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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 9 juin 1998

• 1520

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte. Je tiens à souhaiter la bienvenue, au nom des membres du comité, au sénateur Muhammad Zaki, le président du Comité des affaires étrangères du Sénat pakistanais, de même qu'au colonel Cheema, président du Comité de la défense. Bienvenue à vous deux et bienvenue à Son Excellence le Haut-commissaire.

Chers collègues, je suis désolé que certains des membres du comité ne soient pas encore arrivés, mais je pense qu'il nous faut commencer. En fin de session, on s'aperçoit que les députés ont des tas d'obligations différentes. Vous constaterez peut-être que certains vont entrer et sortir et nous vous prions de nous en excuser.

Sénateur Zaki, si vous voulez commencer par nous présenter les membres de votre délégation et nous dire quelques mots, nous pourrons ensuite passer à un échange plus direct.

Le sénateur Muhammad Akram Zaki (président, Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, des affaires du cachemire et des affaires du Nord, ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Pakistan): Monsieur le président, nous vous sommes très reconnaissants ainsi qu'aux membres du comité d'avoir trouvé le temps de nous accorder cet échange de vues sur les événements très importants en Asie du Sud. Permettez-moi tout d'abord, comme vous me l'avez demandé, de vous présenter les membres de la délégation.

Mon collègue est membre de l'Assemblée nationale où il a déjà obtenu trois mandats. Il a été ministre de la Défense dans un gouvernement précédent. Il préside maintenant le Comité de la défense de l'Assemblée nationale. Avant de faire de la politique, il a fait une brillante carrière dans l'armée pakistanaise. Il avait alors consacré de grands efforts à l'étude de la stratégie et de l'histoire militaire. Il a enseigné ces matières au Collège d'état-major et au Collège de la défense.

Demain, nous serons reçus à Washington et un de nos autres collègues a dû repartir pour régler certains détails. Il ne sera donc malheureusement pas avec nous aujourd'hui.

Nous avons aussi le privilège d'être accompagnés du Haut-commissaire du Pakistan au Canada que vous connaissez bien sûr et qui représente très bien le Pakistan. C'est un diplomate professionnel qui nous a représentés avec distinction à de nombreux postes.

Nous avons aussi deux autres membres de l'ambassade, notre premier secrétaire diplomatique et notre secrétaire chargé des relations avec la presse et les médias.

Au nom de mes collègues, je tiens à nouveau à vous remercier ainsi que les membres de votre comité. Nous sommes à votre disposition pour faire une brève déclaration afin de vous présenter notre point de vue et nous pourrons ensuite répondre à vos questions.

Le président: Ce serait parfait, sénateur. Peut-être pourriez-vous donc commencer et nous pourrons ensuite vous poser nos questions.

• 1525

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Je dirais pour commencer que le Pakistan est un pays qui chérit la paix et qui fait des efforts très sérieux depuis un quart de siècle pour défendre la cause de la non-prolifération.

Peut-être savez-vous que lorsque le TNP a été négocié, on avait reconnu qu'il y aurait cinq puissances nucléaires. Celles-ci seraient tenues finalement de se désarmer et de ne laisser personne d'autre se doter d'une force nucléaire. Les autres membres seraient tenus de ne pas acquérir d'armes nucléaires, mais seraient autorisés à utiliser pacifiquement l'énergie nucléaire.

Le Pakistan a convoqué une conférence des États non nucléaires en 1968 à Genève. Le ministre des Affaires étrangères pakistanais d'alors a présidé la conférence et a demandé aux États nucléaires des garanties contre toute attaque nucléaire ou menace d'attaque nucléaire. Les objectifs de cette conférence n'ont pas été atteints. C'est une des raisons pour lesquelles en 1968, le Pakistan n'a pas signé le TNP.

L'Inde n'a pas non plus signé le TNP. C'est la deuxième raison pour laquelle nous ne l'avons pas signé. Nous ne voulions pas nous trouver désavantagés vis-à-vis de l'Inde qui avait avec nous des relations hostiles, qui était un pays beaucoup plus grand et qui avait déjà eu deux guerres avec nous.

Quelques années plus tard, en 1971, l'Inde a imposé une troisième guerre au Pakistan et est intervenue pour partager le Pakistan et mener à la création du Bangladesh.

Puis est arrivé le plus grand malheur dans la région lorsqu'en mai 1974, l'Inde a fait exploser son premier engin nucléaire. Notre réaction fut d'aller proposer aux Nations Unies une résolution visant la création d'une zone dénucléarisée en Asie du Sud. Notre résolution a été adoptée, mais l'Inde s'y est opposée.

Depuis 1974, chaque année, le Pakistan propose cette résolution visant à faire de l'Asie du Sud une zone dénucléarisée. Il n'y a plus que trois pays qui s'y opposent. Lorsque vous aurez entendu le nom de ces trois pays, vous comprendrez qui est contre. Il s'agit de l'Inde, du Bhoutan et de Maurice. Tous les autres ont appuyé la proposition aux Nations Unies mais cette zone dénucléarisée n'a pas été créée. La principale pierre d'achoppement est l'opposition et l'obstination de l'Inde.

Notre gouvernement a également proposé plusieurs mesures. En 1978, nous avons proposé que l'Inde et le Pakistan émettent une déclaration conjointe renonçant à l'acquisition et à la fabrication d'armes nucléaires. L'Inde a refusé ladite proposition.

En 1979, nous avons proposé que l'Inde et le Pakistan ouvrent leurs installations nucléaires à une inspection réciproque afin que nous puissions nous assurer mutuellement que ce qui se faisait de l'autre côté était pacifique et qu'il n'y avait pas de programme d'armement.

Le Pakistan a fait deux autres propositions en 1979. L'une était que le Pakistan et l'Inde acceptent simultanément les garanties globales de l'AIEA pour toutes les installations nucléaires qu'elles mettaient sur pied. Le Pakistan a également dit que l'Inde et le Pakistan devraient signer simultanément le TNP.

Toutes ces propositions ont été rejetées par l'Inde.

En 1991, le Pakistan a pris une autre initiative. Nous avons proposé que les trois grandes puissances nucléaires de la région, les États-Unis, l'ancienne Union soviétique et la Chine se joignent au Pakistan et à l'Inde pour régler la question de la prolifération et pour faire de l'Asie du sud une zone dénucléarisée. Plus tard, l'Angleterre et la France ont également voulu s'associer à cette proposition. L'Inde fut le seul pays à la refuser.

• 1530

Six pays, cinq puissances nucléaires permanentes et le Pakistan, voulaient tenir une conférence visant à faire de l'Asie du Sud une zone dénucléarisée. L'Inde a refusé parce qu'elle avait un programme clandestin d'armements.

En 1992, nous avons proposé à l'Inde sur une base bilatérale d'interdire dans notre région toutes les armes de destruction massive, c'est-à-dire atomiques, biologiques, chimiques, et tous les missiles. L'Inde a partiellement répondu à cette proposition. Elle a rejeté les trois autres, mais elle a déclaré qu'elle était prête à discuter des armes chimiques. Nous avons immédiatement répondu de façon positive.

En août 1992, nous avons conclu une entente bilatérale interdisant la fabrication ou le stockage d'armes chimiques. Nous étions heureux d'avoir réalisé un certain progrès. Toutefois, plus tard, en 1996, nous avons eu un choc en découvrant que lorsque l'Inde avait signé la Convention internationale sur les armes chimiques, ce pays avait déclaré un stock d'armes chimiques qu'il nous avait caché lorsqu'il avait signé l'entente de 1992 avec nous.

Le Pakistan a toujours préconisé la non-prolifération de tous les types d'armements de destruction massive, notamment de leurs moyens de largage. Le Pakistan est l'un des premiers signataires de la Convention sur l'interdiction des armes biologiques. C'est l'un des principaux architectes de la convention récemment conclue sur les armes chimiques qu'il a signée et ratifiée. À titre de membre de la Conférence sur le désarmement, le Pakistan s'est activement engagé dans des efforts visant à mettre la dernière main à un traité d'interdiction complète des essais nucléaires et a participé à des négociations sur un prochain traité sur l'arrêt de fabrication de matières fissiles.

En août 1993, le Pakistan a proposé un nouveau concept lorsque l'Inde essayait des tas de types de nouveaux missiles et les plaçait à la frontière du Pakistan. Nous avons proposé le concept d'une zone sans missile en Asie du Sud. Cette proposition a également été rejetée par l'Inde.

En 1995, nous avons appris que l'Inde avait déployé des missiles d'une portée de 250 à 300 kilomètres qui pouvaient atteindre n'importe quelle cible au Pakistan. Lorsque nous avons soulevé la question devant la communauté internationale, on nous a répondu qu'ils n'avaient pas été déployés, qu'ils avaient simplement été placés ou stockés près de la frontière. Je ne vois pas la différence, mais ils avaient été mis là au cas où ils auraient envie de les utiliser.

Alors que nous nous efforcions de dénucléariser cette région parce que nous défendions la non-prolifération, nous essayions aussi de régler les problèmes de base entre l'Inde et le Pakistan. Le premier ministre Nawaz Sharif, durant son premier mandat, avait entrepris un dialogue avec les dirigeants indiens. Il a été interrompu lorsque son gouvernement est tombé en 1993.

Dès qu'il est devenu premier ministre en février 1997, il a repris les pourparlers bilatéraux entre l'Inde et le Pakistan afin de tenter de régler les différends. Il a eu des rencontres avec les premiers ministres de l'Inde chaque fois qu'ils participaient aux mêmes conférences, qu'il s'agisse de notre conférence, de la conférence du Commonwealth ou des Nations Unies à New York.

Nous avons entamé des pourparlers officiels au niveau des dirigeants des affaires étrangères, des secrétaires aux affaires étrangères. Trois rondes de négociations ont eu lieu. La plus réussie fut la deuxième.

À cette occasion, l'Inde et le Pakistan ont convenu de constituer huit groupes de travail pour discuter des différents problèmes afin que l'on puisse réaliser certains progrès. J'ai ici certains documents que je distribuerai aux membres du comité si vous me le permettez. Il s'agit de la déclaration conjointe émise après la deuxième ronde de pourparlers et des déclarations faites à cette occasion par les secrétaires aux affaires étrangères indien et pakistanais.

• 1535

Deux de ces huit groupes de travail devaient s'occuper de paix et de sécurité, notamment des mesures de confiance et aussi du Jammu et du Cachemire. Il y a d'autres questions comme le barrage du Wullar et Siachen.

En septembre, lors de la troisième ronde, l'Inde est revenue sur l'engagement de discuter de paix et de sécurité, de mesures de confiance, du Jammu et du Cachemire. Les pourparlers ont été interrompus.

Nous nous efforcions de les redémarrer, mais il y a eu des élections en Inde à l'issue desquelles un parti qui avait pour programme l'introduction d'armes nucléaires dans l'armée indienne a constitué un gouvernement de coalition.

La communauté internationale avait pensé, ou évalué à tort, que de telles déclarations n'étaient peut-être que des promesses électorales et ne seraient pas mises en pratique. Nous avons appris que peu après être arrivé au pouvoir, le nouveau gouvernement avait commencé à armer ou à mettre en oeuvre son programme d'armements nucléaires.

Le 3 avril, le Premier ministre du Pakistan a écrit aux chefs de différents pays. Notamment au président Clinton et à d'autres pour leur dire que, d'après ce que nous savions, l'Inde était en train de mettre son programme d'armements nucléaires en oeuvre. Je ne pense pas qu'on ait tellement cru ce que nous disions.

M. Richardson, ambassadeur des États-Unis aux Nations Unies, est allé en Inde et au Pakistan. Après sa visite en Inde, il a dit au gouvernement pakistanais qu'il avait eu des entretiens avec l'Inde et qu'il n'y avait rien à craindre, que ce pays n'allait pas donner suite à son programme, que nous nous étions peut-être trompés dans notre évaluation et qu'ils étaient prêts à entreprendre des négociations avec nous. C'est ainsi que les États-Unis avaient évalué les intentions indiennes, contrairement à ce que nous avions signalé.

Puis est arrivé ce jour fatal du 11 mai lorsque nous avons tout d'un coup été choqués d'apprendre que l'Inde avait fait explosé trois engins nucléaires. Le choc fut inimaginable au Pakistan.

Peut-être que la seule façon de décrire ce qu'a ressenti la population du Pakistan, la crainte qu'elle a ressentie, dans une certaine mesure, c'est de se souvenir de ce qui est arrivé lorsque les Soviétiques ont lancé leur premier Spoutnik dans l'espace. Pour la première fois, la population de cette région s'est sentie vulnérable. Peut-être qu'un autre exemple serait le jour où des missiles sont arrivés à Cuba et le choc et la réaction que cela a suscités aux États-Unis et dans cette partie du monde.

Non seulement l'Inde a fait exploser ses trois engins nucléaires, mais le lendemain, ce pays a fait deux déclarations horrifiantes. L'une étant qu'en cas de conflit, l'Inde aurait recours aux armes nucléaires. L'autre, que les missiles qui avaient été placés à la frontière du Pakistan, qui pouvaient atteindre n'importe quelle cible au Pakistan, comme on l'avait dit auparavant, seraient équipés d'ogives nucléaires.

Puis est venue une série de déclarations de la hiérarchie indienne, en particulier du ministre de l'Intérieur, selon lesquelles: «Nous saisirons le Cachemire par la force. Nous ferons la leçon au Pakistan. Le Pakistan devrait apprendre à accepter la nouvelle réalité géostratégique et ravaler sa politique anti-indienne.»

Cela vous donne une idée de l'atmosphère.

• 1540

Tous les soirs, la population du Pakistan vivait dans la terreur de ce déséquilibre. Elle craignait que des villes pakistanaises deviennent des Hiroshimas et des Nagasakis parce que le nouveau gouvernement en Inde avait une philosophie différente. Alors que le gouvernement précédent se voulait séculier et libéral, ce gouvernement est soutenu par deux organisations de partis fascistes, le RSS, Rashtriya Swayamsevak Sangh, et le Shiv Sena.

Le RSS a été lié aux Allemagnes et au parti nazi des années 30 et a été organisé de la même façon. Il porte la même croix gammée. Il salue de la même façon. Il a des ambitions expansionnistes et monstrueuses et c'est essentiellement lui qui soutient le nouveau gouvernement indien.

Face à un pays doté d'armes nucléaires qui le menaçait, le Pakistan a tenté de voir si la communauté internationale allait faire respecter le TNP. La sixième puissance nucléaire qui n'avait pas été invitée dans le club nucléaire proclamait haut et fort qu'elle était devenue un État nucléaire contre lequel il faudrait se battre et la fédération russe a déclaré qu'elle était prête à accepter l'Inde parmi les puissances nucléaires.

Le Pakistan a surveillé la scène avec patience, dans le suspense et la crainte. Le gouvernement faisait l'objet de pressions croissantes venant de tous les secteurs de la société qui voulaient que l'on rassure psychologiquement et stratégiquement la population pakistanaise. Aucun chef élu qui a l'appui de son peuple ne peut passer outre à ces sentiments. Il fallait se défendre.

Plutôt que de nous épauler, des États amis nous ont demandé de ne pas faire ce qu'avait fait l'Inde. Toutefois, la responsabilité ultime pour sa survie et son autodéfense revenait au peuple pakistanais.

Le Premier ministre du Pakistan évaluait sous tous les angles les menaces de sanctions et la promesse d'encouragements. Le grave problème de sécurité était devenu évident pour tous les Pakistanais. La perspective d'un cauchemar coûteux nous hantait.

La nuit du 27, nous avons appris que l'Inde se préparait à une attaque préventive sur les installations nucléaires du Pakistan. Notre force aérienne fut mobilisée et a gardé le ciel. Nous avons averti le monde que si l'Inde entreprenait une telle chose, la conflagration serait très importante.

Le lendemain, le Pakistan, exerçant son droit à l'autodéfense aux termes de l'article 51 de la Charte de l'ONU, a fait l'essai de ses propres engins pour dissuader l'agresseur. Nous avons pensé que l'équilibre de la terreur était préférable à la terreur du déséquilibre. Si l'un des deux côtés seulement possède l'arme dangereuse, la tentation de l'utiliser devient irrésistible, mais si les deux côtés l'ont, la raison peut l'emporter.

Ayant rétabli l'équilibre psychologique et stratégique, nous avons pris l'initiative de dire que nous étions prêts à entreprendre des négociations afin de stabiliser la situation, de prendre des mesures de confiance, de discuter des points fondamentaux à l'origine de différends tels que le Cachemire, sur la base de l'entente de juin 1976. Nous sommes même prêts à signer un pacte de non-agression avec l'Inde.

Nous voulons maintenir et retrouver la légalité internationale. Nous voulons l'appui et la compréhension de la communauté internationale afin de pouvoir atteindre cet objectif.

• 1545

Une guerre nucléaire est terrible, horrible. Nous n'en voulons pas et nous ne voulons pas en être victimes. C'est la raison pour laquelle il faut faire une distinction entre notre action et ce qu'a fait l'Inde. Il y a une différence entre la provocation et les menaces, qui sont illégales aux termes des dispositions de la Charte de l'ONU, et une action défensive visant à rétablir l'équilibre, qui est un droit légitime.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le sénateur.

Notre pratique habituelle veut que nous passions maintenant à la période de questions. Nous commencerons par les députés de l'opposition. Chers collègues, je vous rappelle que nous n'avons qu'une demi-heure; je vous prierais donc de vous en tenir à vos cinq minutes afin que nous puissions, éventuellement, faire un deuxième tour de table.

Monsieur Mills.

M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): Soyez les bienvenus au Canada.

Votre exposé liminaire nous a bien décrit la situation et soulève plusieurs questions. Si on vous garantissait un pacte de sécurité, si vous pouviez obtenir une garantie internationale de sécurité, aurais-je raison de dire que vous seriez alors disposés à signer le Traité de non-prolifération, à dénucléariser le pays?

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Notre position est fondée sur la recherche de la survie et de la sécurité. Cela dépend du genre de garanties accordées, car nous ne pouvons oublier nos expériences du passé.

Nous avons été membres de l'Organisation du traité central et de l'Organisation du Traité pour l'Asie du Sud-Est. Nous avions conclu un accord bilatéral de défense avec les États-Unis. En 1965, l'Inde a commis des actes d'agression contre le Pakistan. Plutôt que de nous traiter comme un membre de l'Alliance, on a cessé nos approvisionnements en équipement militaire sous prétexte qu'on ne pouvait approvisionner ainsi une zone de conflit.

La même chose s'est produite en 1971. Lorsque l'Inde est intervenue au Bangladesh, au Pakistan oriental, on nous a imposé des sanctions. On a court-circuité notre pays, en dépit du fait qu'il était membre de ces organisations.

Cela dépend du genre de sécurité qu'on nous accorde et si cette garantie est crédible, viable et fiable. Le Pakistan ne veut pas d'armes nucléaires. Pour l'Inde, c'est une question de prestige et de statut, alors que pour nous, c'est une question de survie.

M. Bob Mills: Cela soulève toujours la même question. La Chine est restée coite dans tout ce dossier, mais, manifestement, elle est un important élément de l'équation nucléaire de l'Asie du Sud.

Pourriez-vous nous donner votre point de vue? Nous avons lu que vos relations avec la Chine étaient plus que diplomatiques. Mais ce n'est pas ce qui m'intéresse. J'aimerais savoir si, d'après vous, la Chine pourrait constituer une menace ou vous assurer plutôt une certaine sécurité. Il est évident que la question des relations entre l'Inde et la Chine entre en ligne de compte.

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Les relations entre la Chine et l'Inde se sont grandement améliorées depuis 1988. Au cours des dix dernières années, la Chine et l'Inde ont noué des liens de collaboration technique et commerciale. Elles ont retiré leurs troupes de leur frontière commune. Elles n'ont pas réglé tous les problèmes, mais elles ont stabilisé la situation à la frontière.

Même dans les dossiers délicats, l'Inde a réussi à obtenir le soutien de la Chine. Ainsi, nous savons que la Chine a fourni à l'Inde de l'eau lourde. Leurs relations se sont considérablement élargies.

Nous entretenons des liens étroits avec la Chine. Nous avons de très bonnes relations avec elle depuis 1978, année où la Chine a mis le développement économique en tête de ses priorités nationales. La Chine n'est donc pas prête à prendre des engagements en matière de défense à l'extérieur du continent.

En fait, la position de la Chine est d'éviter les conflits même à sa frontière où elle craint des invasions. Par conséquent, je vois mal comment la Chine pourrait garantir la sécurité du Pakistan. La seule garantie possible est celle que pourraient nous donner, collectivement, les membres du Conseil de sécurité. Si la Chine nous accorde une telle garantie, ce sera une provocation aux yeux de l'Inde et un facteur de déstabilisation. J'estime que le rôle de la Chine doit être considéré comme relativement moins important dans les questions de sécurité.

• 1550

M. Bob Mills: Je vois.

Voici ma dernière question. Nous, les parlementaires, nous demandons quel rôle les Canadiens pourraient jouer dans toute cette affaire. Le problème, c'est peut-être le Cachemire. Quel rôle les Canadiens pourraient-ils jouer dans la résolution de ce problème?

Le sénateur Muhammad Akram Saki: Le Canada a un excellent bilan en matière de maintien de la paix. Le Pakistan aussi, à l'étranger. Nous avons participé ensemble à la conduite de bon nombre d'opérations.

Je ne propose aucune politique particulière. C'est aux Canadiens qu'il incombe d'établir leur propre politique. D'après les antécédents du Canada et votre question, monsieur, il semble que l'Inde accuse faussement le Pakistan d'envoyer des troupes d'infanterie au Cachemire.

En fait, lorsqu'ont eu lieu les premiers soulèvements contre l'Union soviétique en Europe de l'Est, le peuple du Cachemire, qui avait été opprimé par l'Inde, a compris que si l'on pouvait obtenir sa liberté contre une superpuissance comme l'Union soviétique, il pouvait aussi secouer le joug de l'Inde. Cette nouvelle lutte a été inspirée des mouvements de libération de l'Europe de l'Est. Elle a commencé en 1989.

En réponse, l'Inde a imposé des lois très cruelles en 1989. Elle a envoyé 600 000 soldats au Cachemire où ils ont commis les pires atrocités, des violations des droits de la personne, des viols collectifs. Soixante mille personnes ont déjà été tuées. Dieu sait combien ont été emprisonnées et estropiées, combien de maisons ont été brûlées, combien de femmes ont été la victime de viol collectif. Le viol collectif est la politique de l'Inde, car il sert à humilier les femmes et à les soumettre. Mais le peuple du Cachemire ne se soumettra pas.

Nous estimons qu'on devrait envoyer sur place des observateurs internationaux. Ils pourraient eux-mêmes constater qui, du Pakistan ou de l'Inde, est coupable.

Les soldats indiens viennent parfois dans notre région et tirent sur les gens; ils prétendent ensuite que ces personnes tentaient de s'introduire au Cachemire et qu'ils devaient les arrêter. Parfois, ils tuent des gens au Cachemire et laissent les cadavres de notre côté de la frontière pour ensuite prétendre que nous les avons tués après qu'ils eurent tenté de pénétrer dans cette région.

Nous souhaitons qu'on y envoie des observateurs internationaux. Les antécédents du Canada prouvent qu'il pourrait très bien jouer un tel rôle, ainsi que d'autres s'il le souhaite.

M. Bob Mills: Merci, monsieur le sénateur.

Le président: M. Mills proposera à la Chambre que le Canada envoie des troupes au Pakistan. Ce sera une motion du Parti réformiste.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Monsieur le sénateur, messieurs, vous n'êtes pas sans savoir que notre comité a récemment adopté une résolution concernant l'explosion de bombes nucléaires en Inde. Notre résolution condamnait très fortement ces explosions. Il y a également eu une déclaration du ministre des Affaires étrangères allant dans le même sens, comme vous le savez.

Monsieur le sénateur, vous avez déclaré au Cercle national des journalistes ces jours derniers qu'il valait mieux maintenir un équilibre de la terreur dans la région, et je pense que vous avez repris cette citation tout à l'heure. Derrière cette déclaration, y a-t-il une philosophie de dissuasion nucléaire plutôt qu'une philosophie de désarmement nucléaire?

Ce genre de déclaration remet en cause votre décision d'adhérer ou non au traité de non-prolifération des armes nucléaires et au traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Selon une expression qu'on utilise souvent ici, de quel côté votre coeur balance-t-il?

Nous savons qu'il y a une pauvreté extrême au Pakistan. Donc, le Pakistan a-t-il les moyens de ses ambitions? La situation de pauvreté extrême dans laquelle vit la population au Pakistan justifie-t-elle ces sommes d'argent considérables que vous avez investies dans l'armement nucléaire?

• 1555

Personnellement, je pense que l'autorité et le pouvoir moral du Pakistan auraient été beaucoup plus forts dans la région s'il n'avait pas répondu à l'Inde. Malgré toutes les explications que vous nous avez données, je pense que le Pakistan aurait bénéficié d'une crédibilité et d'une autorité morale internationale incroyables s'il s'était abstenu de faire exploser ces bombes.

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Madame, je vous ai bien compris, mais si vous me le permettez, je vais donner mes réponses en anglais.

Mme Maud Debien: Je vous en prie.

[Traduction]

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Essentiellement, nous souhaitons un équilibre de la confiance et de l'amitié. C'est notre préférence.

Le Premier ministre a amorcé un dialogue avec l'Inde en vue d'améliorer les relations entre nos pays. Notre priorité absolue est le développement économique dont les effets positifs contribueront à accroître la justice sociale et à consolider le secteur social. Pour ce faire, la paix est nécessaire. Voilà pourquoi nous avons amorcé le dialogue avec l'Inde, afin de résoudre ce conflit et nous concentrer sur le développement économique. C'est une initiative du gouvernement du Pakistan.

On m'a cité dans le journal et je ne nie pas avoir dit qu'il valait mieux maintenir un équilibre de la terreur qu'une terreur du déséquilibre. Voilà où je voulais en venir.

Plutôt que de craindre constamment la nucléarisation de l'Inde et l'invasion de notre pays par l'Inde, nous préférerions que nos deux pays aient des armes nucléaires. Mais à cette possibilité, nous préférerions un règlement du conflit afin d'éliminer le danger que présentent les armes nucléaires. J'ai déjà donné une explication, madame. Depuis que l'Inde a acquis ses premières armes nucléaires, nous déployons des efforts pour créer une zone dénucléarisée. Mais il ne pourra y avoir règlement tant que l'une des parties refusera toute proposition.

Nous savons que notre pays est pauvre. L'idéal serait de consacrer toutes nos ressources à l'amélioration du sort de notre peuple, mais la survie est une condition absolue. La prospérité ne peut exister sans survie. Si nous survivons, nous pourrons être prospères. Si nous ne survivons pas, comment pourrons-nous prospérer?

Le Koweit était très prospère, mais il n'avait aucune capacité de défense et était vulnérable aux agressions. Si notre économie est prospère mais que nous n'avons aucune capacité militaire, nous risquons fort d'être attaqués par l'Inde.

En réponse à votre troisième question sur la moralité, le Pakistan a exercé un certain pouvoir moral depuis les premiers tests nucléaires de l'Inde, en 1974. Nous nous sommes donné une certaine capacité mais nous poursuivons nos efforts afin de limiter nos armes. Depuis 14 ans, nous faisons preuve d'autorité morale, mais la communauté internationale continue de nous imposer des sanctions et de faire obstacle à nos recherches. Si nous reculons aujourd'hui, notre pays sera un pays humilié, un pays occupé, au pied de l'Inde.

La moralité ne nous a été d'aucun secours. Malheureusement, on prêche la moralité, mais on ne la respecte pas. Nous sommes toujours prêts à faire preuve d'autorité morale et à prendre des mesures de désescalade, mais il nous reste à voir si la communauté internationale fera la distinction entre l'arrogance de l'Inde et la volonté de collaborer du Pakistan.

[Français]

Mme Maud Debien: Avez-vous l'intention de signer le traité de non-prolifération et le traité d'interdiction complète des armes nucléaires?

[Traduction]

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Le Pakistan a toujours eu l'intention de signer tous ces traités. En 1995, le Traité de non-prolifération a été reconduit sans modification, ce qui signifie qu'il ne s'applique qu'à cinq puissances nucléaires. Nous refusons d'accepter unilatéralement quelque traité qui nous désavantagerait par rapport à l'Inde. Nous voulons être traités de façon non discriminatoire dans tous les traités internationaux.

Le président: Merci.

Madame Beaumier suivi de M. Bachand.

Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): J'ai toujours cru qu'il fallait battre le fer pendant qu'il est chaud. Je ne veux pas parler de la situation nucléaire aujourd'hui. Je suis certaine que vous avez des discussions avec des gens qui sont mieux en mesure que moi d'en parler.

• 1600

D'abord, j'estime que le BJP a fait cela parce qu'il cherchait un ennemi commun afin de solidifier son propre gouvernement minoritaire.

Le Canada a des relations de longue date avec le Pakistan. Nous entretenons d'excellentes relations avec le Pakistan, comme nous l'avons toujours fait. Je reconnais l'indépendance du Pakistan qui est un pays indépendant depuis 51 ans. Mais le Canada est bien plus vieux que le Pakistan. Il a 80 ans de plus.

Cela dit, je reconnais que le Canada n'a pas toujours respecté les droits de la personne des minorités du pays. J'espère que c'est chose du passé et que nous ne répéterons pas ces erreurs.

Sénateur Zaki, vous êtes le fils d'un éducateur et travailleur social entre autres choses. Moi et mes commettants, les Ahmadis, les Chrétiens et les Musulmans, sommes très préoccupés par les lois sur le blasphème du Pakistan. J'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi elles ne peuvent être abrogées et pourquoi il n'existe pas de mouvement actif préconisant leur abrogation.

Au moins Benazir Bhutto prétendait qu'elle y travaillait. Je crois savoir que le nouveau premier ministre a déclaré que ces lois étaient bonnes et nécessaires. En raison de mon engagement personnel à l'égard des électeurs sud-asiatiques de mon comté—je suis ici en leur nom—j'aimerais pouvoir donner une réponse.

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Je comprends votre préoccupation. Il y a des abus dans toute société. Moins les gens sont instruits, plus ils ont tendance à être fanatiques.

Cependant, une chose est claire: nous vivons à une époque où toute personne mérite d'être respectée. Il existe des lois sur la diffamation pour les cas où l'on s'attaque à l'honneur d'une personne. Il y a des lois sur le libelle et des lois sur la diffamation.

Si des personnages historiques, des prophètes et des chefs nobles qui sont tenus en haute estime par des millions de gens sont insultés, il ne peut y avoir ni paix, ni ordre. Les lois sur le blasphème ont existé en Europe et existent au Pakistan.

Avant de venir ici, nous en avons discuté. J'ai moi-même fait des déclarations sur ce sujet. Nous avons décidé que nous devions nous assurer que l'on n'abusait pas de ces lois. Il faudrait modifier ces lois de sorte qu'elles prévoient un mécanisme interdisant les plaintes fondées sur l'inimitié ou l'hostilité personnelle.

Toute plainte fera l'objet d'une enquête approfondie. Un organisme de bonne réputation intentera des procédures s'il est convaincu du bien-fondé de la plainte. Si les accusations sont sans fondement, la personne ayant fait ces accusations sera passible de la peine qui aurait été imposée à l'accusé comme mesure de dissuasion. Le ministre a aussi déclaré deux jours avant mon départ que nous surveillerons la situation de très près et que nous nous assurerons qu'on n'abuse pas de ces lois.

Par ailleurs, les tribunaux inférieurs ont rendu des décisions dans quels cas, mais jusqu'à présent, l'État a eu pour politique de souligner qu'aucun tribunal supérieur n'a confirmé l'une ou l'autre ces décisions. Ces lois sont nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité au sein de la population peu instruite, mais, au fur et à mesure que le pays évoluera, je suis certain que, comme dans les autres pays développés, sous peu ces lois ne seront plus appliquées.

• 1605

Mme Colleen Beaumier: Ne croyez-vous pas que la mort est un châtiment un peu sévère pour avoir prononcé des insultes?

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Nous comprenons la situation, mais si ces insultes provoquent des émeutes qui, du coup, provoquent des morts et des incendies dans des villages entiers, la situation est telle qu'il faut faire respecter la loi et maintenir l'ordre. Nous ferons l'impossible pour nous assurer qu'aucun innocent n'est victime d'allégations sans fondement. Nous pouvons vous le garantir.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): J'aimerais vous souhaiter la bienvenue. C'est un grand honneur de vous recevoir.

J'aimerais savoir en quelle année le Pakistan a officiellement eu sa première bombe nucléaire.

[Traduction]

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Nous n'avions pas de bombe nucléaire. Nous n'avons pas de bombe nucléaire. Nous avons la capacité de construire une bombe.

En 1985, en entrevue, le président du Pakistan a reconnu que nous avions cette capacité. Nous ne voulons pas fabriquer de bombe, mais il ne nous manque que quelques vis pour en arriver à l'étape finale. Ayant acquis cette capacité, nous nous sommes arrêtés avant d'assembler la première bombe. À l'époque, on a jugé qu'une bombe aurait pu être assemblée en quelques jours. En dépit du fait que nous sommes arrivés à ce point en 1984-1985, nous n'avons pas assemblé de bombe.

[Français]

M. André Bachand: À quel moment avez-vous assemblé votre première bombe?

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Je ne le sais pas, mais nous avons fait les essais le 28 mai. On avait dit que nous avions besoin de sept jours pour faire les essais et nous les avons faits après 17 jours.

M. André Bachand: Donc, la preuve que le Pakistan avait une capacité réelle de l'arme nucléaire a été faite seulement cette année, en 1998. Le Pakistan n'avait jamais fait d'essais auparavant.

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Non.

M. André Bachand: Vous avez été en mesure...

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Mais là, c'est à cause de la responsabilité.

M. André Bachand: Malgré vos relations très difficiles avec l'Inde depuis l'indépendance, depuis la fin du royaume, le Pakistan avait réussi tant bien que mal à préserver sa souveraineté sans faire exploser de bombe nucléaire. On comprend donc mal pourquoi on en est rendu à six explosions cette année. Comprenez-vous ce que je veux dire?

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Je comprends.

M. André Bachand: Malgré les problèmes du Cachemire, vous avez été capables de maintenir un certain poids militaire et un certain équilibre face à l'Inde. Sans doute à cause de la capacité militaire du Pakistan et des qualités de vos militaires, vous avez pu maintenir un certain équilibre avec l'Inde sans devoir faire exploser une bombe, alors que l'Inde a fait exploser une bombe dès 1974. Comment voyez-vous cela?

[Traduction]

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Je peux vous dire que si l'Inde n'avait pas rompu cet équilibre les 11 et 13 mai, si elle ne nous avait pas menacés et si elle n'avait pas fait de chantage nucléaire—l'Inde a même déclaré: «Nous avons prouvé que le Pakistan bluffait. La question de savoir si le Pakistan avait des armes nucléaires ou non était ambiguë. Nous avons prouvé que le Pakistan n'a pas d'arme nucléaire et nous lui donnerons une bonne leçon». Grâce à cette ambiguïté, nous avions pu maintenir l'équilibre, mais cet équilibre n'existe plus depuis qu'on a effectué ces essais les 11 et 13 mai et depuis qu'on nous a proféré ces menaces. Nous avons dû rétablir l'équilibre.

• 1610

[Français]

M. André Bachand: Mon confrère parlait de la Chine. On essaie de comprendre pourquoi on en est arrivé à 11 explosions nucléaires, et il y en a peut-être d'autres à venir. Entre autres, on parle d'essais de missiles à longue portée de la part du Pakistan et de l'Inde. On parle aussi d'un transfert de technologie ou d'une aide technologique de la Chine au Pakistan, ce qui aurait fait craindre à l'Inde—comme je vous le dis, on est ici pour apprendre—que le Pakistan puisse avoir des missiles de longue portée dirigés contre elle.

À quel moment tout cela a-t-il commencé, selon vous? Je vous pose cette question-là de la façon la plus objective possible. Pourquoi, selon vous, l'Inde a-t-elle fait cinq essais nucléaire? Quel a été, selon vous, l'élément déclencheur? Je vous demande cela en toute objectivité. Est-ce parce qu'il y avait des missiles? Est-ce à cause d'une attaque au Cachemire? Qu'est-ce qui se passe exactement? Est-ce en rapport avec ce que la Chine fait dans le golfe du Bengale et sa relation privilégiée avec le Pakistan? Selon vous, que s'est-il passé?

[Traduction]

Le sénateur Muhammad Akram Zaki: Nous l'ignorons. Nous estimons que le nouveau gouvernement de l'Inde manifeste un grain de folie. Il est inspiré par une idéologie fasciste. Il a des visées expansionnistes. Il veut créer un règne de terreur ou une situation où l'Inde est crainte afin que tous les pays voisins de l'Inde fassent ses quatre volontés.

En ce qui a trait aux missiles, l'Inde a effectué 22 essais. Le Pakistan n'en a effectué qu'un seul. Même après les essais nucléaires des deux pays, l'Inde a effectué d'autres tests de missiles. l'Inde a testé un missile mer-air, ce que nous n'avons pas fait.

Nous avons un missile. L'Inde en a toute une gamme. Elle a des missiles à courte portée, à portée moyenne, à portée intermédiaire. Elle est maintenant à concevoir des missiles balistiques inter-continentaux, parce qu'elle veut inclure dans sa sphère d'influence, sinon dominer, toute la région du Moyen-Orient jusqu'à la Nouvelle-Zélande.

Nous ignorons les motivations de l'Inde. Je suppose qu'elle voulait par la peur amener le Pakistan à accepter l'hégémonie de l'Inde, ce que nous n'avons pas fait et que nous ne ferons jamais.

Le président: Je vous prie d'être bref, colonel. Il y aura ensuite encore une question, puis, nous devrons ajourner car notre temps est écoulé.

Col Ghulam Sarwar Cheema (député de l'Assemblée nationale et ancien ministre de la Défense, Pakistan): J'aimerais ajouter une remarque à ce qu'a dit mon estimé collègue. Malheureusement, je ne comprends pas le français, sinon je vous aurais répondu.

Vous avez demandé pourquoi, avec toutes ces capacités et ces forces armées, le Pakistan a-t-il fait ce qu'il a fait le 20 mai? Mais pourquoi en premier lieu les Indiens ont-ils fait exploser tant d'engins les 11 et 13 mai?

C'était gentil de votre part de faire ainsi les louanges des forces armées pakistanaises. C'est un potentiel que nous n'avions pas eu pendant 24 ans, depuis 1947 pour être précis. Nous avons été en guerre trois fois contre l'Inde, et trois fois c'était l'Inde qui était l'agresseur. Malgré l'excellence de nos forces armées, je pense que c'est le Seigneur tout puissant qui nous a permis de nous défendre et de survivre.

Le ratio et le pourcentage de nos forces armées par rapport à celles de l'Inde que nous avions pu conserver pendant les 24 premières années étaient devenus pratiquement impossibles à conserver à partir de la 25e année. Pourquoi? À cause de l'état de notre économie, comme vous le savez fort bien.

À cause de nos difficultés économiques, il ne nous était plus possible de conserver ce ratio d'un pour trois ou d'un pour quatre par rapport à l'Inde, ce ratio que nous avions choisi puisque nous n'avions pas de desseins agressifs. D'un point de vue strictement défensif, aussi bien pour un plan de bataille que pour des questions de stratégie, ce ratio d'un pour trois ou d'un pour quatre est bien suffisant pour nous. En revanche, ce ratio s'est trouvé véritablement affecté dans la marine et dans l'aviation où il n'était plus que d'un pour 16 et un pour 20 respectivement.

• 1615

Parmi les très nombreux autres facteurs d'ordre stratégique, l'un des tenants de cette décision fut qu'à l'heure actuelle, la disparité classique entre l'Inde et nous, mais également tous les autres pays confondus, ne nous permettait plus de livrer un combat purement défensif.

Pourquoi les Indiens ont-ils... alors que nous coexistons avec eux depuis plusieurs siècles? Vous êtes des gens très instruits et j'imagine que vous êtes tous parfaitement au courant et fort bien informés. Vous avez des experts et des universités qui étudient l'Inde. Mais pour arriver à vraiment comprendre la mentalité indienne, la mythologie, le raisonnement et le nationalisme indiens, il faut être pakistanais et vivre dans l'ombre de l'Inde 24 heures par jour.

Une dernière chose enfin. Malheureusement, notre pays a été déçu par la communauté internationale. Nous avons attendu 18 jours. Le premier ministre et les dirigeants ont essayé de convaincre, ont essayé d'expliquer pourquoi nous n'emboîtions pas le pas, pourquoi nous ne voulions pas faire de la surenchère avec l'Inde. Pour nous, il y a là quelque chose de rationnel.

Nous comprenons votre politique. Nous comprenons votre raisonnement. Nous sommes plus ou moins sur la même longueur d'onde, mais par simple réflexe, nous devions le faire. Mon collègue et supérieur a dit que nous luttions pour notre survie.

La majorité de la population, soit 95 p. 100 de l'électorat, ne suivait pas le raisonnement des élites pakistanaises super-instruites. Les gens demandaient: «Où est la communauté internationale? Où est l'élément moral dans tout cela? Où est la justice? Où était le fair play ces 50 dernières années? Et vous nous dites maintenant que nous devons donner l'exemple moral. Y aurait-il un nouveau genre d'ordre moral qui soit subrepticement apparu à Washington ou dans les autres capitales?»

Excusez-moi de le dire, mais c'est cela le raisonnement que nous avons suivi, c'est également le raisonnement qui a cours en Inde.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Speller.

M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib): Colonel, sénateur, j'aurais une observation à formuler qui fait suite à la question de ma collègue Colleen Beaumier. Et j'aurais également une petite question à vous poser.

Je me félicite de votre présence ici non seulement en tant que député mais également en tant que président de l'Association des parlementaires du Commonwealth, dont je fais partie du bureau international, et aussi quelqu'un qui compte de nombreux amis et collègues parlementaires non seulement au Pakistan mais également en Inde.

Je vous dis ceci non pas comme un diplomate ou comme quelqu'un qui représente le gouvernement, mais comme un parlementaire. Il m'est très difficile en tant que parlementaire de mobiliser des appuis pour votre pays en raison de l'existence au Pakistan de cette loi sur le blasphème. Partout dans ma circonscription, on peut lire des articles à ce sujet dans les journaux. Les gens me demandent ce qui se passe chez vous. Il m'est très difficile de leur expliquer de façon rationnelle pourquoi on doit mettre quelqu'un à mort pour avoir blasphémé. Je vous dis cela en toute amitié entre mon pays et le vôtre, mais je vous le dis également de façon très directe comme nous avons coutume de le faire à nos assemblées de parlementaires du Commonwealth.

Selon vous, quel rôle le Commonwealth pourrait-il jouer? Nos deux pays sont membres du Commonwealth. Le Commonwealth aurait-il selon vous un rôle à jouer dans la recherche d'un règlement pacifique quelconque du contentieux qui oppose vos deux pays au sujet du Cachemire, mais également pour vous inciter à signer le traité de non-prolifération?

Le sénateur Muhammad Akran Zaki: Permettez-moi de parler d'abord du contentieux actuel.

Je récapitulerais si vous voulez bien en disant que, le Pakistan en principe défend croit à la non-prolifération. Jusqu'à présent, tous nos efforts avaient été axés sur cette volonté de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'armes de destruction de masse dans notre région du monde, et nous adhérons toujours à ce principe. Nous sommes contre la prolifération des armes nucléaires.

Pour commencer, nous n'avons procédé à aucun essai pendant 14 ans, alors même que nous en avions eu les moyens, et malgré le fait que l'Inde avait conduit elle-même des essais en 1974.

En second lieu, nous avons donné à la communauté internationale l'assurance, que nous sommes d'ailleurs prêts à réitérer ici, que nous n'avions pas transféré et que nous n'allions pas transférer cette technologie à qui que ce soit parce que nous étions acquis à l'idée de la non-prolifération.

• 1620

Troisièmement, nous étions prêts à signer le TNP, le TICEN. Nous souscrivons à son élargissement et nous accordons foi au traité initial signé par les cinq puissances nucléaires. Nous en serions très heureux et nous n'avons nullement l'ambition de suivre un programme nucléaire.

Il faut tuer le mal dans l'oeuf. Le sixième pays qui a tenté de forcer les portes du club nucléaire devrait être le premier à se laisser convaincre de faire marche arrière et d'accepter un statut de puissance non nucléaire. C'est cela la responsabilité de la communauté internationale, qu'il s'agisse du Commonwealth, du Conseil de sécurité, de l'OTAN ou de quelque autre organisme que ce soit. On pourrait dire en somme que la présence de puissances nucléaires non-conformistes est chose extrêmement dangereuse. La puissance nucléaire unorthodoxe qui voulait forcer les portes du club doit être domptée.

Vous constaterez que le Pakistan est plus que prêt à redoubler d'efforts. La dernière chose que nous souhaitons, ce sont des armes nucléaires. Notre objectif est la survie, et c'est pour nous la seule façon de survivre contre les armes nucléaires. Lorsque nous avions demandé des garanties en 1968, nous ne les avions pas obtenues. Mais nous n'avons pas procédé à des essais.

J'estime personnellement que la communauté internationale, les pays du Commonwealth et les grandes puissances devraient abandonner la diplomatie punitive pour adopter plutôt une diplomatie axée sur la créativité. En l'occurrence, il s'agirait de stabiliser le contentieux nucléaire sur le sous-continent indien et de ne pas permettre que la course aux armements nucléaires s'intensifie.

Cette course aux armements nucléaires ne nous intéresse pas, mais il faut également freiner l'autre camp. Une diplomatie axée sur la créativité produirait un effort collectif destiné à empêcher l'Inde d'aller de l'avant en dotant ses missiles d'ogives nucléaires. Si l'Inde déploie des missiles nucléaires, peut-être nous sentirons-nous contraints, malgré nous, de faire la même chose.

L'Inde a fait la preuve de son potentiel, et nous de même. Il faut maintenant stabiliser les choses. Prenons du recul et entamons de véritables négociations politiques afin de résoudre les différends. Ensuite, nous pourrons mettre en oeuvre des mesures susceptibles de rétablir la confiance.

Le contentieux du Cachemire est négligé depuis très longtemps. Je suis très heureux de voir qu'au moins les ministres des Affaires étrangères des cinq pays qui se sont réunis à Genève ont reconnu que ce contentieux exigeait une solution, et je suis heureux que vous l'ayez vous aussi mentionné.

Une voix: La médiation.

Le sénateur Muhammad Akran Zaki: La médiation, les bons offices, l'arbitrage, toutes ces méthodes dont on parle dans la Charte des Nations Unies nous conviennent fort bien. Nous voulons laisser cela derrière nous et travailler plutôt pour commencer le XXIe siècle dans la paix et avec la volonté de développer et d'instruire notre peuple.

Ainsi, l'atmosphère se prête mieux à la modification des lois qui, à l'heure actuelle, choquent ceux qui sont plus avancés, mieux instruits. Ce sont les gens non instruits qui provoquent des émeutes. Si nous abrogeons ces lois, il y aura de nombreux morts. Mais si nous avons la possibilité de travailler pour la paix et le développement, le développement social, ces lois finiront par mourir de leur belle mort.

C'est la raison pour laquelle j'ai voulu répondre à cette question. Le Canada a les moyens et l'autorité morale nécessaires pour montrer l'exemple dans ce dossier.

Nous tenons à utiliser l'énergie nucléaire à des fins exclusivement pacifiques. C'est de cette façon que nous avons d'ailleurs commencé, avec l'aide du Canada et d'un petit réacteur destiné à produire de l'électricité. Ce que nous voulons, c'est produire de l'électricité et rien d'autre.

Je vous remercie beaucoup.

Le président: Merci, sénateur. Le temps commence à presser, mais j'aimerais profiter de la présence à nos côtés d'un ancien ministre de la Défense pour lui poser rapidement une question.

Vous qui avez été ministre de la Défense, colonel Cheema, pourriez-vous nous dire si les produits fissiles ou la technologie du réacteur canadien Candu qui a été fournie au Pakistan a été d'une façon ou d'une autre pour quelque chose dans la fabrication de votre bombe atomique ou dans les essais auxquels vous avez procédé récemment?

• 1625

Le col Ghulam Sarwar Cheema: Permettez-moi de vous dire de façon péremptoire que pendant la période en question, lorsque le gouvernement du Canada avait livré le réacteur en question au Pakistan, vous avez décidé unilatéralement de ne plus nous donner la possibilité de recourir à des combustibles différents, ce qui nous a obligés à aller voir ailleurs pour pouvoir fabriquer nous-mêmes notre combustible. Jusque là, le Pakistan n'avait rien en vue, il ne songeait même pas, très loin de là, à se doter d'un programme nucléaire complet.

D'ailleurs, après nous avoir fait cette première faveur en nous donnant ce matériel, ce fût là une autre faveur que vous nous avez faite par défaut. N'eut été cela, le Pakistan n'aurait jamais... Nous avons été obligés d'aller chercher ailleurs du combustible pour le réacteur KANUPP de Karachi.

Je le répète en quelques mots seulement, l'aide que le Canada nous a donnée dans ce domaine n'aurait en aucun cas pu, même de la façon la plus indirecte, nous permettre de nous doter du potentiel que nous avons maintenant. Cela a commencé à se faire beaucoup plus tard.

Le président: Je vous remercie beaucoup tous deux. Nous avons déjà de loin dépassé le temps qui nous était imparti.

Incidemment, vous avez des troupes en Bosnie, n'est-ce pas? Est-ce que je me trompe?

Le col Ghulam Sarwar Cheema: Pour les opérations de maintien de la paix.

Le président: Les opérations de maintien de la paix en Bosnie. C'est ce dont il me semblait me souvenir lorsque nous étions en mission là-bas. Je sais que vos troupes et les nôtres sont intervenues ensemble, comme en Haïti d'ailleurs.

Je tiens à vous en remercier puisque nos deux pays ont participé à ces missions de maintien de la paix fort importantes. Le maintien de la paix est l'une des clés de voûte de la politique étrangère du Canada, et nous en sommes très fiers. Nous sommes heureux d'avoir pu collaborer avec le Pakistan sur ce plan.

Je voudrais également partager avec vous la préoccupation de mes collègues. La situation dans le sud-est asiatique ne cesse pas de nous préoccuper, c'est évident. Nous avons déploré les essais auxquels l'Inde a procédé, tout comme nous déplorons la conviction que vous avez d'être incapables d'assurer votre sécurité sans procéder vous aussi à des essais nucléaires.

Vous savez peut-être que le Canada aurait pu lui aussi se doter d'armes nucléaires. Nous en avions les moyens—j'imagine que c'est toujours le cas—mais nous avons préféré nous en abstenir. Nous ne pensons pas que ce soit pour nous un moyen d'améliorer notre sécurité.

Notre comité effectue actuellement une étude sur la prolifération des armes nucléaires et rien ne nous comblerait plus de joie que de penser qu'avant la fin de notre étude, l'Inde et le Pakistan puissent signer le traité de non prolifération et le traité d'interdiction complète. Rien ne nous chagrine plus que de constater que ce qui vient de se passer dans le sud-est asiatique rend notre étude encore plus impérieuse pour tous les habitants de la planète.

Je vous remercie encore une fois d'avoir pris la peine de vous joindre à nous aujourd'hui.

La séance est levée.