prêt public. L'an dernier, les taux versés par le Canada aux auteurs ont baissé d'environ 15 p. 100. Nous pensons qu'il y a lieu de rétablir les crédits réservés au programme de droit de prêt public. Nous pensons que le fait d'augmenter le financement de base du Conseil des arts du Canada, comme cela a été fait récemment, est toujours une très bonne chose. Le Conseil des arts du Canada est l'un des mécènes essentiels de la littérature au Canada, et il continuera encore longtemps d'encourager l'éclosion de cet art.

• 1150

Nous pensons que le ministère du Patrimoine canadien doit être seul responsable de l'administration de la Loi sur le droit d'auteur. Nous aimerions qu'il y ait un volet culturel, comme je l'ai dit, au Bureau de la concurrence pour assurer la protection de la diversité dans tout le marché culturel.

Encore une fois, nous reconnaissons que les grandes surfaces font désormais partie de notre paysage et qu'elles présentent des aspects positifs, mais nous y voyons aussi des menaces, particulièrement du côté des pressions financières. Mais nous pensons aussi que nous risquons de perdre ce réseau de librairies indépendantes, et que cela minera la capacité que nous avons de distribuer et d'encourager le livre canadien comme les générations récentes ont pu le faire.

Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Moore. Vous avez soulevé beaucoup d'interrogations intéressantes, et je pense qu'elles nous seront extrêmement utiles lorsque viendra le moment de poser des questions.

Nous allons maintenant entendre Mme Ridout de la Periodical Writers Association of Canada.

Mme Victoria Ridout: Merci. Je représente la Periodical Writers Association of Canada. Nos membres se disent essentiellement rédacteurs pour le compte des revues et des journaux, tout comme les membres de la Writers' Union se voient essentiellement comme des auteurs de livres. Cependant, en réalité, la plupart des auteurs exercent ces deux activités pour gagner leur vie. La distinction qu'il y a entre les deux associations est donc largement artificielle.

La Writers' Union a déjà fort bien résumé les préoccupations que nous partageons à l'égard des sujets d'étude de votre comité, et pour ne pas perdre de temps, je ne les répéterai pas.

Nous sommes ici essentiellement pour situer ces préoccupations dans un contexte plus large. Les rédacteurs d'articles au service des revues et journaux du Canada subissent les effets des nouvelles technologies et des grandes chaînes de librairie au même titre que les auteurs de livres. Je répète que la distinction que l'on fait entre ces deux types d'écriture est artificielle.

La question est maintenant de savoir dans quelle mesure ces nouvelles technologies grugent les droits des auteurs et par conséquent les revenus de tous les auteurs canadiens, à tous les niveaux. Mentionnons à titre d'exemple le conflit récent que notre association a eu avec Chapters Online relativement au contrat que leur succursale Internet voulait imposer aux auteurs pigistes. En exigeant des auteurs qu'ils vendent tous leurs droits sur leurs oeuvres et qu'ils cèdent en outre leurs droits moraux sur leurs ouvrages, Chapters Online se trouve en fait à contourner la Loi sur le droit d'auteur.

Il n'existe à l'heure actuelle aucune norme dans le domaine de l'édition électronique, et les éditeurs aussi bien que les auteurs le reconnaissent. Cependant, des entreprises comme Chapters, en utilisant leur seule taille et l'influence que cette taille leur donne, essaient d'imposer des normes qui sont extrêmement injustes pour les auteurs et qui vont finir par les acculer à la faillite.

La Loi sur le droit d'auteur reconnaît que la propriété intellectuelle est essentiellement différente de tous les autres produits commerciaux. D'où cette pratique ancienne dans l'édition qui permet aux auteurs de céder leurs droits sur leurs ouvrages pour une période donnée, tout comme on louerait une propriété. Les éditeurs exigent maintenant que les auteurs leur vendent tous leurs droits sur leurs oeuvres, tout comme vous vendriez votre maison à vous, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi, mais ils imposent aux auteurs des prix de location et non des prix de vente. Ils réduisent ainsi la capacité qu'ont les auteurs de tirer un revenu de leur travail.

À l'instar de la Writers' Union, nous ne nous voilons pas la face. Nous reconnaissons que les nouvelles technologies et les grandes chaînes de librairies sont ici pour rester, mais nous croyons nécessaire d'égaliser les chances pour éviter que ces nouveaux phénomènes ne causent un tort considérable aux auteurs et aux éditeurs.

Nous croyons que le gouvernement peut nous aider en soutenant et en consolidant les associations qui représentent ces auteurs de telle sorte qu'elles seront mieux en mesure de négocier des normes justes dans le domaine de l'édition électronique.

Le président: Merci beaucoup, madame Ridout.

• 1155

Nous allons maintenant passer aux questions. Nous allons commencer par M. Mark.

M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je tiens moi aussi à souhaiter la bienvenue à tous nos témoins. Je crois personnellement que les auteurs et les librairies auront toujours de l'avenir dans notre pays. À mon avis, le défi consiste à savoir quels véhicules littéraires vont changer.

Nous sommes réunis pour discuter des problèmes qui se posent en ce moment dans l'industrie de l'édition à cause d'entreprises comme Chapters. Mais je crois que ce débat importe fort peu quand on songe au défi imminent que pose l'avènement du livre électronique. Je pense que le dernier témoin y a fait allusion. Je crois que chacun, dont Chapters, se retrouvera face à un nouveau défi. Vous le savez tous, Stephen King est devenu récemment le premier écrivain à publier un best-seller exclusivement sous forme numérisée.

Ayant lu plusieurs articles concernant l'industrie, je crois personnellement que d'ici peut-être 20 ans, au rythme où vont les choses, il pourra être difficile d'acheter un livre. Les entreprises de haute technologie comme Adobe, Fatbrain.com, Everybook, glassbooks.com et Softbook se précipitent pour mettre au point des logiciels et des matériels qui vont révolutionner l'industrie de l'édition.

J'aimerais d'abord obtenir votre avis sur la technologie électronique. Est-elle pour vous une amie, ou craignez-vous les changements qu'elle va occasionner?

M. Christopher Moore: Nous avons, à mon avis, une vision optimiste de la technologie électronique, si celle-ci doit déboucher sur un nouveau réseau de transmission qui permettra d'élargir l'audience des auteurs, avec un support différent qui pourrait être commode à certains égards. Je sais qu'il m'est arrivé de partir en vacances avec une valise pleine de livres récents qui étaient tous à couverture rigide. Si je pouvais mettre 12 livres et quelques revues sur un support technologique commode, j'y verrais un avantage. Franchement, si l'on paie les écrivains pour l'utilisation électronique de leurs oeuvres, ce serait une très bonne façon pour eux de rejoindre leurs lecteurs.

Chose certaine, cela finira par poser des problèmes. J'ai la certitude que Stephen King est fort bien payé pour ce livre qui n'est disponible que sur support électronique. De toute évidence, la question sera de savoir si les petits éditeurs et les écrivains moins connus auront accès à cette même technologie. Il sera peut-être nécessaire à un moment donné de subventionner la mise sur support électronique d'oeuvres à petit tirage.

Le support électronique lui-même n'est pas une menace à l'écriture. Le support électronique n'est qu'une autre technologie qui permet de distribuer les oeuvres des écrivains. La question est franchement de savoir qui le contrôlera et qui y gagnera. Si nous pouvons mettre au point un système électronique qui permettra de produire et de véhiculer diverses oeuvres canadiennes, pour lesquelles les créateurs seront payés et auxquelles les lecteurs auront aisément accès, ce serait une perspective merveilleuse et non une menace. Encore là, il faut se préoccuper de la domination du marché, il faut se demander qui le contrôlera et si l'on va verser des droits sur ces oeuvres.

Merci.

Le président: Madame Ridout, voulez-vous intervenir?

Mme Victoria Ridout: Nous sommes d'accord pour dire que les nouvelles technologies peuvent profiter aux auteurs, et nous ne sommes pas contre les technologies elles-mêmes. Mais ce qu'il faut reconnaître c'est le fait qu'elles bouleversent tout le système qui est en place depuis plusieurs années dans le milieu de l'édition. Dans le domaine de l'édition de livres, par exemple, les auteurs pouvaient toujours tirer des revenus supplémentaires de leurs oeuvres en atomisant la vente de leurs droits, en vendant séparément par exemple les droits pour l'édition canadienne et les droits pour les éditions étrangères. Avec ces nouvelles technologies, les frontières disparaissent complètement, ce qui réduit automatiquement la valeur commerciale de l'oeuvre littéraire.

On ne s'attend pas à ce que les éditeurs versent davantage d'argent à des auteurs qui ont moins de droits. En fait, les montants restent les mêmes, et ils disent qu'ils sont obligés d'avoir tous les droits sur l'oeuvre parce que les frontières n'existent plus. Bien sûr, la même chose s'applique aux auteurs d'articles au service des revues et des journaux. Encore là, l'enjeu est l'argent, soit la question de savoir si les auteurs sont rétribués équitablement pour les droits qu'ils sont obligés de céder à cause de l'existence de ces nouvelles technologies.

M. Inky Mark: Dans une publicité récente parue dans une revue, le géant du logiciel Microsoft mentionnait les futures dates marquantes de l'édition électronique. Je vais vous les lire. D'ici trois ans:

    2001—L'avènement du livre scolaire électronique allège la charge des étudiants.

    2002—Les ordinateurs personnels et les lecteurs de livres électroniques offrent des écrans qui valent presque le papier.

    2003—Les lecteurs de livres électroniques pèsent moins d'une livre, offrent huit heures de lecture et coûtent à peine 99 $.

• 1200

Ma question est celle-ci: le gouvernement doit-il vous aider à traiter avec Chapters pour le moment, et je crois savoir qu'il s'agit d'un problème passager, ou le gouvernement doit-il aider l'industrie à s'adapter à l'évolution technologique?

Mme Victoria Ridout: Pourquoi choisir? Je pense que ces deux choses vont de pair. De toute évidence, il ne serait pas réaliste de s'attendre à ce que le gouvernement prenne parti dans ces dossiers. Encore là, les nouvelles technologies et les chaînes de librairies ont bouleversé tant de choses que nous en sommes maintenant au point où les règles que tout le monde observait n'existent plus. Sauve qui peut. Dans une certaine mesure, il faut laisser le marché régler lui-même certaines choses. Ce qu'il faut reconnaître, c'est que les chances ne sont plus du tout égales pour tout le monde, et les auteurs sont très défavorisés ici.

Du point de vue de mon association, le seul moyen d'intervention du gouvernement dans ce dossier, sans aller jusqu'à imposer des normes relatives aux contrats et aux droits, ce qui a peu de chances de se produire, consiste à consolider les associations qui représentent ces auteurs de telle sorte qu'elles pourront mieux négocier collectivement les contrats et les droits des auteurs que par le passé.

Le président: Les autres témoins veulent-ils ajouter quelque chose?

[Français]

Sinon, je vais donner la parole à M. de Savoye.

M. Pierre de Savoye: Merci, monsieur le président. C'est très intéressant de vous entendre ce matin, parce que vous nous apportez la vision des gens qui créent tous ces livres que l'on peut lire et non pas celle de ceux qui les distribuent et les impriment, mais qui sont importants également.

Une chose m'a frappé. Je m'en doutais, mais vous l'avez très bien exprimée, monsieur Moore: c'est la fragilité des auteurs face à leurs droits. En français, on parle bien de droits d'auteur et non pas de droits de copie alors qu'en anglais, on parle de droits de copie plutôt que de droits d'auteur.

Je comprends très bien votre point de vue lorsque vous mentionnez qu'il n'est pas normal que l'auteur voie ses droits d'auteur réduits afin de permettre à quelqu'un du domaine de la distribution de consentir des rabais. Par exemple, si j'étais un employé d'une entreprise et que celle-ci vendait ses bidules à rabais, je ne m'attendrais pas à ce que mon salaire soit réduit à la fin de la semaine.

Mais dans les entreprises, on est généralement syndiqué. À tout le moins, les employés ont une certaine force pour résister aux volontés de l'employeur de porter atteinte à leurs conditions d'emploi. Dans quelle mesure les auteurs, les écrivaines et les écrivains, sont-ils en mesure de résister à ceux qui, le long de la chaîne alimentaire, voudraient s'approprier une partie de leur dû?

M. Christopher Moore: Je crois que c'est en partie à vous de nous aider dans pareille circonstance.

[Traduction]

À mon avis, la monopolisation du marché par Chapters et Pegasus et son effet sur l'édition ainsi que la question de savoir si cela constitue une menace pour les éditeurs ont fait l'objet d'un débat public. Nous devons ajouter à ce débat public la question de la rémunération des auteurs. Si nous admettons, comme vous l'avez dit il y a un instant, qu'il est inacceptable d'obliger les détenteurs de droits et les auteurs à subventionner les rabais que consentent les librairies, nous pouvons alors utiliser cette influence. Quand nous en discutons avec les associations d'éditeurs, nous pouvons très bien plaider notre cause. À mon avis, c'est la nécessité qui les oblige à exiger cela. Si l'on admet qu'il est inacceptable de faire faire des économies aux librairies au détriment des créateurs, si cela fait partie du débat public, nous pourrons alors plaider cet aspect auprès des éditeurs.

Je pense que de manière générale, nous collaborons fort bien avec un grand nombre d'éditeurs, et ceux-ci sont nombreux à vouloir bien traiter leurs auteurs. Même si leurs marges sont réduites, il y a quand même des éditeurs qui veulent publier les livres, et ils feront tout ce qu'ils peuvent en ce sens. S'ils jugent qu'ils font des sacrifices, ils pensent que l'auteur doit faire des sacrifices aussi.

• 1205

Je pense que nous pouvons faire valoir à quel point cela est inacceptable. Mais je crois qu'avec le soutien de votre comité dans ce dossier, si cette situation fait l'objet d'un débat public, nous pourrons plaider notre cause. Comme vous l'avez dit, les écrivains ne sont pas syndiqués; ils ne constituent pas un syndicat. Et qu'il s'agisse de Stephen King ou d'un écrivain canadien peu connu, les écrivains n'exercent pas tous la même influence. Mais je pense que nos associations pourront faire valoir leur point de vue, et nous entendons être très fermes.

Merci.

Le président: Merci, monsieur de Savoye.

Mme Penny Dickens: J'aimerais faire une observation, que vous retrouverez d'ailleurs dans notre mémoire. Le problème pour les auteurs dans l'exemple que nous avons mentionné, c'est que le petit éditeur voit son revenu baisser de 10 p. 100 lorsque Pegasus exige 50 p. 100, mais la part de l'auteur, elle, baisse de 50 p. 100. C'est inacceptable. C'est un niveau inacceptable.

[Français]

M. Pierre de Savoye: Tout à l'heure, madame David, vous avez évoqué la possibilité d'une édition à deux vitesses: les grands tirages, les grandes surfaces, et les tirages qui sont moins ou peu rentables, qui ne se retrouveront pas dans les grandes surfaces mais, vraisemblablement, dans les petites. Or, peut-être peut-il y avoir une édition à deux vitesses, mais est-ce qu'il ne pourrait pas y avoir aussi deux types de mise en marché? Je sais très bien que je peux aller à un magasin Zellers ou Sears, des magasins à grandes surfaces, et obtenir des vêtements ou d'autres biens, mais je sais aussi que je peux aller dans des boutiques où je vais obtenir un produit plus particulier répondant davantage à certaines de mes attentes comme consommateur. Est-ce qu'on n'assiste pas à la mise en place de deux types de mise en marché? Ne serait-ce pas la voie à suivre? J'aimerais vous entendre à ce sujet-là.

Mme Carole David: Comme vous le dites, effectivement, les librairies indépendantes, par exemple, vont survivre si elles sont capables de se spécialiser et de servir une clientèle très pointue, très précise. C'est vrai, ce que vous dites. Donc, cela veut dire qu'il y aura vraiment des librairies spécialisées pour tels ou tels titres.

Par contre, ces librairies ont aussi besoin de vendre des best-sellers pour survivre. Autrefois, quand il n'y avait pas les grandes surfaces, c'est ce qui permettait à ces librairies de survivre. Or, la vente des best-sellers a été complètement aspirée par les grandes surfaces. Pourtant, les petites librairies ont aussi besoin de ces best-sellers pour continuer à servir leur clientèle, bien que celle-ci soit très spécialisée. Il y a là un problème qui, effectivement, est assez difficile à résoudre.

M. Pierre de Savoye: J'apprécie que vous nous précisiez cela. D'autres témoins avaient mentionné cette problématique à laquelle nos libraires sont confrontés. C'est un fait que le marché à deux vitesses pourrait devenir un marché à une seule vitesse, la deuxième disparaissant complètement de la carte, ou à peu près.

Je veux revenir à la question que mon collègue du Parti réformiste a posée au sujet du commerce électronique. Il ne s'agit pas seulement de commerce électronique; cela pourrait aussi être la publication ou l'édition électronique. On peut présumer que certains auteurs, incapables de trouver un éditeur en raison des perspectives de vente trop faibles, puissent penser publier leur oeuvre sur l'Internet. Ils pourraient le faire eux-mêmes, mais ce ne sont pas des spécialistes en la matière. Pensez-vous que l'Internet pourrait constituer une troisième vitesse pour de très petits tirages, très pointus, très spécialisés, s'adressant à un public planétaire?

Mme Carole David: Quand vous parlez de l'Internet, évidemment, il y a déjà des auteurs qui publient eux-mêmes leurs oeuvres sur l'Internet. Mais disons que l'Internet, pour le moment, c'est une espèce de folie. Il faut attendre un peu que les choses se calment pour savoir ce qui va en rester. Par contre, ce que l'on peut constater, c'est que présentement, le commerce électronique bouscule vraiment la notion de propriété territoriale des droits d'auteurs, comme d'autres l'ont souligné plus tôt.

• 1210

Comme représentante de l'UEEQ, c'est la détention des droits d'auteur qui me préoccupe. La notion d'auteur disparaît peu à peu. Ce n'est pas la cas pour un auteur comme, par exemple, Stephen King qui a un peu le contrôle de cela, mais pour les autres auteurs, cette notion disparaît complètement. Nous pensons que sur l'Internet, on va retrouver surtout des manuels scolaires. Nous pouvons avoir tort, mais c'est ce que nous prévoyons. Donc, comme monsieur le disait tantôt, l'information sera moins lourde pour les étudiants. Quels types d'ouvrages vont se retrouver là? On ne le sait pas trop encore, mais ce que l'on sait, c'est que les auteurs sont vraiment menacés.

M. Pierre de Savoye: Combien de temps me reste-t-il?

Le président: Monsieur de Savoye, vous reviendrez.

[Traduction]

Madame Bulte.

Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Merci, monsieur le président. Merci à tous d'avoir pris part à cette table ronde sur l'industrie de l'édition canadienne.

Monsieur Moore, je tiens à vous féliciter pour votre livre, Canada: Our Century. Je dois dire qu'un certain nombre de mes amis et de membres de ma famille en ont profité. Je dois vous dire aussi que j'en ai acheté cinq exemplaires chez Chapters et cinq chez Indigo. Chez Indigo, j'ai obtenu une remise de 30 p. 100. Chez Chapters, rien. Je vous le dis seulement à titre d'information.

J'aimerais parler un peu du rôle de l'auteur et de l'éditeur. J'ai rencontré un certain nombre de vos membres au cours de la semaine de relâche pour discuter à titre amical des questions qui ont été posées par le comité. Il y a une chose que j'ai trouvée tout à fait fascinante, et je dois vous dire ici que lorsque nous avons entrepris nos travaux, on nous a donné un aperçu de l'industrie de l'édition canadienne, c'est le fait que sans l'aide gouvernementale, 81 p. 100 de ces éditeurs ne seraient pas rentables. Bien sûr, leur rôle est d'aider les artistes émergents, et je pense que c'est un rôle très important, comme vous le savez.

Il y a une autre chose qui m'a beaucoup étonnée, et cela tient au fait que je m'étais toujours imaginé—et ce sont peut-être les écrivains à grand tirage qui peuvent dicter ce genre de conditions—qu'une fois qu'un écrivain cédait ses droits à un éditeur, il s'agissait de droits internationaux. Mais ce n'est pas du tout le cas. Leur gouvernement subventionne ces éditeurs et les aide à publier le premier livre, mais dès que cet auteur connaît du succès, notre éditeur canadien ne peut plus donner à cet auteur la même chose que l'éditeur américain. On m'a dit qu'avec les droits d'auteur que les éditeurs américains promettent, nos éditeurs canadiens ne peuvent pas...

Cela me préoccupe. Je comprends que l'auteur doit gagner le plus d'argent possible, mais dans ce contexte, quel est le rôle de cet éditeur canadien que notre gouvernement subventionne?

Pour ce qui est des contrats, vous avez parlé des coûts élevés, du fait que l'on demande à l'auteur de subventionner le distributeur. Mais encore là, l'auteur et l'éditeur ne peuvent-ils pas s'arranger pour que leur contrat ne soit pas compromis par le distributeur?

Troisièmement, au sujet du commerce électronique, je vous ai entendu dire, monsieur Moore, que le gouvernement peut aider les petits éditeurs au niveau des supports électroniques. Encore là, allons-nous aider de petits éditeurs dont les auteurs, une fois connus, se tourneront vers des éditeurs américains pour obtenir un rayonnement international? J'aimerais savoir ce que vous avez à dire à ce sujet.

M. Christopher Moore: Environ 80 p. 100 de nos membres, et nous représentons 1 350 auteurs de livres au Canada, sont publiés par des éditeurs canadiens. Il y a un rapport très étroit entre l'ampleur et la diversité de la littérature canadienne et la survie et l'épanouissement de l'édition canadienne. C'est la raison pour laquelle nous avons toujours été favorables aux programmes du ministère du Patrimoine canadien qui viennent en aide à l'édition canadienne. Nous croyons sincèrement qu'il est important d'avoir une industrie de l'édition au Canada.

Par contre, à notre avis, il n'est pas nécessairement mauvais qu'il y ait une certaine concurrence entre des éditeurs canadiens subventionnés et des éditeurs étrangers qui viennent chez nous, voient le potentiel de la littérature canadienne, et qui s'établissent au Canada parce qu'ils voient que la littérature canadienne a un avenir chez nous aussi bien qu'à l'étranger.

Vous l'avez admis vous-même, ce n'est pas moi qui vais dire que l'écrivain doit s'abstenir d'accepter une avance généreuse, ou une offre généreuse, qui lui viendrait d'un éditeur étranger. Mais le fait est que la vaste majorité des écrivains canadiens sont publiés par des éditeurs canadiens, et c'est le lien que nous voulons maintenir et que nous devons maintenir.

• 1215

Vous avez ensuite parlé des contrats. Une partie du problème, bien sûr, tient au fait que ces contrats datent de quelques années, et il se peut que les clauses qui autorisent de fortes remises aient été négociées à une époque où il n'existait pas de détaillants ou de distributeurs qui exigeaient ces fortes remises. Il s'agit parfois de clauses contractuelles qui répondent à des exigences périmées. En fait, ce que nous disons, c'est que le marché a évolué et que les conditions d'édition devront évoluer dans le même sens.

Vous avez également parlé du commerce électronique.

Mme Sarmite Bulte: Est-ce un élément que vous pouvez négocier, disons, avez vos éditeurs américains? Les Américains en sont-ils au point où...? Vous pouvez vendre vos droits américains ou vos droits britanniques à des éditeurs différents. Est-ce que cela fait partie du contrat normal avec votre éditeur américain? Vous avez mentionné Stephen King.

M. Christopher Moore: Non, ce n'est pas le cas. À plusieurs égards, il est difficile de savoir qui sera l'éditeur électronique. Les éditeurs traditionnels peuvent en effet penser qu'ils sont autorisés à vendre ce droit tout comme on publie un livre chez un éditeur, mais les droits d'adaptation cinématographique peuvent être vendus à une entité totalement différente.

Dans certains cas, les écrivains confient en effet à l'éditeur le rôle d'agent, et c'est l'éditeur qui vend les droits d'adaptation cinématographique à une entreprise de production cinématographique. Il se pourrait que dans certains cas l'écrivain vende ses droits électroniques à un éditeur, lequel les revendrait à son tour à un éditeur électronique. Ou il se peut que l'auteur et son agent conservent ces droits et les vendent séparément.

À l'heure actuelle, nous encourageons nos membres à conserver leurs droits électroniques plutôt que de donner carte blanche à l'éditeur pour la vente de ces droits. Étant donné le flou qu'il y a dans l'édition électronique en ce moment, on ne peut s'entendre que sur une offre en particulier, sur un genre particulier de distribution électronique et non sur les droits généraux relativement à l'édition électronique.

La question de savoir si c'est un éditeur canadien ou étranger n'est pas vraiment pertinente. À mon avis, en matière d'édition électronique, le seul rôle important que le gouvernement a à jouer consiste à assurer le respect et la protection de ce droit d'auteur. On comprend que les auteurs demeurent propriétaires de leurs oeuvres lorsqu'ils les publient dans des livres et des revues. Nous devons nous assurer que c'est également le cas dans le contexte électronique. Peu importe comment ces oeuvres sont diffusées, en dernière analyse, le créateur détient des droits sur son oeuvre et a le droit d'être payé pour son utilisation.

Il n'y a pas de marché qui tienne sans respect des contrats. Adam Smith le disait lui-même. Dans le contexte électronique, nous devons trouver le moyen—et c'est là le rôle que le gouvernement peut jouer—de nous assurer que ce droit d'auteur peut être respecté et que ce droit d'auteur peut être rétribué dans l'environnement électronique, comme dans tout autre environnement. Autrement, il n'y aura pas de création. On ne créera pas si on ne paie pas les créateurs. Merci.

Le président: Madame Ridout, rapidement.

Mme Victoria Ridout: En marge de mon travail à la Periodical Writers Association, j'ai également agi à titre d'agent littéraire pendant plusieurs années, et j'ai négocié des centaines de contrats entre éditeurs et auteurs. J'aimerais seulement faire quelques observations.

Je comprends ce que vous dites. Est-il équitable de retenir certains droits et de ne pas donner tous les droits à votre éditeur canadien? Voici la règle que j'applique lorsque je négocie un contrat. Qu'est-ce que l'auteur obtient en échange des droits qu'il cède?

Si un éditeur offre une avance respectable et une répartition respectable des ventes à des éditeurs étrangers et s'il peut vendre ces droits annexes et se faire l'agent de l'écrivain à cet égard, il n'y a absolument aucune raison de ne pas lui donner tous les droits internationaux. Toutefois, si un éditeur n'a pas le personnel qui peut négocier ces droits et ne sait pas ce qu'il va faire de ces droits électroniques lorsqu'il demande une répartition 50-50, l'auteur a intérêt à conserver ces droits et à demander à un agent professionnel de s'en occuper pour lui.

Il y a toutes sortes de compromis possibles. Un des plus raisonnables est de donner à un éditeur certains droits pour un certain temps. S'il ne les utilise pas, par exemple après deux ans de publication, l'auteur a le droit de les reprendre. C'est tout à fait juste. Si vous voulez ces droits, faites-en quelque chose.

• 1220

Ce sont les problèmes que rencontre l'écrivain. Un éditeur va-t-il après avoir obtenu ces droits n'en rien faire? Va-t-il au contraire essayer d'aller les vendre de façon très dynamique, mais n'en donner qu'une très petite partie à l'auteur? En tant qu'agent, si je ne peux négocier une répartition supérieure sur ces droits annexes, je vais essayer de les garder pour mon auteur.

Mme Sarmite Bulte: Merci.

Mme Victoria Ridout: J'aurais quelques observations de plus à faire.

Le président: Madame Ridout, nous avons pas mal de personnes qui veulent... Peut-être pourriez-vous revenir là-dessus lorsque l'on posera d'autres questions.

Monsieur Bélanger.

[Français]

M. Mauril Bélanger: J'ai une question rapide pour les auteurs du Québec. Est-ce que vous envisagez une troisième menace, celle de l'impression sur demande?

Mme Carole David: L'impression sur demande constitue une menace, oui. Présentement, on se penche sur cette question, que ce soit le commerce électronique ou le e-book, comme on dit en anglais. Il y a aussi l'impression sur demande, qui est déjà commencée aux États-Unis. C'est un problème similaire à celui de la photocopie, et Copibec surveille déjà cet aspect-là. Donc, on est en train de se pencher là-dessus aussi, parce que l'auteur, évidemment, n'aura plus de contrôle sur son oeuvre.

M. Mauril Bélanger: D'accord. Vous vous occupez de cela.

Mme Carole David: Tout à fait.

M. Mauril Bélanger: Mes autres questions sont pour M. Moore.

[Traduction]

Je me concentre sur la relation et le scénario d'intégration verticale Chapters/Pegasus. J'ai souvent dit que Chapters et Indigo avaient fait du bon travail au niveau du détail. C'est ce que je pense, parce que je ne les ai pas vus. Vous semblez reconnaître la chose en disant qu'ils vous ont aidé l'année dernière à vendre votre livre, mais vous ne pouvez évidemment pas gagner sur tous les tableaux.

J'aimerais revenir à l'exemple que vous nous donnez de l'auteur—que je ne connais pas—dont le livre a été vendu en 10 000 exemplaires et qui a reçu à toutes fins utiles l'équivalent de 1 000 ventes. Pourriez-vous nous donner d'autres détails à ce sujet et en particulier sur le rôle que Pegasus pourrait avoir joué là-dedans?

M. Christopher Moore: Certainement. Il y a une vieille coutume qui remonte très loin dans ce genre de contrat qui veut que l'une des clauses mineures, en bas de la page, spécifie souvent que lorsqu'un éditeur vend un ouvrage à un prix beaucoup plus réduit que normalement... Quelques fois on spécifie 50 p. 100 et quelques fois c'est plus. Cela varie, selon le contrat, selon la maison d'édition. Donc, lorsqu'un éditeur vend des exemplaires de cette oeuvre à un prix très réduit, il demande le droit de payer des droits à l'auteur—un droit de 10 p. 100 est standard—non pas sur le prix indiqué, autrement dit, non pas sur le prix de détail du livre, mais sur les reçus qu'il obtient. C'est ce qu'on appelle habituellement les clauses sur les reçus nets.

Prenez un livre de 30 $, l'auteur s'attend habituellement, avec 10 p. 100 de droits, à recevoir un droit de 3 $ par livre vendu. Il y a traditionnellement certaines clauses qui permettent à un éditeur de vendre certains exemplaires de ce livre à un prix considérablement réduit et à payer ainsi les droits sur ces reçus nets. Ces reçus nets sur un livre de 30 $ sont probablement de 15 $ par livre si la réduction de Pegasus est de 50 p. 100. Dans ce cas, le droit serait de 1,50 $ plutôt que de 3 $. C'est une diminution de 50 p. 100 des droits.

M. Mauril Bélanger: Vous parlez ici d'une réduction de 90 p. 100. Vous avez dit 10 000 livres ont été vendus et elle a reçu l'équivalent de 1 000 ventes...

M. Christopher Moore: Permettez-moi de terminer. Traditionnellement, cela n'existait que dans des circonstances spéciales. De façon générale, les éditeurs n'ont pas vendu ces ouvrages en consentant de telles réductions parce qu'ils sont là pour faire de l'argent. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, ils ont demandé d'ajouter ces clauses. Cela ne nous a jamais beaucoup plu, mais nous les avons acceptées et elles ne s'appliquaient habituellement que dans de rares circonstances.

Il est évident que nous ne savons pas où sont allés ces livres dans ce cas particulier. Sur les 10 000 exemplaires qui ont été vendus, 980 ont payé le droit intégral. C'était un livre de 25 $ et cela rapportait en fait 2,50 $ de droit. Les autres exemplaires, un peu plus de 9 020, ont payé un droit sur les reçus nets. Autrement dit, 1,25 $ plutôt que 2,50 $. La perte pour l'auteur est par rapport à ce qu'elle avait espéré toucher. Deux dollars cinquante sur chaque livre de 25 $ auraient dû lui rapporter un droit de 28 000 $ environ. Le chèque en fait ne fut que de 14 000 $ environ. Ses droits ont donc été diminués de moitié parce que 980 seulement ont payé le droit au complet. Les relevés de droits d'auteur n'indiquent pas à qui ont été distribués les livres. Il est évident que dans ce cas, cette vieille clause a été appliquée à la réduction de 50 p. 100 qui a été consentie à Pegasus.

• 1225

M. Mauril Bélanger: Qui peut déclencher l'application de cette clause? L'éditeur ou la personne achetant le livre?

M. Christopher Moore: Oh, c'est l'éditeur. C'est la responsabilité de l'éditeur.

M. Mauril Bélanger: Pourquoi un éditeur ferait-il cela?

M. Christopher Moore: Ma foi, par le passé, il s'agissait de circonstances très spéciales, surtout quand l'éditeur avait l'impression qu'il pouvait imprimer un peu plus d'exemplaires en offrant une forte réduction. Dans ce cas, il me semble certain qu'ils ont réussi à distribuer 9 000 exemplaires de ce livre par l'intermédiaire de Pegasus à Chapters, mais qu'ils n'ont pas pu le vendre ailleurs.

M. Mauril Bélanger: Je veux m'assurer que ce n'est pas simplement hypothétique. Je veux dans toute la mesure du possible des faits.

M. Christopher Moore: D'accord. Certainement.

M. Mauril Bélanger: Ce que vous semblez dire, c'est que l'éditeur de cette auteure est sans le sou. Des discussions avec Pegasus auraient mené à un arrangement selon lequel ces droits auraient reflété d'importantes remises.

M. Christopher Moore: Je ne suis pas certain que Pegasus savait quoi que ce soit du droit entre l'auteur et l'éditeur. Il a demandé une remise de 50 p. 100 à l'éditeur. L'éditeur aura dit: «Cela nous autorise à déclencher la clause concernant les reçus nets.»

M. Mauril Bélanger: Oublions Pegasus—supposons un instant que Pegasus n'existe pas et qu'il y avait simplement l'empire de détail Chapters—cela aurait-il pu se produire?

M. Christopher Moore: Ma foi, tout dépend de la remise que l'éditeur a consentie à Chapters, je suppose. Mais il est clair que l'addition de la fonction de distribution de Pegasus lui donne une remise supplémentaire qui déclenche la clause sur les reçus nets.

M. Mauril Bélanger: Dans le document que nous allons recevoir, dites-vous effectivement que l'existence de Pegasus a provoqué, dans ce cas, une forte diminution des droits payés à l'auteur?

M. Christopher Moore: Cela ne fait absolument aucun doute.

M. Mauril Bélanger: Merci.

[Français]

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Madame Ridout, brièvement, s'il vous plaît. Nous avons d'autres personnes qui veulent poser des questions et le temps file.

Mme Victoria Ridout: Dans les contrats, les clauses sur les remises importantes stipulent spécifiquement que ces remises ne peuvent s'appliquer aux livres vendus par les détaillants traditionnels. C'est la raison pour laquelle cela ne se serait pas produit si Pegasus n'avait pas existé car Pegasus est maintenant le bras de distribution de Chapters.

M. Mauril Bélanger: Serait-il possible, monsieur le président, que nous recevions des contrats types, en blanc—je ne sais pas s'il en existe—pour que nous comprenions un peu mieux la chose?

Le président: Certainement. C'est une très bonne idée.

[Français]

M. Mauril Bélanger: Et c'est la même chose pour Mme David. Serait-il possible de recevoir de la documentation ou des renseignements quelconques sur ce qui se passe au sujet de la question de l'impression sur demande, ou du Comité Larose, si j'ai bien noté? Je pense qu'il pourrait être utile pour les membres du comité de recevoir de la documentation en provenance des auteurs du Québec.

Mme Carole David: Pour le moment, ce qui se passe en comité, c'est secret. On n'a pas le droit de divulguer quoi que ce soit, mais à la fin, le comité va présenter un rapport.

M. Mauril Bélanger: Merci.

Le président: Madame David, naturellement, nous ne demandons pas ce qui est confidentiel, mais les choses usuelles, les contrats types, etc. Si, par exemple, vous pouviez nous faire parvenir des documents types,

[Traduction]

et de même pour M. Moore et Mme Ridout, ce serait extrêmement utile. Vous pourriez les envoyer à la greffière du comité qui les distribuera ensuite aux députés.

M. Christopher Moore: Certainement.

Cela dit, et c'est très clair, je voudrais aussi dire que nous avons eu des entretiens avec certains éditeurs qui nous ont déclaré qu'en aucune circonstance ils ne déclencheraient la clause sur les reçus nets en vendant à Chapters et Pegasus. Certains éditeurs assument ces frais supplémentaires et comprennent leurs obligations, leur devoir fiduciaire, vis-à-vis des auteurs. Ce n'est pas universel chez les éditeurs. Il faut insister là-dessus.

Une voix: Pas encore.

M. Christopher Moore: En effet, pas encore.

Le président: Merci.

Monsieur Muise.

M. Mark Muise (West Nova, PC): Merci, monsieur le président.

Merci à nos témoins d'aujourd'hui.

Il y a une quinzaine de jours, nous avons reçu les libraires indépendants qui nous ont dit essentiellement que l'arrivée de Chapters et Pegasus menaçait les libraires indépendants et, en fin de compte, les auteurs, ou du moins les auteurs moins connus, parce que ce sont en général les libraires indépendants qui en font la promotion.

Monsieur Moore, vous avez dit aujourd'hui qu'il y avait tout de même quelques avantages à ces grosses librairies puisqu'en définitive elles permettaient de vendre davantage de livres. D'un autre côté, vous dites qu'elles ne font pas de vente personnalisée, donc qu'elles font moins de promotion. J'essaie de comprendre un peu mieux. J'ai apprécié la question de M. Bélanger parce que j'ai l'impression d'en savoir plus. J'aimerais savoir ce qu'il en est pour l'industrie, ce que représente l'arrivée de Chapters et Pegasus. Comme membre du comité, j'aimerais savoir si les avantages l'emportent sur les risques et ce que nous devrions ou pourrions faire dans ce sens. Je pose la question à quiconque estime pouvoir nous donner une réponse.

• 1230

M. Christopher Moore: C'est un peu paradoxal parce qu'un magasin Chapters ou n'importe lequel de ses concurrents—Barnes & Noble aux États-Unis ou la Fnac en France, qui est devenue un phénomène international—ont énormément de livres dans leurs magasins. On peut arpenter les allées indéfiniment. Mais il y a des recherches—en particulier aux États-Unis, mais cela vient aussi d'autres pays—qui semblent indiquer que les grandes surfaces sont étroitement liées à l'influence grandissante des gros éditeurs et des auteurs connus. Autrement dit, au fur et à mesure que les grandes surfaces prennent de la place dans ce secteur, la proportion du total de ventes de livres par Danielle Steel et Stephen King et d'un petit nombre d'auteurs de magasins à grande surface augmente.

Autrement dit, malgré les innombrables rangées de titres d'ouvrages disponibles dans un magasin Chapters, Indigo ou Borders, le vrai succès et l'élan réel du grand magasin sont de vendre les best-sellers à 30 p. 100 de réduction. Il y a donc un rétrécissement du marché. Les grands magasins et les grands éditeurs ainsi que les auteurs à succès semblent aller la main dans la main. Du moins c'est ce que semblent indiquer les recherches faites dans le monde entier à ce sujet.

Et dans un sens c'est le livre qui était conçu pour ce genre de phénomène. Je ne pense pas que nous voulions qu'au Canada ce soit le seul genre de livre que l'on publie. Nous voulons la diversité d'auteurs et d'éditeurs que nous connaissons. C'est ce qui se passait avec les libraires indépendants et c'est à notre avis ce qui est menacé.

M. Mark Muise: Je crois que nous comprenons cela, mais que peut faire le comité à ce sujet? Aidez-nous, si vous le pouvez.

Mme Victoria Ridout: À l'heure actuelle, étant donné leur importance, Chapters et Pegasus peuvent obliger les éditeurs, s'ils veulent survivre, à leur accorder des remises plus importantes qu'aux indépendants. Là encore, je reprends l'expression «traitement égal». Peut-être pourrait-on limiter la possibilité pour les chaînes de jouir d'un avantage tellement injuste par rapport aux indépendants, afin d'essayer de préserver la diversité culturelle canadienne.

Le président: Dites-vous en fait, madame Ridout, que vous voudriez que l'on change la Loi sur la concurrence? Comment pourrait-on faire cela? Je crois comprendre ce que vous voulez dire. Mais comment le faire?

Mme Victoria Ridout: Nous signalons qu'il y a un avantage injuste clair qui va tout à fait à l'encontre de la diversité culturelle canadienne. Comme l'a souligné Chris Moore, partout au monde, il existe un mouvement pour tout regrouper sous un seul toit—un grand distributeur, un grand éditeur. On le voit dans les films, où tous les aspects de l'industrie sont sous contrôle unique. L'industrie canadienne du livre suit la même voie. Moins il y a d'éléments, moins il y a de diversité et on se retrouve avec une grande entreprise qui détermine ce qui sera publié, ce qui sera distribué, etc., etc.

Je ne connais pas les complexités de la Loi sur la concurrence. C'est la meilleure réponse que j'ai pu trouver.

Le président: Merci.

Monsieur Moore, brièvement.

M. Christopher Moore: Pour répondre à votre question ainsi qu'à M. Muise, nous avons construit ce monde du livre, cette communauté du livre et cette industrie du livre, un auteur à la fois, un livre à la fois, une librairie à la fois, presque. Si la partie librairie de l'équation est menacée en ce moment, essentiellement il suffit de continuer. Il faut que nous fassions notre possible pour maintenir la diversité des auteurs, pour aider les auteurs qui existent.

Je ne pense pas que toutes les librairies indépendantes vont disparaître et peut-être certaines vont-elles connaître un regain de vigueur. Nous allons peut-être constater que les gens se fatiguent un peu des grandes surfaces. Il se peut que dans quelques années, si nous pouvons, au Canada, continuer à écrire, à offrir une production diversifiée et à publier...

Le meilleur rôle pour le gouvernement est peut-être son rôle traditionnel. Il y a 30 ans, le Conseil des arts aidait clairement l'écriture à prendre son essor, aidait les auteurs et les encourageait à se déplacer au pays et on a fini par avoir un réseau de librairies.

• 1235

Si ce réseau est menacé à l'heure actuelle, ces moyens traditionnels qu'ont utilisés le ministère du Patrimoine, le Conseil des arts et d'autres organismes gouvernementaux sont peut-être la meilleure façon de survivre pendant que les temps sont durs. Le rôle soutenu du gouvernement canadien comme parrain de la littérature canadienne et de la culture canadienne a donné des résultats. Cela donne des résultats depuis 30 ans. Il nous faut peut-être continuer et même redoubler nos efforts entre-temps et espérer que si nous continuons à offrir la diversité dans la littérature canadienne, il y aura peut-être relance des librairies.

Le président: Brièvement, monsieur Muise.

M. Mark Muise: Je ne sais pas, mais si vous dites que l'existence de Chapters et de Pegasus crée ce problème et vous pensez que d'une part il faut promouvoir l'individualité et continuer dans cette même voie... S'il y a quelque chose d'encourageant d'une part et de décourageant de l'autre... Je sais ce que vous dites, mais j'aimerais que vous alliez plus loin.

M. Christopher Moore: La façon de le faire, je suppose, c'est d'aborder avec le Bureau de la concurrence la question concernant ses critères au sujet de ce qui constitue une domination du marché. À l'heure actuelle, on ne croit pas... ou tout au moins la décision du Bureau l'été dernier a été que Chapters n'exerçait pas une domination du marché qui puisse motiver son intervention. Si le Bureau incluait un plus grand rôle culturel dans ce qui constitue une domination et le préjudice, il y aurait peut-être quelque chose à faire.

Le président: Brièvement, madame Dickens.

Mme Penny Dickens: Le Bureau de la concurrence parle de mettre fin aux nouvelles initiatives. Si vous avez une composante culturelle dans les critères du Bureau de la concurrence, la diversité introduite sur le marché serait... Et s'il n'y a pas de nouveaux intervenants, on réduit l'initiative et je pense qu'il faut une composante culturelle parce que ce n'est pas un marché de «machins», c'est essentiel au pays.

Le président: Monsieur Bonwick.

M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je vais poser mes brèves questions aux représentantes de la Canadian Library Association. Jusqu'à présent, la discussion ou le débat a porté, jusqu'à un certain point, sur l'aspect philosophique de la mondialisation et le marché libre. Mme Ridout et, peut-être moins, M. Moore, ont fait valoir leur vision, pas de façon détaillée, mais ils ont fait valoir leurs préoccupations sur ce que j'appellerais la domination du marché et l'égalité des chances.

Malheureusement je suppose, le débat porte sur la question de savoir quelle est la participation du gouvernement dans une société de marché libre? En affaires, il y a très peu d'égalité de chances à cause de la nature de la concurrence. On a tendance à en offrir de plus en plus pour retenir l'attention du consommateur, mais il existe un débat philosophique incroyable et il est difficile de ne consacrer que 5 minutes à cet aspect dans vos réponses aux questions. J'ai beaucoup de sympathie pour vous à cet égard.

Monsieur Moore, très brièvement, je vais commencer par les représentantes des bibliothèques, mais je vais vous laisser sur cette idée et s'il reste du temps à la fin, vous pourrez me répondre. Vous avez utilisé une citation ou un pourcentage et cela m'inquiète toujours lorsque l'on cite un pourcentage en exemple. Vous avez déclaré qu'environ 80 p. 100 de vos auteurs sont publiés par des éditeurs canadiens. Cela porte à confusion et j'aimerais des précisions, car si 80 p. 100 de vos auteurs ne produisent que 20 p. 100 des livres au Canada et que les 20 autres pour cent des auteurs produisent 80 p. 100 des livres au Canada et font appel à des éditeurs étrangers, alors les résultats sont faussés et l'exemple perd sa pertinence. Donc, si vous le voulez bien, vous pourriez réfléchir à ces données et me répondre.

Du point de vue des bibliothèques, vous demandez que le gouvernement fédéral travaille, en collaboration plus étroite peut-être, avec ses homologues provinciaux pour aider les bibliothèques. D'après certaines données qu'on m'a fournies ces derniers temps, les provinces au Canada et, plus particulièrement, certaines provinces comme l'Ontario et la Colombie-Britannique ont le plus faible taux de financement, par habitant, par étudiant, ou par utilisateur par zone d'implantation en Amérique du Nord. J'aimerais que vous m'en fassiez la démonstration. Vous avez également peut-être des exemples précis sur la façon dont nous pourrions travailler avec nos homologues provinciaux pour augmenter ce financement.

Ma deuxième question, toujours aux représentantes des bibliothèques vient du fait que si je comprends bien, les bibliothèques reçoivent environ la moitié de la TPS versée à l'achat de livres pour leur inventaire. Pouvez-vous me le confirmer? Deuxièmement, est-ce que vous pensez que cela aurait une importance marquée si ces achats étaient complètement exemptés de la TPS?

• 1240

Mme Vicki Whitmell: En ce qui concerne la première question sur les bibliothèques scolaires, il est très difficile d'avoir des chiffres. Comme l'a souligné M. Cabral, il y a diverses données sur le financement des bibliothèques et sur l'ensemble des bibliothèques au Canada et donc je ne peux pas confirmer les chiffres. Je présume que vous parlez des bibliothèques scolaires dans cette situation.

M. Paul Bonwick: Les chiffres sont disponibles. Je ne savais pas au juste si vous les aviez ou non.

Mme Vicki Whitmell: Les réductions de financement ont certainement été considérables pour les bibliothèques scolaires ces dernières années suite aux décisions des gouvernements provinciaux, et ces réductions ont certainement un impact important sur la qualité du réseau des bibliothèques scolaires. Ces réductions ont une incidence sur l'éducation que reçoivent nos étudiants. C'est évidemment plus apparent dans certaines provinces que dans d'autres. Je ne peux pas démontrer les chiffres que vous avez sur la Colombie-Britannique et l'Ontario.

Le problème découle en partie, je pense, de l'importance des bibliothèques scolaires. Je pense que le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle important à ce niveau puisque les décisions sont souvent déterminées par les sous plutôt que par la qualité et l'importance de l'information à laquelle l'étudiant a accès et l'incidence de cette information sur les études et l'éducation futures—et la possibilité pour notre société de former une population instruite.

Très souvent, et je le signale dans notre mémoire, on décide que, comme tout sera sur l'Internet, nous pouvons nous débarrasser de nos collections de livres. C'est une chose qui arrive très souvent. Une fois qu'une bibliothèque scolaire ou commerciale a pris une décision de ce genre, c'est très difficile de recommencer à zéro parce qu'on n'arrive plus à tenir les collections à jour et qu'elles n'ont plus la qualité voulue. Il faut donc tout recommencer, ce qui comporte de grosses mises de fonds.

Il y a aussi la question du personnel. Si l'on réduit la collection des imprimés... Dans certains cas, on a décidé de retirer les enseignants-bibliothécaires de la bibliothèque pour les affecter à des classes. C'est vraiment une perte pour les élèves. Ils devront aller à la bibliothèque publique pour obtenir l'information dont ils ont besoin.

Comme Mme David l'a dit, les bibliothèques font un excellent travail pour conseiller les gens. Elles contiennent énormément d'informations. On a déjà parlé de toute l'information qui vient maintenant de l'Internet, de la technologie de l'information et du commerce électronique. Comment peut-on évaluer le type d'information qu'on reçoit? Est-ce la bonne sorte d'information? D'où vient-elle? Est-elle valable?

M. Paul Bonwick: Je ne veux pas minimiser l'importance des décisions provinciales relativement aux bibliothèques, mais c'est un peu comme si vous me décriviez les questions d'intérêt municipal. Ces choses relèvent des provinces. C'est ce que j'essaie de préciser.

Vous avez dit que les gouvernements fédéral et provinciaux ont un rôle à jouer et vous pourriez peut-être nous donner quelques exemples des façons dont nous pourrions collaborer avec les gouvernements provinciaux pour accorder plus de priorité aux bibliothèques. Vous pourriez peut-être m'en donner des exemples. Ce n'est pas en me parlant des conséquences des compressions budgétaires des provinces... Je ne peux pas dire aux provinces d'augmenter le financement aux bibliothèques.

Mme Leacy O'Callaghan-O'Brien: Je pourrais peut-être ajouter une chose. Si nous voulons trouver un modèle, nous pourrions examiner une initiative de développement des bibliothèques entreprise par le gouvernement fédéral pour brancher les Canadiens. On pourrait peut-être examiner certains modèles de partenariat fédéraux-provinciaux d'Industrie Canada pour la distribution de produits culturels aux bibliothèques du pays. Nous sommes tout à fait disposés à effectuer des recherches et à mettre des modèles au point.

M. Paul Bonwick: Merci.

Le président: Vouliez-vous aussi poser une question à M. Moore?

M. Paul Bonwick: J'aurais voulu d'autres détails au sujet du chiffre ou pourcentage qu'il a cité.

M. Christopher Moore: N'importe qui peut ouvrir une maison d'édition au Canada. Depuis 30 ou 40 ans, les maisons d'édition qui ont lancé, découvert, publié et popularisé les auteurs canadiens ont été des maisons appartenant à des Canadiens.

Le succès de ces maisons d'édition a incité des maisons étrangères à établir des filiales au Canada. Ces maisons d'édition emploient maintenant des éditeurs et d'autres personnes au Canada et recrutent aussi des auteurs canadiens qu'ils publient au Canada. Donc...

M. Paul Bonwick: Ce n'était pas ma question.

• 1245

M. Christopher Moore: Excusez-moi. Pourriez-vous la répéter?

M. Paul Bonwick: Vous avez dit que 80 p. 100 des auteurs canadiens font affaire avec une maison d'édition canadienne. Ce que je voulais savoir, c'est quel pourcentage de ces 80 p. 100 représente le volume total de la publication des auteurs canadiens? Ce pourrait être 80 p. 100 des auteurs qui produisent seulement 20 p. 100 du travail et, à ce moment-là, le chiffre ne veut pas dire grand-chose pour notre comité.

M. Christopher Moore: Je vois ce que vous voulez dire. Je n'ai pas le chiffre ici. Cependant, les maisons d'édition canadiennes continuent à publier Margaret Atwood, Michael Ondaatje, l'auteur pour enfants Robert Munsch, et ainsi de suite.

M. Paul Bonwick: Je comprends si vous me donnez des exemples précis. Je voulais savoir...

M. Christopher Moore: Alistair MacLeod, un auteur de romans sérieux, a publié l'automne dernier un roman intitulé No Great Mischief. Je pense qu'il s'est vendu 30 000 ou 40 000 exemplaires au Canada. Ce roman a été traduit en allemand, en français et en gaélique et tiré à je ne sais combien d'exemplaires. Une maison d'édition appartenant à des Canadiens a travaillé avec cet auteur pendant bien des années et peut maintenant en cueillir les fruits.

La plupart des auteurs canadiens se font encore publier par des maisons d'édition canadiennes. Cela comprend les auteurs bien connus autant que ceux qui le sont moins.

Pour ce qui est de savoir le nombre exact de livres vendus, l'Association of Canadian Publishers qui représente les maisons d'édition appartenant à des Canadiens, et le Canadian Book Publishers Council, qui représente de façon générale les maisons appartenant à des étrangers, ne s'entendent pas exactement sur le volume des ventes de chaque catégorie et je ne tiens pas vraiment à me mêler de cette controverse.

Je pense qu'on a toujours considéré sur le plan de la politique culturelle que c'est une bonne chose d'avoir une industrie de l'édition appartenant à des Canadiens en plus de l'industrie étrangère pour que nous ne soyons pas entièrement à la merci des filiales qui, dans le passé, n'ont pas tellement contribué à l'essor des auteurs canadiens, mais se sont limités à vendre au Canada des produits étrangers.

M. Paul Bonwick: Merci.

Le président: Avant de terminer, monsieur Moore, je voudrais vous poser une question au sujet de votre exemple que M. Bélanger a relevé, soit de l'auteure qui a vendu 10 000 livres et reçu des droits d'auteur pour l'équivalent de 1 000.

D'après vous, cet exemple frappant représente-t-il une façon quelconque de contourner les lois sur les droits d'auteur? Selon vous, cela représente-t-il une façon coercitive de contourner les lois sur les droits d'auteur qui ne laissent pas la possibilité à l'auteur de faire autre chose?

M. Christopher Moore: Non, je ne le pense pas. Cela représente l'application de ce qui était auparavant une clause morte traditionnelle à la fin d'un contrat de publication à une nouvelle réalité sur le marché. Certaines maisons d'édition en profitent à l'heure actuelle. Je pense que c'est vraiment un problème qui concerne les auteurs et leurs maisons d'édition. Chapters/Pegasus, qui peut exiger des rabais très importants des maisons d'édition, a certainement aidé à causer le problème, mais cela dépend de la façon dont on applique les contrats à mauvais escient. Cependant, ces contrats existent et je pense qu'il faudrait cesser d'utiliser de telles clauses. Les maisons d'édition devraient s'engager à ne plus utiliser ces clauses parce que les rabais sont maintenant chose courante plutôt que le contraire.

Le président: Avez-vous une question ou une observation, monsieur Bélanger?

M. Mauril Bélanger: Je voudrais poursuivre un peu dans la même veine. J'ai demandé à M. Moore s'il avait identifié la maison d'édition et l'auteur dans le document que nous allons recevoir et la réponse est non.

Vous vous rappellerez, monsieur le président, que, lors de la dernière réunion, nous avions dit ou j'avais dit moi-même que, si les maisons d'édition et les auteurs ne pouvaient pas nous donner des exemples qui peuvent être ou qui sont documentés, notre comité pourrait ne pas pouvoir aller plus loin.

Ce matin encore, Mme Ridout a fait quelques allégations d'ordre général. J'incite nos témoins à nous fournir des détails précis. Sinon, nous ne pourrons pas formuler de recommandations. Si tout ce qu'on nous dit sont des généralités ou des allégations... On nous a cité quelque cas précis jusqu'ici, mais certainement pas assez d'après moi.

Je voudrais poser une autre question. La plupart des gens ont vu des livres cartonnés se vendre 3,99 $ ou 4,99 $ dans les librairies. L'endroit où je l'ai vu le plus souvent est sans doute Smithbooks, qui fait partie de la chaîne Chapters. Qu'arrive-t-il aux droits d'auteur quand on vend des livres à un tel prix, qui représente plus que 50 p. 100 de rabais?

• 1250

M. Christopher Moore: D'habitude, s'il existe un marché pour 10 000 exemplaires d'un livre donné et que la maison d'édition en imprime 15 000, 5 000 iront au rebut. Que ces livres soient renvoyés à l'imprimerie pour être transformés en pulpe ou qu'on les vende pour quelques cents au détail, on considère que ce sont des livres excédentaires, que le marché est épuisé et qu'on fait mieux de s'en débarrasser. D'habitude, les auteurs ne reçoivent rien pour ces exemplaires. Essentiellement, ils sont invendables au prix de détail et sont donc vendus pour quelques dollars au lieu d'être transformés en pulpe. C'est la même chose dans l'industrie des périodiques. Une fois qu'ils sont invendables, on les met à la poubelle.

M. Mauril Bélanger: Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Je tiens à vous exprimer une reconnaissance bien spéciale. Je sais que vous étiez venus la semaine dernière et que vous n'avez pas pu témoigner à cause de ce qui s'est passé à la Chambre des communes à ce moment-là. Je sais que cela vous a bien incommodés. Qui plus est, nous avons changé de greffier parce que notre greffier précédent est malade. À cause de la transition, on a attendu quelques jours avant de vous aviser que vous étiez invités à témoigner aujourd'hui. Je vous suis très reconnaissant.

[Français]

Merci de votre compréhension et merci aussi de vous être déplacés deux fois. Je sais que c'est très gênant. Je l'apprécie beaucoup et je pense que les membres du comité l'apprécient aussi.

[Traduction]

La séance a été vraiment très intéressante et instructive pour nous tous.

[Français]

Je voudrais tous vous remercier du fond du coeur.

[Traduction]

Merci beaucoup au nom du comité. Merci.

La séance est levée.