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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 18 mai 2000

• 0935

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Merci beaucoup, chers collègues. La séance est ouverte. Nous sommes heureux d'accueillir le ministre, M. Martin, qui va nous parler du G-20.

Monsieur le ministre, vous vous souviendrez que notre comité a rédigé il y a quelques années un rapport sur les institutions financières internationales en préliminaire au Sommet du G-7 à Halifax. Nous avons récemment parcouru le pays pour préparer à l'intention du gouvernement un rapport sur l'Organisation mondiale du commerce et la position que le Canada devrait adopter à cet égard, en prévision de la réunion qui s'est déroulée dernièrement à Seattle. Il y a quelques années, nous nous étions penchés sur la question de l'AMI et les négociations qui l'entouraient, ici même à notre comité.

Les membres du comité sont donc bien conscients du malaise qu'éprouvent de nombreux Canadiens face au rythme de la mondialisation, si l'on peut utiliser cette terrible expression, face à la façon dont nous nous intégrons dans le monde, car ils ont le sentiment que nous n'avons plus le même contrôle sur notre avenir et notre destin qu'auparavant.

Nous estimons que le rôle que vous occupez en tant que dirigeant du G-20 va nous permettre de récupérer un peu de cela, de récupérer un peu de ce contrôle. Nous savons que vous avez été à la tête du mouvement de création du G-20 en complément du G-7. C'est donc avec le plus grand intérêt que nous allons vous écouter.

Merci encore une fois d'être venu nous rencontrer.

Je vais vous laisser la parole. Je pense que vous allez parler pendant 15 ou 20 minutes, et ensuite nous passerons à des séries de questions de cinq minutes de manière à permettre au plus grand nombre possible de membres du comité de vous poser des questions. Nous allons peut-être essayer de vous faire rester quelques minutes de plus après notre pause technique d'une heure. Merci encore une fois d'être venu vous entretenir avec nous.

L'hon. Paul Martin (ministre des Finances, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. Permettez-moi tout d'abord de vous remercier personnellement, ainsi que tous les autres membres du Comité des affaires étrangères, de cette occasion qui m'est offerte de vous parler des défis soulevés par la mondialisation en général et, comme vous venez de le mentionner, du rôle du Groupe des Vingt, le G-20, en particulier.

Le G-20 réunit les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales de tout un éventail de pays représentant environ 87 p. 100 du produit intérieur brut mondial et environ 65 p. 100 de la population de la planète. Il a pour mandat d'examiner pratiquement toutes les facettes des finances internationales, y compris les effets dévastateurs des crises financières, l'écart de plus en plus prononcé entre les riches et les pauvres et un système de régie—et j'insiste bien là-dessus—qui n'a pas su évoluer au rythme des bouleversements profonds que connaît l'économie mondiale.

Monsieur le président, comme vous venez de le dire, ce n'est pas la première fois que votre comité se penche sur la question de la mondialisation, et ce n'est pas la première fois que le monde est confronté à ce phénomène. Cela dit, le processus auquel nous assistons est très différent de la mondialisation de la fin du XIXe siècle, par exemple—très différent, à mon avis, en raison de deux aspects exceptionnels.

Premièrement, l'innovation technologique n'a jamais atteint une telle ampleur dans toute l'histoire de l'humanité. Elle agit sur l'assise même de l'économie mondiale.

Deuxièmement, avec la fin du communisme et de la guerre froide, un vaste consensus semble s'être dégagé sur le fait que le meilleur moyen de prospérer consiste à canaliser l'énorme potentiel des marchés privés, de façon à rehausser le niveau de vie de tous. Ces deux éléments, la progression vertigineuse de la technologie d'un côté, et le triomphe de l'économie de libre marché, sont les éléments fondamentaux de la mondialisation moderne, qui pourra se traduire par des avantages énormes. D'ailleurs, certains de ces avantages se matérialisent déjà.

Voilà pour la bonne nouvelle.

Il y a cependant un revers à cette médaille, car les nouvelles ouvertures créées par la mondialisation ont été accompagnées par de nouveaux défis. Les travailleurs, les travailleuses et les entreprises du Canada et d'ailleurs ont dû faire de grands efforts d'adaptation à la suite de l'intensification de la concurrence entraînée par la mondialisation. Il en a beaucoup, surtout dans les pays les plus pauvres, qui n'ont pas profité de toutes les retombées positives de la mondialisation.

Ne possédant pas le savoir-faire nécessaire pour rivaliser au sein de l'économie moderne, et faisant face à de graves problèmes comme les maladies endémiques et la dégradation massive de l'environnement, les personnes les plus pauvres de la planète sont de plus en plus marginalisées. L'écart entre les riches et les pauvres se creuse donc de plus en plus, situation absolument impossible à défendre sur le plan moral, et qui pourrait devenir explosive.

Les gouvernements souverains, agissant seuls, peuvent relever certains de ces défis dans leurs pays. Mais la mondialisation soulève également des questions nouvelles et difficiles qu'aucun gouvernement ne peut résoudre seul. Tout cela signifie que, si nous voulons relever les défis de la mondialisation, nous devons choisir des solutions qui s'inscrivent dans une perspective de coopération. C'est ce besoin d'une coopération internationale plus étroite et plus efficace qui donne à la réforme des institutions financières internationales un tel caractère d'urgence.

• 0940

[Français]

Monsieur le président, il y a une raison qui explique pourquoi la plupart des institutions financières internationales ont été créées à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors que les décideurs politiques avaient encore frais à la mémoire le souvenir de la crise de 1929 et les années de dépression qui ont suivi.

Ces décideurs savaient que la crise avait pris des proportions démesurées du fait que les gouvernements avaient choisi de tourner le dos à l'intégration mondiale en érigeant des barrières au commerce global. L'absence de coopération internationale a rendu la situation encore plus désespérée.

C'est justement pour cette raison que les grandes puissances, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ont établi le type d'institutions nécessaires pour permettre aux pays d'opter de nouveau avec confiance pour l'intégration mondiale et les avantages qui s'y rattachent.

Le point charnière a été la conférence de Bretton Woods, en 1944, qui a créé la FMI et la Banque mondiale.

[Traduction]

Monsieur le président, l'une des raisons pour lesquelles les institutions issues des accords de Bretton Woods ont été si efficaces depuis 1944 et qu'elles ne sont pas demeurées statiques. Ainsi, le FMI, conçu au départ pour soutenir un régime de change fixe, a su s'adapter afin d'aider les pays ayant des taux de change flottants. Quant à la Banque mondiale, elle a été établie pour financer la reconstruction de l'Europe après la guerre, mais une fois cette tâche accomplie, elle a décidé de promouvoir le développement des pays les plus pauvres de la planète.

Aujourd'hui, à la lumière des défis posés par la mondialisation, la faculté de souplesse et d'adaptation est plus importante qu'elle ne l'a jamais été. À problèmes nouveaux, solutions nouvelles, et les institutions internationales doivent évoluer au rythme de l'économie mondiale et de ses usages.

J'aimerais maintenant vous parler plus particulièrement, monsieur le président, d'un des défis que doit relever le FMI, pour vous donner un exemple de la tâche qui se présente à nous.

Comme vous le savez, l'un des changements les plus importants de l'économie mondiale est l'énorme croissance des flux de capitaux internationaux au cours des dix dernières années. Autrefois, seuls les emprunteurs situés dans les pays riches pouvaient faire appel aux marchés internationaux. Aujourd'hui, les emprunteurs tant publics que privés de nombreux pays, les pays dit émergents, peuvent le faire aussi.

L'intégration aux marchés internationaux des capitaux, de même que les autres aspects de la mondialisation, sont tout compte fait une bonne chose, puisque les pays en développement ont accès au capital dont ils ont besoin pour financer l'investissement et la croissance. Par contre, il est clair que le fonctionnement des marchés financiers internationaux présente des carences.

Des crises financières graves surviennent avec une régularité déconcertante, des crises de plus en plus fréquentes, de plus en plus virulentes et plus contagieuses que dans le passé. On a constaté que ces crises pouvaient perturber le système financier international tout entier. Quiconque n'est pas convaincu de la gravité de ce risque n'a qu'à regarder la situation en Asie du Sud-Est.

Des millions de personnes ont vu s'estomper, en un instant, les gains obtenus au fil de longues années au chapitre de niveau de vie, et l'existence même des nouvelles classes moyennes a été mise en péril. Ce sont manifestement les marchés financiers qui sont à la source de ces crises, c'est-à-dire les fluctuations de la confiance des investisseurs et des flux massifs des capitaux transfrontaliers.

Monsieur le président, depuis plus de 50 ans, nous comptons sur le FMI pour stabiliser le système international et aider les pays à traverser les crises. Cependant, lors de la création du FMI, les crises prenaient leur source dans la balance commerciale des pays, non dans les marchés internationaux des capitaux. Ces crises ont provoqué généralement une baisse marquée des exportations et une hausse brutale des importations, ce qui avait pour résultat un déficit insoutenable de la balance des paiements.

Les outils utilisés pour réagir à une telle crise consistaient à accorder des prêts d'un montant relativement modeste au pays concerné pour l'aider à surmonter cette crise, à la condition que ce pays adopte des politiques économiques d'austérité s'attaquant aux causes qui avaient conduit au problème de la balance des paiements.

Or, les crises financières modernes sont différentes. Elles ont lieu lorsque des capitaux très importants sont retirés d'un pays; le déficit de la balance des paiements peut alors être beaucoup plus élevé que ce à quoi on pouvait s'attendre à l'époque où le FMI a été mis sur pied.

Le problème est que les outils dont dispose le FMI, pour composer avec l'expansion très forte des flux de capitaux privés et la gravité croissante des crises internationales qui en résulte, n'ont pas changé. Le FMI a donc dû faire face à ces crises au moyen des outils existants. Il a fourni une aide financière beaucoup plus importante aux pays touchés par les crises et a dû exiger que leurs gouvernements prennent des mesures d'austérité qui s'avéraient plus coûteuses. Cela a eu pour conséquence une détérioration marquée du niveau de vie dans les pays touchés, et ce phénomène a bien entendu soulevé un tollé à l'endroit du Fonds. Certains sont même allés jusqu'à demander son abolition.

• 0945

Je peux vous assurer, monsieur le président, qu'en se débarrassant du FMI, on ne réglerait rien. Il faut plutôt améliorer ses modes de fonctionnement afin qu'il soit plus à même de s'acquitter de son mandat, c'est-à-dire d'aider les pays et leur population à traverser les crises.

À cette fin, nous devons doter le Fonds des outils requis pour faire face aux crises entraînées par des revirements soudains des flux de capitaux privés. D'un côté, les investissements privés ont été le vecteur central du développement mondial, et il semble bien que cela demeurera le cas dans un avenir prévisible. D'un autre côté, le monde ne peut tout simplement tolérer que les marchés des capitaux internationaux continuent d'être une source de crises financières graves se propageant d'un pays à un autre. En bref, nous avons besoin de marchés internationaux des capitaux qui fonctionnent bien.

La solution à ce problème ne passe pas forcément par l'imposition d'un lourd fardeau réglementaire. Les investisseurs privés doivent avoir toute liberté de décider à quel endroit et dans quel secteur ils veulent investir au niveau international, aussi bien que national. Toutefois, le fait de laisser les investisseurs privés maîtres de leurs décisions d'investissement ne signifie pas que nous renonçons à la responsabilité que nous avons, à titre de gouvernement, de garantir la stabilité du système dans lequel s'inscrivent leurs décisions.

Monsieur le président, le hockey est un sport merveilleux. Le rythme est rapide, les joueurs sont libres de leurs mouvements et, parfois, les risques sont élevés. Ce sont les joueurs qui jouent la partie, non les arbitres. Néanmoins, sans règles du jeu et sans arbitres, le hockey ne serait pas ce qu'il est. Le rythme, l'enjeu et le risque seraient élevés, ainsi que le degré d'anarchie. Et malheureusement, c'est exactement à cela que ressemble trop souvent le système financier international, sans arbitres.

[Français]

Le fait est, monsieur le président, que les États et les institutions internationales ont un rôle important à jouer en vue d'établir des règles du jeu qui soient prévisibles, équitables et bien comprises de tous, et de les faire respecter. Ces règles englobent la réglementation des banques et des titres, des normes comptables uniformes, des modes de règles d'entreprises éprouvées et des normes transparentes en matière de données économiques, tout cela afin que les investisseurs puissent évaluer de façon rationnelle les risques auxquels ils s'exposent dans un pays donné.

Il est notamment urgent de faire des progrès au chapitre du régime des faillites de façon à limiter les effets que peuvent exercer sur l'économie les difficultés financières des emprunteurs. Le but n'est pas de dégager les emprunteurs de leur obligation, mais de limiter les répercussions économiques et sociales associées à la fuite des capitaux.

Le comité international a reconnu l'importance de fixer des règles financières en d'autres domaines. Cependant, nous n'avons pas fait de progrès comparable au chapitre d'un régime international applicable aux faillites, un régime qui accorderait aux pays en difficulté la protection que nous accordons aux débiteurs dans nos pays.

Sur cette question, il faut accélérer nos efforts. Nous devons mettre en place des mécanismes permettant d'arrêter de façon temporaire les sorties massives de capitaux, qui sont souvent au coeur des crises financières modernes.

[Traduction]

C'est pourquoi certains ont lancé l'idée d'un tribunal international des faillites. Toutefois, même si cette notion est intéressante, il est peu probable qu'elle devienne une réalité à court terme. On peut s'en réjouir d'ailleurs, car un tel tribunal serait superflu.

Le but fondamental d'un tribunal de la faillite, sur le plan économique, c'est d'offrir une instance qui permette aux débiteurs et aux créanciers de régler leurs problèmes de façon coopérative. Le Canada a récemment proposé deux idées pour atteindre ce but au niveau international. Il s'agit tout d'abord d'une clause d'action collective, et d'autre part d'une clause d'arrêt.

Une clause d'action collective, dans un contrat d'emprunt obligataire, stipule simplement que les créanciers obligataires, qui se comptent souvent par milliers, doivent nommer un représentant unique pour négocier en leur nom avec le débiteur si celui-ci a des problèmes de paiement. De toute évidence, cela faciliterait considérablement la négociation et la coopération.

La deuxième mesure est une clause d'arrêt. Elle suspendrait temporairement le remboursement d'une dette et donnerait au débiteur le temps de négocier avec ses créanciers et de trouver une solution à ses problèmes fondamentaux.

• 0950

Il y a plusieurs moyens de réaliser cela. L'une des solutions consisterait à permettre le report d'une dette moyennant une pénalité, ce que l'on appelle un UDROP en jargon. Une deuxième possibilité serait une clause d'arrêt d'urgence qui, dans les contrats internationaux d'emprunt, donnerait au débiteur le droit de suspendre ses paiements pour une durée déterminée en cas d'urgence financière. Une autre version de cette intervention consisterait pour le FMI à avaliser la décision souveraine d'un pays de suspendre ses paiements pendant un certain temps. L'important ici est que l'aval du FMI permettrait d'éviter que la contagion financière ne se propage à d'autres pays.

Monsieur le président, la réforme des institutions financières internationales et la mise en place d'un cadre judicieux applicable au flux de capitaux privés feront en sorte que le système financier et économique international puisse améliorer la vie des gens sans mettre en péril leur sécurité économique.

Cela dit, la responsabilité en incombe essentiellement, et à juste titre, aux gouvernements nationaux. Les gouvernements sont comptables envers leur population, contrairement aux institutions internationales et au secteur privé. Le FMI peut recommander des politiques, mais ce sont les parlements nationaux qui détiennent le pouvoir souverain d'instaurer ces politiques et qui doivent rendre des comptes à la population.

Au cours des deux dernières années, les gouvernements, afin de concilier des impératifs parfois opposés de coopération et de reddition de comptes, ont créé deux institutions virtuelles, c'est-à-dire des institutions dont l'existence ne se manifeste pas sous la forme d'un immeuble bien concert où s'activent des bureaucrates internationaux, mais plutôt sous celle d'un réseau de capital national.

La première de ces institutions, c'est le Forum sur la stabilité financière, qui a été créé par le G-7 en 1999. Il réunit les ministres des Finances, les gouverneurs de banques centrales et les responsables de la surveillance du secteur financier. Son objectif est de renforcer les systèmes financiers dans les pays industrialisés et dans les économies de marché émergentes. Cette tâche revêt une importance cruciale, comme nous venons de le dire, car trop souvent, les institutions financières mal gérées et mal surveillées ont donné naissance à des crises financières. D'ailleurs, lorsqu'on examine les racines d'une crise financière, le mot d'ordre pourrait être «chercher la banque». C'est censé être de l'humour au ministère des Finances, monsieur le président.

Le président: Je suis heureux d'apprendre que l'humour existe à ce ministère, monsieur le ministre. C'est un soulagement pour nous tous.

M. Paul Martin: Le Forum sur la stabilité financière a déjà étudié en détail cinq aspects cruciaux de la stabilité financière internationale. Il s'agit des flux de capitaux, des centres financiers extraterritoriaux, des fonds de couverture, des normes qui sous-tendent les règles financières et de l'assurance- dépôts. Soit dit en passant, c'est John Palmer, surintendant des institutions financières du Canada, qui a dirigé l'examen portant sur les centres financiers extraterritoriaux. Un autre Canadien, J.-P. Sabourin, a présidé le groupe de travail qui s'est penché sur l'assurance-dépôts, qui est son domaine d'activité au Canada.

La deuxième de ces institutions virtuelles, comme vous l'avez dit dans votre introduction, c'est le G-20. C'est une étape importante sur la voie de la régie économique mondiale. L'expérience acquise dans le cadre des programmes de développement international a démontré que, peu importe la pureté de leurs intentions, ces programmes seront souvent voués à l'échec, à moins que les pays concernés n'aient un sentiment d'engagement à l'égard de leur propre développement. Cela vaut également pour la réforme de l'architecture financière internationale. Les pratiques exemplaires ne seront pas mises en oeuvre et les normes et codes ne seront pas observés si les pays devant les adopter n'ont pas leur mot à dire dans le cadre de leur élaboration.

C'est pourquoi le G-20 est si important. À bien des égards, il s'inspire du modèle du G-7. Ce dernier n'a pas de secrétariat ni de règles officielles. Pourtant, la plupart des gens conviendront que cette institution virtuelle, quoique mal aimée parfois, a été hautement efficace. De même que le G-7, le G-20 constitue une tribune informelle, où le dialogue se déroule directement et est axé sur les besoins au chapitre du capital, non sur les organisations internationales. Les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des grands pays industrialisés et des économies de marché émergentes peuvent convenir d'un programme conjoint, puis, ce qui est le plus important, le mettre en oeuvre.

La première réunion du G-20 s'est déroulée en décembre dernier à Berlin. La prochaine aura lieu à Montréal en octobre. Le groupe s'est entendu sur le fait que sa première tâche devait être de déterminer les points vulnérables au plan financier et de trouver des solutions.

• 0955

D'importants travaux se sont déroulés en vue de remplir ce mandat, et des progrès concrets ont été réalisés. Par exemple, chaque pays membre du G-20 a accepté de demander à la Banque mondiale et au FMI d'évaluer comment ses règles financières se comparent aux normes internationales et comment elles peuvent être améliorées. Il s'agit d'un jalon important en vue d'établir des principes de régie mondiale généralement reconnus.

Afin de lancer le mouvement, le Canada a été parmi les premiers pays à faire l'objet de cette évaluation, en ce qui concerne la réglementation de ses institutions financières. Cette tâche étant déjà bien entamée, le Canada estime que le temps est venu pour le G-20 de s'attaquer aux problèmes de portée plus générale associés à la mondialisation, et de trouver des moyens de les résoudre. Les consultations auprès de la société civile doivent être l'un des principaux points à aborder.

Dès mon entrée sur la scène politique, j'ai compris que le dialogue avec les organisations non gouvernementales et les autres membres de la société civile pouvait être extrêmement fructueux. D'ailleurs, ce processus de dialogue et de consultation devrait être encore élargi et j'entends, en ma qualité de président du G- 20, recommander que des mesures soient adoptées en ce sens.

[Français]

En terminant, monsieur le président, j'aimerais vous parler brièvement de l'importance pour les Canadiens des questions financières internationales dont nous avons parlé.

D'abord, les Canadiennes et les Canadiens ont toujours fait preuve d'une grande compassion envers les plus pauvres de la planète, mais les souffrances des pays pauvres ne se limitent pas à l'insuffisance du revenu. Elles se traduisent aussi par une plus grande vulnérabilité et des événements externes qui peuvent exercer des effets dévastateurs sur l'existence déjà précaire des gens. C'est pour cela qu'une économie mondiale qui fonctionne bien est partie intégrante de nos initiatives de réduction de la pauvreté.

J'ajouterai qu'une économie mondiale efficace a une influence directe sur la prospérité des Canadiens et des Canadiennes. Il est certain que, protégés au sein de l'Amérique du Nord, nous avons parfois le sentiment d'être à l'abri des catastrophes économiques survenant à l'étranger, mais vous savez comme moi que ce n'est pas le cas.

D'abord, même si plus des quatre cinquièmes de nos exportations sont destinées aux États-Unis, le prix des biens que nous exportons est fonction des conditions économiques internationales. Quiconque est actif dans le domaine de la foresterie, des mines ou de l'agriculture pourra vous parler de l'impact de la crise asiatique sur le bien-être économique des Canadiens et des Canadiennes.

Il est faux de dire que le Canada est à l'abri des événements se déroulant à l'étranger. À l'automne de 1998, l'incapacité de la Russie de rembourser sa dette a donné lieu à une fuite de capitaux vers les prétendues zones sûres, en particulier les États-Unis. Du coup, les frais d'emprunt ont grimpé partout ailleurs dans le monde, y compris au Canada, et quiconque voulait renouveler une hypothèque ou utiliser une marge de crédit pour lancer une entreprise a ressenti les répercussions directes et immédiates de ce phénomène.

[Traduction]

Les crises financières internationales ont des conséquences humaines bien réelles. La chute du cours des produits de base signifie qu'un éleveur de porcs du Manitoba peut voir s'envoler le labeur de toute une vie; une secrétaire de Montréal ne pourra obtenir un emprunt hypothécaire en raison de la hausse des taux d'intérêt.

Les questions financières internationales sont complexes, mais elles sont bien concrètes. La stabilité du système financier international a des effets directs sur le revenu de tous les citoyens. Il y a une autre raison pour laquelle ces questions sont importantes pour le Canada. Il y a en effet un rapport étroit et constant entre la sécurité et la prospérité, de sorte que si les Canadiens tiennent à vivre dans un monde enfin débarrassé de conflits armés, ce qui est assurément le cas, nous devons nous assurer que les assises financières de la prospérité internationale ont été mises en place.

En outre, la question de la sécurité dans l'économie mondiale ne se cantonne pas à une limitation des conflits armés. Prenons le problème des maladies tropicales. Il y a une génération à peine, cette question aurait eu une connotation strictement humanitaire; il est peu probable que cela aurait eu des répercussions sur notre vie de tous les jours au Canada. Or, cela n'est plus vrai. Il suffit de regarder la prolifération du sida pour voir une tout autre dimension du concept d'intégration mondiale.

Enfin, j'aimerais souligner que le Canada est universellement respecté pour son honnêteté et son intégrité. Le Canada représente un pont naturel entre les grandes économies mondiales et les marchés émergents d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique. Autrement dit, le Canada a la capacité d'orienter les efforts déployés afin de créer un monde meilleur, d'améliorer le système financier international et de faire en sorte que ce dernier soit non une menace mais bien une source de possibilités à saisir. Mais, chose plus importante encore, nous avons la responsabilité de faire en sorte qu'il en soit ainsi.

• 1000

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Je déduis de vos propos que vos antécédents de joueur de hockey à ST. Mike's font de vous le président tout désigné pour le G-20.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Êtes-vous à la fois joueur et arbitre?

Des voix: Oh, oh!

Le président: Chacun disposera si possible de cinq minutes.

Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Merci, monsieur le ministre, d'être venu nous offrir votre point de vue sur le G-20. Je tiens à vous féliciter de votre élection au poste de président du G-20.

J'ai deux questions. Dans votre allocution, vous avez parlé du FMI et de la Banque mondiale. Toutefois, vous n'ignorez pas que les organismes de crédit à l'exportation, comme la Société pour l'expansion des exportations du Canada, détiennent une plus grande partie de la dette des pays en développement que la Banque mondiale et le FMI réunis. Comme le FMI l'a signalé, depuis la crise mexicaine, à laquelle n'ont pas voulu toucher les banques commerciales, les OCE détiennent 56 p. 100 de la dette des pays du tiers monde.

La taille de la dette extérieure des pays pauvres fortement endettés, on le reconnaît aujourd'hui, est le principal obstacle à leur progrès socio-économique. Les populations les plus démunies du monde doivent au Canada, par l'intermédiaire de la SEE, environ 2,5 milliards de dollars. Il s'agit des 55 pays les plus pauvres au monde. Ils sont incapables de rembourser leur dette et la SEE est dans l'impossibilité de la recouvrer. La société a radié les dettes commerciales qu'elle ne peut recouvrer; or, vous et le ministre du Commerce international continuez d'accorder des prêts prélevés sur le compte du Canada.

Tenez-vous compte de l'endettement étranger avant d'accorder des emprunts tirés sur le compte du Canada aux pays du tiers monde, ce qui ne fait qu'alourdir leur endettement? La question ici porte sur les OCE. En tenez-vous compte?

Ma deuxième question, puisque j'ai le temps...

Le président: Plus vous prenez du temps pour poser la question, moins vous en aurez pour écouter la réponse.

M. Deepak Obhrai: Oui, mais j'aimerais poser celle-ci. C'est très important.

Nous signons des accords commerciaux avec plusieurs pays. Nous pratiquons le libre-échange avec le Costa Rica et le Chili et il est maintenant question d'en faire autant avec le Japon. Mais un des plus gros obstacles est la lourde fiscalité de nos entreprises, celles qui sont censées profiter du libre-échange. Si nos affaires ne sont pas en ordre et que cela empêche nos entreprises de profiter de la mondialisation à cause de notre lourde fiscalité, à quoi bon signer tous ces accords commerciaux et parler de la mondialisation?

M. Paul Martin: En ce qui concerne l'endettement du tiers monde en général, le Canada est effectivement un des leaders à réclamer la remise de la dette du tiers monde, à la fois bilatéralement, c'est-à-dire le Canada lui-même, et nous sommes largement en avance de la plupart des autres pays, et en ce qui concerne la dette aux institutions internationales, où le Canada a beaucoup insisté et a été un des leaders de l'initiative PPFE, qui, comme vous le savez, est la question de l'allégement de la dette des 41 pays pauvres fortement endettés.

En ce qui concerne la dette due à la SEE, encore une fois, le Canada réclame vigoureusement que tous les organismes de crédit internationaux, l'équivalent de la SEE à l'étranger, en fassent autant. Je peux vous dire que pour les pays les plus pauvres, les négociations pour y arriver avec la dette de la SEE sont en cours et que le Canada est en tête de file.

En ce qui concerne le libre-échange et la fiscalité de nos entreprises, votre argument est fondé. C'est pourquoi dans le dernier budget le Canada a instauré une réduction importante de l'impôt des sociétés, qui s'applique à deux genres d'entreprises.

• 1005

Premièrement, en ce qui concerne les grandes entreprises, nous avons déclaré que nous allions réduire le seuil d'imposition pour le faire passer de 28 p. 100 à 21 p. 100. Le résultat net, lorsque cette mesure sera combinée à celle des provinces, sera de donner au Canada une structure d'impôt des sociétés plus basse que la plupart de nos pays rivaux. Nous avons déclaré dans le budget que le processus, qui prendra cinq ans au plus, pourra s'accélérer considérablement et nous avons l'intention de le faire.

En ce qui concerne les entreprises plus petites, qui sont très importantes, pour bâtir les multinationales de demain, elles ont un taux d'impôt des sociétés qui est substantiellement plus bas que le taux d'impôt des sociétés de la plupart de nos concurrents, et dans le dernier budget nous avons déclaré que pour les revenus variant entre 200 000 $ et 300 000 $, nous allions réduire leur taux immédiatement.

En fait, l'argument en faveur d'une fiscalité compétitive est fondé et c'est pourquoi le gouvernement a pris ces mesures immédiates.

[Français]

Le président: Monsieur Tremblay.

M. Stéphan Tremblay (Lac-Saint-Jean, BQ): Monsieur le président, le ministre a déjà mentionné que l'économie de marché créait de la richesse, mais c'est un système qui, par sa nature même, crée un écart grandissant entre les riches et les pauvres, et la mondialisation accélère ce processus.

Le président du G-20 a également mentionné que les travaux du G-20 devaient transposer les bénéfices de la mondialisation en revenus plus élevés et en possibilités accrues pour les populations de partout, et je m'en réjouis.

Vous avez également dit que tous les aspects majeurs de l'économie mondiale et du système financier international seront de la compétence du groupe du G-20. Lors d'une entrevue avec Michel Vastel, vous avez même dit que le G-20 serait un véritable conseil d'administration de l'économie mondiale. Je pense que c'est beaucoup de responsabilités.

Heureusement, vous avez également dit, lors d'une entrevue dans Le Journal de Montréal, le 18 avril, que les dirigeants mondiaux ne pouvaient se permettre de faire la sourde oreille aux messages provenant de la rue. Je pense que le problème est là.

Vous savez que la population est inquiète actuellement, non pas quant à la mondialisation mais plutôt quant à la direction que prend cette mondialisation et à la façon dont elle se fait. Les gens qui sont descendus dans la rue à Seattle, Washington, dernièrement—et ça ne fera qu'augmenter, j'en suis certain—se demandent qui dirige la barque.

Tout comme eux, je pense qu'actuellement, dans vos actions, au G-20 et à l'intérieur des institutions internationales, il se trouve qu'il y a un sérieux déficit démocratique et je me demande où vous puisez la légitimité démocratique de vos actions.

Vous dites dans un communiqué, et c'était dans votre texte, que vous voulez élargir les consultations. Qu'entendez-vous faire pour que la population, la société civile et les experts puissent se faire entendre? Entendez-vous établir un mécanisme permanent pour que la société civile puisse se faire entendre et que nous aussi, les parlementaires autour de cette table, puissions avoir notre mot à dire sur la direction que prend cette mondialisation?

Je vous avais envoyé une lettre sur la nécessité que nous ayons, en ce Parlement, un comité d'étude sur les impacts sociaux de la mondialisation, et vous m'avez répondu que le gouvernement estime que cette question a été étudiée efficacement dans le cadre du Projet de recherche sur les politiques, qui a été lancé en juillet 1996 en faisant appel à l'expertise de plus de 30 ministères.

J'ai un problème face à cela. Je me demande qui sont ces experts et quelles sont leurs façons de penser. Est-ce que c'est conforme à ce que la population pense?

Nous vivons une forme de révolution, et je pense qu'elle peut être bénéfique pour l'ensemble de la population, mais cette population doit être entendue. Qu'entendez-vous faire pour créer ce forum et répondre à cette pétition que j'ai déposée au Parlement, par laquelle 50 000 citoyens vous demandent de créer un tel comité, et également à une proposition que les libéraux ont faite lors du dernier congrès? Comment entendez-vous élargir ce débat de société?

M. Paul Martin: Vous ne serez sans doute pas surpris si je vous dis que je partage en grande partie votre analyse. Je ne partage pas le point de vue des manifestants à Washington, qui voulaient abolir le FMI ou la Banque mondiale, mais les manifestants, et j'en ai discuté avec plusieurs, avaient des inquiétudes à propos de tout cet aspect démocratique. C'est certainement un sujet dont on doit débattre.

• 1010

Comme je viens de le dire, je partage en partie votre analyse. Cela étant dit, le G-20 est une partie de la réponse. Avant le G-20, avec le G-7, ce n'étaient que les pays industrialisés. Maintenant, avec le G-20, il y a non seulement les économies émergentes, mais aussi des représentants de chaque région du monde, comme l'Afrique, l'Afrique du Sud. En Asie, il y a non seulement le Japon, mais aussi l'Indonésie, par exemple. Il y a l'Amérique latine, le Brésil, la Chine. Cela veut dire que lorsque vient le temps de prendre ces décisions, il y a un consensus beaucoup plus large qu'auparavant.

La deuxième partie de votre question a trait à la société civile et à l'aspect démocratique à l'intérieur d'un pays. Encore là, vous avez raison. Depuis qu'on m'a nommé ministre des Finances, à chaque année, je rencontre les ONG qui, en partie, représentent la société civile. Je rencontre également les syndicats pour la même raison, pour discuter de ces questions. Comme je l'ai dit dans mes remarques, j'ai l'intention, comme président du G-20, de les rencontrer encore une fois cet été ou cet automne. Juste avant la rencontre de Washington, j'avais rencontré les ONG qui allaient manifester là-bas, ainsi que d'autres pour discuter de tous ces sujets.

En ce qui a trait à l'aspect démocratique, la démocratie se joue ici. Elle se joue au Parlement et ici, aux comités. C'est pour cela que nous sommes ici.

Vous me posez des questions parce que vous représentez non seulement votre comté mais également beaucoup de gens qui ont le même point de vue que vous et moi. C'est la démocratie qui se joue par votre entremise, la mienne et celle du président et de ce comité. C'est d'ailleurs pour cela que je me suis empressé d'accepter l'invitation du président de venir vous parler.

La vraie question qui se pose, c'est celle de l'aspect démocratique de la Banque mondiale et du FMI. Est-ce que ce sont des institutions qui sont à l'écart de la démocratie? On en a discuté longuement à Washington la dernière fois, et je pense que cela fait partie de la démocratie, parce qu'on est là.

Je suis un gouverneur. Je représente notre pays. Je suis un élu. La meilleure façon de donner un point de vue concernant l'avenir de ces institutions, c'est de faire des représentations comme vous le faites.

Le président: Je donne maintenant la parole à Mme Marleau.

[Traduction]

Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Dans notre nouvelle époque de coopération et de problèmes dans le système bancaire international, avez-vous discuté de la question de la corruption? Comme vous le savez, la corruption est de loin un des plus gros problèmes, surtout dans certaines parties du monde. Avez-vous examiné des mécanismes permettant de mettre en évidence l'ampleur inhabituelle de mouvements de capitaux dans certaines régions ou les établissements bancaires qui facilitent la corruption de nombreuses façons? De même, avez-vous examiné une façon de récompenser les régions où il y a de la transparence, de l'ouverture et une bonne administration des établissements financiers?

M. Paul Martin: Oui. De fait, nous le faisons de nombreuses façons. Le projet de loi sur le blanchiment de l'argent dont le Sénat est actuellement saisi est un exemple d'un pays, le Canada, qui répond à la nécessité de s'assurer que les produits de la criminalité ne sont pas injectés dans l'économie honnête et ainsi blanchis. De plus, le projet de loi sur le blanchiment de l'argent donnera aux Canadiens la possibilité de retracer les produits du crime à l'extérieur de notre pays au mieux de nos moyens.

De plus, un certain nombre d'études internationales ont été effectuées. Il y a celle réalisée par l'OCDE sur les paradis fiscaux étrangers. Il y a le groupe d'action financière internationale, qui examine tout le dossier de la criminalité internationale, du blanchiment de capitaux, de la corruption et du copinage. Des travaux sont effectués par le Forum sur la stabilité financière, dont j'ai parlé tout à l'heure, et qui se penche précisément sur cette question. Essentiellement, beaucoup d'efforts sont faits par la communauté internationale pour s'occuper du problème que vous avez soulevé.

• 1015

L'autre volet de votre question porte sur la corruption dans tel ou tel pays, essentiellement la corruption aux échelons élevés du pouvoir. Encore une fois, beaucoup de travail a été fait là- dessus. Cela est plus subjectif, vous le comprendrez, que la première partie de ma réponse.

D'une certaine façon, cela fait partie d'un débat très important qui se tient actuellement à propos de l'allégement de la dette, à savoir l'allégement inconditionnel de la dette par opposition à l'allégement conditionnel. L'allégement inconditionnel de la dette porte sur la question de savoir s'il y a de la corruption dans le pays aux niveaux supérieurs. L'allégement conditionnel de la dette, c'est l'argent consacré aux armes par opposition à l'éducation. Dans le premier cas, la communauté mondiale s'y attelle vraiment. Dans le second, c'est beaucoup plus difficile, et je pense que le débat est beaucoup plus fluide.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

Passons à M. Grewal.

M. Gurmant Grewal (Surrey-Centre, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

Je voudrais commencer par remercier le ministre d'avoir inclus le Parlement et les représentants élus au processus de la réunion de Berlin. La comparution du ministre devant le comité est un pas dans la bonne direction sur le plan de la démocratie, j'espère. Le plus souvent, le gouvernement règle les questions de politique étrangère avant de consulter les élus.

J'ai deux questions, monsieur le ministre. Le Canada a effectué une évaluation de la stabilité du système financier. Je pense que nous avons réussi. L'évaluation a-t-elle inclus l'appropriation du surplus de 30 milliards de dollars du Régime de pensions par le gouvernement libéral et l'appropriation de 3 milliards de dollars du compte de l'assurance-emploi? Est-ce que l'évaluation couvre la revendication du gouvernement pour l'argent qu'il a dépensé sur le Fonds de dotation des bourses du millénaire deux ans avant que l'argent soit effectivement dépensé? Quelles sont, d'après le ministre, les conséquences des incidents de comptabilité créatrice pour l'évaluation et le secteur privé canadien?

Je veux aussi inclure ceci. Que dit le ministre à ses collègues du G-20 à propos de la stratégie de gestion de la dette du gouvernement puisque l'opposition officielle soutient que le gouvernement a équilibré le budget sur le dos des contribuables canadiens et qu'il sera pratiquement impossible de lever d'autres impôts? Le ministre s'inquiète-t-il de l'endettement à court terme du Canada par rapport à nos réserves de devises étrangères? Comment le risque acceptable sera-t-il défini? Le ministre voit-il des problèmes à propos de l'adaptation du Canada aux mesures de gestion prudente de la dette extérieure?

Monsieur le président, c'est ma dernière question. Combien y aura-t-il d'ingérence sous forme de tracasseries administratives et de nouveaux règlements dans certains des domaines abordés par le G- 20 aux réunions de Berlin?

M. Paul Martin: Monsieur le président, tout d'abord, les résultats de l'évaluation qui a été réalisée n'ont pas été rendus publics. Il s'agissait d'un projet pilote et l'un des débats qui a lieu porte sur la question de savoir si ces évaluations doivent être rendues publiques ou non. Je peux vous dire que le Canada estime qu'elles devraient l'être. C'est notre position. De fait, la position du Canada est que plus il y a d'ouverture et de transparence dans ces dossiers, mieux la communauté mondiale s'en portera. Mais il y a des pays qui ne veulent pas que ces choses soient rendues publiques sous prétexte que les conseils qui seraient donnés pourraient être entravés si ces choses étaient rendues publiques. C'est le débat qui doit avoir lieu.

Je vous dirai simplement que je connais les résultats de l'étude et que le Canada a réussi avec brio. De fait, le système réglementaire canadien est l'un de ceux qui peuvent servir de modèle à tous. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous estimons que ces choses devraient être rendues publiques et que nous étions tout à fait prêts à le faire dès le début.

• 1020

En ce qui concerne la question que vous soulevez concernant toute la question de l'endettement à court terme et de la restructuration, comme vous le savez peut-être, au cours des cinq dernières années, le Canada a en fait allongé considérablement ses échéances. L'allongement de ces échéances signifie que nous sommes en bien meilleure situation pour survivre aux fluctuations des taux d'intérêt, outre le fait, évidemment, que nous sommes l'un des rares pays à rembourser sa dette en chiffres absolus.

Il y a une autre question que vous avez soulevée, je crois. Je n'ai peut-être pas bien compris, mais je crois que vous avez parlé du passif non capitalisé du Régime de pensions du Canada...

M. Gurmant Grewal: Il s'agit de l'appropriation par le gouvernement des 3 milliards de dollars du compte de l'assurance- emploi et de l'appropriation de 30 milliards de dollars des pensions publiques.

M. Paul Martin: Monsieur le président, il s'agit ici d'un comité très important. Je ne crois pas qu'il y ait lieu de se lancer dans un débat partisan. Le député, que je respecte beaucoup, sait qu'il ne s'agit pas d'une appropriation. Il sait que nous suivons les principes de comptabilité établis depuis le début du fonds et par le vérificateur général. Je n'entrerai donc pas dans ce débat.

En ce qui concerne le Régime de pensions du Canada, le député soulève une question importante. Nous estimons effectivement qu'à la suite des mesures prises par le gouvernement du Canada et l'ensemble des provinces il y a quatre ou cinq ans pour protéger le Régime de pensions du Canada, nous et les Britanniques sommes les deux pays à avoir remis d'aplomb leur régime de pensions public. Nous avons encore un très important passif non capitalisé et nous croyons, monsieur le président, que lorsque le FMI fait ses calculs, il devrait tenir compte du passif non capitalisé des régimes de pensions nationaux, car cela donnerait une perspective tout à fait différente. Mais je peux vous dire, en résumé, que même s'il y a un passif non capitalisé, nous avons agi sans doute plus rapidement que n'importe quel autre pays à l'exception du Royaume-Uni pour régler le problème.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

Nous avons largement dépassé le temps prévu. Passons à M. Assadourian.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Encore une fois, bienvenue au comité, monsieur le ministre.

J'ai quelques questions courtes à vous poser pour que vous ayez plus de temps pour y répondre. Premièrement, à la page 1 de votre texte, vous dites que les pays du G-20 représentent 87 p. 100 du PIB de la planète. Cela représente quel pourcentage de la population totale?

M. Paul Martin: Soixante-cinq pour cent.

M. Sarkis Assadourian: Cela inclut la Chine et l'Inde, par exemple?

M. Paul Martin: Oui.

M. Sarkis Assadourian: La production de ces pays du tiers monde ou ces pays en développement, comment en tenez-vous compte dans le cas des pays donateurs ou des pays riches obligés d'ajuster leurs besoins? Notre comité s'est rendu, même si je n'étais pas du voyage, dans les républiques du sud de la Russie et dans le Caucase. Ils en sont revenus en sachant beaucoup mieux la façon dont elles fonctionnent.

Je suis certain qu'on leur a dit—on me l'a dit plusieurs fois par le passé—que le FMI et la Banque mondiale imposent des conditions à ces pays qu'ils ne peuvent pas respecter. Ils sont forcés de changer les règles du jeu de leur propre initiative, sur le papier, pour qu'en apparence ils puissent respecter ce que nous pensons qu'ils doivent respecter et cela finit par alimenter la corruption dans les pays. Je pense qu'il faudrait travailler d'une façon où nous savons exactement ce dont ils ont besoin et nos attentes seraient plus faciles parce qu'ils diraient: «Écoutez, je ne veux pas de votre argent, je ne veux pas vos conditions.»

Comment conciliez-vous cette situation avec ce que vous avez dit?

M. Paul Martin: Monsieur le président, M. Assadourian soulève une question très importante dont doivent s'occuper le fonds et la banque. Ou bien ces institutions imposent à ces pays la même solution qu'aux autres, quels que soient leurs problèmes, ou bien elles leur imposent des exigences irréalistes.

Dans une certaine mesure, je pense qu'il y a du vrai dans cette affirmation. Mais la réponse, comme j'ai essayé de le dire dans mon texte, n'est pas simplement d'examiner ce que fait le fonds ou la banque, mais d'examiner l'ensemble du système financier international et son architecture. Une des raisons pour laquelle ces institutions adoptent parfois une solution générale, c'est qu'elles doivent évoluer. Votre argument est donc fondé.

Mais une raison plus importante encore est que vous ne pouvez pas demander à ces institutions de modifier leur façon de faire à moins d'être prêt à examiner comment fonctionne l'ensemble du système financier international. Il se peut que nous leur demandions l'impossible. Par exemple, si vous ne trouvez pas un moyen d'arrêter les mouvement de capitaux, le fonds pourra seulement recommander à ces pays qu'ils relèvent leur taux d'intérêt pour arrêter les mouvements de capitaux. Et parfois, c'est justement la mauvaise solution étant donné que cela peut plonger un pays dans la récession.

Il s'agit donc d'abord et avant tout d'avoir un régime international correspondant à peu près à ce que j'ai décrit.

• 1025

Quant à l'autre question que vous avez soulevée, lorsque la banque intervient, elle impose des conditions. Cela suffit-il à tenir compte des besoins de certains pays? Je peux vous dire que j'ai soulevé la question à la réunion de Washington étant donné que je suis le gouverneur pour les pays des Antilles de même que pour le Canada, en disant qu'à mon avis certaines exigences imposées aux pays des Antilles n'étaient pas réalistes.

Vous avez donc raison dans une certaine mesure.

M. Sarkis Assadourian: Puis-je soulever une autre question?

Le président: Nous devons avancer, car il nous reste seulement une quinzaine de minutes.

[Français]

Madame Lalonde.

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Soyez le bienvenu, monsieur le ministre.

Tout d'abord, seulement 10 p. 100 des transactions internationales contribuent à l'accroissement de la richesse de la population. Le reste n'est que spéculatif et est largement la cause de ce que vous appelez des revirements soudains de flux de capitaux privés.

Pourquoi ne pas avoir essayé de vous attaquer à la source de ces flux de capitaux privés volatiles en mettant de côté, en partant, l'idée de la taxe Tobin?

Vous parlez de la pauvreté dans des termes sentis. Cependant, dans le projet qu'on voit émerger, il n'y a que des ajustements mineurs du fonctionnement actuel et non pas des ajustements majeurs. Cela ne peut s'attaquer d'aucune façon à la réduction de la pauvreté.

Il y a également la composition du groupe. Je remarque qu'on invitait l'Indonésie à faire partie du Groupe des Vingt au moment où elle était accusée de quasi-génocide au Timor-Oriental. Il n'y a pas vraiment de pays pauvres dans le Groupe des Vingt. Il y a des pays riches et des pays en voie de le devenir. Ce ne sont pas des pays en voie de développement, mais en voie de devenir riches.

Avec la mondialisation et l'élargissement de l'écart entre les riches et les pauvres, comment peut-on penser qu'il y ait là autre chose qu'une tentative d'amélioration extrêmement modeste du système qui, par ailleurs, laisse aller les tendances comme maintenant?

M. Paul Martin: Il se peut que ce soit de la spéculation de la part des compagnies qui veulent se protéger de ces fluctuations, mais ce n'est pas de la spéculation pure et simple.

Cela étant dit, que ce soit 10, 20 ou 30 p. 100, le point que vous soulevez est valable. Je suis de ceux qui appuient la taxe Tobin. Je ne pense pas que cela peut arrêter la spéculation, mais cela pourrait être une source d'argent pour la communauté internationale, qui a tellement besoin de cet argent, que ce soit pour des raisons environnementales ou pour diminuer la pauvreté.

Je ne crois pas que la taxe Tobin pourrait arrêter la spéculation. D'une part, elle serait trop petite pour le faire.

Il ne faut qu'un seul pays industrialisé pour dire non. Le fait que la grande majorité des pays industrialisés ne veulent pas le faire veut dire que ça ne marcherait jamais. L'Allemagne, l'Angleterre, la France—la France change parfois d'idée—et la Suisse ont parlé ouvertement contre cela et ont refusé de l'accepter. Cela veut dire que ce n'est certainement pas la solution qu'on va mettre en vigueur immédiatement.

• 1030

Je suis convaincu que ce que je viens de recommander, à savoir de mettre en place un système ouvert et transparent de réglementation, va nous donner une bien meilleure solution à ces échanges volatiles qu'une taxe Tobin. On peut le faire immédiatement parce que je pense qu'il y a un consensus à cet égard.

Vous parlez de la pauvreté. Selon moi, on ne devrait pas dire que la pauvreté est causée par la mondialisation, car elle ne l'est pas. Prenons le problème de la pauvreté en Afrique. L'Afrique ne participe pas à la mondialisation; elle en est à l'écart.

Qu'est-ce que la mondialisation? D'une part, c'est cette cascade de nouvelles technologies. D'autre part, c'est le libre marché international auquel l'Afrique, le continent le plus pauvre, ne participe pas. C'est donc là-dessus qu'il va falloir vraiment se concentrer.

Comment peut-on donner à l'Afrique la capacité de participer à la nouvelle économie et à ces nouvelles technologies? Comment peut-on donner à l'Afrique la capacité de participer à ces échanges commerciaux maintenant qu'elle est aux prises avec les maladies et les guerres? Selon moi, la pauvreté est beaucoup plus large, et il faut absolument s'y concentrer.

J'arrive maintenant à votre question sur le fait que les pays les plus pauvres ne participent pas au G-20. Vous avez raison. Lorsqu'on a mis le G-20 en marche, ce sont vraiment les économies émergentes qui étaient à la source de certains problèmes qu'on avait dans le domaine international. C'était l'Indonésie, par exemple. On savait fort bien qu'on ne pouvait pas imposer des solutions à ces pays, mais qu'ils devaient participer.

Est-ce qu'on devrait éventuellement élargir le groupe? C'est à voir. On sait par expérience que quand on est plus de 20, c'est difficile. Une des raisons pour lesquelles on a demandé à la Banque mondiale de participer, c'était pour représenter ces pays. Mais je suis d'accord avec vous que c'est quelque chose à regarder.

Maintenant, dans le cas de l'Indonésie, il était impossible que celle-ci ne fasse pas partie du G-20. En termes de population, c'est le quatrième pays au monde. Au tout début, elle n'en faisait pas partie. C'est seulement après qu'elle a tenu une élection démocratique qu'on l'a invitée à faire partie du G-20.

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur le ministre, je crois que vous pouvez rester quelques minutes de plus. Je sais qu'en principe...

M. Paul Martin: Je crois que c'est très important. Je suis prêt à rester aussi longtemps que les membres du comité voudront m'endurer.

Le président: Soyez très prudent. Vous êtes sur un terrain glissant.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, monsieur le ministre. Je voudrais poser une ou deux questions et, comme elles peuvent être assez simplistes, je vais essayer de les poser ensemble.

Tout d'abord, vous avez parlé d'examiner les normes et codes internationaux. En même temps, vous dites qu'il n'y a pas de secrétariat. Où toutes ces décisions seront-elles prises et par qui et comment tout cela va-t-il être coordonné? C'est peut-être une question simpliste, mais je veux connaître les rouages de tout cela.

Vous avez également parlé des mouvements internationaux de capitaux et de la réforme du système. Néanmoins, ce que vous avez dit ne m'éclaire pas quant au rôle qui revient disons au FMI et celui de la Banque mondiale. Y a-t-il une différence dans ce que fait la Banque mondiale et ce que fait le FMI et comment une réforme s'appliquerait-elle aux deux organismes?

• 1035

Troisièmement, je voudrais parler un peu des systèmes d'alerte rapide. J'ai fait un voyage avec un groupe d'ONG après la crise asiatique. La question qui revenait constamment sur le tapis était: Pourquoi n'avons-nous pas pu prévoir la crise? Qu'aurions-nous pu faire? Quels sont les systèmes d'alerte rapide? Dans le discours du G-7, est-il question de ce système d'alerte rapide? À quel point fonctionne-t-il?

De nombreux pays ne font pas participer les ONG et la société civile à ces discussions, pour diverses raisons. Ou bien on se méfie de la société civile ou bien on pense qu'elle ne possède pas les connaissances voulues pour donner une opinion utile. Comment envisagez-vous la participation de la société civile à ce processus?

M. Paul Martin: Ce sont de bonnes questions qui n'ont rien de simpliste et qui sont tout à fait pertinentes.

La première question concerne les normes en l'absence de secrétariat. J'ai parlé de deux nouvelles institutions virtuelles, le Forum sur la stabilité financière et le G-20. Le Forum sur la stabilité financière, qui utilise la Banque des règlements internationaux comme secrétariat, mais recrute ses experts dans les divers pays, est en train d'élaborer les normes et les codes.

Vous avez donc deux séries de normes. Il y a celles que la communauté internationale a déjà établies par l'entremise du FMI, du G-7 et de la Banque mondiale et que l'on est en train de mettre en place. Il y a également toute une nouvelle série de normes et de codes, très complexes, qui existent au niveau national et que l'on essaie de reproduire au niveau international. Ce sont les normes et les codes que le Forum sur la stabilité financière est en train d'élaborer.

Le rôle du G-20 consiste surtout à examiner les normes et les codes élaborés de cette façon et à assurer leur application. Souvent, certains de ces codes ont été mis en pratique au Canada et aux États-Unis, mais pas ailleurs. Les autres pays ne les ont pas jugés acceptables parce qu'ils pensaient ne jamais avoir leur place à la table pour en discuter. C'est ce que le G-20 va faire.

Je pense toutefois que le Forum sur la stabilité financière n'est pas parfait parce qu'il ne comprend pas suffisamment de membres. Il va devoir en recruter d'autres. Le Canada a été l'un des pays à l'origine de cette initiative, mais nous n'avons pas pu obtenir une représentation plus vaste. Je crois qu'il faudrait y arriver.

Le G-20 ne veut pas de secrétariat, car si vous en obtenez un, ce sont d'autres gens qui établiront votre programme. Le succès du G-7 vient de ce que les ministres et les gouverneurs des banques centrales peuvent se réunir autour d'une table pour discuter et passer ensuite à la mise en oeuvre et je crois que c'est très important.

Pour ce qui est de votre deuxième question, la séparation du rôle du FMI et de la Banque mondiale fait l'objet d'importantes discussions. C'est certainement l'objet d'un débat au Congrès actuellement. Nous serions sans doute tous d'accord pour dire qu'il faut une ligne de démarcation plus claire entre le FMI et la Banque mondiale.

Mais je ne crois pas, contrairement à beaucoup d'autres, que le FMI ne devrait pas s'occuper de la réduction de la pauvreté. Si c'était le cas, je m'inquiéterais beaucoup de la qualité des conseils qu'il peut donner. Cela dit, je pense que c'est à la banque d'apporter les changements structurels à long terme qui visent à réduire la pauvreté.

Quant au système d'alerte rapide, vous avez parfaitement raison de dire que le problème se résume à cela. Si des systèmes d'alerte avaient été en place, les problèmes du système bancaire thaïlandais, par exemple, les emprunts excessifs des banques thaïlandaises et les prêts excessifs consentis par les banques occidentales, auraient pu être constatés et je crois que la crise asiatique n'aurait pas été aussi grave. Tout ce que j'essaie de vous présenter ici vise donc à mettre en place les systèmes d'alerte que vous avez demandés. Voilà pourquoi je pense qu'ils sont tellement importants.

Votre dernière question portait sur le fait que les ONG et la société civile ne sont pas invités à participer. Je peux vous dire que les conseils que j'ai obtenus des ONG sur les questions environnementales, la dette du tiers monde et tout ce que nous examinons ont été extrêmement précieux. Les ONG représentent un vaste réservoir de connaissances et tout gouvernement qui omet de s'en prévaloir commet une erreur. Voilà pourquoi je rencontre les représentants des ONG, sans doute pas suffisamment, mais en tout cas régulièrement, et je vais continuer à le faire.

• 1040

Permettez-moi de vous donner un exemple. Jubilé 2000, la campagne pour l'annulation de la dette, a eu énormément de succès. Les Églises du monde entier se sont réunies pour exercer des pressions sur leurs gouvernements et ces derniers ont réagi. Je ne saurais trop insister sur l'importance d'un dialogue avec la société civile. C'est une initiative que nous comptons poursuivre.

Le président: Très bien. Si nous pouvons permettre à deux autres membres du comité de poser des questions, ce serait merveilleux, monsieur le ministre.

Ce sera d'abord M. Obhrai, et ensuite M. Patry.

M. Deepak Obhrai: Merci.

Je vois que vous vous amusez bien.

M. Paul Martin: N'allez pas le dire à Monte Solberg.

M. Gurmant Grewal: Il aimerait beaucoup vous voir.

M. Deepak Obhrai: En tant que président du G-20, je crois que vous devriez à mon avis retourner voir le G-20 et examiner le rôle des organismes de crédit à l'exportation. Comme ces organismes détiennent maintenant 56 p. 100 de la dette des pays du tiers monde, je me risquerais à dire que, si on ne les surveille pas de près, ils vont plonger davantage de pays pauvres dans des dettes dont nous devons les sortir. C'est une chose qu'il faudrait examiner.

Ma question principale concerne le taux d'imposition. Vous dites que vous réduisez les impôts, mais je trouve que c'est très lentement. Le milieu des affaires et tout le monde se dirigent rapidement vers la mondialisation, le commerce international et le libre marché. Ils se heurtent à vos lourds impôts et à la lenteur avec laquelle vous allégez le fardeau fiscal pour augmenter la productivité au profit des entreprises canadiennes.

Je crois que vous agissez trop lentement, ce qui est une excellente chose pour l'Alliance canadienne étant donné que cela nous aidera aux prochaines élections. Mais je crois que c'est l'avis général. J'attends votre réponse. Cela fera partie de la prochaine campagne électorale.

M. Paul Martin: Tout d'abord, je suis ravi de pouvoir en parler et du fait que cela fera partie de la prochaine campagne électorale.

Pour ce qui est de votre première question, il est vrai que la communauté internationale devrait examiner comment les crédits à l'exportation accordés aux pays du tiers monde sont appliqués. Comme je l'ai déjà dit, le Canada a pris des initiatives à cet égard et la communauté mondiale examine la question.

Le Canada est d'avis que les crédits à l'exportation mis à la disposition des pays lourdement endettés—et qui n'ont pas toujours eu des résultats très positifs pour ces pays—devraient retenir l'attention de la communauté internationale. Telle est la position du Canada depuis un certain temps et je suis d'accord avec vous sur ce point.

Pour ce qui est de votre deuxième question, je dirai simplement que, dans le dernier budget, nous avons entrepris le programme de réduction de l'impôt sur le revenu des sociétés le plus vaste que nous ayons jamais vu au Canada, du moins à ce que je m'en souvienne. Ensuite, nous avons dit que nous allions l'accélérer.

Je voudrais parler de la fiscalité. La fiscalité des sociétés est très importante, mais l'impôt sur le revenu des particuliers aussi.

Comme vous avez mentionné l'Alliance canadienne, ce que je n'aurais pas fait moi-même, vous pourriez dire à l'un des candidats de votre province, M. Day, que le gouvernement canadien a davantage abaissé les impôts que le gouvernement albertain et que nous accordons à la classe moyenne des réductions de l'impôt sur le revenu des particuliers plus importantes qu'il ne l'a fait lui-même. En fait, nous croyons que l'allégement des impôts de la classe moyenne est très important pour notre pays et que le sens des priorités de M. Day est faussé. Autrement dit, il n'est pas souhaitable de réduire les impôts...

M. Deepak Obhrai: C'est une question électorale.

M. Paul Martin: ...des riches sans réduire dans la même proportion ceux de la classe moyenne.

• 1045

M. Deepak Obhrai: Nous nous battrons sur ce point lors de la campagne électorale et nous verrons ce qu'il en est vraiment.

M. Paul Martin: Voilà pourquoi je serai ravi de faire campagne sur ce sujet, Deepak.

Le président: Le problème, c'est que quand vous ouvrez cette porte, monsieur Obhrai, les gens s'empressent d'y entrer.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Monsieur Patry, qui sera le dernier.

[Français]

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Monsieur le ministre, dans l'étude que vous faites, y a-t-il moyen d'élaborer des lignes directrices régissant la participation de prêteurs privés aux opérations de renflouement et, possiblement, la mise au point par les États-Unis, l'Union européenne et le Japon de nouvelles mesures coordonnées à prendre dans l'éventualité d'un désalignement prolongé de leurs devises?

M. Paul Martin: Est-il possible de mettre en place des lignes directrices pour les prêteurs? Deuxièmement, est-il possible de tenir compte des écarts dans les devises?

Vous soulevez deux questions très importantes. Je peux dire que, jusqu'à présent, le débat au niveau international n'a pas avancé suffisamment pour qu'on puisse parler d'un consensus.

Pour ce qui est des lignes directrices, nous pouvons en faire à l'intérieur de nos propres systèmes bancaires et, dans la grande majorité des cas, nous le faisons. Là où le bât blesse, c'est dans toute la question des offshore hedge funds.

Après la débâcle du long-term capital, il y a eu un rapport du Financial Stability Forum dans ce domaine, et les pays européens ont dit qu'il fallait réglementer directement les offshore hedge funds. Les États-Unis ne sont pas d'accord. Ils prétendent que c'est impossible et que les hedge funds qui sont déjà aux États-Unis vont se retrouver quelque part sur une île et qu'on va opérer de là-bas.

Notre position est qu'il se peut qu'on ne soit pas capables de réglementer les offshore hedge funds, mais qu'on peut réglementer les banques qui leur prêtent de l'argent. C'est la position que nous devrions adopter, mais je dois vous dire qu'il y a encore un débat au niveau international dans lequel il y a deux points de vue différents.

En réponse à votre deuxième question, à savoir si c'est faisable en tenant compte des écarts dans les devises, je vous dirai que le fait qu'une devise soit surévaluée ou sous-évaluée n'est pas nécessairement un problème pour les grandes économies ou les économies qui empruntent dans leurs propres devises.

Au Canada, par exemple, la grande majorité de nos emprunts sont en devises canadiennes. On contrôle alors notre situation. C'est d'ailleurs une raison fondamentale pour laquelle je ne serais pas d'accord sur une monnaie unique. Les pays qui empruntent en devises étrangères alors qu'il y a un écart ont énormément de problèmes. C'est ce qui est arrivé en Asie.

En Thaïlande, par exemple, on a emprunté en devises américaines et, lorsque le baht est descendu, on a été vraiment mal pris. Beaucoup empruntent en yen et ils ont le même problème.

• 1050

Est-ce qu'il y a une solution? On pense qu'il y en a deux.

D'abord, il s'agit d'avoir des livres qui sont très ouverts. Deuxièmement, il faut encourager les pays à emprunter dans leurs propres devises. Cela leur coûte plus cher en taux d'intérêt, mais on pense que cela en vaut la peine.

C'était d'ailleurs une recommandation de la commission américaine parrainée par Paul Volcker, l'ancien président de la Federal Reserve Bank. La seule solution au problème que vous soulevez, c'est d'encourager ces pays à emprunter dans leurs propres devises.

[Traduction]

Le président: Monsieur le ministre, pourrais-je en profiter pour vous poser une ou deux questions, après quoi nous partirons, car nous avons largement dépassé le temps prévu.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Le président a parfois l'occasion de poser des questions.

Un grand nombre de choses dont vous avez parlé se rapportent à des problèmes auxquels nous nous sommes attaqués il y a quelques années à notre comité, surtout dans le contexte du rapport sur les institutions financières internationales, et nous pouvons constater une certaine évolution.

À vous entendre, j'ai eu l'impression que vous commenciez à parler un peu comme M. Mahathir en Malaisie, car à propos des contrôles internes—et n'oubliez pas que le Chili avait également un contrôle des capitaux—vous avez dit que ce sont les mouvements violents de capitaux qu'il fallait réglementer si nous assurons un contrôle.

Dois-je comprendre que le G-20 devrait se pencher sur la question et déterminer le genre de contrôles internes à mettre en place afin que les membres aient la possibilité d'exercer un contrôle—car c'est une question de souveraineté, comme vous l'avez dit—mais dans le cadre du régime international? Je voudrais savoir si j'ai bien compris.

En deuxième lieu, comment envisagez-vous le rôle des États-Unis et particulièrement celui du Congrès? Nous avons pu voir qu'ils hésitaient énormément, surtout en ce qui concerne les mesures financières internationales, à limiter la souveraineté du pays. M. Greenspan ne va pas conclure une entente qui ne lui permettra pas de décider de ce qui sera bon ou mauvais pour le dollar américain, l'économie fondée du billet vert ou autre chose. Dans quelle mesure sont-ils prêts à souscrire à ces principes et à respecter une véritable discipline internationale qui s'appliquera non seulement aux autres, mais à eux?

M. Paul Martin: Pour ce qui est de votre première question, quant à savoir si le G-20 va se pencher sur les mouvements de capitaux, la réponse est un oui catégorique.

Vous avez ensuite demandé si nous sommes prêts à approuver des restrictions visant les mouvements de capitaux. Il faut faire une distinction. Personnellement, et je pense que c'est maintenant l'avis de la communauté financière internationale, les restrictions établies à l'avance—et le Chili a imposé des restrictions à l'égard des mouvements de capitaux—sont parfaitement acceptables. Comme vous le savez, le Chili y a renoncé, mais en fait, il a imposé une taxe sur les mouvements de capitaux afin de pouvoir les contrôler.

Tout pays qui n'a pas un gros marché de capitaux devrait pouvoir le faire. Ce ne serait pas souhaitable pour un pays comme le Canada, mais cela l'est tout à fait pour les pays qui n'ont pas de gros marché de capitaux. Ce que le Chili a fait est acceptable.

Je n'en dirais pas autant pour la façon dont la Malaisie a procédé. Autrement dit, elle a changé les règles du jeu après coup. C'est inacceptable à mon avis. Mais un pays pourrait dire: «En cas de crise grave, nous pourrions empêcher nos capitaux de quitter le pays.» Mais il faut que ce soit établi à l'avance.

Si je pense que c'est acceptable, c'est parce que dans certains de ces pays on assiste à une sortie des capitaux nationaux qu'il faut remplacer par des fonds internationaux, l'argent des contribuables. C'est tout à fait illogique. Mais la différence est qu'il faut établir les règles du jeu à l'avance. Vous ne pouvez pas les changer au milieu de la partie.

Quant à votre deuxième question concernant le Congrès, vous avez parfaitement raison. Le Congrès a beaucoup d'hésitations. Mais en fin de compte, même la plus grande puissance économique au monde devra faire face à la réalité.

• 1055

Quant à la perte de souveraineté, le meilleur exemple que je puisse vous donner est pure conjecture de ma part. Je ne sais pas si c'est un fait, mais c'est intéressant. Les banques centrales examinent toujours leur propre situation pour établir leur politique monétaire, lorsqu'elles augmentent ou abaissent les taux d'intérêt. De nombreux pays doivent malgré cela voir ce qui se passe à l'extérieur. Néanmoins, la Federal Reserve des États-Unis a toujours pu dire et a toujours dit qu'elle fixerait des taux d'intérêt en tenant compte uniquement de la situation intérieure.

L'économie américaine était très vigoureuse, et elle allait continuer de l'être, au moment de la crise en Asie. À l'évidence, si la banque centrale américaine maintenait sa politique de taux d'intérêt élevés pendant la crise, comme la situation intérieure du pays le justifiait, il aurait fallu beaucoup de temps pour que la crise en Asie se résolve. La banque centrale américaine, pour des raisons qu'elle connaît—et je ne vais pas vous les expliquer—a rabaissé les taux d'intérêt à trois reprises. On peut supposer qu'en fait cela témoignait pour la première fois que des événements qui se produisaient à l'extérieur des frontières américaines influençaient les décisions de la banque centrale.

Je dirai tout simplement que nous devons tous redéfinir la notion de souveraineté et, dans cette notion, il faut prendre en compte la nécessité absolue de coopérer à l'échelle mondiale, si tant est qu'on souhaite maintenir sa souveraineté. Même les États- Unis n'y échappent pas.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Il est excellent de terminer sur cette note.

J'espère que vous comprenez que lorsque vous parlez de société civile, vous avez ici réunis autour de cette table des représentants de cette société civile.

Merci d'avoir pris le temps de venir vous entretenir avec nous.

Chers collègues, nous allons maintenant faire une pause de deux minutes et nous accueillerons ensuite le général Henault pour terminer notre étude sur le Kosovo. La séance est suspendue pour deux minutes.

• 1057




• 1105

Le président: Chers collègues, nous reprenons nos travaux. Nous poursuivons notre étude de la question du Kosovo. J'espère que c'est la dernière fois que nous entendrons des témoins sur ce dossier car il serait souhaitable de présenter notre rapport avant que la Chambre ajourne au mois de juin.

Général Hénault et contre-amiral MacLean, nous vous savons gré de revenir témoigner. Nous vous en remercions. Nous savons que vous êtes extrêmement occupés.

Certaines questions ont été posées lors de la dernière réunion, notamment par M. Robinson. Malheureusement, il n'est pas ici ce matin et il m'a envoyé une lettre.

Monsieur le général, je sais que ce matin, vous n'avez pas l'intention de faire un exposé liminaire, car vous êtes venu tout simplement pour répondre aux questions des membres du comité. Nous pourrons donc faire vite. Avec la permission des membres du comité, je vais poser quelques questions, contenues dans la lettre de M. Robinson, et nous poursuivrons ensuite avec les questions des autres députés.

M. Robinson, dans sa lettre, demande combien il y a eu de sorties et quel pourcentage de ces missions ont atteint l'objectif visé. Existe-t-il des chiffres? Pouvez-vous répondre à cette question?

Lieutenant-général Raymond R. Henault (sous-chef d'état-major de la Défense, ministère de la Défense nationale): Merci, monsieur le président. Encore une fois, merci de nous donner l'occasion d'apporter des précisions sur des questions qui sont encore en suspens. J'ai été ravi de venir témoigner le 10 février, et vous vous souvenez qu'à cause d'un vote, nous n'avons pas pu procéder à la période de questions. Malheureusement, le 29 février, j'étais en dehors de la ville quand M. Wright et d'autres de mes collaborateurs sont venus témoigner, mais je suis très heureux d'être ici ce matin.

Je suis aussi très heureux d'être accompagné par le contre- amiral Bruce MacLean, de notre groupe de politique. Il est le directeur général de la politique de sécurité internationale. Nous espérons qu'à nous deux, nous répondrons à toutes vos questions.

[Français]

Il me fera plaisir de répondre à vos questions. Je pense que la première question que vous m'avez posée portait sur le nombre de missions et le succès de ces missions durant la campagne aérienne.

Le président: Oui, exactement.

[Traduction]

Lgén Raymond Henault: Monsieur le président, pendant la campagne aérienne elle-même, nous avons effectué 678 sorties avec nos CF-18. Cela représente un total de 2 547 heures de vol avec nos appareils Cf-18 pendant la campagne elle-même. La majorité de ces missions, soit 500 d'entre elles, étaient ce que nous appelons des missions d'interdiction aérienne en champs de bataille, menées contre des cibles préétablies d'un bout à l'autre du Kosovo et de la Serbie, et 58 de ces missions, le reste donc, étaient des missions d'appui aérien rapproché, c'est-à-dire des objectifs inopinés. En outre, les autres missions étaient consacrées à des patrouilles aériennes de combat, c'est-à-dire des missions qui consistent à escorter d'autres appareils vers les zones ciblées, fournissant ainsi la supériorité aérienne ou la couverture nécessaires pour les missions. Au total il y a eu 678 missions.

Monsieur le président, vouliez-vous des précisions sur le nombre de bombes lâchées ou sur le succès des missions elles-mêmes?

Le président: Non. Dans sa question écrite, M. Robinson voulait savoir combien de missions avaient atteint leur objectif. Il pose ensuite une question sur les cibles civiles qui ont été touchées, ce que l'on a appelé les dommages collatéraux. Vous avez peut-être des renseignements complémentaires à nous transmettre là-dessus.

Lgén Raymond Henault: Au total, 358 bombes guidées laser ont été lancées pendant les missions que je viens de vous décrire. La vaste majorité, soit 70 p. 100 d'entre elles, ont atteint directement les cibles visées, et il y a eu 30 p. 100 de ratées. L'objectif de notre campagne, et celui de toutes nos missions, était de garantir un certain niveau de sécurité pour nos équipages et nos pilotes, mais aussi de réduire au minimum les dommages collatéraux quand c'était possible.

Nous ne pouvons pas affirmer catégoriquement qu'il n'y a pas eu de dommages collatéraux car certaines bombes ont raté leur objectif. Je peux toutefois affirmer que pendant le processus de planification pour le lancement des bombes guidées laser ou de munitions de faible précision, chaque mission est précédée d'une répétition suivant le modèle, pour la cible elle-même et pour la zone entourant cette cible, qu'il s'agisse d'une zone où il y a des constructions ou tout simplement d'un champs, et l'on évalue s'il y a possibilité de dégâts à l'infrastructure, comme un pont ou un immeuble, ou à tout autre élément qui se trouve dans la zone visée. Tout cela est pris en compte au moment de la planification de la mission. Le pilote a une maquette, qui tient compte du résultat connu une fois qu'une bombe guidée laser ou des munitions peu précises sont lancées.

• 1110

Dans la vaste majorité des cas, si une bombe guidée laser rate l'objectif visé, elle le rate d'habitude de très près. Il est très rare que des munitions guidées laser fassent long feu et atterrissent au-delà de la cible elle-même. Par conséquent, les maquettes que l'on prépare tiennent compte de ces décalages, essentiellement elles tiennent compte d'une bombe qui raterait sa cible de près. Chaque fois que nos pilotes sont intervenus—et je dirais que c'est nul doute pareil pour les autres pilotes de l'OTAN—les maquettes ont été préparées pour réduire au minimum les dommages collatéraux, que ces bombes ratent les cibles de près ou qu'elles tombent juste sur la cible.

Que nous sachions, il n'y a pas eu de graves incidents de dégâts collatéraux. Nous ne pouvons pas affirmer catégoriquement qu'il n'y en a pas eu car il y a des bombes qui ont raté leur cible de près ou des cas où nous n'avons pas pu observer l'endroit qu'elles ont touché. C'est un petit nombre. Nous savons toutefois que les Forces canadiennes n'ont pas participé aux missions qui ont constitué des incidents majeurs durant la campagne.

Le président: Merci.

Je vais poser une autre question, de la part de M. Robinson, mais je constate que M. Grewal voudrait aussi poser des questions.

Dans sa lettre, il demande pourquoi les autorités de l'ex-Yougoslavie n'ont pas été prévenues qu'on allait bombarder l'édifice de la radio-télévision. Ce sujet a été soulevé à plusieurs reprises dans nos discussions, et on en a beaucoup parlé dans les médias. Pouvez-vous nous répondre? Le sauriez-vous?

Lgén Raymond Henault: Je pense monsieur le président que je peux vous répondre. Nous n'avons pas participé directement à cette mission. Toutefois, je sais que dans le processus d'établissement des cibles, des mesures de sécurité opérationnelle sont appliquées quand il s'agit de cibler des immeubles précis ou une infrastructure précise, comme une station de radio-télévision ou un pont. En l'occurrence, l'immeuble ciblé était considéré comme une cible militaire légitime car le régime Milosevic s'en servait comme organe de propagande. De la même façon que d'autres stations de radiodiffusion ou des sites de retransmission ont été visés par les appareils de l'OTAN, celle-ci a été ciblée pour réduire au minimum les moyens dont Milosevic disposait pour sa campagne de propagande.

La divulgation des cibles n'était pas possible lors des conflits au Kosovo et ce pour quelques raisons, essentiellement parce qu'il n'aurait pas fallu que l'adversaire connaisse les cibles au préalable. Quand on prévient l'adversaire de l'endroit qui sera attaqué, les pilotes courent des risques, car l'adversaire peut parfaitement alors concentrer sa défense aérienne autour de la cible en question, concentrer ses missiles sol-air ou ses avions de chasse. En outre, il y a toujours la sécurité opérationnelle qu'il faut maintenir dans chacune de ces missions.

Toutefois, pour chacun des types de cibles visées, on a pris tous les moyens pour réduire au minimum les dommages collatéraux. En l'occurrence, comme il s'agissait d'un site de retransmission radio, on a procédé pendant la nuit, lorsque la possibilité de faire des victimes était réduite au minimum.

Voilà ce que je peux vous donner comme explication, monsieur le président. Cela explique, selon moi, pourquoi l'on a procédé ainsi.

Le président: Merci. Ce sera très utile.

Monsieur Grewal.

M. Gurmant Grewal: Merci, monsieur le président.

Je voudrais poursuivre dans la même veine. Quand on a ciblé la station de radio et télévision, c'était dans le but d'endiguer la propagande de Milosevic. Un grand nombre de civils ont péri toutefois. Le bombardement de l'ambassade de Chine a été reconnu plus tard comme une erreur, mais les cibles délibérément choisies comprenaient, notamment, des ponts et certains autocars de transport de civils, comme on a pu le voir à la télé. S'agissait-il d'accidents? Avait-on planifié cela? Certes, l'on a attaqué la station de radio et télévision mais si les civils qui y travaillaient, que l'on a pu voir à la télévision, avaient été prévenus, ils auraient pu s'échapper et les victimes auraient été encore moins nombreuses.

• 1115

Lgén Raymond Henault: Effectivement, et on regrette toujours les pertes de vie dans une situation comme celle-là, surtout quand il s'agit de civils.

Dans le cas de cette mission en particulier, l'objectif était surtout de raser la tour de transmission elle-même. Si l'on avait lancé un avertissement, il se serait produit ce que vous venez de décrire mais je vous rappelle ce que je disais tout à l'heure: lors d'un conflit, il y a certains impératifs qu'il faut respecter sur le plan de la sécurité des nôtres, et c'était là les facteurs qui ont emporté la décision, tout en tâchant de réduire au minimum les dommages collatéraux.

M. Gurmant Grewal: Ai-je raison de croire que près d'un tiers des bombes ont raté leur objectif ou n'ont pas produit le résultat escompté? C'était environ un tiers de la totalité des bombes larguées n'est-ce pas?

Lgén Raymond Henault: Non. Le pourcentage des bombes qui n'ont pas atteint leurs cibles, pour une raison quelconque—et les raisons sont nombreuses—est d'environ 30 p. 100. Je parle ici des Canadiens.

Environ 70 p. 100—en fait, le chiffre exact est 72 p. 100—de nos munitions guidées laser ont atteint leur objectif. Vingt-huit pour cent des bombes n'ont pas touché l'objectif. Dans certains cas l'objectif a été raté de près et dans d'autres cas, nous ne savons pas exactement où les bombes sont tombées, pour d'autres raisons.

En fait, s'agissant des bombes larguées, il y a celles que l'on a lâchées pour des raisons autres que le combat. Dans un cas, l'arme pendait d'une des ailes de l'appareil, et il a fallu la lâcher dans une zone d'évacuation, pour la sécurité même du pilote à l'atterrissage. Si l'on n'avait pas fait cela, la bombe risquait d'éclater au moment où l'appareil toucherait le sol. Dans un autre cas, deux bombes guidées laser ont été lancées à partir de l'aile alors que le pilote effectuait une manoeuvre d'évasion après avoir été attaqué par des batteries de missiles de défense aérienne serbes, à partir du sol.

Oui effectivement, il y a eu des ratées. Dans ce cas-là, ou quand nous ratons la cible de près, nous tâchons de déterminer s'il y a eu effectivement des dommages collatéraux. Les images prises au radar infrarouge à vision vers l'avant, quand nous en avions, nous ont permis de confirmer que dans la majorité des cas, il n'y a pas eu de dommages collatéraux.

Il y a eu des cas toutefois où, pour des raisons évidentes, nous n'avons pas vu l'impact de la bombe, même si elle avait été guidée par laser directement sur la cible. C'était quand il y avait un nuage au dernier moment ou pour une raison de cet ordre.

En réponse à votre question, le chiffre est de 28 p. 100.

M. Gurmant Grewal: Merci.

Le ministère de la Défense nationale a-t-il déterminé le coût de l'opération et le coût de la reconstruction? Avez-vous des chiffres là-dessus?

Une dernière question: avez-vous des recommandations à présenter sur notre intervention militaire afin que nous puissions tirer des leçons des erreurs commises pendant la crise au Kosovo?

Lgén Raymond Henault: Je vais répondre à votre première question. La campagne a coûté plus de 26 millions de dollars—c'était en réalité plus près de 27 millions de dollars—et de cette somme 18 millions de dollars ont été consacrés aux munitions.

Pouvez-vous répéter votre deuxième question s'il vous plaît?

M. Gurmant Grewal: Avant que je répète ma deuxième question, je vous demanderai quel a été le coût de la reconstruction des endroits dévastés? Avez-vous une estimation?

Lgén Raymond Henault: Vous parlez de la reconstruction du Kosovo?

M. Gurmant Grewal: Oui.

Lgén Raymond Henault: Non, je n'ai pas ces chiffres. Un effort international énorme est actuellement consenti...

M. Gurmant Grewal: Mais nous ignorons quelle est la part du Canada. Vous n'avez pas de chiffres sur la part que le Canada apportera au processus de reconstruction, n'est-ce pas?

Lgén Raymond Henault: Non. Je vous rappelle que le Canada a offert quelque 200 millions de dollars pour la reconstruction et le reste.

M. Gurmant Grewal: D'accord.

Le président: Je pense que c'est 220 millions de dollars, si je me souviens bien...

Lgén Raymond Henault: C'est cela, monsieur le président.

M. Gurmant Grewal: Vous voulez que je vous répète la question que je posais à propos des leçons tirées de notre intervention militaire au Kosovo. Avez-vous des recommandations à faire à l'intention du comité afin que nous soyons avertis pour l'avenir, si jamais une telle situation malheureuse comme celle-là se reproduisait?

Lgén Raymond Henault: Merci de cette question, car elle est excellente.

Dans le cas de chacune de nos missions, nous procédons, de façon très rigoureuse, à un examen de conscience pour en tirer les leçons, et nous l'avons fait pour le Kosovo. Il y a un processus de compilation censé nous permettre de regrouper tous les aspects de la phase de mise en oeuvre du déploiement et de celle du redéploiement.

Dans le cas de la mission au Kosovo, la campagne aérienne comme telle nous a permis de tirer certaines leçons qu'on est actuellement en train de mettre à profit au quartier général. Je ne pourrais pas vous les citer toutes, mais je peux vous assurer qu'il y en avait de très bonnes et d'autres moins bonnes s'agissant de ce que nous pouvons faire et de la façon dont nous procédons.

• 1120

Essentiellement, sur le plan positif, nous avons pu vérifier que nous avons une très bonne capacité d'interopérabilité avec nos alliés de l'OTAN et en particulier avec nos alliés américains. Nous pouvons travailler en étroite collaboration avec eux non seulement pour les exercices, car nous savions que nous pouvions le faire dans ce cas-là, mais également pour les opérations.

Par ailleurs, nous savons que nous avons du travail à faire pour ce qui est de notre capacité de nous déployer, à l'échelle mondiale, si vous le voulez, c'est-à-dire notre capacité d'envoyer nos militaires au-delà des frontières canadiennes.

Nous savons également que nous avons des choses à redresser sur le plan du matériel de mission à bord des CF-18, afin qu'il puisse continuer d'être adapté à toute une gamme de circonstances.

De plus, nous devons mieux définir la façon dont nous déployons nos forces et nous devons savoir les déployer plus rapidement. La campagne aérienne est un assez bon exemple de notre capacité à réagir rapidement mais il nous a fallu compter sur un appui assez considérable d'organismes externes, des contractuels ou encore un appui aérien de la part de nos alliés.

Nous pouvons compter sur des enseignements tirés de ce contexte de campagne aérienne car nous avons pu vérifier la capacité opérationnelle qu'offre l'équipement de vision nocturne, par exemple, ce qui se traduira par une modernisation du matériel dont on compte équiper les CF-18 dans le cadre du processus à long terme de modernisation de l'équipement.

Au quartier général, nous tenons compte de toutes ces leçons et nous espérons pouvoir mettre en pratique ultérieurement ce que nous aurons appris. D'ailleurs, nous avons déjà entrepris la modernisation des CF-18.

Contre-amiral M. Bruce MacLean (directeur général, Politique de la sécurité internationale, ministère de la Défense nationale): Si vous me permettez, l'une des leçons les plus importantes à retenir du point de vue stratégique, c'est la prévisibilité des conflits.

Même si l'on peut comprendre que les Balkans constituent une zone particulièrement difficile et pleine de défis, si vous aviez demandé aux gens, il y a plusieurs années, si le Canada était en mesure d'envoyer des troupes pour maintenir la paix dans une région comme le Kosovo, vous auriez eu toutes sortes de réponses au sujet de la possibilité que des avions canadiens puissent mener des bombardements en Serbie.

Dans l'optique des capacités générales des Forces armées canadiennes, il faut bien comprendre qu'il est impossible de prédire dans quelle zone un conflit éclatera. Mais le facteur de prévisibilité constitue toujours néanmoins un instrument important pour le gouvernement, et si le gouvernement choisit de l'utiliser, il nous faut alors être en mesure de livrer la marchandise. Voilà une autre leçon que nous a apprise le Kosovo.

Si vous me permettez de revenir à ce qui a été dit tout à l'heure au sujet des armes de frappe de précision, je crois que dans une certaine mesure nous tous—les médias, les militaires et les décideurs—avons mis beaucoup trop l'accent sur la précision.

Comme l'a signalé le général, ces armes de précision ne nous donnent pas cette capacité ultime que certains d'entre nous souhaiteraient peut-être voir chez nos forces armées et qui pourraient nous donner un sentiment d'exécution impeccable et de précision chirurgicale. En réalité, les conflits ne sont et ne seront jamais ni propres ni beaux à voir, et il y aura toujours des accidents et des erreurs, de par la nature même des tâches qui sont les nôtres. Il faut que votre comité le comprenne, puisqu'il s'inquiète que des stations de radio et des ponts ont été atteints, entre autres choses. Nous ne pourrons jamais être sûrs à 100 p. 100 de notre cible, comme certains de nous le souhaiteraient pourtant.

Merci.

M. Deepak Obhrai: Puis-je demander au général de nous fournir copie du document qu'il a dans son bureau et qu'il a omis d'apporter, et qui porte sur les leçons à tirer du Kosovo, car cela pourrait aider notre comité à mieux comprendre.

Le président: Dans la mesure où ce n'est pas un document interne ni secret. S'agit-il d'un document à diffusion restreinte?

Lgén Raymond Henault: C'est un document en partie classifié et en partie à diffusion libre; mais je me ferai un plaisir de vous fournir la partie du document qui est à diffusion libre.

M. Deepak Obhrai: Cela pourrait nous servir.

Le président: Cela pourrait être utile à nos attachés de recherche, lorsqu'ils rédigeront notre rapport.

Lgén Raymond Henault: Je vous le transmettrai volontiers.

Le président: Merci beaucoup, nous vous en sommes reconnaissants.

[Français]

Madame Lalonde, avez-vous des questions?

Mme Francine Lalonde: Oui, monsieur le président.

Le brigadier général Maisonneuve est venu donner un témoignage hautement apprécié. Il a établi qu'à partir d'un certain moment, il était devenu trop dangereux pour les vérificateurs de l'OSCE de continuer mais que, par ailleurs, ils avaient fait un excellent travail.

Une fois cela admis, vu que le flux de Kosovars continuait à sortir du Kosovo, il fallait faire quelque chose. La solution militaire s'imposait donc. Jusque-là, notre position est assez claire.

Mais la question se pose: que devait-il être fait? Le choix de l'intervention aérienne ciblée ne nous a pas été soumis. C'est l'OTAN qui a décidé de faire cela.

• 1125

Certains témoins ont dit que ce choix avait retardé la décision de Milosevic de faire la paix, si on peut s'exprimer ainsi, et que seule la menace d'invasion terrestre avait eu un effet sur Milosevic. Le témoin qui a dit ceci est un ancien ambassadeur du Canada en Croatie, Graham Green. Il écrit maintenant pour l'Ottawa Citizen.

J'aimerais savoir ce que vous pouvez nous répondre là-dessus, parce que c'est une question extrêmement importante. Nous revoyons l'ensemble de cette situation. Donc, que faire?

Lgén Raymond Henault: C'est certainement une question de politique et de diplomatie, madame Lalonde, mais vous avez entièrement raison. Jusqu'au moment où la décision a été prise par le Conseil de l'Atlantique Nord de débuter la campagne aérienne, le processus visait plutôt la diplomatie et avait pour but d'éviter le conflit lui-même.

Par la suite, par contre, l'ensemble des nations qui forment l'OTAN et le Conseil de l'Atlantique Nord, c'est-à-dire les 19 nations, dont le Canada fait partie, ont pris la décision collectivement de s'engager dans le conflit elles-mêmes. Nous sommes là pour servir le gouvernement canadien et nous avons entrepris la campagne aérienne.

Mme Francine Lalonde: Avez-vous participé vous-même à cette décision?

Lgén Raymond Henault: Le Canada a participé à cette décision par l'entremise de son ambassadeur, M. Wright. Nous avons été impliqués dès le début parce que nous étions membres de l'OSCE et de la KVM avec le général Maisonneuve. Nous étions en relation continue avec le ministère des Affaires étrangères et, par son entremise, avec nos représentants à l'OTAN.

Personnellement, je n'ai pas été impliqué dans la décision de débuter la campagne, mais nous savions que notre représentant, c'est-à-dire l'amiral à trois étoiles qui siège au comité militaire à Bruxelles, avait beaucoup d'importance. L'ambassadeur Wright était directement impliqué. Il pouvait faire connaître la position bien établie du gouvernement canadien dans le processus décisionnel.

Alors, oui, nous avons été impliqués et nous étions au courant des événements qui se déroulaient.

Mme Francine Lalonde: Qu'avez-vous à dire maintenant que c'est fait? Personne ne souhaite que se reproduise ce choix d'une intervention militaire aérienne par rapport à celui d'une menace.

Lgén Raymond Henault: Je vais vous répondre et je vais ensuite laisser la parole à l'amiral MacLean, qui a aussi été impliqué très étroitement dans le processus.

Le Conseil de l'Atlantique Nord et tous les pays impliqués avaient bon espoir que la campagne aérienne atteigne le but voulu, c'est-à-dire ramener M. Milosevic à la table de négociations et, si nécessaire, isoler ses forces au Kosovo, jusqu'au point où il n'aurait plus été capable de continuer à perpétrer son programme d'ethnic cleansing, comme on dit en anglais. Le but était de le ramener à la table de négociations, et il a été atteint.

Ce n'était pas du tout le consensus des nations que de mener une campagne terrestre. Les capacités ont été établies dans les nations, mais nous n'étions pas d'avis que la campagne terrestre était nécessaire au moment où la campagne aérienne a pris fin.

• 1130

[Traduction]

Amiral, voulez-vous ajouter quelque chose?

Cam Bruce MacLean: Oui. Pour ce qui est de mener la campagne terrestre, on pourra toujours se demander si on a eu recours à la force militaire appropriée. C'est d'ailleurs une question légitime et importante. Mais lorsqu'il y a 19 pays autour de la table, le plus grand problème reste d'atteindre une décision consensuelle.

De plus, n'oubliez pas que nous souhaitions tous trouver une solution diplomatique au conflit. Mais jusqu'où aller pour y parvenir? Quel degré de force devions-nous brandir devant l'adversaire? Lorsque tous ces facteurs ont été exposés collectivement au Conseil de l'OTAN, c'est la campagne aérienne qui a été considérée comme étant la meilleure solution dans ce cadre particulier. Au fil des semaines, toutefois, l'OTAN s'est rendue compte que le défi serait beaucoup plus grand, puisque Milosevic ne semblait pas plier l'échine aussi rapidement que certains l'avaient espéré.

Il y a un autre élément qui intervient aussi: dès lors que l'on lance une campagne militaire, il faut la mener jusqu'au bout, jusqu'à sa conclusion logique. Par conséquent, si la campagne aérienne avait échoué, on en serait arrivé à un point où il aurait été nécessaire de mettre autre chose sur la table. Or, nous n'avons pas eu à prendre cette décision. On pourra toujours spéculer sur l'événement qui a effectivement poussé Milosevic à céder, et se demander s'il s'agissait du bombardement de l'infrastructure ou de la menace d'envoyer des forces terrestres. Je ne saurais répondre, et les spéculations se poursuivront.

D'un point de vue strictement miliaire, il ne fait pas de doute que nous préférons toujours avoir en main toute la gamme des solutions pour faire face à un conflit particulier. Mais cela ne sera pas toujours possible. D'ailleurs, c'est rarement le cas, puisqu'il y a tant d'autres facteurs qui interviennent et qui modifient la façon dont les forces armées réagissent dans un cas particulier. Je dirais que c'est normal et inévitable.

Le président: Pour nous aider, vous pourriez peut-être nous dire quel type de campagne, d'un point de vue militaire, aurait été la campagne optimale à mener dans les circonstances. D'un côté, il y a la campagne militaire optimale du point de vue strictement militaire, à laquelle vient se superposer la campagne optimale du point de vue diplomatique et politique, dans le contexte d'un regroupement de 19 pays faisant valoir leurs points de vue respectifs selon leurs orientations nationales, politiques et internationales. Vous voyez que la décision ultime dépend de multiples analyses se fondant sur des facteurs militaires et politiques complexes.

Cam Bruce MacLean: Monsieur le président, vous avez tout à fait raison. C'est effectivement ce qui s'est passé dans une situation comme celle-là, extrêmement fluide et dynamique.

Le président: En effet.

[Français]

Avez-vous une question, madame Lalonde?

Mme Francine Lalonde: Oui. Ça, c'était ma question large. J'ai des questions plus pointues.

Le président: Vous avez des questions plus pointues? Je pensais que nous pourrions terminer avant 12 heures.

Mme Francine Lalonde: Oui, il faut partir, mais je tiens quand même à poser une question sur les cibles, monsieur le président.

J'ai lu plusieurs articles relatant que l'OTAN était mal préparée. On a dit qu'elle avait des cibles pour peut-être quelques jours, mais quand on a vu que ça durerait plus longtemps, on a eu la chasse aux cibles. Certains expliquent ainsi le bombardement de l'ambassade de Chine, avec toutes les conséquences politiques qu'elle a eues.

Avez-vous participé à la détermination des cibles et aviez-vous le choix des cibles?

Lgén Raymond Henault: La détermination des types de cibles pour les frappes aériennes était faite par le Conseil de l'Atlantique Nord, avec le secrétaire général, selon les recommandations du commandant suprême, le général Clark. Les nations n'ont pas été impliquées directement dans la détermination des cibles globales. Cela a été fait avec l'accord de toutes les nations.

• 1135

Quand les cibles avaient été déterminées du point de vue global, si vous voulez, dépendant de la phase et du déroulement de la campagne, les cibles étaient accordées au chef aérien, c'est-à-dire le commandant, le général Smith, qui était à Vicenza. Il établissait les cibles appropriées pour la phase de la campagne sur la base des cibles approuvées par le Conseil de l'Atlantique Nord.

Les cibles spécifiques étaient déterminées par un joint targeting board qui faisait des recommandations au général Smith. Celui-ci transmettait les recommandations au commandant suprême, le général Clark, qui les présentait encore une fois au CAN, qui approuvait les cibles finalement. Le tout retournait au centre des opérations où un ordre d'opération était élaboré pour assigner les cibles à chacune des nations, selon les capacités des avions, les munitions qui étaient disponibles et ainsi de suite.

À ce moment-là, nous avions une implication directe dans les cibles. Nous avions été d'accord sur la participation dans la gamme complète des opérations. Nous avions été rassurés. En fait, nous étions confiants en ce qui concerne la sélection des cibles parce que le Conseil de l'Atlantique du Nord, auquel nous avons un représentant canadien, était représenté dans le processus décisionnel.

Lorsqu'une cible était assignée au pilote même ou au contingent canadien, nous faisions une vérification supplémentaire en nous basant sur la relation militaire de la cible même et sur notre capacité d'engager la cible, tant du point de vue juridique qu'opérationnel. À ce moment-là, le commandant de contingent, qui était le représentant du chef de la défense, prenait la décision.

Nous avions aussi une implication nationale. Toutes les cibles assignées aux Canadiens étaient confirmées ici, au niveau national. Même si nous ne prenions pas les décisions sur le terrain de l'engagement ou de l'assignation de chacune des cibles, nous aidions le commandant dans son processus décisionnel. Quand il avait des doutes ou avait besoin d'information ou d'images supplémentaires, c'est nous qui les lui fournissions.

Il y avait donc une implication aussi bien internationale, de la part du conseil, que nationale; on aidait sur le terrain les gens qui exécutaient la mission. Donc, oui, nous étions impliqués.

Mme Francine Lalonde: Vous dites que la guerre est une sale chose et qu'il ne peut y avoir de guerre sans dommages. Même si on utilise les mots «dommages collatéraux», qui semblent tout purifier, cela veut dire qu'il y a pertes de vies humaines.

Dans les sorties canadiennes, y a-t-il eu beaucoup de dommages dits collatéraux, c'est-à-dire beaucoup de pertes de vies humaines?

Lgén Raymond Henault: Pas à notre connaissance, madame Lalonde. Nous avions des rapports aussi détaillés que possible sur les attaques des avions canadiens, mais il faut se rappeler qu'au moment même, nous n'avions pas du tout la capacité d'aller sur le terrain.

Nous n'avions pas le feedback de quelqu'un qui serait allé sur le site même pour déterminer s'il y avait eu des impacts à côté de la cible ou quoi que ce soit. À notre connaissance, nous n'avons été impliqués dans aucun dommage collatéral significatif.

• 1140

Est-ce qu'il y a eu des impacts sur des maisons ou des ponts? Il est probable que oui. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu de dommages collatéraux du tout, mais, comme je l'ai mentionné, notre but était toujours de minimiser ces dommages autant que possible.

Mme Francine Lalonde: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci bien.

[Traduction]

Cela m'embête de faire cela, mais je voudrais revenir brièvement au bombardement de la station de radiodiffusion et de télévision. Pourriez-vous confirmer ce que j'ai entendu dire: même si l'OTAN n'a pas fait connaître à l'avance son intention de bombarder la station, le porte-parole de l'OTAN aurait clairement indiqué à l'avance au gouvernement serbe que cette station ainsi que d'autres moyens de communication de propagande étaient des cibles légitimes pour l'OTAN.

Je crois également savoir que les dirigeants de la station de radio-télévision ont interdit aux employés de quitter leurs postes, sous peine de licenciement. D'après ce que j'ai lu dans la presse, ces employés se rendaient tous les jours au travail sachant qu'ils pourraient être bombardés, puisque tout le monde savait, semble-t-il, qu'il y aurait bombardement. Toutefois, on leur aurait interdit de quitter leurs postes.

[Note de la rédaction: Inaudible]

Une voix: ...

Le président: Oui, je peux même vous montrer ce qu'en disait la presse.

Est-ce bien ce que vous en savez vous aussi?

Lgén Raymond Henault: Monsieur le président, ce que vous dites est juste. Évidemment, il m'est impossible de confirmer les directives exactes que l'on aurait données aux employés, mais cela a déjà transpiré dans la presse dans une certaine mesure. Mais vous avez raison. Il ne faisait aucun doute pour ceux qui étaient en Serbie et au Kosovo que les mécanismes de transmission de la propagande du régime Milosevic constituaient des cibles de bombardement pour les forces de l'OTAN. Voilà pourquoi on peut dire qu'il y a eu avertissement, même si l'OTAN n'a pas prévenu qu'elle allait bombarder telle ou telle cible.

Le président: Monsieur Grewal, soyez bref.

M. Gurmant Grewal: Je remercie le général de l'information qu'il nous a fournie.

Il y a quelque chose qui m'intéresse, dans le but d'en savoir plus et d'essayer d'améliorer notre potentiel militaire. Récemment, en raison des compressions du budget des forces armées, on a réduit l'équipement de notre personnel militaire, ce qui a eu un effet délétère sur le moral de nos braves hommes et femmes. Pourriez-vous nous expliquer dans quelle mesure, à votre avis, les compressions budgétaires ont obligé les forces armées à se contenter d'un équipement de moindre qualité ou ont nuit au moral du personnel?

Lgén Raymond Henault: Oui. Merci.

Bien que la flotte de F-18 ait besoin d'être modernisée, comme d'ailleurs d'autres flottes d'aéronefs, de navires et de matériel de l'armée de terre des Forces armées canadiennes, je peux vous confirmer que nous avons participé très efficacement à la campagne aérienne. D'ailleurs, on nous classait parmi les forces aériennes les mieux entraînées et les plus capables dans la région. Le général Short me l'a confirmé quand je l'ai rencontré personnellement. Il ne tarissait pas d'éloges à l'endroit des capacités des aéronefs canadiens et de leurs équipages.

Nos aéronefs étaient comparables à ceux des autres pays membres de l'OTAN, malgré certaines faiblesses du matériel de communication, de systèmes informatiques de pointe et de liaisons de données avec, par exemple, les aéronefs ou les systèmes aéroportés de détection lointaine et de contrôle des autres pays. Nous devons corriger ces faiblesses si nous voulons que nos forces soient toujours à la hauteur, mais ces faiblesses n'ont pas nui à notre capacité d'exécuter les missions qui nous ont été confiées au Kosovo.

À mon avis, le plus impressionnant—et cela illustre bien la valeur de nos initiatives d'interopératibilité avec nos alliés de l'OTAN, particulièrement les États-Unis—c'est que nous faisons partie de l'équipe principale, comme le ministre l'a dit à maintes reprises tout au long de la campagne. Nos pilotes, lorsqu'ils exécutaient des missions aux commandes de F-18 qui sont des appareils polyvalents qui peuvent voler par tous temps et de jour comme de nuit, capables d'emporter des munitions de précision ou classiques, ce qui, en passant, n'était pas le cas de tous les pays de l'OTAN participants—étaient jugés capables non seulement de piloter les aéronefs, mais aussi de diriger les missions. Dans pas moins de 50 p. 100 de nos missions d'interdiction aérienne en champ de bataille—c'est-à-dire les missions de frappe profonde que nous avons exécutées—nous dirigions en fait les formations d'aéronefs, chacune comptant entre 60 et 80 aéronefs. Ainsi, les Canadiens étaient perçus comme ayant des capacités de pointe.

• 1145

Cela tient à l'entraînement que nous recevons et aux exercices que nous menons avec nos alliés de l'OTAN, et plus particulièrement les Américains; à la confiance mutuelle qui s'est instaurée entre nos deux pays; et, dans une très grande mesure, au matériel comparable que nous avons, puisque l'armée de l'air américaine, comme c'est le cas dans de nombreux autres pays de l'OTAN, utilise des F-18 ou des F-15 ou, encore, des aéronefs dotés de capacités comparables.

Ainsi, malgré certaines faiblesses, nous étions tout à fait à la hauteur des missions qui nous étaient confiées.

M. Gurmant Grewal: Merci.

Le président: Général, nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Vous reviendrez peut-être nous voir.

Amiral, nous avons aussi grandement apprécié votre présence et la franchise avec laquelle vous avez répondu aux questions. Cela nous sera très utile.

Merci.

Chers collègues, j'aimerais vous signaler que la réponse du gouvernement au rapport sur la SEE a été déposée à la Chambre aujourd'hui. Il y a dans le Ottawa Citizen un article sur la vérification environnementale dont il était question dans le rapport. Cela pourrait vous intéresser. Nous en avons des exemplaires si quelqu'un en veut.

La séance est levée jusqu'au 30 mai, après la semaine d'ajournement, et nous reprendrons alors l'examen du projet de loi C-19.

Merci.