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AAND Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ABORIGINAL AFFAIRS AND NORTHERN DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU GRAND NORD

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 novembre 1999

• 0938

[Traduction]

La présidente (Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.)): Bonjour. Je vous souhaite à tous la bienvenue et en particulier à nos trois témoins de ce matin: MM. Steven Scott, Tom Flanagan et Bradford Morse.

Avant de commencer, mesdames et messieurs, j'aimerais vous souhaiter de nouveau la bienvenue à Ottawa. Nous avons entendu 53 témoins la semaine dernière. Nos greffiers ont communiqué avec tous ceux qui ont demandé à comparaître devant le comité et d'ici jeudi midi, nous aurons terminé l'audition de tous nos témoins.

Avant de partir en mission, le comité a demandé à ce que l'on autorise à télédiffuser ses audiences ou à tenir des vidéoconférences pour pouvoir entendre les témoins qui ne peuvent pas se rendre à Ottawa. J'ai demandé à notre greffière de réserver la salle prévue pour la télédiffusion des séances. Nous nous trouvons actuellement dans cette salle. Malheureusement, elle n'est pas libre demain ni jeudi. Nous avons demandé à ce qu'on nous permette d'utiliser deux autres pièces, mais il faut demander l'autorisation de la Chambre pour que nos audiences puissent être télédiffusées dans ces pièces. Comme vous m'avez déjà dit que vous vouliez que nos audiences soient télédiffusées, je vais maintenant vous présenter une motion en ce sens. Je vais demander à la greffière de nous la lire.

La greffière du comité: Que le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord demande à la Chambre de l'autoriser à télédiffuser ses délibérations du mercredi 24 novembre, en après-midi, et du jeudi 25 novembre, en matinée, pour son étude du projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a.

La présidente: Nous devons adopter cette motion parce que nous tiendrons nos audiences dans les pièces 237-C et 269 de l'édifice de l'Ouest. Personne ne devrait s'opposer à cette motion que je vous présente pour la forme. Elle doit cependant être adoptée avant que je ne puisse la présenter aux leaders à la Chambre.

(La motion est adoptée)

La présidente: Je vous remercie beaucoup.

Passons maintenant à notre ordre du jour. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-9, Loi portent mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a.

• 0940

Nous entendons des professeurs de l'université McGill et de l'Université d'Ottawa. MM. Stephen Scott et Tom Flanagan enseignent à l'université McGill et M. Bradford Morse enseigne à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa.

Monsieur Scott, voulez-vous commencer?

M. Stephen Scott (professeur, Faculté de droit, Université McGill): Je vous remercie, madame la présidente.

Lorsqu'on m'a d'abord invité à comparaître devant le comité, j'ai eu l'impression qu'on me demandait de participer à une table ronde. J'ai accepté l'invitation qui m'était faite dans l'espoir que ce serait moi qui apprendrait quelque chose plutôt que vous parce que je n'ai malheureusement pas pu suivre le dossier autochtone ces dernières années.

Il y a quelques jours, j'ai appris qu'on me demandait de faire une présentation devant le comité. J'ai lu le projet de loi C-9 présenté en première lecture, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a, certaines parties de l'accord définitif lui-même ainsi que des documents d'information. J'ose donc vous faire part des observations qui me sont venues à l'esprit à la lecture de ces documents, observations qu'on peut regrouper sous les rubriques suivantes: justice historique, forces centrifuges dans le gouvernement de la fédération et primauté du droit.

Parlons d'abord de la justice historique. Pour ce qui est des droits fonciers qui sont accordés aux Nisga'as par l'accord définitif, j'ai l'impression que ces droits ne sont pas démesurés compte tenu du contexte historique global. Je crois qu'on aurait tort de contester cet accord en alléguant qu'on a enfreint l'important principe de l'égalité. Le respect du principe de l'égalité exclut l'idée qu'une personne qui a dû renoncer à sa propriété ne soit pas indemnisée.

Dans le passé, les peuples autochtones ont été trop souvent spoliés de leurs terres et privés de libertés civiles fondamentales comme celle de la liberté de religion et le droit à utiliser leur langue. Ce qui pour l'un constitue une révélation d'ordre divin est vu par un autre comme de la superstition. Les missionnaires, avec l'aide de l'État, dans les écoles et dans d'autres institutions, ont imposé insolemment aux Autochtones les croyances religieuses judéo-chrétiennes.

Il en va de même de la suppression de l'emploi des langues autochtones et des activités culturelles autochtones en vertu de la loi, comme la Potlatch Act. Ces mesures ont eu pour effet de priver certains Canadiens de droits dont tous les autres jouissent à juste titre.

En second lieu, les forces centrifuges du gouvernement de la fédération: Aucun défi ne saurait être plus complexe que celui de veiller à ce que les peuples autochtones puissent conserver une partie de leurs traditions tout en jouissant d'un niveau économique comparable à celui de l'ensemble de la population. Il me paraît évident que ce ne sera possible que si l'ensemble du pays est concurrentiel du point de vue économique, et le gouvernement doit être efficace pour atteindre cet objectif.

La diminution de la compétitivité du Canada ces dernières décennies s'est traduite, par exemple, par la dévalorisation de notre devise. Même dans la meilleure des conjonctures, les forces centrifuges sont si importantes que notre pays est pratiquement ingouvernable. Cela est dû selon moi à nos problèmes économiques. Dans la région des Balkans, on parle de canadianisation. Pour l'avenir, nous devons veiller à ce que les peuples autochtones partagent les richesses et non la pauvreté.

Il est dans l'intérêt de tous les Canadiens, y compris les Autochtones, d'en arriver à l'autonomie gouvernementale autochtone grâce à des moyens analogues à l'autonomie des municipalités, mais en vertu des pouvoirs législatifs fédéraux plutôt que par la création d'un tout nouvel ordre de gouvernement constitutionnalisé, avec un grand nombre de mini-États établis en vertu de la Constitution. Il n'y a aucune honte à occuper une place analogue, par exemple, à celle de Toronto, mais en relevant de la compétence du gouvernement fédéral.

Même si les dispositions gouvernementales prévues dans l'accord définitif constituent en général un point de départ acceptable, elles doivent à mon avis être modifiées à l'occasion par le Parlement du Canada. Il n'est pas précisé assez clairement comment les dispositions gouvernementales, par opposition aux droits fonciers, prévues dans l'accord définitif, seront constitutionnalisées aux termes des paragraphes 35(1) et 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982. Il ressort clairement de l'article 2 du projet de loi qu'il est souhaitable et prévu de constitutionnaliser en partie cet accord, et je pense que ce sera le cas.

Je remarque par exemple la déclaration qui se trouve à l'article 8 du chapitre 2, «Dispositions générales», de l'accord définitif—que l'accord ne modifie pas la Constitution du Canada, et notamment le partage des pouvoirs. Pourtant, bon nombre de dispositions de cet accord disent que les lois nisga'as l'emportent sur la législation fédérale et provinciale. Selon l'article 6 du projet de loi C-9, l'accord définitif l'emporte sur toutes lois provinciales ou fédérales, y compris celle-ci.

• 0945

Je pense qu'il faudrait bien préciser que, lorsqu'il aura été adopté et aura reçu la sanction royale, le projet de loi C-9 ne deviendra pas une loi inabrogeable. Je propose d'ajouter la disposition suivante:

    Pour éviter tout doute, il est déclaré que la présente Loi est adoptée sans préjudice pour le pouvoir législatif du Parlement du Canada, et pourra être modifiée, abrogée ou changée en conséquence par le Parlement du Canada; mais aucune loi de cette nature ne peut abroger ou modifier les titres fonciers ou la jouissance des terres autochtones, d'une manière qui serait illégale sans l'adoption du présent article, qui doit toujours faire partie intégrante de la présente Loi.

Notre siècle a vu de grands États se laisser aller au barbarisme. Certaines collectivités sont profondément vulnérables sur le plan du maintien d'un gouvernement constitutionnel. Les événements survenus en août 1838 à Terre-Neuve le prouvent bien: une altercation dans les rues de St. John's opposant un député de l'Assemblée, John Kent, et un chirurgien, le Dr Edward Kielley, a débouché sur l'arrestation de ce dernier qui a été accusé d'avoir violé les privilèges de la Chambre; la Chambre l'a fait mettre sous les verrous, puis il a été libéré par un juge de la Cour suprême, le juge Lilly; la Chambre a ensuite ordonné l'arrestation, non seulement du Dr Kielley mais aussi du chef de police et du juge Lilly lui-même qui, pendant l'exercice de ses fonctions, a été traîné hors de son cabinet et dans les rues de St. John's; et enfin, il y a eu prorogation de l'Assemblée législative par le gouverneur en vue de mettre fin à cette procédure. Tout le litige entourant cette affaire a donné lieu à une importante décision du Conseil privé.

Même si cet incident n'a absolument aucun rapport avec la capacité d'autonomie gouvernementale des Autochtones, cela explique pourquoi, à mon avis, tout comme les administrations locales, les petites polities comme les collectivités autochtones devraient rester sous la compétence souveraine d'un ordre supérieur de gouvernement.

Vient ensuite la primauté du droit. Étant donné le bilan insatisfaisant et parfois scandaleux des ordres supérieurs de gouvernement à cet égard, je m'inquiète des dispositions à première vue insuffisantes que renferment l'accord et le projet de loi C-9 en ce qui concerne l'intégrité et la permanence des archives législatives et administratives du gouvernement nisga'a et, en fait, l'absence de dispositions exécutoires concernant la publication des lois et décisions exécutives.

Dans le projet de loi C-9 proprement dit, le Parlement du Canada a donné le pire exemple qui soit, puisque l'accord définitif et les textes connexes, même s'ils doivent être publiés à part, ne sont pas joints en annexe au projet de loi. En pratique, les personnes qui consultent les lois canadiennes, tant au Canada qu'à l'étranger, n'auront pas accès à l'accord définitif ni aux autres textes, même si, en vertu du chapitre 4, cet accord va prendre force de loi et que, aux termes du chapitre 5, il lie les tierces parties qui peuvent s'y reporter avec confiance.

C'est bafouer la primauté du droit et c'est une véritable honte. Cela me tient tant à coeur que je pense qu'aucun député ni sénateur responsable ne pourra voter pour le projet de loi C-9, en tout cas tant qu'il n'est pas modifié en vue d'y annexer le texte de l'accord définitif—ainsi que les ententes auxiliaires, à mon avis.

Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer à vous, monsieur Flanagan, quand vous serez prêt.

M. Tom Flanagan (professeur invité d'études canadiennes, Université McGill): Merci, madame la présidente.

Si vous me permettez une précision, je suis professeur invité à McGill cet automne. Mon poste courant est celui de professeur de sciences politiques à l'Université de Calgary, où je dois retourner en janvier.

Vous avez déjà certainement entendu bon nombre d'analyses détaillées du Traité nisga'a faites par les partisans et les détracteurs de cet accord. J'aimerais aujourd'hui replacer celui-ci dans un plus vaste contexte. Il faut prendre une vue d'ensemble car le Traité nisga'a, s'il est approuvé, deviendra un modèle non seulement pour une foule d'autres accords en Colombie-Britannique, mais aussi, à mon sens, pour la reconduction des traités déjà en vigueur dans les autres provinces du pays.

Les partisans du Traité nisga'a disent qu'il n'est que l'aboutissement qui se faisait attendre depuis longtemps de la politique du Canada qui consiste à négocier des traités avec les peuples autochtones. Même si je comprends et respecte cet argument, je pense qu'il ne s'applique pas au contexte de la Colombie-Britannique moderne, où le Traité nisga'a s'écarte, de façon nouvelle et injustifiée, des traditions historiques du Canada en matière de traités.

Il y a cinq différences particulièrement importantes entre le contexte de la conclusion des traités antérieurs et les circonstances où se trouve la Colombie-Britannique d'aujourd'hui.

En premier lieu, les premiers traités ont été signés dès les tous débuts de la colonisation et à l'époque où la population blanche était très peu importante. Étant donné que les colons blancs n'avaient pas encore acquis de droits fonciers à l'égard de la terre, du bois, des minerais, du poisson et d'autres ressources, il était possible de mettre de côté d'importantes réserves foncières pour les Indiens sans empiéter sur les attentes bien légitimes des colons.

• 0950

Toutefois, la Colombie-Britannique compte aujourd'hui près de quatre millions d'habitants et une bonne partie de ses ressources naturelles ont déjà été allouées en vertu de divers permis, tenures et titres fonciers. Il sera impossible d'appliquer le modèle du Traité nisga'a à l'ensemble de la province sans empiéter sur certains de ces droits, ce qui exigera qu'on accorde des compensations onéreuses.

En second lieu, les populations autochtones étaient restreintes à l'époque de la signature des premiers traités, de sorte qu'il était possible d'allouer les réserves foncières sans susciter de graves conflits entre les tribus et les bandes. Cette situation, au même titre que la première, existait encore en grande partie lorsque les accords modernes de revendication territoriale ont été négociés au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest.

Par contre, il y a aujourd'hui plus de 100 000 Autochtones en Colombie-Britannique, et nombre de leurs revendications se chevauchent. Le peuple gitanyow conteste devant les tribunaux le Traité nisga'a, au moment même où la Chambre est appelée à l'approuver. À mesure que le processus ira de l'avant, ces litiges seront de plus en plus fréquents.

Troisièmement, les Autochtones signataires des premiers traités n'avaient pas encore reçu d'importants avantages de la Couronne. La terre, les fonds et les autres avantages conférés par les traités étaient censés les dédommager des droits de propriété qu'ils allaient céder en vertu des traités.

Par contre, les Autochtones de la Colombie-Britannique possèdent des réserves foncières depuis plus d'un siècle. Au cours de cette période, ils ont également joui de tous les avantages conférés par le gouvernement fédéral aux Indiens inscrits, en vertu de la politique et de la législation, et notamment l'exonération d'impôts, les soins médicaux, l'enseignement primaire et secondaire gratuit, l'aide financière pour les études postsecondaires, les programmes de développement économique et le logement subventionné.

Si l'on offre maintenant d'importants avantages supplémentaires aux Indiens de la Colombie-Britannique, sous forme d'espèces, de terres et de nouveaux droits à l'égard des ressources naturelles, cela va inévitablement créer une demande de la part des Autochtones des autres provinces qui voudront recevoir le même traitement. Le Traité nisga'a deviendra alors, sinon un modèle, en tout cas un précédent pour l'ensemble du pays et pas simplement la Colombie-Britannique.

Quatrièmement, les premiers traités n'étaient pas considérés comme une partie inaltérable de la Constitution canadienne. Le Parlement pouvait selon les besoins y apporter des modifications. L'adoption législative, en 1930, des accords sur le transfert des ressources naturelles en est un excellent exemple. En vertu de cette mesure, les droits de chasse et de pêche des Indiens ont été modifiés, voire accrus dans les trois provinces des Prairies.

Depuis cette époque, toutefois, l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités actuels. Il sera pratiquement impossible de modifier à l'avenir des accords comme le Traité nisga'a, sauf—et ceci est d'une importance cruciale—par le biais d'une interprétation judiciaire.

Nous avons été témoins dernièrement du bouleversement provoqué dans le secteur des pêches de l'Atlantique par une interprétation fantaisiste des traités micmacs par la Cour suprême du Canada. Le Parlement veut-il renoncer encore davantage à ses pouvoirs au profit des tribunaux en approuvant le traité nisga'a?

Si vous me permettez de m'écarter de mon texte écrit pendant un instant, je voudrais dire simplement que j'ai été frappé par le problème auquel le professeur Scott s'est heurté pour analyser l'avant-projet de loi et faire le lien avec l'article 35. Nous ne savons pas pour le moment quelles seront les répercussions de l'article 35 sur les accords contemporains de revendications territoriales, si ce n'est qu'il sera certainement très difficile, voire impossible de les modifier à l'avenir par des moyens conventionnels, de sorte que l'interprétation judiciaire sera la seule option possible pour les modifier à l'avenir.

Cinquièmement, et c'est le point le plus important, les premiers traités étaient censés être des accords provisoires. Ils avaient pour but d'aider les Autochtones à adopter un mode de vie civilisé. Les traités leur accordaient des terres sur lesquelles vivre, une aide économique au titre de l'agriculture et dans d'autres domaines ainsi que des écoles pour leur apprendre les usages de la civilisation occidentale. Le but final, clairement énoncé dans la Loi sur les Indiens, n'était pas de faire du Canada une confédération multinationale, mais de permettre aux Autochtones de s'émanciper. On partait du principe que, un jour, ils posséderaient des propriétés privées, concluraient des contrats, voteraient et se porteraient candidats à des postes politiques et, en général, vivraient une vie canadienne en étant assujettis aux mêmes lois que les autres sujets britanniques.

Le Traité nisga'a en revanche établit un régime de statut particulier et à tout jamais distinct. Les contribuables canadiens continueront de payer la note en vertu de transferts financiers dont aucune date d'échéance n'est prévue dans le traité. Dans l'intervalle, l'élite politique nisga'a administrera les terres et les ressources qui appartiennent à la collectivité, géreront un régime constitutionnalisé de gouvernement local et entameront des négociations rentables et interminables avec les autres ordres de gouvernement. C'est une formule qui permettra à l'élite de s'enrichir mais aux gens ordinaires de s'appauvrir.

• 0955

La présidente: Merci beaucoup, professeur Flanagan.

Professeur Morse, quand vous serez prêt, nous vous écoutons.

M. Bradford W. Morse (professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa): Mon optique est légèrement différente. Je pensais que nous participerions plutôt à une table ronde, mais peut-être celle-ci sera-t-elle animée par les opinions légèrement différentes qui seront exprimées par les témoins de ce matin.

La présidente: Permettez-moi de préciser une chose. Patrick Monahan et Peter Hogg se joindront à nous par vidéoconférence pendant l'heure du déjeuner. Nous entendrons donc deux autres personnes qui auraient participé à la table ronde du matin.

Allez-y.

M. Bradford Morse: C'est un honneur d'être invité à comparaître ici aujourd'hui. J'aimerais d'abord vous féliciter d'avoir entrepris ces importantes consultations, y compris les audiences de la semaine dernière en Colombie-Britannique. Bientôt, vous allez entreprendre une des tâches la plus importante de cette session parlementaire, une tâche qui à la fin de votre carrière paraîtra peut-être comme une des plus importantes contributions que vous ayez pu faire à notre pays.

Je me sens très humble en regardant ce tableau des pères de la Confédération. Tant de personnes m'ont précédé, surtout des représentants distingués de la Nation nisga'a, qui depuis des décennies travaillent sans relâche pour que justice soit faite comme elle a toujours été faite au Canada, c'est-à-dire par les négociations pacifiques.

Il y a plus de 112 ans, les chefs de la Nation nisga'a se sont rendus à Victoria en Colombie-Britannique pour entamer des négociations de traité avec le gouvernement provincial. Leur but était de se joindre à la Confédération, mais ils n'ont pas été acceptés. On leur a fermé les portes de l'Assemblée législative.

Il y a 86 ans, les chefs ont présenté une pétition au roi d'Angleterre et à son conseil privé, demandant qu'ils interviennent pour appuyer les négociations de traité. Cela aussi fut un échec. Et pendant tout le siècle, ils ont à maintes reprises essayé d'encourager le gouvernement fédéral à entamer des négociations, mais le gouvernement a toujours refusé. Il ne voulait pas faire l'acquisition des territoires des Nisga'as pour la province sans une participation par la province.

Mais même si nos gouvernements et nos citoyens ont refusé d'accepter que ces territoires appartenaient à la Nation nisga'a, et que nous n'avions aucun droit là-dessus sans un traité, cela ne nous a pas empêchés de saisir des vastes superficies de leur territoire traditionnel et de les exploiter pour en tirer un profit.

Pendant tout le processus, la Nation nisga'a a toujours agi avec honneur et dignité, comme un peuple qui a une culture et une histoire très riches. Leur conduite reflète aussi les meilleures traditions canadiennes: ils ont essayé d'arriver à un résultat qui est juste et équitable pour tout le monde par le biais d'un processus diplomatique et de négociations pacifiques.

C'est paradoxal: Nous les Canadiens, nous sommes tellement attachés à ces valeurs et nous les considérons comme faisant partie de nos ressources nationales—même si ce ne sont pas des ressources naturelles—mais ces valeurs étaient rarement apparentes dans la conduite de nos gouvernements fédéraux et provinciaux envers la Nation nisga'a pendant toutes ces années-là. La Nation nisga'a a été obligée d'aller jusqu'à la Cour suprême pour que la loi actuelle soit confirmée dans la célèbre décision Calder de 1973.

Dans cette décision, la Cour suprême a confirmé de façon unanime que le titre autochtone faisait partie et avait toujours fait partie de la doctrine de la common law sur laquelle était fondé la plupart du système de droit canadien. Mais même si la Cour était divisée au sujet de la continuation du titre autochtone pour la Nation nisga'a, les Nisga'as ont dû attendre encore 18 ans pour que la province accepte de commencer à négocier.

Cela a dû être très frustrant pour les chefs nisga'as comme Frank Calder: après toutes les dépenses, tout le travail et tout le risque qu'ils ont assumés pour amener leur cause jusqu'à la Cour suprême du Canada, et après avoir réussi à transformer les lois et les politiques s'appliquant aux Premières nations, les Nisga'as ne pouvaient pas profiter de ces changements. Ils devaient attendre pendant qu'on négociait des traités au nom du Québec, dans l'Arctique de l'Ouest, dans l'Arctique de l'Est, au Yukon, et dans la vallée du MacKenzie. Ils ont attendu patiemment pendant toutes ces années, sans laisser oublier aux Canadiens et surtout aux citoyens de la Colombie-Britannique qu'il y avait encore un dossier à régler.

• 1000

Malheureusement, un grand nombre de chefs nisga'as comme James Gosnell ne sont plus parmi nous pour voir le résultat de leurs efforts: on est arrivé à un accord de principe et on a signé un traité. Ce traité a été ratifié par les Nisga'as et par l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique, et maintenant c'est le Parlement du Canada qui en est saisi.

D'autre part, certaines des accusations scandaleuses, des mythes et des faussetés propagés par certains des critiques—je dis bien certains—ont tout lieu de peiner énormément et personnellement tous ceux qui ont consacré une bonne partie de leur vie à essayer de corriger de la façon la plus équitable qui soit cette violation de longue main des droits de la personne.

Je n'appartiens pas à la Nation nisga'a, et je n'ai jamais travaillé pour celle-ci; toutefois, je suis très perturbé d'entendre certains Canadiens parler des Nisga'as de façon très cruelle, brutale, voire raciste. Pourtant, je ne suis pas contre certaines critiques bien fondées, car je suis d'avis qu'il faut débattre seulement de la question. Toutefois, j'ai entendu beaucoup de choses proférées d'une façon tout ce qu'il y a de plus indigne des Canadiens.

La véritable critique est toujours la bienvenue, lorsqu'elle est faite de façon constructive et dite de bonne foi avec honnêteté. Malheureusement, je crains que ce qui passe pour une critique du traité soit en réalité l'illustration de la colère et de préjugés.

J'aimerais parler un peu pendant le temps qu'il me reste de certaines des faussetés qui sont trop souvent proférées.

La première, c'est celle de la taxation sans représentation. Affirmer que c'est ce qui se passera est injuste et faux, dans le cas des Nisga'as et des non-Nisga'as. Les Nisga'as verseront en effet des taxes aux gouvernements fédéral, provincial et nisga'a en vertu du paragraphe 1 du chapitre 16 de l'Accord. Les non-Nisga'as résidant dans la région paieront, pour leur part, des taxes aux gouvernements fédéral, provincial et régional, en vertu d'une entente avec le gouvernement régional public actuel ou tout successeur de celui-ci, sans en verser au gouvernement nisga'a, toujours en vertu du paragraphe 2 du chapitre 16.

Deuxième fausseté: le traité traite les gens différemment en fonction de leur race. Autrement dit, on crie à la distinction ou à la discrimination fondée sur la race. Cela aussi est faux. La grande question, que beaucoup de critiques du traité ne saisissent pas, c'est que les droits des Autochtones ne sont pas reconnus comme étant distincts en vertu de leur race, mais plutôt en vertu d'une autre situation telle que l'a reconnue la Cour suprême des États-Unis depuis au moins 170 ans: en effet, le fait que certains peuples aient eu un territoire depuis des temps immémoriaux et aient vécu sur celui-ci comme nation indépendante ayant son propre système juridique, culturel, religieux, linguistique et politique, les place dans une situation juridique unique aujourd'hui, et leur confirme le droit à l'autodétermination; cette confirmation traduit leur distinction comme entité politique et non comme groupe racial.

Troisième fausseté: l'accord ou la loi mine la Charte canadienne des droits et libertés. Il est ironique de constater que ceux qui prétendent cela sont souvent ceux qui attaquent la charte elle-même en prétendant qu'elle a accordé trop de pouvoirs à nos juges et leur permet désormais de casser les lois adoptées par les représentants élus. Toutefois, le traité lui-même porte spécifiquement que la charte s'applique au paragraphe 9 du chapitre 2, comme le confirme le préambule du projet de loi C-9.

On a affirmé, notamment ce matin, qu'il sera trop tard pour apporter des changements une fois que le projet de loi C-9 aura été adopté. C'est faux. Le traité contient une formule d'amendement, tout comme la Constitution du Canada, même si ni l'une ni l'autre de ces formules n'est facile à invoquer, comme il se doit. Si nous concédons qu'il s'agit là d'un accord fondamental, il va de soi qu'il ne devrait pas être possible de le modifier à la légère; de plus, les tribunaux canadiens auront le mot de la fin dans la façon dont le traité est interprété et appliqué désormais, de même qu'à propos de la légalité du traité, du projet de loi C-9 et de la façon dont il s'inscrit dans la Constitution.

À la veille d'un nouveau siècle, voire d'un nouveau millénaire, il faut reconnaître que les 500 dernières années en Amérique du Nord ont été remplies d'oppression, de colonialisme, de racisme et de visions mal inspirées de supériorité de la part des Blancs. N'y a-t-il pas de plus beau cadeau de fin d'année à faire aux Canadiens, et même à faire au reste du monde, que d'adopter ce traité, conclu à la suite de négociations ardues remplies de compromis qui ont sans doute passé pour des compromissions aux yeux de toutes les parties, et de proclamer l'accord définitif dans les termes prosaïques du paragraphe 4(1) du projet de loi, c'est-à-dire l'approuver, le mettre en vigueur, le déclarer valide et lui accorder force de loi.

• 1005

Transformer les relations politiques, juridiques et économiques entre une population majoritaire et une population minoritaire qui sont voisines et concitoyennes n'est pas simple, surtout à l'époque où nous vivons, lorsqu'on voit tout ce qui se passe ailleurs dans le monde. Le faire dans un désir de paix, avec bonne volonté et en tendant la main à son prochain est véritablement quelque chose qu'on peut fêter et partager.

Je vous remercie de votre attention.

La présidente: Je vous remercie. Je remercie également toutes les personnes qui ont présenté des exposés de ne pas avoir dépassé le temps qui leur était alloué.

Nous allons maintenant entamer les tours de questions de cinq minutes. Je rappelle au comité que je vais maintenant appliquer les règles édictées par ses membres. Ces cinq minutes comprennent la question et la réponse. La parole est à M. Scott du Parti réformiste, pour cinq minutes.

M. Mike Scott (Skeena, Réf.): Merci beaucoup, madame la présidente. Je remercie également toutes les personnes qui ont pris la parole devant nous aujourd'hui pour nous faire part de leur opinion.

J'aimerais adresser mes premières questions à M. Scott.

Monsieur Scott, ce que vous avez dit au sujet de la primauté du droit m'a beaucoup intéressé. J'ai deux questions pour vous. Tout d'abord, M. Hogg, que nous entendrons plus tard aujourd'hui, a écrit en 1992 que les ententes sur l'autonomie gouvernementale que signait le gouvernement du Canada étaient manifestement exclues de l'article 35. En d'autres termes, avant l'accord nisga'a, elles n'ont jamais été reconnues comme des droits autochtones ou des droits issus de traité. C'est la première fois où les droits à l'autonomie gouvernementale sont exprimés sous forme de droits issus de traité. D'après M. Hogg, on a procédé ainsi pour ne pas court-circuiter le processus de modification de la Constitution.

D'après vous, l'accord nisga'a, particulièrement les dispositions sur le gouvernement nisga'a court-circuitent-ils le processus de modification de la Constitution?

En réaction à ce qu'a dit M. Morse, j'aimerais également savoir ce que vous pensez de l'application de la charte, étant donné que l'article 25 de la charte impose aux tribunaux d'accorder davantage de poids, selon ce que disent bien des gens, aux droits collectifs figurant à l'article 35 plutôt qu'aux droits individuels exprimés dans la charte.

Pourriez-vous répondre à ces deux questions, je vous prie?

M. Stephen Scott: Certainement. Je pense que par votre première question, vous voulez essentiellement savoir s'il s'agit ou non d'une modification de la Constitution. J'approuve les conclusions de fond qu'a obtenues le gouvernement de la Colombie-Britannique du professeur Hogg et de M. Farley. Tout d'abord, le Constitutional Amendment Approval Act de la Colombie-Britannique ne s'applique pas, mais uniquement parce que cette loi ne concerne que les modifications apportées en vertu des articles 38, 41, 42 et 43. Je crois cependant que l'accord et la loi sont d'ordre constitutionnel et revêtent un caractère constitutionnel, et que certaines de leurs dispositions vont de toute façon, si on peut les détacher du reste, être constitutionnalisées en vertu du paragraphe 35(1), parce qu'au paragraphe 35(3), il est question des droits qui existent maintenant ou qui peuvent être acquis par le biais d'accords de revendication territoriale.

• 1010

Je ne saurais vous dire si les dispositions sur le gouvernement nisga'a peuvent être considérées comme essentiellement des accords de revendication territoriale, et je ne saurais vous dire non plus jusqu'à quel point elles pourraient être constitutionnalisées. Il y a là une zone grise. Cependant, il s'agit bien là d'une loi essentiellement de nature constitutionnelle, d'ordre constitutionnel, et le fait de savoir si les traités faisaient ou ne faisaient pas partie de la Constitution du Canada n'est pas vraiment pertinent. Cette question est réglée. Il s'agit plutôt de savoir si ce qui sera promulgué aura un effet sur la Constitution du Canada. Souvenez-vous que certaines parties de la Constitution du Canada sont promulguées par des lois fédérales et provinciales ordinaires, les paragraphes 44 et 45 de la Loi de 1982. Il y a donc certaines parties de notre constitution qui sont, si vous voulez, du droit ordinaire, modifiables par des lois ordinaires. La constitutionnalisation n'est donc pas un facteur déterminant pour savoir si ces dispositions feront partie ou non de la Constitution.

Je donnerais de l'article 25 une interprétation étroite, car je ne pense pas qu'il ait été rédigé pour aller à l'encontre des libertés et des droits fondamentaux, mais prétendre que c'est le cas simplement parce que certains droits sont énumérés dans la charte n'équivaut pas à aller à l'encontre de ces droits ou à les nier. Je suppose qu'on vise également à un certain rapprochement. Mais j'hésiterais énormément à donner à l'article 25 une interprétation ou à imputer aux tribunaux la volonté de donner à cet article une interprétation voulant que, d'une certaine façon, les traités autochtones et autres droits permettraient qu'on enfreigne la liberté de parole, la liberté de presse et la liberté de réunion.

Par conséquent, je reconnais qu'il y a un problème de clarté à l'article 25. Si j'avais eu à rédiger cet article, je ne l'aurais pas fait de cette façon. Je ne crois pas, toutefois, que les tribunaux vont permettre qu'il devienne un point d'attaque contre les libertés et les droits fondamentaux.

La présidente: Il vous reste cinq secondes.

M. Mike Scott: Essentiellement, diriez-vous que les tribunaux vont un jour avoir à se prononcer sur la question de l'application de la charte par rapport à l'article 35?

M. Stephen Scott: Je pense que tôt ou tard, les tribunaux vont être saisis de la question.

M. Mike Scott: Je vous remercie.

[Français]

La présidente: C'est à votre tour, monsieur Bachand.

M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Il est très intéressant d'entendre trois grands cerveaux adopter des positions différentes. Cela me fait dire qu'il s'agit souvent plus d'une question d'idéologie que d'une question de grande compréhension des enjeux. Il n'y a pas de doute que les trois témoins sont des personnes extrêmement intelligentes, et ils nous ont présenté des approches assez différentes.

Monsieur Scott, je comprends votre approche basée sur une perspective très juridique. Monsieur Morse, je dois vous avouer que votre présentation est celle qui se rapproche le plus de mon point de vue et que ses quatre pages représentent le meilleur résumé que j'ai lu. Naturellement, M. Flanagan a probablement présenté la position qui diverge le plus de la mienne.

Puisque je comprends bien les positions des autres témoins, je vais plutôt m'attarder à vous, monsieur Flanagan, non pas parce que je ne vous aime pas ou que je considère que vous n'avez pas raison, mais parce que votre position est vraiment à l'opposé de la mienne.

J'aimerais vous poser quatre questions au sujet de votre mémoire. Je devrai peut-être vous poser certaines d'elles lors du deuxième tour.

À la page 1, vous dites que le traité nisga'a risque de servir de modèle à des douzaines d'autres traités à l'avenir. Depuis que je siège au Parlement canadien, j'ai été témoin des ententes avec les gens du Yukon et du Nunavut. En 1975, on signait au Québec la Convention de la Baie James. Ces précédents traités sont tous différents de celui que nous étudions aujourd'hui parce qu'ils ont tous été négociés par des nations différentes, selon leur propre approche. Je doute qu'on puisse affirmer que ce traité servira de modèle aux traités futurs.

• 1015

À la page 2, on lit:

[Traduction]

    ils ont également reçu tous les avantages conférés par le gouvernement fédéral [...]

[Français]

Mais vous n'avez pas fait état de toute la question du contrat social de l'époque. Il ne faut pas oublier que les autochtones étaient là à cette époque et que les tribunaux ont reconnu qu'ils avaient des droits puisqu'ils étaient arrivés les premiers. Si on a décidé de payer pour la santé et l'éducation, c'est peut-être parce qu'on a pris leurs terrains et les ressources naturelles qui s'y trouvaient et que nous nous sommes enrichis, tandis qu'ils se sont appauvris.

Je m'oppose au plus haut point à une de vos affirmations qui figure à la page 3 et qui a trait aux traités. Vous y affirmez que:

[Traduction]

    Ils avaient pour but d'aider les Autochtones à adopter un mode de vie civilisé.

[Français]

À mon avis, il s'agit d'une gifle aux nations autochtones. Je me souviens du projet de loi 69 que M. Trudeau avait essayé de déposer à la Chambre et de la levée de boucliers de la part des autochtones du Canada qui considéraient être des nations et qui s'opposaient à toute forme d'assimilation. Le pire est probablement le fait que vous avez raison; lors de la signature de traités, les Blancs avaient probablement pour but de civiliser les aborigènes. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut envisager des ententes qui aillent beaucoup plus dans la voie de celle qu'on étudie ici aujourd'hui.

À la fin de votre mémoire, vous dites:

[Traduction]

    C'est une formule qui permettra à l'élite de s'enrichir mais aux gens ordinaires de s'appauvrir.

[Français]

Vous faites ici allusion aux autochtones. Encore une fois, on retrouve ici la traditionnelle attaque contre le leadership autochtone, et je ne suis pas d'accord avec vous. Ces gens-là sont élus. Je reconnais qu'il y a possibilité d'abus, mais une telle généralisation me paraît très difficile à accepter.

Je suis conscient que vous n'aurez pas le temps de répondre à mes quatre questions, mais nous pourrons y revenir lors du deuxième tour.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Flanagan, je vous en prie.

M. Tom Flanagan: Examinons les quatre questions qui ont été posées. Tout d'abord, le Traité nisga'a est-il un modèle pour les traités de l'avenir? Pas en détail, bien sûr, parce qu'il présente une combinaison unique de considérations territoriales et financières et d'autres aspects des ressources naturelles qui ne pourraient être repris nulle part. Par contre, je pense que les négociateurs représentant les autres peuples autochtones vont utiliser leurs calculatrices, et ils pourront voir la valeur globale du Traité nisga'a selon une formule ou une autre. Ils vont chercher à obtenir un règlement qui sera au moins aussi généreux. La façon dont les choses se présenteront à l'avenir sera certainement différente, mais je pense que le traité constituera un précédent. Je pense l'avoir clairement dit: ce ne sera peut-être pas un modèle, mais ce sera un précédent.

Deuxièmement, au sujet de la justification des avantages, je n'essayais pas de déterminer s'il s'agissait d'une bonne idée d'accorder ces avantages particuliers. Certains d'entre eux étaient peut-être justifiés, d'autres peuvent avoir été mal conçus. Tout ce que je veux dire, c'est que pendant tout ce temps on a accordé des avantages substantiels au peuple nisga'a, de même qu'aux autres nations autochtones de Colombie-Britannique. On ne peut pas dire qu'ils n'ont rien reçu du gouvernement pendant toutes ces années.

En ce qui a trait à la troisième question, sur la civilisation, je pense qu'il s'agit là d'un point fondamental et qu'il faudrait y accorder une certaine réflexion. C'est devenu une habitude, aujourd'hui, pour les gens qui écrivent à propos des questions autochtones, de mettre le mot «civilisation» entre guillemets. C'est ce que nous, du monde universitaire, nous appelons des guillemets de sarcasme, comme si le concept de civilisation était devenu vide de sens. Pourtant il s'agit là d'un concept très important. Il renvoie à un mode d'organisation de la société basé sur l'agriculture intensive permanente, à la sédentarisation urbaine, à la division du travail, aux institutions gouvernementales, aux lois écrites, et à tous ces autres usages qui sont la marque de la civilisation.

Cela ne veut pas dire que les peuples non civilisés ont moins de valeur ou qu'ils ne sont pas des êtres humains. Cela signifie plutôt que la civilisation est un produit de l'histoire, et que ce concept a été graduellement adopté partout dans le monde. Les peuples autochtones du Canada l'ont également adopté à la suite de leur contact avec les nouveaux venus européens. L'objectif des traités et de la Loi sur les Indiens, promouvoir la civilisation, a été atteint dans une certaine mesure. Il n'a pas été entièrement atteint, ou alors nous ne saurions pas en train de tenir cette discussion.

• 1020

À mon avis, il ne faut pas rejeter le concept de civilisation. Sans lui, il devient parfaitement impossible de comprendre la politique qu'a appliquée le Canada envers les peuples autochtones au fil du temps.

Enfin, en ce qui a trait à l'enrichissement de l'élite...

Combien de temps me reste-t-il?

La présidente: Il ne vous en reste pas plus.

M. Tom Flanagan: Voulez-vous que j'arrête?

La présidente: Monsieur Bachand, par souci d'équité, pourrions-nous revenir à cette quatrième question lorsque ce sera à nouveau votre tour? Merci beaucoup.

Madame Davies, allez-y, je vous en prie. Vous avez cinq minutes.

Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci, madame la présidente.

Je remercie nos témoins.

Tout d'abord, monsieur Morse, j'ai bien aimé ce que vous avez dit, surtout à propos de la bonne volonté. Je crois que vous avez conclu sur cette note. C'est une chose toute simple, mais combien canadienne. Le présent débat a parfois tourné au vinaigre, avec ce qui s'est passé à la Chambre des communes de même qu'à certaines des audiences. J'ai donc été très heureuse de vous entendre dire que nous devons régler cette question et aller de l'avant dans un esprit de bonne volonté. On n'en parle pas assez, et je crois que c'était un bon commentaire.

J'aimerais adresser ma question à M. Flanagan. Votre exposé m'a réellement surprise. Je ne sais pas si vous êtes un expert dans le domaine et j'ignore quelle est votre expérience de la question, mais il me semble que vos commentaires tournent autour de l'idée qu'il y a nous et eux.

Je regarde ce que vous avez écrit dans votre mémoire, par exemple: «Si l'on offre maintenant d'importants avantages supplémentaires aux Indiens de la Colombie-Britannique, sous la forme d'espèces, de terres et de nouveaux droits à l'égard des ressources naturelles...». Personnellement, j'y vois l'idée que nous sommes les propriétaires, et que nous offrons ou donnons quelque chose. Tout ça, c'est à nous, et nous le donnons aux Indiens.

Je suis franchement surprise par le ton que vous utilisez et les conclusions auxquelles vous arrivez, parce que je pense qu'il est clair, du point de vue historique, que les Nisga'as, en tant que peuple autochtone, n'ont jamais renoncé à quoi que ce soit. Ils avaient des revendications territoriales, et ce processus de traité consistait à négocier la gestion des ressources.

Durant notre passage à Vancouver, nous avons entendu un exposé très intéressant, que je vous encourage à lire si vous suivez les travaux du comité, de la part de M. Rod Dobell, professeur de politique publique à l'Université de Victoria. Il a très bien expliqué que cette question, en réalité, tournait autour de la gestion des ressources. Il a également expliqué de façon détaillée en quoi cette question n'avait rien à voir avec ce que nous avons et ce que nous donnons. J'aimerais bien avoir votre avis là-dessus, de même que sur cette idée, dont vous n'êtes pas très éloigné, à mon avis, à savoir que ce qui va se passer avec le Traité nisga'a va s'appliquer à toute la province, et que tout le monde va faire la queue pour recevoir d'énormes sommes.

Je pense que vous simplifiez de façon exagérée un processus incroyablement complexe, c'est-à-dire les vingt ans de négociations basées sur les conditions qu'a vécues le peuple nisga'a au fil de l'histoire, de même que sur la question de leur environnement, de leurs terres d'aujourd'hui. En arriver à cette idée que le traité va avoir un effet d'entraînement dans toute la province... là encore, je suis étonnée de vous entendre dire de telles choses. On peut s'attendre à de telles choses de la part des réformistes, mais je suis surprise de les entendre de votre bouche.

La présidente: Allez-y, monsieur.

M. Tom Flanagan: Vous posez plusieurs questions en même temps.

Pour commencer par la dernière, je ne vois pas pourquoi qui que ce soit devrait s'étonner. Je ne vois rien d'extraordinaire à constater qu'il y a des dizaines de peuples autochtones en Colombie-Britannique. Tous ont des revendications. Le Traité nisga'a représente un premier règlement. Tout le monde sait qu'on va tenter d'en obtenir bien d'autres. Comme je l'ai déjà dit, ils ne seront peut-être pas identiques sur le plan des détails, mais qu'il s'agisse de conventions collectives ou de n'importe quelle autre entente, les négociateurs se tournent toujours vers le passé pour voir ce qu'on a pu obtenir auparavant.

Je ne puis donc que répondre à cela que je trouve surprenant de voir un député fédéral se surprendre qu'on songe à l'avenir. Je ne vois pas ce que l'on peut faire d'autre. Mais je recommande aussi à votre comité de ne pas songer qu'à la Colombie-Britannique. La question est beaucoup plus vaste que cela. Il n'y a pas eu d'accord de cession de terres dans la plupart des régions du Québec ou des provinces de l'Atlantique. Je pense que ce processus que l'on envisage en Colombie-Britannique s'implantera un jour dans la plupart des régions du Canada oriental. En outre, l'on a conclu des accords de cession de terres dans les provinces des Prairies et en Ontario, mais ces traités sont tous contestés devant les tribunaux pour des raisons que je ne pourrais pas expliquer dans les vingt secondes qu'il me reste.

• 1025

Selon l'orientation des jugements futurs, l'on pourrait fort bien exiger plus tard la renégociation des accords fonciers dans les trois provinces des Prairies et en Ontario. Encore là, comme il s'agit du précédent le plus récent, le Traité nisga'a exercera une grande influence, il ne s'agit donc pas d'un accord ponctuel pour lequel on n'a qu'à signer un chèque pour clore le tout. Nous sommes au début d'un processus qui sera très long.

La présidente: Merci.

C'est maintenant au tour de M. Keddy, s'il vous plaît.

M. Gerald Keddy (South Shore, PC): Merci, madame la présidente.

Je tiens aussi à souhaiter la bienvenue à nos témoins. Vous nous avez donné des exposés très intéressants, et jusqu'à présent, le débat a été également intéressant. J'aimerais partir de la dernière observation qu'a faite le professeur Flanagan, et qui concerne le Canada atlantique et le Québec, et aussi le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse en particulier.

Il me semble qu'il y a un élément dans ce processus, et c'est certainement une partie de la raison pour laquelle je considère que ce traité est un pas en avant, qui tient au fait même que nous n'avons pas cédé de terres dans le Canada atlantique et que les contestations se poursuivent devant les tribunaux. Au bout du compte, je ne pense pas que qui que ce soit peut dire de quoi demain sera fait dans le Canada atlantique. Chose certaine, la plupart d'entre nous ont lu avec intérêt le tristement célèbre jugement Marshall. Le fait est que la Cour suprême du Canada n'a pas vraiment tracé l'avenir avec ce jugement; elle s'est simplement contentée de rendre son jugement.

Nous avons demandé à la cour d'y voir de nouveau. Même si elle a dit qu'elle ne reviendrait pas sur son jugement, elle a écrit 30 pages pour dire pourquoi elle n'y reviendrait pas. Elle a motivé son jugement plus longuement dans son texte, et la cour a dit clairement que son jugement portait strictement sur la pêche, la chasse et la cueillette, elle a dit que dans le cas de la «cueillette», il s'agissait bel et bien de baies—et je ne m'écarte pas du sujet ici, madame la présidente. Ce qui est intéressant ici, c'est ce que l'on ne dit pas—même si on y fait allusion—et il s'agit du fait qu'il y aura d'autres contestations devant la Cour suprême dans le Canada atlantique.

Laissez-moi vous dire à quoi je veux en venir ici, professeur Flanagan. Si vous regardez l'histoire de nos contacts, et si vous regardez les divers traités qui ont été signés et l'évolution de ce processus jusqu'à ce jour, si nous ne nous engageons pas dans un processus moderne de négociation des traités, serons-nous contraints par les tribunaux de nous engager dans un processus semblable, ou allons-nous nous faire dicter des choses qu'aucun groupe n'acceptera?

M. Tom Flanagan: Je crois qu'il se développe en ce moment deux voies de jurisprudence dans le Canada atlantique. L'une est ce que j'appellerais une réinterprétation hardie des traités du XVIIIe siècle—nous en avons vu un exemple dans l'affaire Marshall—et l'autre est une voie de jurisprudence qui vient de naître et qui se développe à un niveau beaucoup plus bas. Cette voie est semblable en principe aux thèses que l'on a avancées en Colombie-Britannique: à savoir que le titre foncier n'a jamais été cédé, et que par conséquent, les peuples autochtones des provinces atlantiques conservent encore ce titre. Cet argument a trait aux droits ancestraux et non aux droits issus des traités. Ces deux voies se développent, c'est un fait, et l'on ne sait pas encore sur quoi elles déboucheront.

La présidente: Monsieur Keddy, il vous reste deux minutes.

M. Gerald Keddy: Si l'on accepte ce fait et que l'on revient à la situation que nous examinons, c'est-à-dire les événements d'autrefois en Colombie-Britannique et les événements d'aujourd'hui, il faut reconnaître que nous avons décidé dans le passé de négocier des traités, et toutes les parties étaient d'accord. Nous avons maintenant devant nous le résultat de ces négociations.

Je comprends les réserves de M. Scott relativement à la Constitution et à la Charte des droits et libertés, et je comprends son interprétation. Pour ceux d'entre nous qui siègent ici, dont la majorité ne sont pas des avocats, des experts en droit ou en droit constitutionnel, il est toujours intéressant d'entendre une autre définition constitutionnelle. Mais chose certaine, il y a d'autres questions en suspens, et je crois que cette question-ci ne sera pas clairement résolue tant que les tribunaux n'auront pas tranché, et qu'un groupe aura pris cette décision. Il y aura peut-être une modification plus tard. Si l'on s'adresse à la Cour suprême, cependant, une décision finale sera prise, si je comprends bien.

• 1030

Mais pour en venir au processus, si l'on accepte le fait que les Autochtones ont des droits dans notre pays—ce qui a été confirmé auparavant par les tribunaux et qui a été réglé, même si l'on peut dire tout ce qu'on veut—et si l'on accepte le fait qu'il existe un titre autochtone dans notre pays, comment pouvons-nous poursuivre ce processus sans affirmer cela dans le cadre du processus contemporaine de négociation des traités? N'importe quel d'entre vous peut répondre.

La présidente: Monsieur Keddy, choisissez quelqu'un. Il vous reste 15 secondes. Qui voulez-vous voir répondre?

M. Gerald Keddy: Allez-y, Monsieur Scott ou un autre.

M. Steven Scott: Je n'ai aucun mal à accepter les concessions foncières ou la constitutionnalisation des concessions foncières. Parlons franchement, les Autochtones ont été volés, et il est grand temps qu'on les indemnise—qu'on les indemnise même généreusement.

Je n'ai même aucun mal à accepter les pouvoirs du gouvernement nisga'a s'ils sont modifiables de temps à autres de la manière dont l'on modifie les pouvoirs des gouvernements locaux. Ce que j'ai du mal à accepter, c'est la création potentielle de 100 ou 500 ou 1 000 mini-États disposant de pouvoirs quasi souverains qui sont inaltérables en droit constitutionnel. Essentiellement, cela rendra le pays encore plus ingouvernable qu'il ne l'est déjà, avec une série interminable de litiges, de négociations et de différends, que le pouvoir législatif ne pourra jamais résoudre. C'est l'idée de l'autonomie gouvernementale, et particulièrement de la constitutionnalisation éventuelle des dispositions connexes, que j'ai du mal à accepter.

La présidente: Merci beaucoup.

M. Finlay posera les dernières questions du premier tour. Je vous en prie allez-y.

M. John Finlay (Oxford, Lib.): Merci, madame la présidente. Je tâcherai d'être bref.

Je tiens à remercier nos témoins. Nous avons entendu des témoignages intéressants pendant cinq jours, et vous nous avez donné un autre jour de témoignages intéressants ainsi que des points de vue différents. Dans l'ensemble, je suis d'accord avec l'opinion générale de M. Bachand sur ce que vous avez dit, mais je tâcherai de poser des questions un peu plus précises.

Professeur Flanagan, je constate qu'ou bien vous en savez plus sur l'histoire que moi—et c'est probablement le cas—ou alors il y a peut-être quelque chose que je n'ai pas compris. Dans votre premier énoncé, au troisième paragraphe, vous dites:

    Étant donné que les colons blancs n'avaient pas encore acquis de droits fonciers relativement aux terres, au bois, aux minerais, aux poissons et à d'autres ressources, il était possible de mettre de côté des réserves de terre substantielles pour les Indiens [...]

Est-ce qu'on a fait ça en Colombie-Britannique? Je ne le savais pas. Je pensais que le gouverneur Douglas avait acheté des terres sur l'île de Vancouver. À part ça, personne ne reconnaissait que les Indiens, les Autochtones, possédaient des terres. Chose certaine, c'est l'impression que j'ai.

Deuxièmement, vous dites que «des accords de revendications territoriales modernes ont été négociés au Yukon ou dans les Territoires du Nord-Ouest». Ces accords étaient-ils mal inspirés? Est-ce qu'ils vont nous donner du fil à retordre? Vous dites ensuite: «par contraste, il y a plus de 100 000 Autochtones dans la Colombie-Britannique moderne». Eh bien, professeur Flanagan, il y a plus de 800 000 Autochtones au Canada, je dirais donc qu'il n'y en a pas plus en Colombie-Britannique qu'ailleurs.

Pour ce qui est de leurs nombreuses revendications qui se chevauchent, c'est tout à fait vrai. Ils vivaient dans toutes les régions du pays. Ils vont naturellement faire valoir qu'ils étaient là les premiers, quelle que soit la région. Les Inuits étaient sur des radeaux de glace, et ils vont les réclamer aussi. Toutefois, je pense que nous avons assez bien réglé cette question avec le Nunavut. Je n'ai donc aucune préoccupation du fait que bon nombre de leurs revendications se chevauchent. Mais de dire, cependant, qu'ils s'imaginent par conséquent qu'ils vont arracher par la négociation tout le pays à 30 millions d'autres personnes, c'est... Ils ne sont quand même pas fous à ce point-là, et pour commencer ce n'est pas ce qu'ils essaient de faire.

Si je comprends bien votre point de vue, nous avons dépensé presque en pure perte l'argent que nous avons consacré à la Commission royale sur les peuples Autochtones. Il me semble que c'est ce qu'a dit ma collègue Libby Davies, elle et Claude Bachand: ce que les peuples autochtones recherchent, c'est le respect, la reconnaissance, la responsabilité, le partage, le fait de devenir des citoyens à part entière de notre pays; ils ne cherchent pas à devenir les seuls propriétaires fonciers du Canada.

• 1035

Par contraste, vous dites ici dans votre troisième paragraphe que les Autochtones de Colombie-Britannique disposaient de réserves de terre depuis plus d'un siècle. Vous allez devoir me montrer où se situaient ces réserves de terre, professeur Flanagan. Je ne savais pas que ça existait en Colombie-Britannique. Voici donc une autre question: où sont ces réserves de terre?

Je trouve votre dernier paragraphe sur la Loi sur les Indiens très modéré en ceci que vous dites que c'était de toute évidence une loi visant... Le commissaire en chef et poète, M. Duncan Campbell Scott—sauf tout le respect que je vous dois, monsieur—a dit que la Loi sur les Indiens visait essentiellement à faire des Indiens de petits Canadiens, à gommer chez eux les langues autochtones, leur spiritualité et leurs rites. Cette loi a été un échec total et lamentable. On en est au point où cela se voit non seulement dans toutes les régions du Canada mais aussi partout ailleurs dans le monde.

J'étais en Australie l'été dernier. En Australie, on a mis de côté de vastes réserves de terre pour les Aborigènes, qui non seulement possèdent un titre foncier complet sur ces terres, mais aussi peuvent en exclure les autres Australiens s'ils le veulent.

Les Nisga'as ont des droits collectifs en fief simple sur 2 000 kilomètres carrés de terres alors qu'ils réclamaient 87 000 kilomètres carrés de terres ancestrales, et ils ne peuvent en exclure personne. Ce traité ne leur donne pas... tous les autres y ont accès. Vous voulez peut-être répondre à cela, monsieur.

La présidente: Professeur Flanagan.

M. Tom Flanagan: En réponse à votre première observation, il y a plus de 1 000 réserves indiennes en Colombie-Britannique. Je n'en connais pas le nombre exact, mais elles leur ont été allouées à divers moments dans l'histoire. En moyenne, elles sont plus petites que les réserves que l'on trouve dans les provinces des Prairies, mais elles sont très nombreuses. Je ne crois pas que l'on se trompe en disant que peut-être plus de la moitié des réserves au Canada sont situées en Colombie-Britannique.

Deuxièmement, pour ce qui est de savoir si les traités des territoires sont bien inspirés, je ne conteste pas cela, pour les raisons que j'ai tâché d'énumérer ici, je parle de la Colombie-Britannique.

Pour ce qui est du reste, il s'agit davantage d'observations que de questions, je vais donc peut-être m'arrêter ici.

La présidente: Si les membres du comité persistent à employer leur temps de parole pour faire des observations, qu'ils ne s'attendent pas à ce que la présidente leur donne un temps infini pour une question qu'ils poseront dans les deux dernières secondes. Cette aimable rappel étant fait, nous allons entreprendre le deuxième tour.

Monsieur Konrad, allez-vous prendre vos cinq minutes maintenant?

M. Derrek Konrad (Prince Albert, Réf.): Oui, madame la présidente.

Il m'est difficile de savoir où commencer. J'aimerais commencer par l'Accord de Charlottetown, qui a été bien sûr repoussé par une majorité de Canadiens. Dans ce texte, il y avait une disposition relative aux accords. Il y est dit que les accords d'autonomie gouvernementale doivent être définis dans les traités futurs, et cela comprend les accords de revendications territoriales ou les modifications aux traités existants, qui comprennent aussi des accords de revendications territoriales.

Si l'Accord de Charlottetown a été repoussé dans sa totalité et que l'on essaie maintenant d'en raviver certains éléments par l'entremise, disons, d'accords comme celui des Nisga'as—et je songe particulièrement à l'intégration des accords d'autonomie gouvernementale dans les traités—ne sommes-nous pas en train de nier la volonté de ces Canadiens qui ont dit non à l'Accord de Charlottetown? Ils ont dit non aux liens entre les accords d'autonomie gouvernementale et les accords de revendications territoriales.

Je pose cette question au professeur Scott.

M. Stephen Scott: Quand on a un texte massif comme celui de l'Accord de Charlottetown, chacun a un vote et décide ce qu'il aime ou n'aime pas. On aime l'ensemble du texte ou l'on aime chacun de ses éléments, ou on l'aime suffisamment pour voter oui, ou on vote non parce qu'on ne l'aime pas assez—diverses raisons interviennent. Le fait qu'un texte massif soit repoussé ne veut pas dire qu'il n'y a pas un seul élément dans ce texte qui aurait pu recevoir l'approbation du pays tout entier ou de certaines régions du pays.

• 1040

Je préférerais de beaucoup examiner le bien-fondé de chaque élément en particulier plutôt que d'y voir une volonté populaire générale s'opposant à l'ensemble de l'Accord de Charlottetown... auquel je me suis opposé moi-même pour des raisons radicalement différentes, par exemple, de celles, disons, du Parti québécois, même si la plupart des anglophones québécois ont voté en faveur de cet accord. Il y avait de nombreux aspects que je n'aimais pas, tout comme il y avait certains éléments de l'Accord du lac Meech que je n'aimais pas, mais cela ne veut pas dire que d'autres éléments ne seraient pas acceptables, et ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas se pencher sur le bien-fondé de chaque élément.

Je crois donc sincèrement qu'il est plus profitable d'examiner chaque élément au lieu de dire: «Eh bien, le pays a rejeté l'Accord de Charlottetown»—ce qui est vrai—«par conséquent, il a rejeté chaque élément de l'Accord de Charlottetown.» Je ne crois pas que l'on puisse parvenir à une telle conclusion, pour ce qui est de savoir ce que le public canadien pensait de chaque élément de l'Accord de Charlottetown.

La présidente: Monsieur Konrad.

M. Derrek Konrad: Je crois savoir que la communauté autochtone a également voté contre l'accord, comme on l'a vu lorsqu'on a ventilé les statistiques. L'on peut me corriger ici, mais c'est ce que j'ai compris. Par conséquent, il me semble qu'il aurait été sage, et qu'il serait encore sage, de faire une autre ventilation sur ce point.

M. Stephen Scott: Je serais d'accord pour faire une ventilation, mais je procéderais selon le bien-fondé de chaque disposition, et non pas selon la teneur de l'ensemble de l'accord.

M. Derrek Konrad: Fort bien.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique réclame un référendum, et bien des gens en réclament un aussi, désir qu'ils ont exprimé par l'entremise de sondages privés, de référendums, d'instruments de cette nature. Je sais bien que vous êtes ici à titre d'expert constitutionnel et non de commentateur politique, mais vous semblerait-il sage de procéder ainsi pour obtenir une approbation générale?

M. Stephen Scott: Je ne suis pas catégoriquement pour ou contre un référendum. Je sais que si les gens aiment certaines choses, et s'ils pensent les obtenir en tenant un référendum, ou s'ils n'aiment pas certaines choses et pensent qu'ils pourront les éviter en tenant un référendum, alors ils décident dans un sens ou dans l'autre. Je suis un peu prudent pour ce qui est du recours aux référendums, et je crois qu'il faut en user avec économie, mais les référendums ont un rôle à jouer, selon que la population est profondément divisée ou non, et je ne crois pas qu'il serait contre-indiqué de tenir un référendum. Par contre, je ne crois pas que ce soit une nécessité absolue.

Je crois en effet que la loi de la Colombie-Britannique, comme je l'ai dit plus tôt, n'exige pas la tenue d'un référendum, parce que personne n'a proposé de résolution conduisant à un amendement en vertu de la partie 5, et par conséquent, la loi de la Colombie-Britannique, la Constitutional Amendment Approval Act, ne s'applique tout simplement pas.

La présidente: Monsieur Konrad, je vous ai entendu dire «le gouvernement de la Colombie-Britannique».

M. Derrek Konrad: Excusez-moi, c'est le Parti libéral.

La présidente: Très bien. Il fallait que ce soit clair de votre part, parce que c'est ce que dit maintenant le procès-verbal. Merci beaucoup. Allez-y.

M. Derrek Konrad: Je crois en avoir terminé pour ce tour-ci.

La présidente: Très bien. Nous allons passer à M. Iftody parce que nous en sommes maintenant au deuxième tour.

M. David Iftody (Provencher, Lib.): Je tiens seulement à donner avis à la présidente qu'au prochain tour, M. O'Reilly suivra du côté gouvernemental, si je ne l'ai pas déjà dit.

Merci beaucoup, messieurs, pour vos exposés.

Je veux poser mes questions au professeur Morse, et en particulier, je veux reprendre immédiatement la question de M. Konrad à M. Scott concernant la modification constitutionnelle.

Je crois avoir compris les notes du professeur Scott, et le professeur Morse lorsqu'il a dit qu'à son avis, l'article 25 n'est ce qui pourra servir de point d'attaque contre des piliers importants de la Charte.

Je crois qu'au point 3 de votre exposé, vous parlez aussi de la charte.

En outre, le professeur Flanagan y a fait allusion de manière générale au point 4 de son exposé, mais il a dit que les traités n'avaient pas originalement de caractère constitutionnel lorsqu'ils ont été signés, du moins on n'avait pas l'intention de leur accorder le même genre de protection en vertu du paragraphe 35(1).

• 1045

Alors précisons tout cela pour les fins de la discussion et pour plus de clarté, parce que tout ce brouhaha que l'on fait en Colombie-Britannique et au sein du Parti réformiste au sujet d'un référendum est basé essentiellement sur une modification constitutionnelle. Autrement dit, la signature de ce traité déclenche un effet de dominos important qui ouvre toute grande les portes de la Constitution, enclenchant ainsi la formule d'amendement nécessaire à l'intérieur de la Colombie-Britannique et peut-être partout au pays.

M. Scott vient de préciser qu'à son avis, la partie 5 du processus d'amendement n'intervient pas, par conséquent, toute la question d'un référendum en Colombie-Britannique ne se pose pas.

À ce sujet, pouvez-vous expliciter votre pensée de telle manière que les membres de notre comité et le public comprennent mieux tout ce concept?

Ce traité attente-t-il à la charte, et deuxièmement, peut-il servir de point d'attaque en vertu de l'article 25 pour contester la Charte ou une modification constitutionnelle?

La présidente: Monsieur Morse.

M. Bradford Morse: Je me ferai un plaisir de répondre. Je dirai d'abord que je suis d'accord avec le professeur Scott qui a fait siennes les opinions juridiques qui ont été émises auparavant, à savoir que la loi référendaire de Colombie-Britannique ne s'applique pas du fait de cet accord.

Je pense aussi qu'il a raison lorsqu'il dit que l'accord a une certaine saveur constitutionnelle. Je crois qu'il a parlé de «nature constitutionnelle». C'est exact. Chaque fois que la Couronne et un groupe autochtone concluent un traité, ce traité a une «nature constitutionnelle» en vertu de l'article 35.

Cependant, on peut en dire autant de nombreux autres accords fédéraux-provinciaux. Ils ont une saveur constitutionnelle parce qu'ils ont un effet sur la distribution des pouvoirs entre ces deux ordres de gouvernement. Ce n'est pas comme dire qu'ils constituent des modifications à la Constitution.

Cet accord va ajouter un contenu et, franchement, va modifier une partie du contenu. À l'heure actuelle, sans ce traité, les Nisga'as sont en mesure de faire valoir qu'ils ont des droits sur leur territoire traditionnel qui serait reconnu par les tribunaux canadiens.

Par conséquent, ces droits ancestraux sont protégés aujourd'hui par l'article 35 de la Constitution. Ce qu'ils ont fait avec ce traité, de concert avec les deux Couronnes au Canada, la fédérale et la provinciale, c'est transformer le contenu de leurs droits en vertu de l'article 35 en passant d'un ensemble de droits purement ancestraux à ce qui va devenir un régime essentiellement basé sur l'accord qui a été négocié. C'est donc un changement à ce qui est protégé par la Constitution, mais cela ne constitue pas pour autant une modification à la Constitution.

L'article 25 existe depuis 1982. Je me souviens très bien des grands débats qui ont eu lieu dans les salles du Parlement vers la fin de 1980 et en 1981 sur la question de la charte et, surtout, sur ce qui était à l'origine, je crois, l'article 24 de la charte qui est devenu, sous une forme légèrement modifiée, l'article 25 actuel. Il y a bel et bien eu des débats. L'ajout de la disposition d'exemption ne rendrait-il pas la charte inapplicable aux peuples autochtones?

Pour leur part, les Autochtones craignaient que la charte ne protégerait pas suffisamment leurs droits en tant que groupes politiques, mais croyaient néanmoins qu'ils y seraient considérés comme une race différente des étrangers qui viennent s'établir au Canada et deviennent citoyens canadiens par la suite.

Alors, où en sommes-nous après 17 ans? Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que la charte a été vidée de son sens, ni, et c'est là le revers de la médaille, qu'elle a été utilisée comme instrument contondant pour vider les droits ancestraux et les droits issus de traités. En fait, elle n'a pas été l'objet principal d'un litige, du moins rien de notable. On ne peut pas prédire l'avenir, mais il est peu probable qu'elle le soit.

• 1050

Ce que la charte essaie de faire, à mon sens, c'est tout simplement de montrer qu'il y a un besoin d'apporter un certain équilibre. Il y a une certaine interaction. La Partie II de la Loi constitutionnelle de 1982, où l'on reconnaît les droits ancestraux et les droits issus de traités, ne fait pas partie de la charte. Cela dit, elle est fondamentale. Même si la Partie II ne figure pas dans la charte, les deux se recoupent, notamment en ce qui a trait à l'article 1 de la charte.

Ce que l'article 25 vise à montrer, c'est que l'interprétation des dispositions de la charte afférentes aux droits individuels et collectifs devrait se faire d'une façon qui ne va pas à l'encontre d'une autre partie de la Loi constitutionnelle, nommément l'article 35. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de droits à l'égalité ou de libertés fondamentales comme la liberté d'expression, la liberté de religion ou la liberté de réunion ou toutes autres libertés de ce genre. Par contre, cela signifie que toutes ces libertés doivent être interprétées d'une façon à respecter, comme je le disais, les droits protégés en vertu de l'article 35. C'est un équilibre raisonnable, et, jusqu'à présent, cela n'a pas posé de problèmes considérables.

Sommes-nous tout à fait certains de ce que cela signifie? Non. Sommes-nous tout à fait certains de ce qu'un acte législatif signifie une fois qu'il a été adopté par cette auguste assemblée? Non, jamais. Nous procédons au cas par cas.

La présidente: Merci.

[Français]

Monsieur Bachand, veuillez commencer.

M. Claude Bachand: Merci, madame la présidente. J'aimerais poursuivre la discussion que j'avais entamée avec M. Flanagan tout à l'heure. Oubliez la question d'enrichir l'élite et d'appauvrir les pauvres; il s'agit d'un point de vue que je ne partage pas, bien que vous ayez le droit de l'appuyer.

J'aimerais plutôt m'attarder au passage où vous parliez des traités.

[Traduction]

«Ils avaient pour but d'aider les Autochtones à adopter un mode de vie civilisé.»

[Français]

Je vous poserai mes deux ou trois questions dans un ordre précis. Si vous répondez non à la première, je n'aurai pas à poser les suivantes.

Monsieur Flanagan, croyez-vous qu'il y a au Canada plusieurs nations et plusieurs peuples? Si vous répondez non, je ne poursuivrai pas mes questions.

[Traduction]

M. Tom Flanagan: Non, j'ai bien peur que non. Comme Pierre Trudeau et John Diefenbaker, j'ai toujours cru que notre nation, c'est le Canada.

[Français]

M. Claude Bachand: Je n'ai plus de questions.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Finlay): Merci, monsieur Bachand.

Monsieur O'Reilly.

M. John O'Reilly (Haliburton—Victoria—Brock, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le vice-président.

Merci beaucoup, messieurs, de comparaître devant nous et de proposer des points de vue éclairés, des points de vue différents, et de faire l'historique de cette question, ce que je n'ai pas encore eu le temps de faire.

Durant nos déplacements à Smithers, Terrace, Prince George, Port Hardy, Victoria et Vancouver la semaine dernière, nous nous sommes heurtés à différentes formes d'opposition et nous avons constaté qu'il y avait beaucoup de discorde, à tel point que j'ai commencé à voir d'un mauvais oeil les gens qui s'opposaient au traité. En fait, j'étais plus décidé que jamais à retourner au Parlement, à voter le projet de loi et à en finir avec, puisque je crois que c'est une bonne chose.

C'est pourquoi ça m'ennuie de poser des questions à des gens qui s'y opposent—et je vais présumer que quiconque s'appelle Scott s'y oppose—mais...

M. Stephen Scott: Ce n'est pas moi qui l'ai fait croire.

Des voix: Oh, oh!

M. John O'Reilly: C'était une blague.

La question que je veux poser à tous ceux qui ont comparu devant nous, et à vous trois, est très simple. Que recommanderiez-vous pour améliorer le processus de négociation de traités? Je crois que nous avons dépassé la Loi sur les Indiens. Je ne crois pas qu'il y a quelqu'un ici qui est d'avis que la Loi sur les Indiens devrait en quelque sorte être ressuscitée. Nous en sommes à la négociation de traités. À l'heure actuelle, on est en train de négocier environ 18 traités, et il y en aura beaucoup plus.

Il est donc question d'améliorer la procédure des traités, en s'inspirant du modèle de négociations du Traité nisga'a... Pour ma part, je ne crois certainement pas que c'est un modèle, puisqu'il y a tellement d'opinions différentes, de modes de vie différents et de choses différentes et nouvelles que nous apprendrons sur la façon dont les Autochtones mènent leur vie dans différentes régions. Chaque cas est différent et soulève des problèmes différents que nous devons traiter d'une façon différente.

Quand on pense à toute l'hostilité que nous ont témoigné les Réformistes, qui ont dû rassembler tous leurs membres et les soumettre à la discipline du parti, et quand on pense à cette salle remplie de Luddites qui nous ont hués et qui ont fait toutes sortes de choses... La conséquence de tout cela, c'est que je crois—et même M. Keddy serait d'accord avec moi, puisqu'il a été menacé lui aussi—c'est que nous sommes plus déterminés que jamais. Cela nous montre aussi que nous sommes sur la bonne voie pour ce qui est des négociations de traité.

• 1055

Alors la question que j'aimerais poser à chacun d'entre vous est la suivante: Le traité a été signé. Il sera ratifié dans le cadre du projet de loi C-9. Quatre des cinq partis siégeant à la Chambre des communes sont favorables à ce traité. Il n'y a pas l'ombre d'un doute qu'il sera ratifié. Vous avez abordé cette question et ajouté qu'en comparaissant devant nous aujourd'hui vous ne faites peut-être pas l'emploi le plus judicieux de votre temps, puisque la majorité des parlementaires a déjà donné son aval. Cela dit, que recommanderiez-vous que l'on fasse à l'avenir pour améliorer la procédure de négociation des traités?

M. Stephen Scott: Eh bien, je ne suis pas sûr que la procédure comme telle pose problème. Ces questions seront toujours délicates. Il y aura toujours des intérêts conflictuels. Ces intérêts ne s'exprimeront pas toujours avec retenue. Votre assemblée étant une assemblée politique, ces expressions prendront une forme politique et seront controversées, et les choses ne se passeront pas toujours de façon agréable.

Je souhaiterais que les intérêts que prône le gouvernement du Canada, tiennent un petit peu plus compte du contexte général. Comme vous devez le comprendre, ce qui m'inquiète c'est qu'à la fin de tout ce processus, nous nous retrouvions avec un très grand nombre d'états semi-indépendants n'ayant pas tous la capacité des autres institutions gouvernementales—notamment le gouvernement du Canada, le Parlement du Canada et les institutions législatives qui en relèvent—pour apporter les réformes qui s'imposent.

Qu'en est-il des intérêts comme la primauté du droit? En quoi est-ce offensant que d'exiger que les lois nisga'as soient publiées? Après tout, ces lois relèveront du droit public et d'un gouvernement populaire. Qu'y a-t-il de mal à exiger que l'on garde des archives?

Pour ce qui est du projet de loi C-9, je ne vois pas pourquoi on s'opposerait à la ratification de ce traité, qui sera de nature au moins semi-constitutionnelle ou quasi-constitutionnelle, et qui sera peut-être inscrit dans la Constitution. Pourquoi ne pas permettre à des gens qui doivent utiliser les lois du pays et utiliser le projet de loi C-9, la loi, une fois que celle-ci entrera en vigueur, d'avoir le tout, à savoir le traité et la loi? En quoi cela pose-t-il problème?

Pourtant, il me semble qu'il y a un manque total de sensibilité que cet exemple, quoi que petit, illustre fort bien. Les Nisga'as n'ont pas dit «N'inscrivez pas le traité dans la loi constitutionnelle», mais le gouvernement du Canada a fait preuve d'un manque total de sensibilité dans l'élaboration du projet de loi. Le gouvernement estime tout simplement que les gens qui doivent utiliser les actes législatifs n'ont pas besoin d'avoir accès à l'ensemble de la loi.

Autrement dit, le gouvernement a passé l'éponge sur des considérations fondamentales comme la primauté de la loi; il semble avoir tiré le rideau dessus. De bien des façons, le gouvernement aurait pu améliorer l'entente et, se faisant, assurer la continuité d'un gouvernement constitutionnel. Il aurait fallu le prévoir dans l'entente.

Évidemment, il y a une question qui me préoccupe davantage. Ce n'est pas tellement le contenu du traité ratifié, mais plutôt la possibilité ou l'impossibilité de pouvoir le modifier par la suite. Je vous invite vivement à voter le projet de loi C-9, mais je vous recommande de l'amender en y insérant le traité de sorte que l'on sache ce que la loi prévoit. De plus, je propose d'ajouter une disposition pour s'assurer que vos successeurs pourront apporter des modifications par la suite, si jamais il y a des problèmes. En quoi cela est-il difficile?

Donc, je ne crois pas que ce soit la procédure de négociation des traités qui pose problème. C'est la capacité du gouvernement de réfléchir à long terme, d'agir à long terme, et d'intégrer toutes ces considérations dans ses ententes et ses actes législatifs.

La présidente: Merci beaucoup. Le temps prévu est écoulé.

Notre prochain tour de questions se poursuit avec M. Keddy.

M. Gerald Keddy: Merci, madame la présidente.

J'aimerais revenir sur certaines déclarations qui ont été faites. De toute évidence, monsieur Scott, quand on lit l'Accord définitif nisga'a, la primauté du droit s'applique. Je crois comprendre d'après votre déclaration que nous devons inscrire le traité, soit l'Accord définitif nisga'a, dans la loi, et je suis tout à fait d'accord avec cela.

• 1100

L'autre question qui a été soulevée à maintes reprises—et M. Flanagan l'a abordée en profondeur—c'est la question du coût. Le coût est en effet une question très importante. Elle touche tous les Canadiens et, certainement, tous les partis politiques et toutes les régions du pays, puisque nous devrons tous payer la facture ensemble.

Cependant, ce qui me contrarie—et j'ai peut-être un parti pris sur cette question—ce n'est pas tellement le coût du traité. En effet, ce qui me contrarie, ce sont les milliards et milliards de dollars que nous avons dépensés, en tant que Canadiens, pour quatre peuples autochtones, dépenses qui n'ont pas profité à tous les peuples autochtones, ni à l'ensemble du pays. Tout ce que nous avons fait, c'est nous imposer une certaine lassitude, si vous me passez l'expression, où nous nous contentons de laisser les choses suivre leur cours. Nous ne faisons absolument rien. Nous n'essayons même pas de changer le système.

C'est de peine et de misère que nous avons réussi à convaincre le gouvernement d'adopter le projet de loi C-49. On a fini par présenter le projet de loi. Il l'aurait certainement laissé mourir au Feuilleton. On proposait de donner aux Premières nations le droit de gérer leurs propres ressources. Il n'était pas question de changer la Constitution. Il s'agissait tout simplement de donner aux Premières nations la mainmise sur leurs biens qui étaient jusque-là régis par la Loi sur les Indiens. Nous ne serons pas d'accord sur ce que les Premières nations feront de ces biens, mais une chose est certaine, c'est que nous devons fondamentalement nous entendre pour dire que les Premières nations ont le droit de gérer leurs propres biens.

Pensez aux 6 milliards de dollars que nous coûte annuellement le ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord, et à tous les coûts accumulés au titre de l'éducation, des soins dentaires, des services médicaux et autres. En fait, le traité viendra changer les choses en ce sens que les membres des Premières nations pourront commencer à se prendre en main eux-mêmes et qu'elles auront la possibilité de devenir de simples Canadiens, si vous me passez l'expression.

M. Tom Flanagan: Reprenez-moi si je me trompe, mais je crois comprendre que tous les programmes offerts aux Nisga'as continueront d'exister. Les 30 millions de dollars approximatifs par année continueront d'être dépensés. Par conséquent, le paiement de 500 millions de dollars en terre et en argent, et les recettes provenant de l'exploitation des ressources, viendront s'ajouter à tous les paiements qui continueront d'être versés.

L'exemple de l'Alberta, où plusieurs collectivités autochtones sont devenues très riches, du point de vue commercial, grâce aux recettes provenant de l'exploitation des ressources, n'est pas particulièrement encourageant. En fait, les recettes supplémentaires semblent avoir empiré les conditions alarmantes de pathologie sociale, qui font la une des quotidiens presque tous les jours maintenant.

Je serais d'accord avec vous, monsieur Keddy, si ces transferts ponctuels signifiaient la fin de tous les transferts et de toute dépendance. Or cela ne fera que perpétuer la dépendance.

M. Gerald Keddy: Nous aurons un régime fiscal provincial et un régime fiscal fédéral, et nous continuerons d'accumuler les avantages, mais à mesure que les recettes monétaires des Nisga'as croîtront, ces avantages décroîtront. C'est une échelle mobile. Ce n'est pas quelque chose qui se passe du jour au lendemain mais qui prend du temps.

L'autre question à laquelle nous devons réfléchir, c'est qu'absolument rien dans cette entente que n'empêche les Nisga'as d'apporter des modifications à l'entente plus tard. Si on a un gouvernement démocratique et la possibilité d'avoir un régime foncier de propriété en fief simple, on serait alors en droit de s'attendre à ce qu'il y ait les possibilités économiques nécessaires pour assurer son développement. Le gouvernement nisga'a, qui est une administration municipale avec certains pouvoirs quasi-provinciaux et fédéraux, pourra générer des recettes. Ainsi, les Nisga'as auraient la possibilité de continuer d'augmenter leurs recettes et de devenir autosuffisants. Je n'essaie pas de simplifier les choses outre mesure.

M. Bradford Morse: Non, vous avez raison, monsieur Keddy. Une grande part des paiements de transfert que donne le ministère des Affaires indiennes à chacune des Premières nations est le genre de paiements de transfert versés généralement par les provinces à leurs résidents ou à leurs municipalités. Il s'agit de paiements d'aide sociale qui représentent une bonne portion du budget du ministère.

Dans les localités qui sont autonomes, si une grande part du règlement sert à atteindre l'objectif des nations autochtones par le truchement de l'assise territoriale et d'autres ressources naturelles de même que par le truchement de la contribution pécuniaire, les paiements d'aide sociale diminuent.

• 1105

S'il s'agit d'une collectivité à plein emploi, il n'y a pas lieu d'avoir des paiements d'assistance sociale. Autrement dit, cette partie-là du paiement de transfert disparaît. Je crois donc que vous avez raison. Si je comprends bien la structure de l'entente, en théorie du moins il continuera à y avoir certains paiements de transfert permanents, tout comme le gouvernement fédéral continue à verser des paiements de transfert aux provinces bien nanties, telles que l'Alberta et l'Ontario, de même qu'aux provinces démunies. Mais la formule est différente, et le montant varie selon la situation économique.

Ce qu'il faut se rappeler, c'est que les Premières nations sont un genre de municipalité fédérale. En général, elles n'obtiennent pas de paiements de transfert provinciaux à titre de gouvernements, comme en obtiennent les gouvernements municipaux, et elles ne reçoivent pas les services dispensés par les provinces comme en reçoivent les autres résidents de la province. Lorsque la province fournit ces services, elle le fait généralement en facturant le gouvernement fédéral de façon rétroactive.

Même si on a l'impression que cela représente beaucoup d'argent par habitant prélevé à même le budget des Affaires indiennes, c'est bien en deçà de ce que la province verse à ses autres citoyens en paiements de transfert.

La présidente: Merci, monsieur Morse.

Nous passons maintenant à M. Bonin.

[Français]

M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.): Merci, madame la présidente.

[Traduction]

Monsieur Scott, j'ai besoin que vous me précisiez votre troisième point, celui de la règle de droit. Vous dites:

    Étant donné le dossier insatisfaisant et parfois scandaleux des paliers supérieurs du gouvernement à cet égard [...] vous dites aussi, pour ce qui est du projet de loi, qu'il faut assurer l'intégrité en permanence ainsi que la préservation des archives législatives et administratives du gouvernement nisga'a; enfin, vous parlez de l'absence d'obligation de publier les mesures législatives et les décisions.

Je vous renvoie au paragraphe 18 de l'accord, à la rubrique «Registre des lois», où je lis ce qui suit:

    Le gouvernement nisga'a lisims:

      a. tient un registre public des lois nisga'as en langue anglaise et, à la discrétion du gouvernement nisga'a lisims, en langue nisga'a;

b. fournit au Canada et à la Colombie-Britannique une copie d'une loi nisga'a dès que praticable après son édiction; et

c. établit les procédures pour l'entrée en vigueur et la publication des lois nisga'as.

D'après vous, comment faire mieux?

M. Stephen Scott: Comment faire mieux? D'abord, j'aurais des dispositions plus musclées prévoyant le maintien des archives et la préservation de leur intégrité. Il serait délicat pour moi de donner des exemples de... et je ne voudrais pas non plus entrer dans les exemples de trafiquage des archives législatives par des cadres supérieurs du gouvernement afin de modifier des projets de loi après leur adoption mais avant qu'ils ne reçoivent la sanction royale, de modifier des lois après la sanction royale ou obtenir que le lieutenant-gouverneur signe une copie de projets de loi avant la sanction royale. Je n'en citerai pas d'exemples pour l'instant.

Mais sachez qu'il y a eu beaucoup de cas de falsification de dossiers législatifs au Canada. Je crois qu'il faut amender la Constitution pour justement assurer l'intégrité des dossiers législatifs à tous les paliers. Dès lors qu'il s'agit d'ententes et de la création de nouveaux gouvernements, la priorité, c'est de protéger de son mieux les archives.

Quant au registre des lois, il ne suffit pas d'avoir un registre des lois, celles-ci doivent être publiées dans la Gazette du Canada. Le gouvernement fédéral peut payer pour cette publication, tout comme il paye pour la publication des lois administratives de nature générale.

C'est très bien de dire que les gouvernements publics devront obtenir des registres des lois, ou qu'il faudra garder une copie des lois quelque part dans les archives fédérales ou provinciales. Mais à toutes fins utiles, les Canadiens ont le droit d'avoir accès immédiatement à la loi le plus facilement possible. Par conséquent, la publication des lois dans la Gazette pose problème.

À mon avis, il est parfaitement insuffisant d'affirmer que le gouvernement nisga'a doit prévoir des dispositions en ce sens, mais sans nécessairement l'obliger à publier ses lois.

Je ne crois pas un seul instant que ce soit les Nisga'as qui aient refusé de publier leurs lois. Si je n'en crois rien, c'est que même au gouvernement du Canada, dans ses divers ministères, on n'est pas sensible à ces questions. Les divers ministères, comme le ministère de la Justice, surtout, et celui des Affaires indiennes, qui devraient être préoccupés de façon générale par la règle de droit et par la Constitution ont un dossier assez inégal en la matière.

M. Raymond Bonin: Je viens de l'Ontario, et depuis le délestage, il ne reste à peu près plus rien entre les mains des provinces, car toutes les responsabilités ont été dévolues aux municipalités. Croyez-vous que les mêmes dispositions devraient s'appliquer à toutes les municipalités canadiennes?

• 1110

M. Stephen Scott: Chaque municipalité devrait être obligée de publier ses règlements municipaux de façon satisfaisante. Or, il serait tout à fait logique de publier les lois dans les gazettes des provinces. En effet, au bout d'un certain temps, on en arrive au point où les archives peuvent disparaître, si une municipalité ne se fait plus jeune ou si elle perd ses dossiers dans un incendie: il y a même des règlements municipaux qui sont en vigueur au Canada et qui ne se trouvent nulle part. Pouvez-vous imaginer que des lois existent, qu'elles soient appliquées, mais qu'elles ne fassent l'objet d'aucune archive?

Il y a plusieurs façons de garder des archives ou des dépôts, par exemple, et je crois que l'on a bien fait d'exiger que des copies soient envoyées au gouvernement fédéral et provincial intéressés. C'était un premier pas dans la bonne direction.

Mais tout cela devrait être fait systématiquement. On ne réfléchit jamais à cette question-là sur le plan d'un amendement constitutionnel visant à garantir la règle de droit. On s'intéresse à la question, chaque fois qu'il y a controverse. Toutefois, il y a des centaines d'amendements constitutionnels utiles qui pourraient être adoptés en vue de traiter de questions que j'appellerais non controversées.

M. Raymond Bonin: Je comprends votre préoccupation. Vous reconnaissez que la disposition de l'article 18 met ce type de gouvernement dans une classe à part par rapport à toutes les autres formes de gouvernement au Canada, et ce qui vous inquiète...

M. Stephen Scott: Je n'ai pas dit toutes les autres formes...

M. Raymond Bonin: Ce n'est pas nécessairement cet accord-ci qui vous préoccupe, puisque l'article le place dans une classe à part.

M. Stephen Scott: Nous en tenons compte. Lorsque nous adoptons une loi municipale en Ontario, nous pouvons en débattre. Mais il ne faut pas jouer à la politique de l'autruche. Il ne faut pas que l'accord soit inadéquat, parce que les dispositions pourraient également être inadéquates en Ontario, en Saskatchewan, ou ailleurs. D'ici, nous ne pouvons pas nous demander si toutes les dispositions de lois provinciales sont adéquates ou pas. D'ailleurs, il arrive dans une seule province, que plusieurs lois traitent des municipalités. La seule chose que nous puissions vérifier, pour notre part, c'est ce texte-ci. Et le gouvernement fédéral doit assurer la règle de droit, partout où il a une responsabilité.

Comme je l'ai dit à la fin de mon exposé, l'exemple le plus flagrant, c'est justement le projet de loi C-9. Comment quelqu'un pourrait-il savoir d'avance quelles répercussions pourra avoir le projet de loi C-9, s'il est dissocié de l'accord? Après tout, c'est l'accord qui est à la base même du projet de loi C-9, et pourtant il ne figurera pas dans la loi. Pourquoi?

M. Raymond Bonin: Si je vous comprends bien, l'article 18 est un bon exemple qu'il vaudrait la peine d'appliquer à d'autres paliers du gouvernement.

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Scott. Nous entamons notre troisième tour de questions et nous ferons un tour complet.

M. Mike Scott: Merci, madame la présidente. J'aimerais commencer par M. Morse.

Monsieur Morse, dans votre déclaration préliminaire vous indiquez que les opposants au traité propagent des mythes sur celui-ci et vous avez parlé entre autres de la taxation sans représentation. Vous avez clairement dit qu'il n'en était pas question dans ce traité. Je suppose que vous connaissez ce traité, le document, et je suppose que vous connaissez le paragraphe 3 de la page 217 qui dit:

    3. De temps à autre le Canada et la Colombie-Britannique peuvent, ensemble ou séparément, négocier avec la Nation nisga'a et tenter de favoriser à un accord sur:

      a. la mesure, si l'en est, dans laquelle le Canada ou la Colombie-Britannique attribuent au gouvernement Nisga'a Lisims ou à un gouvernement de village nisga'a le pouvoir de taxation directe des personnes autres que citoyens nisga'as, sur des terres nisga'as...

Je concède que bien que cela ne garantisse pas au gouvernement nisga'a un pouvoir de taxation directe des personnes autres que les citoyens nisga'as, il est certain que c'est envisagé, cela ne serait pas inclus dans l'accord si cela n'était pas envisagé. Par conséquent, il y a donc une disposition dans ce traité permettant la taxation sans représentation puisque ces personnes ne pourront pas se présenter à des élections ou voter pour ceux qui dans les faits pourront peut-être un jour les imposer.

J'aimerais, monsieur, que vous répondiez à cette question. Si vous ne croyez pas au concept de taxation sans représentation, ne convenez-vous pas que cette disposition devrait être retirée du traité?

La présidente: Monsieur Morse, je vous en prie.

M. Bradford Morse: Permettez-moi de commencer par la dernière partie de votre question.

Je n'embrasse pas totalement le concept selon lequel ou ne saurait avoir de taxation sans représentation car bien entendu il y a des visiteurs qui viennent dans notre pays tous les jours et qui payent des taxes sans avoir en contrepartie aucun droit démocratique de voter. De manière analogue, les résidents permanents ou des immigrants reçus ne sont pas citoyens et pourtant ils sont imposés. Je ne crois donc pas qu'on puisse appliquer sans aucune exception ce concept parce que dans la réalité cela ne se peut.

Pour ce qui est de votre commentaire concernant le paragraphe 3, ce qui me frappe, moi, c'est que ce paragraphe est très hypothétique. Beaucoup trop de gens suggèrent que ce traité sous sa forme actuelle permettra la taxation sans représentation alors que moi je prétends le contraire. Les paragraphes 1 et 2 de cette même page l'indiquent clairement.

• 1115

Je conviens avec vous que le paragraphe 3 évoque la possibilité qu'à l'avenir ou puisse conclure des accords donnant aux Nisga'as le pouvoir de taxer des gens qui ne sont pas des citoyens nisga'as. Mais ce n'est qu'une possibilité et non une probabilité. Le fait que cette possibilité soit incluses ne veut pas dire qu'elle se traduira dans la réalité mais plutôt que c'est une possibilité qui fera l'objet de discussion.

De manière corollaire, il est bien entendu tout à fait possible que ces gens qui seront imposés seront peut-être de facto représentés. Vous semblez supposer irrémédiable qu'ils ne pourront pas voter pour élire ceux qui les imposeront et à mon avis cette conclusion n'est pas irrémédiable. Il est possible qu'un jour ils élisent cette administration fiscale.

De plus il ne faut pas oublier que les non-Nisga'as qui vivent dans cette région, peuplée en très grande majorité par des résidants nisga'as, n'ont pas de gouvernement municipal et ils versent donc leurs impôts à une entité régionale relativement éloignée. Il est concevable que pour eux le gouvernement local devienne un jour le gouvernement nisga'a plutôt que le gouvernement régional plus éloigné auquel ils verseront alors leurs impôts et sur lequel ils finiront peut-être par avoir des droits électoraux.

M. Mike Scott: Pour être franc, j'ai beaucoup de difficulté à suivre votre gymnastique mentale mais au moins vous êtes d'accord sur deux choses. Vous convenez que sur le plan idéologique la taxation sans représentation ne vous pose pas forcément de problème ce que je trouve intéressant sortant de la bouche de quelqu'un comme vous. Vous convenez également que cette disposition est bel et bien présente dans le traité et que bien qu'elle n'entre pas en vigueur ou qu'elle ne prenne pas effet le lendemain de sa ratification, la taxation sans représentation est bel et bien envisagée dans ce traité.

La présidente: Monsieur Morse, je vous en prie.

M. Bradford Morse: Non. Permettez-moi de me répéter pour clarifier les choses.

Premièrement, j'ai dit qu'au Canada aujourd'hui tous les gouvernements taxent les gens qui ne peuvent pas les élire. Or, si votre proposition est de supprimer cet état de fait et de supprimer tous les impôts qui s'appliquent aux visiteurs, aux résidents permanents et aux immigrants reçus, je vous écouterai avec grand intérêt. Mais en attendant, la réalité est autre. Je pense donc qu'il est faux de suggérer que tous ceux qui payent des impôts participent à l'élection de leur gouvernement. Ce n'est tout simplement pas vrai.

Deuxièmement, le fait que cette disposition permettant à l'avenir d'imposer les citoyens non nisga'as existe, ne veut pas dire pour autant qu'ils le seront. C'est une disposition que les Nisga'as ne peuvent appliquer unilatéralement; il faut...

M. Mike Scott: Monsieur, permettez-moi de vous dire que cette disposition n'est pas là simplement pour la forme.

La présidente: Un peu d'ordre, monsieur Scott. Laissez-le, je vous en prie, finir. Vous avez posé votre question. N'interrompez pas le témoin.

Allez-y.

M. Bradford Morse: Il y a de nombreuses dispositions dans toutes sortes d'accords, voire de lois, qui ouvrent des possibilités futures. Nous ne sommes pas là pour fermer toutes ces portes mais pour les ouvrir.

Ce qu'il importe de bien noter en l'occurrence c'est la préface de ce paragraphe: «De temps à autre, le Canada et la Colombie-Britannique, peuvent, ensemble ou séparément, négocier». Les Nisga'as ne peuvent agir unilatéralement; il faut que soit le gouvernement fédéral soit le gouvernement provincial ou les deux soient parties prenantes à un tel accord. Le genre de préoccupations que vous exprimez seront débattues en temps et en heure—si jamais, et j'insiste sur le «si», il arrive qu'un jour une telle proposition soit faite.

La présidente: Très bien. C'est la fin de ce tour.

Madame Karetak-Lindell, cinq minutes, s'il vous plaît.

Mme Nancy Karetak-Lindell (Nunavut, Lib.): Professeur Flanagan, à la page 2 de votre exposé, vous dites dans votre dernière phrase: «Offrir de grosses sommes supplémentaires d'argent, etc.,» aux Indiens «créera une demande analogue de la part des Autochtones des autres provinces». Je trouve cela offensant quand je pense aux autres problèmes que nous avons actuellement au Canada. C'est comme si vous disiez: ne venez pas en aide aux agriculteurs de la Saskatchewan parce qu'autrement les agriculteurs du reste du pays demanderont la même chose. Ne rachetez pas les licences des pêcheurs ou ne leur versez pas d'indemnités de départ à la retraite car autrement il y a beaucoup d'autres pêcheurs qui demanderont la même chose. C'est comme si vous disiez: ne dites pas aux gens quels sont leurs droits en matière de santé autrement ils en abuseront.

• 1120

Je ne suis pas sûre de comprendre ce que vous avez voulu dire. C'est comme si vous disiez: n'en parlons pas parce qu'autrement les gens pourront réclamer leurs droits s'ils apprennent qu'ils en ont. Je ne suis pas certaine de comprendre quand vous dites que régler un problème risque d'en provoquer d'autres. Encore une fois, c'est comme si vous disiez à General Motors de ne pas accéder aux demandes syndicales parce que d'autres syndicats pourraient demander la même chose partout au Canada.

Qu'avez-vous exactement voulu dire?

M. Tom Flanagan: J'essaie de faire comprendre à votre comité que l'Accord nisga'a doit être jugé objectivement, bien entendu, mais qu'il doit également être considéré dans un contexte plus large. Comme je l'ai rappelé, la majorité de la région Est du pays n'est pas couverte par des traités de cession de territoires et l'Accord nisga'a va créer une norme. Je prédis qu'il y aura une procédure de négociation analogue en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick.

Également, à l'heure actuelle, les tribunaux sont saisis d'un grand nombre d'affaires concernant la violation de traités existants de cession de territoires en Ontario et dans les Prairies. Votre comité ne devrait pas ignorer que le versement d'indemnités négocié au XIXe et au début du XXe siècle pour renonciation à des titres autochtones dans le contexte de traités préexistants est aujourd'hui attaqué. C'est dans ce contexte qu'il faut examiner l'Accord nisga'a.

À mon avis, l'une des grandes forces du Parlement et ce qui le distingue d'un tribunal est que, dans le cadre de ses délibérations, il peut essayer d'anticiper les problèmes qui risquent de se poser dans l'avenir alors qu'un tribunal, de par sa fonction même, doit se prononcer sur les droits qui existent dans un contexte donné. J'essaie donc simplement de rappeler au comité qu'il a l'occasion de réfléchir aux conséquences de ce traité pour l'ensemble du Canada.

Mme Nancy Karetak-Lindell: J'adresse ma question à M. Morse. Qu'étudiez-vous à la faculté de droit? Vous reportez-vous aux précédents qui ont été établis lorsque vous étudiez une cause donnée? Ce traité se distingue-t-il vraiment d'autres précédents établis au pays?

M. Bradford Morse: Oui, dans la mesure où toute décision d'un tribunal, toute loi, tout règlement et tout traité qui résulte de négociations établit un précédent.

J'ai vraiment l'impression d'avoir déjà entendu ce qu'on dit au sujet de l'accord nisga'a. Je travaille depuis 25 ans sur les questions juridiques autochtones et j'ai d'ailleurs déjà travaillé pour les uns et pour les autres ainsi que pour divers gouvernements étrangers. On répète toujours la même chose au sujet de tout nouveau important accord: l'accord servira de modèle; tous les autres groupes autochtones réclameront la même chose; la barre vient d'être relevée, etc. Je suis sûr que M. Bachand se souvient avoir entendu à peu près la même chose en 1975 au sujet de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. On l'a d'ailleurs répété au sujet de la convention définitive des Inuvialuits de l'Arctique de l'Ouest ainsi que de l'Accord TFN dans votre région d'origine. On a invoqué des arguments semblables au sujet de certains traités au XIXe siècle, au XVIIIe siècle et même au XVIIe siècle. On a aussi repris ces arguments dans d'autres pays.

Or, certains adversaires de ces accords parmi les autochtones font valoir exactement la même chose, à savoir que le traité en question constituera un précédent qui leur sera imposé. Ce que nous avons cependant constaté avec les années est que les traités présentent des similitudes ainsi que des différences fondamentales parce qu'ils sont le résultat de négociations.

Je comprends ce que vous dites au sujet de l'aide aux agriculteurs ou de General Motors. Ces accords constituent des précédents ailleurs, mais ils ne sont pas automatiquement appliqués. Les gouvernements provinciaux de la région de l'Atlantique, le gouvernement fédéral ainsi que les Micmacs et les Malecites se reporteront certainement à l'accord nisga'a. Certaines parties de cet accord leur plaisent et d'autres, pas. Tout dépend de l'objectif qu'on poursuit. Lorsqu'on étudie le droit et lorsqu'on plaide, on choisit les précédents qui nous plaisent et on rejette les autres, et on bâtit son plaidoyer en conséquence.

• 1125

La présidente: Je vous remercie.

[Français]

Monsieur Bachand, veuillez commencer.

M. Claude Bachand: Merci, madame la présidente.

Je n'ai pas été chanceux tout à l'heure, lors de mon jeu questionnaire avec M. Flanagan, parce qu'il a répondu non à ma première question, quand je lui ai demandé s'il croyait qu'il y avait au Canada plusieurs peuples et plusieurs nations.

Je me demande si M. Morse et M. Scott voudraient maintenant se prêter à mon jeu. Puisqu'ils sont des professeurs, ils devraient être curieux. Je les inviterais à répondre oui à la première question, ce qui leur permettrait d'entendre les autres.

Messieurs Morse et Scott, croyez-vous qu'il y a au Canada plusieurs nations et plusieurs peuples? Je vous demande de répondre oui ou non, après quoi je verrai bien si je continuerai de jouer avec vous.

M. Stephen Scott: Ma réponse est assez simple: tout dépend de ce qu'on l'on entend par des peuples et des nations. La réponse peut être oui ou non, selon la définition de ces mots.

M. Claude Bachand: Monsieur Morse.

M. Bradford Morse: Ma réaction est un peu semblable; cela dépend du contexte dans lequel s'inscrit la question. S'inscrit-elle dans le contexte du droit international ou du droit intérieur?

M. Claude Bachand: Voilà la preuve, madame la présidente, que nous sommes en présence de gens intelligents puisqu'ils n'ont pas répondu catégoriquement oui ou non. M. Flanagan est également intelligent, bien qu'il m'ait répondu carrément non.

Je me permets de poursuivre le jeu avec vous. Si vous reconnaissez qu'il peut, selon le cas, y avoir des peuples et des nations, j'imagine que vous leur reconnaissez des droits. Ce sera l'objet de ma deuxième question.

Si vous leur reconnaissez des droits et que les tribunaux, dont la Cour suprême, leur reconnaissent aussi ces droits, c'est donc qu'il faut trouver des ententes de partenariat avec ces différentes nations. J'ai toujours maintenu que cette entente-ci était une entente de partenariat entre le gouvernement fédéral et la nation nisga'a.

Si on réussit à conclure une entente comme celle-ci, on vient démolir les arguments de nos adversaires qui disent que cela crée énormément d'incertitude. C'est un cheminement logique et intellectuel que j'ai tenté de faire avec chacun des témoins en Colombie-Britannique, bien qu'ils aient plus ou moins bien répondu à mes questions. Quelques-uns approuvaient, et d'autres pas.

Il est évident que si vous répondez dès le départ qu'il n'y a ni peuples ni nations, on ne peut même pas poursuivre ce cheminement parce que, dans le fond, on ne peut pas reconnaître des droits à des nations qui n'existent pas, pas plus qu'on peut reconnaître une signature de partenariat si on ne reconnaît pas d'abord que notre partenaire est une nation qui a des droits. Quand on n'a rien, comme c'est probablement le cas des 49 autres nations en Colombie-Britannique, c'est là, à mon point de vue, qu'il y a incertitude. Une entente crée de la certitude.

Si on reconnaissait qu'il s'agit d'une nation ou d'un peuple, est-ce que vous reconnaîtriez qu'ils ont des droits? S'ils ont des droits, est-il normal que ces nations-là et la nation du Canada signent des ententes de partenariat ? Si c'est le cas, est-ce qu'on ne vient pas de régler toute la question de l'incertitude?

[Traduction]

La présidente: Voudriez-vous...

[Français]

M. Claude Bachand: M. Morse, dont la position est la plus rapprochée de la mienne, pourrait peut-être répondre en premier lieu.

M. Bradford Morse: Il est préférable que je vous donne ma réponse en anglais.

[Traduction]

La constitution du Canada elle-même reconnaît aux peuples autochtones le statut de peuple, tout comme le fait l'article 25 de la Charte. Dans la constitution de 1867, à l'article 91, catégorie de sujet 24, il est question des Indiens en tant que peuple et non en tant que personnes. Je ne pense pas qu'on ait jamais vraiment contesté le fait qu'on reconnaît aux autochtones le statut de peuple. La proclamation royale de 1763, pour sa part, parle de tribus ou de nations d'Indiens. Si nous regardons...

[Français]

le jugement de la Cour suprême dans la cause de la famille Sioui, de Wendake,

[Traduction]

la Cour suprême a parlé de la nation huronne. La cour a même dit qu'il s'agissait d'une nation indépendante avant l'existence des régimes français et britannique. Je pense qu'il est clair, du point de vue du droit international, que les peuples autochtones constituaient des nations avant l'arrivée des Européens.

• 1130

Je crois que la position exprimée par la Cour suprême des États-Unis est sans doute exacte. L'histoire et la colonisation imposées aux peuples autochtones ont porté atteinte à l'indépendance de ces nations. La Cour suprême des États-Unis estime que les autochtones constituent maintenant des nations dépendantes intérieures.

À mon avis, c'est dans cette voie que nous nous dirigeons actuellement. Ayant reconnu que les Autochtones constituent des peuples possédant des droits collectifs distincts, nous tâchons maintenant d'établir des partenariats avec eux. Il est normal que ces partenariats reconnaissent que les collectivités autochtones, et non pas les particuliers autochtones, peuvent se regrouper pour former des gouvernements. Ils étaient d'ailleurs autrefois des gouvernements et certains d'entre eux ont continué de l'être après la colonisation et voilà donc pourquoi il faut traiter de gouvernement à gouvernement avec eux.

Les Autochtones constituent clairement un peuple. Les non-Autochtones, c'est-à-dire le reste d'entre nous, constituons aussi un peuple auquel appartiennent les participants autochtones.

[Français]

M. Stephen Scott: Je souligne à l'intention de M. Bachand qu'il existe une nation du Canada avec laquelle on veut signer une entente.

M. Claude Bachand: Cela dépend du contexte. Il faut déterminer si c'est dans un contexte international.

La présidente: C'est tout le temps dont vous disposez.

[Traduction]

Je vous remercie.

Monsieur Iftody, vous avez la parole.

M. David Iftody: Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.

J'ai deux questions distinctes que j'adresse à deux de nos invités. Je poserai des questions claires car je veux utiliser à bon escient le temps qui m'est imparti. Ma première question s'adresse à M. Flanagan. Je vous prie de m'indiquer lorsque deux minutes et demie de mon temps se seront écoulées. Ma seconde question s'adresse à M. Scott.

La présidente: Très bien.

M. David Iftody: Je vous remercie.

Monsieur Flanagan, la Fédération canadienne des municipalités a réclamé récemment des amendements constitutionnels visant à permettre que les gouvernements d'Ottawa et des provinces délèguent plus de pouvoirs aux municipalités. Si je ne m'abuse, la section manitobaine de cet organisme a adopté une résolution demandant au Parlement du Canada d'entamer des discussions préliminaires avec la Fédération en vue de modifier la Constitution de manière à ce que plus de pouvoirs soient accordés aux gouvernements municipaux qui estiment que l'article 92 de la Constitution ne leur confère pas suffisamment de pouvoirs pour vraiment répondre aux besoins des citoyens pour lesquels le gouvernement municipal constitue cependant le palier de gouvernement le plus proche.

M. Mel Lastman, maire de Toronto, s'est permis dernièrement de laisser entendre publiquement qu'il réclamerait un statut constitutionnel distinct pour la ville de Toronto pour lui permettre de s'occuper de certaines questions qui relèvent de sa compétence. Autrement dit, les municipalités ne veulent plus devoir quémander ceci ou cela auprès des gouvernements fédéral et provinciaux.

Mon collègue, M. O'Reilly, a posé cette question à M. Mel Smith, un avocat constitutionnaliste de la Colombie-Britannique. Je crois que vous le connaissez sans doute. Nous lui avons demandé ce qu'il pensait de ce genre d'évolution.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez vous. Appuieriez-vous l'adoption d'un amendement constitutionnel visant à accorder plus de pouvoirs à des municipalités comme celle de Toronto ou à des municipalités rurales du Manitoba ou de l'Alberta?

La présidente: Avant que le témoin ne commence à répondre à la question, je vous signale que 2 minutes 27 secondes se sont déjà écoulées, ce qui signifie que vous ne pourrez sans doute pas poser votre seconde question.

M. David Iftody: Ma seconde question peut être très brève. Je veux vraiment poser une autre question à M. Scott.

M. Tom Flanagan: Je m'oppose à un amendement constitutionnel de ce genre. Je pense que l'on surcharge la Constitution et je crains que c'est ce qu'on fait aussi avec le Traité nisga'a. Je m'oppose donc à d'autres mesures qui vont dans la même direction. Je crois qu'il n'y a pas lieu de tout inscrire dans la Constitution et que l'on devrait s'en remettre au jeu politique normal étant donné surtout qu'il est actuellement impossible de modifier la Constitution en vertu de la formule d'amendement actuelle.

La présidente: Très bien.

M. Stephen Scott: Je suis d'accord avec mon collègue là-dessus. L'idée n'est pas neuve. On la ressuscite simplement de temps à autre. À mon avis, cela rendrait le pays encore plus difficile à gouverner qu'il ne l'est à l'heure actuelle. On peut s'attendre à ce que certains maires réclament plus de pouvoir, en particulier ceux qui sont populaires et qui dirigent avec succès des villes importantes. À mon avis, ce genre d'amendement constitutionnel ne devrait même pas être envisagé.

• 1135

M. David Iftody: Je crois qu'il doit me rester 1 minute 45 secondes. J'aimerais donc poser une question à M. Scott.

Dans sa déclaration préliminaire et dans les quatre ou cinq observations qu'il a faites, M. Flanagan a dit que l'intention de nos ancêtres, lorsqu'ils ont signé ces traités avec les Autochtones, était de les assimiler ou de les inclure, si l'on préfère, à l'ensemble de la société canadienne. Vous avez même dit qu'on avait traité les Premières nations de façon très insolente. J'allais vous demander d'étoffer cette affirmation compte tenu du fait que les Autochtones n'avaient pas le droit de vote jusqu'en 1960. À titre d'avocat constitutionnaliste, vous connaissez sans doute l'affaire Drybones et les retombées qu'elle a eues dans les années 60.

Ne pensez-vous pas que ce que M. Flanagan a dit, c'est-à-dire qu'on avait essayé par les traités d'assimiler les Autochtones à l'ensemble de la société canadienne, est contredit par les mesures qui ont été prises en particulier dans les années 40, 50 et 60 pour exclure les Autochtones de la société canadienne?

M. Stephen Scott: On ne peut pas faire dire aux traités ce qu'ils ne disent pas. Il faut d'ailleurs les replacer dans le contexte de l'époque. Les traités les plus anciens visaient à permettre la colonisation des Blancs en délimitant les territoires où les Autochtones pouvaient chasser et s'adonner à leurs activités traditionnelles. Ils ont été victimes d'une grande injustice historique.

Différentes personnes autour de cette table ont expliqué avec justesse l'objectif général de cet accord auquel je ne m'oppose pas. MM. O'Reilly et Finlay ont dit que l'accord visait à rectifier un tort historique, et je suis d'accord avec cette interprétation.

À mon avis, il convient cependant de replacer les choses dans leur contexte, à se préoccuper des détails et pas seulement de l'objectif général visé, car les décisions politiques ont tendance à être prises en pensant au très court terme, sans tenir compte des problèmes qui risquent de se poser dans l'avenir.

Je répète ce que j'ai dit au départ, c'est-à-dire que tous les Canadiens, y compris les Autochtones, ont vraiment intérêt à ce que le pays fonctionne. Si le pays devient ingouvernable et si notre économie périclite, les Autochtones comme tous les autres Canadiens y perdront. Le traité vise donc à corriger une injustice historique, et on peut dire à cet égard, qu'il constitue un bon point de départ, mais il soulève certains problèmes sur lesquels il faudrait s'arrêter.

On a commis une grave injustice historique à l'égard des Autochtones et il ne convient pas simplement d'essayer de dorer la pilule. À mon avis, ce n'est qu'assez récemment qu'on a décidé qu'il fallait corriger cette injustice historique de façon réaliste.

La présidente: Monsieur Keddy, vous avez cinq minutes.

M. Gerald Keddy: Je vous remercie, madame la présidente.

J'ai deux questions à poser à M. Flanagan. Je lui demanderai de répondre brièvement à la première et il pourra prendre tout le temps qu'il veut pour répondre à la seconde.

La première question est une question que je me pose continuellement. J'ai résolu cette question pour moi-même, mais je dois maintenant la résoudre au nom d'autres Canadiens. À mon avis, la Loi sur les Indiens et la façon dont elle a été appliquée aux Premières nations n'a profité ni au gouvernement du Canada ni aux Premières nations. Êtes-vous d'accord ou non avec cette affirmation?

Vous ne pouvez pas me répondre brièvement?

M. Tom Flanagan: Oui.

M. Gerald Keddy: Très bien. Je vous remercie.

Ma seconde question se rapporte davantage à ce qu'a dit M. Scott, mais j'aimerais savoir ce que vous pensez à ce sujet puisque cette question m'apparaît importante. Comme la plupart des membres du comité, je crois avoir examiné les questions que soulève le traité une à la fois et de les avoir replacées dans le contexte du traité. Pour ce qui est de la question de la taxation que soulève M. Scott—pas ses réponses—je pense qu'elle ne mérite pas qu'on s'y attarde. J'aimerais cependant connaître votre avis sur cette question.

• 1140

Je pense que le traité est très clair. On y lit ceci: «De temps à autre, le Canada et la Colombie-Britannique peuvent, ensemble ou séparément, négocier avec la Nation nisga'a et tenter de parvenir à un accord sur...» et l'on parle ensuite de la taxation. Le traité permettrait «la taxation directe des personnes, autres que les citoyens nisga'as, sur les terres nisga'a» J'essaye de résumer pour que vous ayez le temps voulu pour répondre à la question.

Le traité précise que des négociations doivent avoir lieu avec la province de la Colombie-Britannique et le gouvernement du Canada. Il n'est donc absolument pas question de taxation sans représentation dans cet accord. À l'issue de négociations futures, le traité pourrait cependant permettre l'imposition de personnes qui ne pourraient pas participer à l'élection du gouvernement. Cette question ferait cependant l'objet de négociations entre le gouvernement autochtone et la province de la Colombie-Britannique et le gouvernement du Canada.

Interprétez-vous cette disposition autrement que moi? Y voyez-vous un sens caché?

M. Tom Flanagan: Non, je l'interprète de la même façon que vous. Je ne m'oppose pas à votre interprétation. Je me demande cependant pourquoi on ne pourrait pas inclure dans un accord que deux paliers de gouvernement peuvent, dans l'avenir, négocier l'octroi du droit de voler, par exemple. Nous nous opposerions tous à cela. Je m'inquiète donc du fait qu'on prévoit dans un accord que des gouvernements pourront dans l'avenir négocier l'imposition sans représentation. Je conviens avec M. Morse que ce phénomène existe parfois, mais tous les cas qu'il donne se rapportent à des visiteurs, des résidents et des non-citoyens. On va cependant un peu plus loin lorsqu'on dit que le gouvernement canadien va renoncer au droit à la représentation de ses propres citoyens.

M. Gerald Keddy: Il y a aussi le cas d'émigrants qui n'ont pas l'intention de quitter le pays, mais qui ont conservé leur citoyenneté d'origine pour certaines raisons... Peut-être est-ce parce qu'ils ont des investissements dans ce pays. Peut-être est-ce parce qu'ils y ont de la famille et qu'ils doivent régulièrement faire la navette entre le Canada et l'Allemagne, le Canada et les États-Unis ou le Canada et l'Indonésie. Il y a donc toutes sortes de citoyens canadiens—et je pense qu'il y a même des centaines de milliers de résidents permanents au Canada qui sont aussi dans cette situation—qui paient des impôts, mais qui n'ont pas le droit de voter lors d'élections provinciales et fédérales.

M. Tom Flanagan: Oui, et je comprends pourquoi c'est le cas. Mais je ne comprends pas pourquoi on voudrait que des citoyens canadiens se retrouvent dans la même situation.

M. Bradford Morse: Tous ceux qui sont ici et qui ne résident pas en Ontario vont cependant payer la taxe de vente de l'Ontario aujourd'hui. Toutes ces personnes ne participent pas aux élections en Ontario. Comme je réside en Ontario, je participe aux élections. Vous venez de la Nouvelle-Écosse. Vous venez de l'Alberta, n'est-ce pas? Si vous venez du Québec, vous paierez des taxes dans cette province aujourd'hui même si vous ne participez pas à l'élection du gouvernement.

M. Gerald Keddy: Je ne m'oppose pas au fait de devoir payer la taxe de vente. Ce sont les impôts fédéraux qui font problèmes. Je crois qu'il faut reconnaître qu'il y a bien des gens dans notre pays qui jouissent de tous les droits et les privilèges des citoyens canadiens et qui sont, à toutes fins utiles, des citoyens canadiens, sauf qu'ils ne peuvent pas voter lors des élections provinciales et fédérales et qu'ils ne peuvent pas se porter candidat lors de ces élections. Nous restreignons donc leur droit. Je crois qu'on ne peut pas dire qu'il s'agisse de la même chose lorsque nous restreignons le droit d'imposer... on ne restreint cependant pas les autres droits et privilèges dont jouissent les citoyens canadiens.

La présidente: Votre temps est écoulé. Vous pourrez poser une autre question lors du troisième tour. J'accorde maintenant la parole à M. O'Reilly.

M. John O'Reilly: Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.

Peut-être puis-je poursuivre dans la même veine que M. Keddy et vous permettre de répondre à la question. Je m'intéresse davantage à votre réponse qu'aux longues questions que pose M. Keddy. M. Keddy est le genre de personnes qui vous construira une horloge de parquet si vous lui demandez l'heure. J'aimerais donc que vus répondiez à sa question. J'aimerais aussi que vous répondiez à la question que j'ai posée la dernière fois à MM. Flanagan et Morse qui n'ont pas pu y répondre. La question était celle-ci: «Comment recommanderiez-vous d'améliorer la procédure de négociation des traités?»

La présidente: Qui voudrait commencer, monsieur O'Reilly?

M. John O'Reilly: Professeur Flanagan.

La présidente: Professeur Flanagan, allez-y.

M. Tom Flanagan: Pour conclure la discussion sur la taxation, bien sûr il est vrai que si je vais au Québec je paie des taxes de vente là-bas. Toutes ces choses sont vraies. Mais il me semble que ce serait faire tout en saut si on envisageait la possibilité que les citoyens canadiens qui vivent en permanence dans une région puissent être imposés par un gouvernement pour lequel ils n'ont pas le droit de voter. En tant que citoyen canadien, je trouve troublant que des députés puissent envisager une telle chose avec sérénité, et je pense que beaucoup d'autres Canadiens seraient troublés par une telle chose.

• 1145

Votre autre question concernait la procédure de négociation. Ce que j'essayais de dire ce matin, c'est que j'ai de sérieux doutes quant à la viabilité de la procédure que nous avons maintenant entreprise, qui consiste à négocier des traités non pas dans les territoires mais dans les provinces. Je crois que cela s'étendra de la Colombie-Britannique aux autres provinces et que cela mènera peut-être à la renégociation des traités existants.

Je me rends compte que j'arrive peut-être un peu tard pour soulever ces questions, mais c'est la première fois que l'on m'invite. Vous êtes déjà bien avancés dans le processus. Je me rends compte que le gouvernement de la Colombie-Britannique et que le gouvernement du Canada ont convenu de s'engager dans cette voie au début des années 90 et que les négociations sont bien avancées. Je peux comprendre pourquoi les représentants élus veulent que cela se fasse. Je comprends tout cela.

Cependant, si je regarde les choses de mon propre point de vue, qui consiste à faire une étude de l'histoire, je crois que la méthode n'est pas viable et que plus nous nous engagerons dans cette voie, plus grandes seront les difficultés que nous créerons pour l'avenir. Donc, je ne m'intéresse pas tant à faire des recommandations spécifiques sur la façon de l'améliorer qu'à souligner ce qui constitue à mon avis une mauvaise façon de s'y prendre.

Je suis impressionné par l'aspect pratique de ce qu'a dit le professeur Scott. Si je peux moi-même suggérer un programme pratique pour un comité comme celui-ci, ce serait d'entreprendre une étude des conséquences pour le monde réel des grands accords en matière de revendications territoriales qui ont été signées, en commençant par l'accord de la Baie James. Voilà maintenant 25 ans que nous avons ces accords modernes en matière de revendications territoriales.

Mon collègue, le professeur Morse, a dit que l'intention de ces accords était de rendre les peuples autochtones autosuffisants. C'est sans doute l'intention, mais la question concrète consiste à savoir si l'objectif est atteint ou non. Je pense que votre comité a les ressources nécessaires pour entreprendre une étude concrète des conséquences de ces ententes pour le monde réel. Les terres et les ressources qui sont transférées ont-elles en réalité pour conséquence de faire en sorte que les titulaires dépendent moins du gouvernement, risquent moins de recourir à l'aide sociale, risquent davantage de se joindre à la main-d'oeuvre, de devenir autosuffisants, d'être moins sensibles aux pathologies sociales? Je pense que c'est une étude qu'un comité comme le vôtre pourrait entreprendre.

M. Bradford Morse: Très rapidement, je pense que la procédure de négociation des traités pourrait clairement être améliorée, surtout dans le contexte de la Colombie-Britannique. Permettez-moi de vous faire trois suggestions: d'abord, toutes les parties à la négociation doivent être davantage sensibles au temps. Nous pouvons négocier des ententes complexes dans un délai raisonnablement serré si nous sommes prêts à consacrer du temps et de l'énergie à ces négociations. Dans le cas de la Colombie-Britannique qui a 50 tables de concertation, je pense que le problème tient en partie du fait qu'au rythme actuel des progrès accomplis, il faudra de nombreuses années avant de régler entièrement toutes les questions contenues dans ces ententes globales, ce qui est regrettable pour toutes les parties.

La deuxième façon de s'y prendre serait à mon avis que toutes les parties fassent preuve de plus de clarté et d'une plus grande proactivité lorsqu'elles présentent leurs positions fondamentales. Elles doivent réellement s'engager dans le débat, exposer leurs positions et tenter d'en arriver à un compromis le plus rapidement possible.

Le troisième élément, c'est que nous devons reconnaître que bien souvent, les tables de concertation ainsi créées sont de dimension modeste. Elles concernent chacune une seule petite nation. Elles sont trop modestes pour répondre aux véritables aspirations des Autochtones. Nous avons deux possibilités: tout d'abord, rassembler certaines de ces tables de concertation pour en faire un organisme plus grand relevant du gouvernement régional, comme le gouvernement nisga'a qui regroupe toutes les communautés de la Nation nisga'a; ou bien, les Premières nations devront accepter que les compétences dont elles sont théoriquement investies, devront rester des coquilles vides, car les Premières nations n'ont pas de ressources humaines ou de population suffisante pour gérer efficacement un hôpital dans une communauté de 100 personnes. Les Premières nations ont effectivement compétence en matière de santé, mais il n'en découle pas automatiquement les résultats concrets qu'on pourrait souhaiter. Je pense donc qu'il faut procéder à certains regroupements pour accélérer les choses.

Il sera difficile de maintenir les engagements actuels et d'atteindre les objectifs fixés dans le Traité nisga'a, compte tenu des niveaux de certitude et de bonne volonté qu'ils impliquent, si les négociations se poursuivent pendant 20 ou 30 ans, comme c'est le cas au Québec, où on continue de négocier 25 ans après l'entente de la Baie James. Dans le Canada atlantique, on n'a même pas encore commencé.

• 1150

M. John O'Reilly: Madame la présidente, je signale pour terminer que je suis constamment confronté à la représentation sans droit de vote. Les élections municipales se tiennent partout le même jour, et les gens qui habitent à Toronto et qui possèdent un chalet dans la belle région des lacs Kawartha, où ils paient toutes sortes d'impôts fonciers, ne peuvent pas voter dans cette région. Pour moi, ce n'est donc pas nouveau, et j'en ai souvent entendu parler.

Je vous remercie, madame la présidente.

La présidente: Merci.

Voilà qui termine le troisième tour des questions posées à nos témoins. Il me reste à vous remercier au nom de tous les membres du comité.

Les témoins qui ont comparu pendant toutes nos délibérations nous ont donné une vaste gamme de points de vue, et cette variété d'opinions nous est très utile; nous ne manquerons pas d'en tenir compte.

Merci.

J'ai quelques annonces à faire aux membres du comité. Tout d'abord, je vous rappelle que nous nous réunissons de nouveau dans moins d'une heure pour une vidéoconférence dans une autre salle. C'est la salle 701 de l'immeuble la Promenade, où nous siégerons de 12 h 45 à 14 heures.

Pendant la présente réunion, notre témoin de cet après-midi a appelé la greffière pour lui faire savoir que des motifs personnels l'obligent à renoncer à sa comparution. Dès que notre greffière regagnera son bureau, vous recevrez un avis officiel d'annulation de la séance de 15 h 30.

Deuxièmement, certains d'entre vous m'ont dit la semaine dernière qu'ils aimeraient voir les objets de la Nation nisga'a qui sont actuellement exposés au Musée des Civilisations, de l'autre côté de la rivière. Comme notre réunion a été annulée, j'ai pris des dispositions pour que nous puissions nous y rendre. Juste après la période des questions, ceux qui veulent visiter le musée pourront se réunir devant l'entrée des députés. Ce n'est pas une réunion officielle. Donc, à tout à l'heure.

Merci beaucoup. La séance est levée.