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ENVI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 13 décembre 1999

• 1515

[Français]

Le président (l'hon. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude sur la gestion et l'utilisation des produits de lutte antiparasitaire.

Nous recevons aujourd'hui M. Brian Emmett, commissaire à l'environnement et au développement durable.

[Traduction]

Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Emmett. Comme votre emploi du temps est très chargé aujourd'hui, je vais vous céder la parole sans tarder. J'espère que nous pourrons avoir un échange fructueux lors de la période des questions.

Pourriez-vous nous dire à quelle heure vous devez partir?

M. Brian Emmett (Commissaire à l'environnement et au développement durable, Bureau du vérificateur général du Canada): Je dois partir aux environs de 16 h 30, monsieur le président.

Le président: D'accord. Cela nous donnera une bonne heure et quart. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à comparaître devant le comité. Nous avons hâte de vous entendre. Vous avez la parole.

M. Brian Emmett: Je vous remercie, monsieur le président.

Bonjour, mesdames et messieurs.

Cet après-midi, j'aimerais faire quelques brefs commentaires d'introduction, après quoi je serai heureux de répondre à vos questions.

Je suis accompagné de John Reed, un directeur principal de ma direction et directeur de projet pour nos travaux sur les substances toxiques. Je vous parlerai surtout aujourd'hui des pesticides en m'appuyant sur les chapitres 3 et 4 de mon rapport de mai 1999.

[Français]

Le chapitre 3, «Comprendre les risques associés aux substances toxiques—des fissures dans les fondations de la grande maison fédérale», soulignait l'importance d'une bonne information scientifique pour la prise de décisions concernant les risques posés par les pesticides et les autres substances toxiques. Nous avons constaté que la coordination interministérielle des projets de recherche était lacunaire, que les programmes interministériels étaient fragmentés, que des conflits existaient entre les priorités, que les réseaux de surveillance étaient incomplets et que le fossé se creusait de plus en plus entre les demandes d'information imposées aux ministères et les ressources dont ils disposent pour y répondre. Dans l'ensemble, ces fissures dans les fondations de la grande maison fédérale menacent la capacité du gouvernement de détecter et de comprendre les effets nocifs des substances toxiques, y compris des pesticides.

Dans le chapitre 4 de mon rapport, «Gérer les risques associés aux substances toxiques—les obstacles au progrès», nous avons signalé des conflits constants au sein des ministères, une inaction à l'égard des engagements pris et des politiques de portée générale, des initiatives volontaires nécessitant une reddition de comptes accrue et des lacunes au niveau de la surveillance du rendement et du suivi des données. Nous avons conclu que le gouvernement ne gérait pas adéquatement les risques posés par les substances toxiques existantes.

Depuis le dépôt du rapport, nous avons suivi avec beaucoup d'intérêt le déroulement de vos audiences. D'après les transcriptions, je crois que nos constatations sont toujours pertinentes. Je n'ai rien lu qui puisse nous amener à changer nos vues ou qui nous donne l'assurance que l'on donne suite de manière systématique aux principaux problèmes que j'ai cernés.

[Traduction]

En plus des grandes questions abordées dans les chapitres 3 et 4, il y a quelques problèmes particuliers sur lesquels je voudrais insister.

Tout d'abord, les travaux de recherche et de surveillance qui sont en cours au sein des ministères fédéraux peuvent nous donner une perspective canadienne unique sur la présence et les incidences des pesticides. Cependant, on peut s'interroger sur l'utilité de tous les travaux de recherche et toutes les données de surveillance si l'on ne s'en sert pas à bon escient. À cet égard, j'ai fait état dans mon rapport de préoccupations importantes au sujet de l'absence de collaboration et d'échange d'information entre l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, ou ARLA, et les ministères qui font de la recherche scientifique tels que Santé Canada, Environnement Canada et Pêches et Océans. Cette situation doit changer pour que les décisions relatives aux pesticides profitent de toute l'expertise fédérale et qu'elles intègrent le principe de précaution.

• 1520

Ensuite, nos préoccupations concernant le processus de réévaluation et des examens spéciaux des pesticides portaient essentiellement sur deux aspects.

Premièrement, il est alarmant de constater la faible performance du gouvernement en ce qui a trait aux réévaluations des pesticides, étant donné, d'une part, les engagements nationaux pris il y a longtemps et, d'autre part, le fait que d'autres pays semblent avoir pris la réévaluation beaucoup plus au sérieux qu'au Canada. De nombreux pesticides utilisés aujourd'hui ont été approuvés en fonction d'anciennes normes moins rigoureuses—dans certains cas, il y a 40 ans environ. Deuxièmement, les règles de base régissant les réévaluations et les examens spéciaux ne sont pas claires, et elles doivent l'être.

Je sais bien que vous avez entendu de nombreux témoins à ce sujet, et c'est pourquoi je me limiterai à préciser que nous n'avons pas traité l'homologation des pesticides.

[Français]

La troisième préoccupation soulevée dans le rapport était l'absence d'orientation stratégique globale ou de plan stratégique au sein de l'ARLA pour la réduction des risques associés aux pesticides. Dans ce contexte, la réduction des risques se rapporte à une multitude d'activités différentes—notamment les réductions d'utilisation et l'adoption de méthodes de remplacement ou de pesticides moins toxiques—afin de réduire les risques globaux pour les gens et l'environnement. Plusieurs pays dans le monde ont adopté de tels programmes et politiques. Dès la création de l'ARLA, le gouvernement canadien lui a même demandé d'élaborer une politique de réduction des risques. Toutefois, l'agence ne l'a pas encore fait et elle doit le faire.

Un autre secteur de préoccupation est le suivi inadéquat des rejets de substances toxiques et de pesticides. Vous savez que j'accorde dans mon rapport une très haute importance à la mesure de tels rejets. Je m'inquiète particulièrement du fait que l'agence n'ait pas mis au point une base de données nationale sur la vente et l'utilisation des pesticides, bien qu'on l'ait chargée de le faire et qu'elle se soit déjà engagée en ce sens. Contrairement à plusieurs pays de l'OCDE, le Canada n'en possède pas, ce qui nuit à sa capacité de prendre mesure des efforts de réduction des risques.

Le dernier sujet dont je veux vous parler est l'utilisation des instruments volontaires. Comme je l'ai indiqué dans mon rapport, ces instruments sont largement utilisés dans la gestion des produits chimiques industriels, mais pas autant pour les pesticides. Il semble cependant que cela changera. Je crois pour ma part que des programmes volontaires conçus et mis en oeuvre de manière appropriée peuvent contribuer à l'atteinte des objectifs de gestion des risques. Les membres du comité savent que nous avons fait plusieurs recommandations visant à renforcer les dispositions sur la reddition de comptes, la communication de l'information et la surveillance des instruments actuels. Si les initiatives volontaires intéressent les membres du comité, ils voudront peut-être consulter les sections pertinentes du rapport.

En conclusion, monsieur le président, le principal message de mon rapport de mai est qu'il y a toujours un écart important entre le geste et la parole en ce qui concerne les programmes environnementaux et de développement durable du gouvernement fédéral. Nous en payons le prix sur les plans de la santé, de l'environnement, du niveau de vie et de l'héritage que nous léguons à nos enfants et à nos petits-enfants.

[Traduction]

Enfin, j'aimerais vous faire part de trois considérations.

Premièrement, nous savons bien que les substances toxiques et les pesticides constituent une question complexe pour les raisons mentionnées dans nos chapitres et par les témoins, mais je ne suis pas convaincu que les problèmes que nous avons cernés sont attribuables à la complexité des questions. Au contraire, bon nombre de ces problèmes ont une «connotation» humaine bien familière et peuvent, à mon avis, être facilement réglés.

• 1525

Par exemple, nous constatons des écarts dans l'application des principes fondamentaux d'une saine gestion—«planifier—exécuter—contrôler et améliorer». Nous remarquons l'absence de mise en oeuvre par rapport aux engagements et aux politiques. Nous observons que les relations de travail, les rôles et les responsabilités sont mal définis. Nous déplorons des mandats conflictuels et le cloisonnement des idées. Enfin, nous déplorons l'absence de mesure du rendement.

En second lieu, on ne peut régler les questions et problèmes que nous avons identifiés dans nos chapitres et qui ont été signalés par de nombreux témoins en les séparant des autres grands dossiers. Le besoin d'une recherche coordonnée et de réseaux de surveillance efficaces, l'application uniforme du principe de précaution et de la prévention de la pollution, de solides ententes volontaires et un suivi approprié des résultats constituent des exemples de questions qui feront je l'espère l'objet de vos recommandations.

Troisièmement, comme je l'ai dit plusieurs fois, monsieur le président, les travaux de votre comité sont essentiels à l'accomplissement des objectifs environnementaux et de développement durable du Canada.

Les chapitres 3 et 4 de mon rapport de mai 1999 contenaient une série de recommandations en vue d'améliorer l'évaluation et la gestion des substances toxiques et des pesticides. La plupart d'entre elles étaient adressées en même temps à plusieurs ministères, parce que nous croyons que les relations de travail entre ceux—ci doivent être améliorées. Nous sommes naturellement heureux que six ministères fédéraux se soient entendus pour fournir une seule réponse de haut niveau et s'engager à donner suite à nos recommandations.

Cependant, une telle solidarité s'est peut-être faite au détriment de la précision: en effet, les ministères n'ont pas pris d'engagement précis. Voilà où le comité peut, à mon avis, jouer un rôle. Si le comité approuve nos observations et nos recommandations, il peut tenir les ministères responsables de l'élaboration et de la mise en oeuvre de plans d'action précis et de communication périodique des progrès.

En terminant, je veux remercier le comité de son intérêt et de son soutien continus. John et moi serons heureux de répondre à toutes vos questions. Permettez-moi d'ajouter que nous reverrons les chapitres 3 et 4 portant sur les produits chimiques et les pesticides en l'an 2002 dans le cadre du processus de suivi normal afin de voir si les diverses instances qui ont répondu à notre rapport ont vraiment mis en oeuvre leurs recommandations. Nos travaux comportent effectivement un processus de suivi.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Très bien. Je vous remercie, monsieur Emmett.

Nous avons une bonne heure, cela nous permet de faire un bon tour de questions de cinq minutes et peut-être deux. Je vais d'abord donner la parole à M. Jaffer et ensuite, dans cet ordre, à Mme Girard-Bujold, M. Reed, Mme Kraft Sloan et M. Lincoln.

Monsieur Jaffer ou monsieur Chatters, vous avez la parole. Je vous accorde cinq minutes.

M. David Chatters (Athabasca, Réf.): Je vous remercie, monsieur le président.

Je vous remercie de comparaître devant le comité. Je ne suis pas depuis le début le dossier des pesticides et il faut m'excuser si mes renseignements ne sont pas tout à fait à jour.

J'ai constaté à plusieurs reprises—du moins depuis que je siège à ce comité—que la façon dont le gouvernement interprète et applique les données scientifiques obtenues pose problème. Nous l'avons certainement constaté dans le dossier des pêches de l'Atlantique et dans celui de la santé, notamment dans le cas des produits sanguins. Je crois qu'on peut dire la même chose au sujet du dossier des changements climatiques.

À vous entendre, j'ai l'impression que le même problème se pose au sujet des pesticides. Notre parti réclame depuis longtemps la création d'un poste d'ombudsman scientifique—dont le rôle serait de coordonner les activités scientifiques et l'interprétation qui en est faite au sein du gouvernement. Ce bureau remplirait bon nombre des fonctions que vous semblez proposer. Que pensez-vous de cette idée?

Le président: Monsieur Emmett.

M. Brian Emmett: Je vous remercie, monsieur le président.

Vous posez une question intéressante. À l'origine, mon rôle devait ressembler à celui d'un ombudsman, mais pas d'un ombudsman scientifique cependant. Bon nombre des questions que vous soulevez se rapportent à la façon de faire en sorte que les orientations et les jugements politiques tiennent compte des résultats des travaux scientifiques qui sont menés. Le poste que j'occupe m'amène à penser qu'il est impossible de demander à une personne de faire abstraction de considérations politiques et d'examiner tous les points de vue afin de parvenir à une décision claire lorsqu'une certaine ambiguïté demeure.

• 1530

À mon avis, deux éléments interviennent lorsqu'on évalue les risques. Il y a d'abord un élément scientifique à cette question—le risque que les poissons disparaissent, le risque que les changements climatiques se manifestent, le risque que les pesticides nuisent à la santé, etc. Les scientifiques peuvent beaucoup nous renseigner au sujet de l'évaluation des risques. Il y a donc d'abord l'évaluation des risques et ensuite le jugement qu'on porte sur ceux-ci. Que fait-on de l'information obtenue? Quel risque sommes-nous prêts à prendre? Pour ce qui est de l'effondrement des pêches dans la région de l'Atlantique, il faut tenir compte d'une part de l'information scientifique dont nous disposons et, d'autre part, de l'importance vitale de cette ressource dans une région où les perspectives économiques sont limitées. Il y a donc la question de l'évaluation des risques et ensuite celle des jugements qui s'appuient sur cette évaluation.

À mon avis, l'évaluation des risques devrait être laissée aux scientifiques, être aussi exacte que possible et être soumise au processus d'évaluation par les pairs. Les jugements relatifs à ces risques doivent être portés par les représentants élus des Canadiens qui disposent de tous les renseignements voulus et dont le rôle est justement d'établir les priorités de la société. Je ne pense pas que l'ombudsman puisse jouer un tel rôle.

M. David Chatters: On ne peut pas dire que les dirigeants politiques soient très enclins à prendre des décisions éclairées se fondant sur des preuves scientifiques. On pourrait souhaiter que ce soit le cas, mais j'ai l'impression qu'à chaque fois qu'il y a conflit entre les considérations politiques et les considérations scientifiques, ce sont les premières qui priment. Dans le cas des pêches dans la région de l'Atlantique, on s'est bien sûr préoccupé du bien-être des collectivités visées, mais à long terme, celles-ci ont été privées de leurs ressources de toute façon parce que les dirigeants politiques n'ont pas tenu compte de l'avis des scientifiques.

M. Brian Emmett: D'accord. Je crois cependant, monsieur le président, que l'inverse vaut peut-être aussi. Si une décision avait été prise en se fondant uniquement sur des données scientifiques et qu'elle n'ait pas été acceptée par les collectivités qui dépendent de cette ressource, on se serait peut-être aussi retrouvés avec un fiasco. Il faut viser un juste équilibre.

Je conviens cependant avec vous que les dirigeants politiques n'ont pas toujours tenu compte comme ils l'auraient dû des considérations scientifiques. La situation doit s'améliorer. Par ailleurs, je n'aimerais pas beaucoup qu'on confie les grandes décisions touchant la vie et l'avenir des Canadiens à des fonctionnaires plutôt qu'à des élus.

M. David Chatters: Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie, monsieur Chatters.

[Français]

Madame Girard-Bujold, s'il vous plaît.

Mme Jocelyne Girard-Bujold (Jonquière, BQ): Monsieur le président, c'est avec un immense d'intérêt que j'ai lu les commentaires que le commissaire à l'environnement est venu livrer cet après-midi au comité. Je constate que tous les commentaires qu'a faits le commissaire à l'environnement rejoignent les préoccupations de tous les intervenants qui ont comparu devant le Comité de l'environnement depuis quelques semaines.

Monsieur le président, je trouve déplorable que nous ayons présentement au Canada un organisme qui est censé gérer tout ce qui touche les pesticides, mais qui, comme tout le monde l'a constaté, n'a pas rempli ses engagements et ne joue pas le rôle qu'il devrait jouer. Monsieur le président, le gouvernement a créé cette agence et a donné à six ministères des responsabilités liées aux pesticides, et c'est avec beaucoup de regret que je constate l'échec actuel.

Je voudrais poser une question au commissaire à l'environnement. Lors de notre dernière journée d'audiences, quelqu'un nous a fait une suggestion que je n'ai pas trouvée bête. Il a demandé une commission d'enquête sur tout ce qui touche la gestion de l'ARLA. J'aimerais avoir l'avis du commissaire à ce sujet et je lui poserai d'autres questions par la suite. Merci, monsieur le président.

• 1535

M. Brian Emmett: Merci, madame.

Monsieur le président, les députés me posent des questions difficiles aujourd'hui. Je constate que les commentaires que je fais au sujet de l'agence sont similaires à ceux que j'ai faits au sujet des ministères et des autres agences. L'agence partage un problème avec beaucoup d'autres agences et institutions fédérales, à savoir un manque d'attention aux détails de gestion.

Dans le cas de l'agence, nous n'avons pas examiné en détail sa structure et son rendement. Nous avons fait enquête sur le régime des pesticides, et cet examen était limité.

Je ne pense pas que nous ayons trouvé quelque chose de spécial dans le cas de l'agence. Nous n'y avons pas décelé de problèmes très différents de ceux des autres institutions. C'est un processus qui vise à identifier les problèmes et à les corriger, et à adopter des améliorations dans le processus de gestion. Je ne suis pas certain qu'une commission d'enquête faisant un examen plus détaillé obtiendrait les réponses uniques et non ambiguës qu'on cherche.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Monsieur le président, au point 13 de son exposé, le commissaire conclut en disant:

    ...il y a toujours un écart important entre le geste et la parole [...]. Et nous en payons le prix sur les plans de la santé, de l'environnement, du niveau de vie et de l'héritage que nous léguons à nos enfants et à nos petits-enfants.

Vous dites aussi dans votre exposé, monsieur le commissaire, que vous avez lu avec attention les exposés que les gens sont venus faire au Comité de l'environnement. J'en ai peut-être manqué un ou deux, mais je les ai tous lus. J'ai constaté, monsieur le commissaire, que tous les gens étaient venus nous dire qu'il n'y avait pas de plan de gestion, qu'il n'y avait pas de banque de données, que certains pesticides avaient été homologués il y a plus de 40 ans et qu'il n'y avait pas eu de révision des nouveaux pesticides qui devaient être homologués. Il n'y a absolument rien qui bouge et chacun renvoie à d'autres les responsabilités qu'il devrait assumer lui-même.

Monsieur le commissaire, je lis très bien. J'ai lu les constats que vous faites dans votre rapport. J'ai lu les chapitres 3 et 4. Vous avez soulevé des points, tout comme les gens qui ont comparu devant nous, mais nous allons devoir aller plus loin dans notre démarche.

J'aimerais savoir si, en tant que commissaire à l'environnement, vous avez identifié des pistes qu'on devrait suivre. Êtes-vous d'avis qu'on devrait faire un virage très important au Canada pour tout ce qui touche les pesticides? Le comité va devoir déposer un rapport, et je pense que nous sommes en droit de vous demander un éclairage, monsieur le commissaire. Merci.

Le président: Monsieur Emmett, une brève réponse, s'il vous plaît.

M. Brian Emmett: Oui, monsieur le président.

Madame, nous avions noté qu'il y avait un écart entre la théorie et la mise en oeuvre dans mon premier rapport, en 1997. C'est un écart qui existe dans tous les domaines que nous avons examinés: dans les domaines du changement global, du mouvement transfrontalier des déchets dangereux, des pesticides, des produits chimiques. Cet écart existe non seulement à l'ARLA, mais partout au gouvernement. Je pense qu'on cherche des solutions à un problème commun à tous les organismes du gouvernement fédéral en matière d'environnement et de développement durable.

• 1540

Le président: Merci, madame Girard-Bujold.

[Traduction]

Monsieur Reed, vous avez cinq minutes.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

Monsieur Emmett, je me demande si vous pouviez expliquer en quelques mots à un profane comme moi quel est le mandat du Commissaire à l'environnement et au développement durable.

M. Brian Emmett: Mon mandat découle de modifications apportées à la Loi sur le vérificateur général, adoptées par le Parlement en 1995.

Le président: Le comité les a examinées.

M. Brian Emmett: Oui. Le comité a joué un rôle de premier plan dans l'adoption de ces modifications et je considère le comité comme un auditoire très important.

Les modifications apportées à la loi ont eu pour conséquence d'obliger les ministères à présenter au président de la Chambre des plans de développement durable. Tous les ministères gouvernementaux doivent énoncer clairement leurs responsabilités en matière de protection de l'environnement et de développement durable et se donner des objectifs clairs à cet égard. L'une de mes responsabilités consiste à examiner ces stratégies et à faire rapport chaque année sur les progrès réalisés par les ministères dans l'atteinte de leurs objectifs. J'ai aussi comme responsabilité de faire rapport au Parlement sur tout sujet en rapport avec l'environnement et le développement durable sur lequel il m'apparaît bon d'attirer l'attention des parlementaires.

M. Julian Reed: Vous connaissez le processus d'homologation qui existait avant la création de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire. Peut-on s'attendre à ce que l'agence s'acquitte mieux de ses responsabilités au sujet de l'homologation des pesticides que ses prédécesseurs? Autrement dit, pensez-vous que le nouveau processus d'homologation en place est prometteur? Peut-il être amélioré pour permettre à l'agence de s'acquitter plus efficacement de ses responsabilités que ses prédécesseurs?

M. Brian Emmett: M. Reed soulève une question intéressante. Il est un peu paradoxal que nous disions maintenant qu'il convient d'examiner à fond le rôle de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire qui a été mise sur pied pour corriger les carences du régime précédent.

L'agence est susceptible de faire du bon travail et je crois qu'il faut simplement lui laisser le temps de faire ses preuves. Comme tous les organismes gouvernementaux, l'agence doit se montrer à la hauteur des espoirs qu'elle suscite. J'aimerais beaucoup qu'elle adopte un modèle de gestion fondée sur le bon sens et l'amélioration constante. Comme pour bon nombre d'institutions et d'organismes gouvernementaux, ce sont sur les questions de détail qu'on peut faire des reproches à l'agence, mais non pas sur son mandat général. Il n'y a pas de raison pour qu'elle ne puisse pas remplir son mandat. Lorsque les choses vont mal, c'est parce que les gens oublient certains détails.

M. Julian Reed: Les observations que vous faites sont très profondes, mais j'ai l'impression que vous déplorez surtout une faiblesse bureaucratique systémique. Vous avez parlé de la compartimentalisation et des querelles de compétence qui existent au sein de l'administration. L'objectif de tous les organismes gouvernementaux devrait cependant être de collaborer entre eux et d'intégrer leurs actions, n'est-ce pas?

M. Brian Emmett: Chaque fois que nous rédigeons un chapitre—et nous travaillons actuellement sur un chapitre sur le smog qui sera rendu public en mai—, nous constatons souvent les mêmes problèmes. Nous vivons dans un monde où les gouvernements et les industries fonctionnent en vase clos. Or, cette organisation de la société nuit au règlement de bon nombre des problèmes auxquels nous sommes confrontés.

• 1545

La situation est donc très difficile. Ayant moi-même déjà appartenu à la fonction publique, je sais que la collaboration entre les ministères n'est pas vraiment récompensée. En outre, je travaillais dans un milieu où, à mon avis, on mettait surtout l'accent sur la vision plutôt que sur la gestion. J'étais fier du travail que j'accomplissais. Nous avons besoin de gens qui ont une vision d'un monde meilleur. Nous avons aussi besoin de gens qui maîtrisent l'art de la gestion et qui savent notamment comment planifier, réaliser des projets, évaluer les résultats obtenus et améliorer le processus de façon continue.

On dit que ce ne sont pas les idées qui font bouger les montagnes, mais les bulldozers. On pourrait dire que les idées ne manquent pas contrairement aux bulldozers. À mon avis, il nous faut corriger le déséquilibre qui existe actuellement.

Le président: Je vous remercie, monsieur Reed.

Madame Kraft Sloan, s'il vous plaît.

Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Je vous remercie.

Je vous souhaite la bienvenue devant le comité, monsieur Emmett.

J'aimerais vous poser une question au sujet du principe de précaution. Comme vous le savez, il est question de remplacer ou de modifier l'actuelle Loi sur les produits antiparasitaires. Si l'on doit se fier aux nombreux témoins que nous avons entendus, il importe de tenir compte du principe de précaution dans le domaine des pesticides qui sont susceptibles d'endommager considérablement l'environnement.

À votre avis, comment devrions-nous définir le principe de précaution dans toute nouvelle loi régissant les produits antiparasitaires?

M. Brian Emmett: Il s'agit d'une question extrêmement difficile à laquelle j'ai beaucoup réfléchi, madame Kraft Sloan.

Je me souviens, à l'époque où l'on a commencé à parler du principe de précaution. Jusque-là, on croyait qu'on ne pouvait interdire un produit que lorsqu'on était scientifiquement sûr de ses effets nuisibles. Comme cette théorie nous amenait souvent à intervenir trop tard, nous nous sommes dit qu'il fallait pouvoir intervenir plus tôt de façon prudente selon la prépondérance de la preuve.

J'ai des réserves au sujet du principe de précaution. J'espère qu'on ne l'invoquera jamais pour s'opposer à des travaux scientifiques solides. À mon avis, une réglementation environnementale efficace devra reposer sur des données scientifiques solides portant sur les risques environnementaux.

Une métaphore m'est récemment venue à l'esprit lorsque je réfléchissais, à titre de simple citoyen, à la façon dont il y a deux types de preuve dans le domaine juridique. Dans les affaires criminelles, il faut prouver la culpabilité de l'inculpé au-delà de tout doute, ce qui laisse entendre qu'il faut être convaincu de sa culpabilité. Dans les affaires civiles, la culpabilité repose sur la prépondérance de la preuve. Ce ne sont pas des notions identiques. Les mêmes faits ne donneraient pas lieu aux mêmes verdicts si l'on appliquait une notion plutôt que l'autre.

Le principe de précaution repose en quelque sorte sur une définition civile plutôt que criminelle du fardeau de la preuve. Nous devons intervenir si la prépondérance de la preuve indique que nous devrions le faire.

Je regrette de ne pas pouvoir être plus précis.

Mme Karen Kraft Sloan: Peut-être que l'un de vos collaborateurs peut répondre à cette question, mais au chapitre 3 de votre rapport, à la page 3-12, il est question du principe de précaution, c'est-à-dire du principe accepté à Rio en 1992 et dont la définition comporte les mots «mesures effectives». Comme la plupart des membres du comité le savent, nous avons longuement discuté de l'interprétation du principe de précaution et du sens à donner au terme «mesures effectives» lorsque nous avons examiné l'an dernier la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.

Le président: Cette année.

Mme Karen Kraft Sloan: Peu importe, monsieur le président, notre étude a débuté en 1994.

Ce qu'il importe de savoir, c'est que la définition de ce terme suscite une controverse. Tant au Canada qu'à l'échelle internationale, il existe des domaines où la définition du principe de précaution ne renvoie pas aux critères des mesures effectives.

• 1550

Lors de nos discussions avec les représentants du Conseil du Trésor, nous avons aussi appris qu'aucun règlement n'est pris avant que l'on procède à une analyse avantages-coûts et à une évaluation des conséquences pour les entreprises. On voit donc que des précautions sont déjà prises pour éviter une réglementation futile.

Je me demande s'il est nécessaire d'inclure le concept de mesures effectives dans la définition du principe de précaution si nous devions recommander que ce principe figure dans une loi régissant les pesticides. Vous ou l'un de vos collaborateurs pouvez répondre à cette question.

M. Brian Emmett: Je demanderai peut-être à John de faire une observation, mais je peux vous dire quelques mots au sujet du principe ALARA que je connais dans le domaine nucléaire, c'est-à-dire le «niveau de risque le plus bas que l'on peut raisonnablement atteindre». Différentes définitions tiennent donc compte de considérations économiques.

Je crois que tout est fonction des priorités qu'ont choisies les député, les parlementaires et les ministres et de la façon dont ils veulent atteindre un équilibre entre la protection de l'environnement et le développement économique.

John veut peut-être ajouter quelque chose.

M. John Reed (directeur, Opérations de vérification, Bureau du vérificateur général): Je vous remercie, monsieur le commissaire.

Je crois qu'il est certainement possible de définir ce principe sans mentionner les mesures effectives. Au moins un pays, la Suède, a adopté une définition où il n'est pas question de mesures effectives.

Au sujet du principe de précaution, je crois que nous avons fait observer—à l'article 3.127 du chapitre 3—que les ministères ne s'entendent déjà pas sur certains termes qui font l'objet d'interprétations distinctes. Plus les mots utilisés dans une loi peuvent donner lieu à des interprétations distinctes, plus on aura du mal à s'entendre sur l'application de celle-ci.

Je faisais simplement une observation d'ordre linguistique.

Mme Karen Kraft Sloan: Je crains simplement que cette question ne vienne aggraver les problèmes que vous avez cernés et qui sont le manque de coordination et le chevauchement des mandats.

M. John Reed: C'est fort possible. Quelqu'un a demandé plus tôt si la création d'un poste d'ombudsman scientifique en chef serait utile. Nous reconnaissons que les ministères ont chacun leurs propres mandats et domaines de compétence, mais ils pourraient à tout le moins collaborer pour cerner les problèmes qui continuent de susciter de l'incertitude et pour mener des recherches en vue de dissiper cette incertitude.

Voilà pourquoi il importe vraiment d'obtenir qu'ils collaborent entre eux. Il s'agit de délimiter les décisions à prendre et de s'entendre sur la façon de parvenir à ces décisions.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Lincoln, je vous prie.

M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.): Monsieur Emmett, dans votre rapport vous faites état du fait de l'absence d'une définition... [Note de la rédaction: Difficultés techniques]... divers témoins ont dit qu'il fallait absolument s'entendre sur une définition. De nombreuses définitions sont possibles.

Divers témoins ont fait valoir qu'on tient actuellement compte des risques que posent différents produits pour les adultes et non pas pour les membres les plus vulnérables de la société.

Pensez-vous qu'on devrait tenir compte des risques que posent certains produits pour ces personnes dans la loi qui sera adoptée?

M. Brian Emmett: Suis-je en faveur de cela? Oui. Je crois que lorsqu'il s'agit de fixer des limites et d'évaluer les risques, on doit tenir compte des besoins de tous les membres de la société. Nous devons naturellement tenir compte des besoins des membres les plus vulnérables de notre société.

• 1555

Nous travaillons actuellement sur la question du smog. Le smog nuit plus particulièrement aux personnes âgées et aux personnes qui souffrent d'asthme. Certaines personnes sont plus vulnérables aux effets du smog et c'est dans leur intérêt qu'il faut adopter une réglementation. Je suis d'accord avec vous que nous devons songer aux besoins des membres les plus vulnérables de la population lorsqu'on fixe des limites.

Pour ce qui est du niveau acceptable de risque, je crois que c'est au Parlement de le fixer plutôt qu'aux fonctionnaires puisque les parlementaires reflètent les valeurs de la société.

M. Clifford Lincoln: Vous avez parlé des protocoles d'entente et notamment du protocole qu'ont signé Environnement Canada et l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire ainsi que celui qui a été conclu entre le ministère des Pêches et des Océans et la même agence. Pourriez-vous me dire si votre bureau effectue un suivi dans le cas de ces protocoles? Un haut fonctionnaire du ministère de l'Environnement nous a dit l'autre jour que ces protocoles étaient toujours théoriques. En fait, vous faites vous-même remarquer dans votre rapport que le moment est venu de les mettre en oeuvre. Nous avons l'impression qu'aucun progrès n'a été réalisé dans leur mise en oeuvre. Pourriez-vous me dire si votre bureau assure un suivi?

Deuxièmement, je crois comprendre que le ministère des Pêches et des Océans et l'ARLA n'ont toujours pas signé de protocole. Une fois que votre rapport est publié, continuez-vous à suivre ces dossiers?

M. Brian Emmett: Je vous remercie, monsieur Lincoln. Nous n'avons pas assuré de suivi. Nous le faisons tous les deux ou trois ans.

Permettez-moi de faire une observation qui n'est pas de caractère scientifique et que je ne devrais sans doute pas faire parce que j'appartiens au Bureau du vérificateur général. À la lecture des délibérations du comité, on a l'impression qu'il n'y a aucune coordination. Tous ceux qui témoignent devant le comité donnent l'impression de ne pas se parler entre eux. Tant au cours de nos travaux qu'au cours de vos délibérations, je n'ai pas eu l'impression que les choses aient beaucoup changé à cet égard. Il y a compartimentalisation dans un domaine où tous les ministères devraient concerter leurs efforts.

Comme je l'ai dit au président au début de la réunion, nous allons assurer un suivi probablement en l'an 2002.

Le président: Je vous remercie, monsieur Lincoln.

Il reste suffisamment de temps pour que nous ayons un deuxième tour. Permettez-moi de terminer ce tour en posant deux ou trois questions, monsieur Emmett, sur des sujets qui préoccupent bon nombre d'entre nous.

La première question a trait aux conflits qui existent dans les mandats confiés à différents organismes. Vous avez brièvement fait allusion à ce problème plus tôt. Est-il possible que des organismes aient des mandats diamétralement opposés? Vous avez fait remarquer à plusieurs reprises qu'il y avait compartimentalisation, ce qui montre bien quel genre de problème peut se poser lorsque des organismes ont des mandats contradictoires. À mon avis, cette compartimentalisation découle du fait qu'on confie à des organismes des mandats qu'il leur est presque impossible de réaliser.

À titre d'exemple, le mandat de l'ARLA est double: réglementer les pesticides de façon à ce que l'industrie puisse les fabriquer et les commercialiser, et protéger la santé des Canadiens. Est-ce possible? N'est-ce pas en raison de mandats doubles comme celui-ci qu'on a l'impression à la lecture des délibérations du comité qu'il y a compartimentalisation?

• 1600

M. Brian Emmett: Merci de votre question, monsieur le président.

Selon moi, l'ARLA devrait être chargée de réglementer dans l'intérêt du public. Je m'inquiète un peu que ce soient des bureaucrates plutôt que des gens qui représentent les intérêts de tous les Canadiens, au Cabinet, par exemple, lorsqu'il s'agit de peser des questions de santé et des questions d'intérêt économique.

Cela m'inquiète un peu qu'on prenne des décisions importantes en opposant des considérations de santé à d'autres facteurs, qui sont déguisés de façon non intentionnelle parce que je ne pense pas que les gens soient malhonnêtes à ce sujet, et que l'on prenne des décisions de nature technique plutôt que des décisions axées sur la société. Je préférerais de beaucoup que les décisions soient confiées à des groupes ayant des intérêts beaucoup plus clairement définis, qui pourraient discuter de façon ouverte et transparente de l'équilibre qu'il faut viser dans ces décisions et qui fonctionneraient de façon ouverte et démocratique.

Je suis bien d'accord qu'un organisme peut fonctionner plus facilement si son mandat n'est pas ambigu. Je ne crois pas que ce soit la principale cause de la fragmentation au gouvernement fédéral. À mon avis, bon nombre de ministères dont les mandats sont relativement clairs ne collaborent pas tellement bien avec des ministères qui ont des fonctions connexes.

Je pense qu'il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles les ministères ont du mal à collaborer. À mon avis, la principale raison n'est pas une confusion au sujet des mandats.

Le président: Je voudrais qu'on termine cette analyse. À votre avis, l'ARLA a-t-elle un mandat qui ne pose pas de conflit?

M. Brian Emmett: Le mandat de l'ARLA l'incite à prendre des décisions qui font le contrepoids entre deux groupes d'intérêts. Selon moi, cela représente probablement un conflit. Je préférerais de beaucoup que ces décisions soient prises par des élus plutôt que par des bureaucrates comme moi-même.

Le président: Cependant, vu que le fait de créer l'agence ait eu comme résultat que les bureaucrates aient reçu ce mandat, l'agence doit composer avec son double mandat.

M. Brian Emmett: Oui.

Le président: Comment résoudre le problème? Il ne semble pas y avoir de moyen de s'en sortir.

M. Brian Emmett: En effet. Si nous partons du principe que l'agence a un mandat qui l'empêche de bien fonctionner, cela veut dire qu'elle est bien mal en point dès le départ. Je pense que Mark Twain avait dit que la première chose qu'une personne doit faire si elle se trouve dans un trou, c'est d'arrêter de creuser. Selon moi, dans le cas de l'ARLA, le moyen de cesser de creuser serait d'obtenir de meilleurs renseignements sur les conséquences pour la santé et les conséquences économiques. Je pense que c'est la deuxième partie du mandat de l'agence.

Ce qui me préoccupe peut-être un peu plus au sujet de l'ARLA que son double mandat, c'est la question de transparence. Comment les décisions sont-elles prises? Sur quels renseignements se fonde-t-on pour les prendre? Je pense que ce serait utile qu'on fasse un peu de lumière sur ces décisions de compromis.

Je note que vous avez parlé à M. Van Loon du Conseil consultatif sur la lutte antiparasitaire. D'autres comités ont été créés pour aider l'ARLA à faire son travail. Ils seront peut-être utiles, mais on aura des problèmes au départ si leur mandat est contradictoire.

Le président: Merci. Nous allons maintenant commencer la deuxième série de questions. Ce sera d'abord M. Jaffer.

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Je voudrais parler un peu plus de l'échange des renseignements. Je sais qu'il en a déjà été question au comité et vous en parlez vous-même dans votre rapport relativement aux divers ministères gouvernementaux qui devraient s'échanger des données, surtout dans le cas de l'ARLA et des travaux de recherche.

Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Si cela ne se fait pas déjà, devrait-on inciter activement l'industrie à faire quelque chose pour l'échange de renseignements et des résultats de la recherche? Si l'on avait à tout le moins une politique quelconque pour réduire les risques présentés par les pesticides et les effets des pesticides, ce serait aussi à l'avantage des fabricants de ces produits que les effets nocifs soient réduits au minimum. On effectue beaucoup de recherche et d'investissement pour s'assurer que l'on atteint cet objectif et que l'on respecte les règlements.

• 1605

Pourtant, quand nous avons des échanges de vues avec les témoins et quand je vois comment fonctionne l'ARLA, il me semble qu'on ne s'efforce pas assez de collaborer avec l'industrie pour partager les résultats des recherches.

Je voudrais savoir si, selon vous, il devrait y avoir davantage de collaboration dans ce domaine.

M. Brian Emmett: À mon avis, le Canada est un petit pays dans une grande économie mondiale et il y a toutes sortes de sources de renseignements dont nous devrions profiter. Il y a d'autres gouvernements qui effectuent des recherches.

Dans le cadre de mon travail, nous pensons constamment à l'information et à la qualité des renseignements. Tout revient à cela; il est essentiel que ceux qui prennent leurs décisions puissent avoir de bons renseignements fiables. S'il y a de l'information examinée et vérifiée par d'autres scientifiques qui vient d'une entreprise privée, je pense que l'ARLA devrait s'en servir au lieu de réinventer la roue.

L'un des problèmes, cependant, c'est que, dans le cas de l'information financière, nous avons d'excellents outils pour déterminer si les comptes d'une entreprise représentent bien sa santé financière, mais il n'existe pas un système semblable pour l'environnement et la santé. Selon moi, l'un des objectifs à long terme du travail que je fais maintenant consiste à nous assurer que nous pouvons faire ces vérifications. Il y a maintenant l'examen par les pairs et d'autres techniques de cette nature. Cela peut aider ceux qui prennent les décisions à faire davantage confiance aux renseignements qu'ils reçoivent, mais j'ai l'impression qu'on a parfois tendance à croire que les renseignements qu'on obtient du secteur privé sont suspects.

Selon moi, tant qu'on peut garantir la qualité de l'information d'une façon ou d'une autre, il serait tout à fait rentable et prudent de s'en servir.

M. Rahim Jaffer: D'après vous, est-ce que ce serait... Mes connaissances dans ce domaine sont quelque peu restreintes vu que cela ne fait pas très longtemps que je fais partie du comité. Dans le cas de sous-comités ou groupes quelconques présidés par des membres de l'industrie à l'ARLA et d'autres mesures de collaboration, que pensez-vous qu'on devrait faire pour faciliter l'échange d'information? Y avez-vous réfléchi?

M. Brian Emmett: À mon avis, les présidents des comités consultatifs de l'ARLA devraient simplement être les personnes les plus compétentes pour faire le travail. Leurs antécédents ne devraient pas entrer en ligne de compte, sauf dans la mesure où ils montrent qu'ils sont capables de faire un travail tout à fait essentiel pour nous. Il y a des gens compétents dans l'industrie, les universités et au gouvernement. On devrait évaluer chaque cas individuellement.

Le président: Merci.

[Français]

Madame Girard-Bujold, s'il vous plaît.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Je voudrais renchérir sur une remarque que monsieur a faite tout à l'heure. Il a dit que l'ARLA avait un double mandat. Ne pensez-vous pas que le premier grand mandat l'ARLA devrait être la protection de la santé? Même si elle a un double mandat, je crois que son rôle premier devrait être la protection de la santé.

Vous dites dans votre exposé, au numéro 8:

    ...la faible performance du gouvernement en ce qui a trait aux réévaluations des pesticides, tant si on considère les engagements nationaux pris il y a longtemps que le fait que d'autres pays semblent avoir pris la réévaluation beaucoup plus au sérieux qu'au Canada.

Monsieur le commissaire, des études ont déjà été faites dans tous les autres pays. Elles seraient facilement accessibles aux gens de l'ARLA et pourraient leur permettre d'avancer dans leur évaluation des pesticides. Ne trouvez-vous pas qu'il devrait y avoir un mécanisme normal de consultation des études, afin qu'on ne soit pas obligé de refaire les études qui ont été faites ailleurs sur une base scientifique, en vertu de mandats bien précis donnés par les gouvernements d'autres pays? Ne pensez-vous pas que l'ARLA devrait se servir de ces études pour faire avancer ses propres études sur les anciens pesticides et promouvoir d'autres pesticides moins dommageables pour l'environnement, dans le respect du principe de... [Note de la rédaction: Mot inaudible], comme Mme Kraft Sloan l'a dit tout à l'heure?

• 1610

M. Brian Emmett: Merci.

Monsieur le président, j'ai entendu dire que Mme Franklin avait dit que l'agence coopérait avec l'Environmental Protection Agency des États-Unis en ce moment. Je pense qu'un scientifique lit les journaux et toutes ces choses. Il est au courant de l'information qui existe.

Pour moi, le mandat de l'agence est simplement une réalité. Nous avons besoin, d'un côté, de protéger la santé des Canadiens, particulièrement celle des individus les plus vulnérables. Nous avons aussi besoin d'un approvisionnement en nourriture à bon prix. C'est un problème de développement durable. Nous voulons les deux: la protection de la santé et l'approvisionnement en nourriture. Il est important que nous ayons les deux.

Pour moi, la source d'information est moins importante que la qualité de l'information. Comme vous l'avez dit, l'information est disponible dans d'autres pays et d'autres sources.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Les gens d'Environnement Canada sont venus nous dire qu'ils avaient demandé à l'ARLA des renseignements au sujet des pesticides. Ils ont dû attendre des semaines avant d'avoir cette information et ils ne savaient pas à qui s'adresser pour obtenir cette information. Ne trouvez-vous pas que ce qui s'est passé, et ce qui se passe encore aujourd'hui, est vraiment aberrant? Cette façon de faire existe encore aujourd'hui. Ne trouvez-vous pas qu'il devrait y avoir tout de suite un changement au sein de l'ARLA? Ne trouvez-vous pas que l'agence devrait davantage collaborer avec les autres ministères, qui ont un rôle à jouer sur le terrain? L'environnement est la responsabilité du ministère de l'Environnement.

M. Brian Emmett: Je suis d'accord, monsieur le président.

Le président: Merci, madame Girard-Bujold.

[Traduction]

Monsieur Reed.

M. Julian Reed: Merci, monsieur le président.

Lorsque vous avez parlé de votre troisième préoccupation importante, monsieur Emmett, vous avez mentionné l'adoption de solutions de rechange. C'est tout ce que vous dites là-dessus. N'y a-t-il pas un groupe qui examine les solutions de rechange à l'ARLA? Avez-vous examiné le travail de ce groupe et pouvez-vous commenter son travail?

M. John Reed: Non, nous n'avons pas examiné une fonction ou un groupe particulier à l'ARLA. Nous nous sommes penchés sur les questions mentionnées dans le rapport, soit la stratégie de réduction des risques et le cadre d'action nécessaire, l'utilisation de la gestion intégrée des parasites, et ainsi de suite. Nous avons examiné les activités et non pas les fonctions ou l'organisation.

M. Julian Reed: Très bien.

Merci, monsieur le président. C'était ma seule question.

Le président: Merci, monsieur Reed.

Madame Kraft Sloan, s'il vous plaît.

Mme Karen Kraft Sloan: Merci beaucoup, monsieur le président.

Nous avons entendu des représentants du gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard et ils nous ont dit que, lorsqu'ils faisaient enquête sur l'empoisonnement mortel du poisson dans l'île, ils ont eu du mal à obtenir l'information voulue de l'ARLA. Dans votre rapport, au chapitre 3, page 31, vous dites ceci:

    Aux États-Unis, la loi exige que les fabricants fassent rapport au gouvernement de toute conséquence nocive inattendue, mais la Loi sur les produits antiparasitaires n'exige rien de tel au Canada.

• 1615

J'ignore si vous connaissez bien la loi américaine et la situation à l'Île-du-Prince-Édouard, mais je me demande bien si la province aurait eu accès aux renseignements dont elle avait tellement besoin au sujet des conséquences dangereuses de certains produits chimiques si elle avait fait partie des États-Unis ou si nous avions une loi semblable au Canada.

M. John Reed: Je ne connais pas vraiment la réponse à cette question. C'est à cause du texte de la loi elle-même. La Loi sur les produits antiparasitaires ne dit rien au sujet du partage d'information. C'est le principal obstacle.

Je ne connais pas suffisamment bien la loi américaine pour dire ce qui serait arrivé, mais je pense que le problème pour l'Île-du-Prince-Édouard ne portait pas uniquement sur la possibilité d'obtenir des renseignements sur les conséquences nocives. Les autorités provinciales voulaient aussi comprendre l'effet des substances toxiques contenues dans les produits antiparasitaires en question.

Mme Karen Kraft Sloan: L'autre chose que je voulais vous signaler c'est que, selon le Worldwatch Institute, le taux d'utilisation des pesticides, par exemple aux États-Unis—et la situation au Canada reflète les chiffres américains—, a décuplé entre les années 40 et les années 90, mais le pourcentage des récoltes détruites par les parasites a augmenté de 30 à 37 p. 100. Même si l'on utilise 10 fois plus de pesticides qu'auparavant, le pourcentage de récoltes perdues a augmenté de 7 p. 100. Il semblerait que les parasites eux-mêmes commencent à résister aux pesticides.

Je note à la page 4-27 de votre rapport que vous parlez de l'importance d'établir une politique de réduction des risques pour la gestion des pesticides et de garantir que ces engagements reflètent ceux que le gouvernement fédéral a pris relativement à une stratégie de prévention de la pollution et de gestion des substances toxiques.

Si l'on songe à l'augmentation incroyable du nombre de parasites qui résistent aux pesticides, qu'il s'agisse de plantes, de mauvaises herbes ou d'insectes, je me demande s'il s'agit uniquement de prévenir la pollution ou les effets sur la biodiversité et comment l'utilisation de ces pesticides change notre écosystème. Je me demande si le travail de l'ARLA et si l'application de la Loi sur les produits antiparasitaires aident vraiment à prévenir la pollution.

M. Brian Emmett: Je demanderai peut-être à John de répondre à la deuxième partie de votre question.

Pour ce qui est de la première partie, c'est une chose qui m'étonne beaucoup. Quand je songe à l'information, je songe généralement à des choses qui intéressent les simples profanes comme moi-même. J'aurais tendance à poser les questions suivantes: «La situation s'aggrave-t-elle? S'améliore-t-elle? Utilisons-nous plus de pesticides? En utilisons-nous moins?»

D'après notre propre travail et d'après les témoignages que j'ai lus, la réponse, c'est que nous n'en savons rien. Nous n'en avons pas la moindre idée parce que nous ne rassemblons pas de données là-dessus. Nous n'avons pas une base de données qui puisse nous dire ce qui se passe sur de longues périodes. Nous ne surveillons pas les conséquences de ce que nous faisons pour l'environnement. Je dois dire que je trouve cela tout à fait étonnant.

L'un des aspects les plus étonnants des témoignages à mon avis, c'est qu'on pouvait vous dire quels étaient les effets des produits antiparasitaires forestiers sur l'eau de ruissellement, mais que personne ne pouvait vous dire quels étaient les effets de tous les pesticides sur les eaux de ruissellement parce que ce n'était pas leur travail. Je trouve tout à fait curieux qu'on puisse obtenir des chiffres d'autres pays, mais qu'on ne puisse pas obtenir de chiffres dans notre propre pays pour répondre aux genres de questions que me pose ma mère à propos de mon poste de commissaire. Elle me demandera: «Avec ton beau poste à Ottawa, peux-tu nous dire si la situation s'aggrave ou s'améliore?» Je dois lui répondre: «Je dois admettre que je n'en sais rien parce qu'on n'a pas de chiffres là-dessus.» Je trouve cela plutôt embarrassant.

John, vouliez-vous répondre?

M. John Reed: Vous avez posé des questions précises au sujet de la prévention de la pollution et de la politique de gestion des substances toxiques et la loi. Nous n'avons pas vu les modifications qu'on propose d'apporter à la loi et je ne peux donc pas les commenter. Selon nous, la loi actuelle ne permet pas pour l'instant de favoriser la prévention de la pollution.

• 1620

La façon dont l'ARLA interprétait ses responsabilités relativement à la politique de gestion des substances toxiques nous a amenés à conclure qu'il y avait de graves lacunes à ce sujet. Les questions que vous avez posées à propos de la résistance aux pesticides et de la nécessité d'avoir une idée plus globale de la situation expliquent justement pourquoi certains autres pays ont pris des mesures en ce sens. Ils reconnaissent qu'on ne peut pas s'occuper d'un pesticide à la fois si nous voulons nous attaquer au problème plus vaste que représentent l'utilisation des pesticides, l'agriculture durable, les effets sur l'environnement, et ainsi de suite.

Je pense que, pour toutes ces excellentes raisons, nous devrions faire exactement ce que vous laissez entendre dans votre question et nous concentrer sur la réduction des risques en utilisant certains des outils à notre disposition.

Mme Karen Kraft Sloan: Pour revenir à une chose que M. Lincoln a mentionnée dans ses premières questions, le gouvernement a-t-il donné suite à certaines de vos recommandations? Je trouve quelque peu consternant de lire à la page 4-27 de votre rapport que l'ARLA devrait élaborer une politique de réduction des risques et que cette politique devrait correspondre à la stratégie de prévention de la pollution et la politique de gestion des substances toxiques.

Quand nous recevons de l'information de l'ARLA, toutes ces choses y sont mentionnées. L'agence dit faire tout cela. Si vous visitez son site Web, vous y trouverez une section pour les lignes directrices et les instructions relatives à l'application de la politique de gestion des substances toxiques, mais vous demandez de votre côté que l'ARLA commence à le faire. Je voudrais savoir quelle réponse vous avez reçue du gouvernement là-dessus.

M. Brian Emmett: Il y a une réponse à la page 4-32 de notre rapport. C'est la réponse dont j'ai parlé quand j'ai dit au début de mes observations que le gouvernement semblait accepter de façon générale nos recommandations, mais qu'il n'y avait pas eu de suivi aussi précis que celui que voudrait Mme Kraft Sloan, je pense.

Ce sont des questions très intéressantes et certains des autres témoignages ont soulevé des questions auxquelles je n'avais pas songé moi-même. D'abord, quand nous avons rédigé notre rapport, nous jugions presque évident qu'il fallait davantage de réévaluation. Certains des groupes qui ont témoigné devant votre comité ont dit que l'ARLA devrait faire moins de réévaluation parce qu'elle dispose de ressources limitées et qu'elle devrait passer son temps à homologuer de nouveaux pesticides qu'on utiliserait au taux de quelques grammes l'acre plutôt qu'à un taux de plusieurs kilogrammes l'acre.

Cela soulève une question très intéressante. Comment peut-on réduire au minimum les risques? Doit-on concentrer ses ressources financières sur la réévaluation au lieu d'examiner de nouveaux produits? Doit-on s'inquiéter surtout des produits chimiques approuvés il y a 40 ans quand nous ne savions pas grand-chose et laisser tomber l'évaluation des nouveaux produits? Ce serait très intéressant de voir une étude de cette question.

Quand je parlais d'une approche de réduction des risques, ce n'était pas simplement à propos de chaque pesticide, mais aussi au sujet de la façon dont l'agence dépense son budget et décide quelles catégories d'activités sont les plus importantes. Dans le cas des réévaluations des pesticides ou des premières évaluations, je n'ai rien vu qui montre que l'agence classe les produits selon certaines catégories en disant: nous soupçonnons ce produit d'être le pire, celui-ci d'être au deuxième rang, celui-ci au troisième rang, et nous allons donc examiner d'abord le premier produit, ensuite le deuxième, et ainsi de suite.

Il n'y a pas vraiment de plan stratégique global qui dise comment en avoir le plus possible pour son argent et qu'il serait peut-être bon de dire au commissaire que, vu les nouveaux pesticides sur le marché, ce serait préférable de ne pas dépenser autant pour la réévaluation vu que ce pourrait être un simple gaspillage d'argent.

Je ne saurais répondre à la question. Mais je pense simplement que c'est là le genre d'analyse qu'il faut faire pour déterminer si nous dépensons judicieusement l'argent des contribuables en protégeant aussi la santé des Canadiens.

Mme Karen Kraft Sloan: Merci.

Le président: Merci, madame Kraft Sloan.

La sonnerie et la lumière qui clignote nous indiquent que nous devrons aller voter d'ici 10 à 15 minutes. Nous nous excusons auprès des témoins, mais nous reprendrons immédiatement après le vote notre séance. J'espère que cela ne leur causera pas trop d'inconvénients.

• 1625

Monsieur Emmett, avant de vous remercier d'avoir comparu, j'aimerais vous poser une question qui rejoint celle de M. Reed. La gestion et la réduction du risque étaient-elles partie intégrante de la politique avant la création de l'agence de gestion du risque?

M. John Reed: Nous ne nous sommes pas penchés sur cela de façon spécifique, et je ne me rappelle pas avoir vu quelque référence à cela dans les documents émanant des divers ministères. Mais cela avait été mis en évidence dans l'étude qui a donné lieu à la recommandation de créer l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, recommandation qui a été subséquemment adoptée par le Parlement. Je ne sais trop si cet objectif existait précédemment.

Le président: Ne trouvez-vous pas curieux que l'on demande au ministère de la Santé de gérer le risque dans le cadre général de son mandat sur la santé?

M. Brian Emmett: Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question, monsieur le président.

Le président: L'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire a pour mandat de gérer le risque que représentent les parasites et de faire rapport au ministère de la Santé. Ne trouvez-vous pas curieux que le mandat donné au ministère de la Santé soit non pas de pleinement protéger la santé, mais plutôt de jongler entre, d'une part, la protection de la santé et, d'autre part, la gestion du risque?

M. Brian Emmett: Je n'y ai pas pensé. À première vue, je dirais qu'il ne faut pas s'étonner de ce que le mandat du ministère de la Santé soit de gérer les risques existants, étant donné la grande difficulté qu'il y a de faire disparaître complètement dans le monde actuel tous les risques.

Le ministère de la Santé prend des décisions quotidiennes sur la gestion du risque, chaque fois qu'il décide de consacrer de l'argent à la recherche plutôt qu'à lutter contre la maladie et chaque fois qu'il décide de consacrer une partie de son budget aux programmes de prévention du tabagisme et d'autres maladies. Le ministère de la Santé est sans doute l'un des ministères du gouvernement canadien les plus aptes à faire de la gestion du risque. Il est également approprié que Santé Canada s'intéresse à notre régime alimentaire, à l'approvisionnement alimentaire, à la qualité et au prix des aliments. J'imagine que ce sont toutes ces priorités avec lesquelles il faut jongler pour trouver un certain équilibre.

Le président: Je remercie sincèrement M. Emmett, au nom des membres du comité. Nous vous souhaitons un bon retour. Il est 16 h 30, et nous reprendrons immédiatement la séance après le vote, dans cette même salle.

M. Brian Emmett: Merci beaucoup, monsieur le président.

• 1628




• 1704

[Français]

Le président: Veuillez prendre place, mesdames et messieurs.

[Traduction]

Mesdames et messieurs du comité, pour faire suite à la visite du Commissaire à l'environnement et au Développement durable, nous accueillons maintenant trois citoyens préoccupés par cette question, soit Lori Stahlbrand, Wayne Roberts et Rod MacRae.

• 1705

Voici comment on les décrit dans le livre «Real Food For A Change»:

    Lori Stahlbrand est une ancienne animatrice de la radio de Radio-Canada qui a animé de grandes émissions de nouvelles et d'actualités d'un bout à l'autre du pays et qui a produit plusieurs documentaires sur l'environnement. Détentrice d'une maîtrise de la Faculté des études environnementales de l'université York, elle y enseigne à temps partiel des cours de deuxième cycle.

    Rod MacRae coordonne le Conseil de la politique alimentaire de Toronto et engage régulièrement des consultations avec des organismes voués à la défense de l'environnement, dont le Fonds mondial pour la nature et les Projets pour une agriculture écologique de l'université McGill. Détenteur d'un doctorat en politique de l'alimentation et de l'agriculture durable, il donne des conférences dans tout le pays sur la façon de rendre plus sûr notre système d'alimentation.

    Wayne Roberts préside la Coalition pour la relance de l'économie verte et enseigne l'entrepreneuriat écologique dans le cadre du programme de deuxième cycle de la Faculté des études environnementales de l'université York. Détenteur d'un doctorat en histoire sociale et économique du Canada et auteur de six livres [...]

Je ne vous en lirai pas les titres, car on pourrait m'accuser de faire de la promotion commerciale.

On se croirait à un rendez-vous des anciens de l'université York, étant donné que c'est là que Mme Kraft Sloan a étudié elle aussi.

Bienvenue à notre comité. Vous avez la parole, et c'est à vous de choisir qui plongera le premier.

M. Wayne Roberts (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur le président. Nous sommes heureux de pouvoir comparaître et de vous expliquer comment nous voyons l'industrie alimentaire de demain et ses bienfaits pour la santé de l'environnement, la santé de l'homme et la santé des collectivités, tout en étant indispensable à la santé de l'économie canadienne de demain et, particulièrement, à la survie de l'exploitation agricole familiale. Nous répondrons avec plaisir aux questions que vous pourrez avoir là-dessus.

Auparavant, Lori Stahlbrand, que vous a présentée M. Caccia, vous résumera notre mémoire.

Mme Lori Stahlbrand (témoignage à titre personnel): Les pesticides sont une menace pour la santé de bien des espèces, et menacent tout particulièrement l'exploitation agricole familiale. C'est le même système d'industrialisation et de production en vrac des denrées alimentaires qui a généralisé au départ l'utilisation des pesticides qui menace de faire disparaître aujourd'hui l'exploitation agricole familiale. Au cours du prochain siècle, la survie de la ferme dépendra de la capacité des agriculteurs à abandonner l'utilisation des pesticides pour se joindre aux autres producteurs qui réussissent à diversifier leurs cultures en faisant diminuer le coût de leurs intrants tout en ayant des processus et des services à plus grande valeur ajoutée.

[Français]

Notre mémoire vise à aider les députés à soupeser le poids social et économique des subventions gouvernementales versées à l'industrie des pesticides, y compris les subventions réglementaires qui traitent les pesticides comme des produits inoffensifs tant qu'il n'est pas prouvé par des sacs à dépouilles qu'il faut en limiter l'utilisation.

Nous définirons trois tendances qui illustrent que l'alimentation exempte de pesticides constitue la voie de l'avenir. Une fois que cela est compris, les pesticides toxiques ne peuvent être perçus que comme un risque inutile ne rapportant aucune rétribution économique ou sociale, sauf à l'industrie des pesticides.

Les producteurs et les consommateurs d'aliments ont un intérêt commun: penser à un avenir où seront bannis les pesticides. À la lumière de cette nouvelle réalité, le gouvernement a pour rôle de faciliter la transition aux techniques exemptes de pesticides plutôt que de sanctionner les méthodes d'épandage de produits désuets.

[Traduction]

Nous avons relevé comme première tendance le fait que les consommateurs souhaitent de plus en plus consommer des aliments n'ayant pas été aspergés de pesticides. La demande de la part des consommateurs d'obtenir des aliments organiques et n'ayant pas été aspergés de pesticides synthétiques augmente à la vitesse de l'éclair. Depuis 10 ans, elle augmente à hauteur de 15 p. 100 par année, de sorte que les produits organiques représentent aujourd'hui de 1 à 2 p. 100 de toutes les ventes de produits alimentaires.

Pour vous donner une idée de ce que ces chiffres représentent, c'est l'équivalent de la position qu'occupait Microsoft il y a 20 ans, à l'époque où l'on croyait que Lotus 123 et WordPerfect s'étaient assurés le monopole des logiciels jusqu'à la fin des temps.

À notre avis, la vitesse de l'éclair à laquelle le consommateur se tourne désormais vers les produits organiques constitue la tendance en veilleuse de la vente au détail du tournant du millénaire. La même force porteuse des produits organiques a déjà fait sa marque sur le marché des aliments génétiquement modifiés.

• 1710

Tout comme les grandes compagnies de raffinage et de traitement des produits alimentaires prennent aujourd'hui leurs distances par rapport aux aliments génétiquement modifiés, nous sommes convaincus qu'ils prendront également leurs distances par rapport à la production d'aliments à l'aide de pesticides. Ni l'utilisation des pesticides ni la manipulation génétique ne sont à l'avantage des consommateurs. Par conséquent, les transformateurs et détaillants qui veulent se retirer du marché des prix d'escompte qui est un cul-de-sac puisqu'il n'intéresse le consommateur que par la modicité des prix, cherchent désormais activement à offrir plus de services et des produits alimentaires de plus grande qualité puisqu'ils auront été cultivés en harmonie avec la nature.

Si le gouvernement du Canada permet aux agriculteurs d'utiliser de façon intensive les pesticides, cela ne servira dans un avenir rapproché qu'à évincer des marchés dominants tous les agriculteurs canadiens. Faute de réforme, le marché canadien des aliments santé sera approvisionné par les importateurs, et non pas par des Canadiens, pour qui les exportations seront de moins en moins possibles.

Les Européens se méfient des produits agricoles du Canada et le marché américain pourrait bientôt nous être fermé. La loi américaine sur la protection de la qualité des aliments, la FQPA, pourrait même servir à interdire les importations canadiennes de produits qui ont été aspergés de pesticides à des niveaux qui sont actuellement considérés comme sûrs et conformes à la loi ici même, au Canada.

[Français]

La question à laquelle doivent répondre les législateurs n'est plus la suivante: combien de pesticides pouvons-nous tolérer? Il faut plutôt se demander à quelle vitesse on peut libérer les agriculteurs de l'utilisation des pesticides et faciliter les méthodes de gestion agricole qui permettent à ceux-ci de produire à des coûts inférieurs et de vendre à des prix supérieurs.

[Traduction]

La deuxième tendance que nous avons repérée est le fait que l'agriculture urbaine est à la hausse. D'ici 30 ans, un quart de tous les aliments consommés par les citadins sera cultivé ici même dans leur propre ville. La place toujours plus grande de l'agriculture urbaine dans le réseau alimentaire de demain nous oblige à reconsidérer le rôle des pesticides chimiques et à en diminuer considérablement l'utilisation.

Les agriculteurs urbains n'auront pas besoin d'autant de pesticides; leurs jardins seront compacts et diversifiés; ils feront pousser en rangs serrés des oignons, des tomates et de la laitue. Il n'y aura plus de larges rangées d'herbes folles poussant pour le bénéfice des tracteurs. Les ravageurs n'auront plus à se mettre sous la dent les grandes monocultures—c'est-à-dire de vastes superficies d'une seule culture—comme ils le font actuellement. Les ravageurs qui vivent près du sol n'iront probablement pas s'installer dans les toits.

Et qui plus est, les citadins ne toléreront pas le même niveau de pesticides que l'on accepte dans les régions agricoles isolées. Ils ne voudront pas que leurs enfants aillent jouer près des zones d'épandage, et les citadins n'accepteront plus la pollution atmosphérique et les effluents gazeux des zones d'épandage des pesticides. Beaucoup de villes doivent aujourd'hui lutter contre le smog, auquel contribuent notamment les pesticides.

Si le gouvernement fédéral ne prend pas les choses en main, nous sommes convaincus qu'il surgira toute une série de problèmes politiques, juridiques et constitutionnels au fur et à mesure que les villes tenteront de faire face aux conséquences de la faiblesse d'Ottawa dans ce dossier. Les producteurs urbains se plaindront sans doute de ce qu'ils doivent respecter des normes plus strictes que leurs concurrents ruraux, ce qui pourrait entraîner de graves conflits entre les zones urbaines et les zones rurales.

Les conséquences pour la santé de l'utilisation des pesticides nous font conclure ceci: la santé même du dialogue politique au Canada exige que le gouvernement s'attaque au problème en imposant une production alimentaire sûre.

Comme troisième tendance, nous avons constaté que les exploitations agricoles rurales opteront de plus en plus pour les combustibles et les fibres, et pas seulement pour les aliments. Au fur et à mesure que les villes deviendront de plus en plus autonomes et produiront leurs propres aliments, les exploitations rurales se convertiront à la culture énergétique et de plantes à fibres. Les céréales seront prisées autant pour leur paille que pour leur graine. De nombreux céréaliculteurs obtiennent déjà presque autant pour leurs ballots de foin pressé que pour leur blé.

Les bâtiments en paille pressée sont, de plus, relativement peu coûteux à construire. Ils ont un grand rendement énergétique et sont très sains pour ce qui est de la qualité de l'air qui y circule, tout en pouvant faire l'objet de nombreuses belles architectures. Or, aucun des propriétaires ne voudra que sa matière isolante en paille pressée soit contaminée par des pesticides.

Les récoltes destinées à la production de pâtes et papiers, à l'énergie de biomasse, à l'éthanol ou aux textiles ne doivent pas nécessairement être parfaites du point de vue visuel, ce qui explique qu'on n'ait pas besoin de pesticides pour les faire pousser. En fait, c'est même le contraire: l'utilisation de pesticides peut même les dévaluer.

Les producteurs qui voudront fuir les pesticides et profiter des nouveaux débouchés n'auront pas besoin de subventions à long terme, mais auront besoin toutefois d'aide pour accélérer leur production. Et qui plus est, ils ont besoin d'être soumis aux mêmes règles du jeu que les agriculteurs de la vieille garde qui insistent pour utiliser des pesticides. L'application de règles du jeu uniformes devrait être, à notre avis, un des objectifs au coeur même d'une nouvelle loi sur les pesticides et des lois connexes.

Les agriculteurs utilisant des produits chimiques reçoivent actuellement des subventions qui ne sont pas offertes aux agriculteurs organiques. Ainsi, les agriculteurs n'ont pas à payer la TPS sur leurs achats de pesticides, ce qui constitue une incitation de 7 cents par dollar à la dépendance chimique. Les programmes universitaires en agriculture et les programmes de perfectionnement offrent peu de cours aux agriculteurs qui cherchent à sortir de l'engrenage chimique. Des systèmes de classement mis en oeuvre par les gouvernements fédéral et provinciaux produisent de façon arbitraire et artificielle une surprime pour la production d'aliments parfaits du point de vue visuel. La cote «Catégorie A» n'a rien à voir avec la présence d'éléments nutritifs: c'est purement une catégorie de classement esthétique, et ce classement incite par conséquent à utiliser à l'excès des pesticides.

• 1715

[Français]

Enfin, parlons de la subvention la plus navrante de toutes. Les pesticides sont produits en fonction de la production de masse d'une seule culture sur une vaste surface. Lorsque cela entraîne une surabondance de récoltes et une chute des prix, les contribuables doivent renflouer les agriculteurs qui font face à la faillite. Il s'agit d'une subvention liée aux conséquences d'une utilisation intensive des pesticides.

Dans tous ces cas, il n'existe aucune subvention équivalente pour les agriculteurs biologiques ou ceux qui n'utilisent pas de pesticides. Cette situation est clairement discriminatoire. Il faut que tous les agriculteurs aient accès aux subventions, sinon aucun agriculteur ne devrait pouvoir en recevoir.

[Traduction]

La tendance des 50 dernières années démontre que l'abandon graduel des produits chimiques agricoles ne sera pas si difficile que cela. En effet, il a été démontré que l'on perd aujourd'hui le même pourcentage—sinon plus—de nos récoltes aux mauvaises herbes, aux ravageurs et aux maladies que dans les années 30, avant la généralisation des pesticides à partir de produits pétrochimiques. Toutes les dépenses et les risques encourus par l'utilisation intensive des pesticides n'ont servi à rien—ou plutôt, a donné des résultats encore pires. Les mauvaises herbes et autres ravageurs ont évolué les uns avec les autres et se sont adaptés aux pesticides, ce qui a provoqué une course aux armements perpétuelle qu'il devient de plus en plus difficile de gagner chaque année.

Les agriculteurs ont été poussés à leur corps défendant à l'utilisation des pesticides pétrochimiques. Lorsqu'ils ont opté pour ces pesticides, ils ne faisaient que réagir à toutes les subventions que leur donnaient les gouvernements et à tous les incitatifs qui les poussaient à faire de l'agriculture grâce à l'utilisation intensive des produits chimiques, alors qu'ils auraient dû suivre leur instinct leur disant comment gérer leur exploitation et en assurer l'intendance. À notre avis, le défi, ce n'est pas de mettre fin à la dépendance des agriculteurs à l'égard des produits chimiques. Le véritable défi, c'est de mettre un terme à la dépendance gouvernementale à l'égard des pesticides dans le régime agricole de production de masse qu'il favorise. Voilà le défi que peut poser votre comité au Parlement et à la population.

Nous espérons que notre bref survol des différentes tendances chez les exploitants agricoles, chez les consommateurs et dans la société raffermiront les députés dans leur intention de faire ce qu'il faut pour la santé de l'être humain et pour la santé de toutes les espèces vivant sur notre planète. Le moment est idéal pour imposer des limites très strictes sur l'utilisation agricole de tous les pesticides chimiques et synthétiques. L'évolution de la production agricole et alimentaire qui suivra l'imposition de ces limites sur l'utilisation des produits chimiques confirmera que de cesser d'utiliser les pesticides de façon abusive n'a rien à voir avec les limites, mais offre plutôt tout un nouvel horizon de perspectives sans fin.

[Français]

Merci de m'avoir donné l'occasion de faire cette présentation.

[Traduction]

Nous répondrons avec plaisir à vos questions.

Le président: Merci.

Nous commençons par M. Chatters, qui sera suivi de Mme Girard-Bujold, de M. Reed et de M. Lincoln.

M. David Chatters: Merci, monsieur le président.

Je ne sais trop par où commencer, dans la foulée de vos commentaires, et parce que j'ai lu certains des articles de votre livre.

J'ai grandi sur la ferme familiale et je l'ai exploitée pendant 30 ans. Nous n'avons pas opté pour les pesticides parce que le gouvernement subventionnait les agriculteurs qui les utilisaient. Nous avons opté pour les fertilisants et les pesticides parce que nous avons été obligés de produire autant de boisseaux que possible et autant de livres de viande que possible sur chaque petit acre de terre, tout cela à cause de la politique de l'alimentation à prix modique que les gouvernements ont de tout temps professé et continuent à professer aujourd'hui.

Comment faire pour changer cette attitude? Je n'en sais rien. La valeur sociale du producteur alimentaire canadien est au plus faible. Un des articles d'un ouvrage universitaire que consultait mon fils, qui a une maîtrise en administration des affaires, précisait clairement que l'agriculteur canadien est au bas de l'échelle sociale. En fait, il était presque aussi loin dans l'échelle sociale que le politicien. Les deux sont à peu près au même niveau.

• 1720

S'ils en avaient fait à leur tête, je crois que tous les agriculteurs canadiens auraient continué à cultiver les petites superficies qui étaient celles de leur père et de leur aïeuls. Mais c'était une question de survie, et le recours aux pesticides n'a rien à voir avec les subventions qu'offrait le gouvernement pour contrôler les ravageurs, etc.

Dans votre livre, vous ne cessez de rêver en couleur: on y voit Sally, l'enseignante rurale, qui achète des produits au marché vendus par l'agriculteur local, et on lit aussi que l'agriculteur se retrouve avec plus d'argent parce qu'il vend un produit à valeur ajoutée, ce qui lui permet d'abandonner son deuxième emploi hors ferme et libérer ainsi un emploi pour quelqu'un d'autre.

On trouve ensuite le témoignage de Lloyd Quantz que je connais personnellement pour avoir oeuvré des années dans l'élevage du Charolais. Lloyd a toujours été un excellent vendeur, mais certains de ces arguments dans votre livre sont peu crédibles, voire ridicules, comme lorsqu'il dit avoir élevé des Charolais qu'il a croisés avec des bouvillons Angus—je crains qu'il y perdrait sa chemise s'il essayait de faire cela—et comme lorsqu'il dit qu'il a laissé aller son ranch d'un million de dollars par année, comme il le dit...

En fait, Lloyd a toujours possédé une ferme d'un quart de section à Didsbury, et il a fait toute sa carrière professionnelle comme gestionnaire d'activités commerciales. Il n'a certainement pas réussi comme vous le prétendez au point où sa terre a pu le faire vivre ainsi que sa famille, comme la plupart des agriculteurs que je connais.

Cela semble être de plus en plus le cas, d'une année à l'autre. Il devient très difficile de survivre en ne faisant que de l'exploitation agricole, même en ayant recours aux pesticides, et encore moins en faisant de l'agriculture organique, à moins que quelqu'un dans votre famille n'ait une carrière professionnelle et un revenu hors ferme.

Il est sûr que le monde que vous envisagez pourrait être beaucoup plus sain et beaucoup plus agréable que celui-ci, mais il faudrait pour cela que gouvernements et consommateurs fassent un virage à 180 degrés, car cet objectif ne pourra être atteint du vivant de mes petits-enfants, et encore moins de mon vivant à moi. Vous rêvez en couleur.

Je vous conseillerais d'abandonner votre carrière bien rémunérée et de vous lancer en agriculture à plein temps pendant cinq ou dix ans, et vous comprendrez alors beaucoup mieux comment ce secteur fonctionne et à quel point il est difficile d'y survivre.

Merci, monsieur le président.

M. Rod MacRae (témoignage à titre personnel): Nous avons écrit ce livre pour plusieurs des raisons que vous mentionnez, et en particulier parce que pendant des décennies on a sous-estimé les agriculteurs. Les gens qui mangent leurs produits les ont sous-estimés. Les décideurs politiques les ont sous-estimés. Même leurs voisins qui font un travail non agricole dans les collectivités rurales les ont aussi sous-estimés.

Un emploi sur six dans ce pays est relié au secteur agroalimentaire. Si nous n'avons pas une base agricole prospère, nous n'aurons pas de système agroalimentaire. Nous n'aurons pas la possibilité de nourrir la population comme il se doit.

Les agriculteurs me disent depuis des années qu'ils veulent faire de la bonne gérance agricole. Ils estiment cependant que bien souvent ils ne peuvent pas le faire parce qu'ils n'arrivent pas à récupérer du marché les coûts de la bonne gérance, et ils estiment que les consommateurs ne reconnaissent pas nécessairement la gérance qu'ils veulent pratiquer, et ne veulent pas payer pour l'obtenir. Ils estiment également que les gouvernements n'ont jamais reconnu leur bonne gérance comme il se devait. Vous avez identifié certains de ces éléments dans vos remarques.

Nous avons donc écrit ce livre parce que nous voulons que les consommateurs reconnaissent ce que les agriculteurs essaient effectivement de faire. Nous essayons de créer un mouvement—qui en est à ses débuts; il a déjà commencé. Nous essayons de créer un mouvement de gens qui croient vraiment que les aliments constituent l'un des plus importants facteurs sociaux, économiques, environnementaux et nutritionnels—l'un des fondements de notre société—et qui croient que les agriculteurs en constituent l'élément essentiel.

• 1725

Ainsi, quand nous parlons de pesticides... Vous expliquiez tout à l'heure pourquoi les agriculteurs ont fait la transition qu'ils ont faite. Eh bien, les pesticides font partie des éléments comme la recherche, l'agrandissement des surfaces cultivées et l'assurance-récolte, qui ont contribué à amener les agriculteurs à abandonner des méthodes que plusieurs estiment maintenant être fondamentalement plus axées sur la bonne gérance que les méthodes actuelles.

Nous avions pour objectif en rédigeant ce livre de créer un nouvel environnement pour les agriculteurs et les consommateurs de produits alimentaires qui reconnaissent la valeur environnementale des méthodes que la plupart des agriculteurs veulent utiliser. De fait, nous le mentionnons particulièrement dans notre mémoire—et nous en parlons davantage dans le livre—c'est une tendance qui a déjà commencé à se manifester. Regardez ce qui se passe dans toute l'Amérique du Nord et en Europe. Les gouvernements des pays européens disent qu'ils veulent voir le secteur de l'agriculture biologique représenter 25 p. 100 du marché d'ici cinq ans, et ils fournissent les appuis financiers nécessaires pour parvenir à ce résultat. Ils paient les agriculteurs pour qu'ils pratiquent la gérance environnementale. Ils reconnaissent que les agriculteurs font beaucoup plus que simplement produire des aliments. Dans ces régions du monde, les agriculteurs obtiennent ce qu'ils doivent obtenir, à notre avis. Ce n'est pas nécessairement la stratégie qu'il faut employer ici, mais nous devons nous assurer que les agriculteurs obtiennent ce qu'ils doivent obtenir.

Le président: Merci, monsieur Chatters.

Madame Girard-Bujold, suivie de M. Reed.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Je n'ai pas eu le plaisir de lire votre livre. J'espère que vous allez le faire traduire en français, car il doit certainement contenir de bonnes choses. J'ai lu votre mémoire en diagonale. Vous faites la promotion des nouvelles cultures. Je pense que c'est la réalité, et vous l'exposez très bien dans votre mémoire. Je pense également que ce que vous dites au sujet de la nécessité d'indiquer sur des étiquettes les produits chimiques que contiennent les aliments est important. Les consommateurs doivent exiger cela. Ils sont assez intelligents pour savoir ce qu'il doivent manger ou ne pas manger.

Vous dites aussi dans votre exposé que les agriculteurs qui emploient des pesticides ont une subvention et une exemption de TPS, alors que les gens qui font de la culture biologique n'ont pas cette subvention. Vous savez que nous allons déposer un rapport sur les mémoires des gens qui sont venus témoigner à ce comité. Étant donné le nouveau désir des consommateurs et la réalité qui devra être la nôtre au cours du prochain siècle, qu'est-ce que le nouveau projet de loi devrait contenir et qu'est-ce que notre rapport devrait contenir afin que les consommateurs, que vous décrivez bien, puissent sortir gagnants des prochains débats et bénéficier de nouvelles façons de faire en agriculture au Canada?

Mme Lori Stahlbrand: Tout d'abord, nous voulons qu'un fonds soit créé pour aider les agriculteurs à faire la transition. Si on met une fin aux subventions, qu'on essaie de faire des liens entre ce qu'on mange et ce qu'on achète et qu'on achète des produits locaux, on aura une communauté plus saine, et cela va contribuer à créer une atmosphère dont on verra les bénéfices: plus d'emplois locaux et une meilleure santé pour nos enfants. On va constater des changements dans notre communauté.

Donc, la meilleure chose à faire pour commencer serait d'établir un fonds. Peut-être Rod a-t-il d'autres idées dont il voudrait parler, mais la chose la plus importante serait la création d'un fonds pour aider les fermiers à faire la transition. Plusieurs personnes veulent s'instruire dans ce domaine, mais il n'y a pas de cours.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Le fonds que vous voudriez créer servirait à éduquer les agriculteurs. On leur donnerait les moyens de faire le virage vers la culture biologique. C'est bien ce que vous voulez faire?

Mme Lori Stahlbrand: Oui.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Qui donnerait l'argent pour construire ce fonds? Qui seraient les intervenants?

• 1730

Mme Lori Stahlbrand: Si on impose la TPS sur les pesticides, on pourra commencer à garnir le fonds. On abolirait cette subvention et on utiliserait cet argent pour aider les agriculteurs à faire la transition. Ce qu'on voit actuellement n'a pas de sens. Un agriculteur qui veut acheter un livre sur l'agriculture biologique doit payer la TPS, mais celui qui achète des pesticides ne paie pas de TPS.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Vous dites aussi dans votre mémoire que les Européens et les Américains se méfient déjà des produits agricoles du Canada. Il est donc urgent que votre fonds soit créé.

Mme Lori Stahlbrand: Oui, et il est aussi urgent de modifier la réglementation sur les pesticides pour qu'on n'ait pas de problèmes avec l'Europe. S'il est légal d'utiliser certains pesticides ici alors que ce ne l'est pas en Europe ou aux États-Unis, cela peut nous coûter des emplois ici, au Canada.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Donc, l'ARLA devrait collaborer avec les pays européens et les États-Unis pour aider les agriculteurs. Des études et des analyses ont été faites. Tout à l'heure, le commissaire à l'environnement nous a demandé s'il fallait dépenser de l'argent pour analyser les anciens pesticides ou analyser les nouveaux. Il faudra faire un choix. Je pense que votre choix est fait: on devra créer un fonds de transition.

Mme Lori Stahlbrand: S'il y a des solutions de rechange, les gens peuvent y avoir recours. S'ils ne connaissent pas ces solutions de rechange, ils ne pourront pas faire la transition. Je pense que c'est la clé de tout cela. Il y a de bons règlements qui existent déjà, notamment en Suède et en Allemagne. On peut s'inspirer des règlements qui existent déjà un peu partout, surtout en Europe, pour faire de bons règlements ici, au Canada.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Si on ne le fait pas rapidement, on va manquer le bateau, et si on manque le bateau, les emplois vont aller ailleurs. Il y aura des pertes d'emplois. Si nos agriculteurs qui veulent bien faire le virage n'ont pas les moyens de le faire, des fermes feront faillite parce que personne ne voudra plus acheter leurs produits.

Mme Lori Stahlbrand: C'est notre message principal. On a en ce moment un window of opportunity. Si on le manque, ce sera très difficile à récupérer.

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Je pense que votre mémoire va dans le bon sens et je vous en remercie.

Le président: Merci, madame.

[Traduction]

Monsieur Reed, suivi de M. Lincoln, de Mme Kraft Sloan et du président.

M. Julian Reed: Tout médicament peut devenir un poison, tout dépend de la dose qu'on prend; c'est ce que disait un médecin il y a 1000 ans.

Vous avez mis l'accent sur l'un des grands problèmes auxquels nous faisons face. Vous dites qu'on traite «les pesticides comme des produits inoffensifs tant qu'il n'est pas prouvé que ce sont des sacs à dépouilles dont il faut limiter l'utilisation.» C'est là le problème. Nous n'avons pas les preuves.

Nous savons ce qui se passe. Nous pouvons empoisonner beaucoup de gens. Nous l'avons fait. Il y a un mois, on a fait boire à des enfants d'Amérique du Sud du lait qui avait été mélangé dans un contenant où l'on avait précédemment mélangé un insecticide. On peut en effet pointer du doigt des poisons de cette sorte. Mais au XVIe siècle en Chine, on utilisait l'arsenic et la strychnine comme pesticides. Comment se fait-il qu'il y ait tellement de Chinois? Pourquoi ne sont-ils pas tous morts? Le problème est que nous n'avons pas d'explication.

Et je suis sérieux. Je ne plaisante pas avec cette question. Le problème est que nous n'avons pas de chiffres concrets comme preuve.

Un autre problème vient du fait que la seule chose pire que de trouver un ver de terre dans une pomme est d'y trouver la moitié d'un ver de terre. Vous dites: «Ces derniers ne tirent aucun avantage des pesticides ou de l'ingénierie génétique». Je vous mets au défi d'aller racheter une douzaine d'épis de maïs à un étalage routier chez un agriculteur sans les examiner pour voir s'il ne s'y trouve pas un insecte foreur. Je cultive le maïs. Je vis sur une petite ferme. Je n'utilise pas de pesticide sur mon maïs, mais je le partage avec la pyrale du maïs. La question est de savoir si les consommateurs sont aussi prêts à partager leur maïs avec la pyrale.

• 1735

L'un de mes voisins a eu une très bonne récolte de poires il y a quelques années, et ces poires n'avaient pas été traitées au pesticide. Il les a cueillies et les a apportées au marché de producteurs qui n'est pas trop loin de chez moi. On ne l'a pas admis sur les lieux parce que son produit n'avait pas fait l'objet d'un traitement antiparasitaire.

M. Wayne Roberts: Je vais seulement parler du point de vue du consommateur et j'aimerais demander à Rod de parler du principe de précaution.

Vous pouvez dire que la seule chose pire que de trouver un ver de terre est de trouver la moitié d'un ver de terre, mais pour ce qui est de la façon dont le nouveau consommateur voit la chose, il dirait, je pense, que la seule chose pire que d'avoir une tache sur votre pomme est d'avoir une tache au poumon. Les gens se préoccupent de plus en plus de l'effet des aliments sur leur santé, et je crois que c'est...

M. Julian Reed: Ce n'est pas ce que j'ai vu chez Loblaws aujourd'hui lorsque je suis allé faire mes emplettes. Je peux vous le dire.

M. Wayne Roberts: Eh bien, les gens de chez Loblaws le voient, car ils élargissent le plus rapidement possible leur éventail de produits biologiques. C'est parce qu'un grand nombre de leurs clients leur disent que c'est ce qu'ils veulent.

M. Julian Reed: S'il en est ainsi, les agriculteurs s'adapteront très rapidement. Les agriculteurs ne veulent pas consacrer à leurs intrants un cent de plus que nécessaire, et je peux donc vous dire qu'ils sont prêts et disposés à changer leurs méthodes de production et qu'ils sont capables de le faire, s'ils peuvent être indemnisés pour ce changement—et s'ils estiment que le consommateur comprendra que si leurs fruits ou leurs légumes semblent avoir une imperfection, c'est mieux que de les voir recouverts de résidus d'insecticides.

M. Rod MacRae: Je pense que c'est l'un de nos principaux arguments. On commence à voir un nombre de plus en plus grand d'agriculteurs qui veulent passer à la gestion intégrée des parasites (GIP) et à des méthodes biologiques, et cela intéresse aussi les consommateurs.

Il est très intéressant de voir des résultats de certains sondages effectués dans les supermarchés, au moment même où les gens sont en train de faire leurs emplettes. D'après ces études, lorsque les gens comprennent bien les différentes étapes de la production des aliments qu'ils achètent, ils sont beaucoup plus disposés à payer un peu plus et à accepter certaines imperfections. Cela ne signifie pas qu'ils sont prêts à accepter une imperfection grossière, mais la qualité de ce que produisent ceux qui font de la GIP et de l'agriculture biologique est certainement aussi bonne que celle des produits de n'importe qui d'autre.

Nous n'essayons pas de faire une comparaison entre ceux qui ne sont pas particulièrement bons en agriculture traditionnelle avec ceux qui ne sont pas particulièrement bons en GIP et en agriculture biologique. Nous disons que ceux qui sont bons dans les deux types d'agriculture peuvent produire des aliments d'une qualité équivalente. Mais ceux qui font de la GIP et de l'agriculture biologique utilisent évidemment beaucoup moins de pesticide.

Nous disons qu'on a mal compris le consommateur à ce sujet. C'est l'un de nos principaux thèmes. Ceux qui effectuent des sondages auprès des consommateurs ont trop longtemps mis l'accent sur des intérêts trop restreints. Les nouveaux consommateurs, comme le dit Wayne, sont des gens qui examinent les choses d'une manière bien différente que nous le pensions dans le passé.

Wayne m'a demandé de faire de brefs commentaires sur l'aspect scientifique de la question. Je pense que c'est relié à la discussion qui a eu lieu plus tôt avec le Commissaire à l'environnement au sujet de la nature des questions scientifiques concernées. Il y a des gens qui voient de telles questions scientifiques comme une science réglementaire. C'est une science qui occupe un espace bizarre entre ce que j'appellerais la véritable science et ce qui constitue un travail d'élaboration des politiques. Malheureusement, la science de la réglementation est extrêmement limitée. Elle est très limitée dans les sortes de questions qu'elle pose et aussi dans le type de prescription qu'elle peut fournir.

• 1740

L'un des éléments malheureux des discussions sur les pesticides et des discussions sur le génie génétique est le fait que pour toute une série de raisons probablement institutionnelles et historiques, nous dépendrons maintenant de la science réglementaire pour nous informer de la façon de faire les choses, et elle n'est pas à la hauteur.

M. Julian Reed: Si vous regardez l'expérience européenne et ce qui semble être la tendance là-bas, je ne sais pas si l'on peut vraiment faire cette observation, sauf qu'on peut dire que l'agriculture européenne est subventionnée au rythme de 58 p. 100 de son revenu total. Les agriculteurs de l'Allemagne sont payés pour ne pas cultiver des produits. En outre, on leur permet de cultiver du canola sur les mêmes terres et ensuite de vendre ce canola, de sorte qu'ils se font payer deux fois. C'est le genre de subvention qui existe là-bas. En ce qui concerne le canola génétiquement modifié, par exemple, nous devons en toute justice nous demander s'il ne s'agit pas simplement d'une astuce économique dont le gouvernement se fait complice pour bloquer le canola d'Amérique du Nord.

Prenons certains produits génétiquement modifiés—vous en avez parlé en même temps que des pesticides et j'estime donc devoir dire quelque chose à ce sujet—ces nouveaux produits nous ont permis de cultiver du canola à des températures plus élevées, d'obtenir un rendement plus élevé en huile, et ainsi de suite. Nous avons pu obtenir un produit tel qu'il est impossible de différencier le produit non modifié génétiquement de celui qui l'a été.

M. Rod MacRae: Je voudrais répondre à la première partie de la question, qui concerne l'expérience européenne. Cette expérience ne peut manifestement pas être complètement adoptée au Canada pour certaines des raisons que vous avez mentionnées. Mais le fait intéressant dans l'expérience européenne est que plusieurs pays d'Europe utilisent des pesticides à des niveaux semblables à ceux du Canada et pourtant, on y a quand même réussi à lancer des programmes très agressifs pour réduire considérablement le recours aux pesticides. Par exemple, un certain nombre de pays ont déjà atteint des objectifs de réduction de 50 p. 100 et sont en train de les dépasser. Il y a également des programmes agro-environnementaux très actifs en Europe, qui ont grandement aidé ce processus de transition. Il ne s'agit pas seulement d'accorder des subventions. Il s'agit principalement d'aide au développement agricole, de formation et de développement des marchés.

Je trouve notamment très intéressant qu'en Europe on ne pense plus seulement à payer des subventions aux agriculteurs pour s'adonner à une agriculture strictement traditionnelle et on les paie maintenant pour assurer des services environnementaux qui ont des grands avantages sociaux. On reconnaît que le marché lui-même n'est pas en mesure actuellement de récompenser les agriculteurs qui fournissent des services environnementaux de cette nature. Je vois donc cela comme un changement majeur en Europe et c'est le genre de chose que nous voudrions voir au Canada.

En ce qui concerne la deuxième partie de la question, soit le génie génétique, j'ignore dans quelle mesure vous voulez que nous discutions de cette question, monsieur le président, mais je dirai que le problème le plus important en ce qui concerne le génie génétique, c'est qu'il nuit à cette transition vers une réduction des pesticides. D'après les données qui viennent des États-Unis après quelques saisons de récolte, l'utilisation des pesticides ne diminue pas, comme les promoteurs de l'idée le prétendaient. Et comme il n'y a pas de diminution, on perpétue l'approche agricole qui existe déjà. Par conséquent, si nous voulons vraiment passer à la GIP et à l'agriculture biologique, nous devons aussi aider les agriculteurs à ne plus cultiver de produits génétiquement modifiés.

Le président: Merci, monsieur Reed.

Monsieur Lincoln.

M. Clifford Lincoln: J'ai écouté très attentivement mon collègue David Chatters, car il parle d'expérience étant donné qu'il est agriculteur. J'ai toujours eu énormément de respect pour ceux qui parlent à partir de leur expérience directe. Je ne suis pas agriculteur moi-même et je n'ai aucune idée de la façon dont on exploite une ferme, sauf d'après ce que j'en ai lu et je doit donc écouter très attentivement ce que disent ceux qui s'y connaissent. Il a mentionné que son fils était aussi agriculteur. Il a donc manifestement de très bonnes raisons de faire les remarques qu'il a faites.

Je ne suis cependant pas du tout d'accord avec lui quand il dit que lorsque ses petits-enfants grandiront, rien n'aura changé, car à mon avis, si nous partons de l'idée que nous ne pouvons pas faire changer les choses en trois générations, nous sommes véritablement en difficulté.

• 1745

Je me demandais si vous conviendriez qu'il existe une corrélation entre toute cette question des pesticides en agriculture, la perte des sols—et tout cela figure dans le rapport sénatorial, entre autres—et ce qui s'est passé dans le secteur du tabac, où nous avons presque attendu d'avoir des preuves indéniables que le tabac causait le cancer, détruisait les poumons, et que des milliers de décès se soient produits avant que nous commencions à réagir. Maintenant, les habitudes sont tellement enracinées, qu'il faudra mener une lutte totale pour renverser le cycle. C'est un peu comme l'histoire de la poule et de l'oeuf.

Ne pensez-vous pas que le leadership doit venir du gouvernement, tout d'abord en éliminant les taxes perverses et en imposant des taxes proactives pour amener les gens à ne plus utiliser de pesticides, afin que nous commencions un cycle où il y aurait de l'argent disponible pour effectuer des recherches en matière de santé et informer la population? Ne convenez-vous pas également que dans une nouvelle loi qui sera déposée l'an prochain, le premier objectif devrait être la réduction des pesticides, en vue de parvenir à une élimination éventuelle, et qu'elle devrait aussi contenir des dispositions concernant l'information et la sensibilisation du public afin que nous puissions briser ce cycle et obtenir les résultats escomptés par M. Chatters?

M. Wayne Roberts: Monsieur, je pense qu'il faudra que le leadership vienne de quelque part, et je pense qu'à l'heure actuelle ce leadership vient du marché. Si vous entrez dans un magasin Dominion, vous verrez qu'il y a une grande section appelée Nature's Cupboard. Chez Loblaws, vous verrez toute une variété de produits biologiques parmi ceux de la marque «Choix du Président». Tous ces aliments sont importés des États-Unis. Le marché permettra d'écouler des aliments biologiques, mais cela ne sera pas durable, à mon avis, parce que ce type d'agriculture ne sera pas durable tant qu'on importera des carottes et des boissons au soja de Californie ou du Michigan, alors qu'on pourrait déjà les obtenir ici.

Le gouvernement n'a pas besoin de faire preuve de leadership en essayant d'influencer le marché, qui fonctionne très bien par lui-même, il doit plutôt aider les agriculteurs qui veulent servir ce marché et améliorer la situation, non seulement en faisant plus d'agriculture biologique ou du moins une agriculture qui utilise moins de pesticides, mais en exerçant une agriculture soutenable, c'est-à-dire près du marché desservi. C'est pourquoi il faudrait ce qu'on appelle généralement une forme d'aide gouvernementale.

Dans la région du sud de l'Ontario par exemple, les producteurs de fruits et légumes, ou dans une certaine mesure les anciens producteurs, étaient en concurrence avec les producteurs de fruits et légumes de la Californie. La firme californienne moyenne reçoit 500 000 $ par année en subventions pour l'eau seulement. En plus, elle reçoit une subvention au transport. En outre, nous élargissons les routes et en construisons de nouvelles pour permettre qu'on apporte dans notre province des produits de la Californie, de sorte que les camionneurs peuvent saluer en passant les agriculteurs sans travail parce que nous aidons des entreprises qui profitent déjà de deux types de subventions. Nous disons qu'il faut prendre une partie de cet argent qui contribue à diminuer la possibilité que nos agriculteurs fassent la transition et le mettre dans un fonds qui contribuera à la transition. On est certainement capable dans toute la région du sud de l'Ontario, pour donner un exemple, d'approvisionner le marché ontarien.

D'après nos calculs, qui sont fondés sur d'assez bonnes données économiques du gouvernement de l'Ontario et qui sont les meilleures du pays, si les Ontariens consommaient aujourd'hui le même pourcentage d'aliments produits en Ontario qu'ils le faisaient en 1971—ce qui n'est pas beaucoup demander, parce que beaucoup de choses positives ont permis une prolongation des saisons de croissance, entre autres, en Ontario—nous créerions presque du jour au lendemain 50 000 emplois de plus dans le secteur agroalimentaire.

M. Clifford Lincoln: À titre de membres de ce comité, nous pouvons exercer une influence plus directe en ce qui concerne les mesures législatives dont nous sommes saisis. Si vous regardez le document produit par l'agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, vous verrez qu'on n'y mentionne pas encore le principe de précaution.

• 1750

En ce qui concerne la transparence, les informations et les données, il y a une exception énorme dans le cas des renseignements commerciaux confidentiels, les RCC. Il semble donc que nous ayons des années de retard sur les États-Unis et l'Europe. Ne convenez-vous pas que tous ces éléments—la définition du terme «risque» d'une manière positive, le principe de précaution, l'accès général du public aux renseignements—sont essentiels, si nous voulons faire progresser ce débat?

M. Rod MacRae: Oui, nous sommes d'accord pour dire que tous ces éléments sont essentiels. Le principe de précaution doit servir de phare à la recherche scientifique et à l'élaboration des politiques. Il faut aussi beaucoup plus de transparence. Il faut un meilleur moyen pour intégrer les concepts de la gestion intégrée des pesticides dans le cadre de la réglementation. Il faut faire plus que de donner simplement les renseignements sur la gestion intégrée des pesticides sur les étiquettes. Il faut inclure cela dans le processus d'évaluation ou de réévaluation d'une demande concernant un nouveau produit, car on n'examine pas seulement le produit chimique proposé, mais aussi des stratégies de rechange pour obtenir les mêmes effets que ce produit peut donner.

Si ces stratégies de rechange, cette lutte culturale, comme on l'appelle, ou ces pratiques de prévention peuvent donner les mêmes résultats que le produit chimique, a-t-on vraiment besoin du produit chimique sur le marché, étant donné les conséquences négatives qui peuvent être associées au permis pour un tel produit?

Nous croyons que tous ces éléments devraient faire partie du mandat de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire.

Je pourrais peut-être revenir brièvement à votre remarque sur le tabac et au commentaire de M. Reed concernant l'absence de sacs à dépouilles. L'un des problèmes que nous éprouvons dans notre domaine scientifique vient de ce que nous présumons qu'en l'absence de sac à dépouille, il n'y a pas de décès, jusqu'à ce que nous découvrions, après avoir suivi tous les détours d'une enquête scientifique, qu'il y a en réalité un sac à dépouille. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons présentement, c'est-à-dire que les pesticides contribuent à de nombreux décès, sans que la façon dont cela se produit soit évidente.

Cela se produit peut-être en raison des effets subcliniques sur le système immunitaire. Cela se produit sans que l'on puisse nécessairement faire une corrélation directe entre le fait qu'il y ait un pesticide quelque part et qu'une mortalité en ait résulté quelque part. C'est très difficile à démontrer à l'heure actuelle.

Je pense qu'à bien des égards, c'est principalement dû aux limites de nos connaissances scientifiques. Le cas du tabac est un exemple de la façon dont la science a évolué pour finalement nous permettre de comprendre qu'il y avait un lien direct. Nous parcourons le même chemin dans le cas des pesticides.

Le président: Merci.

Madame Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan: Nous entendons très clairement votre message et d'autres témoins l'ont répété à maintes reprises. Je ne pense pas que ce soit nécessairement dû uniquement aux limitations de la science et au fait qu'on ne pose pas toutes les questions qu'il faudrait poser, c'est aussi une question de moyens économiques limités.

J'écoutais une émission à la radio de Radio-Canada pendant que je me rendais en voiture de l'aéroport à ma circonscription jeudi soir. On y a parlé beaucoup des agriculteurs de l'Ouest qui craignent fort de perdre leurs fermes à cause de la mauvaise situation dans le secteur agricole et de la tragédie que cela représentait pour ces familles. Je me suis demandé comment il était possible qu'un secteur aussi fondamentalement important pour notre bien-être et notre capacité de survie que le secteur alimentaire... et pourquoi ceux qui produisent nos aliments font faillite.

Les aliments figurent manifestement parmi nos produits les plus importants. C'est un système économique totalement idiot. Il faut parfois prendre du recul pour voir la situation dans son ensemble. Nous avons besoin d'une meilleure analyse économique.

Nous avons entendu la semaine dernière un témoin dire que lorsqu'il arrive dans une classe il demande: «Combien d'entre vous, ou combien de vos amis ou parents, appréhendent la possibilité de perdre votre exploitation agricole ou d'être aux prises avec des difficultés économiques?» Presque toutes les mains se lèvent dans la classe. Quand il demande: «Combien d'entre vous connaissent des propriétaires d'entreprise de pesticides chimiques qui vont perdre leur chemise?», évidemment, personne ne lève la main.

Vous avez soulevé une question importante. Il faut examiner cette dépendance vis-à-vis des produits chimiques.

• 1755

Il y a aussi une autre question et c'est celle des écotaxes. La Suède, par exemple, avait une taxe sur les pesticides. D'après ce que j'ai compris, elle a été imposée de 1984 à 1992. Ensuite, on l'a remise en vigueur en 1994. Le gouvernement suédois avait fait adopter par son assemblée législative en 1987 un projet de loi préconisant des mesures destinées à réduire l'utilisation des pesticides de 50 p. 100 avant la fin de 1990, et l'objectif a été atteint.

M. Reed a dit que beaucoup d'exploitations agricoles sont subventionnées en Europe, mais nous avons ici l'exemple d'un pays qui impose une taxe spéciale pour l'utilisation de pesticides, et qui a réussi à réduire cette utilisation de 50 p. 100.

J'ajouterai qu'il pourrait être quelque peu difficile d'éliminer l'exemption de la TPS pour les pesticides. Existe-t-il un moyen d'offrir un incitatif économique aux agriculteurs biologiques?

M. Rod MacRae: Ce sont toutes des questions importantes. Je pourrais peut-être vous parler de ce qui s'est passé en Suède et revenir ensuite aux agriculteurs biologiques.

D'après les derniers chiffres que j'ai vus, la Suède a maintenant réussi à réduire de 64 p. 100 l'utilisation de pesticides, par rapport à l'année de référence qui était 1985. Voilà maintenant qu'il y a un programme agro-environnemental qui est offert par l'entremise de l'Union européenne pour aider les agriculteurs à revoir leurs pratiques agricoles, et en particulier pour aider de plus en plus d'agriculteurs à faire la transition vers l'agriculture biologique. On a donc fixé un objectif de 10 p. 100 des terres arables consacrées à l'agriculture biologique d'ici l'an 2000.

Je crois qu'on est rendu à 7 p. 100 actuellement, de sorte que l'objectif ne sera probablement pas tout à fait atteint en l'an 2000, mais il fait partie de l'engagement qu'on a pris de réduire l'utilisation des pesticides. D'après ce que j'ai pu comprendre, on utilise les recettes de la taxe sur les pesticides pour financer des programmes de soutien de cette nature.

Comme nous l'avons dit plus tôt, nous avons aussi un exemple intéressant d'une taxe imposée pour l'utilisation de produits nocifs et dont les recettes sont utilisées pour financer des choses bénéfiques. Ce modèle est donc utilisé à plusieurs endroits dans le monde.

Pour ce qui est de l'agriculture biologique comme telle, un fait intéressant en ce qui concerne les aspects économiques de l'agriculture biologique et de la gestion intégrée des pesticides, comme nous en parlons en détail dans l'annexe B de notre mémoire, c'est que d'une manière générale, ces systèmes sont plus rentables que les systèmes conventionnels. La plupart des agriculteurs qui se convertissent à l'agriculture biologique se rendent compte que leur entreprise est plus rentable qu'elle ne l'était lorsqu'ils s'adonnaient à ce qu'on appelle l'agriculture conventionnelle.

Les raisons sont nombreuses. La principale est que bien que les rendements puissent diminuer d'un petit pourcentage, soit de 10 p. 100 pour la production végétale et 20 p. 100 pour la production animale, les coûts de production, d'une manière générale, sont beaucoup plus bas. Ils peuvent représenter un tiers des coûts de l'agriculture conventionnelle. Par conséquent, le revenu net des agriculteurs s'en trouve amélioré. C'est évidemment l'un des facteurs qui poussent les agriculteurs à passer à la culture biologique et à la gestion intégrée des pesticides.

On voit les mêmes résultats dans le cas de la gestion intégrée des pesticides. L'analyse économique de l'utilisation des pesticides en agriculture est habituellement bien trop surestimée parce que ceux qui effectuent les études n'incluent pas les solutions de rechange dans leur modèle. Ils ne tiennent pas compte du fait que si l'agriculteur n'utilisait pas de pesticides, il n'utiliserait rien d'autre. Il aurait des stratégies de rechange. Les études n'en tiennent pas compte habituellement, de sorte qu'on montre toujours que l'utilisation des pesticides apporte un rendement économique plus élevé que ce n'est le cas en réalité.

Ainsi, la plupart des évaluations de la gestion intégrée des parasites montrent également que les agriculteurs sont plus rentables qu'ils ne l'étaient avant d'adopter cette technique. C'est donc tout à fait positif sur le plan économique. Si le rôle du gouvernement consiste à aider à répandre cette technique, à contribuer à mettre en place les éléments voulus, à offrir le soutien dont nous avons parlé tout à l'heure, alors il y a là d'intéressantes possibilités économiques.

Mme Karen Kraft Sloan: Les gens invoquent toujours des arguments fondés sur des faits et des chiffres, mais on peut argumenter ainsi dans un sens ou dans l'autre. Ce qu'il faut par-dessus tout, c'est un examen critique des solutions de rechange et de certaines hypothèses de base. Depuis 1946, nous avons été témoins d'une prolifération gigantesque de pratiques agricoles reposant sur l'apport de produits chimiques, et nous avons également assisté à une extraordinaire multiplication des parasites qui sont résistants à ces produits antiparasitaires.

• 1800

Je voudrais faire une autre suggestion. Mon grand-père, qui est maintenant décédé, était né en 1885, mais si on lui avait dit que le seul moyen de faire pousser ses légumes, c'était de les inonder de produits chimiques, je ne pense pas qu'il l'aurait cru. À ces yeux, cela n'aurait pas été une solution viable.

Cela fait donc seulement une génération et demie, environ, que nous sommes confrontés à ces problèmes. De dire que c'est la seule façon de cultiver la terre, c'est avouer son ignorance de l'histoire de l'agriculture, et c'est fermer les yeux sur certaines possibilités intéressantes dans le domaine agricole. Plus que toute autre chose, je crois que nos agriculteurs sont piégés dans une situation où ils sont pris avec des organismes modifiés génétiquement et sont incapables de les vendre. Si la Suède et d'autres pays de l'UE se dirigent vers la culture biologique et réduisent de 64 p. 100 l'apport de pesticides, cela exercera encore une autre pression sur nos agriculteurs.

Je fais mes emplettes dans quatre ou cinq épiceries et petits marchés dans ma circonscription, et ils ont tous des tablettes réservées aux aliments biologiques. C'est saisonnier; ils offrent différentes denrées selon la saison. Je pense qu'il y a là une intéressante possibilité économique dont nos agriculteurs ne tirent pas profit.

Le président: Merci.

Monsieur Jordan.

M. Joe Jordan (Leeds—Grenville, Lib.): Merci monsieur le président.

Je voudrais aborder brièvement l'aspect économique de tout cela. La première tendance que vous avez identifiée, c'est la demande accrue d'aliments cultivés sans apport de pesticides. Avez-vous fait une quelconque corrélation avec la situation économique? Il me semble que l'économie va bien depuis six ou sept ans, que le revenu réel augmente et que les gens progressent dans la hiérarchie des besoins de Maslow. En cas de ralentissement économique, y a-t-il un danger que les gens deviennent beaucoup plus sensibles au prix? Ces denrées coûtent plus cher, n'est-ce pas?

De plus, si l'on faisait une analyse psychographique ou démographique des acheteurs de ces produits, on constaterait qu'il s'agit d'un consommateur qui est presque un leader d'opinion, quelqu'un qui lance les modes. Le grand public est-il en mesure de commencer à exiger ces produits au prix auquel ils sont vendus?

Peut-être pourriez-vous me répondre brièvement, car j'aurai d'autres questions à poser.

M. Wayne Roberts: Tout d'abord, je pense que l'on admet généralement que le prix actuel de ces produits est un prix temporaire qui reflète premièrement la courbe d'apprentissage des agriculteurs qui doivent apprendre à cultiver ces produits et, deuxièmement, le réseau de distribution très faible.

En Grande-Bretagne, les grands supermarchés ont décidé que les producteurs biologiques de ce pays ont réglé leur problème de production, qu'ils peuvent maintenant produire des denrées d'une qualité équivalente ou meilleure à un prix équivalent ou meilleur, et ont donc décidé de subventionner le coût de distribution parce qu'ils savent que cela peut être absorbé très rapidement.

À long terme, le prix des produits biologiques ne devrait pas demeurer plus élevé, à moins que nous choisissions de dire que nous ne voulons pas, au Canada, que les aliments deviennent toujours meilleur marché, qu'il y a quelque chose qui cloche là-dedans. Mais il n'y a aucune raison pour qu'il subsiste à terme un écart de prix entre les deux types de produits.

Une voix: Je veux aborder cette question.

M. Joe Jordan: C'est un point intéressant.

M. Wayne Roberts: Par ailleurs, je pense que c'est une erreur de perspective que de voir dans l'augmentation des ventes de produits biologiques ou à faible apport de pesticides un phénomène attribuable aux jeunes professionnels, aux classes supérieures ou au revenu élevé. En fait, beaucoup de boîtes pour aliments biologiques ont été conçues spécifiquement pour les personnes à faible revenu, c'est-à-dire pour résoudre le problème de distribution afin de permettre aux familles à faible revenu d'avoir accès à ces aliments.

La véritable variable semble être les familles qui ont de jeunes enfants ou qui souhaitent en avoir. Ce sont les gens qui, en un sens, sont insensibles au prix et je pense qu'ils seraient insensibles au prix en période de prospérité ou de marasme...

M. Joe Jordan: Ils sont de plus en plus sensibles aux effets possibles sur la santé.

Mme Lori Stahlbrand: En effet.

M. Wayne Roberts: C'est vrai.

M. Joe Jordan: Il suffit donc d'aller les chercher.

Si l'on examine le marché mondial de denrées agricoles... nous en avons d'ailleurs déjà parlé ici. Vous avez mis le doigt sur le paradoxe: plus le rendement est élevé, plus le prix est bas. C'est tout simplement absurde. Je suis d'avis qu'il n'y a pas vraiment de libre-échange dans l'agriculture; c'est plutôt une sorte de dumping déguisé des surplus.

Quelle solution entrevoyez-vous? M. Chatters a exprimé les préoccupations des producteurs, qui me semblent légitimes. En deux mots, si l'on examine le marché agricole intérieur au Canada, quelle est la valeur de ce que nous produisons en comparaison de ce que nous consommons? Les deux chiffres sont-ils proches? Ou bien y a-t-il un énorme marché d'exportation que nous mettons en péril?

• 1805

M. Rod MacRae: On pourrait aborder cette question sous différents angles. On pourrait dire, par exemple, que la province de l'Ontario a un déficit alimentaire de 3 milliards de dollars par année, c'est-à-dire qu'elle importe 3 milliards de dollars de plus qu'elle n'exporte, et à peu près la moitié de cela, ce sont des aliments que l'on peut produire, transformer et stocker en Ontario. Ce ne sont pas seulement des denrées exotiques. Les produits exotiques représentent la moitié de cette somme, mais l'autre moitié, ce sont des denrées que nous produisons déjà dans la province.

M. Joe Jordan: Et les producteurs de céréales de l'Ouest?

M. Rod MacRae: En fait, le commerce des céréales crée une distorsion prononcée de notre situation économique en agriculture. Si l'on retranche le commerce des céréales, nous sommes un pays importateur, par une marge énorme.

M. Wayne Roberts: Je pense que la Saskatchewan importe 82 p. 100 de ses aliments, et il y a donc place pour une certaine croissance sur le marché intérieur et cela n'exigerait probablement pas de subventions qui seraient jugées illégales par l'Organisation mondiale du commerce; on pourrait seulement tolérer quelques cahots sur nos routes, pour que les camionneurs étrangers n'aient pas accès à des services de transport aussi bon marché.

M. Joe Jordan: Vous évoquez là certains obstacles pratiques qu'il faut surmonter pour mettre cela en place. Mais la solution ne consiste-t-elle pas à se concentrer sur la sécurité du revenu des agriculteurs? Nous ne pouvons pas faire courir des risques à nos agriculteurs pendant la transition, mais nous ne pouvons pas non plus faire pousser l'argent dans les arbres, et il faut donc que l'aspect économique résiste à l'analyse.

À votre avis, nous serait-il possible de garantir aux agriculteurs qu'ils pourraient gagner leur vie aussi bien sinon mieux en produisant de cette façon, sans s'exposer à une contestation de l'OMC, sans mettre en péril nos exportations et sans causer la ruine de nos agriculteurs de l'Ouest? Au bout du compte, les gens devront payer un prix plus élevé ou bien il faudra que l'argent vienne d'autre part. Comment les choses se présentent-elles sur le plan strictement financier?

M. Wayne Roberts: Je pense que la réponse dépend en partie de la largeur de vue que l'on veut adopter dans le domaine financier. L'autre jour, on disait dans le Wall Street Journal qu'un visionnaire, c'est simplement quelqu'un qui comprend ce qui est possible avant que cela ne devienne évident.

Il y a quelque chose d'assez curieux à propos des aliments: c'est fondamental pour la santé et nous avons un régime de soins de santé gratuit, mais nous faisons payer les gens pour leurs aliments même s'ils peuvent tomber malades s'ils n'en mange pas assez. Nous avons un très bon système d'éducation publique, mais les élèves qui n'ont pas une bonne alimentation n'ont pas de bons résultats scolaires et ne peuvent donc pas tirer profit de ce système très coûteux que nous avons mis sur pied.

Vous voudriez peut-être organiser des programmes universels pour fournir des repas dans les écoles. À vrai dire, nous proposons que l'on puisse se servir de sa carte santé; les femmes enceintes devraient pouvoir se servir de leur carte d'assurance-santé pour acheter de la nourriture. Selon des études effectuées par le Conseil des politiques alimentaires, le système de santé économiserait 3 $ par dollar investi.

En faisant cela, vous pourriez alors dire que la nourriture produite à ces fins vaut 1 $ lourd car il s'agit de la santé des gens et on ne fait pas que leur remplir l'estomac pour la journée. En d'autres termes, c'est peut-être la solution que voudrait adopter un visionnaire.

M. Joe Jordan: Oui, je suis d'accord, mais un grand nombre de ces coûts échappe au système économique à l'heure actuelle. Nous pouvons souligner leur existence, mais en les captant, rien ne serait réglé puisque nous n'en tenons déjà pas compte. Les visions, c'est bien beau, mais c'est l'argent qui compte. Il faut que ça se tienne sur le plan de l'économie.

M. Rod MacRae: On peut les capter de deux façons différentes. Poursuivant un peu sur la lancée de Wayne, certains des gouvernements provinciaux ont dit qu'ils rationaliserait le système de soins de santé et que les économies ainsi réalisées seraient réinvesties dans la prévention.

Ils ont dû faire cela par voie de réglementation parce que le système des soins de santé a son propre système économique qui est un peu pervers à l'heure actuelle. La seule façon de capter ces économies est de le faire par décret, si vous voulez, pour pouvoir ensuite les réinvestir dans la prévention.

Pour encourager la prévention, il faudrait investir dans l'alimentation parce que nous savons maintenant que de 60 à 70 p. 100 des maladies chroniques dont nous souffrons, et qui nous coûtent des milliards, sont étroitement liées au régime alimentaire.

Cependant, de l'autre côté, sur le strict plan économique, il ne faut pas oublier que le fermier ne capte que 25c. de chaque dollar dépensé par le consommateur et les 75 p. 100 restants servent à financer un système de distribution qui, selon beaucoup, est plutôt gonflé. Mais si on change le système économique de production agricole en augmentant la GIP et la production organique et, qu'en même temps, le consommateur change sa façon de s'approvisionner, nous constatons—et vous le verrez dans le livre—que l'agriculteur récolte une plus large part du dollar du consommateur. Mais le consommateur finit par payer moins cher le produit au détail parce qu'on a de fait éliminé un certain nombre d'intermédiaires.

• 1810

Le président: Il y a sept mois, je pensais qu'on pourrait s'en tenir à la seule étude des pesticides.

J'aimerais vous demander des éclaircissements à propos de trois choses. Tout d'abord, il y a la TPS. Avez-vous calculé la perte de revenus enregistrée du fait que nous n'imposons pas les pesticides? Nous taxons les livres, vous savez. J'ai d'énormes difficultés à concilier ces deux choses: les livres par rapport aux pesticides. Mais disons que la TPS frappe les pesticides. Combien cela pourrait-il représenter?

M. Rod MacRae: Je me suis laissé dire—mais j'attends toujours la confirmation—que cela représenterait 70 millions de dollars annuellement.

Le président: Ce sont vos propres calculs?

M. Rod MacRae: C'est le résultat d'un calcul remis au Fonds mondial pour la nature.

Le président: Passons rapidement au classement parce que la cloche va bientôt sonner; dans votre mémoire, vous dites, et c'est intéressant, que le classement incite à l'usage excessif des pesticides. De toute évidence, le classement fait partie de notre culture. C'est presque un impératif. On voit partout des gens qui magasinent et qui refusent d'acheter un article le moindrement imparfait. Comment changer cette culture?

M. Rod MacRae: Il y a peut-être une stratégie à deux volets. En changeant les règles de classement, les attitudes changeraient. Quand les gens voient «catégorie A» sur quelque chose, par exemple, ils se disent que cet article a certaines qualités—certaines qualités nutritives, par exemple. Si, en réalité, les gens finissent par comprendre que le système actuel de classement est en réalité un système destiné à aider l'industrie alimentaire à orienter certaines catégories de produits vers différentes catégories de consommateurs, alors, on peut tout changer.

Les quelques sondages qui ont été faits dans ce domaine jusqu'ici ont tous démontré que si les gens sont mieux renseignés au point de vente sur l'histoire de la production du produit, ils vont modifier leur comportement d'achat au magasin même. Ils seront prêts à acheter quelque chose qui comporte une petite imperfection et qui coûte un peu plus, s'ils savent qu'on a utilisé moins de pesticides pour le produire. C'est un élément important du comportement des consommateurs. Ce qui se passe au point de vente est très important.

On a fait plusieurs propositions quant aux changements qu'il faudrait apporter aux règlements, mais si on vise essentiellement à modifier le système de classement afin qu'il reflète mieux les préoccupations des consommateurs, y compris l'histoire de la production des aliments, la valeur nutritive des produits, etc., je crois que les consommateurs vont vouloir que la catégorie soit définie de la façon dont ils l'entendent déjà, même si elle n'est pas définie de cette façon en réalité.

Le président: Quelles sont les propositions auxquelles vous faites allusion?

M. Rod MacRae: Certaines ont été élaborées par le Food Policy Council de Toronto dans un document de consultation rédigé il y a environ deux ans sur les changements à apporter à tout le système de sensibilisation des consommateurs. Elles vont au-delà des systèmes de classement. Le classement est peut-être l'élément qui vous intéresse le plus aujourd'hui, mais tout le système est très fragmenté et difficile à comprendre pour les consommateurs. Si vous voulez, je pourrais faire parvenir le rapport au comité.

Mme Lori Stahlbrand: Pour ajouter à ce que Rod vient de dire, la seule exigence qui existe au Canada actuellement, c'est de mettre des étiquettes sur les produits transformés pour indiquer quels additifs ont été ajoutés au moment de la transformation. On devrait peut-être bien modifier la Loi sur les produits antiparasitaires afin d'exiger l'étiquetage des produits si des pesticides ont été utilisés avant l'étape de la transformation. Le simple fait de bien renseigner les consommateurs pourrait grandement les aider à prendre des décisions éclairées.

Le président: Enfin, l'observation que vous faites concernant les monocultures est très intrigante. À la page 7 de la version française, vous dites que «Les pesticides sont produits en fonction de la production de masse d'une culture sur une vaste surface.» C'est une autre façon de dire des monocultures. Comment en êtes-vous venus à cette conclusion? Qu'est-ce qui vous a menés à tirer cette conclusion?

• 1815

M. Rod MacRae: Les rotations de cultures ne sont pas toujours des monocultures, il peut s'agir de deux cultures seulement. On peut, par exemple, alterner maïs et soja année après année.

Faire cela sur une vaste surface exige une intervention humaine assez importante, et les pesticides ont joué un rôle essentiel dans la réussite des monocultures. Les nouveaux équipements, les marchés, les engrais synthétiques et les pesticides synthétiques ont concouru à créer cet état de fait.

Le président: Merci. Il nous reste assez de temps pour au moins une autre question, ou une série de questions.

Monsieur Chatters, s'il vous plaît.

M. David Chatters: C'est une discussion intéressante, mais j'ai quelques inquiétudes quant aux changements que vous semblez préconiser.

La conversion à la production biologique est une décision économique, et rien de plus. L'idée d'imposer des taxes aux agriculteurs qui ne font pas le virage biologique afin d'aider ceux qui ont choisi cette voie est illogique à mon sens. Vous allez tout simplement éliminer des agriculteurs en imposant les intrants et, par ce fait, augmenter leurs coûts.

La simple vérité, c'est que les consommateurs vont devoir payer beaucoup plus pour leurs produits, si on veut assurer cette conversion. Surtout à l'étape initiale, si on élimine les pesticides, les engrais synthétiques, etc., le rendement par acre va baisser. Or, c'est le besoin d'augmenter la production qui a forcé les agriculteurs à s'embarquer sur cette voie.

Si vous baissez le rendement, le prix des récoltes produites doit rester stable ou augmenter afin de faire vivre l'agriculteur. Il va devoir obtenir beaucoup plus pour ses produits. Mais les consommateurs veulent que ces produits biologiques—des aliments qui sont produits sans engrais et sans pesticides—ne coûtent pas plus cher que les produits qu'ils achètent actuellement, qui sont produits de façon non biologique.

Je suis la troisième génération de ma famille à exploiter ma ferme, et mon fils va prendre la relève après moi. Je suis retourné en Angleterre, où j'ai vu la ferme qu'exploitait mon grand-père. Le sol y était très fertile. Au début, c'était de l'argile, de la terre morte sans éléments nutritifs, avant qu'il ne commence à faire pousser des choses. Le sol de ma ferme est encore plein de vie et d'humus; c'est un sol bien gras. J'aimerais rien de mieux que de le garder comme ça. Même si je suis physiquement à Ottawa, je demeure attaché à la terre et à l'agriculture.

J'aimerais travailler de cette façon, mais vous, les consommateurs, ne voulez pas payer les prix nécessaires pour que je puisse gagner ma vie. À moins que ça ne change, vous ne pouvez pas imposer des taxes sur un secteur donné au bénéfice d'un autre afin de faire prendre ce virage aux agriculteurs. Il faut tenir compte du prix des aliments.

M. Wayne Roberts: À mon avis, il faut comprendre autrement la dynamique entre les prix payés par les consommateurs et les prix obtenus par les agriculteurs.

D'abord, il faut être conscient du fait que les pesticides font partie de l'agriculture de production de masse. On part de la prémisse que nous ne produisons pas assez. Pour la plupart des agriculteurs au Canada, le problème n'est pas qu'ils ne produisent pas assez, mais plutôt qu'ils en produisent trop et que les marchés sont saturés. Les pesticides sont tributaires de ces marchés saturés parce qu'ils font augmenter, de façon artificielle et à court terme, le rendement des terres. Ils sont loin d'être la solution aux problèmes des agriculteurs, et quant aux prix, ils font partie du problème et non de la solution.

Je crois que vous avez raison de dire que les consommateurs doivent accorder plus de valeur aux aliments. Selon moi, on pourrait y remédier en partie en améliorant l'étiquetage des aliments. On ne se rendra pas compte qu'il faut accorder plus de valeur aux aliments si on ne sait pas du tout ce qui ne va pas avec ces produits qui sont parfaits du point de vue esthétique.

• 1820

Il y a plusieurs choses que nous pouvons faire pour sensibiliser le public. La prise de conscience est en train de se faire très rapidement et nous devons y contribuer. À court terme, cependant, je crois que les agriculteurs auront besoin d'aide, peu importe la voie qu'ils choisissent.

Ils ne peuvent pas poursuivre leurs activités traditionnelles et ils ne peuvent pas faire le virage biologique. Il leur faut absolument l'aide du gouvernement. Soit les agriculteurs continuent leurs pratiques de surproduction et bénéficient d'une aide financière quand les prix s'effondrent, soit ils profitent d'un investissement équivalent pour les aider à faire le virage vers une production qui leur permet de tirer un revenu décent, qui ne nuit pas à l'environnement et qui peut sans doute contribuer à la santé humaine. C'est cette dernière option que nous préconisons. Mais dans les deux cas, le gouvernement va devoir débourser.

Merci.

Le président: Madame Stahlbrand, monsieur Roberts, monsieur MacRae, merci beaucoup.

Mme Lori Stahlbrand: Merci.

M. Wayne Roberts: Merci.

M. Rod MacRae: Merci.

Le président: La séance est levée.