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ENVI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 17 novembre 1999

• 1536

[Traduction]

Le président (l'hon. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bon après-midi à tout le monde.

J'aimerais poursuivre l'examen du monde des pesticides. Nous entendons aujourd'hui Angela Rickman et Burkhard Mausberg.

Bienvenue au comité. Vous pouvez faire vos exposés dans l'ordre qui vous plaira, en vous limitant si possible, mais pas nécessairement, à 10 minutes chacun, de façon à ce qu'on puisse vous poser des questions. Qui aimerait commencer?

Mme Angela Rickman (directrice adjointe, Sierra Club du Canada): Je crois que je vais commencer.

Le président: Bienvenue de nouveau au comité.

Mme Angela Rickman: Merci.

Bonjour, je m'appelle Angela Rickman. Je suis directrice adjointe du Sierra Club du Canada. Je suis heureuse d'avoir été invitée pour vous parler des pesticides.

Le Sierra Club du Canada est un organisme environnemental national, préoccupé par les dangers qui menacent la santé et la pérennité de nos systèmes naturels, et toutes les formes de vie qui dépendent de ces systèmes.

Grâce aux programmes d'information publique et aux efforts de collaboration avec le personnel scolaire, d'autres organismes non gouvernementaux, l'industrie et les législateurs, nous mettons tout en oeuvre pour une plus grande sensibilisation des gens à la dégradation anthropique de l'environnement, l'objectif final étant l'inversion des effets des activités non durables.

Les campagnes actuelles du Sierra Club incluent le changement climatique, la biodiversité, les forêts, la biotechnologie, le commerce et l'environnement, et les derniers et non les moindres, les pesticides et les substances toxiques. En fait, la campagne concernant les pesticides et les substances toxiques a été l'une de nos premières campagnes. Pour nous et nos membres, ces produits font toujours partie de nos préoccupations évidentes.

Nous comptons parmi les initiateurs de la campagne de réduction des pesticides, ou CRP. Ces initiateurs sont en fait constitués d'un réseau national de personnes et de groupes qui s'occupent activement des problèmes causés par les pesticides. Nous offrons le soutien, les conseils et l'information nécessaires à nos membres, qu'ils habitent à Cornerbrook (Terre-Neuve) ou à Victoria (Colombie-Britannique) ou encore, à Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest). Nous collaborons actuellement à des campagnes qui ont lieu dans 48 collectivités du pays, dans le cadre desquelles des citoyens responsables tentent de convaincre les conseils municipaux de bannir ou de restreindre l'utilisation à des fins esthétiques de pesticides au sein de leur collectivité.

Cependant, il est important de se rappeler que ces campagnes ne représentent que la pointe de l'iceberg. La CRP n'a débuté qu'en 1996, avec de maigres ressources financières, et le recrutement de nos membres a résulté surtout du bouche à oreille: je suis certaine que ce nombre ne représente qu'un faible pourcentage du nombre de campagnes menées par divers bénévoles partout au pays.

À la suite de cette présentation, je serais heureuse de répondre aux questions concernant cette initiative, si des membres du comité souhaitent entreprendre une campagne de ce type au sein de leur collectivité ou encore, désirent obtenir de l'information à ce sujet.

La Sierra Club a participé en 1989 à la révision de la réglementation relative aux pesticides, qui a donné lieu à la rédaction du livre bleu en 1990. Ce livre comprend une série de recommandations ayant trait à la révision de la Loi sur les produits antiparasitaires. Cette révision a été suivie en 1994 d'une proposition du gouvernement visant la mise en place du système de réglementation de la lutte antiparasitaire qui a fait l'objet d'un livre mauve.

• 1540

Toutefois, on oublie fréquemment l'autre document qui promettait une modification, non encore appliquée, de la Loi sur les produits antiparasitaires, soit le livre rouge. Nous attendons encore l'intervention du gouvernement libéral quant à l'application de modifications prévues depuis longtemps.

Au nombre de nos préoccupations à l'égard de l'actuelle Loi sur les produits antiparasitaires, précisons les méthodes utilisées présentement pour fixer les doses journalières admissibles (DJA) et les seuils de tolérance (SDT). Dans le cadre de la pratique actuelle, chaque produit chimique est évalué en vase clos, comme si l'être humain moyen était exposé à un seul produit chimique. On n'accorde aucune importance aux effets qui résultent de l'exposition quotidienne de chacun d'entre nous à la multitude d'autres produits chimiques. Les effets synergiques de certains des produits chimiques peuvent avoir une incidence inattendue et considérablement plus importante que l'exposition à chacun de ces produits: en fait, la totalité peut bien être supérieure à la somme des ses parties.

Lors de l'établissement des SDT et des DJA, la pratique actuelle fait fi également des caractéristiques particulières de présentent les personnes les plus à risque. Les seuils sont les enfants, les femmes enceintes et les personnes malades reposent sur ce que l'on juge être des seuils sécuritaires pour l'être humain moyen. Pourtant les enfants ne sont pas de «semi-adultes». Ils mangent plus de nourriture, boivent plus d'eau et respirent plus d'air, livre par livre, qu'un adulte. D'emblée, leur peau absorbe davantage de pesticides, mais leurs organes ne peuvent métaboliser ou éliminer ceux-ci au même rythme que celui d'un adulte.

Actuellement, nous savons qu'il existe des produits homologués qui perturbent le système endocrinien des humains et des animaux. Ces produits chimiques imitent le fonctionnement des hormones dans les divers processus de la vie animale, associés à la croissance et au mécanisme de reproduction. Avec ces substances, il suffit d'une minute d'exposition du foetus à un moment critique de son développement pour causer à celui-ci des torts irréparables.

Les symptômes attribuables à l'exposition aux produits chimiques qui perturbent le système endocrinien incluent les anomalies du système reproducteur, notamment une plus faible quantité de spermatozoïdes, une taille réduite du pénis et bon nombre d'autres anomalies que l'éminente Dre Theo Colborne expliquera certainement. D'autres effets se produisent, dont les anormalités sur le plan comportemental comme une agressivité accrue, etc.

Notre connaissance de l'incidence de certains produits chimiques sur le système endocrinien ne remonte qu'aux quinze dernières années; or, notre loi sur les produits antiparasitaires, âgée de 30 ans, lui est manifestement antérieure. Bien que l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire réclame la prise en compte des propriétés endocriniennes des pesticides lors de leur évaluation, cela n'entraîne pas pour autant l'annulation de l'homologation de ces produits malgré leur effet potentiel dévastateur.

Les représentants de l'industrie du tabac ont prétendu pendant des décennies que leurs produits étaient inoffensifs. Cela a pris bien du temps avant que les législateurs n'aillent à l'encontre des intérêts du puissant lobby dans le but de protéger la santé des citoyens. Maintenant, nous pouvons choisir de ne pas fumer et de ne pas fréquenter le bars enfumés pour nous protéger des effets de la fumée de cigarette. Nous ne pouvons cependant nous protéger des effets des pesticides. Si votre voisin décide d'arroser de pesticides sa pelouse, ou que votre municipalité opte pour l'arrosage de ses parcs ou encore, que la cafétéria ou le restaurant du parlement pulvérise un pesticide dans la cuisine ou dans la garderie de votre enfant ou au camp d'été, on ne vous fait pas l'honneur de vous en aviser dans la majorité des cas.

En effet, vous pouvez être exposé des centaines de fois par jour à ces produits et vous ne le saurez jamais. Si c'est à l'extérieur, vous allez parfois voir un avis sur la pelouse, mais si c'est à l'intérieur d'un édifice, vous ne le saurez pas à moins d'éprouver une sévère réaction, si vous êtes sensible aux produits chimiques. En effet, vous pouvez être exposé à ces produits une centaine de fois par jour sans jamais le savoir.

Bon nombre d'éléments sont erronés dans cette loi. La base de la décision relative à l'homologation ou non d'un pesticide («risque inacceptable de préjudices») n'a jamais été définie. Le public n'a pas le droit d'en appeler de l'homologation d'un pesticide et ce, malgré le fait que l'industrie peut faire appel si un pesticide n'est pas homologué.

On autorise l'incorporation de 4 789 «inertes» dans la composition d'un pesticide sans que l'on soit tenu d'en faire mention sur une étiquette. Non seulement ces ingrédients ne sont-ils par inertes (ils incluent d'autres pesticides, du benzène, du formaldéhyde et d'autres produits chimiques toxiques), mais en plus l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire tait leur existence de même que les fabricants, sous prétexte de protéger des renseignements commerciaux confidentiels.

Les effets cumulatifs des pesticides ne sont pas pris en considération lorsque l'on se fixe des seuils d'exposition. Non plus en ce qui a trait aux effets synergiques. Certains des tests qui sont maintenant obligatoires uniquement dans certains cas devraient être normalisés. Les tests relatifs à la neurotoxicité du développement et les tests portant sur les perturbations du système endocrinien devraient faire l'objet de normes étant donné leur incidence sur la santé des enfants.

En outre, la Loi sur les pesticides antiparasitaires ne tient pas compte de l'incidence éventuelle d'une exposition prématurée des personnes au cours de leur enfance ni des risques de cancer à long terme de ce type d'exposition.

• 1545

Dans son rapport sur la gestion des substances toxiques au Canada, Brian Emmett, le vérificateur général en matière d'environnement, a semoncé le gouvernement. Il a fait état d'un certain nombre de domaines à l'égard desquels la Loi sur les produits antiparasitaires est déficiente. Il affirme ce qui suit:

    Bon nombre des pesticides utilisés de nos jours au Canada ont été évalués à la lumière des normes précédentes, qui sont moins rigoureuses en matière de santé d'environnement. Le gouvernement fédéral n'a pas respecté son engagement de longue date, soit de mettre en place un programme visant la réévaluation des pesticides actuels par rapport aux nouvelles normes. La réévaluation de trois groupes de pesticides, en cours depuis près de 20 ans, n'est pas encore terminée.

Mon mémoire aborde beaucoup d'autres questions dont traite le rapport du vérificateur général, mais je suis sûr que vous en avez déjà pris connaissance ou qu'il vous a présenté ses questions.

Le ministre de la Santé envisage d'apporter des modifications à la Loi sur les produits antiparasitaires, et à cette fin un projet de loi a été préparé. Je crois qu'on vous a fait circuler une note d'information sur certaines de ces modifications, donc vous êtes sans doute au courant de certaines d'entre elles. Les modifications améliorent quelque peu cette dernière, mais l'industrie fait fortement pression pour que le ministre se garde d'apporter des modifications qui pourraient changer leurs façons de faire.

La loi doit tenir compte des caractéristiques particulières relatives aux enfants, aux foetus, aux personnes âgées, aux personnes malades et aux personnes sensibles aux produits chimiques. Nous voulons la participation du public aux processus d'homologation et de réévaluation, aux procédures d'approbation accélérées de solutions moins toxiques et à l'information complète sur les ingrédients contenus dans les pesticides, y compris des produits fréquemment toxiques.

Si les pesticides sont si mortels, pourquoi n'assistons-nous pas à une panique généralisée des gens dans les rues? Bien, les décès causés par les pesticides ne constituent pas une délivrance et les gens ne meurent pas rapidement. La maladie se prolonge et dans de nombreux cas, le malade souffre. La difficulté réside dans le fait d'établir un lien causal entre une exposition prolongée pendant l'enfance, par exemple, et le cancer et les autres maladies qui sont détectées plus tard.

Une étude effectuée par un groupe de chercheurs de Windsor révèle que les femmes exposées aux pesticides courent un plus grand risque de développer un cancer du sein avant la ménopause. Ils ont obtenu dernièrement une subvention de la Commission de la sécurité et de l'assurance des travailleurs de l'Ontario à la suite des données recueillies sur une période de trois ans, dans le cadre d'un projet pilote portant sur l'examen des antécédents des gens de la région de Windsor et de Essex County, qui sont atteints d'un cancer. Cette information illustre que les femmes associées au secteur agricole présentent des taux anormalement élevés de cancer du sein avant la ménopause.

L'information est tirée d'un projet pilote qui a débuté en 1995, dans le cadre duquel étaient examinés les antécédents professionnels de 1 000 personnes atteintes d'un cancer. Cette étude est plus détaillée que la plupart des projets de recherche traitant de la santé et des maladies professionnelles, qui ont recours aux certificats de décès pour établir les antécédents professionnels d'une personne. Un certificat de décès n'indique que le dernier lieu de travail. S'il est mentionné la profession d'architecte par exemple, le chercheur peut ne pas savoir que des années auparavant la personne a travaillé dans une mine de charbon. Il n'indiquera pas non plus que lorsque la personne était adolescente, elle peut avoir travaillé dans le secteur agricole ou dans l'industrie des cultures de serre ou encore, avoir grandi sur une ferme.

En 1998, on a diagnostiqué que 7 600 femmes, en Ontario seulement, avaient contracté le cancer du sein et 2 000 d'entre elles en sont mortes. Selon le Registre d'inscription des cas de cancer de l'Ontario, 208 femmes de Essex County ont développé un cancer du sein.

Au cours des années 80 dernières années, le taux de cancer du sein au Canada n'a jamais cessé de grimper, coïncidant ainsi avec une exposition accrue aux pesticides et aux produits chimiques présents dans l'environnement. Et maintenant il y a les pluies toxiques. La pluie, couplée au 2,4-D, un herbicide commun, tombe sur les gens, la faune, les jardins et les fermes du sud de l'Alberta—une découverte qui a alarmé les scientifiques.

Agriculture Canada affirme que selon une étude effectuée dans la région de Lethbridge, l'an dernier, des quantités d'herbicide extrêmement élevées, et inacceptables, sont présentes dans les précipitations. Cela signifie que ce produit flotte dans l'atmosphère en faible teneur, et que vous le respirez. Les agriculteurs biologiques sont inquiets du fait que cette situation aura une incidence sur leur accréditation.

On a relevé cet herbicide dans TOUS les 150 échantillons de pluie recueillis du 30 mai au 17 août, dans huit emplacements de la région de Lethbridge y compris dans l'arrière-cour de trois résidences urbaines, sur un terrain de golf, et sur une ferme. La quantité la plus élevée de 2,4-D a été trouvée sur un terrain de golf, où on a enregistré 5,1 parties par milliard. La quantité la plus faible a été recueillie dans l'arrière-cour des résidences, où on a observé 1,6 parties par milliard. Le niveau maximal canadien de 2,4-D pour la vie aquatique s'établit à 4 parties par 10-9 et à 100 parties par 10-9 pour l'eau potable.

Les agriculteurs de la région de Lethbridge sont les plus grands utilisateurs de 2,4-D en Alberta, avec plus de 20 000 kilogrammes d'herbicide vendu aux céréaliers chaque année.

En outre, le présent rapport appuie une étude sur la qualité de l'eau des rivières qui révélait également une contamination. Ces niveaux sont beaucoup plus élevés que les objectifs et nous devons tous nous en préoccuper.

Les études menées par le Journal of the American Cancer Society ont indiqué que les enfants vivant dans des maisons où des pesticides, et particulièrement le 2,4-D, sont utilisés, ont de six à sept fois plus de risques de développer la leucémie infantile que les enfants vivant dans des maisons où aucun pesticide n'est utilisé. Et nos enfants sont exposés de plusieurs autres façons.

• 1550

Même si l'ARLA prétend qu'elle va considérablement améliorer la réglementation des pesticides en l'harmonisant aux normes américaines, un rapport publié en février par l'Environmental Working Group montre que les enfants aux États-Unis sont encore régulièrement exposés à de nombreux pesticides causant ou soupçonnés de causer des dommages au cerveau et au système nerveux, le cancer, le dérèglement des systèmes endocrinien immunitaire, et une multitude d'autres effets toxiques.

Ils ont entre autres constaté que 20 millions d'enfants de cinq ans et moins ingèrent en moyenne huit pesticides par jour. Chaque jour, 610 000 enfants d'un à cinq ans consomment une dose d'insecticide contenant un composé organophosphoré neurotoxique que le gouvernement américain juge dangereux. De 1992 à 1996, les concentrations de pesticides ont augmenté dans le cas de sept des huit aliments consommés en grande quantité par les enfants.

J'ai aussi toute une série de données sur les taux d'épandage de pesticides au cours des dernières années aux États-Unis, qui indiquent une augmentation d'environ 60 millions de livres depuis 1989. Les applications par acre ont augmenté de 34 p. 100. Malheureusement, il est difficile de comparer ces données à la situation qui existe au Canada, parce que comme Brian Emmett l'a déclaré, on ne tient pas de relevés. La question, ce n'est pas qu'on ne tienne pas de relevés mais qu'au Canada les données concernant les ventes ne sont pas rendues publiques.

Les préoccupations concernant les résidus de pesticides dans les aliments consommés par les enfants ont été exprimées par le Natural Resources Defense Council, qui a évalué que 55 p. 100 du risque à vie de cancer attribuable à l'exposition à des pesticides cancérigènes dans les aliments est encouru dès l'âge de six ans, et qu'au moins 17 p. 100 (ou 3 millions) d'enfants d'âge préscolaire sont exposés à des résidus d'organophosphate supérieurs aux normes américaines dans les fruits et légumes.

Suite aux travaux effectués par le NRDC et un certain nombre d'autres groupes, notamment M. Philip Landrigan aux États-Unis, l'Agence de protection environnementale des États-Unis a décidé de présenter la Food Quality Protection Act (Loi sur la protection de la qualité des aliments), qui multipliait par 10 le facteur de sécurité pour les enfants. Mais même si la loi actuelle prévoit un facteur de sécurité dix fois plus élevé pour chaque pesticide, elle ne s'attaque toujours pas aux problèmes liés aux expositions multiples.

À l'heure actuelle, le système en vigueur au Canada pour évaluer les pesticides est loin d'être aussi efficace. Nous sommes en train de prévoir de multiplier par 10 le facteur de sécurité pour les enfants, mais cela n'est toujours pas suffisant.

Pratiquement tous les Nord-américains ont des niveaux détectables de pesticides rémanents dans leur corps. Toutefois, il y a peu de données sur les niveaux de pesticides chez les enfants. Il est probable que ces niveaux soient inférieurs à ceux des adultes et qu'ils augmentent avec l'âge.

Jusqu'à maintenant, le processus d'établissement de directives et d'objectifs n'a pas explicitement tenu compte des expositions et des risques propres aux enfants. Toutefois, on ne détient aucune preuve permettant de conclure que les expositions et les risques chez les enfants sont différents, et dans bien des cas, plus grands, que chez les adultes.

Je m'aperçois que j'ai été long, donc je vais conclure.

Comme je l'ai déjà indiqué, dans le Livre rouge, les Libéraux ont promis de modifier la Loi sur les produits antiparasitaires vieille de 20 ans, et nous attendons toujours. Nous avons besoin d'une loi dès maintenant. Il faut que votre comité exerce des pressions auprès du ministère de la Santé ou du ministre de la Santé, dans le cadre de vos travaux parlementaires, pour faire en sorte que les modifications proposées soient présentées le plus tôt possible. Elles ne sont pas parfaites, mais nous pourrons du moins commencer à y travailler une fois qu'elles seront présentées. Dans sa version actuelle, une loi vieille de 30 ans est beaucoup moins parfaite que toute modification qui pourrait y être apportée.

Cette loi devra reconnaître les considérations spéciales ayant trait aux enfants, aux foetus en développement, aux aînés, aux malades et aux personnes vulnérables aux produits chimiques. Nous demandons une participation publique à l'enregistrement et à la réévaluation des pesticides, une approbation accélérée des solutions de rechange moins toxiques, ainsi que la divulgation complète de TOUS les ingrédients des pesticides, y compris les composants fréquemment toxiques protégés par le «secret de fabrication».

Pour le gouvernement du Canada, le temps est venu de respecter l'engagement pris au Sommet des G-8 à Denver en juin 1997, puis répété à l'Organisation mondiale de la santé en juin de cette année, soit d'accorder la priorité à la santé des enfants au moyen de mesures législatives.

Je remercie le comité de l'intérêt qu'il porte à cette question, et de l'occasion de faire valoir nos points de vue.

Le président: Merci, madame Rickman.

Voulez-vous bien commencer, monsieur Mausberg?

• 1555

M. Burkhard Mausberg (directeur exécutif, Fonds canadien pour la protection environnementale): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Burkhard Mausberg. Je suis le directeur exécutif du Fonds canadien pour la protection environnementale.

Tout d'abord, je vous félicite, monsieur le président, de votre renomination. Félicitations à vous tous qui avez été nommés membres de ce comité. Au fil des ans, j'ai constaté que votre comité était particulièrement utile pour débattre des questions de politiques environnementales. Je vous remercie donc de m'avoir invité.

Avant de vous présenter mon mémoire, je voudrais profiter de l'occasion pour distribuer un rapport que nous avons publié la semaine dernière au sujet de la Nation innue. Vous en avez peut-être entendu parler dans les journaux. J'ai des exemplaires supplémentaires de l'article qui a paru dans les journaux pour ceux que cela intéresse.

En choisissant l'étude des pesticides, vous avez choisi un sujet assez difficile. Je compare parfois les pesticides aux automobiles. Je ne vois vraiment pas comment nous pourrions nous en débarrasser. Ils ont souvent des applications utiles. La question est de savoir comment déterminer ce qui constitue une application utile, et de quels produits chimiques nous voulons permettre l'utilisation.

En même temps, je n'arrive pas à penser à une autre application où nous rejetons intentionnellement des poisons dans notre environnement pour tuer quelque chose. Sauf en état de guerre, je n'arrive pas à penser à une autre application. C'est donc un défi tant pour ce qui est d'essayer de déterminer quels produits chimiques devraient être permis que pour essayer de comprendre le fait qu'en réalité nous tentons de tuer des choses qui se trouvent dans l'environnement, qu'il s'agisse de mauvaises herbes, d'insectes, de virus ou autres.

Je ne suis pas particulièrement un expert en matière de pesticides. Le Fonds canadien pour la protection environnementale est là pour favoriser le recours des Canadiens au système judiciaire en leur offrant l'aide dont ils ont besoin pour faire avancer les questions relatives à un environnement plus sain et à une meilleure santé humaine. Au fil des ans, nous avons eu un certain nombre de cas où des Canadiens tentaient de recourir aux tribunaux pour réduire l'utilisation des pesticides. Nous en avons tiré quelques leçons, et c'est ce dont j'espérais vous parler au cours de cet exposé. J'ai préparé un mémoire à votre intention, dans les deux langues officielles, et j'espère que vous l'avez reçu.

La première question concerne l'accès à la justice. Il s'agit d'avoir accès à l'information afin de pouvoir prendre des décisions. Je pense que vous l'avez déjà entendu à plusieurs reprises, et j'aimerais le souligner à nouveau, mais l'accès à l'information est très limité lorsqu'on décide si un pesticide en particulier doit ou non être utilisé au Canada. Par ailleurs, lorsqu'on prend de telles décisions, la participation de ceux qui sont intéressés et touchés est très limitée. Il me semble que si l'on pulvérise dans mon environnement un produit qui pourrait être dangereux, je devrais avoir un rôle à jouer pour décider si ce produit devrait ou non être pulvérisé. Il est donc important que le public soit informé et puisse participer au processus décisionnel.

Un autre obstacle au chapitre de la justice environnementale est le fardeau de la preuve. Dans la plupart des cas où nous avons tenté d'aider les citoyens un peu partout au pays, nous avons dû respecter les principes de la common law, ce qui signifie que lorsqu'un plaignant se présente devant un tribunal, il doit présenter une sorte de preuve comme quoi un tort particulier est lié à une cause particulière. C'est très difficile de faire cela selon les principes de la common law. Une possibilité serait de modifier la loi de façon à inverser en quelque sorte le fardeau de la preuve pour que ce ne soit pas au plaignant de prouver la nocivité des produits chimiques et des pesticides pour l'environnement, mais plutôt à ceux qui les utilisent.

Un autre problème auquel certains de nos clients se heurtent lorsqu'ils ont recours au système judiciaire pour protéger l'environnement est le coût énorme de telles poursuites judiciaires. Souvent, les gens avec qui nous faisons affaire sont des citoyens qui ont un emploi ordinaire. Ils font cela parce qu'ils se préoccupent de ce qui arrive dans leur collectivité. Ils sont souvent confrontés à des opposants devant les tribunaux qui ont les poches beaucoup plus profondes, qui ont accès à beaucoup plus de ressources et de spécialistes et qui ont souvent beaucoup plus d'argent pour retenir les services de meilleurs avocats. C'est un obstacle réel lorsqu'on tente de faire valoir de telles causes.

Un autre problème que nous avons rencontré est celui de l'accès aux tribunaux dans une de nos causes concernant les pesticides. Nous avons eu un cas en Nouvelle-Écosse où notre client n'a pas été en mesure d'établir sa qualité pour exercer une action parce que la pulvérisation avait déjà eu lieu. Il faudrait donc en fait entreprendre une poursuite judiciaire préventive avant que la pulvérisation ait lieu, avant que l'on puisse en fait faire quoi que ce soit. Il devient alors très difficile de prouver un tort en particulier.

Il est donc souvent très difficile de recourir au système judiciaire pour tenter de protéger l'environnement contre les dommages causés par les pesticides et tenter de protéger la santé humaine.

• 1600

Il y a certaines choses que nous pouvons faire, certains de mes collègues vous en ont parlé déjà, plus particulièrement en ce qui a trait aux substances les plus dangereuses et tenté de les interdire complètement, tenté de réévaluer certains pesticides plus anciens et également tenté de trouver des solutions de rechanges aux pesticides et en promouvoir l'utilisation.

Du point de vue de l'accès au système judiciaire, je dirais qu'il y a un certain nombre de choses qui sont vraiment importantes, et j'aimerais vous présenter quelques suggestions.

La participation du public tout au début du processus d'homologation serait en quelque sorte rassurant du fait qu'il ne serait pas obligé de recourir au système judiciaire pour contester certaines applications.

Les mécanismes d'évaluation et de contrôle de l'utilisation des pesticides sont peut-être une fonction très utile, et ce serait comparable à l'inventaire national des rejets de polluants ou l'INRP, un programme fédéral qui exige que les pollueurs signalent leurs émissions. Cela se fait parfois par accident, mais nous n'avons pas de programme de rapport et de contrôle de l'utilisation des produits chimiques que nous déversons intentionnellement dans l'environnement. Il me semble qu'un genre de mécanisme d'évaluation et de contrôle de l'utilisation des pesticides au Canada serait très utile.

Ce que nous avons constaté dans le cas de l'INRP, c'est que les sociétés qui se trouvent au haut de la liste, que ce soit à l'échelle nationale, régionale ou provinciale, n'aiment pas cela. Elles n'aiment pas qu'on leur fasse mauvaise presse ce qui en fait les motive à réduire leurs émissions de produits toxiques. Un inventaire semblable pour les pesticides aurait peut-être un effet semblable. Il est malheureux cependant que nous n'ayons pas une bonne base de données sur l'utilisation des pesticides.

Il faudrait peut-être songer à créer un fonds d'intervention pour aider les groupes de citoyens à avoir accès aux tribunaux. Je me rends compte que c'est quelque chose de très difficile à mettre en oeuvre. Il faut éviter les abus et n'importe quel type de fonds d'intervention représente certains coûts administratifs. À mon avis, ce sont des problèmes techniques qui peuvent être réglés lors de la création d'un tel fonds. Ce serait un principe utile. Un tel fonds pourrait être financé par les fabricants de pesticides et à même certaines des amendes qui seraient recueillies.

J'aimerais donc vous faire trois recommandations dans le cadre de votre difficile étude sur les pesticides. La première consiste à améliorer l'accès à l'information et l'accès au processus décisionnel. La deuxième serait d'améliorer l'accès aux tribunaux, soit en modifiant les règles, soit en créant un fonds d'intervention. Enfin, je vous exhorte à recommander une sorte de mécanisme d'évaluation et de contrôle de l'utilisation des pesticides au Canada.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Mausberg

Nous avons maintenant M. Casson, Mme Girard-Bujold, M. Lincoln et M. Reed.

Monsieur Casson, voulez-vous commencer?

M. Rick Casson (Lethbridge, Réf.): Merci, monsieur le président.

Madame Rickman, vos observations au sujet de Lethbridge me touchent de très près. Il s'agit de ma circonscription. J'ai proposé le nom de Bernie Hill qui a fait l'étude dont vous parlez, et il comparaîtra devant notre comité.

Mme Angela Rickman: Très bien.

M. Rick Casson: Il comparaîtra devant le comité pour parler de cette étude et nous sommes donc impatients d'entendre son témoignage.

L'une des questions que nous devons évaluer est celle de la performance de l'Agence de réglementation de lutte antiparasitaire. Cette agence a été créée en 1995 pour veiller à l'application de la Loi sur les produits antiparasitaires. Que pensez-vous de la situation depuis que l'Agence a été créée? La situation s'est-elle améliorée ou a-t-elle empiré? L'Agence fait-elle son travail? Qu'est-ce que l'Agence pourrait mieux faire?

Mme Angela Rickman: Nous avions beaucoup d'espoir lorsque la responsabilité de la Loi sur les produits antiparasitaires a été retirée à Agriculture Canada pour être confiée à Santé Canada, car nous pensions alors que la priorité serait dorénavant la protection de la santé plutôt que de la promotion des produits agricoles. En fait, tout ce qui a changé c'est le nom. Les membres du personnel sont en grande partie les mêmes et la culture est restée la même.

Étant donné la façon dont la Loi sur les produits antiparasitaires est rédigée à l'heure actuelle, dans une large mesure, l'ARLA a les mains liées pour ce qui est par exemple de donner de l'information au public concernant les ventes de pesticides—tout ce que l'industrie considère comme étant des renseignements confidentiels sur leur entreprise.

• 1605

Par ailleurs, l'Agence a mis sur pied une Division des nouvelles méthodes qui, à notre avis, n'a pas vraiment fait un bon travail pour ce qui est de promouvoir des solutions de rechange durables, ou moins toxiques, aux pesticides.

Par ailleurs, étant donné la façon dont la LPA est rédigée à l'heure actuelle, aucun mandat n'est confié à l'ARLA, et cela devrait être précisé dans la loi.

M. Rick Casson: Serait-ce l'un des amendements que vous aimeriez voir adopter?

Mme Angela Rickman: Oui.

M. Rick Casson: Monsieur Mausberg, une de vos recommandations consiste à adopter le principe de substitution pour remplacer les pesticides. Vous mentionnez le fait qu'il n'est pas facile de décider quels produits devraient être utilisés, lesquels ne devraient pas l'être, la quantité qu'il faut utiliser pour continuer à nourrir le monde, et ce genre de choses.

Il me semble que si l'on utilise un produit chimique—et ces produits chimiques coûtent cher—on en utilise le moins possible pour faire le travail. Donc, lorsque vous parlez de solutions de rechange, que voulez-vous dire par là? Voulez-vous parler de méthodes biologiques de contrôle? Est-ce ce à quoi vous songez, lorsque vous dites cela?

M. Burkhard Mausberg: Permettez-moi de dire tout d'abord que je ne suis pas un expert sur l'utilisation des pesticides comme telle, mais d'après le peu que je connais, je sais qu'il y a quelques options. On peut remplacer des produits toxiques par d'autres moins toxiques. On peut utiliser les pesticides seulement à un certain donné, plutôt que de les appliquer continuellement. Il est possible peut-être d'envisager des contrôles biologiques.

J'ai une fillette de 20 mois. Nous lui achetons toujours des aliments biologiques. Ces aliments sont produits sans le recours aux pesticides. Il existe donc un marché pour ces aliments, et il est possible de produire ce genre d'aliments. Je n'ai aucune idée de ce que ces agriculteurs utilisent. J'imagine qu'ils utilisent très peu de produits chimiques.

M. Rick Casson: Ces aliments coûtent-ils plus cher que...?

M. Burkhard Mausberg: Oui. Un petit bocal d'aliments pour bébé fabriqué par Kraft et qui s'appelle Earth's Best coûte 99c. Le même bocal ordinaire fabriqué également par Kraft et qui est deux fois plus gros coûte 69c.

M. Rick Casson: J'imagine alors que c'est là le dilemme de l'agriculteur. Si les gens étaient prêts à payer un supplément pour ces aliments biologiques, alors peut-être que tous les agriculteurs feraient ce genre de culture. Le secret, c'est de produire des aliments à bon marché.

M. Burkhard Mausberg: Mais c'est une question de prix, n'est-ce pas? Supposons qu'on imposait une énorme taxe sur les pesticides, comme option stratégique, je ne sais pas si cela passerait bien. Eh bien, je pense que cela ne passerait sans doute pas. Mais en théorie, il est possible de le faire, de faire pencher la balance pour que les produits biologiques soient moins chers.

Mme Angela Rickman: Ou on pourrait tout simplement par exemple éliminer l'exemption de la TPS sur les pesticides.

Par ailleurs, une des raisons pour lesquelles les aliments biologiques coûtent plus cher à l'heure actuelle, c'est qu'il n'y a tout simplement pas de réseaux de distribution. Au fur et à mesure que la demande augmentera et que cela deviendra plus courant... On laisse tout simplement s'exercer les forces du marché.

M. Rick Casson: La demande des consommateurs peut faire changer bien des choses.

Mme Angela Rickman: Oui.

M. Rick Casson: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

[Français]

Madame Girard-Bujold, s'il vous plaît.

Mme Jocelyne Girard-Bujold (Jonquière, BQ): Monsieur, madame, je voudrais m'arrêter aux recommandations que vous formulez dans votre exposé.

Dans votre recommandation numéro 4, vous dites qu'il faut faire en sorte que le public puisse accéder plus facilement à l'information. Comment devrait-on structurer cela? Vous dites que le public n'a pas assez d'information et vous dites ensuite qu'il faut permettre au public de participer tout au long du processus d'enregistrement et de réévaluation. Voudriez-vous que le public ait un droit de regard sur l'évaluation et la réévaluation des produits? Comment verriez-vous cela? Le public aurait-il un droit de décision assorti d'un mécanisme? Pouvez-vous m'expliquer la façon dont ce serait structuré à l'intérieur du règlement ou de la loi?

[Traduction]

M. Burkhard Mausberg: C'est une bonne question.

On dit qu'on peut amener son cheval à l'abreuvoir l'eau mais qu'on ne peut pas le forcer à boire, de la même façon, on peut publier des données, mais on ne peut obliger quelqu'un à les utiliser.

• 1610

Par ailleurs, certaines de ces évaluations sont de nature très technique et très scientifique. Il y a tout un débat entourant les effets particuliers de certains produits pour déterminer s'ils sont réels ou s'ils sont suffisants pour justifier l'interdiction d'une substance.

D'autres gouvernements ont utilisé un certain nombre de modèles dont on pourrait s'inspirer. Dans la charte ontarienne des droits environnementaux, chaque fois que le gouvernement provincial entreprend une activité particulière, il doit affiché un avis et les gens ont alors 30 jours pour faire part de leurs observations. Le problème, c'est que l'on peut faire part de ses commentaires, mais personne n'est obligée de vous écouter, de sorte que le processus pourrait certainement être amélioré à cet égard.

Pour ce qui est de votre question concernant le rôle dans le processus décisionnel, lorsque le gouvernement fédéral entreprend des consultations au sujet de règlements particuliers, il organise des rencontres avec les intervenants et tente d'en arriver à une décision par consensus et présente une solution aux autorités responsables issue d'un consensus. C'est peut-être un modèle que nous pourrions utiliser. Pour ce qui est de l'homologation des pesticides, un groupe multilatéral pourrait se pencher sur la question, et s'il n'est pas d'accord pour approuver un pesticide, ce dernier ne pourra être utilisé. Il reste dans la boîte et on ne peut l'utiliser.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Monsieur, j'avais compris que vous vouliez que des experts du public siègent avec les gens de l'ARLA afin de faire contrepoids lors de l'évaluation des pesticides. Ce n'est pas ce que vous voulez, dans le fond. Vous voulez simplement être consultés généralement. Vous voulez qu'il y ait des consultations publiques générales, mais non des consultations des tables de décision.

Vous dites que le public n'est pas informé, qu'il n'a pas accès à l'information. D'autres témoins qui sont venus nous rencontrer au cours de cette semaine ont dit la même chose. Si tous les intervenants vienne nous dire la même chose, il faudra avoir une structure qui réponde à vos attentes. Je pensais que vous aviez à l'esprit quelque chose de bien précis.

[Traduction]

M. Burkhard Mausberg: Le public peut participer à ces décisions de plusieurs façons. Par ailleurs, je reconnais également qu'un ministre fédéral ne peut pas céder ses pouvoirs de prendre certaines décisions. C'est le ministre qui en fin de compte est responsable de l'homologation du pesticide.

En outre, au cours d'un processus d'approbation, le grand public a maintes occasions de participer, d'écouter les observations. À l'heure actuelle, étant donné que l'on n'a pas accès à toutes les données d'évaluation environnementale et d'évaluation pour la santé, il n'est pas possible de participer de quelque façon que ce soit.

Mme Angela Rickman: À l'heure actuelle, cela est possible dans une certaine mesure, mais c'est très limité. En ce qui a trait à certains pesticides, l'ARLA peut maintenant publier ce que l'on appelle un DDHP, un document de décision d'homologation des pesticides. L'agence publie une partie de l'information pour que le grand public puisse intervenir. Je pense qu'il peut intervenir dans un délai de 30 jours après l'affichage de ce document.

Le problème, c'est que le DDHP ne comprend pas toute l'information qui est à la base de l'homologation ou des décisions qui sont prises par l'ARLA. L'industrie décide en fait si le DDHP sera publié, et la publication n'est pas obligatoire; il n'y a aucune exigence légale. Grâce à des amendements qui seraient proposés à la LPA, plus d'information serait publiée. Cela permettrait ainsi à quiconque s'intéresse à la question a la possibilité de présenter de preuves pour contester une décision d'homologation.

Par la même occasion, vous pourriez dire: «Excellent! Voilà un poison formidable. Enregistrons-le.» Mais les gens qui voudraient s'y opposer auraient plus de possibilités de le faire. C'est cela que nous voyons dans ces propositions.

[Français]

Le président: Merci, madame Girard-Bujold.

Monsieur Lincoln, s'il vous plaît.

• 1615

[Traduction]

M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.): Pour commencer, j'aimerais poser une question à M. Mausberg au sujet du fardeau de la preuve.

Vous avez suggéré un fardeau de la preuve à l'envers, et je suis entièrement d'accord, mais sur le plan pratique, cela risque d'être difficile à légiférer.

Vous le savez peut-être, cette loi est fondée sur le risque: ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable. Évidemment, ce genre de choses est très subjectif. Ce qui est acceptable pour l'ARLA et d'autres peut ne pas l'être pour beaucoup d'entre nous.

À propos du projet de loi, beaucoup d'observations circulent en ce qui concerne la valeur d'un produit antiparasitaire et ce qui est acceptable. C'est précisément ce que cette loi va définir grâce aux amendements qui y seront apportés. Mais là encore, c'est un principe qui ne nous rassure pas tellement, en tout cas, ceux d'entre nous qui voudraient voir des contrôles plus sévères.

Si vous deviez définir ce qui est acceptable, sans aller vers un fardeau de la preuve inversée, j'aimerais savoir ce que chacun de vous ferait? Puisque le risque le plus élevé se situe au niveau du plus petit sujet, est-ce que vous partiriez du principe que ce qui est acceptable se limite au risque le plus élevé possible pour le sujet le plus petit possible?

Mme Angela Rickman: Pour nous, si les espèces les plus fragiles étaient suffisamment protégées, eh bien, nous serions tous suffisamment protégés. Par conséquent, pour fixer les niveaux maximums de résidus ou l'ingestion quotidienne tolérable, c'est ce niveau là que nous devrions viser.

M. Burkhard Mausberg: Je suis d'accord. Cela dit, monsieur Lincoln, je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre question. Est-ce que vous parlez d'un niveau de tort tolérable? Je crains de n'avoir pas compris.

M. Clifford Lincoln: Toute la Loi sur les produits antiparasitaires est basée sur ce qui constitue un risque acceptable, et évalue ce risque par rapport à l'avantage qu'il y a à contrôler les parasites dans les récoltes, etc. On pèse donc ces deux éléments sans perdre de vue le degré de risque acceptable. Sur cette base là, on enregistre certains produits antiparasitaires, ou encore, s'ils s'avèrent totalement inacceptables, on ne les enregistre pas. Le problème, c'est que nous n'avons pas de définition de ce qui est acceptable. La nouvelle loi tente maintenant de fournir cette définition, mais là encore, c'est en dehors de la question.

Certaines personnes ont suggéré que nous définissions le «risque» au niveau du plus petit commun dénominateur de tolérance. Autrement dit, si vous basez tout cela sur les besoins d'un bébé, ce sera très différent pour un adulte mâle. Voilà ce que je vous demandais.

La meilleure solution serait d'avoir un fardeau de la preuve inversée autrement dit, le fabriquant serait tenu de prouver que son produit n'est pas dangereux. À mon avis, bien que nous soyons nombreux à le souhaiter, ce n'est pas ce qui va se produire dans la législation.

Ce que je veux savoir, c'est jusqu'où nous pouvons aller à la lumière de votre recommandation pour que la définition de la loi, lorsque nous l'aurons acceptée, constitue pratiquement un fardeau de la preuve?

M. Burkhard Mausberg: C'est une question difficile, en particulier parce que le but du produit en question est de tuer. C'est donc, par sa nature, un produit très dangereux. Il n'est pas destiné à faire du tort à quelque chose d'autre, mais il est certainement destiné à tuer des mauvaises herbes ou des insectes.

Sur le plan de la santé publique, le risque acceptable minimum serait le risque que cela présente pour un enfant qui n'est pas encore né. C'est la personne la plus vulnérable.

M. Clifford Lincoln: Vous êtes d'accord, madame Rickman?

Mme Angela Rickman: Dans le cas des perturbateurs endocriniens, oui.

Vous parlez de valeur. Lorsque nous évaluons un risque, nous devons tenir compte d'autres éléments, comme la valeur de toute une génération avec un point de quotient intellectuel en moins, ou encore des tendances agressives accrues ou incapable de se reproduire? Quand on évalue ce qu'il en coûte de ne pas exiger l'enregistrement des produits antiparasitaires, il faut se demander ce qu'il en coûtera à la société dans 20 ans, quand les effets commenceront à se faire sentir.

• 1620

M. Burkhard Mausberg: Si vous le permettez, j'aimerais encore une fois essayer de répondre à cette question?

M. Clifford Lincoln: Et si nous tentions de définir ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas sur la base des éléments les plus vulnérables de la société? Voilà ce que j'essaie d'expliquer.

Mme Angela Rickman: C'est un excellent point de départ.

M. Clifford Lincoln: Est-ce que ce ne serait pas un bon point de départ minimum?

Mme Angela Rickman: Certainement. Si nous pouvions obtenir cela dès maintenant, je serais très contente.

M. Burkhard Mausberg: Pour revenir à...

Le président: Merci, monsieur Lincoln.

Nous devons passer à l'intervenant suivant, M. Reed, suivi de M. Mancini.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, monsieur le président.

Vous vouliez terminer votre phrase?

M. Burkhard Mausberg: Bien, on a parlé de valeurs. Je me poserais la question suivante: quel est le risque minimum acceptable pour telle application? À mon sens, il y a des applications de pesticides qui n'ont aucune valeur. Par exemple, je ne vois pas la nécessité de vaporiser des pesticides sur les pissenlits qui poussent dans un parc de l'autre côté de ma rue. Pour ce type d'application, je dirais probablement qu'aucun risque n'est acceptable, car c'est une utilisation tout à fait illogique.

M. Julian Reed: Madame Rickman, vous avez dit qu'il faudrait essayer d'interdire aux municipalités d'utiliser des pesticides. Vous parlez, j'imagine, des municipalités urbaines et non des municipalités rurales.

Mme Angela Rickman: Effectivement, nous préparons actuellement une campagne qui, comme la plupart des campagnes publicitaires, vise les applications de pesticides à des fins esthétiques, comme l'exemple des pissenlits donné par M. Mausberg, où il n'est pas question de protéger une récolte.

M. Julian Reed: D'accord, autrement dit, si j'entretiens mon jardin en ville, tout va bien.

Mme Angela Rickman: À condition que vous n'utilisiez pas de pesticides.

M. Julian Reed: Non, mais supposons que j'applique des produits antiparasitaires exactement comme cela se fait dans l'agriculture?

Mme Angela Rickman: Vous voulez dire si vous cultivez des légumes dans votre jardin et que vous les arrosez de pesticides?

M. Julian Reed: Oui.

Mme Angela Rickman: Non.

M. Julian Reed: D'accord.

J'aimerais mettre toute cette question des pesticides dans un certain contexte et observer que depuis 50 ans nous avons vu une certaine évolution.

Pendant les années 40 et 50, j'arrosais mes pommes de métaux lourds, de produits à base d'arsenic, et puis, vers 1960, le miracle s'est produit, nous avons eu le mercure. Nous sommes ensuite passés au chlore et à d'autres types de pesticides qui semblent moins toxiques. Apparemment, ce n'est pas une très bonne idée d'arroser vos pommes d'arsenic, il y a beaucoup de résidus qui finissent par s'accumuler dans votre verger.

Bref, nous en sommes arrivés aujourd'hui à des pesticides qui sont basés sur les plantes mêmes, sur la nature. Je pense aux roténones, pyréthrines, aux insecticides à base de bactéries, etc. Il y a donc toute une évolution. Peut-être que ce que nous faisons aujourd'hui est mieux que ce que nous faisions il y a 40 ans.

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale—je suis suffisamment vieux pour m'en souvenir, mais pas vous—la municipalité dans laquelle je vivais répandait du 2,4,4-T, du Brushkill dans tous les fossés, sur toutes les petites routes. C'est seulement lorsque les producteurs de tomates ont protesté à cause des retombées qu'ils se sont arrêtés.

Il y a donc eu un certain progrès, et nous sommes ici pour aller encore plus loin et continuer à progresser. Nous en sommes même à un point où nous cherchons à réduire ou à éliminer la nécessité des produits antiparasitaires en modifiant génétiquement nos cultures. C'est donc quelque chose de différent et de nouveau.

• 1625

Chaque fois que quelque chose de nouveau est fait, on se heurte à une certaine ignorance du public, à certaines réticences, en partie parce que c'est nouveau, en partie parce que nous ne connaissons pas encore tous les paramètres. Ainsi...

Le président: Vous voulez poser votre question, monsieur Reed?

M. Julian Reed: C'est probablement plus une déclaration qu'une question, monsieur le président, et je m'en excuse. Mais une question se pose vraiment, est-ce que nous devons tout simplement interdire tous les pesticides? Est-ce que c'est là notre objectif? Je vois une pancarte au fond de la salle où on peut lire: «Non aux pesticides». Est-ce que c'est ce que nous voulons? Est-ce notre objectif, interdire tous les produits antiparasitaires et arrêter le progrès?

Mme Angela Rickman: D'accord, je vais répondre à certaines de vos observations.

Vous dites qu'il y a 40 ans vous répandiez allègrement des produits à base d'arsenic et de mercure, et je parie qu'à l'époque tout le monde vous disait que c'était une bonne idée, que cela ne faisait aucun mal. Réfléchissez à tout ce que nous avons appris depuis 40 ans. Qui sait ce que nous aurons appris dans 40 ans d'ici?

Évidemment, certaines choses sont peut-être moins toxiques à certains égards, mais ce qu'on découvre de plus en plus au sujet des perturbateurs endocriniens a tout lieu de nous faire peur. C'est vraiment affreux de penser que nous pourrions avoir toute une génération d'enfants qui ne peuvent pas se reproduire.

Au cours des années, on a produit beaucoup de choses en nous disant que c'était excellent, sans aucun danger. Nous avons eu le plomb dans l'essence; nous avons eu toutes sortes de choses. Nous devons adopter le principe de précaution.

Quant aux moyens biotechnologiques de réduire notre dépendance des pesticides, je suis désolée, mais cela ne réduit pas du tout l'utilisation des pesticides. À l'heure actuelle, une des applications les plus fréquentes de la biotechnologie, c'est de produire des récoltes sur mesure, prêtes pour le Roundup, des récoltes conçues pour résister à une application bien précise de pesticides. On utilise donc toujours des pesticides. On n'a pas arrêté.

M. Julian Reed: Je vous rappelle qu'il existe une nouvelle variété de pommes de terre qui...

Mme Angela Rickman: Effectivement, il y a les pommes de terre au Bt.

M. Julian Reed: ... qui résistent au doryphore.

Mme Angela Rickman: Effectivement.

M. Julian Reed: C'est une plante modifiée génétiquement.

Mme Angela Rickman: Effectivement, on les fait pousser dans de gigantesques champs, si bien que tous les doryphores qui résistent aux Bt—et ils sont nombreux à survivre—ont maintenant un grand terrain de manoeuvre pour trouver un compagnon et produire des milliers de petits doryphores qui...

M. Julian Reed: Eh bien, je vous assure que dans mon jardin il y en a tous les ans.

Mme Angela Rickman: Bon, peut-être pas dans votre jardin.

Je ne veux pas me disputer avec vous au sujet de la biotechnologie, mais personnellement je ne pense pas que ce soit la solution.

J'ai apporté avec moi deux ou trois choses, entre autres la fiche où on peut lire «pesticides interdits» je tiens à ma famille et à l'environnement plus qu'à ma pelouse.

J'ai également apporté un exemplaire d'un rapport que nous avons préparé pour notre campagne pour la réduction des pesticides. C'est un catalogue des articles qui ont parus sur les degrés d'exposition et les risques que présentent les pesticides pour les enfants. Si cela vous intéresse, il y en a plusieurs exemplaires au fond de la salle.

Nous avons également une carte postale que nous avons distribuée un peu partout au Canada et où on peut lire «Vous ne leur donneriez pas une dose d'aspirine pour adultes, mais une dose d'insecticide pour adultes cela ne fait rien?» Et voici une photo de mon fils. Nous distribuons cela également, cela illustre toutes les préoccupations que nous cause la Loi sur le contrôle des produits antiparasitaires.

Le président: Merci, monsieur Reed.

Monsieur Mancini, je vous en prie.

M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Merci, monsieur le président. Je vais parler un instant d'une déclaration faite par M. Reed.

M. Reed dit que nous sommes sur la voie d'une évolution progressive. Je ne suis pas sûr d'être d'accord. Ne serait-il pas juste de dire qu'en réalité, il est difficile de mesurer s'il y a progrès, parce que nous n'avons pas de données de l'époque où nous nous servions de ce genre d'arsenic? En réalité, peut-être que les meilleures données dont nous disposons concernent le plus ancien type d'agriculture, l'agriculture biologique. C'est, en réalité, là où nous en sommes.

J'ai quelques questions. Vous avez dit que l'ARLA envisage d'harmoniser certaines procédures avec les États-Unis. Est-ce pour nous la meilleure voie à suivre, ou est-ce qu'il y a d'autres nations vers lesquelles nous pourrions plus avantageusement nous tourner en vue d'une harmonisation, des nations qui auraient de meilleures normes? Y a-t-il d'autres nations dont nous pourrions nous inspirer à ce sujet?

Mme Angela Rickman: Il y en a d'autres, notamment la Suède. Certains pays européens sont très avancés, comparativement aux États-Unis et à nous, en ce qui concerne la réglementation des pesticides et la façon d'en surveiller l'utilisation.

• 1630

La principale motivation à l'harmonisation avec les États-Unis est de nature commerciale, c'est ce qu'on a examiné en premier. Je dirais que nous pourrions probablement trouver des débouchés commerciaux ailleurs, mais n'étant pas un expert du domaine du commerce, je ne vais pas... Je vous donne simplement la raison pour laquelle nous nous tournons vers les États-Unis.

À certains égards, les normes américaines sont supérieures; à certains autres égards, elles sont inférieures. Mais je crains qu'en harmonisant, nous risquions d'abaisser la totalité de nos normes.

M. Peter Mancini: Est-il plus facile d'avoir accès à l'information aux États-Unis en ce qui concerne l'utilisation des pesticides et leur composition?

Mme Angela Rickman: Oui, d'abord pour ce qui est des données d'essai. Nous pouvons obtenir des données d'essai sur des produits qui sont homologués au Canada, s'ils sont également homologués aux États-Unis. En outre, dans quelques États, notamment l'Oregon, divers groupes ont poursuivi l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis devant les tribunaux, soutenant qu'ils avaient le droit de savoir ce qu'entrait dans la composition des pesticides. Ils ont eu gain de cause, mais ils doivent procéder pesticide par pesticide. Si bien que pour chaque pesticide dont ils veulent connaître la composition, il leur faut intenter des poursuites.

M. Peter Mancini: J'ai une autre question à vous poser puis je m'adresserai à votre collègue. Je reviens à la première question qui a été posée au sujet du coût de la production alimentaire et des choix des consommateurs et des raisons pour lesquelles les produits alimentaires biologiques sont plus coûteux que les autres. En fait, nous parlons ici d'économies d'échelle, n'est-ce pas? L'agriculture, qui utilise d'énormes quantités de pesticides, occupe une part importante du marché, alors que les coopératives d'agriculteurs biologiques n'arrivent pas à pénétrer véritablement ce marché.

J'ai une question pour votre collègue.

Vous avez parlé du coût des contestations judiciaires. C'est quelque chose qu'à titre d'avocat auprès d'un service d'aide juridique... Vous avez parlé de la contestation de Margaree. J'étais en fait un des avocats du service d'aide juridique qui avait été contacté par ce groupe pour le représenter mais ne le pouvait pas, parce que ce n'était pas là notre mandat. J'ai une maison à Margaree. J'y connais la plupart des gens.

Nous avons déjà eu un programme de contestations judiciaires permettant de contester la loi quand il y avait eu violation de droits. Pourrions-nous envisager quelque chose de ce genre? Est-ce la voie que nous devrions suivre, et dire qu'il y a des fonds disponibles pour les groupes qui veulent contester des décisions gouvernementales en matière de santé pour des préoccupations d'ordre environnemental? Devrions-nous élargir la portée du programme de contestations judiciaires?

M. Burkhard Mausberg: C'est une possibilité. Je m'en servirai non seulement pour mettre le gouvernement en cause mais peut-être aussi pour poursuivre certains des utilisateurs et des fabricants. Parfaitement.

Le président: Monsieur Mancini, c'est votre dernière question. Et je vous prie de vous adresser à la présidence quand vous voulez poser des questions.

M. Peter Mancini: Très bien. Je suis désolé, monsieur le président.

Le président: C'est à vous.

M. Peter Mancini: Deuxièmement, en examinant tout cela, je constate qu'il y a dans tout le pays des programmes d'aide juridique qui sont toujours examinés par les gouvernements des provinces eu égard à leur mandat. Serait-il possible de déterminer si oui ou non ces programmes peuvent-être élargis pour englober le genre de cas dont on vient de parler?

M. Burkhard Mausberg: Oui, c'est possible. On Ontario, la clinique d'aide juridique qui s'occupe de ce genre de questions est l'Association canadienne du droit de l'environnement, et je sais effectivement que des questions concernant les pesticides lui sont souvent soumises ou que des clients utilisant des pesticides la consulte. Le seul inconvénient de l'aide juridique parfois, du moins en Ontario sauf erreur, c'est que le seuil d'admissibilité est extrêmement bas. On pourrait même dire qu'il est trop bas pour que certaines personnes puissent y recourir.

M. Peter Mancini: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Mancini.

J'aurais une brève question pour vous, madame Rickman, puis nous inviterons ensuite le prochain témoin.

Il est assez intéressant de mentionner qu'en ce qui concerne la TPS, on a exempté les pesticides mais non pas les livres. Je me demande si vous, en tant qu'organisation, avez fait des pressions auprès du ministre des Finances à propos de l'exemption des pesticides de l'application de la TPS, et si c'est le cas à quel moment?

Mme Angela Rickman: Non, nous ne l'avons pas fait. Autrefois, j'avais présenté des instances en ce qui concerne l'exemption des livres, mais pas au sujet des pesticides.

Le président: Avez-vous l'intention d'en faire en ce qui concerne les pesticides?

Mme Angela Rickman: Nous allons certainement envisager de le faire.

Le président: Merci.

Nous avons le plaisir d'accueillir l'auteur d'un ouvrage bien connu, Our Stolen Future. Le témoin suivant est Mme Theo Colborn. Pourrait-elle se présenter à la table des témoins?

• 1635

Les trois derniers témoins peuvent rester à la table s'ils le désirent.

Mme Colborn n'est pas une nouvelle venue à Ottawa. Elle y compte de nombreux amis et admirateurs. Elle est stagiaire de troisième niveau au Fonds mondial pour la nature aux États-Unis.

Nous sommes heureux de l'accueillir. Soyez la bienvenue, et nous vous invitons à faire une déclaration, si vous pouvez vous en tenir à une dizaine de minutes.

Dre Theo Colborn (stagiaire de troisième niveau, Fonds mondial pour la nature (États-Unis)): Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée aujourd'hui. C'est un peu comme rentrer chez-soi.

Tout d'abord, je tiens à féliciter le gouvernement canadien d'exiger des travaux d'identification et de recherche sur les perturbateurs endocriniens dans nouvelle Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Il faut maintenant passer à la prochaine étape qui est d'élaborer le texte de loi qui permettra de réglementer l'emploi des perturbateurs endocriniens.

Étant donné que la perturbation endocrinienne n'est pas aussi discrète et aussi facilement quantifiable que les autres effets sur la santé, il est important d'appliquer le principe de prudence et de postuler que les producteurs des substances chimiques synthétiques seront responsables du fardeau de la preuve avant l'ajout de ces substances aux produits industriels et agricoles.

Permettez-moi de vous lire un protocole d'accord rendu public en 1999 par un groupe de scientifiques qui s'étaient réunis pour discuter des effets sur la santé des pesticides utilisés aujourd'hui.

    Nous sommes certains de ce qui suit:

    L'exposition aux pesticides utilisés aujourd'hui est plus élevée que ce que la plupart des gens imaginent. De nombreuses populations d'espèces sauvages et d'êtres humains y sont exposées. L'exposition a souvent lieu sans que l'individu exposé en ait connaissance. La méconnaissance générale du public des pesticides et des procédures d'approbation des pesticides concourent soit à créer un faux sens de sécurité, soit à inspirer la crainte sur leur utilisation. Ces deux comportements empêchent d'analyser de façon rationnelle le problème. De nombreux pesticides utilisés de nos jours ont des effets nocifs sur les systèmes reproducteur, nerveux, immunitaire, endocrinien et métabolique.

Environ 60 p. 100 de la quantité de pesticides—il s'agit de pesticides agricoles—utilisée aujourd'hui aux États-Unis, dont la liste est presque identique à celle du Canada, sont des perturbateurs endocriniens ou simulateurs d'oestrogènes. Ces chiffres sont tirés de publications scientifiques révisées par des pairs et de rapports gouvernementaux. La liste de ces pesticides continue de s'allonger à mesure que les résultats de nouvelles recherches sont publiés.

C'est ainsi qu'une série entièrement nouvelle d'effets anormaux qui n'avaient pas été observés par les toxicologues avant les cinq dernières années sont maintenant attribués à des pesticides d'utilisation courante. L'appareil génital et urogénital de ratons ou de souriceaux mâles auxquels on a fait ingérer ces pesticides ne s'est pas développé normalement, causant la malformation des organes génitaux externes et une diminution de la fécondité. Les essais classiques de ces mêmes substances chimiques chez des animaux adultes, complètement développés, ne révèlent pas ces effets anti-androgènes dévastateurs causant la démasculinisation. Un insecticide largement utilisé dans les produits ménagers, dans les produits de soins pour animaux domestiques et dans les formulations agricoles, ont eu chez des femelles en gestation des effets anti-androgènes et ont joué le rôle des oestrogènes, en féminisant et en démasculinisant les petits de sexe mâle.

L'examen des effets endocriniens dans les programmes d'essai des pesticides n'a pas été suffisamment approfondi pour déceler ces problèmes inédits de développement. Il ne faut pas oublier qu'il n'existe pas de méthodes de dépistage et d'essai normalisées ou validées pour tester les effets des substances chimiques sur la croissance de l'embryon. C'est pourquoi aucun gouvernement ni aucune industrie ne peut affirmer que ces produits ne sont pas des perturbateurs endocriniens.

Il est important de se pencher sur les résultats de deux études indépendantes portant sur des mères en santé ayant consommé du poisson pêché dans les lacs Ontario et Michigan, et leur nourrisson. La descendance des femmes ayant la plus grande charge corporelle de PCB et d'autres contaminants a affiché des séquelles au niveau de l'intelligence et du comportement. Les concentrations de PCB chez les mères participant à ces études ne diffèrent pas de celles que l'on a observées chez les femmes qui vivent dans le sud du Canada et aux États-Unis, mais elle sont beaucoup moins élevées que les concentrations relevées chez les mères inuites. Ces entraves à la capacité des enfants à se développer normalement existaient alors qu'ils se trouvaient dans l'utérus, témoignant de la sensibilité de l'embryon pendant sa croissance.

• 1640

J'aimerais souligner ce qui disait M. Clifford Lincoln il y a un instant. Qui sont les individus les plus sensibles? Ce ne sont pas nos enfants. C'est l'embryon, à partir du moment où le sperme féconde l'ovule jusqu'à ce que l'enfant naisse—pendant les 266 jours de gestation.

Il y a de plus en plus d'indices montrant qu'une exposition chronique à de faibles concentrations de substances chimiques synthétiques, mélangées ou non, a des effets insidieux et très importants sur la croissance, la reproduction, le développement de tous les systèmes vitaux, et chez certaines espèces, sur leur survie. Une exposition à ces substances dans l'environnement pour les êtres humains peut ne pas écourter leur vie, mais elle peut miner de diverses façons leur potentiel et leur qualité de vie, de sorte qu'une personne qui aurait pu contribuer à la société est forcée de vivre à ses crochets. Les économistes doivent commencer à tenir compte de ces coûts sociaux dans l'évaluation des risques et des avantages. Vous parliez de risques il y a un instant. On ne doit plus en faire fi.

Les scientifiques canadiens ont été des précurseurs dans les recherches qui ont abouti à la mise au point théorique des perturbateurs endocriniens. La poursuite de leurs recherches prouve que les perturbateurs endocriniens ne sont plus une simple hypothèse. Le Service canadien de la faune (SCF) a montré que la perturbation endocrinienne chez des espèces sauvages a provoqué l'attrition de certaines populations. C'est par l'intermédiaire des travaux fondamentaux effectués par le SCF que des organismes du monde entier ont traité la question des composés biologiquement actifs dans l'environnement en fonction des populations humaines.

J'entrevois que la recherche canadienne sur les perturbateurs endocriniens jouera un rôle important au cours de la prochaine décennie étant donné la place que se sont taillé les chercheurs canadiens dans ce domaine. J'ai été honorée de recevoir une invitation à siéger au Comité des gestionnaires scientifiques de l'Initiative de recherche sur les substances toxiques. L'Initiative reflète l'intérêt et les préoccupation du gouvernement canadien dans cette nouvelle discipline qui est en train de modifier notre façon de faire de la recherche scientifique et de jauger les risques.

Le Canada peut jouer un rôle important dans la recherche internationale visant à réduire les risques d'exposition aux perturbateurs endocriniens en continuant d'appuyer les initiatives de recherche à long terme, qu'on ne mène à ma connaissance nulle par ailleurs dans le monde. Vous avez fait des recherches à long terme sous différents angles.

Le Canada devrait fournir les installations et permettre au SCF de poursuivre ses recherches de pointe en conjuguant les recherches faites sur le terrain et celles effectuées en laboratoire, et, encore plus important, former les jeunes scientifiques qui s'intéressent à la protection de l'environnement. Vos jeunes scientifiques viennent aux États-Unis parce qu'ils ne peuvent pas progresser et travailler au sein de vos services, les institutions canadiennes.

Le Canada a été un chef de file dans différents aspects scientifiques et politiques touchant à cette nouvelle méthode de protéger les espèces sauvages et la santé humaine. Il peut poursuivre sur cette lancée en adoptant des mesures réglementaires pour protéger les prochaines générations contre les dangers d'exposition aux pesticides perturbateurs du système endocrinien.

Je remercie le comité de m'avoir permis de présenter ce mémoire. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Casson, voulez-vous commencer?

M. Rick Casson: Merci pour votre exposé et votre livre. On nous l'a remis il y a une semaine environ, je n'ai pas pu le lire encore mais je le ferai.

Je me réjouis que vous reconnaissiez la partie de la LCPA qui porte sur la recherche dans ce domaine. Il est certain qu'il sera utile d'accumuler davantage de connaissances. Mais dans votre mémoire vous dites:

    Il ne faut pas oublier qu'il n'existe pas de méthodes de dépistage et d'essai normalisées ou validées pour tester les effets des substances chimiques sur la croissance de l'embryon. C'est pourquoi aucun gouvernement ni aucune industrie ne peut affirmer que ces produits ne sont pas des perturbateurs endocriniens.

N'est-ce pas un peu déroutant? Si les gouvernements ou les industries ne peuvent pas dire que ces produits ne sont pas des perturbateurs du système endocrinien, sur quoi nous fondons-nous pour dire qu'ils le sont? Est-ce qu'on ne peut pas s'appuyer sur les mêmes données scientifiques pour évaluer s'ils le sont ou ne le sont pas?

• 1645

Dre Theo Colborn: Les travaux effectués ont été dans divers laboratoires un peu partout dans le monde, dans des laboratoires d'agences de réglementation et dans des laboratoires universitaires. Mais chacun s'est servi d'un test distinct. La seule raison qui fait que nous sachions maintenant que certains produits chimiques se comportent comme ils le font ce n'est pas parce que ces essais ont été effectués dans un seul laboratoire mais parce qu'ils l'ont été dans deux. Toutefois, modèles utilisés étaient entièrement différents.

Aux États-Unis, à moins de pouvoir soumettre un produit chimique à un protocole donné, bien spécifique, le gouvernement estime qu'il ne peut pas prendre de mesures concernant ce produit chimique. Ce qui fait que pour l'instant nous ne pouvons soumettre des produits chimiques au moindre essai ou dépistage pour dire, voilà ce sont des perturbateurs endocriniens, et nous voulons y porter remède, ou tout simplement qu'ils nuisent au développement de l'embryon.

C'est le cas de tout un volet de nouvelles recherches scientifiques qui essaient de comprendre ce qui se passe pendant le développement et que nous n'avons encore jamais pris en compte. J'aimerais bien que l'expression «perturbateur endocrinien» disparaisse et qu'on dise tout simplement «protégeons l'embryon». Des neurotransmetteurs sont en cause, et il y a beaucoup de produits chimiques, comme les prostaglandines, au sujet desquels les gens discutent affirment ou nient qu'il s'agit d'hormones. Ce sont des hormones. Mais nous en savons si peu sur notre système. Nous avons donc besoin de ce dépistage et de ces essais. L'industrie en a besoin.

Je travaille maintenant avec l'industrie, parce qu'on veut pouvoir dire au public: «Le produit que je vous vends—le produit que je fais entrer chez vous, les vêtements dont vous habillez vos enfants, les jouets avec lesquels ils jouent, les aliments que vous mangez et que je vous vends—sont sans danger. Il n'y a rien à craindre pour les enfants pré-pubères; la femme enceinte n'a rien à craindre dans son foyer.» C'est ce qu'on veut. Il y a beaucoup d'entrepreneurs, grâce à Dieu, qui font déjà changer les choses.

Ce qui se passe, je le rappelle, porte partout dans le monde le nom d'harmonisation. Je sais qu'il y a maintenant une entente entre l'OCDE, les États-Unis et le Japon pour essayer d'en arriver à un système très élémentaire de dépistage et d'essais pour vérifier rapidement les produits chimiques, de sorte qu'on pourra vérifier les 87 000 qui sont utilisés aux États-Unis, les 70 000 qui le sont de façon générale, et surtout les 15 000 produits chimiques qu'on utilise en très grand volume et qui sont largement dispersés dans l'environnement et dans nos foyers.

Il faut faire des tests immédiatement, pour voir s'il peut y avoir un lien avec le récepteur des oestrogènes, c'est-à-dire de l'hormone femelle. Y a-t-il interférence avec l'hormone mâle? Y a-t-il interférence avec la thyroïde?

Si on peut faire tout cela d'ici cinq ans, nous aurons fait des bonds de géant. Nous pourrons ensuite classer tous les produits chimiques et les étudier individuellement.

M. Rick Casson: Quel rôle peut donc jouer l'Agence de réglementation de lutte antiparasitaire dans la préparation de ces tests et en matière de normalisation? Le Canada peut-il jouer un rôle à ce niveau? Quel autre organisme gouvernemental devrait intervenir?

Dre Theo Colborn: Si l'on s'en tient au besoin, le Canada fait un travail sur la thyroïde qui figure parmi les plus remarquables. On devrait envisager d'aider ces chercheurs qui travaillent sur la thyroïde, car personne ne connaît encore les liens entre ces produits et le récepteur thyroïdien. Ce sujet est resté sous le boisseau. Il manque sans doute de prestige. Il devrait donc faire partie des domaines d'intervention.

Le Canada pourrait aussi présenter nos biomarqueurs. Il y a lieu de s'inquiéter de ces systèmes qui assurent notre alimentation. Il faut penser à la production de protéines et de plantes. Il faut faire très attention à l'utilisation d'herbicides qui risquent de nuire à d'autres producteurs primaires très importants dont nous avons besoin pour notre alimentation. Quel est l'effet de ces produits? Les travaux nécessaires pourraient être faits au Canada.

Vous avez fait beaucoup de recherches dans ce domaine. Une bonne partie des effets sur la faune sont connus grâce à la recherche canadienne. Pour moi, c'est là le rôle que doit jouer le Canada.

Vous n'avez pas de grosses institutions comparables à notre Institut national des sciences environnementales de la santé, à notre Programme national de toxicologie ou aux laboratoires de l'Agence de protection de l'environnement. Mais au fil des années, je crois que c'était très avisé de votre part, vous vous êtes penchés sur des sujets qui n'avaient pas été étudiés aux États-Unis, et ces travaux vous ont permis de progresser. Nous avons besoin de cette forme de coopération, qui permet de combler des lacunes. Vous faites votre part ici, et nous faisons la nôtre aux États-Unis. Il faut renforcer les communications transfrontalières.

M. Rick Casson: À mon avis, les résultats que vous avez indiqués n'ont rien de prestigieux non plus.

Dre Theo Colborn: En effet.

M. Rick Casson: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Casson.

Madame Girard-Bujold.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Je vous félicite de votre exposé, qui nous amène à la fine pointe de ce qui se passe, de ce qui ne s'est pas passé et de ce qui devrait se passer.

• 1650

Vous dites dans votre exposé que 60 p. 100 des pesticides utilisés aujourd'hui aux États-Unis et au Canada sont des perturbateurs endocriniens ou des simulateurs d'oestrogène.

Il y a des choses qui n'ont pas été faites dans le passé. Il y a des choses qui ont été faites dans d'autres pays. Il y a des études qui ont été faites ailleurs. Ici, au Canada, on a aussi fait des études. Cependant, vous nous dites tous ici aujourd'hui qu'il y a urgence en la matière et qu'il va falloir que le gouvernement canadien agisse avec beaucoup de diligence.

J'aimerais que vous nous disiez comment on doit faire pour agir rapidement. Tout ce qui touche aux enfants, aux femmes, à la fécondité et à la nature humaine m'interpelle beaucoup. Vous êtes venus nous en parler, et j'aimerais que vous nous disiez ce qu'on pourrait faire demain matin pour effectuer un virage qui puisse enfin répondre à vos attentes et à celles de la population en général. Merci.

[Traduction]

Dre Theo Colborn: C'est une excellente question on me la pose partout où je vais.

Pour ce qui est de l'utilisation actuelle des pesticides au Canada, les laboratoires, non pas ceux des organismes de réglementation, mais les laboratoires universitaires, ont montré que certains d'entre eux ont un effet indéniable sur le système endocrinien.

Dans la plupart des cas—du moins dans deux cas que je connais, et je préfère ne pas donner le nom des produits en question—on envisage de les abandonner aux États-Unis et je crois qu'il en va de même au Canada. L'un d'entre eux contient du chlore, mais pas l'autre. Le premier a des effets indirects. On ne les aurait jamais découverts si on s'était contenté du dépistage, car le produit ne se fixe pas sur le récepteur des oestrogènes, mais il agit sur le cerveau par l'intermédiaire d'un système d'enzymes qui convertit la testostérone en oestrogène. C'est un mécanisme très complexe.

On devrait mettre progressivement un grand nombre de nouveaux tests au point, mais il faudrait envisager l'abandon progressif des produits chimiques sur lesquels on a suffisamment de preuves. Je ne dis pas qu'il faille les interdire du jour au lendemain. Il faut travailler sur les nouveaux produits, et c'est pour cela que nous avons besoin de mesures de dépistage et d'essais systématiques, car comme l'a dit M. Reed, il ne faut pas remplacer des produits connus par des produits inconnus.

C'est là l'une de mes préoccupations importantes actuellement, car en abandonnant l'un des produits dont je parle, qui est un herbicide, on va passer à d'autres produits chimiques qui sont beaucoup plus puissants. Ils devraient être utilisés à raison de 10 ou 15 grammes à l'acre et appliqués soit en aérosol, soit par ventilation au sol et leur concentration est si faible qu'on ne pourra même pas mesurer leur présence une fois qu'ils auront été libérés dans l'environnement. Mais comme j'ai une formation de pharmacienne, et je connais la base chimique dont ils proviennent. Ces produits peuvent agir sur l'insuline, sur le métabolisme des hydrates de carbone et sur la thyroïde. Ils sont couramment utilisés aux États-Unis. Je n'ai pas pu obtenir les chiffres concernant leur utilisation au Canada, mais je suppose que s'ils sont vendus aux États-Unis, ils le sont également ici.

Tout cela me préoccupe beaucoup. C'est pour cela que nous avons besoin de mesures de dépistage et d'essai systématiques. Nous en avons besoin au plus tôt. Je crains que les gouvernements ne soient pas assez diligents.

• 1655

J'espère que les fabricants de ces produits qui vont se retrouver chez nous font eux-mêmes leurs propres essais. Je sais qu'ils se donnent beaucoup de mal. Nous en avons un parfait exemple aux États-Unis. Baxter, qui fabrique du matériel hospitalier—des sacs pour intraveineuses, des tubes, des aiguilles et des seringues—est sans doute le plus grand fabricant d'articles de ce genre au monde. Des médecins qui travaillent dans les hôpitaux se sont adressés à cette société et ont constitué un groupe appelé Physicians for Social Responsibility, puis un autre appelé Health Care Without Harm.

Les médecins du pays ont dit aux hôpitaux de ne plus acheter de ces objets de plastique utilisés en milieu hospitalier, parce que quand on les jette et qu'on les brûle on produit des PVC, et en plus on sait qu'un composant des matières plastiques, le phthalate, s'échappe du plastique pour se retrouver dans le sang des patients. Ces produits chimiques ne sont pas sûrs.

Eh bien, Baxter a annoncé le printemps dernier que d'ici un an elle allait remplacer sa production actuelle par un plastique entièrement nouveau, et je suis sûre que la société a travaillé très fort pour mettre au point ce produit plus sûr. Il n'y aura donc plus de PVC à la sortie des incinérateurs des hôpitaux.

L'industrie fait sa contribution. General Motors a annoncé aux États-Unis, il y a un mois, que la compagnie ne produirait plus d'automobiles contenant des PVC d'ici un an ou deux. Elle peut éliminer ces produits. Elle n'en veut plus dans ses véhicules.

Je pense donc qu'aux États-Unis, au Canada et dans le monde entier les consommateurs vont obliger l'industrie à évoluer. Mais si l'industrie estime que les gouvernements ne l'obligeront pas à agir, elle sera moins zélée que si elle sait que des lois s'en viennent.

[Français]

Le président: Merci, madame Girard-Bujold.

[Traduction]

M. Lincoln, M. Pratt, M. Mancini et M. Reed veulent intervenir.

À propos, madame Colborn, n'hésitez pas à citer des noms de produits, car dans ce comité nous sommes protégés par l'immunité parlementaire.

Dre Theo Colborn: Uniquement dans ce comité?

Le président: Non, dans tous les comités.

M. Clifford Lincoln: Madame Colborn, lorsque vous avez lancé votre livre, Our Stolen Future, il y a trois ans, il a suscité une polémique, comme toutes les études novatrices. Beaucoup de critiques ont dénigré vos propos. Il vous a fallu bien du courage, mais votre ouvrage a suscité un vaste débat ici comme partout ailleurs.

Dans votre livre, vous décrivez des expériences faites sur les animaux, sur des rats, etc., et vous reconnaissez vous-même qu'il est bien difficile de prévoir les résultats d'études sur l'être humain, car les preuves n'ont pas encore été apportées.

Depuis la parution de ce livre, on a abondamment critiqué votre point de vue et d'autres opinions semblables à la vôtre. Est-ce que vous nourrissez quelques doutes, ou êtes-vous plus convaincue que jamais que ce que vous avez dit était vrai et que c'est encore plus vrai aujourd'hui?

Dre Theo Colborn: On commence à avoir des preuves scientifiques concernant l'intelligence et le comportement de nos enfants, et leur aptitude à s'intégrer socialement. L'information et les résultats de recherches publiés depuis lors m'amènent à considérer que nous n'en avons pas fait suffisamment pour les enfants dans notre livre. Nous savions ce qui s'en venait. Nous le savions, mais les statistiques n'étaient pas encore disponibles. Les chercheurs nous disaient: «Ne vous arrêtez pas. Il faut écrire tout cela.»

Nous avons maintenant des preuves dans les travaux qui sont publiés, comme les conclusions de l'étude Jacobson et les travaux sur ceux qui consomment du poisson du lac Ontario, dont j'ai parlé brièvement tout à l'heure. Une nouvelle étude qui vient d'être publiée montre la relation qui existe entre l'aptitude de l'enfant à l'accoutumance... c'est-à-dire sa faculté de se calmer. C'est essentiellement la signification de ce terme. Cette aptitude est très faible. J'aurais dû apporter mes acétates, mais l'étude montre que parallèlement à l'abaissement des scores d'accoutumance, on constate une augmentation de la concentration des PCB à forte teneur en chlore chez la mère.

• 1700

Ce qui nous inquiète, c'est qu'en plus des PCB, on trouve d'autres produits chimiques dans l'organisme de la mère. On ne peut jamais attribuer spécifiquement un résultat au PCB, mais cependant les chercheurs des laboratoires de l'Agence de protection de l'environnement ont donné des PCB à des rates enceintes, et leurs portées présentaient à la naissance des problèmes d'audience des sons à fréquences basses et intermédiaires, ainsi que des pertes de coordination motrice. Les animaux en question étaient quelque peu anormaux.

Le point intéressant, c'est que ces chercheurs ont pu démontrer l'effet des PCB sur la thyroïde. À mesure que les doses de PCB augmentent, la production thyroïdienne des animaux diminue. On a montré avec précision que c'est le mécanisme thyroïdien qui intervient. Jusqu'à maintenant on refusait d'admettre que les difficultés d'apprentissage étaient dues à un problème endocrinien, mais l'hormone thyroïdienne est sans doute l'une des principales hormones, puisqu'elle doit être présente en permanence. Elle contrôle la production d'oestrogènes. La gamme de ses fonctions est impressionnante. Il s'agit donc maintenant de renforcer les preuves.

On a publié des travaux sur les anti-androgènes à la suite de tests effectués sur d'autres produits chimiques disponibles dans le commerce—des fongicides et des plastiques qui sont anti-androgènes. Tout cela vient tout juste de commencer. Ce que l'on découvre est étonnant.

Certains prétendent qu'il est impossible de reproduire les expériences à très faibles doses de PCB, qui avaient provoqué un grossissement de la prostate chez des rats mâles. Or, cette étude a été reproduite. On devrait vous l'annoncer très prochainement, d'ici un mois. Elle va être présentée à Kyoto, au Japon, où on a organisé une grande conférence sur les perturbateurs endocriniens. L'étude a été répétée sur un plus grand nombre d'animaux, et elle a permis d'établir plus de points d'achèvement que prévu. Maintenant que nous savons ce qu'il faut chercher, il semble que cette substance chimique ait un effet sur tous les appareils de l'organisme.

Tous ces éléments me confortent dans mes convictions, et c'est ce qui m'amène au Canada pour m'adresser à vous. Observez attentivement ce qui s'en vient. Ce que je crains, c'est que les gens qui font ce genre de recherche ne perdent leur budget. Les ressources diminuent constamment, aux États-Unis comme au Canada. On en a l'habitude. Tous les budgets subissent des compressions. Il est plus facile de couper dans la recherche qu'ailleurs, et aux États-Unis nous connaissons un grave problème de suppression du financement de la recherche. C'est la même chose au Canada, et c'est pourquoi je suis ici pour défendre le Service canadien de la faune.

Le président: Merci.

Madame Pratt, suivi par M. Mancini.

M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président.

Madame Colborn, je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui. Vos commentaires nous sont très utiles.

J'aimerais avoir votre avis sur la position adoptée par le Fonds mondial pour la nature. Elle ne concerne pas directement le Canada, et je m'écarte donc un peu du sujet, mais cette position concerne l'utilisation d'insecticides contre le paludisme dans le tiers monde.

Tout d'abord, si ce n'est pas le bon organisme, je m'en excuse, et ma question s'arrêtera là. Mais est-ce que le Fonds mondial pour la nature s'oppose à l'utilisation d'insecticides pour lutter contre le paludisme dans le tiers monde?

Dre Theo Colborn: Je regrette de ne pas avoir apporté le livre. Je travaille avec quelqu'un qui s'occupe de ce programme dans notre service.

Non, le fonds ne s'y oppose pas.

M. David Pratt: Bien.

Dre Theo Colborn: Ce que nous souhaitons, c'est que l'on trouve des solutions de remplacement. Nous avons souhaité que l'on fixe un délai au-delà duquel ces insecticides devraient être progressivement abandonnés, mais nous nous sommes rendu compte que c'était totalement impossible. Il est toujours utile d'avoir un objectif, et nous en cherchions un.

Mais croyez-moi, ce n'est pas la position du Fonds mondial pour la nature. Nous avons une excellente production actuellement, ne serait-ce qu'avec la recherche de solutions de remplacement.

En ce qui me concerne, la résolution du problème du paludisme et l'abandon progressif des organochlorés utilisés dans la lutte contre la malaria, le choléra, la dengue—en fait, toutes les maladies transmises par les insectes—doivent être un objectif parallèle à la mise au point de mesures de dépistage et d'essai pour les produits chimiques, car si nous cherchons des produits de remplacement, il faut les soumettre à des mesures de dépistage et à des essais pour s'assurer qu'on ne lâche pas la proie pour l'ombre.

Ne vous inquiétez donc pas, ce n'est pas notre position.

M. David Pratt: Votre organisme a peut-être été mal cité dans les médias, car il me semble que j'ai lu cela quelque part.

Dre Theo Colborn: C'est cela. Et vous savez, le seul point positif, c'est que nous avons eu ainsi l'occasion de relancer la presse. La question reste d'actualité, de même que celle des POP. C'est le parti que nous en avons tiré. La question des POPS est toujours d'actualité, et c'est ce qui importe. Il faut continuer à y travailler.

• 1705

M. David Pratt: Bien, merci.

Dre Theo Colborn: Julia voudrait ajouter quelque chose.

Mme Julia Langer (directrice, Programme de toxicologie, Fonds mondial pour la nature): Oui, très brièvement.

Je fais partie de l'équipe qui travaille sur le DDT. Nous considérons que le DDT doit être abandonné, mais certainement pas au prix de vies humaines. Nous avons des solutions de remplacement qui ont fait leur preuve et nous nous sommes fixé un objectif. Si on ne peut l'atteindre, eh bien, tant pis, mais il reste que le DDT devrait être abandonné progressivement dans le cadre de l'application du traité sur les POP.

Nous sommes face à un dilemme. Nous ne voulons pas que la solution d'un problème en fasse apparaître un nouveau. Nous souhaitons qu'il n'y ait plus de problèmes.

Dre Theo Colborn: En toute franchise, je peux vous dire que nous nous préoccupons beaucoup des pyréthrinoïdes de synthèse, qui font partie des solutions de remplacement envisagées. Ils risquent eux aussi de poser de graves problèmes, même à très faibles doses, car une fois qu'ils seront présents dans l'environnement, ils seront sans doute impossibles à détecter. C'est pourquoi il faut les soumettre à des essais.

Mais je suis heureuse que vous ayez posé cette bonne question, car elle m'a permis de reparler des POP.

Des voix: Ah, ah!

M. David Pratt: Merci.

Le président: Merci, monsieur Pratt.

Monsieur Mancini, puis M. Reed, Mme Torsney et Mme Kraft Sloan.

M. Peter Mancini: Merci, monsieur le président.

Merci, madame.

Je dois dire que même ce que vous nous annoncez comme bonnes nouvelles me semble inquiétant—et je prêche ici pour ma paroisse—c'est notamment le cas quand vous parlez de Baxter et des fabricants de matériel hospitalier.

Je le signale parce qu'avant de devenir député j'ai dû m'opposer à une décision de mon conseil municipal pour que les déchets biomédicaux soient évacués de la Nouvelle-Écosse, car le conseil ne voulait pas les brûler au sud de Halifax; il voulait les brûler au Cap-Breton. Il s'agissait de savoir si ces produits contenaient des PCB. Maintenant que j'entends dire que le fabricant affirme qu'ils en contenaient, vous imaginez mon mécontentement.

Dre Theo Colborn: Oui. Est-ce que je peux dire quelque chose?

M. Peter Mancini: Je vous en prie.

Dre Theo Colborn: Lorsque la société a annoncé qu'elle changeait de produit, elle n'a pas reconnu que le produit précédent posait un problème.

M. Peter Mancini: Le contraire m'aurait étonné.

Dre Theo Colborn: Elle a simplement dit qu'elle allait passer à un produit nouveau et meilleur, mais elle n'a jamais reconnu les inconvénients du produit précédent.

M. Peter Mancini: Même si la question sort de votre domaine de compétence, j'aimerais savoir si ce nouveau produit est disponible au Canada, ou si nous utilisons encore l'ancien.

Dre Theo Colborn: Je suppose que vos hôpitaux se servent des produits Baxter, qui sont disponibles ici. Ce sont les mêmes sociétés qui fournissent vos hôpitaux et les nôtres. Est-ce que quelqu'un pourrait le confirmer?

M. Peter Mancini: Oui, je sais.

Vous avez cité la déclaration consensuelle publiée en 1999, où il est question des effets de ces produits sur les systèmes reproducteur, nerveux, immunologique, endocrinien et métabolique. À votre connaissance, existe-t-il des études sur les perturbateurs endocriniens et sur leurs coûts pour le système de santé, avec des problèmes éventuels comme la sclérose en plaques ou l'endométriose? Y a-t-il là une corrélation dont on aurait pu calculer le coût?

Dre Theo Colborn: Non. J'ai essayé d'amener Herman Daly à travailler avec moi... nous sommes très occupés tous les deux; il est très difficile d'évaluer ce que coûterait une différence d'un point dans le quotient intellectuel d'un groupe d'enfants nés aux États-Unis. D'après les travaux préliminaires que Schwartz a effectués à Harvard, on perd environ 7 milliards de dollars par an dans les gains réalisés au cours d'une vie pour chaque baisse d'un point du QI. C'est pour tous les enfants nés au cours d'une année aux États-Unis. Ils sont beaucoup plus nombreux que les enfants canadiens, mais cela représente un pourcentage important.

J'ai rencontré aujourd'hui dans l'avion un homme qui m'a parlé de son fils. Cet enfant avait des problèmes à la naissance. Les parents viennent de payer 400 000 $ pour que leur fils soit traité pendant sept mois à l'Hôpital John Hopkins, où l'on espère réparer certains dommages qu'il a subis lors de sa vie prénatale. C'est le genre de choses que nous voulons éviter. La description qu'il a faite m'a donné la chair de poule, car cela ressemblait beaucoup à ce dont nous parlons et aux résultats qui sortent des laboratoires.

• 1710

Mais comment allez-vous établir un lien entre l'exposition et ses effets? Voilà pourquoi nous vous demandons de faire preuve de prudence. Je crois important d'éduquer le public. Je ne pense pas que les gouvernements devraient garder pour eux les renseignements qu'ils possèdent de peur que cela n'engendre la panique. Je n'ai jamais vu ces renseignements causer de panique, même dans les pays où on s'est penché sur le problème du lait maternel.

Les gens veulent savoir. Ils pourront alors décider de ce qu'ils feront et prendre des précautions afin de ne pas causer de problèmes plus tard.

M. Peter Mancini: Merci.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Mancini.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed: Merci.

Madame Colborn, considérez-vous que les perturbateurs endocriniens représentent le problème le plus grave qui soit associé aux genres de pesticides que nous utilisons actuellement?

Dre Theo Colborn: Oui, car nous avons examiné très attentivement les pesticides pour nous assurer qu'ils n'étaient pas cancérigènes. Je ne prétendrais jamais que le DDT est cancérigène. Je ne dirais jamais que le DDT a causé le cancer du sein. Lisez mon livre. Il n'existe aucune preuve. Nous ne les avons pas. Elles n'existent pas.

Mais nous n'avons certainement pas su voir ce qu'était le DDE. C'est seulement il y a cinq ou six ans qu'on a cru se rendre compte que le DDT féminisait les oiseaux sauvages. N'oubliez pas que les oiseaux mâles se développaient comme des oiseaux femelles. On a pensé qu'il s'agissait d'un effet oestrogénique. Ce n'est pas le cas. Il s'agit d'un oestrogène assez faible. C'est l'effet anti-androgénique du DDE qui a amené les chercheurs à se rendre compte qu'ils avaient intérêt à examiner d'autres substances chimiques, mais 58 ans après l'arrivée de ce produit sur le marché.

Comme nous sommes une espèce qui vit longtemps, nous ne pouvons pas constater les effets. Néanmoins, quand des animaux ont été exposés à ces substances à des concentrations suffisantes, des perturbations ont été constatées. Les problèmes remarqués dans la région des Grands Lacs n'ont pas disparu. Ils sont toujours présents. Le pygargue à tête blanche ne se reproduit plus bien dans ce secteur. Il a cessé de couver ses oeufs dans la région du lac Érié parce que l'éclosion ne se produit plus. Nous n'avons pas résolu nos problèmes.

Je ne cite pas cet exemple pour indiquer l'effet des pesticides, mais plutôt pour montrer ce que peut produire une substance qui nuit au développement. Nous n'avons pas conçu notre toxicologie pour nous occuper du développement. Nous n'avons pas conçu notre législation pour tenir compte de ce genre d'effet.

Vous ne pouvez pas établir de normes pour ce type de substances chimiques. Ne l'oubliez pas. Vous perdriez votre temps, car il n'y a pas de seuil.

M. Julian Reed: Pourriez-vous nous parler des 40 p. 100 de pesticides utilisés qui semblent ne pas être des perturbateurs endocriniens? Avez-vous réalisé des travaux à ce sujet?

Dre Theo Colborn: Non. Je pourrais dire une chose qui va vous inquiéter sérieusement. Ces produits n'ont jamais été testés. Le problème est là.

N'oubliez pas qu'il s'agissait des pesticides les plus utilisés. Les chercheurs ont commencé à s'y intéresser. Je vais indiquer leur nom: l'atrazine et l'endosulfan. Je peux le dire. Ce sont des substances chimiques que l'on utilise en très grande quantité. Voilà la situation.

Quant aux autres, vous pourriez me citer les noms d'une cinquantaine ou d'une soixantaine de produits—j'ai l'une des meilleures bases de données au monde—sur lesquels nous ne possédons pas le moindre renseignement à part ce qui figure dans le Farm Chemical Handbook. C'est tout.

Il n'y a rien à part cela. Ces substances n'ont pas été étudiées.

M. Julian Reed: Je suis tout à fait d'accord avec vous pour ce qui est de la divulgation de l'information. J'ai eu connaissance, dans d'autres circonstances, d'une étude réalisée sur le contenu en métaux lourds des foies de caribous en Ontario et un service gouvernemental où je travaillais voulait que ces renseignements soient gardés confidentiels. Heureusement, mon sous-ministre a dit qu'ils seraient publiés le lendemain matin. Cela n'a pas causé de panique. Certaines personnes ont dit: «Nous n'aimons pas ce que nous avons entendu, mais nous nous réjouissons d'avoir été informés». Il n'y a pas eu de panique.

Dre Theo Colborn: Les gens respectent la vérité et ils veulent savoir.

Je suis vraiment désolée pour les femmes enceintes d'aujourd'hui. Je donne des conférences. Je vais un peu partout, y compris dans les universités. À qui je parle? À des jeunes femmes dont la première question est: «Comment puis-je débarrasser mon corps de ces substances? Que vais-je faire pour mon lait? Devrais-je nourrir mon bébé au sein? Où puis-je faire analyser mon sang? Où puis-je faire analyser mon lait?»

Je peux seulement leur répondre qu'elles peuvent débourser 2 000 $ ou 2 500 $ pour trouver un laboratoire, mais que si elles sont enceintes et si elles veulent faire analyser leur lait, d'ici le moment où elles obtiendront les résultats, elles auront fini d'allaiter et peut-être ne trouveront-elles pas un médecin capable de leur expliquer ce que cela signifie.

• 1715

À cause de mon livre, les gens m'envoient toutes les analyses qu'ils ont fait faire, de leur sang, de leur fluides corporels. Ils vont voir le médecin parce qu'ils veulent savoir quelles substances ils ont dans leur organisme. Nous ne pouvons même pas trouver la liste de ces substances dans le CAS. Ce sont des produits chimiques avec des noms qui n'en finissent pas et que personne ne connaît.

Ce qui m'ennuie, c'est que nous ne savons rien sur ces produits. Nous sommes dans l'ignorance. Voilà pourquoi j'aime ce que vous faites, car il faut garder ces produits hors de nos écoles, de nos maisons, de nos municipalités, de nos églises et de nos terrains de jeu.

Cela m'inquiète sérieusement, car je sais ce qu'il peut advenir d'une souris ou d'un rat en pleine croissance lorsqu'ils sont exposés à certaines de ces substances. Cela dépend toujours non pas de la dose, mais du moment de l'exposition. Cela joue un rôle crucial. Jusqu'à la puberté, les enfants sont très vulnérables. Ils le sont vraiment. J'en suis absolument convaincue.

Je suis une ex-pharmacienne. Pendant les années où j'étais en pharmacologie, nous nous sommes servis de rats, de hamsters et de lapins pour déterminer si les médicaments étaient sûrs ou non, et nous ne l'avons même pas fait pour les pesticides.

M. Julian Reed: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Reed.

Madame Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci, madame Colborn. Excusez mon retard. Je devais faire un discours à la Chambre.

Il est bouleversant de vous entendre parler de certaines de ces questions, et surtout du fait qu'un grand nombre de ces produits chimiques n'ont pas été testés et que nous ne savons pas vraiment quels sont leurs effets. Mais je voudrais examiner tout cela sous un autre angle.

Qu'arrive-t-il quand vous savez qu'il y a des problèmes et qu'il faut si longtemps pour agir? Par exemple, dans le cas du DDT, je me souviens d'avoir lu dans le livre de Rachel Carson intitulé Silent Spring qu'on savait déjà l'année qui a précédé ma naissance que le DDT posait des problèmes. C'est seulement quand ma fille est née que ce produit chimique a été interdit au Canada. Il a fallu attendre deux générations alors que nous savions à quoi nous en tenir. Cela me paraît tout à fait illogique.

Pourriez-vous nous aider à comprendre pourquoi les décideurs de l'industrie et du gouvernement sont allergiques à la science, pourquoi ils ne prêtent aucune attention aux recherches scientifiques? En avez-vous une idée? Je suis certaine que oui.

Dre Theo Colborn: Je ne devrais pas en parler, mais tout le monde a peur des réactions spontanées. N'oubliez pas les cheminées d'usines et les pluies acides. Nous avons créé les cheminées d'usines et les pluies acides et toute cette pollution atmosphérique. Je m'en souviens très bien, car je vivais dans les montagnes du Colorado, et je m'inquiétais de ce qui se passait dans nos montagnes.

Les gouvernements bougent très lentement. Je ne sais pas ce qu'il en est pour votre budget, mais nous préparons maintenant le budget de 2002. Le budget auquel nous travaillons à Washington ne prévoyait pas les preuves scientifiques et les avis que l'EPA a obtenus du Comité EDSTAC qui a recommandé d'aller de l'avant.

Vous avez ensuite différentes législations. Vous avez différentes personnes au pouvoir. L'administration exerce un certain contrôle sur le budget de même que la Chambre et le Sénat. C'est sidérant.

Notre budget de cette année, aux États-Unis, contenait tellement de postes qu'une bonne partie du budget de l'EPA, environ 53 millions de dollars a dû être trouvée ailleurs. J'ai entendu dire, la semaine dernière, que cet argent proviendrait de la recherche extra-muros. C'est la solution de facilité. Vous n'avez pas à congédier qui que ce soit à l'EPA. Cela aura des conséquences très négatives.

Les gouvernements bougent lentement. En fait, je compte sur les industriels, ceux qui fabriquent les produits chimiques. J'espère qu'ils vont rattraper le mouvement. Ils réussissent dans certains cas et ils font des efforts.

Mais il y a aussi les tactiques dilatoires. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que tout s'arrête du jour au lendemain. Ce n'est pas possible. Et même si vous dites qu'il faut éliminer quelque chose... par exemple, si vous dites que vous allez éliminer du marché une composante plastique très importante, qu'allez-vous faire pour les matériaux de construction? Comment allons-nous construire des avions? Comment allons-nous fabriquer des pointes de fusée-sonde? Où allez-vous trouver de quoi fabriquer des bouteilles d'eau? Va-t-il falloir retourner aux bouteilles de verre? Voilà le genre de problèmes qu'il faut régler.

• 1720

Cela a toutes sortes de ramifications. Cela se ramifie dans tous les aspects du commerce et de l'économie. Plus je voyage, plus je m'en rends compte. C'est un problème économique et commercial mondial et personne ne veut prendre la décision de tout arrêter. Mais si nous commençons à nous y attaquer, il y a beaucoup de gens comme Bill Gates qui peuvent faire quelque chose du jour au lendemain.

N'oubliez pas qu'au cours de la Seconde Guerre mondiale, Harry Truman a mis sur pied le projet Manhattan. C'était avec l'argent de l'industrie. En deux ans et dix mois, nous avons construit une bombe atomique. Je suis convaincue qu'il nous faudrait un nouveau projet Manhattan, financé par l'industrie qui permettrait, dans deux ans et dix mois, de vous fournir les moyens de commencer à tester les produits chimiques.

Je dis à l'industrie qu'il est temps qu'elle investisse dans ce domaine. C'est ce que nous devons faire. Mais en attendant, les gouvernements vont devoir coopérer. Il faudra beaucoup de coopération afin d'éviter les dédoublements. C'est ce qui me préoccupe le plus.

Tout le monde s'intéresse au récepteur oestrogénique mais personne n'est d'accord sur le choix du test. Il y a toutes sortes d'excellents tests pour les récepteurs oestrogéniques. Nous pourrions en choisir un et passer à autre chose, commencer à nous intéresser à la thyroïde. Nous intéresser à la glande surrénale, aux prostaglandines, à l'insuline et au diabète, au diabète infantile, aux problèmes infantiles d'auto-immunisation résultant d'un développement anormal.

Mme Karen Kraft Sloan: Comme beaucoup d'autres, vous vous plaignez du fait que l'utilisation de ces produits est tellement généralisée qu'il est très difficile d'intervenir. Comment en sommes-nous arrivés là?

Aujourd'hui notre conversation porte sur les perturbateurs endocriniens. J'ai lu votre livre il y a environ trois ans lorsqu'il est sorti. Je l'ai lu pendant mes vacances au printemps.

Dre Theo Colborn: Je suis sûre que ça les a gâchées.

Mme Karen Kraft Sloan: C'est un livre très bien écrit, il est d'abord facile pour un profane et je vous en félicite, mais il m'a fait un peu froid dans le dos.

Nous avons un tel système que ces produits finissent toujours par s'imposer. Qu'est-ce qui nous attend? Quel sera le prochain gros problème de contamination ou d'environnement? Appliquer le principe de la prudence va peut-être devenir une nécessité car le prix est énorme tant sur le plan de la santé que de l'économie—400 000 $ pour traiter un enfant. C'est insensé.

Dre Theo Colborn: C'est simplement pour sept mois à Johns Hopkins et c'est seulement pour une de ses allergies.

Quelqu'un a dit tout à l'heure que le problème, c'est que nous nous retrouvons avec toutes sortes de nouvelles maladies—toutes sortes de nouvelles infections bactériennes. Mais ce que les gens ne voient pas c'est que dès que le système endocrinien est touché, le système immunitaire suit immédiatement.

Mme Karen Kraft Sloan: Oui.

Dre Theo Colborn: Est-ce que nous facilitons la tâche à ces bactéries et à ces virus contre lesquels nous sommes ordinairement immunisés en soumettant nos enfants à ces produits?

Il est possible que ces produits chimiques modifient également les caractéristiques de ces virus et de ces bactéries. Nous ne nous intéressons pas à leur incidence sur les micro-organismes et les invertébrés. Enfin nous commençons à nous y intéresser. Nous savons qu'ils ont une incidence sur les invertébrés. Nous savons qu'ils infectent les poissons. C'est donc très important.

J'ai entendu ce que vous avez dit tout à l'heure. La nécessité d'être informé est évidente. Il faut suivre à la trace ces produits chimiques, savoir où ils sont utilisés et comment ils sont utilisés. C'est extrêmement important surtout en cas d'utilisation agricole.

Ne répétez pas l'erreur des législateurs américains. Il n'y a aucune réglementation, enregistrement, déclaration, pour les produits qui ne sont pas vendus par plus de trois distributeurs. Tous les nouveaux produits qui arrivent sur le marché sont donc ainsi protégés.

Nous nous retrouvons avec des blancs partout. Quand on regarde une carte des États-Unis et qu'on se pose des questions sur l'utilisation, disons, d'un de ces nouveaux herbicides particulièrement virulent, il y a des États sur lesquels nous n'avons absolument aucun renseignement parce qu'ils se sont arrangés pour n'avoir deux ou trois distributeurs du produit.

Il faut absolument vous renseigner sur les erreurs que nous avons faites aux États-Unis. Un inventaire d'utilisation est indispensable. Il faut que vous encouragiez, sous une forme ou sous une autre—je ne sais ce que permettent vos lois sur l'utilisation des produits antiparasitaires—mais il faut encourager la mise en place de protocoles d'expérimentation et d'essais de ces produits chimiques.

Nous avons l'espoir que le Canada n'ait pas à faire cavalier seul. Dans ce domaine les efforts sont mondiaux. Il faudrait que vous vous impliquiez au niveau de ce qui se fait à l'OCDE, au sein de la communauté européenne, et partout où il est possible sur la scène internationale d'unir les efforts.

• 1725

Mme Karen Kraft Sloan: Il y a donc des progrès qui sont réalisés sur le plan international par l'intermédiaire de l'OCDE?

Dre Theo Colborn: L'OCDE a pris en charge la responsabilité de deux—en fait de trois tests. Il y a le test dit de Herschberger puis il y a celui de la puberté mâle et de la puberté femelle sur une période de 14 jours. C'est là-dessus qu'ils travaillent actuellement dans le but de les normaliser et de les valider afin qu'ils puissent être utilisés n'importe où.

Mme Karen Kraft Sloan: Merci beaucoup.

Le président: Merci.

J'ai une ou deux petites questions à vous poser, madame Colborn. La première est une question de définition. Notre comité essaie de trouver une définition appropriée de «gestion du risque». Si cette tâche vous était confiée, comment l'aborderiez-vous?

Dre Theo Colborn: Il faut revenir à l'étape la plus délicate de l'être humain, à savoir celle de l'embryon pour laquelle aucun seuil de produits chimiques n'est toléré. Il faut appliquer le principe de prudence. Excusez-moi, mais je n'aime pas du tout ces notions de mesures de risque...

Dans ce genre de contexte, mesurer le risque ne sert à rien car si vous prenez toute une série d'animaux et que vous les exposez à ces produits chimiques, vous constaterez des effets au niveau de chacun des petits. Pour le cancer, s'il y avait un effet d'un pour deux cents, voir d'un pour mille, le produit était qualifié de cancérogène. C'était une question de relativité. Il n'y a pas de relativité. Tous les enfants risquent d'être affectés. C'est tout à fait différent.

La vieille méthode relative ne peut plus être utilisée. C'est la raison pour laquelle nous préconisons le principe de prudence, le déplacement du fardeau de la responsabilité et l'utilisation du poids de la preuve.

Le président: Le principe de prudence, selon la bible de Rio, 1992, inclut le terme «rentabilité». Êtes-vous d'accord avec cette définition?

Dre Theo Colborn: Tant que nous ne saurons pas comment inclure ce genre de coûts—en d'autres termes, fixer le prix de ces coûts... il est relativement facile de calculer les avantages et de leur fixer un prix mais il est très difficile de fixer le prix des coûts. Nous n'avons pas fixer le prix du coût.

Il faut commencer à nous demander ce que signifie avoir un enfant qui peut coûter 400 000 $ pour une chose qui lui est arrivée pendant qu'il était encore dans l'utérus. Ce sont des choses auxquelles il faut que nous commencions à réfléchir. Je ne sais pas comment y intéresser les économistes. Si nous pouvons convaincre Herman Daly de le faire, peut-être qu'avec sa bénédiction nous pourrons trouver un outil qui vous sera fort utile.

Le président: Dans votre préface, il y a un paragraphe auquel j'aimerais m'arrêter un instant, si vous voulez bien. Vous écrivez:

    Les signes actuels suggèrent que les grands groupes d'intérêt concentreront leurs efforts sur les nouvelles procédures de dépistage pour l'identification des perturbateurs endocriniens proposés par l'Agence de protection de l'environnement. La bataille se fera sur la définition de l'ampleur du problème. Les factions au sein de l'industrie chimique ont déjà essayé de limiter la portée de cette définition aux seuls composés qui affectent les oestrogènes.

Comme les témoignages l'ont démontré, le problème est beaucoup plus vaste. Limiter autant que faire se peut le champ officiel du problème des perturbateurs endocriniens ne peut que profiter aux grands intérêts chimiques. Plus cette définition sera limitée, plus il sera facile de confiner le problème et d'en diminuer l'importance et moins seront onéreux les nouveaux tests.

Pouvez-vous nous donner un peu plus d'information ou quelques exemples, s'il vous plaît?

Dre Theo Colborn: Oui. En fait, ils voulaient la limiter aux seuls oestrogènes et aux oestrogènes dans l'environnement. Il y a eu une grosse bagarre à ce sujet et il a fini par être convenu qu'au minimum il faudrait inclure les hormones thyroïdiennes.

Que puis-je vous dire? Pour moi cela disait ce que cela devait dire. Il faut instaurer des critères d'expérimentation et de dosage et ce à grande échelle. Je ne crois pas m'aventurer en disant que dans deux ou trois générations, nous continuerons toujours à faire des expérimentations et à mesurer les dosages pour comprendre certains de ces effets endocriniens à cause de la complexité du système endocrinien et parce que j'espère qu'en aucun cas la société ne fera absorber des produits chimiques à des femmes enceintes pour voir ce que cela donne.

• 1730

Nous n'avons d'autre choix que la prudence. Qu'est-ce que je peux dire d'autre? Je suis désolée, vous me prenez au dépourvu. Je n'ai rien de vraiment profond à dire.

Le président: Ce n'est certes pas mon intention.

Il nous reste le temps pour une dernière petite question.

Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Monsieur le président, j'ai une information à vous donner.

C'est peut-être le moment où jamais de demander à John Carey qui est membre de l'équipe de l'OCDE et qui travaille en ce moment au CCEI de Burlington, de venir nous faire un rapport sur les progrès réalisés au niveau du dépistage et des dosages des perturbateurs endocriniens.

Dre Theo Colborn: Il pourra vous renseigner sur les dépistages et les essais, mais pas sur les résultats de l'initiative de recherche sur les substances toxiques.

Mme Paddy Torsney: Non, mais c'est un des pionniers de la recherche dans ce domaine au Canada et il travaille pour le ministère de l'Environnement. Nous pourrions peut-être l'inviter.

Le président: Merci.

Une dernière question de M. Lincoln qui sera la dernière.

M. Clifford Lincoln: J'aimerais vous poser une question sur une chose que vous avez dites tout à l'heure pour être sûr de ne pas me tromper. Sur une base cumulative, on estime qu'aux États-Unis 7 millions de dollars sont perdus par jour?

Dre Theo Colborn: Non, ce sont 7 milliards de dollars de manque à gagner pour la durée de vie de tous les enfants d'une même année. Il y a probablement eu 4 millions de naissances cette année aux États-Unis. Chaque point de déficit du quotient intellectuel correspond à un manque à gagner de 7 milliards de dollars pour l'ensemble des enfants nés cette année.

M. Clifford Lincoln: Pour tous les enfants nés cette année.

Dre Theo Colborn: Oui.

M. Clifford Lincoln: Pour cette année?

Dre Theo Colborn: Oui. C'est le manque à gagner pour toute leur vie.

M. Clifford Lincoln: Est-ce que c'est une estimation qui repose sur des recherches ou est-ce simplement...?

Dre Theo Colborn: Il faudrait que je vous envoie le travail qui a été fait sur le plomb. Cela concerne le plomb. Ils sont arrivés à un chiffre pour le plomb basé sur la réduction d'un microgramme par décilitre de plomb pour les enfants d'une même année. Nous avons essayé à partir de ce chiffre de calculer le coût. Ces chiffres concernent le plomb et la grosse différence correspond à l'importance donnée à ce facteur.

M. Clifford Lincoln: Dans vos recherches sur la combinaison de produits chimiques qui provoque une perturbation au niveau des systèmes de reproduction, avez-vous trouvé également une preuve d'affectation du quotient intellectuel des adultes ou des bébés?

Dre Theo Colborn: Oui, c'est l'étude des Grands Lacs, l'étude concernant les enfants qui vivent au bord des Grands Lacs et dont les mères ont consommé du poisson des Grands Lacs—deux ou trois repas de poisson par mois, à peu près, ou moins. Ces enfants ont un déficit de 6,2 points de quotient intellectuel. Les enfants les plus touchés dans cette étude—c'est l'étude Jacobson—manifestaient un déficit de 10 à 12 points de quotient intellectuel. C'est une moyenne géométrique pour cette population.

Ils ont également fait des études concernant le lac Ontario. Il d'agit d'un groupe d'enfants, 10 ans plus tard—ils ont refait l'étude avec un nouveau groupe d'enfants. Dans cette nouvelle étude, ils ont étudié également le comportement des enfants. Ils ont constaté que les enfants dont les mères ont le taux de BPC le plus élevé connaissent des problèmes d'apprentissage, ont des problèmes à court terme, des problèmes d'accoutumance, ils ne sourient, ne rient pas beaucoup, ils sont plus enclins à la peur et ils ont tendance à réagir plus violemment lorsqu'ils sont confrontés à des situations désagréables.

M. Clifford Lincoln: Donc, vous voulez que Herman Daly fasse une projection économique de tous les dégâts causés à la société par les produits chimiques?

Dre Theo Colborn: Nous pouvons probablement le faire déjà pour les BPC. C'est sur cela que nous voulons travailler avec les BPC. Mais si nous pouvions le faire simplement sur la base du quotient intellectuel, cela nous aiderait. Nous savons qu'un certain nombre de produits chimiques—les dioxines, les BPC et un certain nombre de produits antiparasitaires—affectent la thyroïde et provoquent l'hypothyroïdisme. Il suffit d'une réduction minuscule, environ 2.6 particules par trillion, dans les cellules libres T4 de la thyroxine de la mère pendant la gestation pour entraîner un déficit de quotient intellectuel chez l'enfant. Cela ne prend pas grand chose. Et c'est pratiquement dans l'éventail normal d'hormones thyroïdiennes chez la mère.

M. Clifford Lincoln: Heureusement que vous y avez échappé.

Des voix: Oh!

Le président: Nous aimerions conclure par une dernière question.

Madame Kraft Sloan.

• 1735

Mme Karen Kraft Sloan: Je connais les études de Jacobson. Des études ont-elles été faites sur ces mères qui font partie de cette pléthore de problèmes de réduction du quotient intellectuel? Il y a les bébés des mères qui avaient mangé du poisson, par exemple, et qui à leur tour ont eu des enfants. A-t-on fait des études sur la génération suivante?

Dre Theo Colborn: Non.

Mme Karen Kraft Sloan: Pas encore?

Dre Theo Colborn: La seule étude est une étude de laboratoire. C'est le travail réalisé par Helen Daly sur des rats du lac Ontario et selon elle la progéniture de la première génération était très hyperactive. Ce ne sont pas les premiers rats ni les enfants des premiers rats qu'elle a nourris, mais leurs petits-enfants et elle s'est aperçue qu'ils étaient plus hyperactifs que leurs parents.

Nous nous posons des questions. Nous ne savons pas. Cela signifie qu'il y a eu une sorte de changement chromosomique. Quelque chose s'est passé. Ou y a-t-il eu simplement suffisamment de résidus? Nous n'avons pas encore vraiment compris, mais il y a un problème.

Le NIEHS a publié une étude sur le diethylstilbestrol. Encore une fois, ils ont injecté aux rats du diethylstilbestrol. Leur progéniture avait des appareils reproductifs normaux, l'effet habituel provoqué par le diethylstilbestrol; ils avaient du mal à se reproduire. Ceux qui arrivaient à se reproduire avaient des enfants qui n'avaient pas de difficulté à se reproduire, mais développaient toutes sortes de cancers bizarres. La troisième génération manifeste donc... ce sont les rats DES, mais nous avons utilisé les DES comme modèles pour l'oestrogène environnemental. Nous ne savons donc pas.

Mme Karen Kraft Sloan: Exactement, car c'est un problème de maternité. S'il y a des problèmes d'accoutumance, de comportement plus agressif, de déficit d'attention et de choses de ce genre, que se passera-t-il au moment de la reproduction tant du côté du père que de la mère? Si le foetus est anormal, la cause peut venir d'un côté ou de l'autre, ou encore des deux.

Dre Theo Colborn: Exactement. C'est ce qui nous inquiète beaucoup.

Le président: J'ai une petite réclame à faire pour ceux qui ne pourront pas poser toutes leurs questions. Cette réclame concerne ce livre.

Dre Theo Colborn: J'ai un avion à 19 heures. Est-ce que je vais le rater?

Le président: Non, et nous allons lever la séance.

Le titre de ce livre est Our Stolen Future. L'introduction est de la main du vice-président Al Gore. Il est en vente dans les librairies pour seulement 19,99 $. Nous espérons que vous vous en procurerez tous un exemplaire.

Madame Colborn, madame Rickman, monsieur Mausbert, nous vous remercions infiniment de votre comparution.

Dre Theo Colborn: Merci beaucoup.

Mme Angela Rickman: Merci.

M. Burkhard Mausberg: Merci.

Le président: La séance est levée.