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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 2 mars 1999

• 0910

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Mesdames et messieurs, nous avons un horaire chargé ce matin et j'aimerais bien que nous nous y mettions. Je vous rappelle qu'il s'agit ici de la première d'une série de tables rondes consacrées aux futures audiences de l'OMC, qui commenceront croit-on en novembre de cette année.

Je vais d'abord donner la parole au professeur Wolfe, après quoi nous entendrons Mme Barlow, M. Clarke et M. Herman.

[Français]

Je rappelle aux témoins que, dans notre comité, nous essayons de restreindre les interventions principales à environ 10 minutes parce que nos membres ont beaucoup de questions à poser. Puisque nous avons tous reçu un énorme cahier d'information, nous sommes très bien préparés et nous avons de bonnes questions. Je demande donc à nos témoins de limiter leur première série d'interventions à 40 minutes.

Professeur Wolfe.

[Traduction]

M. Robert Wolfe (professeur, École des études de politiques, Université Queen's): Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître. C'est un honneur pour moi de prendre la parole ici en si auguste compagnie.

Les questions à l'étude aujourd'hui sont le rôle du Canada à l'OMC et nos objectifs pour le prochain cycle de négociations. Je voudrais aborder trois points. D'abord, l'OMC est-elle une institution appropriée ou suffisante pour faire face aux craintes et aux attentes que suscite la mondialisation? Deuxièmement, faut-il un nouveau cycle de négociations global? Troisièmement, comme je réponds par l'affirmative aux deux premières questions, j'aimerais formuler certaines suggestions sur ce que le Canada devrait faire.

À la première question, je répondrai par une lapalissade: la direction des affaires mondiales est une responsabilité à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire. C'est le message de Kofi Annan, qui a déclaré récemment ce qui suit:

    La mondialisation est une réalité. Je crois toutefois que nous avons sous-estimé sa fragilité. Voici le problème. L'expansion des marchés est plus grande que la capacité des sociétés et de leurs systèmes politiques de s'y adapter et plus grande encore que leur capacité de les orienter [...] Les pays industrialisés ont appris cette leçon pendant la grande crise [...] et ont adopté des mesures de sécurité sociale et autres destinées à limiter la volatilité économique et à indemniser les victimes des échecs du marché. Ce consensus a permis de prendre des mesures successives de libéralisation, qui ont conduit à la longue période d'expansion d'après-guerre.

Le secrétaire général a déclaré que le défi aujourd'hui est de trouver une entente semblable à l'échelle mondiale.

Dans ses 50 premières années d'existence, le GATT a permis de créer les conditions favorisant la circulation mondiale de produits, de services et d'idées qui, en rassemblant les populations, a sans aucun doute contribué à la paix et à la prospérité. Il a créé un compromis entre le libre-échange et l'État providence. Il faut aujourd'hui élargir le cercle de la prospérité tout en maintenant la cohésion sociale au pays.

Les partisans et les adversaires de la mondialisation s'entendent sur le fait que l'OMC limite les orientations intérieures possibles. Ses partisans estiment qu'il est bon de façonner l'évolution du consensus sur les politiques de qualité. Ses adversaires estiment que l'OMC accorde du prix à la position des multinationales aux dépens des populations. Tel est le paradoxe démocratique de la mondialisation des affaires publiques.

Pour que le système des échanges fasse partie de cette mondialisation de la conduite des affaires publiques, il faut s'entendre avec les autres pays, ce qui impose forcément des contraintes aux politiques qui s'offrent à nous. Cela ne doit pas supposer l'abandon de nos choix politiques intérieurs ni se faire en secret. L'OMC est donc une institution appropriée mais elle n'est plus suffisante à certains égards.

Il peut paraître déconcertant que les préparatifs en vue d'un nouveau cycle de négociations soient en cours au moment où la méfiance à l'endroit de la mondialisation est grande et que les résultats du dernier cycle n'ont pas encore été mis en oeuvre dans leur totalité. La solution se trouve dans la réponse à ma deuxième question: De quel genre de négociations avons-nous besoin?

Le prochain cycle de négociations sera défini, comme le précédent, par la tension triangulaire entre le vieux problème de l'agriculture, le nouveau problème du commerce des services et l'intégration croissante dans l'économie mondiale des pays en développement.

Prenons la première pointe du triangle, le commerce agricole, la plus vieille forme d'échange de produits. En vertu de l'article 20 de l'accord sur l'agriculture, les membres de l'OMC sont tenus d'entreprendre de nouvelles négociations en 1999. L'article sur la paix, l'article 13 de l'accord, les y encourage. Il limite le recours à certaines mesures comme les droits compensateurs pour lutter contre les subventions agricoles, mais uniquement jusqu'à l'an 2003. La prorogation de l'article sur la paix sera plus facile si les nouvelles négociations sont couronnées de succès. Le Canada voudra négocier sérieusement pour défendre ses exportateurs de denrées, mais cela aura des conséquences pour les secteurs sensibles aux importations. Des escarmouches ont déjà eu lieu. Si le cycle de négociations échoue, l'article sur la paix va expirer et la guerre agricole va reprendre.

• 0915

La deuxième pointe du triangle, les services, constitue la nouvelle forme du commerce. Une libéralisation plus poussée ici est importante à la fois pour les producteurs et les consommateurs de services. Si l'on n'arrive pas à poursuivre les travaux sur le cadre de réglementation de ce domaine en expansion, la croissance pourrait en pâtir et il pourrait y avoir une nouvelle source de conflit entre les États.

La troisième pointe du triangle, l'intégration complète de tous les États dans le système commercial sur une base juste et équitable, devrait être le principal objectif de politique étrangère des pays comme le Canada. Les pays en développement, y compris les économies en transition, veulent assumer une plus grande partie des avantages et des obligations qu'entraînent la présence et la participation pleine et entière dans le système. S'ils se sentent exclus du processus, ils pourront le paralyser. Si le cycle de négociations ne se penche pas sur des questions importantes pour eux, il ne peut pas et il ne doit pas y avoir de succès aux négociations.

Aucun de ces trois domaines ne peut être évité et aucun d'eux ne peut trouver son équilibre tout seul. On ne pourra s'entendre sur l'une des pointes du triangle que s'il y a des concessions qui concernent les deux autres. Des points de discussion seront ajoutés à chaque pointe du triangle. Lorsque le ministre a comparu devant vous, il a énuméré une longue liste de possibilités: les discussions sur la politique des investissements et de la concurrence viendront compléter celles sur les services; la discussion sur les règles et les normes touche de différentes façons au commerce de produits, au commerce de services et aux pays en développement; une plus grande libéralisation est possible dans d'autres secteurs de produits.

La question est complexe. On peut le comprendre, les membres veulent que les cycles soient plus courts et veulent récolter le fruit de leur travail lorsqu'il est mûr. Je soutiens quant à moi que cette logique triangulaire exige un cycle global et non sectoriel. Il durera probablement des années et, dans mon mémoire, qui vous a été remis je crois, j'explique plus longuement mes raisons.

J'aborde maintenant la troisième question: Qu'est-ce que le Canada devrait essayer accomplir cette fois? L'objectif premier devrait être une entente qui touche les trois pointes du triangle. Le deuxième objectif doit être de faire en sorte que les nouvelles négociations commerciales améliorent la productivité du Canada, pour les produits de technologie avancée, par exemple, tout en adoucissant les adaptations structurelles des secteurs plus anciens. Le troisième objectif devrait être de résister à la tendance de chercher dans l'OMC un accord cadre permettant de réglementer tous les domaines de la vie économique internationale.

Beaucoup vous diront qu'il devrait être prioritaire d'incorporer aux accords commerciaux des normes en matière d'environnement et des normes du travail. Kofi Annan n'est pas de cet avis. Dans son discours de Davos, il a déclaré que des pressions énormes s'exercent pour alourdir le régime du commerce de restrictions visant à faire appliquer des normes acceptables dans le domaine des droits de l'homme, des normes du travail et des pratiques environnementales. Il reconnaît la légitimité de ces préoccupations, mais du fait de la fragilité de la mondialisation, il soutient que l'on risque de causer plus tort que de bien à la prospérité mondiale si l'on impose de nouvelles restrictions au commerce et de nouvelles entraves aux mouvements de capitaux.

Des principes universels ont été définis par des textes internationaux dans ces domaines, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, la déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et la déclaration de Rio issue de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement de 1992.

Le secrétaire général a lancé une initiative intéressante destinée à encourager les entreprises à souscrire à ces principes et à les répandre. Le système commercial peut et doit équilibrer les objectifs sociaux et économiques, mais il faudra parfois pour cela céder le pas aux mesures prises dans d'autres organisations officielles et officieuses ou par des États.

J'aimerais parler brièvement de la teneur et des méthodes du commerce électronique, parce que cela montre le fonctionnement de l'OMC. Grâce à la technologie, il est possible de créer de nouvelles formes d'activité commerciale qui transcendent les frontières. Les membres de l'OMC doivent comprendre ce que sont ces nouvelles entités avant de pouvoir discuter de la façon de les assujettir aux normes et principes du système commercial. Le processus est en cours depuis des années, au fur et à mesure que les pays font face à ces questions.

L'objectif ici n'est ni l'absence de règles ni la réglementation systématique mondiale d'Internet. On a tort de penser que les négociations commerciales internationales existent pour créer des règles. En effet, les négociateurs découvrent ou reconnaissent l'émergence de règles à l'occasion d'un processus de conciliation internationale avant de pouvoir les coucher par écrit.

La même démarche devrait être suivie dans le cas de la culture. Il faut trouver d'autres formules que l'exemption culturelle, qui a été source de confusion et de difficultés. Il faut à l'OMC un débat sur les objectifs sociaux légitimes qui peuvent être servis par la réglementation nationale des entreprises culturelles.

Le GCSCE chargé des entreprises culturelles a recommandé que nous cherchions à négocier un nouvel instrument culturel. On pourrait pour cela s'inspirer du document de référence négocié dans le cadre de l'accord relatif aux services de télécommunications de base. Il s'agit d'un ensemble de lignes directrices sur la façon dont les pays sont censés adapter leur cadre réglementaire intérieur au système commercial. Il n'oblige pas les pays à avoir la même réglementation, mais il fait en sorte que ces réglementations sont conformes aux normes de l'OMC.

• 0920

Enfin, le Canada doit continuer à jouer un rôle prépondérant dans les questions institutionnelles. On a beaucoup fait pour rendre plus accessible l'information de l'OMC, mais il faut faire davantage pour faire participer les représentants élus de l'organisation. L'OMC a précisément la structure institutionnelle qui manquait au GATT, mais avec ses plus de 130 membres, aucun des nouveaux organes créés dans le cycle d'Uruguay ne peut fonctionner si toutes les discussions font toujours intervenir tous les membres dans l'espoir de trouver un consensus en public. Les grandes décisions sont d'ordinaire le fruit d'une série de rencontres plus petites de ministres et de fonctionnaires, mais cette façon de procéder traditionnelle a peut-être fait son temps.

J'ai déjà proposé par le passé que l'OMC devrait avoir un comité exécutif semblable au Conseil de sécurité de l'ONU. Je serai heureux de développer cette idée si cela intéresse les membres du comité.

Pour conclure, la politique étrangère du Canada et la politique économique intérieure seraient toutes les deux bien servies par le lancement d'un cycle global de négociations à l'OMC. Il faudra insister pour développer davantage l'accord sur l'agriculture, renforcer l'accord général sur le commerce des services, intégrer les pays en développement, introduire la politique culturelle à l'OMC et améliorer les institutions du système.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, professeur Wolfe. Vous avez couvert beaucoup de terrain dans un très petit mémoire. Il s'agit d'une introduction très utile. Je regrette seulement que M. Penson n'ait pas été ici lorsque vous avez dit que la paix règne dans l'actuelle guerre agricole. Il est convaincu quant à lui que la guerre se poursuit et il en est l'un des principaux fantassins. Il aura l'occasion de vous interroger sur le sujet le moment venu.

Je vais maintenant céder la parole à M. Herman puis à Mme Barlow et enfin à M. Clarke, si cela vous convient.

Monsieur Herman.

[Français]

M. Lawrence Herman (avocat pour le commerce international, Cassels, Brock, Blackwell; témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président. J'ai le plaisir de comparaître devant vous ce matin et de vous faire part de quelques commentaires. Je suis un peu gêné de ne pas avoir préparé un mémoire comme l'a fait mon ami, le professeur Wolfe, mais je vais quand même faire quelques brefs commentaires.

[Traduction]

Je n'ai pas de mémoire, contrairement au professeur Wolfe. C'est le désavantage qu'il y a à exercer le droit et à courir trop de lièvres à la fois.

Le président: Vous ne voulez pas laisser entendre que vous n'êtes pas rémunéré pour vos services et que c'est cela la vraie raison.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Il y a beaucoup d'avocats ici, monsieur Herman, et ils sont très sceptiques quand...

M. Lawrence Herman: Nous sommes rétribués de diverses façons, et je tire une grande satisfaction spirituelle de ma présence devant le comité, monsieur le président. Vous, monsieur le président, spécialiste du droit public international qui a déjà lui-même exercé, je crois que vous goûterez mes propos.

Mes observations se situent dans le cadre du droit, puisque je suis avocat de formation, mais je parlerai aussi brièvement de l'expérience que j'ai acquise comme diplomate et représentant du Canada à Genève il y a longtemps, à l'époque où le GATT était beaucoup plus simple que l'OMC l'est aujourd'hui. M. Hines, qui apporte son concours au comité, saura de quoi je parle, puisque son expérience est semblable à la mienne, je crois.

La situation est bien telle que l'a décrite le professeur Wolfe: mondialisation, interdépendance, intégration des économies nationales. L'externalisation des économies nationales, 40 p. 100 de l'activité économique étant axée sur le commerce et les investissements étrangers, comme certains l'ont souligné, exige des règles. Comme praticien d'exercice privé et comme spécialiste du droit international à l'occasion, j'estime nécessaire que la communauté internationale se développe et régisse son activité sous l'empire du droit.

L'Accord de l'OMC est—il est important de toujours se le rappeler—un traité multilatéral qui régit l'activité humaine. Je dirais que l'Accord de l'OMC est le principal traité international et la principale organisation internationale qui régit les relations entre les pays.

• 0925

Certains diraient peut-être que la Charte de l'ONU et l'ONU en tant qu'institution constitue le principal organisme international. Je dirais cependant—et je vous en donnerai les raisons dans un instant—que l'OMC est devenue la principale institution d'intégration mondiale qui établit et administre les règles de droit comme aucune autre institution ne l'a fait au cours de toute l'histoire. Je ne voudrais pas donner l'impression de dramatiser, mais pour un avocat du droit international, rien n'égale l'Accord de l'OMC dans toute l'histoire du droit international depuis des siècles.

Les avocats du droit international se sont toujours butés au fait que le Droit international n'est pas vraiment une loi parce qu'il lui manque un élément fondamental, c'est-à-dire un mécanisme de règlement des différends assorti d'une sanction pour faire respecter les règles. La Charte de l'ONU n'est pas assortie de sanctions telles que nous les connaissons. L'ONU fonctionne selon le principe du concensus et de la courtoisie internationale. Elle élabore des normes, mais ces dernières ne peuvent être appliquées que grâce à un système très complexe de concertation.

L'Accord de l'OMC, pour le meilleur ou pour le pire, comprend un mécanisme de sanction. Les États peuvent être appelés à rendre des comptes aux termes du mémorandum relatif aux règlements des différends, et on s'assure qu'ils respectent leurs obligations en vertu du traité par ce qu'on appelle communément des mesures de rétorsion. Pour moi, qui suis avocat, cela en dit long sur le genre d'institution qu'est l'OMC et le genre de traité multilatéral qu'est l'Accord de l'OMC.

Les caractéristiques de l'OMC à titre d'institution ont d'importantes conséquences pour le Canada. Certaines de ces conséquences ont déjà été abordées par le ministre et ses hauts fonctionnaires lorsqu'ils ont témoigné devant votre comité, et je pense que d'autres vous feront également des observations à ce sujet.

Il me semble que de façon générale, il est dans l'intérêt du Canada d'assurer la primauté du droit à l'échelle internationale, d'accroître le rôle que joue aujourd'hui l'OMC à titre de principale institution organisatrice des affaires humaines. Tout comme le Canada a été au premier rang pour développer les règles relatives à la sécurité de l'homme, notamment le traité sur les mines antipersonnel et l'accord sur le Tribunal pénal international, dans le domaine du commerce international et des relations commerciales internationales, il est certainement dans l'intérêt du Canada de s'assurer que l'on encourage l'OMC en tant qu'institution et que l'on mette davantage l'accent sur la primauté du droit.

Il y certains problèmes inhérents au processus de l'OMC qu'il faut régler, et il est dans l'intérêt du Canada de le faire. Votre comité a un rôle vital à jouer pour ce qui est d'éduquer les Canadiens sur le rôle que peut jouer l'OMC et sur l'intérêt des Canadiens, et je me réjouis du travail que vous faites ici. Il s'agit là d'un exercice très important, et je vous souhaite bonne chance dans vos futures entreprises à cet égard. Il y a cependant encore des progrès à faire pour promouvoir la transparence de l'OMC, et s'assurer ainsi que les Canadiens comprennent ce qu'est l'OMC et démystifier la nature du processus pour les Canadiens.

• 0930

Des mesures ont déjà été prises au sein de l'OMC, par exemple. Il y a encore des progrès à accomplir, mais le Canada, de concert avec des États qui partagent les mêmes idées, a proposé de rendre le processus de règlement des différends plus transparent et de donner au grand public davantage accès aux documents, aux actes de procédure et aux arguments qui font partie du processus de règlement des différends de l'OMC.

Je ne crois pas—et je serai très franc à ce sujet—que la transparence soit la même chose que l'accessibilité. Je ne crois pas que cela serait dans l'intérêt du Canada ou que cela encouragerait la primauté du droit à l'échelle internationale si des groupes d'intérêts ou des particuliers pouvaient participer au processus de règlement des différends de l'OMC. Cela ne veut pas dire cependant que l'État ne puisse transmettre les points de vue de ces groupes d'intérêts, mais je ne crois pas que cela soit compatible avec le concept de l'OMC qui est une institution internationale.

Je ne crois non plus que cela améliorerait, encouragerait ou rendrait plus efficace la procédure de règlement des différends si on permettait à des particuliers d'avoir accès à ce système. Il ne s'agit pas là d'une position rétrograde. En fait, selon moi, les États réussissent très bien à régler directement les différends entre eux. Je suis également d'avis que nous n'avons pas encore suffisamment d'expérience avec les processus de l'OMC et qu'il est sans doute encore trop tôt pour juger de l'efficacité de ces processus.

J'ai parlé tout à l'heure des contestations du processus de règlement des différends de l'OMC. Le Canada et d'autres pays doivent être préoccupés par la judiciarisation excessive du processus de règlement des différends. Dans une certaine mesure—je ne sais pas si d'autres de mes collègues partagent mon point de vue—, je suis quelque peu atterré de voir dans quelle mesure l'organe d'appel de l'OMC examine en détail à la fois les faits et la loi lorsqu'il entend des appels des décisions du groupe spécial. Cette judiciarisation excessive du processus est un défi pour le Canada.

Permettez-moi d'aborder rapidement quelques questions concernant le processus qui sont une source de préoccupation pour tous et qui inquiètent les Canadiens.

Vous regardez l'horloge, monsieur le président. J'espère que je n'ai pas...

Le président: Désolé, je ne voulais pas être impoli. Je viens tout juste de remarquer qu'il y a une grande différence entre l'horloge qui se trouve à l'arrière de la pièce et celle qui est à l'avant. Si l'horloge qui est à l'arrière indique l'heure juste, vous avez largement dépassé le temps qui vous est alloué, et si c'est celle-ci qui indique l'heure, il n'y a pas de problème. Donc, puisque vous êtes quelque part entre les deux horloges, disons qu'il n'y a pas de problème.

M. Lawrence Herman: Je dois vous dire, monsieur le président, puisque j'étais la première personne à arriver dans cette pièce ce matin...

Des voix: Oh, Oh!

M. Laurence Herman: ... que j'ai déjà remarqué cette différence entre les deux horloges, mais je pensais que c'était voulu. Selon une horloge on a de l'avance, tandis que d'après l'autre, on a du retard.

Il y a certaines de ces questions dont je ne vais pas parler pour le moment. Nous pourrons parler du cycle de négociations du millénaire au cours de la période des questions. Le ministre a parlé de la théorie des faisceaux et de l'importance de certaines questions, et le professeur Wolfe nous en a parlé également, notamment dans le contexte de l'agriculture. Laissons donc ces questions de côté pour le moment. J'aimerais brièvement parler de certains autres défis qui sont importants pour le Canada et pour les Canadiens dans le contexte plus général qui consiste à s'assurer que l'on améliore les processus de l'OMC et qu'on les rende plus efficaces.

Le régionalisme est un défi pour l'OMC. Le régionalisme par opposition au multilatéralisme est un défi—comment incorporer les accords régionaux tout en s'assurant que l'OMC demeure la principale institution internationale.

Deuxièmement—et c'est une question qui préoccupe les Canadiens, nous devons trouver une façon assez rapide d'intégrer la Russie et la Chine à l'OMC. Cela ne se fera pas avant la prochaine rencontre ministérielle à la fin de l'année, mais on est en train de malmener l'universalité parce que la Chine et la Russie, deux des principales économies dans le monde, ne font pas partie du système.

Troisièmement, les Canadiens doivent se préoccuper du fait que les États-Unis et l'Union européenne dominent le système commercial multilatéral. Les Canadiens doivent s'inquiéter de l'unilatéralisme américain. C'est un défi pour tous les Canadiens de s'assurer qu'en tant qu'institution multilatérale, l'OMC n'est pas assujettie aux politiques et aux mesures unilatérales des deux blocs commerciaux dominants.

• 0935

Je m'arrête ici, car j'ai déjà parlé assez longuement. Nous pourrons aborder certaines questions de fond plus tard au cours du débat.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Herman. Cela a été très utile d'un point de vue juridique.

Madame Barlow, vous avez la parole.

Mme Maude Barlow (présidente, Conseil des Canadiens): Merci beaucoup. Je suis très heureuse d'être ici, surtout que c'est le premier jour de ces très importantes audiences.

Au cours des douze derniers mois, le Conseil des Canadiens a participé à une série d'audiences publiques tenues d'un bout à l'autre du pays. Nous avons lancé un sondage à l'échelle nationale auprès de tous les citoyens concernant l'Accord multilatéral sur l'investissement, mais aussi concernant la mondialisation économique, le commerce et toutes ces questions. Des audiences officielles ont eu lieu dans huit centres au pays, et 15 000 Canadiens y ont participé soit directement lors des audiences, soit en soumettant leurs observations et leurs propositions par écrit.

D'après mon expérience, je peux vous dire que partout dans le pays les citoyens s'inquiètent de l'orientation que prend l'économie à l'échelle mondiale ainsi que du rôle grandissant de l'OMC. Après avoir entendu une grande partie des témoignages présentés à ces audiences et y avoir réfléchi, je peux dire sans me tromper qu'il existe un véritable malaise chez les Canadiens face à l'orientation que prend le pays en ce qui concerne la mondialisation de l'économie.

Prenons, par exemple, la décision rendue la semaine dernière par l'OMC—c'est une décision provisoire, mais il semble qu'elle sera maintenue—et selon laquelle le Canada ne peut plus élaborer sa propre stratégie industrielle à moins qu'elle soit liée à la production de défense. Bien sûr, il y a également le différend concernant les magazines, et Charlene Barshefsky a déclaré publiquement que ce n'était là que la pointe de l'iceberg; et puis il y a encore l'industrie cinématographique, les droits d'auteur et tout le reste.

Nous devons bien comprendre que les autorités commerciales américaines sont ennuyées par le rôle qu'ont joué les ONG canadiennes dans l'Accord multilatéral sur l'investissement. Ils ont provoqué un bras de fer dans le cas de la culture, parce qu'ils veulent faire du Canada un exemple. Je ne pense pas qu'il reste grand-chose à attaquer sur le plan de la culture. Il me semble que c'est surtout parce qu'ils ne veulent pas laisser la porte ouverte pour d'autres pays.

Je voulais vous faire part des questions et des messages suivants qui sont ressortis de notre enquête auprès des citoyens.

Tout d'abord, les droits démocratiques. Partout, nous avons été frappés par les appels répétés en faveur des mesures à prendre pour faire respecter les droits fondamentaux des citoyens. Les gens ont vraiment l'impression que leurs droits démocratiques régressent dans notre pays. On nous a dit à maintes et maintes reprises que les droits des sociétés empiètent sur les droits des citoyens.

Un très grand nombre de nos témoins ont parlé de la Déclaration universelle des droits de l'homme ainsi que des conventions et des chartes de l'ONU, en insistant sur le fait que ces documents ne sont plus pris au sérieux quand il est question des activités de l'OMC et des institutions apparentées au nouvel ordre économique. D'après ce que je sais de l'OMC, c'est au fond un instrument de déréglementation visant les règles nationales ou internationales, et c'est au fond un guide ou un ensemble de listes des choses que les gouvernements ne peuvent plus faire.

Deuxièmement, la libéralisation du commerce. Tout au long de l'enquête, on nous a constamment parlé des contrecoups du libre-échange. On nous a parlé d'exemples du tort causé par l'ALE et l'ALENA pour les communautés agricoles, les villages de pêcheurs et les villes industrielles. Nous avons entendu parler des effets néfastes du libre-échange sur nos programmes sociaux et sur le secteur public.

Naturellement, les gens sont très inquiets des incidences des décisions de l'OMC sur la culture, mais aussi des dossiers concernant le chapitre 11, comme la contestation d'Ethyl relative à l'interdiction du Canada d'utiliser le MMT dans l'essence que nous utilisons, la contestation de Sun Bel Water, celle de S.D. Myers et d'autres encore.

Bien que la libéralisation du commerce puisse profiter aux riches et aux puissants, elle cause de plus en plus de misère et de souffrance à la grande majorité des Canadiens. Les gens estiment vraiment que le Canada a renoncé à l'essentiel de sa souveraineté nationale et perdu la volonté politique qu'il pouvait avoir en tant qu'État-nation pour réglementer les activités des sociétés transnationales dans notre pays.

Je rappelle que depuis le jour où l'on a conclu l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, la pauvreté des enfants au Canada s'est accrue de 60 p. 100. C'est la plus forte augmentation de la pauvreté des enfants dans un pays industrialisé. Je ne dirai pas que le commerce est la seule raison, mais je dirai que la libéralisation du commerce et la mondialisation y sont pour beaucoup.

• 0940

Troisièmement, nous avons entendu parler de la nécessité de protéger le patrimoine naturel. L'un des appels pressants et constants qu'on a entendus tout au long de l'enquête visait la protection du patrimoine naturel de la planète—l'air, l'eau, les océans, la faune, la vie sauvage—, pour le bien des générations futures. Il faut éviter de voir en tout un bien qu'on peut vendre ou acheter sur le marché; c'est pourtant l'attitude qu'on constate à l'OMC et dans l'économie mondiale.

On a beau prendre des engagements internationaux pour protéger le patrimoine naturel en réduisant les gaz à effet de serre ou en empêchant la vente et l'exportation d'eau en vrac, ils seront vains si les mesures adoptées sont considérées comme des formes déguisées d'entrave au commerce et jugées inacceptables par l'OMC. Ce qu'on semble craindre le plus de la mondialisation de l'économie, mis à part les pertes d'emplois et des moyens de subsistance, c'est la destruction même du patrimoine naturel.

Je tiens à aborder très précisément les dispositions de l'OMC qui portent sur l'environnement. L'OMC peut renverser des lois environnementales nationales qui ne sont pas conformes à ses règles. Nous en avons eu plusieurs exemples très importants; un concernant les crevettes qui tuent les tortues de mer d'Asie, un autre concernant le thon qu'on prend dans des filets qui ne protègent pas les dauphins. Les normes environnementales nationales qui sont inférieures à la moyenne mondiale ne sont pas menacées. Celles qui sont supérieures risquent d'être contestées à titre d'entrave non tarifaire au commerce. On constate donc une tendance à l'abaissement de l'ensemble des normes.

Il existe une exception, qu'on appelle l'article 20, et elle est guidée par une petite chose qu'on appelle le chapeau, qui, selon l'interprétation qui en est donnée, signifie que l'article 20 ne peut être invoqué que de façon non discriminatoire et ne peut être utilisé comme une entrave déguisée au commerce. La décision clé de l'organisme d'appel dans l'affaire des crevettes et des tortues dispose que les exceptions à l'article 20 doivent être restreintes et conditionnelles, et c'est en raison du chapeau que l'article 20 n'a pas pu être invoqué pour obtenir une exemption. En l'occurrence, on dirait que c'est le chapeau qui mène et non pas l'article 20.

Le président: Le chapeau est placé au mauvais bout de l'article.

Des voix: Oh, oh!

Mme Maude Barlow: En outre, l'OMC ne reconnaît pas la suprématie des ententes multilatérales sur l'environnement, les EME. De plus, CITES, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, a été violée par l'intermédiaire de l'OMC.

Je tiens également à dire que l'eau canadienne est menacée par l'OMC. Elle est incluse parce qu'elle l'est dans la définition de marchandise du GATT. L'article qui nous préoccupe le plus est l'article 11, qui interdit l'utilisation de mesures de contrôle de l'exportation et qui supprime les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation. Une interdiction de l'exportation d'eau pourrait être contestée, non seulement en vertu de l'ALENA mais aussi dans le cadre de l'OMC.

Le quatrième sujet d'inquiétude dont on nous a parlé a trait au contrôle communautaire. En réaction à la forte poussée vers la mondialisation, on a exprimé au cours de notre enquête une vive réaction en faveur des collectivités et de la reconnaissance de la nécessité d'avoir un meilleur contrôle communautaire. D'après les témoignages entendus, on en a vraiment contre la perte des normes nationales et l'échec des gouvernements nationaux à maintenir les niveaux appropriés de paiements de transfert.

Dans la nouvelle économie mondiale, on a cédé trop de pouvoirs aux sociétés transnationales et aux institutions mondiales comme l'OMC. Par conséquent, il semble qu'on ait nettement perdu confiance en notre gouvernement national pour défendre les droits des citoyens et répondre à leurs besoins, et qu'en contrepartie on souhaite renforcer les institutions pour assurer un meilleur contrôle local, en recourant, s'il le faut, à la création de parlements communautaires qui seraient beaucoup plus représentatifs et axés sur la participation.

La cinquième préoccupation dont on nous a fait part a trait au fait que la société civile a un rôle majeur et vital à jouer dans l'élaboration de la politique canadienne en matière de commerce international, d'investissement et de finance. La difficulté tient au fait que les mouvements et les organisations populaires de notre pays sont à toutes fins utiles empêchés de participer effectivement à ce niveau.

Je conteste l'affirmation de mon collègue, M. Herman, selon laquelle les groupes d'intérêts ne sont pas représentés à la table. Bien sûr, lorsqu'il est question de définir les politiques d'intérêt public, le gouvernement Chrétien a tendance à s'en tenir à ce que lui dicte le Conseil canadien des chefs d'entreprise. Il y a à peine deux semaines, par exemple, le ministre du Commerce international, M. Marchi, et ses homologues provinciaux se sont réunis à huis clos avec ce conseil et d'autres grosses associations du monde des affaires pour discuter, entre autres choses, des mesures que les gouvernements devraient prendre pour consulter la population sur l'OMC et d'autres questions d'économie mondiale. Aucun autre secteur de la société, et surtout pas le Conseil des Canadiens, qui constitue le plus important groupe de défense des intérêts du public au pays, n'a été invité à faire connaître son point de vue.

Il faut absolument créer des mécanismes qui permettront d'assurer une participation démocratique efficace aux décisions stratégiques fédérales en matière de commerce, d'investissement et de finance sur le plan international. Sinon, les craintes et préoccupations de la population ne feront que croître.

• 0945

J'aimerais vous citer un commentaire qui, d'après le Financial Times, a été fait par un fonctionnaire non identifié de l'OMC:

    [L'OMC] est l'endroit où les gouvernements manigancent ensemble pour torpiller leurs propres groupes de pression nationaux.

Le Conseil des Canadiens, s'inspirant des conclusions tirées de cette consultation des citoyens, juge que le gouvernement du Canada ne devrait pas appuyer une nouvelle série de négociations. Nous ne disons pas que nous devons quitter l'OMC, mais nous croyons qu'il faudrait absolument mettre un frein à toute planification de négociations portant sur d'autres questions.

L'investissement ne devrait pas être abordé par l'OMC. Si les investissements sont étudiés par l'organisation, ce qu'on propose d'ailleurs, il ne s'agira plus de négociations entre États, comme M. Herman l'a indiqué, mais entre investisseurs et États. C'est justement ce qui s'est produit avec l'ALENA, puisque des sociétés ont intenté des poursuites contre le gouvernement canadien aux termes du chapitre 11 portant sur les lois environnementales; tout cela serait ainsi multilatéralisé au sein de l'OMC.

Nous nous inquiétons vivement du secteur culturel. Les Américains ont dit qu'ils allaient renégocier même les quelques petites lignes portant sur les exemptions culturelles dans le GATT, dispositions qui sont d'ailleurs inadéquates. Ils ont également dit qu'ils voulaient revoir le droit de la propriété intellectuelle. Nous étudions le droit d'auteur. Nous parlons de nouvelles négociations sur la radiodiffusion. J'aimerais vous rappeler que la radiodiffusion aux États-Unis est un secteur protégé parce qu'il s'agit là de sécurité nationale. Ce n'est pas le cas au Canada. Ainsi le secteur de radiodiffusion américain serait protégé, mais il n'en irait pas de même pour le secteur canadien.

Ce sont là des questions très importantes qui pourraient être abordées lors du cycle de négociations du millénaire. Nous exhortons donc le gouvernement canadien à collaborer avec les autres gouvernements et avec les groupes de citoyens de toutes les régions du monde pour évaluer ce qui s'est produit jusqu'à ce jour avant d'entamer une nouvelle série de négociations. Nous croyons sincèrement que le temps est venu de parler aux Canadiens et aux autres citoyens du monde et d'étudier d'autres stratégies commerciales qui viseraient à améliorer les conditions économiques, environnementales et sociales des populations, non seulement au Canada, mais dans toutes les régions du monde.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, madame Barlow. Ces commentaires sont fort utiles. Je crois en fait qu'ils résument assez bien les témoignages que vous avez entendus lors de vos déplacements. Avez-vous produit un rapport officiel sur ces consultations?

Mme Maude Barlow: Nous en produirons un sous peu. Nous avons reçu tellement de documents et de renseignements que nous accusons un petit retard. Nous avons en fait reçu littéralement des milliers de...

Le président: Lorsque tout cela aura été analysé, vous pourrez en faire parvenir une copie au comité, n'est-ce pas?

Mme Maude Barlow: Certainement. En fait, vous recevrez le premier exemplaire.

Le président: Merci beaucoup. Nous vous en sommes reconnaissants.

Monsieur Clarke.

M. Tony Clarke (directeur, Polaris Institute): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés.

Le Polaris Institute a pour mandat d'aider les groupes et organisations de citoyens à acquérir de nouveaux moyens, outils et stratégies leur permettant d'obtenir par voie démocratique des changements sociaux en cette ère de mondialisation économique. Je sais que le gouvernement consulte les Canadiens à propos de la position que le Canada devrait adopter lors d'une nouvelle série de négociations à l'OMC, mais à mon avis, il faudrait, pour diverses raisons que je vous expliquerai, attendre avant d'entamer une nouvelle série de négociations sur la libéralisation accrue des investissements et du commerce.

Premièrement, la plupart des régions du monde ne se sont pas encore tout à fait remises de l'impact de l'effondrement financier asiatique qui, après avoir frappé la Russie et le Brésil, se fait maintenant sentir en Europe et en Amérique latine. Après tout, le programme néo-libéral qui est la pierre angulaire de l'OMC est en grande partie responsable de cet effondrement financier.

La déréglementation générale des institutions financières, associée aux nouvelles technologies électroniques, a permis aux cambistes de déplacer des milliards de dollars dans le monde entier en une seule journée, de spéculer sur des capitaux fébriles et de retirer soudainement leur portefeuille au moindre signe de ralentissement. Dans ces conditions, les gouvernements ne sont plus en mesure de vraiment réglementer les mouvements de capitaux douteux à partir de leur pays, ce qui met en péril leur propre économie.

Puisque le système financier international est au bord du précipice, même certains des plus ardents défenseurs du libre-échange reconnaissent publiquement qu'il faut absolument avoir des contrôles sur les capitaux et que les gouvernements interviennent pour assurer une réglementation des marchés financiers.

• 0950

Un nouveau cycle de négociations de l'OMC ne fera qu'empirer cette crise, surtout si la libéralisation des investissements est ajoutée à l'ordre du jour. Permettez-moi de vous rappeler que le programme proposé sur les investissements inclut un volet sur les placements de portefeuille. Il en résultera, compte tenu également des politiques en matière de marchés publics et de concurrence, une accélération du processus qui nous a en fait amenés au bord du précipice dans le secteur financier international.

Deuxièmement, l'Organisation mondiale du commerce et les institutions connexes responsables de la gestion de l'économie mondiale aujourd'hui connaissent leur propre crise de légitimité. M. Wolfe nous en a parlé un peu, M. Herman également; ils ont tous deux signalé qu'il existe un certain malaise. En fait, en mai dernier, plusieurs leaders internationaux participant aux événements entourant le 50e anniversaire du GATT à Genève, y compris le président Clinton, ont signalé que l'OMC et les pays membres risquaient de perdre tout contact avec la société civile s'ils poussaient trop rapidement leur programme néo-libéral de mondialisation économique.

Puisque ses trois efforts visant à renouveler le programme d'adoption rapide aux États-Unis ont échoué, M. Clinton sait très bien que son programme commercial a divisé profondément son pays, comme il l'a reconnu lors de son dernier message sur l'état de l'Union.

D'autres mises en garde ont été formulées il y a quelques semaines lors du Forum économique mondial à Davos en Suisse par le secrétaire général Kofi Annan et tout particulièrement par le président égyptien Hosni Mubarak qui a dit:

    Notre village global a pris feu [...] Le temps est venu pour nous de repenser l'orientation de notre planète.

Bref, on dénote de plus en plus un certain manque de confiance à l'égard de la nouvelle économie globale et de ses dirigeants. Puisque l'OMC s'est faite le grand défenseur de la mondialisation économique, c'est elle qui souffrira le plus de cette crise de légitimité.

Troisièmement, la majorité des Canadiens n'en connaissent pas beaucoup sur l'OMC qui a maintenant cinq ans, une organisation qui est probablement ce qui se rapproche le plus d'un gouvernement mondial. D'ailleurs, à cet égard, je suis d'accord avec M. Herman. Nombre de Canadiens sont conscients des décisions controversées rendues par l'OMC contre le Canada, tout particulièrement cette décision d'empêcher le Canada d'adopter une politique spéciale en ce qui a trait aux périodiques à double tirage. Ce qui renverse la plupart des Canadiens, c'est comment un organisme international comme l'OMC peut-il nous dire ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire au niveau de l'élaboration des politiques culturelles au Canada, ou même au niveau de n'importe quelle loi ou programme d'intérêt public?

À mon avis, peu de parlementaires canadiens, et encore moins de simples citoyens, sont conscients du fait que l'OMC a non seulement un pouvoir judiciaire mais également un pouvoir législatif. En fait, l'OMC a pour mandat de faire abroger les lois, les politiques ou les programmes d'un pays membre qui ne sont pas conformes à ses règles commerciales. Cela représente une attaque directe des assemblées législatives démocratiquement élues. Si le mécanisme investisseur-État vient s'ajouter à l'OMC à la suite des prochaines négociations sur les règlements d'investissement, les entreprises étrangères disposeront d'outils leur permettant d'attaquer les lois, les politiques et les programmes mis sur pied par les parlementaires élus démocratiquement.

Quatrièmement, l'OMC a été conçue pour gérer l'économie mondiale principalement dans les intérêts des sociétés transnationales plutôt que les intérêts des citoyens des pays membres. Plus des deux tiers des échanges commerciaux en biens et services qui se déroulent dans le monde aujourd'hui, et qui se chiffrent à 7 billions de dollars, mettent en jeu des sociétés transnationales, et la moitié de ces transactions sont des transactions commerciales entre entreprises.

Puisque 52 p. 100 des 100 principales économies du monde sont des sociétés plutôt que des nations-États—il y a un an ce n'était que 51 alors qu'aujourd'hui c'est 52—et compte tenu du fait qu'il y a plus de 45 000 sociétés transnationales sur le marché international, il est évident que ces sociétés sont maintenant devenues l'âme même de l'OMC et de son programme néo-libéral.

• 0955

Ce sont des organisations comme la Chambre de commerce internationale, renforcée par de grosses associations d'affaires dans ce qu'on appelle la Quadrilatérale—comme la US Business Round Table, la Table ronde des industriels européens, le Keidanren japonais et le Conseil canadien des chefs d'entreprise—qui déterminent vraiment quelles seront les priorités de l'OMC. Au Canada, il est de plus en plus évident que le CCCE travaille étroitement en coulisse avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et le CPM pour établir les positions du Canada lors des négociations internationales sur le commerce et les investissements et les finances, sans qu'il y ait vraiment participation quelconque d'autres secteurs importants de la société canadienne.

Cinquièmement, le programme de l'OMC pour ce qu'on appelle le cycle de négociations du millénaire, proposé pour la réunion des ministres à Seattle, sera établi en fonction des intérêts des grandes sociétés dans chaque secteur.

Prenons l'agriculture par exemple. Les principaux intervenants commerciaux sont Cargill, ConAgra, Archer-Daniels-Midland ou toute une kyrielle d'autres grandes compagnies agricoles. Voilà à qui nous avons affaire. Dans le secteur des services, il pourrait s'agir d'IBM, d'American Express ou de McDonald.

Pour ce qui est des droits de propriété intellectuelle, on va les inclure au programme dans le but d'y intégrer les brevets relatifs à toutes les formes de vie, conformément à ce que proposent W.R. Grace et des sociétés telles que Monsanto. C'est ce qu'ils veulent. Pour eux c'est l'avenir.

Dans le secteur des télécommunications, il pourrait s'agir d'AT&T, de Microsoft, de Hitachi ou de Sony. Ou si nous étudions les services financiers, nous ne saurons pas s'il s'agira de Citibank, Barclays ou Mitsubishi. Dans le cas des marchés publics, il pourrait s'agir de Lockheed Martin qui veut avoir accès au secteur de la sécurité sociale à l'intérieur de nos pays et à l'extérieur, ou de Columbia/HCA qui veut se lancer dans le domaine des soins de santé, et j'en passe.

Dans tous ces cas, il s'agit principalement de sociétés qui établissent le programme. Quant aux négociations, les gouvernements, tout compte fait, représentent les intérêts de ces sociétés dans leurs pays respectifs. Les besoins des citoyens et l'intérêt du public n'entrent pas du tout ou pratiquement pas en ligne de compte.

Bref, l'OMC et le modèle néo-libéral de mondialisation de l'économie ne tiennent absolument pas compte de la société civile. Lors de ses préparatifs pour la réunion ministérielle de Seattle, le gouvernement Chrétien devrait donc décider qu'il faut imposer un moratoire à toutes les négociations de l'OMC portant sur la libéralisation accrue du commerce et des investissements, tant que les pays membres n'auront pas pu évaluer de façon adéquate: l'impact environnemental, social et économique du programme néo-libéral de l'OMC pour la mondialisation au cours des cinq dernières années; le modèle général de l'OMC et l'exclusion de la société civile et, enfin, les solutions de rechange pour la gestion de l'économie mondiale.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Clarke.

Monsieur Shannon, je suis heureux que vous ayez pu vous joindre à nous. Vous aurez en fait le mot de la fin.

M. Gerald E. Shannon (Shannon and Associates): Je vous remercie, monsieur le président. J'en suis heureux.

Le président: Nous essayons de limiter les commentaires liminaires à une dizaine de minutes pour que nous disposions d'une plus longue période pour les questions.

M. Gerald Shannon: Je m'excuse de mon retard. Je pensais que la réunion commençait à 10 heures et non à 9 heures. C'est peut-être parce que j'ai reçu ma formation à Genève.

De toute façon, j'étais sous-ministre du Commerce international au début des négociations d'Uruguay et négociateur en chef pendant les dernières années de ces négociations. Je suis donc très heureux d'être ici aujourd'hui au début des consultations sur le prochain cycle de négociations qui s'appellera si j'ai bien compris le cycle du millénaire.

Il importe de se rappeler d'entrée de jeu que les diverses négociations commerciales multilatérales ont débouché sur un système à base de règles qui a été utile au Canada parce qu'il nous permet d'intervenir sur un marché où les règles du jeu sont assez uniformes.

Tout cela a commencé par les efforts déployés par ceux qui voulaient mettre sur pied une organisation mondiale du commerce dans le cadre des ententes de Bretton Woods après la Seconde Guerre mondiale. C'est ainsi qu'en 1994, l'Organisation mondiale du commerce a vu le jour; il s'agit là d'un résultat qui était dans une large mesure attribuable aux Canadiens et aux autres qui voulaient vraiment que ce genre d'institution soit mise sur pied. Ce processus et les cycles de négociations commerciales qui ont suivi, tout particulièrement en ce qui a trait à la libéralisation du commerce, ont favorisé la croissance économique et commerciale au Canada et dans le monde entier.

• 1000

Certes, il existe des problèmes en ce qui a trait à la création de l'OMC, à son mécanisme de règlement des différends, à certaines règles commerciales et à certains secteurs d'activité. J'essaierai d'aborder toutes ces questions dans mes commentaires liminaires sur le prochain cycle de négociations. Je vous décrirai également ce que devraient être nos objectifs. Dans l'ensemble, cependant, le système qui a été créé au cours des 50 dernières années est solide, et la libéralisation plus poussée des échanges commerciaux promet beaucoup.

Le cycle d'Uruguay, commencé en 1986, est le fondement de la prochaine étape, et, si vous le voulez bien, je vais parler brièvement des problèmes et des résultats de ces négociations. Cela a été un processus long et ardu, en partie parce que pour la première fois étaient négociés les services et l'aspect commercial de la propriété intellectuelle, et pour la première fois aussi on a négocié l'agriculture au lieu de simplement en discuter.

Le nombre de parties contractantes a augmenté de façon notable pour atteindre 133 aujourd'hui, chacune ayant des intérêts économiques distincts. Cela signifie que la négociation est aujourd'hui vraiment mondiale. Les problèmes sont eux-mêmes devenus plus complexes parce qu'ils sont couverts par la législation nationale de chaque pays. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait fallu sept ans pour aboutir à un résultat, malgré un échec ministériel vers la fin des négociations.

Dans le cas du Canada, il nous a fallu nous pencher sur des questions économiques régionales et fédérales-provinciales délicates, ce qui signifie que, comme dans d'autres pays, il a fallu trouver le moyen de concilier des intérêts divergents. En agriculture, pour prendre un exemple patent, nous, comme les États-Unis et les autres pays céréaliers, avons mené le combat pour éliminer ou réduire considérablement les subventions aux exportations des produits céréaliers. Même si ces efforts n'ont pas connu tous les succès que nous aurions souhaités, pour la première fois, les subventions aux exportations agricoles ont été abaissées et le terrain a été préparé pour de plus importantes réductions lors du prochain cycle.

Le Canada fait face à des contestations majeures de ses restrictions aux importations de produits assujettis à la gestion de l'offre, en particulier les produits laitiers et la volaille, où nous imposons des limitations quantitatives strictes sur les importations autorisées. À l'insistance des États-Unis et d'autres pays, ces restrictions quantitatives, ainsi que celles d'autres pays, comme celles du Japon sur le riz et des Américains eux-mêmes sur divers produits, ont été transformées en droits de douane temporaires très élevés—ce que l'on a appelé la tarification—qui sont censés être réduits graduellement, alors que l'exigence d'importation minimum du produit en question doit s'élever avec le temps.

Pour ce qui est des droits de douane qui touchent l'accès aux marchés du Canada et ses produits à l'étranger, nous avons fait de gros efforts pour les éliminer pour tout l'éventail des produits industriels et, de concert avec les Américains, les Japonais et d'autres, nous avons produit une liste de secteurs auxquels s'appliquent dorénavant les droits de douane zéro. Malheureusement, la liste n'inclut pas certains secteurs d'importance capitale pour le Canada comme certains produits forestiers et certains minerais. Il faudra reprendre cette initiative lors prochain cycle.

En ce qui concerne les services, à l'exception de ceux qui touchent le secteur culturel, les négociations n'ont pas causé de problèmes insurmontables pour le Canada. Le résultat dans certains des secteurs de services plus épineux a été un accord cadre établissant l'application de règles comme celles de la nation la plus favorisée et du traitement national, mais on a laissé aux parties contractantes le soin d'établir, au moyen de négociations, les secteurs auxquels s'appliqueront ces principes. C'était un bon départ.

Pour le reste des négociations sur les services, l'issue a été positive pour le Canada, quoique dans des domaines comme celui des services financiers, de grands pays, comme un certain nombre de pays d'Asie de la l'APEC, ont refusé de faire des concessions majeures. C'est pourquoi ce secteur retiendra d'abord l'attention lors du prochain cycle.

Naturellement, le Canada n'a pas indiqué que le secteur culturel était l'un de ceux où il était prêt à prendre des engagements, si bien que celui-ci a été exclu de l'offre canadienne et n'est pas couvert par l'accord sur les services.

• 1005

Le cycle a aussi accouché de règles utiles sur les droits compensateurs, les garanties et d'autres points, qui devront tous être revus pendant le cycle du millénaire.

Enfin, le principal résultat, avec la création de l'OMC elle-même, a été la création d'un mécanisme obligatoire de règlement des différends auquel tous les pays, y compris les États-Unis, ont souscrit. Ce système s'applique à tous les domaines couverts par les nombreux accords conclus sous l'égide de l'OMC. On en a fait l'essai à plusieurs reprises dans les années qui ont suivi la création de l'organisation, notamment du mécanisme des recours, et à ce jour le système a été efficace.

Le prochain cycle est censé commencer en décembre de cette année. Les signataires du dernier cycle ont eu quatre ans pour mettre en oeuvre ces résultats et il ne fait pas de doute que la qualité de la mise en oeuvre varie. Toutefois, la plupart des pays ont accompli suffisamment de choses pour que nous puissions aller de l'avant en espérant que les pays retardataires, en particulier les pays en développement, nous rattraperont. Il est particulièrement important de progresser dans le secteur de l'agriculture et du commerce de services parce que dans les deux cas, il reste du travail inachevé. Ces questions occuperont le devant de la scène en décembre.

Je sais que lors des séances précédentes du comité, on s'est demandé s'il était souhaitable de tenir un cycle global ou un mégacycle ou s'il vaut mieux négocier de façon sectorielle, comme certains le préconisent, ou constituer des faisceaux de négociations, qui permettraient de récolter tôt les fruits de la négociation et d'en espérer d'autres plus tard.

Pour avoir participé au cycle d'Uruguay, je sais que la négociation sectorielle, de par sa nature même, ne peut pas réussir parce qu'il est impossible de parvenir à un ensemble équilibré de concessions dans un nombre limité de secteurs. Il faut que toute l'économie fasse l'objet de la négociation pour pouvoir conclure une entente.

En ce qui concerne des faisceaux de questions à négocier ensemble, il est probable selon moi que cela rencontrera la vive opposition des pays en développement et sans doute d'un certain nombre de pays industrialisés, qui rechigneront à se faire demander par les États-Unis ou d'autres de payer maintenant pour des concessions dont Washington aura peut-être besoin pour faire taire le Congrès, dans l'espoir qu'ils seront payés en monnaie équivalente plus tard. Pour cette raison, je partage les appréhensions de beaucoup d'autres à propos de la formule des faisceaux, et je suis même convaincu que la seule façon de procéder est d'entamer une méga-négociation.

Au cours du prochain cycle, le Canada pourrait enregistrer de grandes victoires mais aussi subir des défaites. N'oubliez pas que le cadre de négociation lui-même est en train de changer. Heureusement, le rôle du directeur général, occupé par M. MacLaren espère-t-on, et le petit secrétariat de l'OMC restent une constante—une organisation de qualité. Mais l'ambiance de négociation actuellement est à l'image du rôle et du raffinement croissant d'un certain nombre de grands pays en développement, comme l'Inde, le Brésil, Singapour, l'Argentine et d'autres, pour qui l'OMC est aujourd'hui la plus grande instance économique multilatérale au monde.

Cela représente un changement par rapport au passé, lorsque le processus était dominé par les grands acteurs, comme les États-Unis, et lorsque les pays en développement s'attardaient à tort à des considérations idéologiques plutôt que commerciales. Ces pays sont aujourd'hui des acteurs d'envergure et imposants sur la scène multilatérale.

L'accession prochaine de la Chine et de la Russie pourrait aussi avoir un effet majeur sur les négociations. L'accession de la Chine à l'OMC est une opération très compliquée, dominée non seulement par les problèmes que la Chine semble avoir à s'adapter à une organisation axée sur le marché comme l'OMC, mais aussi à cause des grandes inquiétudes relatives à la concurrence dans la plupart des marchés industrialisés, suscitées par l'effet que peuvent avoir les exportations chinoises sur nos marchés dans des secteurs comme l'électronique grand public ainsi que les textiles et le vêtement. De fait, les grands pays industrialisés eux-mêmes veulent obtenir un avantage sur leurs concurrents lorsque s'ouvrira l'immense marché chinois.

J'estime qu'à l'occasion de ce cycle, il faut aussi distinguer les besoins des pays relativement avancés comme le Brésil, la Corée et le Mexique—qui, peut-on soutenir, n'ont plus besoin d'un traitement particulier, à titre de pays en développement—et réserver cette catégorie aux pays, particulièrement en Afrique, qui sont à un stade moins avancé de maturité économique.

• 1010

Enfin, le prochain cycle devra être suffisamment souple pour permettre de se pencher sur les secteurs où la politique commerciale recoupe la politique d'investissement et des questions plus vastes d'affaires publiques, comme l'environnement, les droits de l'homme et, en particulier, les droits du travail.

En ce qui concerne notre démarche en préparation au prochain cycle, il faudra tenir compte de l'évolution de l'économie canadienne. En particulier, il faut nous assurer que le résultat est favorable à nos nouveaux secteurs à croissance rapide et à grand potentiel de croissance mondiale comme la technologie de pointe, la biotechnologie, les communications et une vaste gamme de services.

Nous devrons par ailleurs nous assurer qu'on tienne compte des intérêts des secteurs plus traditionnels de l'économie comme les secteurs agricole, manufacturier, minier et forestier. Nous pourrions peut-être recourir à la technique de négociation fondée sur l'élimination des tarifs comme nous l'avons fait lors du cycle d'Uruguay.

Nous devrons étudier minutieusement de nouveau les règles commerciales, en particulier les droits compensateurs, les mesures de protection et les lois antidumping pour bien nous assurer qu'on tienne compte de nos intérêts dans cette partie importante du processus de négociation.

Les questions agricoles seront abordées de nouveau. Il faudra que les négociateurs canadiens sachent s'ils doivent de nouveau livrer bataille pour protéger l'industrie laitière et l'industrie de la volaille ou s'ils ne doivent pas plutôt axer leurs efforts ailleurs. Je pense que ce devrait être le cas.

Nous pouvons à tout le moins nous attendre à ce que nos partenaires commerciaux demandent une réduction importante des tarifs s'appliquant à nos principales importations agricoles. Certains d'entre eux, à l'instar de nos collègues du groupe Cairns, demanderont, pour leur part, à ce que ces tarifs soient entièrement éliminés pour que seuls les tarifs normaux demeurent. Le défi sera d'obtenir des réductions dans les subventions à l'exportation dans le domaine agricole encore plus importantes que celles qui ont été obtenues la dernière fois. Les chances d'atteindre cet objectif seraient accrues si les négociateurs canadiens n'étaient pas handicapés par le problème de la gestion de l'offre.

On abordera aussi de nouveau la question des produits culturels. Nous pouvons nous attendre à ce que les États-Unis essaient de nouveau de faire adopter des règles et des mesures disciplinaires qui nuiront au Canada ainsi qu'à d'autres pays. Nous devons aligner notre position sur celle de pays comme la France qui ont les mêmes préoccupations que nous à cet égard et éviter de nous engager à ce que ces questions soient abordées lors de négociations futures sur les services.

Il ne sera pas facile d'amener les membres de l'OMC à aborder des questions comme celles de l'environnement et des droits de la personne.

Pour ce qui est de l'environnement, on s'était forcé au sein de l'Organisation mondiale du commerce de voir dans quelle mesure...

Le président: Je m'excuse de vous interrompre, mais nous avons dépassé de beaucoup les 10 minutes prévues.

M. Gerald Shannon: Je m'excuse.

Le président: Je ne vous interromprais pas si vous étiez sur le point de conclure, mais je vois que ce n'est pas le cas. Vous est-il possible de résumer le reste de votre mémoire puisque nous l'avons sous les yeux.

M. Gerald Shannon: Vous l'avez? Je vois.

Le président: Oui, et nous ne manquerons pas de vous poser des questions sur son contenu.

M. Gerald Shannon: Très bien. Je vais regrouper certains points.

Les questions comme l'environnement et les droits de la personne posent des difficultés. Je ne voudrais pas donner l'impression qu'il s'agit de questions sans importance. C'est tout le contraire. Il s'agit simplement d'éviter que des mesures protectionnistes qui pourraient être justifiées dans le domaine des droits de la personne et de l'environnement ne deviennent pas des obstacles au commerce international.

Pour ce qui est des droits dans le domaine du travail, personne ne se prononcera en faveur du travail des enfants, mais dans ce cas-ci également, il importe de bien savoir ce dont il s'agit. Ceux qui voudraient qu'on discute des droits en matière de travail devraient être prêts à définir de façon très précise le problème qui doit faire l'objet de discussions ainsi que les normes du BIT auxquelles ils se reportent.

Par respect pour certaines personnes qui sont ici, je ne dirai que quelques mots au sujet des investissements. De nombreux pays développés et en voie de développement veulent que l'OMC se penche sur la question des investissements. À mon avis, il aurait été préférable pour le Canada que des négociations sur les investissements aient lieu à l'OMC plutôt qu'à l'OCDE où elles ont donné lieu à un long et acrimonieux débat qui n'a pas été très fructueux.

• 1015

L'Organisation mondiale du commerce est mieux en mesure de cerner les préoccupations dans ce domaine. Les pays en développement veulent des capitaux d'investissement, mais s'intéressent de très près aux dispositions régissant la circulation de ces capitaux.

Enfin, quant à notre influence dans ces négociations, nous avons évidemment toujours craint que la CEE et les États-Unis décident de nous imposer une entente qui leur conviendrait. Ce risque s'est encore atténué compte tenu de l'importance qu'ont maintenant les pays en développement. Il importe que nous continuions de faire partie du Groupe de Cairns parce que c'est au sein de ce groupe que les principales décisions sont prises au sujet de l'évolution des négociations.

Il importe que nous cernions bien maintenant nos intérêts stratégiques dans ces négociations et c'est ce qui fait le grand intérêt de ces consultations. Dans l'arène multilatérale, lors de négociations commerciales, lorsqu'on serre la main à quelqu'un, on s'empresse ensuite de compter ses doigts. Il ne faut pas se contenter d'attendre que d'autres décident des questions qui vont faire l'objet de négociations en espérant que nous continuions de jouer notre rôle traditionnel d'intermédiaire. Nous risquerions alors de nous faire avoir.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie. Je vais commencer à compter mes orteils ainsi que mes doigts. Nous vous remercions de nous avons mis en garde.

[Français]

On avait prévu accueillir un sixième témoin, du Conseil du patronat du Québec, mais il a dû annuler sa comparution de ce matin parce qu'il doit assister à une réunion avec le premier ministre de la province. M. Garon nous a présenté ses excuses. Il viendra toutefois comparaître devant nous à Montréal.

[Traduction]

J'ouvre maintenant la période des questions. M. Penson, Mme Debien et ensuite M. Blaikie.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Je vous remercie, monsieur le président.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre groupe de témoins à cette séance qui est le coup d'envoi de notre étude sur l'OMC et sur la position que le Canada devrait prendre lors de la prochaine série de négociations. J'ai beaucoup aimé que M. Shannon nous fasse l'historique des négociations d'Uruguay parce qu'il importe de comprendre ce qui a été fait lors des négociations précédentes afin de nous préparer pour les prochaines négociations ou à des négociations sectorielles. Il est bon que quelqu'un qui a lui-même participé à cette série de négociations ait pu nous en donner un aperçu.

M. Shannon a fait remarquer—et je crois que M. Wolfe l'a aussi dit—qu'il faudra accepter de faire des concessions dans le cadre de négociations générales. J'ai deux ou trois questions à vous poser. Je vais les poser l'une après l'autre.

Je conviens qu'il sera nécessaire de faire des compromis, en particulier dans le domaine agricole où il faudra que l'Union européenne fasse de grandes concessions pour que cela présente un intérêt pour le Canada. L'agriculture est l'un des domaines où l'on n'a fait que de modestes progrès lors des dernières négociations. Le producteur de céréales et d'oléagineux ainsi que les éleveurs de boeuf attendent cette fois beaucoup des négociations. Qu'est-ce qu'on pourrait cependant offrir à l'Union européenne pour l'inciter à faire des concessions dans le domaine agricole qui seraient avantageuses pour le Canada? C'est une question que je pose à tous nos témoins, mais en particulier à MM. Wolfe et Shannon.

M. Herman nous a aussi expliqué quel est le processus qui sera suivi à l'OMC. J'aimerais savoir ce que pourrait devenir l'OMC. M. Herman a fait valoir qu'il est possible à l'OMC d'appliquer des sanctions. Charlene Barshefsky a dit que lorsque l'OMC rend une décision, peut-être que le pays victorieux devrait respecter cette décision et ne pas changer la donne en adoptant une loi sur les périodiques à double tirage, par exemple. Je me demande si c'est une possibilité dans le cadre des prochaines négociations.

Je me préoccupe aussi des droits. Si le Canada faisait fi de l'accord sur le bois d'oeuvre et qu'il s'exposait ainsi à des droits compensateurs, même si l'Organisation mondiale du commerce devait rendre une décision en sa faveur, l'industrie serait peut-être quand même forcée de payer ces droits pendant plusieurs mois, des droits qu'elle ne pourrait peut-être pas récupérer par la suite. Ne pourrions-nous pas obtenir le respect obligatoire des décisions rendues par l'OMC et le remboursement des droits imposés à tort?

• 1020

M. Gerald Shannon: Si vous me le permettez, monsieur le président, je vais d'abord répondre à la question. D'autres voudront sans doute aussi y répondre par la suite.

Bon nombre d'entre nous ont été déçus la dernière fois de voir que les Européens n'étaient pas prêts à faire de grandes concessions dans le domaine de l'agriculture. Nous comprenons tous le problème qui se pose pour eux. Ils ont adopté une série après l'autre de droits protecteurs, de tarifs et de subventions à l'exportation. Pour la première fois, surtout en raison de leurs problèmes budgétaires internes, les pays européens étaient cependant prêts. Ils se sont rendu compte qu'ils ne pouvaient plus non plus se permettre d'être aussi généreux et ils étaient disposés à commencer à discuter d'une réforme dans le domaine agricole. Ce désir s'accentuera dans la communauté européenne à mesure que des pays agricoles comme la Pologne s'y intégreront. Il deviendra encore plus coûteux pour les Européens de maintenir leurs subventions.

Que pouvons-nous leur offrir? Comment leur soutirer des concessions? Nous pouvons nous y prendre de plusieurs façons. Ainsi, comme les Américains, les Européens voudraient vendre certains produits agricoles sur nos marchés. Le fromage est l'un des ces produits. Les exportations de produits laitiers notamment, et en particulier les exportations de fromage, sont assujetties à des contingents depuis des années. Nous disposons donc dans ce domaine de certains pouvoirs de négociation.

Pour notre part, nous aimerions vendre davantage de zinc et d'aluminium sur le marché européen. Nous pourrions essayer de conclure une entente avec les Français dans ces deux domaines.

Nous avons certaines cartes dans notre jeu. Ainsi, nous n'avons souscris la dernière fois à l'accord sur les marchés d'État qu'au nom des ministères gouvernementaux fédéraux; les provinces et les principales municipalités ont décidé de ne pas se joindre à nous. Je crois qu'elles ont eu tort, mais c'est ce qu'elles ont décidé. Nous pourrions peut-être faire des concessions dans le domaine des marchés d'État, ce qui nous donnerait un meilleur accès à ces mêmes marchés en Europe.

La marge de manoeuvre est assez grande dans des négociations générales. L'objectif c'est en bout de ligne d'être fier de ce qu'on a obtenu en contrepartie des concessions qu'on a faites. Je crois que nous pouvions l'être la dernière fois.

J'aurais personnellement aimé que les Européens fassent de plus grandes concessions au sujet de leurs subventions, mais nous n'avions nous-mêmes pas les coudées franches en raison de la gestion de l'offre. Il ne fait aucun doute que nous avons été exclus des négociations entre les États-Unis, l'Europe, le Japon et, Dieu la bénisse, l'Australie parce que les Américains ne voulaient pas que nous renforcions la position des Japonais sur la gestion de l'offre pour ce qui est du riz.

On pourrait adopter différentes approches et je suis convaincu que si nous acceptions le principe qu'il faut mettre en place un nouveau système pour les produits intérieurs qui sont vulnérables aux importations, nous pourrions élargir nos marchés pour nos principales exportations agricoles.

Le président: Quelqu'un voudrait-il ajouter quelque chose à ce sujet?

M. Charlie Penson: MM. Herman et Wolfe peuvent-ils aussi répondre à cette question?

M. Robert Wolfe: Je me fais l'écho de ce qu'a dit M. Shannon. À l'issue de négociations générales, toutes les parties peuvent trouver leur compte en acceptant de faire certaines concessions.

Les Européens aimeraient certainement que nous fassions des concessions au sujet du fromage. Nous aimerions des concessions de leur part dans le domaine des produits forestiers. Ils pourraient réclamer des concessions de notre part sur les tarifs dans le secteur automobile ainsi que des concessions sur la protection de la propriété intellectuelle relativement aux produits pharmaceutiques. Ce qu'il importe de comprendre, c'est que nous voulons certains concessions d'eux et vice versa.

• 1025

Dans le cadre de négociations générales, en bout de ligne, ce qui compte c'est de dire qu'il est suffisamment intéressant pour le Canada d'appartenir à l'économie mondiale et d'améliorer ainsi sa productivité qu'une entente s'impose. Il est beaucoup difficile de dire si l'entente est bonne pour chacun des secteurs comme celui des éleveurs de boeuf.

Quant à ce qu'a dit Charlene Barshefsky, permettez-moi de répéter ce que j'ai dit dans une lettre que j'envoyais il y a environ un mois au Global Mail. Mme Barshefsky soutient qu'il n'y a pas deux façons de gagner. Les choses ne se passent pas ainsi lorsqu'on traite avec Washington. Allan Gotlieb avait tout à fait raison. Deux règles prévalent à Washington. La première est qu'une négociation n'est jamais terminée jusqu'à ce qu'elle soit terminée et la deuxième c'est qu'elle n'a jamais de fin.

C'est vrai dans une certaine mesure en ce qui touche au règlement des différends. Lorsqu'on s'est entendu sur une question de base et que tout ce qui fait problème c'est la façon dont on interprète les choses, le processus de règlement des différends peut donner des résultats rapidement. Lorsqu'il n'y a pas eu d'entente à la base pour ce qui est de la collaboration internationale—dans le domaine culturel notamment—, il n'est pas souvent facile de régler rapidement un différend parce que cela soulève toutes les difficultés auxquelles vous avez fait allusion.

M. Laurence Herman: J'ai quelques remarques à faire.

Pour ce qui est du règlement des différends et du droit de la partie en faveur de laquelle l'OMC a rendu une décision, il faut comprendre que le retrait des concessions ou les «mesures de représailles» ne peuvent correspondre qu'au tort causé à son commerce. Autrement dit, bien que des représentants du ministère du Commerce des États-Unis revendiquent le droit de retirer des concessions à l'égard de tout un ensemble de produits canadiens dans le différend actuel touchant les périodiques, le droit commercial international s'y oppose. Tout ce que les Américains peuvent faire c'est de retirer les concessions afin de compenser les annonceurs américains des revenus perdus. On a cité beaucoup de chiffres dans la presse, mais ce n'est pas les centaines de millions de dollars dont a parlé le ministère du Commerce des États-Unis.

Soit dit en passant, dans cette affaire, nous devons être soigneux de ne pas prédire une catastrophe parce que d'autres pays revendiquent le droit de contester les mesures canadiennes. Qu'ils y parviennent ou non est une autre affaire, mais il nous appartient de ne pas paniquer simplement parce que quelqu'un aux États-Unis ou au Canada pense que c'est la fin du monde et qu'on portera l'affaire devant l'OMC. On ne doit pas présumer que l'OMC statuera en faveur des États-Unis. Il faut donc être soigneux de ne pas donner l'impression que la partie est perdue d'avance.

[Français]

Je ne sais pas comment on traduit cette expression en français, mais je pense que vous comprenez ce que je veux dire.

[Traduction]

Cela revient à la question de M. Penson. L'Accord de l'OMC prévoit une zone grise en ce qui touche à la mise en oeuvre des décisions rendues dans le cadre du règlement des différends. Ce n'est pas un problème qui nous est facile de résoudre. C'est au coeur du différend actuel sur les bananes entre les États-Unis et la Communauté européenne.

L'OMC doit décider ce qu'il convient de faire lorsque la partie contre laquelle une décision défavorable a été rendue n'applique pas cette décision ou le fait de façon insatisfaisante. À cet égard, j'espère que le Canada pourra obtenir d'un groupe spécial de l'OMC une décision rapide quant à savoir si le projet de loi C-55 est conforme ou non aux règles commerciales.

Enfin, j'aimerais dire que le Canada fait souvent appel au processus de règlement des différends de l'OMC. Nous gagnons certaines affaires et nous en perdons d'autres. C'est dans la nature des choses. Ce n'est pas la fin du monde. Le fait qu'une décision défavorable ait été rendue à l'endroit des États-Unis dans l'affaire des tortues de mer ne signifie pas que ce pays n'a pas d'autres recours législatifs. Cela signifie simplement qu'ils ont perdu dans cette affaire.

• 1030

L'autre aspect qui s'y rattache, c'est qu'il existe des milliers ou des millions de règlements en vigueur à l'échelle internationale qui régissent le commerce, la protection de l'environnement et les besoins en matière de santé des populations locales, et que ces règlements ne sont pas contestés. Il faut faire très attention lorsque l'on prétend qu'un différend dans le cadre de l'OMC caractérisé par une série donnée de circonstances a libéré les forces du laissez-faire, sans recours de la part de l'État-nation.

Le président: Cela fait maintenant 14 minutes, et...

M. Charlie Penson: Il y a une question à laquelle il n'a pas répondu, et j'aimerais l'avoir par écrit, au moins.

Le président: Très bien, mais il y aura un deuxième tour, j'en suis sûr, monsieur Penson. De quoi voulez-vous...

M. Charlie Penson: Des droits.

Le président: Vous pourriez peut-être fournir une réponse écrite à cette question, si elle ne revient pas. Nous devrions avoir un deuxième tour, mais nous en sommes maintenant à 15 minutes au lieu de 10.

Madame Barlow, vous avez indiqué vouloir dire quelque chose, et je suis sûr que cela concerne l'environnement. Pouvez-vous le faire très rapidement maintenant ou attendre à plus tard?

Mme Maude Barlow: J'aimerais répondre à deux choses qui ont été dites ici.

Tout d'abord, en ce qui concerne les magazines, oui, la pénalité ou sanction est censée être proportionnelle au montant contesté, ce que les États-Unis n'ont pas respecté. Ils menacent de recourir à des contestations de l'ordre de 6 milliards de dollars contre d'autres secteurs canadiens. Ils savent très bien qu'ils ne peuvent pas le faire en vertu de l'ALENA ni en vertu de l'OMC, mais cela n'a pas d'importance. Ce qu'ils vont faire, c'est qu'ils vont user de représailles et nous devrons alors nous adresser à l'OMC ou à l'ALENA pour tâcher d'être dédommagés. Nous avons affaire à un pays beaucoup plus grand qui optera le premier pour ce genre de mesure. S'ils avaient voulu que le montant soit proportionnel au tort qu'ils considèrent avoir subi en ce qui concerne les magazines, ils n'auraient pas fait de menaces aussi importantes. C'est donc le point que je voulais faire valoir.

Je tiens également à parler de cette notion de pays gagnant ou perdant. Dans l'affaire des tortues de mer, ce sont les tortues de mer qui ont été perdantes. Il importe peu que les États-Unis aient gagné ou aient perdu. Il ne s'agit pas d'une lutte entre États-nations et d'être perdants dans certains dossiers. Le problème, c'est que nous sommes en train de perdre notre capacité de protéger l'environnement. J'espère que nous y reviendrons, je pense qu'il est absolument essentiel que notre réflexion aille au-delà de la concurrence entre États-nations et que nous commencions à songer à la dévastation que subit l'environnement à l'échelle planétaire et aux mesures que nous prenons à l'échelle internationale pour le protéger ou non.

Aucune des ententes multilatérales en matière d'environnement ne prévoie de mécanisme d'application. Les ententes commerciales et d'investissement—comme l'ALENA, l'OMC et l'AMI, maintenant défunt bien que l'OMC puisse être saisie du volet investissement—prévoient des mesures d'application solides. C'est là la différence. Lorsque l'environnement est confronté à des règles commerciales exécutoires, alors l'environnement est perdant. Ce dont on parle ici c'est de tortues de mer, pas de pays.

Le président: Je vous remercie.

Madame Debien.

[Français]

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Madame et messieurs, bon matin et bienvenue à notre comité.

J'aimerais d'abord poser trois courtes questions à M. Wolfe et, si vous le permettez, monsieur le président, M. Loubier va compléter.

Monsieur Wolfe, dans votre allocution, vous nous présentiez comme première question: Est-ce que l'OMC est la réponse institutionnelle appropriée pour répondre aux appréhensions au sujet de la globalisation? Dans cette perspective, j'aimerais vous demander quels sont les résultats obtenus jusqu'à maintenant à l'OMC en ce qui concerne principalement les intérêts canadiens.

Voici une deuxième question. On sait qu'il y a des problèmes de structure et de mode de fonctionnement à l'OMC. J'aimerais que vous nous parliez davantage des réformes institutionnelles que vous avez soulevées plus tôt. Vous avez dit que vous reviendriez sur le sujet.

Troisièmement, vous nous avez aussi dit qu'on ne pouvait pas réglementer tous les aspects de la vie à l'OMC. Je ne vous demande pas quels sont ceux qui devraient être inclus, mais quels sont ceux qui devraient être exclus. Ce sont les trois premières questions. M. Loubier va compléter.

M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Madame Barlow et monsieur Clark, vous avez parlé de la possibilité que le Canada suspende sa participation à l'OMC pour cette neuvième ronde de l'OMC.

• 1035

Est-ce que vous avez conscience que, le Canada étant absent de cette négociation—les absents ont toujours tort—, s'il arrivait qu'on négocie à cette ronde des accords sur la culture, l'eau ou les droits sociaux qui ne conviennent pas au Canada, le Canada devrait assumer les conséquences de sa non-participation? Cela pourrait également représenter une catastrophe pour le Canada parce qu'il exporte 40 p. 100 de la production nationale. C'est ma première question.

Voici ma deuxième. Monsieur Shannon, vous avez mentionné le fait qu'il fallait donner des directives aux négociateurs canadiens et leur dire s'ils doivent continuer la bataille de la huitième ronde du GATT concernant la volaille et le lait ainsi que les céréales et les oléagineux de l'Ouest ou s'ils doivent laisser tomber et passer à d'autres champs de négociation. Étant donné que le Canada a fait plus de concessions que tous les pays européens et que d'autres pays comme les États-Unis au niveau des subventions et de l'ouverture de ses frontières, ne croyez-vous pas qu'il devrait plutôt mettre en valeur les concessions qu'il a faites depuis quatre ans, alors que les autres pays n'ont rien fait là-dessus?

Ma troisième question pourrait s'adresser à M. Herman, M. Wolfe ou M. Shannon. À quoi doit-on s'attendre sur la question de la culture? Je crois me rappeler que M. Herman disait qu'il fallait sortir du champ de l'exception et avoir des règles plus précises qui pourraient permettre au Canada, par exemple, de défendre sa spécificité culturelle face à l'hégémonie américaine.

Je poserai une dernière question, si vous me le permettez, monsieur le président, bien que j'en aie des tonnes. D'ailleurs, je pense que je vais revenir car c'est très intéressant ici. C'est bien plus intéressant qu'au Comité des finances.

Monsieur Shannon, on s'est rencontrés il y a quelques années sous d'autres cieux. Vous disiez qu'il fallait tenir compte de l'élargissement à des secteurs d'activité autres que le commerce lors de cette ronde de négociations de l'OMC. On parle des droits de la personne et des lois sur le travail et l'environnement. Envisagez-vous un accord de l'OMC qui pourrait comprendre des dispositions beaucoup plus explicites qu'à l'heure actuelle sur ces secteurs d'activité pour qu'elles deviennent des paramètres aussi contraignants que les règles sur les subventions à l'OMC?

C'est tout, monsieur le président.

Le président: C'est tout?

Mme Maud Debien: Huit questions. Cela n'a pris que quatre minutes.

Le président: Tout le temps est écoulé; il ne reste plus de temps pour les réponses.

[Traduction]

M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): On vient de poser sept questions, et il est difficile...

[Français]

Mme Maud Debien: Oui, en quatre minutes!

[Traduction]

M. Bob Speller: Je sais, beaucoup de gens ont de la difficulté à comprendre ce domaine, et poser sept questions à la fois et tâcher d'y répondre toutes dans une période de cinq minutes, je ne crois pas que cela soit juste ni ne nous permettra de comprendre les questions en jeu. Je n'arrive même pas à me souvenir des deux ou trois dernières questions. Il serait préférable de procéder un peu plus lentement.

Le président: Essayons de nous y retrouver. Voici ce que je propose. Il reste environ sept minutes pour les réponses. Je propose, monsieur Loubier, que...

[Français]

si le temps nous le permet, vous interveniez lors du deuxième tour.

M. Yvan Loubier: Je poserai les mêmes questions.

[Traduction]

Le président: Vous aurez une deuxième occasion de le faire. Nous avons jusqu'à midi.

Je pense que vous avez raison; nous ne voulons pas avoir trop de questions sur la table à la fois. Mme Debien a posé trois questions. Pourquoi ne commençons-nous pas par celles-là? Elles s'adressaient à M. Wolfe je pense puis à M. Herman.

[Français]

M. Robert Wolfe: Si vous me le permettez, je répondrai en anglais.

[Traduction]

Ce sont vraiment des questions intéressantes et stimulantes. Je pourrais certainement prendre tout le temps qui me reste pour tâcher d'y réfléchir et d'y répondre.

La première question est vraiment intéressante: Qu'est-ce que le Canada a retiré de l'OMC? Probablement l'élément le plus important c'est que nous en avons retiré un accord commercial avec le reste du monde. À certains égards, c'est notre accord commercial avec les États-Unis. Il structure pour les pays leur définition de la circulation de marchandises de part et d'autre des frontières. Il structure la définition de tarif et la définition de règlement de différends. Donc, lorsque des entreprises canadiennes font affaire avec des entreprises dans des coins reculés du monde, ce sont les règles de l'OMC qui structurent des volets importants de cette relation.

Plus concrètement, le domaine que j'ai étudié de façon assez approfondie est celui de l'agriculture où nous—les Canadiens en général et le gouvernement canadien—avons connu de réelles difficultés dans les années 80. Des milliards de dollars ont été dépensés en subventions agricoles. Nous avons eu des différends avec un grand nombre de nos partenaires commerciaux.

Grâce aux négociations d'Uruguay, comme M. Shannon l'a expliqué, nous avons réglé cette guerre agricole. Il s'agit d'un cessez-le-feu. Ce n'est pas encore la paix, comme le président l'a signalé plus tôt, mais nous avons effectivement un cessez-le-feu dans cette guerre agricole, et nous y sommes parvenus dans le cadre de l'OMC. Donc, sur ce plan, les Canadiens en général et dans de nombreux secteurs en particulier ont nettement profité de leur participation à l'OMC.

• 1040

Je veux maintenant passer à votre troisième question: Quels sont les aspects de la vie qui sont réglementés par le biais de l'OMC? On réglemente les transactions commerciales de part et d'autre des frontières et c'est à peu près tout. Lorsque l'on réglemente les transactions commerciales transfrontalières, ce que l'on tâche de faire en réalité c'est de déterminer qui devrait réglementer quel domaine et comment les diverses instances—c'est-à-dire les différents États mais aussi d'autres instances—devraient reconnaître leur légitimité mutuelle et s'accorder une certaine marge de manoeuvre.

Certaines choses ne se font qu'au sein des États mêmes et n'influent pas vraiment sur les transactions transfrontalières et ne relèvent donc pas de l'OMC. C'est une réponse très abstraite. Il me faudrait un certain temps de réflexion pour vous fournir une réponse plus détaillée.

[Français]

Mme Maud Debien: Un exemple concret.

[Traduction]

M. Robert Wolfe: Un exemple concret? Dans mon document, j'ai dit que nous pourrions peut-être envisager de préparer pour la culture un document semblable au document de référence qui a été un élément clé de l'accord sur les télécommunications de base. Le document de référence indique que dans certains domaines, on peut réglementer les télécommunications comme on veut. Si vous voulez une norme de service universelle, vous avez une norme de service universelle, et si vous avez un tribunal interne, vous pouvez l'établir comme vous le voulez mais il faut faire en sorte que d'autres gens puissent y avoir accès.

Donc il existe des façons dont l'OMC peut aider les pays à se comprendre et à définir les modalités dans différents domaines. C'est un exemple, mais je sais que le président craint que nous manquions de temps, donc je ne devrais peut-être pas m'étendre là-dessus.

En ce qui concerne la réforme institutionnelle, je propose de créer un comité provisoire ou un comité de développement semblable à celui de la Banque mondiale et du FMI, un petit comité des ministres qui se réunirait plus souvent qu'une fois tous les deux ans—au moins quelques fois par année. Il tiendrait des séances publiques et aurait de la documentation qui serait rendue publique. Il ne s'agirait pas d'un organe de décision mais d'un organe de surveillance, d'élaboration des politiques, un lieu public de réflexion à propos de l'orientation du système commercial au niveau politique qui permettrait de poursuivre sur notre lancée tout en rendant plus accessible au grand public le raisonnement et le fonctionnement de l'organisation.

J'arrêterai ici.

Le président: Il reste à peu près une minute. Quelqu'un veut-il essayer de répondre à la première question de M. Loubier, puis nous reviendrons à ses autres questions lors du prochain tour.

Monsieur Clarke.

M. Tony Clarke: Je tiens à préciser que nous ne parlons pas du retrait du Canada de l'OMC et des négociations. Ce que nous disons, c'est qu'on est en train à l'heure actuelle de prendre des décisions à propos de la nouvelle série de négociations et de ce qu'il faut faire au cours des prochains mois. Il faut savoir s'il y aura ou non une nouvelle série de négociations, que l'on appelle le cycle du millénaire, il faut savoir si ce sera une méga-série de négociations ou si l'on procédera d'une autre façon, et ces décisions devront être prises à ce moment-là.

Toute cette question de mondialisation économique a suscité son lot d'avertissements et de problèmes, au point que même certains des grands dirigeants actuels sur la scène internationale se posent des questions. Nous devrions peut-être ralentir un peu et prendre un moment pour nous demander si nous devons nous précipiter tête baissée dans une série de négociations qui porteront sur 10, 12 ou 15 grands aspects différents. C'est donc un moment où un réel leadership s'impose.

On a tout à fait tort de dire qu'un grand nombre de pays en développement veulent se lancer dans une nouvelle série de négociations. Bien au contraire. Ils n'y tiennent pas à cause de tous les problèmes qu'ils ont vus au cours des cinq dernières années. C'est pourquoi nous devons—à leur avis, et à notre avis aussi je pense—évaluer ce qui s'est produit au cours des cinq dernières années, c'est-à-dire vraiment évaluer d'un oeil critique les conséquences et les mesures prises.

Il y a à peine 12 mois, les États-Unis manifestaient beaucoup de réticence à l'égard d'une méga-série de négociations. Ils ont maintenant changé d'idée et de grandes manoeuvres sont en cours entre l'Union européenne, le Japon et les États-Unis. Mais cela ne signifie pas qu'on ne dispose pas d'une certaine marge de manoeuvre. La question est la suivante: Où en sommes-nous en tant que pays, et n'acceptons-nous pas ce que Mme Barlow a dit à propos de ce qui se passe un peu partout au pays, à propos du malaise et de l'angoisse que suscite l'évolution de ce dossier sur la scène mondiale? Les institutions comme l'OMC jouent un rôle de premier plan à cet égard.

• 1045

Deuxièmement, il est vraiment important de comprendre dans le cadre de ce débat la différence qui existe entre le GATT en tant qu'accord, c'est-à-dire un ensemble de règles commerciales, et l'OMC en tant qu'institution politique qui possède un pouvoir et de l'influence politiques.

Ce qui s'est toujours passé dans toutes les séries de négociations du GATT dont M. Shannon, M. Herman et d'autres peuvent parler, au cours des 50 dernières années... Il s'agit d'ententes commerciales qui ont été conclues étape par étape. Ce qui s'est passé en 1994 était fondamentalement différent. Non seulement nous avons eu les négociations d'Uruguay qui ont mené à un accord commercial, mais aussi a créé l'Organisation mondiale du commerce qui possède un énorme poids politique.

C'est cette institution politique, qui existe depuis cinq ans et qui a provoqué de nombreux problèmes, que nous devons examiner d'un oeil critique. J'encourage le comité à faire la distinction entre ces deux aspects et à comprendre à quel point il est important de mettre l'accent sur l'OMC en tant qu'institution politique. C'est ce dont nous devons être conscients.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Loubier, nous reviendrons à vos questions lors du prochain tour.

Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Je vous remercie, mes questions seront brèves.

Depuis l'effondrement des économies communistes planifiées dans les années 90 et depuis le début des négociations de l'OMC au cours des cinq dernières années, 133 pays ont adhéré à l'OMC. Une cinquantaine de pays n'y ont pas adhéré, comme la Russie et la Chine que vous avez mentionnées plus tôt.

Au cours des 60 ou 100 dernières années à peu près, nous avons subventionné des entreprises ici au Canada et en Occident. Maintenant, nous demandons à ces pays de ne pas subventionner leurs propres entreprises parce que c'est contraire aux «normes» internationales que de subventionner les agriculteurs russes ou chinois.

Si j'étais le chef d'État d'un de ces pays, quelle serait ma réaction si vous me demandiez de ne pas accorder de subventions? Je vous répondrais: «Vous subventionnez vos agriculteurs depuis un siècle. Pourquoi voulez-vous m'empêcher d'en faire autant? Je ne peux pas subventionner mes propres agriculteurs. Ils sont affamés, bientôt ils mourront de faim, mais vous me demandez de ne pas les subventionner». Nous sommes injustes envers les pays du tiers monde en les pénalisant ou en leur interdisant d'accorder des subventions. Voilà ma première question.

Ma deuxième question est la suivante. Mme Barlow et M. Clarke ont mentionné que la mondialisation menaçait notre société et le mode de vie canadien. Comment pouvez-vous empêcher la mondialisation lorsque Bell Canada, par exemple, a le droit d'acheter une entreprise allemande, et qu'une société allemande rachète Chrysler et que GM rachète une société japonaise?

Ce ne sont plus les intérêts des pays qui sont défendus à l'OMC, mais plutôt les intérêts des sociétés commerciales. Quelle est la différence entre ces sociétés ou ce qu'elles seront au prochain siècle et les États du XXIe siècle?

Quand un pays va devant cette organisation, que ce soit le Canada, l'Allemagne ou un autre, ce n'est pas pour défendre les intérêts de sa population, mais ceux des sociétés qui se trouvent sur son territoire. Voilà la question à laquelle nous sommes confrontés, car si nous allons vers la mondialisation, nous allons compromettre notre identité en tant que pays, en tant que Canadiens.

Il faut établir un juste équilibre. Comment tenir compte à la fois des droits des travailleurs, qui ont des emplois et qui gagnent l'argent que leur versent les sociétés, et du rôle de l'État qui consiste à défendre l'identité et l'intégrité territoriale d'une nation? Il faut établir un juste équilibre entre les deux.

Le président: Merci de ces deux très brèves questions auxquelles on pourra répondre en deux minutes.

M. Sarkis Assadourian: Trois minutes et 50 secondes.

Le président: Je ne nie pas qu'il s'agit de bonnes questions. Elles sont excellentes. Qui va y répondre?

M. Tony Clarke: Je crois que nous allons le faire tous les deux.

J'ai quelques réponses rapides à donner à vos questions très importantes.

Je tiens d'abord à bien préciser que lorsque nous parlons de la mondialisation et de ses répercussions sur les Canadiens, il y a également des distinctions à faire. Nous savons que les divers pays du monde sont interdépendants. Nous savons que nous sommes reliés les uns aux autres de toutes sortes de façons et que c'est ainsi que le monde a évolué. Nous le savons.

Nous essayons de vous faire comprendre que nous créons également des institutions qui facilitent ce processus et qui pourraient, en fin de compte, détruire la capacité des gens de développer une économie qui répondra à leurs besoins fondamentaux. Par conséquent, toute la question des tensions entre le mondial et le local occupe une place très importante dans ce débat.

• 1050

Par conséquent, tout pays qui veut faire partie d'une institution internationale comme l'OMC doit comprendre ce que représente l'établissement de nouveaux mécanismes qui leur permettront de dialoguer et de travailler avec leurs propres communautés et leurs propres citoyens et de consolider leurs économies locales afin qu'ils ne se fassent pas totalement écraser. Cela fait partie de la dynamique du processus.

Pour ce qui est des sociétés commerciales, vous avez parfaitement raison. Les véritables intérêts en jeu sont ceux des transnationales et les gouvernements qui vont dans des tribunes comme l'Organisation mondiale du commerce finissent par défendre les intérêts de leurs sociétés par rapport à ceux des autres. C'est la règle du jeu. C'est là le problème. Malheureusement, nous n'avons plus conscience des besoins des citoyens, des besoins des gens.

Toutefois, là où votre argument ne tient plus, c'est quand vous supposez que la plupart des travailleurs du monde sont à l'emploi des grandes sociétés. Ce n'est pas le cas. Ce sont les petites et moyennes entreprises qui emploient la majorité des travailleurs dans le monde d'aujourd'hui. Ce sont elles qui créent le plus d'emplois. Pourtant, étant donné la façon dont nous réorganisons le système—et surtout, comme vous l'avez dit, le fait que les gouvernements ne peuvent plus subventionner les petites entreprises et les entreprises locales ou qu'ils s'orientent du moins dans cette direction—, il est extrêmement difficile de consolider l'économie locale à l'intérieur des pays et les PME qui sont les principales sources d'emploi.

Nous allons à l'encontre de cet objectif en insistant tellement pour créer un système commercial et financier mondial afin de faciliter les opérations des sociétés transnationales et en oubliant les PME qui sont l'épine dorsale du marché de l'emploi dans nos pays.

Le président: Monsieur Herman.

M. Lawrence Herman: Pour répondre à la question que M. Assadourian a soulevée au sujet des nouveaux membres qui se joignent à l'OMC, il faut certainement des mécanismes de transition pour leur permettre de s'adapter aux nouvelles réalités, et c'est en cours de négociation. Les subventions ne sont jugées répréhensibles par la communauté internationale que si elles permettent d'exporter un produit au détriment d'un autre produit, si bien que les subventions intérieures ne sont nullement attaquées. Mais il faut des dispositions transitoires.

Deuxièmement, en ce qui concerne le Canada, il faut s'assurer que la Russie et la Chine traiteront nos gens, nos biens, nos services, nos capitaux et le reste de façon non discriminatoire et que les règles s'appliqueront de façon générale afin que les Canadiens ne soient pas victimes de mesures arbitraires dans les marchés étrangers.

À propos de ce qu'a dit M. Clarke pour ce qui est de fermer la porte à une nouvelle série de négociations ou de s'y lancer prudemment, il y aura une nouvelle série de négociations sur l'agriculture. Cela fait partie de l'accord. Comme M. Shannon l'a souligné, nous n'avons pas énormément d'atouts de notre côté, dans le secteur agricole, pour négocier un marché avantageux pour le Canada. Par conséquent, si les négociations portent uniquement sur l'agriculture, nos moyens sont limités. M. Shannon a souligné que si les négociations prennent une plus grande ampleur, le Canada disposera d'une certaine monnaie d'échange.

L'agriculture sera négociée. C'est inscrit à l'ordre du jour. Il s'agit pour nous d'augmenter nos moyens de négociation au maximum. Ce que propose M. Clarke aurait pour effet de réduire nos moyens, selon moi.

Enfin, il est vrai que l'OMC n'est pas la même chose que le GATT, mais je trouve inquiétant d'entendre quelqu'un affirmer que la création d'institutions internationales fait du tort au Canada. Les accords de Bretton Woods au lendemain de la Seconde Guerre mondiale visaient à bâtir les Nations Unies et d'autres institutions comme la Banque mondiale, le FMI et l'Organisation internationale du commerce, qui est maintenant l'OMC. Je m'étonne d'entendre dire que la création d'une institution internationale est une mauvaise chose en soi.

Ce n'est pas non plus la panacée, monsieur Clarke. Il y a certaines limites à ce que cette institution peut faire. Mais elle peut accomplir beaucoup et cela fait partie du développement du droit public international et de la création d'institutions, ce que je trouve remarquable. Nous devons faire très attention avant de critiquer ces efforts qui ont été très bénéfiques pour les Canadiens depuis 40 ans, tout comme M. Shannon l'a souligné.

• 1055

Le président: Merci.

Il nous reste une ou deux minutes. Avez-vous une très brève question, monsieur Assadourian?

M. Sarkis Assadourian: Je crois que Mme Barlow désire répondre à la question.

Le président: D'accord. Cela terminera ce tour de table et nous en entamerons un nouveau.

Mme Maude Barlow: Il y a tellement de choses auxquelles je voudrais répondre, mais je m'en tiendrai à cette dernière question.

Nous ne nous opposons aucunement à ce que le Canada fasse partie d'institutions internationales. Nous tenons beaucoup à ce que le Canada prenne part à des accords internationaux sur l'environnement et à ce qu'il agisse, au niveau international, par l'entremise des Nations Unies. Nous voudrions qu'un organisme international très différent s'occupe du commerce.

Je vais commencer par une petite page d'histoire. Il ne faut pas oublier que le GATT est le résultat d'une tentative infructueuse, faite il y a 50 ans, pour créer un nouvel organisme international chargé de superviser le commerce, mais également l'environnement—l'environnement n'avait pas tellement d'importance à l'époque—ou plutôt les droits des travailleurs, les droits sociaux et les droits humains. La Déclaration universelle des droits de l'homme a donné naissance à un désir d'établir une série de droits dans le cadre de tout le système commercial et économique international.

Les États-Unis s'y sont opposés et tout ce qu'on a pu en sauver est l'aspect commercial, autrement dit le GATT. Le GATT s'est développé tandis que les autres secteurs ont disparu, puis le GATT a mené à la création de cette Organisation mondiale du commerce, qui ne voit toujours qu'un élément de l'équation.

Nous ne nous opposons pas à ce que le Canada fasse du commerce ou à ce que nos entreprises et les produits que nous vendons à l'étranger bénéficient de règles équitables. Ce n'est pas du tout ce que nous faisons valoir. Nous disons que le seul secteur dont notre gouvernement, comme le gouvernement des autres pays, s'est occupé dans le cadre de ce processus est celui des transnationales, celui des sociétés commerciales. Il a laissé de côté tous les autres intérêts et nous essayons maintenant de trouver des moyens d'y remédier.

Tony n'a pas dit que nous devrions nous retirer. Il a dit plutôt que le Canada pourrait jouer un certain rôle, comme d'autres pays vont le faire et comme les groupes comme le nôtre le demandent dans le monde entier. Ces efforts seront très coordonnés. Nous allons organiser une grande fête du millénaire pour les citoyens à Seattle. Nous irons là-bas et nous tiendrons un merveilleux spectacle. Je crois que nous serons plus intéressants que le spectacle officiel.

Nous disons que la société civile du monde doit se faire entendre. Ces négociations ne peuvent pas se dérouler derrière des portes closes et servir seulement les intérêts d'un secteur de l'économie. Tout est faussé et cela fait du tort aux gens, aux petits agriculteurs, aux êtres humains.

Le président: Merci, madame Barlow.

Nous passons maintenant à notre deuxième tour de table. Je vais limiter tout le monde à cinq minutes. Je demanderai donc que les questions et les réponses soient brève.

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible]

Le président: Ce sont des tours de cinq minutes. Si vous prenez cinq minutes pour poser votre question, il ne vous restera plus de temps.

Je vais faire l'aller et retour de part et d'autre de la table. Ce sera d'abord M. Penson, puis M. Calder.

M. Charlie Penson: J'espère que vous n'avez pas mis le chronomètre en marche quand vous parliez encore.

Le président: Jamais.

M. Charlie Penson: Merci.

Le président: J'arrête le chronomètre lorsque je parle.

M. Charlie Penson: J'ai deux questions à poser. L'une fait suite à la question que j'ai posée à M. Herman tout à l'heure et sur laquelle j'aimerais connaître l'avis des autres membres du groupe. C'est au sujet du mécanisme de règlement des différends de l'OMC. Même si vous gagnez, souvent vous perdez quand même, car vous ne pouvez pas toujours percevoir les droits qui vous ont été accordés dans le cadre d'une mesure commerciale.

Prenons l'exemple hypothétique du Canada qui mettrait fin à l'accord sur le bois d'oeuvre une fois qu'il arriverait à expiration. Si cela arrivait et si les États-Unis imposaient des droits compensateurs à nos entreprises forestières, le gouvernement canadien porterait l'affaire devant l'OMC et même si nous obtenions gain de cause, je crois que certains droits ne nous seraient pas remboursables pour la période précédant la décision. Est-il possible d'obtenir une amélioration sur ce plan? Si je me trompe, je voudrais le savoir, mais si j'ai raison, serait-il possible d'obtenir des améliorations au cours de ces négociations afin que, si nous obtenons gain de cause, nous obtenions au moins le remboursement des droits?

Ma deuxième question s'adresse à M. Clarke.

Je serais très étonné si de nombreux agriculteurs du Canada ne seraient pas très déçus de vous entendre suggérer que le Canada ne participe pas à ces négociations de l'OMC. Les producteurs de céréales, d'oléagineux et de boeuf, des secteurs où il n'y a généralement pas de droits de douane ou de subventions, s'attendent à réaliser des gains importants sur le plan de l'accès au marché et de la réduction des subventions et des droits de douane, surtout au sein de l'Union européenne qui y a consacré 60 milliards de dollars l'année dernière. Cela a causé énormément de tort à nos agriculteurs. Votre suggestion ne semble donc pas concorder avec le point de vue du secteur agricole sur cette question.

• 1100

Voilà mes questions.

M. Gerald Shannon: Monsieur le président, puis-je essayer de répondre à la question sur le bois d'oeuvre?

Si en fait nous décidions de cesser de payer la taxe d'exportation, les États-Unis pourraient alors prétendre que nous versons des subventions et imposer des droits. Nous aurions le droit de présenter notre cause devant l'OMC. Si nous avions gain de cause, nous aurions alors le droit de demander le remboursement des fonds dépensés après la décision des Américains de présenter leur cause. En d'autres mots, vous pouvez récupérer ce que vous estimez avoir perdu illégalement. Vous ne pouvez pas récupérer ce que vous avez payé volontairement sous la forme d'une taxe à l'exportation.

Mais dès lors que l'OMC a conclu que les États-Unis n'avaient aucune raison valable d'imposer des droits compensateurs, on s'attendrait à ce qu'ils remboursent...

M. Charlie Penson: Puis-je demander des éclaircissements? Est-ce que les droits versés dans l'intervalle, jusqu'à ce qu'une décision soit rendue, seraient remboursables à partir de la date de la décision de l'OMC?

M. Gerald Shannon: Oui.

M. Charlie Penson: Ou est-ce que cela serait rétroactif à l'entrée en vigueur des droits? Voilà ma question.

M. Gerald Shannon: Peut-être que M. Herman en sait davantage que moi, mais je suppose que les fonds seraient remboursés à partir du moment où les États-Unis auraient posé ce que nous estimons être un geste contraire à leurs obligations en vertu de l'OMC.

Le président: Donc, pour revenir à ce que vous dites, monsieur Herman, c'est la première fois que nous avons une institution internationale dotée d'un tribunal qui peut prélever des dommages-intérêts et forcer un pays à payer les dommages-intérêts—à verser une compensation monétaire?

Une voix: Non, il ne le peut pas.

M. Lawrence Herman: Non, il ne le fait pas. Un groupe spécial va déterminer la conformité de la mesure par rapport à l'accord de l'OMC. Si la mesure est jugée incompatible, le pays débouté doit alors prendre des mesures correctives, à défaut de quoi l'autre partie peut retirer des concessions.

Le président: En d'autres mots, des mesures de représailles.

Soyons clairs. Il ne faut pas que le comité croie que le groupe spécial de l'OMC dit que «le pays X doit 300 millions de dollars au pays Y et doit lui faire parvenir un chèque». Ce n'est pas le cas. Il dit qu'il a une dette, et il essaie ensuite de trouver un moyen de la faire payer. M. Penson a tout à fait raison, parce que lors du conflit avec les États-Unis au sujet des puces, vous vous souviendrez des mesures de représailles que nous allions prendre; nous avons essayé les pièces d'ordinateur, et cela n'a pas fonctionné. On a fini par imposer des droits sur les arbres de Noël ou quelque chose de farfelu.

C'est le problème des représailles dont vous avez parlé, n'est-ce pas, monsieur Penson?

M. Charlie Penson: Oui.

Le président: Cela n'a donc pas réglé le problème. Ce n'est pas une compensation monétaire.

Une voix: Non.

Le président: D'accord. Nous sommes fixés là-dessus.

M. Penson avait posé une autre question à M. Clarke, et nous allons ensuite passer à un autre député.

M. Tony Clarke: Tout d'abord, je prends très au sérieux votre argument selon lequel le dossier agricole doit être réglé et que l'on s'était engagé à entamer une nouvelle série de négociations sur l'agriculture. J'en conviens.

Nous avons signalé qu'il y a beaucoup d'autres questions que l'on voudrait négocier, comme les droits de propriété intellectuelle, l'investissement, les marchés publics, la politique de concurrence et tout un éventail d'autres questions, sans parler d'un code forestier et d'un code sur les pêches. Nous avons dit qu'il fallait imposer des limites en affirmant: «Un instant. Examinons ce qui se passe. Examinons et évaluons ce qui s'est produit.»

Dans le milieu agricole, certains joueurs—y compris du Canada—veulent participer à cette série de négociations et en retirer quelque chose. D'autres joueurs craignent les résultats éventuels de ces négociations, notamment le secteur laitier. M. Shannon dit: «Nous pourrions abandonner les offices de commercialisation»... Il s'agit de l'une des grandes institutions canadiennes loyales que nous abandonnerions dans cette série si nous continuions à ce rythme.

Avant de plonger tête première dans quoi que ce soit, qu'il s'agisse de l'agriculture ou d'un autre secteur, il faut examiner de près non seulement les avantages et les inconvénients, mais les répercussions globales en ce qui a trait à la libéralisation du commerce en général. Il faut prendre le temps de le faire.

Je pense que si nous continuons à nous contenter de faire ce que les autres font afin de suivre la ruée, sans jeter un regard critique sur ce qui se produit, nous nous dirigeons tout droit vers...

M. Charlie Penson: Il est difficile d'avoir un esprit critique. C'est en train de disparaître ces jours-ci.

Mme Maude Barlow: Mais cela ne va les sauver.

M. Tony Clarke: En effet. Il faudrait peut-être se débarrasser de l'ALE et de l'ALENA.

• 1105

Mme Maude Barlow: Les agriculteurs du monde entier éprouvent des problèmes. Les fermes familiales de toutes les régions du monde sont victimes de la mondialisation de l'économie. Ils ont pensé que seules les grandes exploitations agricoles, comme les fermes porcines, allaient survivre, et elles ne survivent pas non plus. Ce n'est pas un modèle efficace. Ce n'est pas le bon modèle pour la planète.

M. Charlie Penson: Ce n'est pas le bon modèle, c'est certain.

Le président: Nous allons maintenant passer à M. Calder.

M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Vous serez heureux d'apprendre que pendant la semaine de relâche parlementaire, le Comité permanent de l'agriculture s'est rendu au Congrès et au Sénat des États-Unis, du lundi au jeudi, pour discuter de ces mêmes questions.

Le président: Est-ce qu'ils essayaient de les convaincre d'abandonner leur système de commercialisation du sucre...

M. Murray Calder: Nous avons abordé tout un éventail de sujets.

Je vais citer trois points que nous avons soulevés dans la conversation ce matin et que j'estime très pertinents.

En ce moment, les États-Unis craignent que ne s'opposent une position commerciale nord-américaine et une position commerciale européenne, surtout depuis le lancement de l'Euro, dont ils suivent l'évolution de près. On se préoccupe aussi de la disposition de report qui a été négociée en 1993 avec la Communauté économique européenne, qui à mon avis pose un problème.

Pendant notre séjour aux États-Unis, nous avons assisté au Forum sur les perspectives agricoles. Un des courants sous-jacents que j'ai observé et qui est très intéressant, c'est que les milieux agricoles américains s'inquiètent beaucoup de l'intégration verticale.

Pendant notre séjour, nous avons aussi rencontré la Commission du commerce international, et j'ai alors mentionné les résultats d'une enquête que la maison Angus Reid venait de terminer une semaine plus tôt, et selon laquelle les États-Unis accusaient un retard de 10 ans par rapport au Canada en ce qui concerne la réduction des subventions. Je suis très curieux. Monsieur Herman, vous dites que nous n'avons pas beaucoup d'influence dans le secteur agricole. Le fait est que nous avons 10 ans d'avance sur les États-Unis au chapitre de la réduction des subventions. Proposez-vous que nous restions constamment 10 ans en avance sur eux?

Lorsque j'en ai parlé à la Commission du commerce international, on m'a répondu qu'on souhaitait l'application de règles du jeu équitables. J'ai répondu: «Selon moi, pour que les règles du jeu soient équitables, il faut que les partenaires soient égaux. Cela me semble équitable.» J'ai alors constaté chez eux une grande nervosité par rapport à leur position. Ils disaient qu'ils voulaient que tout soit sur la table de négociation, et j'ai commencé à remettre en question leur position relative à la betterave à sucre, par exemple. Au Canada, nous n'imposons aucun tarif, mais ce n'est pas le cas aux États-Unis. Est-ce qu'ils sont prêts à éliminer complètement les tarifs sur le sucre?

Ma question est donc très simplement la suivante. Compte tenu que nous devançons les autres pour ce qui est de la réduction des subventions, comment les autres pays vont-ils nous rattraper? Est-ce que nous allons faire du surplace jusqu'à ce qu'ils nous rattrapent, ou est-ce que nous allons continuer d'avancer, ce qui à mon avis semble injuste?

Le président: Monsieur Herman.

M. Lawrence Herman: Eh bien, nous parlons de deux choses différentes.

D'abord, notre position relative sur les subventions dans le secteur agricole par rapport aux États-Unis est une question distincte, mais nous parlons de négociations multilatérales où les pays vont proposer des offres et où des ententes seront conclues.

Dans ce que je disais, il n'était pas question de savoir si nous étions en avance ou en retard par rapport aux États-Unis. Je disais que dans des négociations multilatérales, si nous ne traitons que de l'agriculture, le Canada exercera beaucoup moins d'influence que s'il s'agissait de négociations plus générales, où nous avons affaire à un processus d'échange, de compromis et de marchandage intersectoriel.

M. Murray Calder: Mais j'étais agriculteur auparavant, plus précisément aviculteur, et la différence dont vous parlez est très importante pour moi.

M. Lawrence Herman: Eh bien, je ne parle que du processus de négociation, et il est inéluctable.

Le président: Monsieur Wolfe, vous alliez ajouter quelque chose.

M. Calder a soulevé une question qui nous perturbe tous. Lorsque nous allons amorcer les négociations, supposons que le Canada a éliminé entièrement tous les tarifs et qu'il devienne le plus grand pays libre-échangiste au monde. Que pourrions-nous retirer des négociations? Nous n'aurions rien à donner, il est donc probable que nous n'obtiendrions rien en échange.

Il me semble que M. Calder parle du fait que ceux qui ont le plus de poids sont ceux qui éprouvent les plus graves problèmes, et ils les imposent à tout le monde, au lieu de l'inverse. Est-ce que M. Calder a raison, et dans l'affirmative, que pouvons-nous faire? Je crois que c'est la question qu'il faut poser.

Est-ce exact?

M. Murray Calder: C'est bien cela.

• 1110

M. Robert Wolfe: La première chose à retenir, c'est que vous entrez dans une pièce où se trouve un gorille de 800 livres, et ce n'est pas l'OMC qui a créé cet animal. La géographie fait des États-Unis nos voisins. L'histoire détermine ce qui constitue ou ne constitue pas à leurs yeux une subvention. Au moins, à l'OMC, nous pouvons compter sur de nombreux autres intervenants pour nous aider à transiger avec eux. Voilà la première chose que je voulais faire comprendre.

La deuxième est de nature technique. Je ne sais pas trop ce que l'on veut dire lorsque l'on affirme que le Canada a une avance de 10 ans sur eux. Dans l'Accord sur l'agriculture, toutes les parties ont déposé leurs nouvelles offres tarifaires et leurs engagements, et les échéances connexes ont été fixées. Le Comité de l'agriculture de l'OMC a reçu environ 800 avis, les pays essayant d'évaluer les progrès réalisés par chacun. J'ignore si nous allons procéder plus rapidement que ce que nous avions promis de faire à la fin du cycle d'Uruguay, et j'ignore si les Américains procèdent plus lentement, mais je serais étonné qu'il existe un tel déséquilibre.

Je voudrais dire...

M. Murray Calder: Excusez-moi de vous interrompre un peu. Ce qu'ignoraient les États-Unis—et je vais vous l'apprendre aussi—c'est que chaque Canadien consomme en moyenne chaque année pour 216 $ de produits américains, tandis que chaque américain consomme en moyenne pour 31 $ de produits canadiens. Ils l'ignoraient. Donc nous leur avons simplement demandé: «Pourquoi faites-vous des crocs-en-jambe à l'un de vos grands clients, votre deuxième acheteur de produits agricoles après le Japon?»

Le président: Si vous me permettez. Les chiffres que vous avez fournis, monsieur Calder, ont trait à la consommation de produits agricoles?

M. Murray Calder: Non, il s'agit de tous les produits confondus.

Le président: D'accord.

Excusez-moi, monsieur Wolfe.

M. Robert Wolfe: Ces chiffres sont intéressants.

M. Murray Calder: Pardon, il s'agit de produits agricoles.

Le président: Cela me paraît plus juste. Merci.

M. Robert Wolfe: C'est donc sans compter la minifourgonnette construite au Canada qu'ils ont conduite pour venir assister à l'audience où cet argument a été présenté.

Des voix: Oh, oh!

Une voix: Je pense que nous nous débrouillons assez bien.

M. Robert Wolfe: Oui, dans certains de nos échanges commerciaux avec les États-Unis.

J'aimerais aborder cette question des subventions. La question qu'il faut se poser à ce sujet, c'est qui paie ces subventions. Si vous élevez des poulets, l'OCDE prétendra que vous recevez des subventions. Si la Chambre des communes et le Sénat, le Parlement du Canada, estiment que vous devriez recevoir ces subventions, c'est parfait. La population canadienne a accepté de payer ces subventions. Mais peut-on refiler ces coûts au reste du monde? Dans une certaine mesure, à l'OMC, on dit: «Non. Si vous, les Canadiens, voulez subventionner un secteur particulier, faites-le chez vous. N'exportez pas le coût de ces subventions dans d'autres pays».

Les États-Unis hésitent peut-être davantage que d'autres pays à jouer ce jeu. Nous avons peut-être un peu d'avance, parce que les subventions nous étaient si coûteuses et que, pour le meilleur ou pour le pire, nous avons tenté de réduire le déficit. Cela fait partie de nos efforts. C'est le premier principe.

Le deuxième principe porte sur ce qui se passe, disons, dans les pays en développement. Quelqu'un a demandé ce qu'on dit au chef d'État d'un pays qui veut subventionner ses petits agriculteurs. Dans bien des pays en développement, on ne subventionne pas les petits agriculteurs. Plutôt, on subventionne les consommateurs urbains au détriment des petits agriculteurs. D'ailleurs, on a commencé à modifier la politique afin de permettre aux producteurs des régions rurales de rivaliser pour l'obtention de leur part du marché urbain national du pays. Cela fait partie de ce qu'on appelle le programme néolibéral, et ce n'est pas une mauvaise chose.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Loubier, vous êtes de retour.

M. Yvan Loubier: Oui. Je reviens à la question de M. Calder parce que je la trouve fort importante.

J'aimerais qu'on se penche sur les engagements que le Canada a pris concernant le secteur agricole, comme les autres pays membres du GATT, à la huitième ronde, à l'Uruguay Round. On s'est engagé à réduire chaque année d'un certain pourcentage les subventions qui causaient des distorsions dans le commerce et même à éliminer certaines d'elles.

On a ouvert l'accès au marché, soit par une diminution des tarifs douaniers qui remplaçaient les mesures quantitatives à l'importation pour la volaille et le lait en tarifs douaniers, soit en ouvrant le marché sans tarif aux produits américains surtout. On est le pays le plus ouvert lorsqu'on regarde le niveau des importations qui entrent ici en provenance des États-Unis et de l'Europe. On est le pays qui a fait le plus grand effort au niveau de la réduction des subventions, que l'on se compare à l'Europe, aux États-Unis, au Japon ou à tout autre pays du monde.

La question que je posais plus tôt revient à celle de M. Calder. Est-ce que, dans un cycle complet, on va tenir compte du fait que le Canada a déjà des crédits à son avantage au niveau de la réduction des subventions et de l'ouverture des marchés, y compris dans le secteur agricole, ou si on va repartir à zéro? Même si en Europe, aux États-Unis, au Japon ou ailleurs, les subventions et les mesures protectionnistes aux frontières sont supérieures aux nôtres, va-t-on recommencer comme si de rien n'était, comme si tout le monde partait sur un pied d'égalité?

• 1115

Est-ce qu'on va faire comme à l'Uruguay Round, c'est-à-dire offrir un peu plus que ce que les autres pays vont offrir, en se déchirant sur le plan national?

Monsieur Wolfe, vous avez vécu cette situation avec M. Shannon. L'Est et l'Ouest se sont chicanés: c'était le lait et la volaille contre les céréales et les oléagineux. Malgré le fait qu'on est en situation de crédit à l'heure actuelle, est-ce qu'on va recommencer nos chicanes internes et repartir de la même façon que lors de la huitième ronde du GATT?

Au sujet de la deuxième question que je posais plus tôt, M. Shannon a parlé d'une plus grande flexibilité dans ce prochain cycle de négociation pour tenir compte des droits de la personne, des droits du travail et des droits environnementaux. Est-ce qu'on peut prévoir que la négociation du millénaire sera le début d'une intégration de ces aspects de la vie humaine, qui deviendraient des paramètres aussi importants que le respect des règlements sur les subventions à l'avenir? Autrement dit, est-ce que le respect de règles environnementales minimales, de règles du travail minimales et des droits de la personne deviendra aussi une contrainte assujettie à des droits compensatoires ou à l'enlèvement de toute concession de l'OMC, comme c'est le cas des autres règles à l'heure actuelle? Est-ce qu'on se dirige vers ça? Si c'est le cas, ce sera bon pour l'humanité.

[Traduction]

M. Gerald Shannon: Pour répondre à la première question, monsieur, on ne commence pas nécessairement par les subventions. On rend à César ce qui appartient à César. Ce processus est un processus continu. Si, en fait, nous avons cédé davantage que les autres—ce dont je doute—, cela serait pris en compte au moment d'établir les orientations.

On a accordé beaucoup d'attention aux Européens et, si vous cherchez un coupable pour les dernières négociations, cherchez d'abord du côté des Américains qui subventionnent de longue date toute une gamme de produits, ce qui nous a beaucoup nui autant au pays qu'à l'étranger. Les Européens le reconnaissent et des priorités financières les ont poussés à revoir cette pratique; une entente a donc été conclue.

Pour ce qui est des États-Unis, ils ont les mêmes problèmes que nous. Ils ont accordé certaines subventions pour riposter à celles des Européens, mais d'autres représentaient tout simplement la saveur du mois au Congrès et ont été accordées souvent à notre détriment. Mais ce que je tiens surtout à dire, c'est que nous devons évaluer les négociations commerciales sur la réduction des subventions sur une longue période.

En ce qui a trait aux produits soumis à la gestion de l'offre, je sais que mes remarques ont suscité des réactions, mais je tiens à dire ceci: J'ai consacré bien des heures au cours de la dernière série de négociations, à défendre les intérêts canadiens sur cette question. Je connais le dossier comme le fond de ma poche. J'en ai discuté avec différents groupes d'intéressés de l'ouest et de l'est du pays. Il ne fait aucun doute que c'est un problème.

À mon avis, nous sommes au point où il nous faut reconnaître que notre politique de gestion de l'offre nuit d'abord et avant tout aux consommateurs canadiens.

Deuxièmement—et c'est là que le bât blesse—les pays, dont le nôtre, qui préconisent l'imposition de restrictions à l'importation sur une gamme limitée de produits sont de moins en moins nombreux.

Troisièmement, personne ne veut se lancer dans ces négociations complètement démuni. Cependant, je ferai remarquer que la Nouvelle-Zélande et l'Australie ont déjà aboli un grand nombre des restrictions qui limitaient auparavant le commerce agricole, et ils se portent très bien sur les marchés mondiaux.

La deuxième question concernait la possibilité que l'OMC en vienne à traiter d'autres domaines, tels que l'environnement ou les droits de la personne. Ce sont des questions qui nous préoccupent tous, à juste titre: ce sont des enjeux importants. Mais il est difficile de déterminer si une entente commerciale, qui est un document contractuel, est une bonne façon de régler ces questions.

Des ententes sont signées constamment dans le domaine de l'environnement pour régler des problèmes particuliers, entre autres. Faire respecter les engagements que les gens ont pris est ordinairement ce qui est le plus difficile. L'OMC est un mécanisme commercial qui a ses propres dispositions sur le respect des engagements. Si vous tentez de les appliquer à l'environnement, un domaine que l'OMC connaît très peu, ce ne sera avantageux pour personne. Il faudrait plutôt adopter, dans le domaine de l'environnement, des ententes dont on assurera le respect comme on l'a fait dans le domaine commercial.

Merci.

Le président: Merci. Vos réponses nous ont été très utiles.

Monsieur Reed.

• 1120

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je ne veux pas m'engager dans un débat sur les mérites de la gestion de l'offre. Nous en sommes vite venus à l'un des dossiers les plus litigieux du commerce. Je dirais seulement que c'est le consommateur qui paie pour la gestion des approvisionnements dans son pays et que certains prétendent que le consommateur tire certains avantages de la gestion de l'offre. L'agriculteur en profite aussi, car il ne travaille pas pour ADM comme le producteur de poulets des États-Unis. L'agriculteur conserve son autonomie. Dans une certaine mesure, c'est vrai.

Les producteurs laitiers m'ont dit que l'imposition de tarifs leur avait donné le temps de s'adapter et de modifier leurs modes d'exploitation. C'est donc possible dans le secteur laitier, cela se fait. J'ignore si les mêmes possibilités existent pour l'aviculture et les autres opérations intensives, car les efficiences des agriculteurs dans les secteurs soumis à la gestion de l'offre sont très élevées. Je ne suis donc pas convaincu que les secteurs soumis à la gestion de l'offre soient moins efficients que les autres en raison de la gestion de l'offre. Quoi qu'il en soit, c'est un débat qui se tiendra pendant la prochaine série de négociations, et je suis certain qu'il sera difficile.

Je n'aurais pas cru être d'accord avec Tony Clarke, mais il a parlé des petites entreprises et a souligné qu'elles sont notre plus grand employeur. J'ajouterai que les petites entreprises représentent aussi la plupart de nos entreprises transnationales. Il est donc faux de dire que les petites entreprises sont limitées au Canada et sont la cible des pressions de géants tels que W.R. Grace et ADM.

Je connais un peu le secteur minier, car j'ai un frère qui y travaille depuis près de 40 ans, et je sais qu'il y a au Canada environ 700 entreprises minières dont bon nombre sont transnationales. Elles se sont installées en Amérique du Sud, en Afrique du Sud—un peu partout dans le monde—et elles comptent en moyenne 15 employés. On peut difficilement dire que ce sont de grandes entreprises.

Toujours à ce sujet, j'ajouterai qu'au niveau du commerce—et les négociateurs devraient garder cela à l'esprit—, on doit toujours s'assurer qu'il y a possibilité... Les grandes entreprises ont déjà été petites, alors il faut s'assurer que les petites entreprises reçoivent la même protection que les grandes afin qu'elles puissent croître dans notre nouveau monde sans frontières.

La crainte selon laquelle nous sommes contrôlés par les grandes entreprises se fonde sur un raisonnement quelque peu faussé. Le fait est que toute entreprise, qu'elle compte 3, 15 ou 10 000 employés, mérite les mêmes égards, car l'avenir, c'est l'avenir.

Voici ma question: Nous disons que notre marge de manoeuvre n'est pas très grande à ces négociations commerciales. Or, il me semble que nous avons une grande marge de manoeuvre car, si nous avons déjà commencé à réduire les subventions, n'avons-nous pas la possibilité d'uniformiser les règles du jeu dans l'autre direction?

• 1125

Le président: Il vous reste exactement trois secondes pour répondre à la question.

Des voix: Oh, oh!

Le président: La question comportait plusieurs idées. Je vous demanderais de répondre brièvement, en deux ou trois minutes, puis je céderai la parole à M. Tremblay.

Mme Maude Barlow: Je répète notre position que j'ai énoncée plus tôt ce matin: ce n'est pas à la concurrence entre États- nations que nous avons affaire. J'aimerais bien qu'on commence à réfléchir à ce que nous faisons à la Terre.

Les entreprises minières canadiennes ont l'une des pires réputations au monde. J'ignore qui est votre frère et pour qui il travaille, mais partout où nous allons dans le monde, on nous dit: «Pourquoi laissez-vous vos entreprises minières faire ce qu'elles font chez nous?» Nous avons la réputation d'être des rebelles, des délinquants internationaux, car nous imposons des normes si peu élevées relativement à la façon dont nos entreprises minières peuvent se comporter à l'étranger.

Je ne veux donc pas d'entente qui aiderait notre secteur minier à s'implanter en Amérique du Sud ou aux Philippines pour y tuer des gens. Cela ne devrait pas être notre objectif. Nous devrions établir des ententes internationales comportant des règles et règlements régissant le fonctionnement de toutes ces entreprises, et chaque pays devrait avoir le droit d'imposer des contrôles environnementaux stricts. L'OMC, dans sa forme actuelle, a été conçue pour réduire ces règles et règlements.

Il ne s'agit donc pas de donner à nos merveilleuses entreprises minières canadiennes des perspectives d'affaires dans le monde entier. Je vous invite à examiner les statistiques sur le réchauffement de la planète et la dévastation des eaux du globe. Plus d'un milliard de gens n'ont pas accès à de l'eau propre dans le monde. D'ici 2025, deux tiers des habitants de la planète manqueront d'eau.

Nous avons choisi de bien mauvais modèles, monsieur Reed. Nous estimons que l'OMC travaille à répondre et protéger ce modèle au détriment des agriculteurs indigènes, des petits agriculteurs, des fermes familiales, des citoyens ordinaires, des programmes sociaux, des pauvres et de l'environnement de la planète.

Je suis tout à fait d'accord avec Gerry Shannon pour dire qu'on ne devrait pas tenter de conclure des ententes auxiliaires dans le cadre de l'OMC. Il nous faut des ententes sur l'environnement dont on pourra assurer le respect. Mais il est très clair que les ententes environnementales multilatérales n'ont pas préséance, qu'elles sont même souvent rejetées par l'OMC. Des décisions ont déjà été rendues en ce sens.

Lawrence Herman nous dit que ce n'est pas une foire; je rappellerai simplement à tous que l'OMC est très jeune. Toutes les normes environnementales du monde pourraient être contestées un jour, surtout si nous incluons les dispositions concernant l'investissement au chapitre 11, comme le chapitre 11 de l'ALENA, permettant aux entreprises de tout pays membre de l'OMC d'intenter des poursuites contre tout gouvernement qui adopte une loi environnementale qu'elles jugent nuisible pour elles.

Pensons donc à ce qui se passe à l'extérieur de nos frontières et disons-nous que si nous vivons dans un village global, nous sommes responsables de la terre à l'autre bout du monde. Ce n'est pas que nos petites affaires dont il s'agit ici.

Le président: Monsieur Wolfe, très rapidement, puis je céderai la parole à M. Tremblay.

M. Robert Wolfe: Je voudrais dire deux choses en réponse aux remarques de M. Reed.

En ce qui concerne l'agriculture, quel genre d'agriculture souhaitons avoir dans 20 ans? Ce sera une agriculture plus productive; elle devra être plus productive. Autrement dit, la productivité devra augmenter, car elle augmentera dans tous les secteurs de l'économie. Comment cela se réalisera-t-il en agriculture? Les accords commerciaux peuvent faire partie de ce processus. Nous ne pouvons prétendre que la structure agricole actuelle prévaudra encore dans 20 ans, car aucun secteur canadien ne sera le même dans 20 ans. L'OCDE nous dit déjà que la productivité est importante pour tous les pays.

Deuxièmement, les petites entreprises profitent davantage du régime des échanges commerciaux que les grosses entreprises. Les multinationales peuvent négocier des ententes sur n'importe quel marché. Si Bill Gates a un problème au Canada, le premier ministre peut vraisemblablement se libérer pendant cinq minutes pour l'entendre. Ce n'est pas le cas des petites entreprises. Ce système de règles assure donc l'uniformité des règles du jeu pour les petites entreprises. Elles ne rivalisent peut-être pas à armes égales—c'est la raison pour laquelle il faut peut-être entamer de nouvelles négociations—mais les petites entreprises en profitent.

J'aurais d'autres observations à faire, mais je les ferai plus tard.

Le président: Merci.

Monsieur Tremblay.

[Français]

M. Stéphan Tremblay (Lac-Saint-Jean, BQ): C'est la première fois que je participe aux séances de ce comité et je m'aperçois qu'il y a vraiment deux débats. Tout à l'heure, Mme Barlow tentait de faire le lien entre la mondialisation et la destruction de l'environnement et l'accroissement de la pauvreté. D'autre part, j'ai l'impression que le débat gravite autour de la façon de devenir plus compétitif au sein de l'Organisation mondiale du commerce ou de défendre nos intérêts le mieux possible. J'appuie la position de mon collègue Loubier, qui disait tout à l'heure que ne pas se présenter à l'OMC pourrait être néfaste pour nous.

• 1130

Ma question s'adresse à Mme Barlow, à M. Clark et peut-être même aux témoins assis de ce côté-ci de la table, qui n'ont pas beaucoup parlé des liens entre la pauvreté et la mondialisation. Cette question me semble beaucoup inquiéter Mme Barlow et M. Clark, qui ont même décidé de faire une consultation partout au Canada et constaté une très grande inquiétude, que je partage aussi. Je m'interroge sur cette question et je n'ai pas encore adopté de position à ce sujet.

Madame Barlow ou monsieur Clark, pourriez-vous concevoir que l'Organisation mondiale du commerce soit un jour l'instance supranationale qui s'occuperait non seulement de commerce, mais également de contrôle des capitaux et des règles au niveau du travail et de l'environnement? En parlant uniquement de commerce, on limite énormément son champ d'action. Croyez-vous que l'OMC devrait avoir davantage de rôles? Sinon, quelle institution devrait réfléchir sur toutes ces questions qu'on doit absolument étudier, à mon avis?

Vous disiez que le rôle de la société civile semblait être exclu de toutes ces discussions-là. J'aimerais connaître votre vision d'une société civile plus présente face à toutes ces questions. Merci.

Le président: Madame Barlow et ensuite monsieur Wolfe.

[Traduction]

Mme Maude Barlow: Je vais vous donner quelques statistiques sur la mondialisation économique.

[Français]

Je vous remercie d'avoir posé cette question très, très importante.

[Traduction]

Le Rapport des Nations Unies sur le développement humain 1998, rapport annuel sur la pauvreté dans le monde, dit ceci en substance:

La disparité des revenus enregistrée entre les 20 p. 100 les plus riches et les 20 p. 100 les plus pauvres dans le monde est de 150 contre 1 et a doublé au cours des 30 dernières années. Les 225 personnes les plus riches du monde possèdent une richesse égale au revenu annuel de la moitié de l'humanité. Les trois personnes les plus riches du monde possèdent des biens qui dépassent le produit intérieur brut de 48 pays.

Les 20 p. 100 d'êtres humains les plus riches consomment 86 p. 100 de l'ensemble des biens et services alors que les 20 p. 100 les plus pauvres en consomment un peu plus de 1 p. 100. Les Américains et les Européens aisés dépensent beaucoup plus par an en produits alimentaires pour animaux domestiques que le total nécessaire pour subvenir aux besoins alimentaires et médicaux les plus élémentaires du monde entier. Les Américains consacrent davantage d'argent à l'achat de produits de beauté chaque année que le total nécessaire pour offrir un enseignement de base à tout le monde.

Les Européens consacrent 11 milliards de dollars chaque année à l'achat de crème glacée, ce qui représente 2 milliards de dollars de plus que le total nécessaire pour assainir l'eau et construire des égouts pour le milliard de personnes qui n'y ont pas accès à l'heure actuelle. Plus de 5 millions de personnes, dont la plupart sont des enfants, meurent chaque année de maladies causées par la piètre qualité de l'eau. Alors que des milliards de personnes se couchent chaque soir sans eau potable, l'Américain du Nord moyen consomme 1 300 gallons d'eau chaque jour.

Le président: Permettez-moi de vous arrêter, car la question de M. Tremblay est très importante et il nous faut du temps pour y répondre. Ce comité a entendu ces statistiques une centaine de fois.

Mme Maude Barlow: Cela répond en partie à la question.

Le président: La question qui se pose est la suivante: Peut-on attribuer ces problèmes à l'Organisation mondiale du commerce?

Mme Maude Barlow: Non.

Le président: C'est cela la question.

Êtes-vous en train de dire que le Canada ne devrait pas en faire partie et que si tel est le cas, ces problèmes vont disparaître, les Américains ne vont pas consacrer 60 milliards de dollars par an à l'achat de produits alimentaires pour animaux domestiques? Nous le savons. Nous savons que c'est hallucinant. Mais certaines personnes vont venir nous dire que l'Organisation mondiale du commerce va améliorer le monde de telle façon que ces problèmes disparaîtront. Je suppose que M. Clarke va nous dire que ce n'est pas le cas. Nous devrons nous demander quelle thèse retenir; nous devrons également reconnaître que l'accord sur l'environnement devrait avoir plus de muscle, etc.

Voilà la question. Nous avons déjà entendu toutes ces statistiques. Maintenant, dites-nous pourquoi nous ne devrions pas faire partie de l'Organisation mondiale du commerce si ce sont là les problèmes du monde.

M. Tony Clarke: Examinons la question de M. Tremblay. La question plus vaste qui se pose est la suivante: pouvons-nous, à l'échelle mondiale, atténuer la pauvreté de façon systématique, pouvons-nous résoudre les problèmes posés par l'atteinte aux droits de la personne et nous occuper de l'environnement de façon plus globale?

Si vous me demandez s'il est nécessaire de créer une institution mondiale pour ce faire, la réponse est oui. L'Organisation mondiale du commerce est-elle le modèle approprié? Je dirais catégoriquement non.

• 1135

Cela signifie-t-il qu'il n'existe pas d'autres modèles? Nous semblons avoir oublié la raison d'être des Nations Unies et de ses divers éléments et mécanismes. En fait, les Nations Unies ont malheureusement été avalées par l'Organisation mondiale du commerce. L'Organisation mondiale du commerce est le moteur de la mondialisation économique de nos jours.

Ce qui m'inquiète, c'est ceci. On pourrait fort bien régler les problèmes que cite M. Tremblay si nous prenions un peu de recul et que nous nous penchions sur ce que ces organismes ont accompli au cours des 50 dernières années; on peut se demander pourquoi on s'est tant écarté du modèle institué par l'Accord de Bretton Woods, comme Mme Barlow l'a dit tout à l'heure, et comment se fait-il que nous nous sommes tant écartés de notre chemin que nous nous retrouvons à un point où nous ne pouvons plus régler ces problèmes. C'est simple, nous ne pouvons plus le faire.

Lorsque vous parlez de libéralisation des échanges commerciaux, de la finance et des investissements, vous n'instituez pas un modèle qui va redistribuer la richesse de la planète. C'est même tout à fait l'inverse. Cela ne se produira pas. En fait, les mouvements de capitaux se font désormais plus librement, mais ce phénomène crée également une concentration des capitaux et de la richesse entre les mains d'un nombre décroissant de personnes.

Si nous voulons vraiment nous attaquer au problème cité par M. Tremblay, il faut créer de nouvelles institutions et un nouveau modèle ou du moins nous demander ce que nous pouvons faire pour rétablir l'équilibre du pouvoir entre les mains des Nations Unies et non pas celles de l'Organisation mondiale du commerce.

Le président: Merci.

Monsieur Wolfe, je vais vous donner l'occasion de répondre à cette question et je donnerai ensuite la parole au prochain intervenant, car tout ce problème est vaste.

M. Robert Wolfe: Je crois que vous pouvez constater, d'après la réaction de nous trois qui voulons prendre la parole, que même si l'on ne voulait pas ici un débat entre ces deux camps, nous devons contester ce qui vient d'être dit. C'est sans doute évident et ça se passe de commentaire.

Je voudrais dire avec la plus grande fermeté—et il est très important de bien le comprendre—que l'Organisation mondiale du commerce est une organisation de lutte contre la pauvreté. C'est sa raison d'être. C'est ce qui s'est fait avec le GATT lors des 50 dernières années. Le monde est plus riche et sa richesse est mieux distribuée qu'elle ne l'était il y a 50 ans.

Mme Maude Barlow: Ce n'est ce que prétendent les Nations Unies. Je vous ai donné leurs propres statistiques. Les Nations Unies disent que cela a doublé au cours...

Le président: Vous aviez la parole tout à l'heure. Laissez M. Wolfe répondre à la question.

M. Robert Wolfe: Je ne vous ai pas interrompue. Permettez-moi donc de continuer.

Le président: Ne vous en faites pas, je ferai la police. Contentez-vous de donner vos réponses.

M. Robert Wolfe: Quant à ce que le Canada peut faire, j'aurais aimé avoir des chiffres précis là-dessus, mais...

Mme Maude Barlow: Moi aussi.

M. Robert Wolfe: Je préférerais que vous ne m'interrompiez pas. Ce serait gentil de votre part.

Le président: En effet.

M. Robert Wolfe: Il serait intéressant de voir quels progrès nous avons accomplis dans le domaine du textile et des engagements que nous y avons pris. La plupart des pays industrialisés n'ont pas réalisé beaucoup de progrès. C'est une des raisons pour lesquelles les pays en développement s'inquiètent de la prochaine série de négociations. Lors de la dernière série de négociations, nous avons acquis leur participation par nos promesses dans ce secteur. Le textile, c'est leur domaine. Nous, nous ne sommes pas très bons en la matière.

Comme certains d'entre vous le savent, j'ai fait une partie de ma carrière dans les services diplomatiques. Le Bangladesh a été mon premier poste. Nous avons investi des centaines de millions de dollars au Bangladesh. Ce que nous avons fait de mieux pour ce pays, c'est acheter des t-shirts et des chemises habillées pour hommes, et nous devrions poursuivre nos efforts en ce sens, car cela leur donne l'occasion de s'intégrer à l'économie mondiale.

C'est précisément cela la mondialisation. C'est toutes ces nouvelles technologies. C'est aussi tous ces pays qui, juste après la guerre, ne faisaient pas partie des nations commerçantes et qui le sont désormais. Cela crée toutes sortes de perturbations. Cela crée des problèmes dans le domaine des droits de la personne et des accords sur l'environnement. Il faut régler tous ces problèmes, mais en fin de compte ces pays doivent davantage participer aux échanges commerciaux. C'est précisément ce que peut faire l'OMC. C'est la raison pour laquelle je dis que c'est une organisation de lutte contre la pauvreté. C'est ainsi que nous pouvons régler ces problèmes.

Le président: C'est là tout le débat. Merci beaucoup. C'est très utile.

Monsieur Speller.

M. Bob Speller: Merci beaucoup, monsieur le président. Nous entamions justement le vif du sujet et voilà que notre temps est limité. Je voudrais tout de même remercier notre groupe. Vous avez tous et chacun présenté des idées très intéressantes.

Monsieur Shannon, je sais que vous étiez négociateur en chef la dernière fois. On a beaucoup parlé de gestion de l'offre aujourd'hui, mais je pense que cette question avait été réglée lors de leur dernière série de négociations. Je ne vois pas pourquoi nous continuons d'en parler. Ce n'est pas une question à négocier. C'est un système de commercialisation national pour lequel nous avons opté ici au Canada et les échanges commerciaux internationaux ne s'en trouvent pas faussés. Cela n'a rien à voir. Il est donc intéressant de constater que cette question ne cesse de revenir. Je ne pense pas que nous devrions en parler, très franchement, car nous l'avons fait la dernière fois.

• 1140

Pour ce qui est des autres questions, je voudrais remercier Mme Barlow et M. Clarke de leurs exposés. Tous deux étaient intéressants. J'ai pris bonne note de vos inquiétudes, et comme vous le savez, j'ai été président du comité qui s'est penché sur l'AMI et les thèmes de discussion sont à peu près les mêmes. Ils sont intéressants. En fait, nous devrions consulter la population canadienne sur ces thèmes lorsque nous nous déplacerons aux quatre coins du pays.

Vous avez parlé de la société civile et je veux vous assurer que nous entendons consulter la population canadienne. Ceci n'est qu'un processus parmi d'autres. Je sais que le ministre veut tenir de nombreuses consultations, non seulement en prévision de la réunion de Seattle en décembre prochain, mais au cours des deux, trois ou quatre prochaines années—peu importe le temps qu'elles prennent. La politique commerciale à l'étranger doit absolument traduire l'opinion de la population canadienne. Je sais que ce que le comité veut—et je suis sûr que tous les députés sont d'accord—, c'est s'entretenir non seulement avec les grosses entreprises et les syndicats ou groupes comme le vôtre, mais avec les membres de la population canadienne qui pourraient s'inquiéter de nos échanges commerciaux.

Je voulais simplement intervenir à ce sujet, car il est très important que les gens comprennent bien que leurs points de vue importent aux yeux du gouvernement et que nous avons l'intention d'aller les voir et de nous demander comment nous pourrons obtenir leurs points de vue. Comme vous le savez, les compressions budgétaires nous empêchent parfois de nous déplacer, mais nous avons l'intention de le faire. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous donner le nom de personnes, dans les régions où nous nous déplacerons, qui pourraient nous être utiles. J'attends également avec impatience le rapport sur vos discussions car cela nous aidera à préparer le nôtre.

Le président: Merci. J'y vois plus une observation qu'une question.

M. Gerald Shannon: Monsieur le président, puis-je dire quelque chose à propos de la gestion de l'offre?

Le président: Très rapidement.

M. Gerald Shannon: Oui, très rapidement.

Lors des dernières négociations, nous avons modifié le régime de protection qui s'appliquait aux secteurs d'activité soumis à la gestion de l'offre. Nous avons enlevé... En fait, cela nous a été imposé; nous ne l'avons pas proposé. Au bout du compte, les limites quantitatives imposées à l'importation de ces biens ont été remplacées par des droits de douane extrêmement élevés, qui étaient supérieurs à 200 p. 100.

Par conséquent, il y a eu très peu de changement à la frontière. Le seul changement constaté a peut-être été une très faible augmentation de la quantité de produits au bas de l'échelle tarifaire. Cela devrait donc nous permettre de lancer des mesures d'adaptation visant les secteurs soumis à la gestion de l'offre et les produits d'industries concurrentielles des États-Unis, par exemple, et des autres marchés.

Je crois que notre industrie laitière et en tout cas notre industrie des aliments transformés et de la volaille se portent très bien et que les perspectives ne sont pas mauvaises du tout. Mais le fait est que le problème ne se réglera pas tant que nous aurons des niveaux tarifaires aussi élevés.

M. Bob Speller: Vous conviendrez quand même que c'est au gouvernement du Canada et à la population canadienne et non pas à un organisme international qu'il revient de prendre les décisions concernant la commercialisation interne de nos produits.

M. Gerald Shannon: Monsieur Speller, je suis d'accord pour dire que notre façon de faire nous regarde. Toutefois, étant donné la façon dont le système a évolué, les négociations commerciales visent à libéraliser le commerce, c'est-à-dire à développer le commerce et à permettre aux pays de disposer d'un avantage sur la concurrence là où ils en trouvent la possibilité.

• 1145

Personnellement—et cela a été confirmé au cours des dernières négociations—, je crois que le régime interne que nous avons nous empêche de nous prévaloir de possibilités d'exportation. Si nous voulons conserver la gestion de l'offre, gardons-là. Mais nous ne pouvons pas concilier d'une part la gestion de l'offre et d'autre part, le libre commerce de ces mêmes marchandises. Il faut choisir.

Vous pourriez décider de profiter du délai dont nous disposons pour examiner ces niveaux tarifaires très élevés pour essayer de rationaliser notre production et nos intérêts dans ce secteur.

Le président: Je voudrais seulement rappeler aux membres du comité que nous consacrerons tout l'après-midi aux questions agricoles jeudi prochain et que nous pourrons alors les examiner plus en détail.

J'ai six personnes sur ma liste et il nous reste six minutes. Je vais donc donner la parole à Mme Finestone puis à Mme Debien qui a une très brève question à poser.

Madame Finestone.

L'honorable Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Une voix: Ce n'est pas la bonne heure.

Le président: D'accord, désolé. Nous sommes moins en retard que je ne le pensais. Mais je ne sais pas trop où j'en suis.

D'accord, Madame Finestone. N'en profitez pas pour prendre 15 minutes à cause de l'horloge.

Mme Sheila Finestone: Ce n'est certainement pas mon intention.

Ma question concerne la création d'un nouvel instrument qui exerce énormément d'influence dans le monde. Maintenant que nous avons bâti cette institution, ne faudrait-il pas se livrer à une évaluation concrète?

Vous avez fait une évaluation, ce qui nous fournit certains repères, mais à long terme, si vous n'avez pas de processus d'évaluation intégral, vous ne saurez pas si l'effort en valait la peine, si tout cela était coûteux, positif ou n'a rien donné. Je trouve étonnant qu'il ne soit aucunement question de l'évaluation des répercussions de ce nouvel instrument.

Si cela est né du GATT, très bien, et si cela découle d'autre chose comme les accords de Bretton Woods, peu importe. Les conséquences que cela a pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde constituent la question la plus importante que nous devons nous poser en tant que députés, afin de pouvoir guider notre ministre.

Si nous n'avons pas de base d'évaluation et ne pouvons pas dire si Mme Barlow a raison ou si l'analyse de M. Wolfe est bonne par opposition à celle de M. Clarke, comment savoir ce qu'il en est? Nous n'avons ni données ni chiffres si ce n'est ceux des Nations Unies, qui n'ont rien à voir avec les questions dont nous discutons, à savoir l'agriculture et les services.

Enfin, l'approvisionnement ne fait-il pas partie des services? Cela ne devrait-il pas être inclus dans les discussions?

Personnellement, je trouve cela très difficile. Comment puis-je prendre une décision éclairée quand je n'ai même pas de données de base à partir desquelles je pourrais tirer des conclusions, dans quatre ans à peine?

Après avoir visité l'Asie du Sud-Est, la Russie et la Chine et sachant ce qui se passe actuellement dans le monde, je me demande pourquoi nous nous dirigeons dans cette voie avant de constater la moindre évolution dans ces pays et un peu plus de stabilité au niveau international.

M. Lawrence Herman: Madame Finestone, vous avez soulevé d'excellentes questions. Je vais essayer d'y répondre.

Premièrement, il existe toutes sortes de renseignements, plus que vous ne pourriez en digérer, au sujet de l'OMC. La meilleure chose serait de demander à vos adjoints de consulter le site Web de l'OMC. Dans le rapport annuel de l'OMC, il y a énormément de renseignements sur les réalisations de cet organisme. Il publie un rapport annuel. L'OMC a un mécanisme d'examen de la politique commerciale. Cela représente énormément de renseignements. Il est parfois difficile de faire la synthèse du tout, mais le rapport annuel publié chaque année contient des données de base sur la croissance du commerce mondial. C'est très révélateur.

Mme Sheila Finestone: Peut-on voir quel est le produit intérieur brut des divers pays et quelles sont les répercussions sur la vie quotidienne des gens?

M. Lawrence Herman: Il faut pousser l'analyse un peu plus loin et examiner la situation de chaque pays, mais il y a un tas de renseignements. Le gouvernement canadien publie une foule de renseignements sur le commerce international. Il faut en faire la synthèse. Il n'est pas possible de vous présenter le tout aujourd'hui sous forme abrégée, mais il y a là un tas de renseignements. Je vous suggérerais de commencer par le rapport annuel de l'OMC pour 1998. Le gouvernement des États-Unis publie un tas de renseignements sur les effets de l'Organisation mondiale du commerce.

• 1150

Permettez-moi une très brève observation. Il est regrettable—sans doute compréhensible, mais regrettable—que l'OMC soit devenue l'objet du mécontentement et de la crainte que la mondialisation suscite chez les Canadiens. Je ne pense pas que ce mécontentement soit bien dirigé ou qu'il devrait être orienté vers l'OMC, qui a été conçue pour faire d'autres choses.

Mme Sheila Finestone: Voulez-vous dire qu'elle a un problème de relations publiques?

M. Lawrence Herman: Peut-être, et c'est une chose à laquelle le directeur général actuel a cherché à remédier.

Nous sommes à l'ère de l'information et grâce à Internet et au courrier électronique, le public a pu s'informer dans une très large mesure. Certaines institutions internationales de l'OMC, qui étaient à l'abri des regards du public, doivent s'habituer à cette idée.

L'OMC est une institution qui a encore beaucoup de chemin à faire. Elle n'est pas parfaite. Mais le comité doit veiller à ne pas accuser l'OMC de tous les maux de la Terre comme si elle était le fruit d'une conspiration des multinationales, car ce n'est pas le cas.

L'OMC est une institution multilatérale qui est née du processus de renforcement des institutions entamé après la Seconde Guerre mondiale et qui a été créée dans un certain but. Elle n'a pas été conçue pour régler tous les problèmes environnementaux ou les problèmes concernant les droits humains. Peut-être, comme le disait Gerry Shannon...

Mme Sheila Finestone: Je m'excuse.

Monsieur le président, ce n'est pas ce que j'ai demandé à M. Herman. J'ai simplement parlé des informations de base. Je suis heureuse qu'il nous a donné certains détails, et j'espère que le comité pourra se procurer et organiser tous les renseignements pertinents. Je crois qu'il importe vraiment que l'on comprenne la situation actuelle et ce qui va se produire.

Enfin, y a-t-il des ententes ou des accords internationaux? Vous dites qu'il ne s'agit là que d'un des accords. Quels sont les autres accords internationaux qui ont préséance? À quel groupe dois-je m'adresser? Aux responsables de l'ALENA? Est-ce que je m'adresse plutôt à l'OMC? Vers qui dois-je me tourner pour obtenir une décision compte tenu des circonstances que vous avez décrites et du fait que cet organisme est devenu omniprésent?

C'est pourquoi il faut une certaine évaluation. Qu'est-ce qui bloque? Qu'est-ce qui cloche? Quels sont les points de désaccord?

Le président: Madame Finestone, quelqu'un a composé le système international à une pagode à plusieurs étages dans laquelle personne ne peut trouver l'endroit où se rendre. C'était lors d'une réunion sur la question, dans un exposé d'une certaine poésie.

M. Lawrence Herman: Je peux vous dire que les anciens élèves de Bill Braham diraient qu'il a toutes les réponses et qu'il faudrait alors lui poser la question.

Des voix: Oh, oh!

Le président: C'est parce qu'il y a longtemps que je ne suis plus à la faculté de droit.

Mme Sheila Finestone: Il joue un rôle très utile comme président, je peux vous l'assurer, mais il faut quand même se demander vers quel côté nous devons pencher.

Le président: Monsieur Wolfe, très rapidement, si vous voulez répondre, puis nous passerons à Mme Debien et à Mme Augustine.

M. Robert Wolfe: Une des choses les plus difficiles est de décider si l'interventionnisme est souhaitable, et encore tout dépend de l'objectif que l'on y voyait.

Si vous cherchez de quoi évaluer l'OMC et le système du GATT, voyez ce qui se passait dans le monde en 1946 et 1947, la pauvreté, les dangers de reprise des hostilités, puis voyez la période de croissance et de stabilité que certaines régions du monde ont connue. Vous devrez reconnaître que ce système a permis d'accomplir beaucoup de choses.

Si vous examinez ce qui s'est passé au cours des quatre dernières années, depuis la création de l'OMC, les gens diront qu'il y a eu 125 différends, beaucoup plus qu'avec le GATT, et c'est un fait très important. Pendant cette période, il y a eu des échanges commerciaux d'une valeur de 20 billions de dollars américains et seulement 125 différends. Il y a des milliers de règlements environnementaux au monde. Seuls quelques-uns d'entre eux ont suscité des conflits. Donc le système est certainement efficace à certains égards. Pourquoi faudrait-il donc passer à autre chose?

J'aimerais revenir brièvement à cette tension triangulaire que j'ai décrite dans mes commentaires liminaires. Mme Barlow a parfaitement raison: pour d'importantes régions du monde, les avantages ne se sont pas encore manifestés. Ces régions ne sont pas encore intégrées comme il faut dans l'économie internationale prospère. Le système doit poursuivre son évolution. Il faut apporter des rajustements. Un plus grand nombre de gens doivent parvenir à participer à part entière au système. On ne peut y arriver simplement en les intégrant dans un système qui existe déjà. Dans une certaine mesure, la raison pour laquelle ils n'y figurent pas déjà, c'est que le système ne permet pas de leur ménager la place qui leur revient.

• 1155

Ce que nous appelons les services change très rapidement. Si l'évolution du système ne se maintient pas, ces secteurs commenceront progressivement à échapper au système, il y aura des systèmes parallèles puis une fragmentation. Il n'y a pas de choix; le système doit continuer à évoluer.

Enfin, le secteur agricole n'est pas stable. Il existe un cessez-le-feu, mais il y a certains échéanciers et ce cessez-le-feu ne sera pas respecté si nous n'agissons pas. Je n'aime pas mentionner TINA, mais dans une certaine mesure nous n'avons pas le choix. Un ensemble de forces interreliées obligent le système à aller de l'avant.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien: J'aimerais revenir rapidement sur la question de l'inclusion ou de la non-inclusion des droits de la personne, des clauses sociales et de l'environnement dans les discussions de l'OMC.

On sait que l'OMC est en train de devenir l'organisation la plus importante de la planète. Elle a un pouvoir de réglementation et de sanction, ce que l'ONU n'a pas. Même si on veut ramener toutes ces questions à l'ONU, l'ONU n'a aucun pouvoir de sanction et de réglementation.

Or, on sait très bien qu'actuellement, les droits de la personne, l'environnement et les clauses sociales sont directement reliés aux questions du commerce. Je crois que l'OMC a le devoir de s'occuper de ces questions, de prendre position et de les réglementer. Autrement, faisons une croix définitive sur toute la question des droits de la personne, des clauses sociales et de l'environnement. C'était là une observation.

Ma question est très brève et elle porte sur la clause d'exception concernant les communautés rurales. Vous savez qu'en vertu de cette clause d'exception à l'OMC, le gouvernement canadien et les provinces peuvent actuellement donner des subventions à certaines entreprises ou à certains secteurs d'activité économique dans les provinces. Pensez-vous que cette clause d'exception devrait être maintenue à l'OMC?

M. Yvan Loubier: Et qu'elle va être maintenue?

Mme Maud Debien: Est-ce qu'elle sera maintenue?

[Traduction]

Le président: Monsieur Shannon.

M. Gerald Shannon: Pour ce qui est de la disposition relative aux questions sociales, il ne faut pas oublier qu'avec le GATT, on a affaire à un secrétariat de 500 personnes, pas plus. Lorsque les gens disent que c'est une organisation énorme, ils se trompent; il s'agit simplement d'un secrétariat pour les États membres.

Si les États membres veulent qu'on accorde une attention plus importante à certaines autres questions, ils doivent alors se renseigner plus à fond dans ces domaines, parce qu'ils ne sont pas actuellement étudiés par l'Organisation mondiale du commerce. Cela ne veut pas dire, cependant, que les représentants des pays membres de l'OMC ne se préoccupent pas de questions sociales. Ces questions les intéressent vivement. Nous sommes tous des êtres humains. Ces questions pourraient être présentées d'une façon qui leur permettrait d'étudier au sein des organismes relevant de l'OMC ce qui serait très bien. Mais vous devez vous rappeler que vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu'un groupe d'experts techniques dans un domaine, comme le commerce par exemple, ait la formation voulue pour s'occuper de toute une kyrielle d'autres questions qui ne relèvent en fait pas de leur compétence.

Je ne m'oppose nullement à un débat sur la question, mais si vous cherchez à assurer une mise à oeuvre, je crois que l'organisme exécutoire devrait avoir une base plus vaste que le GATT ou l'OMC.

Pour ce qui est des subventions, si vous parlez des subventions qui n'entraînent aucune distorsion du commerce, vous pouvez faire ce que vous voulez. L'OMC ne les réglemente pas. Une subvention qui n'entraîne aucune distorsion du commerce ne doit même pas être étudiée. Ce sont les subventions qui entraînent une distorsion du commerce, qui nuisent aux importations et aux exportations qui posent des problèmes.

Le président: Monsieur Wolfe puis Mme Augustine.

M. Robert Wolfe: Je répondrai d'abord à la deuxième question. Vous avez parlé de l'exemption rurale, c'est-à-dire le volet vert des ententes agricoles. Je ne vois pas pourquoi ces exemptions ne pourraient pas être maintenues, mais il s'agit là d'une disposition à laquelle on ne touche pas. Elle est protégée contre toute attente parce qu'ainsi on essaie d'encourager la tenue d'autres négociations. D'autres négociations sont donc inévitables si l'on veut protéger la boîte verte.

Pour ce qui est de la disposition relative aux questions sociales, les gens se trompent gravement lorsqu'ils croient que l'OMC a un pouvoir exécutoire. Ce n'est pas le cas. Elle ne peut pas mettre en application quoi que ce soit. Les gens respectent les dispositions et les décisions de l'OMC parce qu'il en va de leur intérêt. Les droits et les engagements s'équilibrent. Dans l'ensemble, les gens respectent ces décisions parce que l'OMC est efficace. Si vous commencez à y ajouter des thèmes qui ne faisaient pas partie de cette négociation des droits et des engagements, tout s'effondrera.

M. Herman peut me reprendre si je me trompe, mais l'OMC n'autorise pratiquement jamais de sanctions. Les gens se plient à ses décisions parce que ça fonctionne.

[Français]

Mme Maud Debien: [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Robert Wolfe: Cela n'arrive jamais.

Mme Maud Debien: Cela, c'est autre chose.

• 1200

Le président: Merci.

[Traduction]

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, monsieur le président.

Ma question a essentiellement été posée par Mme Finestone mais je tiens à vous remercier de vos exposés fort intéressants et enrichissants. Ils m'ont donné beaucoup à réfléchir et j'aurai de nouvelles solutions à examiner.

J'ai essayé de comprendre, en regardant l'organigramme de l'OMC, comment tous ces volets fonctionneront et où les questions sociales pourraient être intégrées. Monsieur le président, peut-être aurons-nous l'occasion d'étudier l'organigramme et la structure de cette organisation.

J'aimerais poser ma question à M. Clarke et à Mme Barlow.

Vous avez parlé d'un manque de confiance dans les nouveaux gestionnaires internationaux de la nouvelle économie mondiale; vous avez également signalé qu'il fallait une nouvelle institution et un nouveau modèle. Pourtant, je crois que vous avez également dit qu'il ne faudrait pas nous retirer du système, mais qu'il nous fallait plutôt trouver une façon d'avoir une certaine marge de manoeuvre et d'évaluer la situation. J'essaie simplement de voir comment on peut regrouper tout cela—une nouvelle institution, une nouvelle structure, un manque de confiance et pourtant placer le Canada dans une position qui lui permettra de jouir d'une certaine influence pour ralentir le processus, comme vous l'avez dit, et réclamer cet examen. Pouvez-vous me donner de plus amples détails sur la question?

M. Tony Clarke: Je vous remercie de cette question. Elle est très importante.

Ce que nous essayons de dire en ce qui a trait aux nouvelles institutions, qu'on ne peut pas évidemment créer quelque chose de nouveau en un clin d'oeil. Et en fait ce n'est peut-être pas la solution au problème. Il se pourrait fort bien que l'on dispose par l'entremise des Nations Unies, des mécanismes dont nous avons besoin pour traiter des questions que nous avons abordées.

Le problème, c'est qu'il faut du temps pour étudier la question en profondeur. Il nous faut reconnaître que cette situation suscite une grande inquiétude, et non pas uniquement dans notre pays. Croyez-moi, ce n'est pas uniquement dans notre pays. On constate la même chose dans un certain nombre de pays d'Europe, ainsi qu'aux États-Unis. Le seul fait que la procédure accélérée ait été rejetée à trois reprises sous l'administration du président actuel est significatif de la réaction de fond que suscitent ces différents problèmes aux États-Unis. Il en va de même dans de nombreux pays développés.

Cela signifie qu'avant de se précipiter dans la prochaine ronde de négociations, avant de se lancer sur les thèmes de l'agriculture et des services et d'ajouter 10 sujets supplémentaires au programme des négociations, il serait peut-être bon de s'arrêter une minute. Peut-être faudrait-il faire le bilan de la situation actuelle, reprendre les questions de Mme Finestone et inviter tous les pays à prendre un an ou deux pour faire le même bilan. Chaque pays devrait se demander où il en est et ce qu'il entend faire.

Et chaque pays devrait amorcer le dialogue avec la société civile. Dans notre pays, les audiences sont importantes, mais nous devons également trouver de nouveaux mécanismes pour permettre à la société civile de s'exprimer en matière de commerce, d'investissement et de finance au niveau international.

On pourrait, par exemple, envisager sérieusement un mécanisme auquel on recourt parfois dans ce pays, à savoir l'assemblée constituante. Il doit bien exister un moyen de réunir des personnes d'opinions différentes pour les faire dialoguer, afin d'aborder ces questions avec un esprit créatif et de se demander comment on va les traiter, non pas en 1999 ou en l'an 2000, mais au cours des 10 prochaines années. Comment va-t-on pouvoir établir un dialogue permanent sur ces questions avec les Canadiens, et non pas tous les cinq ou six ans, lorsqu'une crise se présente?

Voilà ce dont il est question ici. Nous n'avons pas toutes les réponses, mais nous essayons d'y réfléchir avec nos concitoyens. Nous faisons la même démarche au niveau international, et nous constatons que nous travaillons au coude à coude avec des mouvements sociaux et populaires d'autres pays qui font la même démarche que nous.

Le président: J'aimerais vous laisser terminer votre intervention, monsieur Clarke, mais nous allons devoir conclure, car l'heure prévue pour la fin de cette séance est largement dépassée.

• 1205

Je suis sidéré de tout ce que nous avons entendu ce matin. Tout cela a été très intéressant. Le groupe était excellent. Nous sommes contraints de prendre les problèmes à bras-le-corps, et ces problèmes sont considérables. Mais la plupart des thèmes que vous avez abordés relèvent du domaine de l'exercice de l'autorité. On nous a dit que c'était l'institution la plus importante et la plus efficace au monde aujourd'hui, alors que les Nations Unies ne sont plus efficaces.

Personne, cependant, n'a proposé la création d'une institution démocratique parallèle semblable au Parlement européen dont se sont dotés les pays d'Europe, lorsqu'ils ont créé le marché commun qui allait avoir un effet d'intégration considérable. Aucun des intervenants de ce matin n'a dit que cette institution avait besoin d'un parlement. Il me semble que c'est pourtant la recommandation qu'on pourrait faire en tant que comité et en tant que pays.

Si nous voulons agir en faveur de l'OMC et faire une proposition pratique, nous pourrions aborder ces négociations en disant: «Cet organisme a besoin d'un parlement qui l'accompagne, au même titre que les Européens se sont dotés d'un parlement européen, compte tenu des forces d'intégration considérables qui s'exercent au sein du marché commun.» Mais personne ne semble en parler.

Je suis un peu inquiet, madame Barlow et monsieur Clarke, que de votre côté, vous n'aimiez pas cette idée de parlement, parce que vous estimez que les parlements ne représentent pas les ONG comme ils devraient le faire. Et je suis inquiet de voir que de l'autre côté de la salle, on ne veut pas non plus d'un parlement parce qu'on craint que des représentants d'autres intérêts et des experts ne viennent brouiller les cartes dans ce monde déjà bien compliqué.

Personne ne semble souhaiter que des représentants élus interviennent dans ce domaine. Chacune ne veut s'en remettre qu'à ses propres joueurs. Est-ce bien cela?

Mme Sheila Finestone: Monsieur le président, je sais que nous manquons de temps, mais je voudrais encore poser une question. Je voudrais savoir comment fonctionne ce fameux organisme. Si vous avez 130 pays...

Le président: Nous allons avoir une séance d'information à ce sujet.

Mme Sheila Finestone: Excusez-moi. Je voudrais connaître les modalités de la négociation entre 133 pays.

Et ma dernière remarque, c'est que l'Union interparlementaire devrait être le pendant parlementaire des Nations Unies. J'ai pensé que vous devriez le savoir. C'est ce que j'ai de plus en plus tendance à penser.

Le président: Faites abstraction de toute référence à l'Union parlementaire, mais le reste est...

Des voix: Ah, ah!

Le président: Très rapidement, madame Barlow, est-ce que vous reconnaissez...

Mme Maude Barlow: Un dernier commentaire. Je ne pense pas avoir entendu qui que ce soit, de l'autre côté, prétendre que nous nous opposons à cette forme de représentation. Vos propos me semblent bien catégoriques.

Le président: Si vous me permettez de vous interrompre, M. Speller et moi-même sommes allés au 50e anniversaire, et il y avait là une ONG qui faisait la promotion d'un parlement pour l'OMC. Il n'y avait que trois parlementaires à cette réunion, et c'était trois Canadiens. Les membres du Congrès américain n'y sont pas allés et aucun des parlementaires présents au 50e anniversaire ne s'est dérangé pour assister à cette séance.

Je m'inquiète de constater un tel manque d'intérêt au niveau parlementaire pour une institution qui est dotée de pouvoirs considérables, comme nous le reconnaissons tous autour de cette table, même si nous ne sommes pas tous d'accord sur la qualité du travail qu'elle fait.

Mme Maude Barlow: À titre de dernier commentaire, si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelques éléments aux propos de Tony concernant les préoccupations de Mme Augustine.

Dans cette analyse, il faut tenir compte des 500 zones de libre échange qui existent actuellement dans le monde entier. Ce sont essentiellement les jeunes filles et les femmes des pays en développement qui vivent et travaillent dans les conditions les plus abominables qu'on puisse imaginer. Ces zones de libre échange sont directement liées aux accords de commerce international et au libre échange. Ces zones de libre échange font partie intégrante du dossier de la pauvreté et ce sont des zones où l'on reconnaît expressément que la loi du pays en matière de main-d'oeuvre et de protection de l'environnement n'a plus à être respectée.

Finalement, je voudrais vous dire qu'au sein de la société civile, nous commençons à parler de ce qui ne devrait pas figurer dans les accords commerciaux. Nous commençons à considérer que l'eau, l'air, la culture, les graines et les gènes devraient être totalement exclus des accords commerciaux. D'un autre côté, vous allez trouver de plus en plus de monde pour dire: «S'il faut conclure des accords commerciaux, soyons clairs à propos de ce qu'on peut y faire figurer. Quelles sont les questions de droits de la personne et de protection de l'environnement qu'il faut protéger et gérer démocratiquement?» Il y aura place au compromis si nous pouvons amorcer ce genre de dialogue.

Le président: Merci.

Monsieur Wolfe, puis monsieur Shannon, avant qu'on ne lève la séance.

M. Robert Wolfe: On en vient maintenant au plus gros problème qui se pose aux organismes internationaux, et non pas uniquement à l'OMC, car ce n'est pas strictement un problème de commerce. Les marchés mondiaux sont beaucoup plus considérables que les pouvoirs politiques. Les pouvoirs politiques sont fondés sur les communautés, ils ont une assise locale, et de nombreuses considérations incitent à considérer qu'ils doivent rester de nature locale. Quelqu'un a dit qu'il fallait décider au Canada de nos politiques de gestion de l'offre. Je suis tout à fait d'accord.

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Il ne faut pas considérer l'OMC comme un organisme tout-puissant doté de pouvoirs étendus et capable de donner des ordres aux États-nations. Il faut le considérer comme un organisme où l'on cherche à concilier les sphères de pouvoir, à définir les domaines où les individus, les États, les organismes et les sociétés ont des pouvoirs, et ceux où ils n'en ont pas; il s'agit aussi d'assurer le respect de ces pouvoirs. C'est donc un organisme de conciliation et non pas un lieu de prise de décisions autoritaires.

Par conséquent, il faut donc le rendre plus responsable politiquement. J'ai proposé une plus grande implication des ministres mais je pense qu'on fait erreur en considérant l'OMC comme un organisme tout-puissant doté de pouvoirs politiques étendus.

Le président: Monsieur Shannon, vous avez 20 secondes.

M. Gerald Shannon: J'aimerais apporter une réponse rapide à la question de Mme Finestone.

N'oubliez pas que l'OMC est en réalité gérée par des ministres. Son président est un ministre. Il se réunit au niveau ministériel aussi souvent que les ministres le souhaitent, c'est-à-dire beaucoup plus souvent maintenant qu'autrefois.

Sa structure se compose d'un ensemble de comités permanents donc les présidents sont choisis par tous les pays membres. Il y a des comités autonomes, comme le Comité de l'environnement, par exemple, qui existent depuis des années et qui essaient de voir comment, à la base, on peut faire le lien entre le commerce et l'environnement.

Il s'agit d'un procédé qui part de la base, dans la mesure où les gouvernements, par l'intermédiaire de leurs représentants, défendent leurs dossiers et amorcent les négociations. À mesure que l'étude des dossiers progresse, on voit intervenir de plus en plus de hauts fonctionnaires et de ministres.

Mme Sheila Finestone: Est-ce que les 133 pays sont toujours représentés?

M. Gerald Shannon: Non, pas en pratique. En réalité, on se retrouve généralement avec 35 pays. En définitive, ce sont les pays qui ont le plus de choses à dire. Un certain nombre d'entre eux sont des pays en voie de développement, d'autres sont des pays développés, mais ils interviennent non pas nécessairement en tant que porte-parole de groupes particuliers, mais pour défendre leurs intérêts nationaux.

Le président: Merci beaucoup.

Je vais devoir mettre un terme à cette séance. Je tiens à remercier tous les membres du groupe pour l'aide très stimulante qu'ils nous ont apportée ce matin.

Et ce n'est qu'un début. Les membres du comité ont dit qu'ils voulaient s'assurer de bien comprendre. Il s'agit là d'un processus très complexe et nous veillerons à organiser des séances d'information sur les modalités de fonctionnement de l'organisme. Je suis tout à fait d'accord.

Merci beaucoup. La séance est levée.