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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 17 mars 1998

• 0915

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte. Excusez-moi, mais j'ai été retardé.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. Epstein, que nous avons bien entendu déjà eu l'occasion de rencontrer auparavant.

Comment allez-vous, monsieur Epstein? Bonjour.

Nous allons entendre aujourd'hui Phillip Penna, de Canadian Uranium Alliance, ainsi que Marion Penna, au nom de l'Inter-Church Uranium Committee. Nous allons aussi entendre M. Coombes, qui représente End the Arms Race, et Mme Adelson, au nom de La Voix des femmes canadiennes pour la paix. Nous allons commencer par Mme Adelson.

Mme Anne Adelson (porte-parole, La Voix des femmes canadiennes pour la paix): Bonjour. Je suis heureuse d'être ici pour représenter La Voix des femmes canadiennes pour la paix.

En prenant connaissance de la question posée au comité, soit celle de la contribution canadienne au désarmement et à la non-prolifération nucléaires, nous avons constaté qu'il y avait deux éléments qui étaient liés. Le premier relève des questions traditionnelles des affaires étrangères qui ont trait à nos alliances et à notre appartenance à l'OTAN. Le second est celui de nos activités dans le domaine du commerce international. Nous avons des positions fortes qui n'ont pas changé dans ces deux secteurs, mais pour les besoins de cette discussion, nous allons nous en tenir à ce que peut faire par lui-même le Canada pour contribuer au désarmement et à la non-prolifération nucléaires sans faire appel à un autre pays ou à toute autre participation.

Certaines de nos propositions ont déjà été faites par d'autres groupes. Nous en avons entériné un certain nombre dans notre mémoire. Nous n'allons pas répéter ce que tout le monde a déjà dit.

Vous constaterez que nous commençons par nos recommandations. Cela s'explique par le fait que nous n'avons pas l'intention de vous faire la leçon ni de vous éblouir en faisant étalage de nos compétences. Votre mandat est clair. Il vous faut donner des orientations au gouvernement. Notre rôle est de vous aider dans vos délibérations.

Toutes les activités qu'exerce le Canada dans le domaine des affaires étrangères et du commerce international ont des répercussions. Elles peuvent être positives ou négatives. Elles ne sont jamais neutres. J'aime rappeler ce que nous dit le serment d'Hippocrate: d'abord, ne pas nuire. Je pense que c'est une bonne façon d'examiner les effets de certaines de nos politiques. Nombre de nos recommandations nous indiquent en effet ce que peut faire le Canada pour ne pas nuire.

Nous parlons aussi des solutions que peut adopter le Canada pour que les conséquences soient positives et non pas simplement négatives. Nous aimerions aussi dire quelques mots du système démocratique et du contrat implicite qui existe entre les citoyens et leur gouvernement.

Je commencerai par lire nos recommandations.

Tout d'abord, il faut que le Canada mette fin aux exportations d'uranium.

Deuxièmement, il convient de se préoccuper de l'utilisation de l'uranium appauvri dans les armes et le matériel militaire.

Il faut que le Canada cesse immédiatement de vendre des réacteurs CANDU à l'étranger.

Le Canada ne doit signer aucun accord entraînant l'acceptation de déchets nucléaires au Canada.

Il convient que le Canada oppose un refus de principe au plutonium provenant des armements, à l'emploi d'un mélange d'oxyde, soit du combustible MOx, dans les réacteurs nucléaires, et à toute entrée dans une économie axée sur le plutonium.

Pour des raisons économiques, écologiques et politique et, ajouterais-je, pour des raisons de santé, le Canada peut lui-même donner un véritable exemple en éliminant progressivement les réacteurs nucléaires et en procédant au développement et à l'exportation de technologies non toxiques en vue de la production d'énergie.

Il convient de procéder à une enquête sur les projets nucléaires financés par l'ACDI. Ces crédits de l'ACDI ne devraient pas être consacrés à la remise en état des réacteurs ou à des tentatives d'instauration d'une économie fondée sur le plutonium.

Il faut que le financement public de l'ACDI respecte le mandat et les principes de cette organisation. Le maintien de la paix et la sécurité des personnes devraient être à notre avis les principes qui guident l'ensemble de la politique du Canada en ce qui a trait aux affaires étrangères et au commerce international.

Enfin, nous voudrions au cours de ces audiences publiques et de toute autre audience qui pourrait être recommandée, que l'on garantisse la consultation du public et le respect du processus démocratique.

Je vous le répète, nous n'allons pas passer notre temps à répéter ce que d'autres ont déjà dit. Je vais plutôt aborder des questions qui n'ont pas encore été traitées par d'autres.

• 0920

La première est celle de l'uranium appauvri. J'ai fait figurer en annexe un article de Rosalie Bertell, qui est membre de notre organisation. Le tribunal des droits de l'homme des Nations Unies a été saisi d'une affaire qui porte sur l'uranium appauvri, en grande partie canadien et sans aucune application civile. Il existe cependant une application militaire en ce qui a trait au revêtement des balles et au renforcement des blindages et des tanks.

Selon cette étude, que vous pourrez lire, il est très probable que l'uranium appauvri est responsable du syndrome de la guerre du Golfe et a mis en danger la santé et la vie des civils et des militaires en Iraq. Nous avons véritablement le sentiment qu'il convient de se pencher sur cette question parce que c'est une des manières dont le Canada contribue à la diffusion d'une forme d'arme nucléaire. Il ne s'agit pas en soi d'une arme nucléaire, mais l'uranium canadien contribue effectivement à sa diffusion sur ce point.

Je veux en venir au point numéro 4, soit celui de l'accord visant à n'accepter aucun déchet nucléaire au Canada. La question est d'ailleurs tout à fait d'actualité. Vendredi dernier, on a rendu publique l'importante étude sur l'enlèvement des déchets fortement nucléaires, étude résultant des audiences sur l'évaluation environnementale. Au bout de 10 ans et après avoir dépensé un demi-milliard de dollars, on nous confirme ce que nous disions dès le début. Il n'existe aucun moyen sûr et acceptable de se débarrasser des déchets nucléaires. C'est ce que nous dit le groupe d'étude.

Nous continuerons à étudier la question et nous considérons que le gouvernement doit faire un pas de plus et dire qu'étant donné la situation, il nous faut abandonner progressivement le nucléaire afin de ne pas produire davantage de déchets. Il nous restera encore à régler le problème existant, mais nous n'ajouterons pas à nos difficultés.

De plus, il ne faut pas que nous passions des accords commerciaux qui nous amènent à accepter des déchets nucléaires. Ce n'est pas une hypothèse d'école. Certaines des clauses de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA laissent penser que nous ne pouvons pas refuser d'accepter des déchets nucléaires. Très bientôt, lorsqu'il faudra négocier l'AMI, il nous faudra aussi passer au crible toutes les clauses de cet accord afin de nous assurer que lui non plus ne nous obligera pas à accepter des déchets nucléaires.

Sur le point numéro 5, notre question est là aussi tout à fait d'actualité. Il faut que le Canada refuse d'accepter le plutonium provenant des armements, soit le combustible MOx. Vous en avez entendu parler par un certain nombre de témoins. Vous ne savez peut-être pas tous qu'hier c'était la journée internationale de protestation contre le combustible MOx. Nous espérons pouvoir vous fournir un peu plus tard une copie de la déclaration qui a été prononcée. La Voix des femmes en était signataire, de même que certains de nos membres comme le Dr Rosalie Bertell, dont j'ai déjà parlé. Le Dr Ursula Franklin a elle aussi signé cette déclaration. La liste des personnes et des pays signataires est très révélatrice. Il y a de nombreux groupements canadiens, mais des personnes venues d'aussi loin que la Corée, la Suisse, le Danemark et les États-Unis en sont signataires.

Des voix s'élevant dans le monde entier nous disent que l'acceptation du combustible MOx au Canada remettrait gravement en cause la dissuasion et la non-prolifération nucléaires. Ce qui nous a particulièrement inquiétés, c'est d'entendre notre premier ministre nous dire, sans avoir procédé à aucune consultation, que le Canada sera heureux d'accepter du plutonium. Nous sommes très heureux que l'essai de combustion ait été reporté. Nous sommes très déçus de constater qu'en tant que Canadiens nous n'avons pu faire entendre notre voix sur cette question que devant le ministère de l'Énergie des États-Unis.

D'un autre côté, je sais que des membres de votre comité ont recommandé des audiences supplémentaires, mais nous voudrions nous assurer que l'on écoutera la population si l'on tient de telles audiences parce que les protestations contre le combustible MOx sont nombreuses et très fortes.

Il ne semble peut-être pas que cette question relève des Affaires étrangères, mais elle est primordiale. Il convient que le Canada envisage d'éliminer progressivement les réacteurs nucléaires. En ce qui nous concerne, il n'y a aucune séparation entre les applications civiles et militaires de l'énergie et des armes nucléaires.

Le Canada a participé à la fabrication des premières bombes nucléaires. Nous avons fourni l'uranium et apporté des compétences dans le cadre du projet Manhattan. Même lorsque nous avons convenu d'abandonner les armements nucléaires et de n'utiliser l'énergie nucléaire qu'à des fins civiles, nous avons conservé de gros intérêts dans les armements nucléaires. L'Inde a réussi à faire exploser une bombe nucléaire grâce à l'uranium et à la technologie nucléaire du Canada.

• 0925

Il y a aussi un conflit d'intérêts flagrant. Ceux qui préconisent que le Canada accepte le plutonium provenant des armements ou augmente nos ventes de réacteur CANDU sont par ailleurs fortement impliqués dans le maintien d'une industrie nucléaire au plan national. Nous considérons que tout cela fait partie d'une même logique et que c'est ici, chez nous, qu'il faut commencer par la rompre. Toutes les indications vont dans le même sens. Il nous faut envisager l'abandon progressif de l'énergie nucléaire.

Les solutions de rechange, non dangereuses, existent. Je ne vais pas les passer toutes en revue. J'en ai cité une. Il existe une brochure provenant de la campagne contre l'expansion du nucléaire qui fait état des choix qui s'offrent au Canada en matière d'énergie renouvelable. Nous ne nous sommes pas dotés des moyens politiques ou des crédits nécessaires à la mise en oeuvre de ces solutions de rechange. Si le Canada veut véritablement apporter sa contribution, c'est là un des moyens de le faire.

J'aimerais maintenant vous dire quelques mots d'une question dont on n'a pas beaucoup...

Le président: Il nous faut faire en sorte que tout le monde s'en tienne à une intervention de 10 minutes parce que nous avons quatre intervenants et que nous voulons avoir le temps de poser des questions. Vous avez déjà largement dépassé le temps qui vous était imparti. Si vous voulez parler encore un peu, je vous invite à le faire, mais j'insiste sur le «un peu».

Mme Anne Adelson: Ce ne sera pas long. J'en suis à la septième des neuf recommandations.

Nous avons assisté aux audiences un peu plus tôt et nous avons été très surpris et bouleversés de constater que l'ACDI, l'Agence canadienne de développement international, avait consacré quelque 16 millions de dollars à des projets liés au nucléaire, principalement en Europe centrale et en Europe de l'Est. Nous l'avons appris avec surprise parce que nous pensions que l'ACDI avait pour mandat d'appuyer le développement dans les pays en développement et de participer à l'avènement d'un monde plus sûr, plus équitable et plus prospère. En fait, c'est exactement ce que dit son mandat, que nous ne faisons que citer.

Nous ne voyons vraiment pas pourquoi les crédits de l'ACDI devraient être consacrés à l'EACL et à Hydro-Québec. Nous ne voyons vraiment pas pourquoi l'ACDI disposerait des compétences ou serait mandatée pour procéder à ce genre d'étude. Lorsque nous avons cherché à prendre connaissance de ces études, on nous a opposé une fin de non-recevoir. On a dit à Irene Kock, l'une de nos collègues, que ce n'était pas possible.

Nous aimerions que l'on procède à une enquête pour savoir pour quelle raison l'ACDI agit ainsi, en quoi cela est contraire à son propre mandat, pourquoi l'on injecte des crédits dans les sociétés d'État canadiennes et non pas dans les pays en développement, et plus particulièrement en quoi tout cela est un facteur d'instabilité et d'absence de justice sociale. Il est certain que cela ne profite pas au monde dans son ensemble. C'est là un domaine important qui mérite à notre avis d'être étudié.

Quelques mots encore pour dire que nous sommes très satisfaits de l'initiative qu'a prise le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international en matière d'édification de la paix. Nous sommes tout à fait d'accord avec ces objectifs. La sécurité des personnes, l'examen des règles démocratiques de gouvernement, les droits de la personne, l'état de droit, le développement durable et l'accès équitable aux ressources, ce sont là précisément les principes dont se fait le champion La Voix des femmes depuis des années. Nous nous félicitons de voir que le ministre nous a suivis sur ces différents points.

C'est aussi avec intérêt que nous avons appris qu'une grande partie des crédits consacrés à l'édification de la paix proviennent de l'ACDI—cette ACDI que nous venons de mentionner au sujet des projets nucléaires. Nous estimons qu'il y a sur ce point une grande contradiction. Nous aimerions bien que les principes liés à l'édification de la paix régissent non seulement la façon dont le ministère exerce ses activités, mais aussi la façon dont l'ACDI accepte ses crédits.

Nous terminerons simplement en précisant que l'une des annexes que nous avons fait figurer dans notre document fait état du manque de confiance que les Canadiens, et d'autres peuples, ont envers leurs gouvernements lorsqu'il s'agit de défendre les principes qu'ils ont établis, les intérêts de la démocratie. La «doctrine des attentes légitimes», qui nous vient de la common law, revient à dire pour l'essentiel que lorsque les gouvernements, les sociétés ou les organisations signent un texte, même s'il ne les lie pas en droit... la population à laquelle ce texte s'applique doit pouvoir s'attendre raisonnablement à ce que ces institutions respectent leurs engagements. C'est en conséquence ce que je vous demande de faire et en tant que citoyens nous respecterons de notre côté nos engagements.

Je vous remercie.

Le président: Merci, madame Adelson. Je suis sûr que nous aurons l'occasion de vous poser beaucoup de questions.

Mme Anne Adelson: Merci.

• 0930

Le président: J'aurais quelques questions à vous poser moi-même, notamment au sujet de l'ACDI. C'est très intéressant.

Nous allons maintenant entendre M. Epstein qui, vous le savez, représente les conférences Pugwash à l'ONU et siège au sein du comité sur le désarmement.

Monsieur Epstein.

M. William Epstein (présentation individuelle): Merci, monsieur le président. C'est toujours pour moi un grand honneur et je ne crois pas me tromper en disant que c'est à la fois un honneur et un privilège de venir témoigner devant un comité aussi important que le vôtre.

Je suis très heureux d'être ici. Je crois m'y être déjà trouvé il y a une quinzaine d'années, et bien des choses se sont largement améliorées dans le monde depuis cette époque, mais c'est loin d'être suffisant.

Je vous prie de m'excuser de vous avoir inondé de documents, mais j'en appelle à votre indulgence car je pense qu'à l'heure actuelle la situation est pire que ne le croient la plupart des gens.

Je considère que les opinions publiques, notamment dans les pays nucléaires, se sont laissées entraîner et abuser et qu'elles sont devenues passives. On préconise la poursuite de la course aux armements nucléaires alors que d'un côté on les réduit et que, dans l'autre, on les améliore en les rendant plus performants, en les modernisant. Je pense qu'à l'heure actuelle la situation est pire qu'elle ne l'a jamais été ces dernières années.

Je suis la seule personne qui fasse partie de l'Organisation des Nations Unies depuis ses tout débuts, il y a quelque 52 ans. Je tiens à faire connaître au maximum le résultat de mes recherches—et c'est pourquoi je fais appel à votre indulgence—durant les quelques années qui me restent à travailler sur le sujet.

Comme l'a indiqué le président, je n'ai pas rédigé le résumé d'une page qui fait état de ce que je représente et de ce que représente mon organisation, parce que le comité des ONG sur le désarmement regroupe les tenants de la cause du désarmement. Je suis membre de son conseil d'administration et je représente les conférences Pugwash sur la science et les problèmes internationaux aux Nations Unies. Cette organisation s'efforce de se montrer à la hauteur de l'immense honneur qui lui a été conféré lorsqu'on lui a décerné le Prix nobel de la paix en 1995.

Je dois ajouter aussi que même si le sens de mes propos sont conformes à ce que disent ces deux organisations, leur formulation précise n'est que le reflet de mes convictions personnelles.

La guerre froide étant terminée, il n'y a plus de véritable risque aujourd'hui d'un déclenchement délibéré d'une guerre nucléaire par les grandes puissances, et un certain nombre d'étapes très importantes et positives ont été franchies. Il n'en reste pas moins, je le répète, que l'opinion publique est devenue passive. Elle en est venue à accepter cette poursuite de la course aux armements nucléaires, même si entre 70 et 80 p. 100 de la population des États-Unis déclare systématiquement dans les sondages qu'elle se sentirait mieux et qu'elle serait plus heureuse dans un monde débarrassé des armements nucléaires.

Un certain nombre d'événements positifs d'une grande importance sont intervenus. Je les ai recensés dans mes études, mais je les ai aussi résumés dans les notes de mon intervention d'aujourd'hui, que j'ai ramenées à quelque trois pages pour pouvoir, dans toute la mesure du possible, faire tout tenir dans les 10 minutes qui me sont imparties.

Il y a cependant une chose que je tiens à dire. Il y a un an, des généraux et des amiraux, une soixantaine d'entre eux dans le monde entier, se sont tous prononcés résolument en faveur de l'abandon de tous les armements nucléaires—de leur suppression.

Le mois dernier à Washington, des dirigeants civils, d'anciens premiers ministres et présidents ainsi que d'importantes personnalités à l'échelle internationale, dont la plupart étaient à la retraite mais parmi lesquels figuraient cependant plusieurs premiers ministres encore en activité, ont signé une déclaration du même type, tout aussi mesurée, exigeant là encore l'abandon de tous les armements nucléaires en précisant les étapes intermédiaires par lesquelles il convenait de passer pour atteindre cet objectif difficile et très important.

Je tiens à dire—et j'en suis très fier—que j'ai réussi à faire signer par Pierre Trudeau cette déclaration des dirigeants civils, dont la plupart étaient à la retraite, et il est inutile que je vous précise à quel point il est difficile d'obtenir une telle chose de Pierre Trudeau, qui n'accorde aucune entrevue et ne signe aucune déclaration. Il a cependant estimé que cette déclaration était suffisamment importante pour qu'il la signe. Je ne sais pas si cela suffira à impressionner chacun d'entre vous, je l'espère. Pour ma part, je n'ai pas manqué d'être impressionné.

Une voix: La plupart d'entre nous.

M. William Epstein: Très bien. Je vous remercie.

L'optimisme a résulté de cette longue liste d'événements importants—ils sont effectivement importants. J'en suis au deuxième paragraphe de mes notes. Je les mentionne tous en omettant simplement d'indiquer que Pierre Trudeau a signé la déclaration. Cet optimisme a fait place en grande partie à la crainte croissante d'un blocage de la voie qui menait à l'abandon des armements nucléaires dans le monde. À l'exception de la Chine, les quatre autres puissances nucléaires avouées refusent résolument d'entamer des négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire, que ce soit ou non dans le cadre de la Conférence sur le désarmement instituée en tant qu'unique instance internationale habilitée à négocier les questions de désarmement.

• 0935

Le premier point de leur programme, depuis qu'ils ont adopté en 1968 le traité de non-prolifération, a été le désarmement nucléaire et l'abandon de la course aux armes nucléaires, mais elles sont allées même jusqu'à refuser le programme d'action déposé en 1996 par le Groupe des 21—qui étaient en fait 28 à l'avoir signé—en août 1966. Absolument aucune négociation n'est actuellement en cours entre les cinq puissances nucléaires et, selon ce que chacun peut voir, le traité START II, signé en 1993, ne sera pas ratifié par la Douma.

Dans le cadre de la Conférence sur le désarmement, les puissances nucléaires ne s'intéressent qu'à un traité. Elles sont disposées à signer un traité sur l'arrêt de la production de matières fissiles destinées aux armements. C'était l'un des quatre points présentés par le premier ministre Trudeau en 1978, et j'ai contribué à la rédaction de la première résolution le concernant. Toutes les puissances nucléaires s'y étaient opposées à l'époque; aujourd'hui toutes sont d'accord, mais seulement au sujet de la production future de matières fissiles alors qu'elles refusent d'accepter que l'on puisse exercer un contrôle sur les réserves actuelles. Toutefois, ce sont les réserves actuelles... parce qu'il existe des éléments incontrôlables dans le nucléaire et que la situation se dégrade en Russie, l'ancienne Union soviétique, ces armements risquent de se retrouver entre les mains d'États qui se mettent hors la loi ou de groupements terroristes internationaux. Par conséquent, les membres non alignés de la Conférence sur le désarmement disent être prêts à accepter cette mesure à condition qu'elle s'étende à toutes les réserves existantes et (ou) qu'elle s'intègre à un programme menant à l'élimination de ces dernières, et ne veulent pas se contenter de signer un autre traité visant à supprimer la production future. Il ne s'agirait là que d'une nouvelle mesure de non-prolifération qui n'aurait rien à voir avec le désarmement nucléaire.

Il y a un mois environ, l'Afrique du Sud et le Canada ont fait des propositions pratiquement identiques à la Conférence sur le désarmement de Genève afin que l'on mette sur pied un comité chargé de discuter de ce que l'on pourrait être en mesure de discuter ou de négocier plus tard. C'est un comité chargé de discuter de ce dont on pourrait éventuellement discuter plus tard.

Le président: C'est une chose qui arrive parfois aussi dans cette ville, monsieur Epstein.

M. William Epstein: C'est une vieille ficelle diplomatique, qui ne marche cependant que si l'on débouche finalement sur des résultats. L'Afrique du Sud est membre du groupe des pays non alignés et le Canada est un membre très loyal, en règle générale, du groupe des pays occidentaux, mais il n'en reste pas moins que ces deux pays ont fait des propositions visant à débloquer la situation. Ils ont reçu toutes sortes d'appuis de la part des États non nucléaires, mais aucune des puissances nucléaires ne s'est encore prononcée sur la question. J'ai fait une escale à Genève il y a une semaine environ au retour d'un voyage autour du monde qui m'a amené à parler de ces mêmes problèmes, et on m'a dit en privé que les puissances nucléaires y étaient essentiellement opposées. Elles s'efforcent cependant de réaliser certains progrès.

Si elles insistent dans cette voie, conformément à ce que quelqu'un m'a dit lorsque j'étais à Genève, la Conférence sur le désarmement sera non seulement paralysée, mais elle deviendra en outre «de plus en plus inutile». C'est terrible pour une organisation qui est censée être le seul instrument de négociation du désarmement dans le monde. Si l'on continue dans cette voie, on risque d'assister à des répercussions négatives sur le comité préparatoire du traité de non-prolifération qui doit commencer à se réunir à Genève pendant deux semaines à la fin d'avril, et cela pourrait même remettre en cause la viabilité du traité de non-prolifération lui-même. Le Canada, depuis les tout débuts—je le sais parce que j'ai suivi cette opération depuis le début—est l'un des meilleurs défenseurs dans le monde du traité de non-prolifération.

Comme je le ferai remarquer plus loin dans mon intervention, le Canada aurait pu être le deuxième pays au monde à faire éclater une bombe, après les États-Unis—avant même les Russes. Ce pays a construit une usine de retraitement du plutonium en 1949, mais il a décidé d'abandonner l'opération. Ce fut à mon avis une très sage décision.

Le Canada a aussi été en 1984 le premier pays à se débarrasser des armements nucléaires américains sur son territoire. Le Canada est donc impliqué dans cette opération depuis le début. Je vous demande de faire en sorte qu'il s'implique encore davantage à l'avenir.

• 0940

Du fait de leur arrogance, les puissances nucléaires semblent avoir oublié la règle d'or de la défense militaire selon laquelle lorsqu'un État possède un armement supérieur, comme la bombe nucléaire, qui est l'arme ultime, d'autres États vont obligatoirement l'obtenir eux aussi tôt ou tard. C'est forcé. Lorsqu'ils le font, il y a prolifération. Le plus probable, c'est qu'il y aura une prolifération parmi tous les États si l'on ne met pas fin à cette course aux armements nucléaires et si l'on ne les supprime pas toutes. S'il y a prolifération, ces armes finiront par être utilisées et, si elles le sont, elles détruiront notre monde. Voilà en fait la gravité de la situation. Plus elle dure, plus on court le risque d'une catastrophe imprévue.

Il y a une chose que j'ai oublié de mentionner concernant les événements regrettables qui se sont produits en novembre, c'est que les États-Unis ont publié une décision d'orientation politique, la première depuis 1981, date de la publication de la décision du président Reagan et de Weinberger.

Il est vrai qu'on l'a quelque peu modifiée. On nous dit qu'il n'est pas question de livrer deux guerres en même temps. Disons qu'il n'y a personne qui à l'heure actuelle va être obligé de mener une bataille avec des armements nucléaires. Malheureusement, il y a là un pas en arrière et non pas un progrès parce que les responsables ont réaffirmé leur totale confiance dans la dissuasion nucléaire pour maintenir la paix et la sécurité. Ils ont réaffirmé être prêts à faire usage en premier des armements nucléaires pour répondre à une attaque classique menée contre eux-mêmes ou contre l'un de leurs alliés, ou pour répondre—et c'est là un élément nouveau—à toute attaque menée par des moyens chimiques ou biologiques.

J'ai distribué un document rédigé par le général Lee Butler, le responsable qui avait effectivement le doigt sur la gâchette aux États-Unis entre 1991 et 1994, qui s'en prend de manière profonde, large, incisive et intelligente à toute cette notion de dissuasion nucléaire. L'auteur nous dit qu'elle est immorale, qu'elle n'a aucune utilité militaire ou politique et qu'il convient de la supprimer. Selon lui, il serait même en fait immoral d'y recourir face à une attaque menée par des moyens chimiques ou biologiques.

De telles armes peuvent certes anéantir éventuellement une ville, mais elles sont aussi dangereuses pour leurs utilisateurs. Les armements nucléaires peuvent en quelques minutes anéantir des millions de personnes et détruire notre civilisation. Je me souviens que Perez de Cuellar a déclaré un jour qu'il n'y a pire arrogance que celle des pays qui déclarent vouloir recourir aux armements nucléaires pour dissuader les autres de faire la guerre alors qu'en cas d'utilisation, ils détruiraient non seulement la génération actuelle mais toutes celles à venir. Le général Lee Butler nous rappelle en partie tout cela dans le discours dont vous allez recevoir la transcription intégrale.

Le président: Nous avons ce discours. Ne vous inquiétez pas; nous en avons pris connaissance.

M. William Epstein: Bien, parfait. J'en suis très heureux. Il mérite d'être relu. C'est du moins ce que j'ai fait.

Le président: Vous n'êtes pas le seul à nous le dire.

M. William Epstein: Il y a un certain nombre de véritables possibilités d'intervention. Nous pourrions faire de véritables progrès.

Même en l'absence de consensus à la Conférence sur le désarmement, nous sommes parvenus à la signature du traité sur l'interdiction partielle des essais nucléaires en 1963, du traité sur la non-prolifération des armements nucléaires en 1968 et du traité d'interdiction complète des essais nucléaires en 1996. Il n'y a pas eu une véritable unanimité, mais suffisamment de gens se sont attelés à la tâche pour qu'on puisse renvoyer la question devant l'assemblée générale de l'ONU, dont la première résolution, adoptée en janvier 1946—et j'ai le plaisir de pouvoir dire que j'y étais—a exigé la suppression de tous les armements nucléaires. Cela se passait en janvier 1946 et nous en sommes aujourd'hui encore bien loin.

Les possibilités qui s'offrent éventuellement à nous se révèlent par ailleurs encourageantes lorsqu'on voit la magnifique opération entreprise par le Canada et par Lloyd Axworthy. Absolument rien n'empêche que l'on convoque à Ottawa une conférence réunissant des délégués chargés d'élaborer un traité dans un domaine donné. Trois puissances nucléaires s'opposaient à l'interdiction des mines terrestres antipersonnelles et pourtant le Canada a mené avec succès son entreprise.

De plus, il faut voir aussi qu'un document officiel de l'ONU a désormais été déposé, qui porte le numéro A/C.1/52—soit le numéro 7 pour la 52e session. Il a été déposé et peut être présenté et discuté par tout membre de la Conférence sur le désarmement ou lors de la prochaine conférence préparatoire au traité de non-prolifération ou encore à l'assemblée générale des Nations Unies.

L'assemblée générale des Nations Unies ne peut imposer ses décisions à qui que ce soit, contrairement à ce que fait le Conseil de sécurité, mais elle peut faire toutes les recommandations qu'elle veut. Elle peut faire une série de recommandations. Elle peut presser les puissances nucléaires d'agir.

• 0945

Je recense ici cinq étapes, qui sont les mêmes que celles qui figurent dans la liste élaborée par la commission de Canberra et, surtout, dans le rapport unanime rendu public il y a un an par l'Académie nationale des sciences des États-Unis, un organisme très, très influent. Les principes essentiels sont les mêmes.

Le premier point, le plus important, c'est qu'il ne faut plus que les armements nucléaires puissent être activés immédiatement en cas d'alerte. Les États-Unis ne le font plus pour leurs bombardiers mais c'est toujours le cas pour les missiles. On ne le fait plus pour les avions. On peut les faire revenir même après qu'ils ont décollé une heure ou deux auparavant, mais on ne peut pas faire revenir les missiles lancés à partir des sous-marins ou des installations terrestres. Le général Butler plaide cette cause avec une grande vigueur.

C'est pourquoi il faut non seulement les désactiver et séparer les têtes nucléaires des missiles, mais aussi déclarer que l'on ne fera pas usage en premier des armements nucléaires. C'est terriblement important, à mon avis, parce que nous avons failli nous engager dans une guerre nucléaire. Nous sommes passés terriblement près de la catastrophe. Lorsqu'en janvier 1995, la Norvège a lancé une fusée scientifique que les Russes ont pris par erreur pour un missile éventuel quand ils l'ont vu apparaître sur leur radar, la boîte noire a été apportée dans le bureau de Yeltsin pour qu'il appuie sur le bouton. À la dernière minute, le message que les Norvégiens avaient envoyé à la communauté scientifique russe est finalement parvenu aux militaires. Ces derniers ont constaté après enquête qu'il s'agissait d'une fusée scientifique. Voilà comment on a failli détruire le monde entier. Il semble que personne ne soit au courant de cette histoire, mais elle n'en est pas moins vraie. Vous pouvez la vérifier.

Nous devons donc lier la désactivation à la non-utilisation en premier. Il nous faut ensuite passer à l'étape suivante, soit mettre fin au déploiement des armements nucléaires qualifié de non stratégiques, tactiques ou d'intervention sur le champ de bataille en Europe. Il n'en reste que 150 environ. Il y en a eu là-bas des milliers et des milliers, en dehors du territoire des États-Unis et de l'Union soviétique. On n'en est plus maintenant qu'à 150. Il faut qu'ils soient tous rapatriés par chacun des pays sur son propre territoire, parce que ces armes tactiques sont les plus dangereuses. Si jamais elles risquent d'être prises au cours d'une petite attaque classique, vous connaissez la vieille règle qui s'applique: «s'en servir ou les perdre». Les commandants locaux seront terriblement tentés de s'en servir plutôt que de les perdre, ce qui pourrait déclencher une grande guerre nucléaire. De telles armes sont bien trop dangereuses pour la survie de l'humanité pour qu'on se permette de les conserver.

Par conséquent, le premier point, le point le plus important sur lequel j'insiste, et je le résumerai un peu plus clairement plus tard, c'est qu'il faut que le Canada prenne l'initiative dans ces domaines en exigeant qu'on s'engage à ne pas faire usage en premier de ces armements nucléaires et qu'on les désactive pour qu'ils ne puissent être déclenchés en cas d'alerte.

Il y a trois autres points que je veux mentionner. Nous devons amener les Russes à reprendre les négociations bilatérales.

Le président: Je vais intervenir ici pour vous donner un premier avertissement comme me l'autorisent mes fonctions de président en vous précisant que vous en êtes maintenant à 15 minutes. Je ne tiens pas à vous interrompre, parce que ce que vous nous dites est très important, mais ce n'est pas juste pour les autres témoins et ce qui va se passer...

M. William Epstein: Excusez-moi. Laissez-moi encore une minute et je vous présenterai ma proposition concrète.

Je pense que la Cour internationale de justice en est arrivée à une conclusion qui implique qu'une utilisation en premier serait illégale. Étant donné que les puissances nucléaires ne respectent pas leurs obligations, et que la Cour a statué à l'unanimité qu'elles ont l'obligation, non seulement d'entamer, mais de mener à bonne fin les négociations visant à la suppression des armements nucléaires... cela fait partie de nos obligations en droit. C'est une décision unanime. Le président de la Cour parle de «cette arme maudite». Il y a là maintenant une décision qui nous lie selon le droit international coutumier.

Je pense qu'il nous faudrait saisir à nouveau la Cour internationale de justice pour lui poser deux questions: les puissances nucléaires respectent-elles leurs obligations et peut-on légalement avoir recours en premier aux armements nucléaires?

Ma liste comprend d'autres points mineurs. Nous avons maintenant rédigé un modèle de traité sur les armements nucléaires. Vous pouvez convoquer une conférence au Canada pour en discuter. Si les puissances nucléaires se présentent, parfait. Si elles ne le font pas, nous pourrions alors convoquer une autre assemblée, comme le réclame d'ores et déjà le Mexique, des États non nucléaires. Une conférence s'est tenue en 1968, mais malheureusement après la signature du TNP. Il y a eu une terrible bataille pour obtenir un report. On a fini par abandonner la lutte parce qu'on ne voulait pas que le TNP coure un tel danger.

• 0950

On peut le refaire. Le Canada a des états de service incomparables sur cette question. Il n'y a pas d'autre solution que de prendre une à une ces cinq initiatives sur chacun de ces cinq points. Je n'ai pas détaillé les autres, mais elles ont toutes été consignées par écrit dans mes notes et mes documents.

Le premier pays qui après les États-Unis aurait pu avoir la bombe a été le premier à décider qu'en fait il n'en voulait pas. C'est le premier pays à s'être débarrassé de tous les armements nucléaires sur son territoire. Si le Canada a une si bonne réputation à l'ONU—c'est l'une des meilleures—c'est parce que nous avons toujours appuyé l'ONU, depuis le début. Je pense que s'il faut prendre l'initiative, prendre la tête, le Canada serait le pays idéal.

J'ai terminé l'allocution que j'ai prononcée devant le Conseil canadien de droit international—j'ai le plaisir de vous informer que j'ai alors reçu une énorme ovation—par cette question: qui est mieux placé que le Canada pour montrer la voie? Voilà ce que je tiens à dire au comité et à ses membres.

Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Epstein.

Nous allons maintenant entendre M. Phillip Penna, qui représente la Canadian Uranium Alliance.

M. Phillip Penna (porte-parole, Canadian Uranium Alliance): Bonjour. Je m'appelle Phillip Penna et je représente ici la Canadian Uranium Alliance.

Je vous ai remis un document comportant un certain nombre d'annexes. Je vous ai remis aussi le texte de mon allocution, qui comprend lui aussi des annexes que vous pourrez consulter par la suite.

Je vous rappelle à nouveau que, de manière générale, ce qui nous préoccupe—cela figure dans notre document écrit—c'est la nature du discours mené sur les questions liées au nucléaire dans notre pays. En l'occurrence, nous estimons que lorsqu'on parle d'armements nucléaires, il faut en parler au niveau de tous les maillons et non pas simplement de manière parcellaire. Il ne sert à rien, à notre avis, d'isoler entre eux les différents maillons de la filière de l'uranium. Nous exposons notre opinion dans notre document.

Comme je l'ai promis dans mon document, je vais vous raconter mon histoire en me rapportant à deux domaines: les affaires étrangères et le commerce international. L'histoire débute en 1990, alors que je travaillais au sein de l'Inter-Church Uranium Committee. Nous avons découvert que l'uranium de la Saskatchewan était expédié dans trois directions: à l'est vers Blind River, au sud vers Metropolis, en Illinois, et encore plus au sud vers Gore, en Oklahoma.

J'ai décidé d'étudier davantage la question et voici ce que j'ai découvert. J'ai découvert une note anonyme intitulée «America the Bluetiful» et rédigée par un employé désabusé du ministère de l'Énergie des États-Unis. On y faisait état des activités commerciales douteuses de General Atomics, dont les propriétaires sont Neal et Linden Blue, et l'on y reprenait une série d'articles portant sur la prise de contrôle par General Atomics des propriétés d'uranium de Chevron Corporation et de l'installation de transformation d'uranium de Sequoyah Fuels à Gore, en Oklahoma. J'ai trouvé une série d'articles portant sur l'uranium appauvri, des renseignements sur le développement des techniques d'enrichissement au laser auxquelles s'intéressaient Cameco, et des informations au sujet de tractations commerciales impliquant Fred et Paul Hill de Regina, en Saskatchewan.

L'employé anonyme du ministère de l'Énergie était offusqué par les tractations commerciales de Neal et Linden Blue et de leur société, General Atomics. General Atomics était en train de négocier un contrat illicite avec les Soviétiques au terme duquel Neal Blue, après s'être procuré de l'uranium enrichi des Soviétiques, en modifiait les références grâce à un jeu de documents en Europe, pour le revendre dans le cadre de contrats à long terme aux compagnies d'électricité des États-Unis, réalisant ainsi d'énormes profits. Le déferlement de l'uranium soviétique sur le marché à la fin des années 80 a pu être facilité par General Atomics.

Je signale qu'au moment même où j'ai pu consulter ce document, j'ai reçu un appel téléphonique d'un journaliste de Blind River, en Ontario, qui lors d'une visite de la raffinerie d'uranium de Blind River a posé des questions sur le contenu d'un grand nombre de conteneurs de concentré d'uranium qui y étaient stockés. On a répondu à ce journaliste qu'il contenait de l'uranium en provenance de Russie. J'ai trouvé cela curieux.

Il est aussi curieux qu'en 1993 Cameco ait entrepris de négocier un contrat semblable à celui qui est décrit dans le mémoire du ministère de l'Énergie au sujet de la Russie. J'ai joint en annexe un certain nombre de renseignements à ce sujet.

L'article mentionnait aussi les efforts faits par les frères Blue pour se procurer de l'uranium en Afrique du Sud alors que c'était tout à fait illégal. Par l'intermédiaire d'une société installée à Calgary, ils ont cherché à passer une entente aux termes de laquelle ils exploiteraient une mine d'uranium en Afrique du Sud, passeraient un contrat en Europe ou en Union soviétique afin de débaptiser sur papier l'uranium de l'Afrique du Sud et l'importeraient ensuite aux États-Unis sous une bannière politiquement plus acceptable. Cette société implantée à Calgary était la Harvard International Resources Incorporated.

• 0955

J'ai terminé la lecture des articles portant sur l'achat de General Atomics par les frères Blue. Dans l'un d'entre eux, j'ai relevé des choses très intéressantes. Voici ce qui est dit:

    Les frères Blue sont les actionnaires à part entière de General Atomics Technologies Corp., la nouvelle société propriétaire de GA. Un troisième investisseur, Frederick Hill de Regina, en Saskatchewan, un associé dans l'entreprise de Blue, a été écarté de l'équipe acheteuse en raison des restrictions imposées par les États-Unis sur la propriété détenue par les étrangers dans les sociétés ayant des contrats avec la Défense.

Fred Hill est peut-être l'homme le plus riche de la Saskatchewan et il est membre de la confrérie de l'Église catholique. Il est par ailleurs président de Harvard International Resources Ltd. Neil Blue et Paul Hill en sont les vice-présidents. Les Hills et les frères Blue ont acheté la société au début des années 80. On trouve aussi au sein du conseil d'administration John Edward Jones, qui figure dans le conseil d'administration de General Atomics.

Je me suis particulièrement attaché à examiner les expéditions d'uranium envoyées par la Cameco à l'usine de Sequoyah Fuels de Gore, en Oklahoma, une société dont la réputation a été entachée par des affaires impliquant des fuites de combustible, une surexposition des travailleurs ou un manque de transparence. Il s'agissait d'une installation ayant des contrats avec la Défense, qui produisait du tétrafluorure d'uranium destiné aux balles à uranium appauvri, et qui faisait affaire avec le public canadien par l'intermédiaire de la Cameco Corporation.

Sequoyah Fuels est fermée depuis 1993 et General Atomics a constitué une nouvelle société avec Allied Signal afin d'exploiter l'installation de transformation d'uranium de Metropolis, en Illinois.

J'ai mis la main sur un permis délivré en 1988 par la Nuclear Regulatory Commission des États-Unis. La Sequoyah Fuels Corporation avait passé un contrat d'approvisionnement avec Aerojet Ordnance Tennessee en vertu duquel elle lui procurait du tétrafluorure d'uranium appauvri. Aerojet bénéficiait d'un permis d'expédition lui permettant d'envoyer jusqu'à un million de livre de tétrafluorure à la raffinerie d'Eldorado Resources Limited de Port Hope, qui est aujourd'hui la propriété de Cameco. Il était stipulé dans ce permis:

    AOT fournira du tétrafluorure d'uranium à Eldorado Resources, qui s'en servira pour fabriquer du métal d'uranium appauvri utilisé par AOT dans la fabrication de dispositifs de pénétration à uranium appauvri (douilles transperçant les blindages) dans le cadre des contrats passés avec le ministère de la Défense des États-Unis.

Ce permis devait porter sur la période allant du printemps 1988 au 31 décembre 1990. Cameco a nié l'exécution de ce contrat. Elle nie même qu'un tel travail ait jamais été fait. Le ministère des Affaires étrangères a pourtant confirmé que la Cameco Corporation et celle qui l'a précédée, Eldorado Nuclear, ont transformé du tétrafluorure d'uranium importé des États-Unis en métal d'uranium appauvri. Ce métal a par la suite été réexporté aux États-Unis afin d'être utilisé dans la fabrication de munitions permettant de percer les blindages.

Cameco s'efforce actuellement de mettre au point une technique d'enrichissement au laser connue sous le nom d'AVLIS, en association avec l'Enrichment Corporation des États-Unis. Elle procède à des recherches expérimentales dans ses installations de Port Hope, qui sont alimentées par ses installations de Blind River.

Je suis revenu à l'article «America the Bluetiful» pour découvrir que General Atomics exerçait de nombreuses pressions pour que soit accordé le contrat de développement de la technique AVLIS. General Atomics a-t-elle obtenu ce contrat? Peut-être.

En plus de ce contrat passé avec Cameco, l'Enrichment Corporation des États-Unis a des contrats avec d'autres entreprises afin de développer d'autres aspects de cette technologie. Ces entreprises sont Allied Signal, Bechtel et BWX Technologies. On n'a peut-être donc pas l'impression que GA a obtenu le contrat, mais c'est difficile à savoir étant donné qu'Allied Signal est impliquée et qu'avec General Atomics elle exploite l'usine de transformation d'uranium de Metropolis, en Illinois.

N'oubliez pas que Cameco expédie directement de l'uranium de la Saskatchewan à l'usine de Metropolis, dont les copropriétaires sont les frères Blue, qui sont étroitement liés à la famille Hill. Quelles sont les relations qu'ont avec Cameco la famille Hill et les frères Blue? C'est difficile à dire, mais ce qui est clair c'est que deux de leurs collègues dans leurs entreprises siègent au sein du conseil d'administration de Cameco. Ce sont Robert Peterson et Allan Blakeney.

Robert Peterson est le PDG de la Denro Holdings Limited de Regina. Denro et les Hills sont propriétaires de la Crown Life Insurance Company par l'intermédiaire de la société qu'ils possèdent en commun, la Haro Financial Corporation, et Allan Blakeney siège au conseil d'administration de Crown Life.

Cela ne veut peut-être rien dire au sujet de la famille Hill et de Cameco, mais la question mérite certainement que l'on s'y attarde étant donné que les Hills ont cherché à entrer dans l'industrie du nucléaire en compagnie des frères Blue au cours des années 80 par l'intermédiaire de la Harvard International Resources implantée à Calgary et grâce à l'achat de General Atomics Technologies Corporation. Pourquoi ne chercheraient-ils pas alors à exercer une influence au sein de Cameco? N'oublions pas que le procédé AVLIS ne vise pas simplement à faciliter l'enrichissement de l'uranium provenant du combustible d'un réacteur nucléaire. Le procédé AVLIS est aussi une application militaire. Il doit permettre d'enrichir plus facilement et à meilleur prix l'uranium. S'il est développé, le risque de la poursuite et de l'accentuation de la prolifération de matières ayant la qualité nécessaire pour servir dans les armements va lui aussi augmenter et l'on n'aura plus à faire face au coût énorme entraîné par la construction d'usines d'enrichissement.

• 1000

S'il veut prendre l'initiative au plan international de la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, il faut alors que le Canada remette en cause les pratiques commerciales ainsi que les efforts de recherche et de développement des entreprises canadiennes. Les antécédents de Cameco, qui collabore avec General Atomics, une société ayant des contrats de fabrication d'armes, et qui contribue aussi de son côté à la fabrication de balles à uranium appauvri destinées aux États-Unis, appelle une réponse de la part du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.

En outre, la possibilité que Cameco soit influencée par la famille Hill et par les frères Blue doit aussi être étudiée par ce ministère. Il faut que votre comité exige que l'on procède immédiatement à une telle enquête. Il vous faut aussi découvrir quels sont les mécanismes auxquels on peut recourir à l'heure actuelle pour contrôler ces activités, juger de l'efficacité de ces mesures et répondre à la question suivante: comment se fait-il qu'une société nucléaire qui est la propriété du gouvernement des États-Unis accorde un tel contrat à une société étrangère?

Pierre Trudeau a déclaré un jour que si l'on veut supprimer la menace des armes nucléaires, il faut leur couper l'oxygène qui les maintient en vie. Cet oxygène, c'est l'uranium. Il faut que l'on regarde de plus près ce que fait la plus grande société d'uranium canadienne dans ses transactions avec l'étranger. Elle ne devrait pas être autorisée à exercer des activités qui soit directement, soit indirectement, s'opposent aux politiques de désarmement de notre pays, sans parler du fait que l'opinion publique canadienne souhaite éliminer la menace que posent les armes nucléaires sous des formes très diverses et insidieuses.

Je vous remercie.

Le président: Merci.

Nous allons maintenant entendre M. Neil Sinclair, qui représente l'Inter-Church Uranium Committee.

M. Neil Sinclair (membre du conseil d'administration, Inter-Church Uranium Committee Educational Co-operative): Bonjour. Je m'appelle Neil Sinclair et je représente l'Inter-Church Uranium Committee Educational Co-operative.

C'est la première fois que je suis appelé à faire ce genre de chose, alors je me lance.

Depuis longtemps, le Canada joue un rôle dans la prolifération des armes nucléaires, et il n'a malheureusement pas renoncé à le faire. Dès la naissance de l'industrie de la prospection de l'uranium, l'objectif établi était la création d'armes nucléaires à des fins de destruction massive. Au cours des années 60, les réacteurs nucléaires civils ont commencé à consommer de l'uranium produit au Canada. Mais cela n'a pas empêché l'uranium canadien de se retrouver dans des bombes nucléaires. En faisant la promotion de l'industrie nucléaire, le gouvernement canadien a fait preuve d'une grande naïveté face à la propagation de la technologie nucléaire.

Lorsque l'Inde a fait exploser sa propre bombe nucléaire avec l'aide de la technologie canadienne, le Canada a dû revenir sur terre. Il a resserré ses mesures de sécurité et manifesté une préoccupation bien réelle, mais cela ne l'empêche pas pour autant de jouer un rôle dans la course aux armements nucléaires dans le monde entier.

Même si le Canada s'est donné pour politique de ne vendre de l'uranium qu'à des fins pacifiques, cette politique ne fonctionne simplement pas. Les pays qui continuent de fabriquer des armes nucléaires et qui reçoivent de l'uranium canadien n'ont pas établi deux cycles distincts pour l'alimentation en uranium des armes et des réacteurs. Tout l'uranium est traité dans des installations d'enrichissement communes, quelles que soient les fins auxquelles il est destiné. La commission mixte fédérale-provinciale d'examen des projets d'exploitation des mines d'uranium dans le nord de la Saskatchewan le soulignait dans son rapport de 1993, où elle précisait qu'il n'existe aucun procédé pour séparer l'uranium canadien de celui qui provient d'autres sources. Par conséquent, il n'existe pas de méthode éprouvée pour empêcher l'utilisation d'uranium canadien dans des applications militaires.

Notre relation avec la France concernant l'industrie nucléaire est un exemple flagrant de l'échec de la politique canadienne de non-prolifération des armes nucléaires. La France a mis à l'essai sa première bombe nucléaire le 13 février 1960, en Algérie. Quelques années plus tard, le peuple de l'Algérie accédait à l'indépendance. La France avait besoin de nouveaux endroits pour effectuer ses essais. Elle n'a pas choisi de les effectuer dans ses campagnes, ce qui n'a surpris personne. Elle s'est plutôt tournée vers ses colonies, en Polynésie française. A-t-on demandé aux habitants de ces lointaines îles du Pacifique s'ils voulaient qu'on procède à une panoplie d'essais de bombes atomiques sur leur territoire? Bien sûr que non.

À l'époque, le Dr Albert Schweitzer, lauréat du Prix nobel, a été renversé par cette décision. Il a déclaré:

    Le sort du peuple polynésien m'inquiète. Je m'oppose à tous les essais d'armes nucléaires depuis 1955. Je suis navré d'apprendre qu'on les a imposés aux habitants des îles de la Polynésie.

• 1005

Le premier essai d'une arme nucléaire en Polynésie a eu lieu le 2 juillet 1966. Ces essais se sont poursuivis en Polynésie durant 30 ans.

Vous vous demandez peut-être ce que tout cela a à voir avec le rôle que joue le Canada dans la prolifération des armes nucléaires? Durant la moitié de ces 30 ans, la France a exploité sa propre société d'extraction de l'uranium, la Cogema, au Canada, c'est-à-dire en Saskatchewan. Depuis le début des années 80, la Cogema a exporté en France l'uranium extrait en Saskatchewan. Comme nous l'avons mentionné plus haut, nous n'avons plus aucun contrôle sur l'uranium une fois qu'il a traversé nos frontières.

L'uranium canadien exporté en France se retrouve dans une usine d'enrichissement commun où il est mêlé à de l'uranium d'autres sources. La France fabrique des bombes nucléaires. Elle exporte aussi de la technologie nucléaire qui a contribué à la prolifération des armes nucléaires. La France fait exploser ses bombes nucléaires dans d'autres pays.

Comment a réagi le Canada? Il n'a pas réagi. Il n'a rien fait durant les 15 ans où l'uranium canadien était utilisé dans des bombes nucléaires qu'on faisait exploser en Polynésie. C'est honteux. Le plus triste, c'est que nous aurions probablement pu mettre un terme aux tests nucléaires si nous avions interrompu nos exportations d'uranium vers la France parce qu'elle procédait à des essais nucléaires. Mais nous ne le saurons jamais.

En ce qui concerne l'interruption des exportations d'un produit pour satisfaire à des objectifs de politiques étrangères, j'aimerais faire quelques commentaires au sujet de l'accord multilatéral sur l'investissement dont le gouvernement canadien fait la promotion. L'AMI compliquera énormément la possibilité pour le Parlement d'appliquer les restrictions que nous venons de mentionner à l'égard de la France et de ses importations d'uranium canadien.

En effet, l'accord ne restreint pas les exportations. Toute mesure prise pour réduire de quelque façon que ce soit les profits des investisseurs doit promptement faire l'objet d'une indemnisation dans une devise échangeable sur le marché international. Ainsi, il serait contraire au règlement de l'AMI d'interrompre les exportations d'uranium vers la France, puisque la Cogema pourrait poursuivre le gouvernement canadien pour tous les profits perdus. Il ne faut pas que l'AMI soit adopté.

Je vous parlerai maintenant du plutonium. Là encore, la politique canadienne comporte des lacunes. La proposition récemment faite au sujet de l'utilisation de combustible MOx dans les réacteurs CANDU de l'Ontario Hydro ne témoigne certes pas de clairvoyance. En effet, le paiement obtenu des États-Unis couvrira le coût des réparations du réacteur Bruce. L'argument selon lequel cela contribuera à éliminer le plutonium est erroné, parce qu'à mesure qu'on brûle le plutonium initial, on en crée du nouveau à partir d'uranium 238. Les deux tiers de la quantité originale proviendront du réacteur après la combustion.

Il est vrai qu'il s'agit non plus alors de plutonium fabriqué à des fins militaires, mais de plutonium mêlé à de nombreux autres éléments radioactifs. Il est encore possible d'isoler ce plutonium et de fabriquer une bombe nucléaire, à condition que les gens soient prêts à subir les conséquences d'une exposition à un taux de radiation élevé. Dans un rapport secret destiné aux agences de sécurité américaines qui a récemment été publié, on a conclu qu'il était possible pour un groupe terroriste de fabriquer une bombe nucléaire s'il avait accès à du plutonium. Il n'aurait pas besoin d'installations et d'équipement très perfectionnés.

Autre facteur important: tous les types de plutonium, et non pas seulement le plutonium 239, peuvent être utilisés dans la fabrication d'une bombe nucléaire. C'est donc dire que le problème de sécurité internationale qui découle de l'élargissement de l'utilisation du plutonium et du vol de cette matière s'aggrave proportionnellement à l'utilisation qu'on en fait. Comment un pays peut-il se défendre contre une attaque nucléaire isolée? Il n'y a qu'une seule réponse: il ne peut pas se défendre. Même un État policier serait incapable de se protéger contre les attaques d'un petit groupe déterminé qui possède une petite arme nucléaire. De plus, la perte des droits civiques serait inacceptable dans notre régime démocratique.

Nous assistons aujourd'hui à un renversement de la politique américaine qui remonte à 1977. Le président Carter avait alors déclaré:

    Nous avons conclu que de graves conséquences peuvent découler du laxisme dont nous avons fait preuve face à la manutention de cette matière

—il s'agit du plutonium—

    et à son utilisation de plus en plus répandue par d'autres pays. Nous allons, avec d'autres pays, nous efforcer de trouver de meilleures réponses aux problèmes et aux risques qui découlent de la prolifération des armes nucléaires. Nous allons retarder indéfiniment le programme de retraitement et de recyclage du plutonium dans les usines nucléaires américaines.

Le plutonium est en outre une substance extrêmement dangereuse même lorsqu'il n'est pas intégré à une bombe. Des groupes terroristes pourraient menacer de contaminer des zones d'habitation ou les réserves d'eau. Il est donc vraiment dangereux de passer à une économie axée sur le plutonium.

Le Canada ne devrait pas prendre part au programme de combustible MOx. Nous devons user de diplomatie pour convaincre la Russie et les États-Unis qu'ils doivent utiliser d'autres méthodes pour éliminer leur plutonium et, par dessus tout, cesser d'en produire encore davantage, ce que fait actuellement la Russie.

• 1010

Il y a une nouvelle génération d'armes qui devrait nous préoccuper. Je parle des nouvelles armes à l'uranium appauvri utilisées par les États-Unis. Il s'agit d'une formule hybride d'armes conventionnelles et nucléaires. L'uranium appauvri, qui est de l'uranium 238, est utilisé dans le blindage des armes afin de les rendre encore plus meurtrières.

Selon nous, il s'agit bel et bien d'armes nucléaires. Même si elles ne peuvent produire une explosion nucléaire, elles explosent quand même et produisent une contamination radioactive. La demi-vie de l'uranium 238 est de 4 milliards d'années. Ainsi, grâce aux États-Unis, le sud de l'Iraq demeurera radioactif durant bien longtemps. La contamination radioactive s'étendra dans des secteurs bien éloignés du champ de bataille proprement dit.

En effet, au moment de l'impact, un projectile fabriqué en métal à l'uranium qui arrive à grande vitesse brûle partiellement et dégage des myriades de particules d'oxyde d'uranium de taille microscopique. Comme la poussière, ces particules peuvent être transportées sur de grandes distances par le vent. Les uniformes et autres vêtements contaminés par ces particules peuvent devenir des sources secondaires d'émanation radioactive qui risquent de contaminer le personnel médical qui traite les blessés et, si les uniformes et les vêtements sont retournés dans le pays d'origine de la victime, peuvent contaminer des civils.

Ces particules demeureront de façon permanente dans les poumons des personnes qui les respirent. La dose de radiation produite par des particules alpha dans les tissus pulmonaires immédiatement contigus à chaque particule d'uranium peut être élevée et continuera d'augmenter durant toute la vie de la personne. Plus les années passeront, plus la probabilité de cancer du poumon augmentera.

À vrai dire, on pourrait alléguer que les armes à l'uranium appauvri sont des armes de destruction massive, comme les armes biologiques ou chimiques. Les trois partagent une même caractéristique: l'invasion de l'organisme humain par des particules microscopiques qui provoquent de graves lésions, voire la mort. On pourrait même affirmer que les armes à l'uranium appauvri sont les pires de toutes en raison de leurs conséquences à long terme. Se pourrait-il que le syndrome du Golfe persique dont nombre de soldats alliés sont atteints soit attribuable à l'exposition à des radiations émanant des armes à l'uranium appauvri? Les taux de cancer ont augmenté chez les civils iraqiens des régions où de l'uranium appauvri a été abandonné.

Comme les armes chimiques, cette arme devrait être bannie par tous les pays civilisés. Ceux qui refusent de le faire ne devraient plus avoir accès à l'énergie nucléaire jusqu'à ce qu'ils bannissent eux aussi ces armes de destruction massive.

Le Canada devrait cesser tout échange nucléaire avec les pays qui possèdent des armes nucléaires. Il devrait également prendre fait et cause pour l'interdiction des armes à l'uranium appauvri, comme il l'a fait pour les mines terrestres. Ces nouvelles armes sont parmi les pires, parce qu'elles continueront de semer la maladie et la mort bien après la fin d'une guerre.

Le président: Je vous remercie.

Nous allons maintenant entendre M. Coombes, de End the Arms Race.

M. Peter Coombes (président, End the Arms Race): Merci.

Je suis président de End the Arms Race, l'un des principaux groupements pacifistes du Canada. Notre siège est à Vancouver. J'étais décidé aujourd'hui à commencer mon exposé en vous remerciant de m'avoir invité à Ottawa. J'ai malheureusement une plainte à formuler. Je me suis complètement gelé en marchant sur quelques centaines de mètres pour venir jusqu'ici. Je ne sais plus maintenant si je dois vous remercier ou non de cette invitation.

Le président: Vous comprenez maintenant ce qu'il nous faut supporter tous les ans.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): C'est un hiver non nucléaire.

Le président: Nous voulons simplement vous rappeler toute la chance que vous avez d'habiter à Vancouver.

M. Peter Coombes: Je vous signale que c'est déjà le printemps à Vancouver.

Le président: La plupart des Canadiens, lorsqu'ils viennent à Ottawa, vous disent: quelle chance nous avons d'habiter chez nous!

M. Peter Coombes: Merci de m'avoir invité. Je suis heureux d'être votre dernier témoin. Puisque je passe le dernier, j'espère pouvoir vous laisser une bonne impression.

Sur cette petite plaisanterie désarmante, je poursuis. Ce que je vais vous dire va vous surprendre, venant de quelqu'un comme moi, un militant de la paix, un pacifiste. Je suis d'accord avec M. Epstein pour dire que nous sommes actuellement dans la pire des situations. Toutefois, la guerre froide ayant pris fin, je considère qu'il est relativement peu probable qu'une guerre nucléaire à grande échelle soit déclenchée. Cela va probablement vous surprendre dans la bouche d'un pacifiste. Ce que je crois, et je pense que les faits le démontrent, c'est que dans un avenir rapproché, le plus grand risque est celui d'une attaque nucléaire limitée, une catastrophe prévisible. Nous sommes en train d'expérimenter les changements politiques et techniques qui rendent possible une guerre nucléaire limitée.

• 1015

Même durant la dernière crise entre les États-Unis et l'Iraq il y a eu des discussions, surtout des rumeurs, voulant que les États-Unis auraient recours à l'arme nucléaire pour démanteler les installations iraqiennes soupçonnées d'abriter des armes chimiques ou biologiques. Ce qui importe surtout dans ce cas, que la chose soit vraie ou non, c'est que dans le cadre de ce débat, cette solution a été présentée comme étant viable et même logique.

Je suis sûr que je n'ai pas besoin d'épiloguer pour l'instant sur l'inutilité des armements nucléaires en matière de dissuasion. Vous en avez entendu parler à maintes reprises par Physicians for Global Survival, les vétérans contre les armes nucléaires et l'Alliance canadienne pour la paix. Mes collègues, ici aujourd'hui, et bien d'autres intervenants, vous ont déjà exposé les dégâts que cause un armement nucléaire ainsi que l'inanité de la dissuasion nucléaire. Je suis heureux de savoir que vous avez reçu la transcription du discours du général Lee Butler, qui s'est prononcé sur la question avec tant de passion et avec une grande rigueur.

Dans le document que je vous ai présenté, intitulé «The New Global Threat, NATO Expansion & Limited Nuclear War», j'évoque les dangers d'un élargissement de l'OTAN et de l'évolution des politiques militaires. Les dirigeants du monde occidental en sont venus tacitement à la conclusion que l'Ouest a gagné la guerre froide. Selon ce mode de pensée, l'Ouest a non seulement le droit d'étendre son empire, mais il a aussi en fait intérêt à le faire.

L'OTAN est un pacte militaire. Ce n'est pas, comme certains veulent le dire, le garant de la sécurité de l'ensemble de l'Europe, et ce n'est pas non plus une institution économique ou politique. C'est une institution militaire, et probablement la première dans son genre dans le monde.

La politique actuelle des États-Unis, et par conséquent celle de l'OTAN, sont encore plus effrayantes en ce qui a trait aux armements nucléaires. La politique officielle de l'OTAN a toujours été de recourir en premier aux armes nucléaires, mais uniquement en cas d'attaque provenant d'un État nucléaire. Comme nous l'avons entendu dire tout à l'heure par M. Epstein, la politique officielle des États-Unis est aujourd'hui de recourir à l'arme nucléaire contre tout pays qui menace leur sécurité avec des armes impliquant une destruction massive, qu'elles soient nucléaires, chimiques, biologiques ou radiologiques.

Les nouvelles cibles des armes nucléaires sont les pays du tiers monde et l'on trouve en bonne place sur la liste des pays visés par les États-Unis des pays comme la Libye, l'Iran, la Corée du Nord et l'Iraq. Pour pouvoir rajouter les pays du tiers monde à la liste, il faut renforcer les systèmes d'armement. Ce renforcement est déjà en cours.

La Russie adopte elle aussi ces mêmes politiques. Au début de l'année 1996, à la suite de l'annonce du projet d'élargissement de l'OTAN, la Russie a rapidement et publiquement abrogé sa politique aux termes de laquelle elle s'engageait à ne pas faire usage en premier des armes nucléaires. Chose encore plus importante, la Russie envisage de réduire de moitié ses forces terrestres avant 2005 et de s'en remettre davantage à ses armements nucléaires dans les conflits à venir. La nouvelle doctrine militaire de la Russie sera bientôt appliquée et ce pays pourra recourir aux armes nucléaires dans les conflits locaux ou régionaux ou en cas de guerre majeure.

De leur côté, la Chine, Israël et le Pakistan ne renonceront pas à leurs armes nucléaires tant que les grandes alliances militaires dans le monde continueront à en posséder.

Il semble donc que la stratégie d'une guerre nucléaire limitée ait été adoptée par tous les pays qui sont actuellement en possession d'armements nucléaires. L'une des grandes menaces dans le monde actuel, c'est la disparition du tabou social et politique qui veut que l'on ne doit jamais recourir aux armes nucléaires. La Russie et les États-Unis ont adopté cette politique et, pour l'essentiel, tous les États nucléaires se dotent de politiques similaires. K.B. Menon, l'attaché militaire indien aux États-Unis, déclare

    ... Selon la politique officielle, l'option nucléaire doit toujours être présente. Si l'on s'engage dans un conflit, et même si l'on perd la guerre, il faut que l'on soit en mesure de porter un dur coup à la partie adverse.

Il fait référence aux armements nucléaires.

• 1020

Il y a aussi l'apparition d'une nouvelle technologie qui permet de recourir aux armements nucléaires à plus petite échelle, réduisant par là même la destruction globale et le nombre de morts, ce qui la rend plus acceptable. On peut même dire que l'installation éventuelle d'un système de missiles antiballistiques aux États-Unis, ainsi que la participation éventuelle du Canada, rendront davantage possible des attaques nucléaires limitées.

Si toutes ces conditions subsistent et si les gouvernements ne parviennent toujours pas à se débarrasser des armements nucléaires, il y a un risque—faible, cependant—qu'une bombe nucléaire soit utilisée dans les deux ou trois prochaines années contre un État mis hors la loi. Il est plus probable qu'une bombe nucléaire sera utilisée dans les 15 prochaines années. Malheureusement, tant qu'il y aura des armes nucléaires et tant que cette situation perdurera, je pense qu'au cours de ma vie nous allons assister pour la deuxième fois de notre histoire à l'explosion d'une bombe nucléaire, et cela dans les 25 à 30 prochaines années. Il est plus que probable qu'elle sera employée contre un pays du tiers monde, contre un État qui ne pourra pas riposter.

Il y a des recommandations simples et claires qui doivent être faites à mon avis. Tout d'abord, il faut que le Canada, conformément à la tradition qui est la sienne, appuie le droit international et s'en tienne strictement à l'avis juridique de la Cour internationale de justice, qui a jugé que le recours ou la menace d'un recours aux armes nucléaires était illégal.

En second lieu, il faut que le Canada se retire de toutes les alliances qui autorisent le recours ou la menace de recours aux armes nucléaires.

Troisièmement, le Canada, par l'entremise des États-Unis, peut contribuer à fonder une alliance mondiale s'appuyant sur des systèmes de sécurité communs ou mutuels et non pas sur des systèmes de sécurité de type militaire ou axés sur la confrontation.

Quatrièmement, il faut que le Canada collabore étroitement avec d'autres puissances moyennes afin d'appuyer la désactivation des armements et refuser le recours en premier aux armes nucléaires.

Enfin, le Canada peut et doit prendre l'initiative en ce qui a trait à l'organisation d'une conférence internationale visant à supprimer toutes les armes nucléaires.

Le président: Merci, monsieur Coombes.

Avant de passer aux questions, je me demande si l'on ne pourrait pas régler une affaire interne au cas où les membres du comité devraient nous quitter avant midi. Le rapport du sous-comité sur l'AMI a désormais été distribué à tout le monde et nous n'en avons plus. Je sais que de nombreux membres du public continuent à être très intéressés par ce rapport. Je recommande que le comité autorise la publication de 750 copies supplémentaires, qui nous coûteront 4 100 $.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): D'accord.

Le président: Merci bien. Vous avez des questions, monsieur Turp?

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président.

J'aimerais remercier les cinq témoins de leur participation à nos travaux. Je voudrais aussi vous dire que ce n'est pas l'absence des députés de l'opposition qui fait que le Bloc québécois, comme parti d'opposition, ne s'intéresse pas à cette question-là. En effet, j'y suis et j'ai été intéressé par vos exposés. J'ai même eu l'occasion de lire quelques-uns des exposés avant de venir ici.

Juste pour mettre un peu de vie dans les travaux de notre comité ce matin, j'aimerais vous dire combien j'ai été surpris, il y a quelques jours, d'entendre un spécialiste des questions d'astronomie nous parler de l'arrivée éventuelle d'un astéroïde qui pourrait entrer en collision avec la Terre—c'est d'actualité, n'est-ce pas—et nous dire que la seule façon de prévenir cette collision serait d'utiliser l'arme nucléaire.

J'ai été également un peu surpris et intéressé par une opinion qui venait de quelqu'un de très sérieux, très respecté dans nos milieux scientifiques et universitaires, et qui m'interpellait, moi qui, comme vous, crois que l'arme nucléaire doit être complètement éliminée dans le cadre d'une convention à laquelle les pays devraient adhérer.

• 1025

J'ai été un peu surpris par ce discours, me demandant s'il y avait là une certaine vérité qui remettrait en question vos idées à vous et les idées de certains États.

J'aimerais d'abord vous entendre réagir sur cette question qui n'a jamais été abordée devant ce comité. Cela nous permettra peut-être de voir s'il s'agit ou non d'une idée tout à fait saugrenue de la part de quelqu'un qui craint pour la planète et son sort pendant le prochain siècle.

J'aimerais poser une question concernant le projet MOX à Mme Adelson, M. Penna, M. Coombes et M. Sinclair. Ce projet nous inquiète, nous préoccupe. Je pense qu'il doit préoccuper tous ceux qui ne veulent pas voir les armes nucléaires proliférer dans le monde. Pourriez-vous nous dire les raisons pour lesquelles ce projet-là ne devrait pas se faire? Pourriez-vous nous dire très clairement les raisons pour lesquelles ce comité devrait recommander que l'on ne poursuive pas les travaux et qu'on n'autorise pas véritablement ce projet?

Nous n'avons pas eu de réponse satisfaisante à ce sujet de la part de vos collègues et j'aimerais bien la connaître. Je voudrais aussi demander à M. Epstein, que j'ai eu le plaisir d'entendre à la réunion du Conseil canadien de droit international au mois d'octobre, à la conférence de clôture, et qui a une expérience aux Nations unies et dans les milieux internationaux, de nous dire comment le Canada ou d'autres pays peuvent convaincre les États-Unis de changer leur position sur cette question et convaincre les pays de l'OTAN d'accepter que l'OTAN modifie sa politique de première frappe et modifie généralement sa politique à l'égard de l'arme nucléaire.

Il me semble que dans ce casse-tête, ce sont les États-Unis qui doivent être convaincus. Mais comment peuvent-ils l'être dans ce domaine puisqu'ils n'ont pas pu l'être dans le domaine des mines antipersonnel? Voilà mes trois questions.

[Traduction]

Le président: Qui veut commencer?

Selon les réponses que vous apporterez à cette question, il nous faudra peut-être changer le nom de notre comité et l'appeler comité sur les affaires étrangères et extraterrestres. Nous verrons où ça nous mènera.

Monsieur Sinclair.

M. Neil Sinclair: Je vais répondre à la première question sur l'astéroïde.

Même si les armes nucléaires ou les explosifs n'existaient pas à l'heure actuelle, cet astéroïde doit passer à proximité de la terre dans 28 ans. Cela nous laisse suffisamment de temps pour construire à partir de zéro un appareil nucléaire le détournant de sa course.

Si nous ne constations la présence d'un astéroïde qu'à la dernière minute, ce serait trop tard de toute façon pour recourir à un appareil nucléaire parce qu'il serait trop près pour qu'on puisse le détourner de sa course vers la terre. Nous serons avertis suffisamment à l'avance pour construire un appareil nucléaire.

M. Daniel Turp: Est-ce qu'il faut qu'il soit nucléaire?

M. Neil Sinclair: Tout dépend de la taille de l'objet, mais l'intérêt du nucléaire, c'est que l'on dispose d'un pouvoir d'explosion à l'intérieur d'un dispositif très compact.

M. Daniel Turp: C'est l'argument qui était présenté. Il faut un appareil nucléaire de cette puissance pour pouvoir faire le nécessaire.

M. Neil Sinclair: Toutefois, nous n'en avons pas besoin tant qu'il n'y a pas de menace et, à ce moment-là, nous pourrons le construire à partir de zéro. Nous n'allons pas oublier les techniques nécessaires; nous les connaîtrons toujours. Nous n'avons pas besoin d'avoir des milliers de têtes nucléaires dans le monde, ce qui m'apparaît comme étant plus menaçant qu'un astéroïde qui viendrait frapper notre planète.

Le président: Aha! Il y a d'autres gens qui veulent donner leur avis.

Mme Anne Adelson: Je n'avais jamais entendu quelqu'un avancer sérieusement cet argument, et je suis tout aussi surprise que vous. J'imagine que si un astéroïde venait s'écraser sur la terre, nous aurions déjà suffisamment de difficultés comme cela sans avoir encore à subir les retombées d'une explosion nucléaire sur notre sol.

• 1030

Je me pencherai donc sur la question, mais je pense que nous pourrions nous passer de ces difficultés supplémentaires.

Il est peut-être temps que je passe à la question que je veux directement poser. Pourquoi pas? En quoi le projet MOx est-il déficient? Comme je l'avais promis, je me préparais à annexer la déclaration de Nix MOx, la protestation internationale contre le combustible MOx, qui précise avec force pour quelles raisons les gens, dans le monde entier, disent non.

Tout d'abord, cette solution ne nous permettra pas de nous débarrasser du plutonium. C'est ainsi qu'on la présente, c'est comme si on allait le brûler comme s'il s'agissait d'un combustible fossile. Eh bien, ce n'est pas un combustible fossile. Le plutonium est une matière produite par l'homme. Il provient des réacteurs nucléaires et, par conséquent, tout réacteur nucléaire va produire davantage de plutonium. Cela ne va pas nous débarrasser du problème. On va peut-être légèrement tourner la difficulté en rendant la matière plus radioactive et plus difficile à manier et donc moins accessible dans les bombes, mais ce n'est qu'un expédient à court terme et mineur. En fait, nous continuerons à avoir du plutonium, qu'il entre ou non dans les réacteurs CANDU.

Il en résultera toute une série d'autres difficultés. J'en ai dressé la liste en annexe, mais je peux vous indiquer certaines d'entre elles. Tout d'abord, nous allons en faire le transport dans le monde entier avec tous les risques de dommages, d'explosions, d'attaques terroristes et d'accidents que cela représente.

Nous allons renforcer le contrôle des entreprises et les intérêts acquis dans la filière du plutonium.

La distinction entre usage civil et militaire va être encore plus floue. Un certain nombre de témoins nous ont déjà déclaré que les directives correspondantes sont peu claires à l'heure actuelle. Rien ne nous permet d'affirmer que l'uranium canadien ne va pas finir par se retrouver dans une bombe atomique, et même si nous pouvions dire que notre uranium va rester à part, tout pays qui produit des bombes aura en conséquence de l'uranium disponible qu'il pourra utiliser à cette fin.

Pour le plutonium, c'est à peu près la même chose. Si du plutonium à usage militaire se retrouve dans un réacteur nucléaire qualifié de civil, cela ne revient qu'à brouiller les pistes et c'est une menace pour le traité de non-prolifération. Un certain nombre de témoins ont déclaré qu'il était particulièrement important aussi de pouvoir compter sur des traités internationaux.

Il y a des effets sur la santé à tous les niveaux. Il y a des effets sur l'environnement. Il y a aussi un grand nombre d'effets sur nos droits civils parce que les mesures de protection doivent être extrêmement strictes, surtout lorsque cette matière doit être transportée sur des milles et des kilomètres.

Cela va nous coûter une fortune. Il va falloir subventionner cette filière. Il va falloir aussi nous assurer, ce qui à notre avis n'est pas une bonne chose, que les réacteurs nucléaires pourront rester en activité pendant les 25 ans à venir, même si ce n'est pas dans l'intérêt du Canada.

Que voulez-vous de plus?

M. Daniel Turp: Il y a bien des motifs de refuser ce projet, mais quel est le principal d'entre eux?

Mme Anne Adelson: Je vous renvoie la balle. Pourquoi acceptez ce projet?

M. Daniel Turp: Certains disent qu'il présente des avantages financiers pour le Canada.

Mme Anne Adelson: Il n'y a pas d'avantage financier. Ce projet va nous coûter beaucoup d'argent. Ce n'est pas avantageux.

M. Daniel Turp: C'est donc cela la principale raison?

Mme Anne Adelson: Non. Je dirais que la principale raison, c'est qu'en conséquence notre monde devient bien plus dangereux. C'est là l'essentiel.

En vertu de la doctrine de la sécurité commune, voilà en fait où nous allons. Je l'ai dit tout à l'heure, nous avons constaté avec plaisir que le ministre raisonnait en termes de sécurité des personnes lorsqu'il s'agissait d'envisager la paix à venir. Les armements militaires, qu'ils soient classiques ou non, ne rendent pas notre monde plus sûr.

En fait, la militarisation est une menace pour la sécurité. C'est ce qui ressort par ailleurs d'un rapport publié récemment par Carnegie, dans lequel on nous dit que la militarisation est en fait une menace pour notre société. On nous a laissé entendre en quelque sorte que les «sabres allaient se transformer en charrues» et que toutes ces retombées dangereuses finiront par disparaître. Elles ne vont pas disparaître. Elles vont rester. Elles vont rester pendant des milliers d'années.

Le plutonium a une demi-vie incroyablement longue et, par conséquent, même si l'on adopte des mesures de protection pour que ce plutonium n'entraîne aucun dérapage au cours de votre mandat de député, que va-t-il se passer lors d'un mandat intervenant dans des milliers d'années? Qu'allez-vous faire pour faire respecter la réglementation à ce moment-là?

• 1035

Il n'y a aucun moyen de se débarrasser en toute sécurité du plutonium. Il n'y a que des moyens un peu plus sûrs et moins risqués. Nous appuyons les dispositifs d'immobilisation dont votre comité a entendu parler, mais ce n'est ce qui va donner au monde plus de sécurité.

Le président: J'aimerais aller un peu plus loin dans cette voie parce que de toute évidence cela inquiète tout le monde. Le meilleur argument qu'on nous ait présenté est le suivant: «Bien sûr, nous savons que ce petit jeu est dangereux et complètement fou mais il serait préférable, moins dangereux et moins fou d'en assumer le contrôle plutôt que de le laisser entre les mains d'une Russie aussi instable qu'elle l'est actuellement.» Il y a déjà un témoin qui nous a dit que les Russes allaient s'en remettre aux armes nucléaires parce que leurs forces classiques se dégradaient.

Je suis allé dernièrement en Russie et j'ai parlé à des membres du Congrès des États-Unis, qui me disaient que le système est grandement défectueux. Il n'y a qu'à voir l'exemple de la boîte noire qui nous a été donné par M. Epstein pour constater que leur système ne marche pas.

L'argument qui nous est présenté est le suivant: comment se fait-il, si cette matière est aussi dangereuse que vous le dites, que vous la laissiez là-bas? Les autres peuples du monde n'ont-ils pas le devoir d'en assumer le contrôle et de s'assurer qu'elle est rendue aussi «inoffensive» que possible? Ce n'est pas le dilemme du prisonnier, mais c'est en quelque sorte... C'est le dilemme. Qu'est-ce qui est le moins dangereux? C'est là notre problème.

Lorsqu'on nous dit que nous allons courir un danger si nous en assumons le contrôle... nous avons déjà entendu et nous connaissons cet argument. Ce qu'il nous faut savoir, cependant, c'est s'il est moins dangereux de laisser tout cela là-bas. Sinon, est-ce que tout cela ne va pas de toute façon traverser le pôle et se retrouver au-dessus de nos têtes si nous restons les bras croisés en disant simplement que nous n'en voulons pas? Voilà ce qui doit nous inquiéter.

Mme Anne Adelson: Je dirais simplement une chose. Les autres intervenants ajouteront alors leur mot. Ce projet de combustible MOx va transformer le plutonium en une simple marchandise. Je pense que c'est ça qui le rend très dangereux. Si votre comité pouvait affirmer dès le départ qu'il s'agit là d'une substance dangereuse qui exige un contrôle délicat et complexe, ce serait une très bonne chose. Si l'on en fait une marchandise, si l'on prenait le risque d'entrer dans une économie axée sur le plutonium avec tous les dangers que cela entraîne... avec un raisonnement du genre «on nous a dit que c'était une erreur mais nous pouvons toujours développer un peu la chose pendant un certain temps».

Donc, pour commencer, si on laisse tout cela là-bas on ne prend pas les risques du transport. Vous trouverez quelque part dans nos documents une carte des trajets à suivre. Ce n'est pas quelque chose dont quelqu'un doit pouvoir bénéficier financièrement à l'avenir. Je pense que c'est la principale raison pour laquelle il faut que ça reste là-bas.

Le président: Merci. Voilà qui est bien utile.

Monsieur Epstein.

M. William Epstein: Merci, monsieur le président.

Tout d'abord, si vous me le permettez, sur la question des astéroïdes, je n'ai rien d'un astrophysicien, mais je parle avec toutes sortes de scientifiques. Vous avez raison; il va se passer des années avant que cet événement ne se produise. Selon une première prévision, il doit passer à 30 000 milles de la terre. Après révision, ce sera plutôt à 600 000 milles.

Il est vrai qu'un certain nombre de gens ont proposé le recours aux armes nucléaires en raison de leur puissance considérable. Toutefois, étant donné que cela se passe dans le vide, et vous savez que les astronautes peuvent se déplacer dans ce milieu sous l'effet du moindre jet d'air... d'autres voix se font entendre pour nous dire que nous avons largement le temps de mettre au point des armes classiques dont l'effet sera suffisant pour le détourner de son cours, sans compter que de toute façon il n'y a pas de quoi trop s'inquiéter s'il doit passer à 600 000 milles de nous.

Pour ce qui est du combustible MOx, je ne puis qu'être d'accord avec Mme Adelson. Le problème, c'est que les puissances nucléaires croulent tout simplement sous le plutonium. Elles ne savent pas qu'en faire. On ne peut s'en débarrasser que de deux façons. On peut soit le brûler dans des réacteurs, soit l'enterrer quelque part dans l'écorce terrestre. J'ai entendu dire que l'on peut s'enfoncer de deux milles dans le bouclier cambrien—il est stable depuis de nombreuses années—pour y enterrer le plutonium, qui a une demi-vie... il faut un quart de millions d'années avant que le plutonium ne perde sa radioactivité.

Je suis tout à fait d'accord avec Mme Adelson lorsqu'elle dit que si le plutonium devient une marchandise et que si l'on décide de s'en servir à des fins pacifiques, nous allons tout simplement nous retrouver avec trop de plutonium dans le monde. La seule chose qu'on peut faire, c'est l'enterrer. Si les scientifiques et les techniciens passaient autant de temps à se demander comment on peut se débarrasser du plutonium qu'ils n'en ont passé à développer l'industrie du plutonium et les armes les plus complexes et les plus dangereuses dans le monde, nous trouverions un moyen de nous en débarrasser.

Voilà pourquoi c'est par une interdiction pure et simple que l'on pourra se débarrasser des armes nucléaires. La seule façon d'éliminer les conséquences du plutonium, c'est de le supprimer complètement. La seule façon de le supprimer, en raison de sa longue période de radioactivité, c'est de l'enterrer. On a parlé de brûler les déchets et le plutonium à l'intérieur d'une montagne de l'Utah ou du Nevada, je crois. Je ne me souviens pas du nom pour l'instant. Si les responsables s'y mettaient et s'ils décidaient vraiment de s'en débarrasser, ils trouveraient le moyen de le faire, et ce serait mieux que de chercher des moyens de faire en sorte que cette industrie poursuive ses activités pendant des années, dans les réacteurs civils et par l'intermédiaire d'autres filières, que la combustion se fasse avec du combustible MOx ou avec du plutonium pur. C'est tout simplement trop dangereux parce que si l'on conserve autant de plutonium, les terroristes vont finir par s'en emparer.

• 1040

Pour ce qui est de votre dernière question, sur la façon dont on peut convaincre les autres pays, ou dont le Canada peut convaincre les États-Unis et les autres puissances, il y a un vieux dicton qui nous dit qu'en politique et en diplomatie on ne doit jamais dire jamais. Il nous a fallu 40 ans aux Nations Unies pour nous débarrasser du colonialisme alors que pourtant c'était vraiment quelque chose qui nous tenait à coeur. Les puissances coloniales ont freiné des quatre fers, mais nous avons réussi à nous en débarrasser. Il nous a fallu à peu près le même temps pour nous débarrasser de l'apartheid en Afrique du Sud. On nous disait que nous n'y arriverions jamais, que nous ne pourrions jamais la convaincre.

Je me souviens d'avoir été nommé à titre de consultant auprès des pays latino-américains, qui cherchaient à dénucléariser leur région. Les quatre puissances nucléaires de l'époque—à l'exception de la Chine, qui n'était pas membre de l'ONU—m'ont dit que je perdais mon temps, qu'on connaissait bien les Latino-américains, qu'ils étaient très forts pour faire des discours et analyser le droit international, mais qu'ils ne passaient jamais aux actes. Pourtant, ils ont convenu d'un traité. La Grande-Bretagne l'a signé immédiatement, parce que son gouvernement était dirigé par Harold Wilson. La France, les États-Unis et la Russie ont déclaré qu'ils ne signeraient jamais. Ils avaient tous de bonnes raisons pour ne pas le faire. Qu'en est-il 25 ans plus tard? Ils l'ont tous signé.

Il faut voir aussi que lorsqu'on a lancé l'opération de modification du Traité d'interdiction partielle des essais nucléaires, non seulement toutes les puissances nucléaires ont déclaré que nous perdions notre temps mais, parallèlement, le ministre canadien des Affaires étrangères a publié un communiqué déclarant qu'il s'agissait d'un détournement irresponsable du mécanisme de désarmement et que cela ne serait jamais suivi d'effet étant donné que les trois puissances nucléaires disposaient d'un droit de veto. Nous savions qu'elles ne voteraient pas pour cette mesure mais, à la suite de nos efforts, nous avons fini par obtenir le traité interdisant tous les essais nucléaires. L'interdiction des essais était devenue la dernière priorité de la communauté internationale; nous l'avions au moins ramené sur le devant de la scène.

Personne ne sait combien de temps cela va prendre. Toutefois, la seule façon de se débarrasser éventuellement de ces armes ou de faire en sorte que les pays modifient leurs politiques, c'est d'amener de plus en plus de pays à exercer des pressions, de défendre notre cause et de sensibiliser l'opinion publique.

C'est un phénomène s'apparentant à une croisade morale qui a amené la communauté mondiale à se débarrasser des mines terrestres antipersonnelles dans le cas du traité d'Ottawa même si trois puissances nucléaires, la Russie, la Chine et les États-Unis, s'y opposaient. Vous verrez que tôt ou tard ils y viendront.

Continuons donc à exercer des pressions et à faire en sorte que le Canada prenne l'initiative, comme il l'a fait pour les mines antipersonnelles. Ces dernières estropiaient 25 000 personnes par an, mais les armes nucléaires, même si on les utilise à petite échelle, peuvent tuer des millions de personnes en quelques minutes. Essayons simplement de faire notre devoir. Il nous faudra peut-être encore attendre 10, 20 ou 30 ans, mais la logique et le droit finiront par s'imposer.

Le président: Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): J'ai trois questions à poser. La première porte sur l'observation faite par M. Sinclair au sujet de l'AMI et du fait que cet accord va limiter, si j'ai bien compris—vous pourriez peut-être le préciser à mon intention—la possibilité pour le Canada de contrôler les exportations. C'est bien ce que j'ai compris?

M. Neil Sinclair: Oui. Après avoir lu et étudié le document qui a été publié au début de l'année dernière, qui compte 176 pages, et après en avoir discuté avec un certain nombre de personnes, je constate que les investisseurs ont le droit d'exporter sans restriction leurs produits. Toute mesure prise par un gouvernement, tel que l'arrêt des exportations, qui entraîne une perte de bénéfices, doit être suivie d'indemnisation. C'est un peu comme l'Ethyl Corporation, qui a intenté une poursuite de 347 millions de dollars contre le gouvernement canadien. C'est ce genre de mécanisme qui se mettrait en place.

• 1045

Dans le cas de la Cogema, si l'on interrompait les exportations d'uranium de la Cogema vers la France, cette dernière, qui est un investisseur au Canada, pourrait en vertu de l'AMI poursuivre le gouvernement canadien afin d'obtenir la compensation de la perte de ses bénéfices pendant 20 ans.

M. Julian Reed: Connaissez-vous toutes les réserves qu'a faites le Canada à la table des négociations?

M. Neil Sinclair: Je ne connais que celles qui ont été faites au début de l'année dernière.

M. Julian Reed: De toute évidence, vous ignorez donc que le Canada s'est montré très ferme pour dire que la définition de l'expropriation, c'est le chapitre qui nous concerne ici, devrait être celle qui est acceptée au plan international. Cette définition ne s'applique pas aux transactions commerciales. Elle ne s'applique qu'à l'expropriation de biens corporels, en l'occurrence les terrains, les bâtiments, etc. C'est une définition que l'on qualifie de restrictive. Elle a historiquement été acceptée par la jurisprudence canadienne et elle est aussi acceptée par le droit international.

Je vous invite à être très prudent dans vos commentaires au sujet de l'AMI. Nous n'en sommes qu'à la deuxième semaine de négociations. Ce que vous avez pu lire sur l'Internet en mai dernier n'était simplement qu'un avant-projet lancé à titre de ballon d'essai par un groupe de 29 pays. Les négociations ne font que commencer et le Canada a eu bien des choses à dire au sujet de l'expropriation—sur le point précis que vous mentionnez—déclarant qu'il n'est pas disposé à accepter autre chose que la définition restrictive de l'expropriation.

M. Neil Sinclair: Bien, j'en prends acte, mais j'aimerais faire une observation. Nous avons essayé de faire venir des représentants du gouvernement à Saskatoon pour discuter de ce document et ce fut absolument impossible. C'est pourquoi je suis peut-être un peu moins bien informé que vous ne l'êtes ici. Le gouvernement n'a pas vraiment cherché à aider les parties concernées à se familiariser avec ce document.

M. Julian Reed: Je ne tiens pas à engager un débat au sujet de l'AMI, mais il se trouve que je le connais très bien. Vous n'avez qu'à m'envoyer une lettre et à m'inviter.

M. Neil Sinclair: Très bien.

Le président: Avez-vous un exemplaire du rapport du sous-comité sur l'AMI? Avez-vous consulté le rapport du sous-comité?

M. Neil Sinclair: Non.

Le président: Voilà deux mois qu'il est disponible sur Internet; c'est un document tout à fait public. Je vous le recommande fortement. Vous verrez que la question de l'exemption portant sur la sécurité nationale y est très clairement exposée. Tous les documents internationaux, qu'ils émanent de l'OMC ou d'ailleurs, font état de réserves très claires au sujet de la sécurité nationale. Nous avons toujours fait savoir très clairement que les exportations d'uranium de notre pays relèvent de la sécurité nationale. Il n'est pas question qu'elles soient assujetties aux règles normales du commerce. À vous parler bien franchement, je ne pense pas que le problème se pose véritablement. Je ne dis pas qu'il n'y a aucune raison de s'inquiéter au sujet de l'AMI—il y a bien de quoi s'inquiéter—mais pas sur ce point à mon avis.

Je m'aperçois que M. Turp fait lui aussi un signe d'assentiment.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed: Ma deuxième question porte sur l'observation faite par M. Coombes concernant le fait que l'Ouest a gagné la guerre froide. Est-ce que vraiment, M. Coombes, quelqu'un peut gagner une guerre?

M. Peter Coombes: Je n'ai pas dit que nous avions gagné la guerre froide. Je laissais entendre que l'on estimait généralement dans nos pays, et que de nombreux chefs de gouvernement dans le monde, les médias ainsi que les politiciens, considéraient que le monde occidental avait gagné la guerre froide. Ce n'est certainement pas ma conviction. Je ne pense absolument pas que nous ayons gagné la guerre froide—loin de là. Les deux camps ont perdu la guerre froide.

M. Julian Reed: Tout le monde perd dans une guerre. Je pense que vous serez d'accord avec moi sur ce point. On peut aussi se demander si nous avons gagné la deuxième guerre mondiale. Nous avons repoussé un terrible danger, mais quant à savoir qui a gagné, lorsqu'on examine l'histoire et la façon dont elle se déroule, il n'y a finalement pas de vainqueur. Du moins, c'est ce que je prétends ici devant votre comité.

Mme Adelson nous a parlé du combustible MOx, et je suis d'accord avec une grande partie de ce qu'elle a dit. Si on le brûle dans un réacteur, on produit encore plus de plutonium. On peut réduire quelque peu la teneur, mais que gagne-t-on? Quelles sont les conséquences nettes?

• 1050

Notre président a laissé entendre—et je suis d'accord avec lui sur ce point—que si le Canada pouvait s'assurer d'un meilleur contrôle du plutonium disponible dans le monde, nous pourrions éventuellement faire quelque chose pour garantir la sécurité à long terme du plutonium.

Il a été proposé à votre comité de le vitrifier. Je ne sais pas où en est la technique correspondante. J'ai vu de mes propres yeux une opération de vitrification de déchets radioactifs, mais il s'agissait de déchets liquides de différents types.

Nous sommes donc en face d'un dilemme. C'est un problème qui se pose.

Pour ce qui est du transport du plutonium, j'ai vu la carte, la route passe directement par mon village. Cela ne m'inquiète pas du tout. Si vous laissez tomber un morceau de plutonium, vous pouvez le ramasser à la main si vous n'avez aucune coupure parce que les rayons radioactifs sont si courts qu'ils ne peuvent pas vous brûler. Je vois que tout le monde n'est pas d'accord.

Ce n'est pas le transport qui m'inquiète. Ce qui me préoccupe, c'est de savoir si nous tenons compte de tous les paramètres pour faire un choix intelligent, prendre une décision intelligente. Voilà le dilemme qui se pose aux membres du comité. J'ai bien peur que l'emploi du combustible MOx dans nos réacteurs nucléaires ne fasse pas grand-chose en fait pour éliminer ce problème.

On a proposé d'enterrer le plutonium alors que pourtant, dans une étude que vient de publier un comité la semaine dernière, on nous dit que ce n'est pas possible au Canada parce que l'opinion publique n'est pas prête à l'accepter. Vous avez probablement lu ce rapport. Que fait-on alors?

Mme Anne Adelson: Je vais commencer par l'AMI. Je suis très heureuse que votre comité ait émis des réserves, que le gouvernement canadien soit en train de négocier une liste de réserves.

En ce qui me concerne, et certains de mes collègues seront probablement d'accord avec moi, j'espère bien que ces réserves ne resteront pas en l'état mais qu'elles seront incorporées au texte juridique du document pour qu'on ne puisse pas dire simplement que l'on a quelques inquiétudes au sujet de certaines choses. Faisons en sorte que la législation soit bien précise pour que toutes les dispositions qui vous inquiètent ne puissent causer des difficultés une fois que l'on aura signé l'AMI.

Je vous invite à ne pas vous contenter de mentionner vos sujets d'inquiétude et à vous assurer que si l'on ne tient pas compte dans le texte juridique de ces réserves, vous n'en signerez pas les clauses; vous ne signerez pas l'AMI. Voilà ce que j'en pense.

Je serais très heureuse de pouvoir consulter tous ces documents. Lorsque j'ai demandé à mon député si je pouvais avoir une copie de l'AMI, il m'a dit que c'était impossible. Je pouvais en prendre connaissance par Internet et par différents moyens, mais la procédure n'est pas très simple.

M. Julian Reed: Donnez-moi votre adresse. Je vous en ferai parvenir une copie.

Mme Anne Adelson: Merci.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Qui est votre député?

Mme Anne Adelson: Jim Peterson.

Maintenant, j'en viens...

Le président: Notre bureau reçoit lui aussi de nombreuses demandes. Le problème, c'est que c'est un très gros document, vous le savez, qui revient très cher, et les parlementaires n'ont qu'un budget limité. Si j'avais dû répondre à toutes les demandes de copies de l'AMI qui ont été présentées à mon bureau, je vous avoue bien franchement qu'il m'aurait fallu aller voir le président de la Chambre lui demander une rallonge de 10 000 $ à mon budget.

Nous n'avons pas les budgets nécessaires et, par conséquent, je ne pense pas que M. Peterson ait fait preuve en quoi que ce soit d'une mauvaise volonté. Simplement, nos budgets sont très limités et il nous faut faire des choix pour mieux servir les gens de notre circonscription. C'est un sujet qui nous préoccupe parce que l'intérêt est grand dans le pays en ce qui concerne l'AMI et parce que nous voulons mieux répondre aux attentes.

Il n'en reste pas moins que je vous recommande fortement de consulter notre rapport.

Mme Anne Adelson: Je le ferai avec plaisir.

Le président: On y dit clairement qu'il n'est pas question que le gouvernement canadien signe cet accord tant que l'on n'aura pas pris en compte ces objections, et le gouvernement a répondu en déclarant qu'il n'apposerait pas sa signature.

Mme Anne Adelson: Très bien.

[Français]

M. Daniel Turp: M. Marchi n'a pas été clair là-dessus en Chambre des communes. Ce n'est pas clair du tout. Je suis d'accord sur vos critiques sur la transparence du gouvernement dans cette question. Très d'accord.

[Traduction]

Mme Anne Adelson: Je vais répondre à votre question au sujet de ce que nous devons faire du combustible MOx, qui est la question que Julian Reed m'a posée.

• 1055

Il n'y a pas de réponse simple. Je me range à presque tout ce que mes collègues ont affirmé, mais M. Epstein n'est pas venu au Canada. J'étais de ceux qui ont été soulagés d'apprendre que nous ne pouvions pas enfouir de déchets nucléaires sous le bouclier canadien, car un tel projet pose de nombreux problèmes.

Il n'y a pas de solution parfaite. La vitrification semble être un moindre mal. Au moins, elle sort le combustible du cycle économique.

Vous avez soulevé la question de l'instabilité en Russie. De nombreux scientifiques de l'énergie nucléaire sont en chômage, et nous ne devrions vraiment rien faire pour les encourager à lancer un nouveau cycle de technologie nucléaire susceptible de favoriser l'apparition de nouvelles armes nucléaires.

Je ne crois pas que nous serons plus en sécurité simplement parce que nous aurons le contrôle. Même si vous croyez—certains ne seraient pas d'accord—que le transport est sûr, il suffit de songer à tous ces kilomètres où pourraient se produire des vols, des accidents, des attentats terroristes.

Il y a du combustible MOx qui a disparu. Malgré toutes les mesures de sécurité que nous sommes censés avoir mises en place, il y a du plutonium qui a disparu.

Je ne crois pas que cette solution nous offre plus de sécurité. Il est facile de dire qu'au moins, quand c'est au Canada...

J'attire à nouveau votre attention sur le fait que ce combustible a une très longue demi-vie. Nous pouvons croire que notre pays est très stable. Notre pays compte 200 ans d'histoire. Le Canada existe depuis 200 ans, et nous envisageons l'avenir dans des centaines de milliers d'années. De quelle façon pouvons-nous garantir la stabilité si loin dans le futur?

J'appuie, au nom de La Voix des femmes, l'option de l'immobilisation, qui m'apparaît comme la meilleure solution. Je crois qu'elle crée moins de problèmes que l'initiative touchant le combustible MOx.

M. William Epstein: Pour en revenir à la question de M. Reed au sujet de la vitrification et des autres solutions qui s'offrent à nous, la National Academy of Sciences, un organisme gouvernemental américain, a produit un rapport sur cette question il y a trois ou quatre ans.

Les auteurs concluaient qu'il n'y avait que deux façons possibles de régler le problème. L'une consistait à vitrifier le combustible dans d'énormes blocs, des briques, et de l'enfouir très profondément sous la terre. L'autre consistait à brûler le plutonium dans les réacteurs, qu'il s'agisse de plutonium pur ou de combustible MOx.

Ils ont affirmé qu'ils n'avaient pas de solution parfaite dans l'un ou l'autre de ces cas, qu'il fallait procéder à de nouvelles recherches et produire de nouvelles études parce qu'ils n'avaient pas réussi à trouver un contenant de fer très profond ou des blocs vitrifiés qui convenaient à l'enfouissement. Ils n'avaient pas entièrement résolu le problème, ils n'avaient pas non plus résolu la question de l'épuisement du plutonium dans les réacteurs. Ils recommandaient de continuer quelque temps à utiliser les deux méthodes.

Au sein du groupe Pugwash, nous nous sommes heurtés à ce problème pendant plusieurs années. Je crois qu'il est juste de dire que, dans l'ensemble, nous sommes opposés à l'idée de brûler complètement le combustible, parce que cela porte à accepter l'existence et la possession de plutonium.

La meilleure chose à faire avec le plutonium, c'est de s'en débarrasser. La seule façon de s'en débarrasser en toute sécurité consiste à le vitrifier et à l'enfouir très profondément sous la terre où l'on peut le laisser pendant 250 000 ans. Cela peut se faire sous le bouclier canadien ou dans un secteur similaire du Brésil, où il y a des régions stables, sans risque de tremblement de terre en profondeur, des régions qui n'ont pas connu de tremblements de terre depuis des générations, depuis des siècles.

Mais comme je l'ai dit précédemment, si les scientifiques du monde acceptaient de consacrer à la résolution de ces problèmes une infime partie des fonds qu'ils affectent à la constitution de stocks de plutonium et d'armes nucléaires, nous trouverions très rapidement une solution.

M. Phillip Penna: J'aimerais ajouter ma voix à ce concert. Je ne suis pas en désaccord du tout avec mes collègues et ce qu'ils ont dit ici; je veux simplement faire valoir un autre aspect de la question.

La discussion que nous avons tenue jusqu'à maintenant ce matin, autour de cette table, a porté surtout sur des questions technologiques, qui sont certes importantes. Mais si vous revenez à ce rapport sur les déchets à activité élevée qui a été publié par la Commission fédérale d'évaluation environnementale, vous y trouverez quelques conseils spécifiques très judicieux sur les questions qui touchent les aspects sociaux de ces technologies.

• 1100

Il ne faut pas oublier que la technologie nucléaire a des répercussions sociales. Toute technologie a des répercussions sociales. Une recommandation portait sur la possibilité de faire intervenir une agence indépendante, mais nous devons mettre au point une technologie en tenant compte du cadre social approprié, et nous n'avons pas encore produit de société, de cadre social, capable de composer avec les questions nucléaires.

M. Julian Reed: Que voulez-vous dire exactement?

M. Phillip Penna: Ce que je veux dire? Nous n'avons pas encore suffisamment réfléchi aux conséquences d'ordre éthique de la technologie nucléaire. Nous ne nous sommes pas demandé ce que cela signifiait pour la société et ce que nous aimerions voir se passer au sein de notre société. De quelle façon est-ce que la société aborde ce problème?

Nous le traitons essentiellement au cas par cas. Nous avons la Commission de contrôle de l'énergie atomique, qui délivre des licences, nous avons une agence d'évaluation environnementale, nous avons un comité des affaires étrangères, et rien n'est intégré. Il n'y a pas d'intégration au niveau technocratique, il n'y a pas d'intégration au niveau sociétal. Il nous faut faire face à la réalité, nous avons une société qui a été entièrement définie par la Guerre froide et, maintenant, nous faisons face aux retombées, si vous me permettez ce mot, de la Guerre froide. Nous n'avons pas réfléchi à ce que cela signifiait pour nous en tant que groupe, dans nos diverses cultures. Qu'est-ce que cela nous a valu? Nous ne nous sommes jamais posé la question. La question déterminera les innovations technologiques qui s'imposent.

Ce qui se passe aujourd'hui, c'est que la technologie détermine la culture. Ce dont nous avons besoin, c'est que la culture détermine la technologie. Cela ne fait pas partie du débat, et nous devons l'intégrer au départ. Alors je vous recommande de relire ce rapport, parce qu'on y trouve certains conseils très précis au sujet des déchets nucléaires mais aussi parce qu'il s'applique à la technologie nucléaire dans son ensemble.

Le président: Monsieur Penna, si vous voulez lancer ce débat—et je suis tout à fait d'accord avec vous quant à la cohérence de la politique—, est-ce que vous seriez d'accord avec moi pour dire que nous pourrions uniquement le faire dans un contexte international? Nous pourrions le faire dans le cadre de la politique nationale du Canada, mais au bout du compte, comme il s'agit d'une question mondiale, nous devrions aussi la régler à un niveau de gouvernement mondial. Dans ce cas, est-ce qu'il existe un cadre institutionnel qui nous permettrait d'examiner cet aspect de façon utile et profitable?

Vous avez posé une question extraordinairement importante, mais notre comité se heurte constamment au problème du manque d'encadrement institutionnel qui nous permettrait de mener adéquatement ces discussions.

M. Phillip Penna: Certainement. Je vais répondre à cette question de deux façons. Je donne toujours deux réponses à une question.

Le président: Vous devez être libéral.

Des voix: Oh, oh!

M. Phillip Penna: Ne nous égarons pas.

[Français]

M. Daniel Turp: Vous êtes cartésien.

[Traduction]

M. Phillip Penna: Premièrement, au niveau national, il nous faut créer cette structure. Si nous voulons agir aussi à l'échelon international, nous devrons nous baser sur le palier national et, par la suite, sur les paliers régionaux, en particulier au Canada parce que nous sommes très axés sur la région.

À l'échelon international, les suggestions que Bill Epstein a présentées au sujet de la modélisation après la conférence d'Ottawa... Il nous faut explorer cette possibilité plus à fond, mais de façon permanente. Nous avons besoin d'une base permanente. Il nous faut une tribune permanente pour discuter de cette question sous l'angle sociétal.

Le président: Excusez-moi, je dois vous interrompre.

Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian: Dans le mémoire, madame Adelson, à la première page, vous affirmez que quand on veut la paix, on prépare la paix. Certains des témoins que nous avons entendus par le passé nous ont dit que la seule façon de faire régner la paix était de se préparer à la guerre, pour pouvoir l'éviter. J'imagine que ce n'est pas votre sentiment, mais je vous serais fort reconnaissant de développer un peu cette question.

Ensuite, pour ce qui est de votre troisième recommandation, vous n'êtes pas entrée dans les détails lors de votre exposé. Je m'en voudrais de ne pas soulever la question, et je suis convaincu que le président est d'accord avec moi. Vous vous opposez à la vente de réacteurs CANDU à la Turquie. Certains—par moi, mais certains membres du comité et des personnes de l'extérieur—considèrent que la vente d'un réacteur CANDU produit des retombées économiques: chaque milliard de dollars investi crée dix mille emplois, quelque chose de ce genre.

On nous présente aussi l'argument que si nous n'en vendons pas, les Allemands, les Français, les Italiens, les Américains ou les Britanniques en vendront. Quelqu'un vendra des réacteurs à la Turquie. Et si aucun de ces pays ne lui en vend, la Russie le fera certainement. Évidemment, elle en vend à l'Iran.

Ce deuxième argument peut jouer d'un côté ou de l'autre, selon la position que vous défendez. Si Israël se procure une arme nucléaire d'une façon quelconque, il serait sage, dans un tel cas... Puisqu'en préparant la guerre on assure la paix, nous devrions peut-être vendre des réacteurs CANDU à la Syrie pour équilibrer les forces dans la région, ou peut-être même en vendre à la Grèce, pour équilibrer les forces avec la Turquie.

• 1105

Convenez-vous que c'est ce que nous devrions faire: simplement parce que nous voulons la paix, vendre le CANDU à tous ceux qui peuvent se l'offrir? Cela crée des emplois, des retombées économiques. Est-ce que nous n'avons pas un autre point de vue à ce sujet?

M. Daniel Turp: Vous ne voulez pas que nous vendions des réacteurs CANDU à la Turquie.

M. Sarkis Assadourian: Non. Certains disent que si vous vendez des réacteurs à la Turquie, vous créez des emplois. Ce que je dis, c'est que si tel est le cas, vendons-en aussi à la Syrie, à l'Iraq, à la Grèce. Nous pourrions équilibrer les forces là-bas aussi.

Mme Anne Adelson: Je ne vous surprendrai pas en disant que je ne pense pas que nous devrions vendre des réacteurs CANDU à la Turquie, à la Grèce, à la Syrie, à Israël ni à quiconque. Je crois que ce faisant nous déstabiliserions beaucoup le monde.

Si je ne me suis pas arrêtée à cette recommandation, ce n'est pas parce qu'elle me paraît secondaire. J'étais présente quand vous avez mentionné la motion que vous aviez l'intention de présenter. J'ai eu l'impression que le comité avait sans doute déjà entendu parler de la question et qu'il avait suffisamment d'information pour y réfléchir. Je voulais simplement employer mon temps différemment.

J'aimerais maintenant revenir à la question de ceux qui veulent la paix. Je crois que cela touche de très près tout le débat sur l'orientation que nous voulons prendre, qui est un débat sur les valeurs. Nous avons accepté la règle de la technologie.

Au micro-niveau, le monde est un endroit très dangereux. Regardez ce qui se passe à long terme, un changement graduel est en cours. Je crois que tout a commencé avec l'Agenda pour la paix qu'a publié l'ONU. On commençait à y parler de maintien de la paix et d'édification de la paix après les conflits. Évidemment, le Canada assume un rôle de chef de file dans le domaine du maintien de la paix, et maintenant je crois que le Canada ouvre aussi la voie en ce qui touche l'orientation du processus de paix, qui est l'édification de la paix, pas seulement l'édification de la paix après les conflits mais l'examen de solutions à long terme pour créer un monde meilleur.

J'en reviens à une question dont, je l'espère, tous les membres du comité sont bien conscients et qui suscite leur enthousiasme, l'initiative d'édification de la paix parrainée par le ministre. C'est la voie de l'avenir. Elle devrait servir de toile de fond à l'examen de toutes nos politiques. Favorise-t-elle la paix dans le monde? Fait-elle du monde un endroit moins dangereux ou plus dangereux? C'est une question extraordinairement vaste.

Évidemment, lorsque vous dites que nous avons besoin d'examiner les choses à l'échelon international, c'est vrai. Nous sommes solidaires. La seule façon d'examiner la question de la sécurité est à l'échelon mondial. L'édification de la paix est un effort visant à renforcer les perspectives de paix et à limiter les risques de conflits armés. Si nous voulons la paix, nous devons créer les conditions qui font que cette paix est possible. Si cela peut s'inscrire dans le mandat du comité, je crois que vous avez fait de l'excellent travail.

L'édification de la paix, c'est l'examen de questions comme l'avancement de la démocratie, le respect des droits de la personne, le développement durable, l'accès équitable aux ressources. Il y a quelques années seulement, ces questions n'entraient pas en ligne de compte quand on discutait de la paix, alors je crois que le sens du mot paix s'élargit. Le Canada a la possibilité de prendre la tête de ce mouvement.

Quand j'ai parlé de l'ACDI—et personne n'a posé de questions à ce sujet—et de la façon dont l'ACDI doit favoriser l'édification de la paix dans le cadre de ses travaux de développement, grâce au développement durable et en prônant la démocratie à l'étranger, c'est un rôle d'une très grande importance. Nous devons examiner de quelle façon les ressources sont réparties: 10 millions de dollars ont été alloués à ce fonds, le MAECI et l'ACDI le gèrent, mais la plupart des sommes sont distribuées par l'entremise de l'ACDI. C'est un partenariat fort intéressant qui commence à prendre forme. Malheureusement, de notre point de vue, cette réalisation est ternie par les 16 millions de dollars alloués à des projets de l'ACDI touchant l'énergie nucléaire qui, à mon avis, ne contribueront pas à l'avènement d'un monde plus sûr.

Voilà pour ce qui est du contexte général. Vous soutenez que si nous ne le faisons pas, quelqu'un d'autre le fera.

Certains ont parlé de l'Afrique du Sud, un pays auquel je suis très attachée puisque j'y suis née. J'ai été bouleversée de voir le genre de logique utilisée par l'un des hommes d'État les plus prestigieux que nous ayons, Nelson Mandela: vendons des armes; si nous ne le faisons pas, quelqu'un d'autre le fera. Je crois que c'est exactement le genre d'attitude... Il nous faut nous affirmer, ne pas nous soucier de ce que les autres font; qu'est-ce que le Canada peut faire pour favoriser l'avènement d'un monde plus sûr?

J'espère que c'est là la philosophie qui sous-tendra vos recommandations. Nous sommes certainement contre... J'appuie le mouvement qui s'oppose à ce que nous vendions des réacteurs CANDU à la Turquie ou à un autre pays.

• 1110

M. Sarkis Assadourian: Nous n'avons pas vendu d'armes chimiques à l'Iraq, mais les États-Unis l'ont fait. Est-ce que cela justifie que nous vendions des armes chimiques à l'Iraq? Qu'est-ce que vous pensez de cette question? Évidemment, si nous n'en vendons pas, quelqu'un d'autre en vend. Nous en avons la preuve.

Mme Anne Adelson: Nous n'avons pas à le faire. Et nous n'avons pas vendu d'armes chimiques, mais nous pourrions avoir joué un rôle indirect pour ce qui est de l'uranium appauvri. Je vous prie de lire le document de Rosalie Bertell que j'ai joint à notre mémoire. Quelques personnes y font allusion à cette question.

Est-ce qu'il est moral de condamner des enfants iraqiens à souffrir de leucémie? Voilà la question que je vous pose.

M. Sarkis Assadourian: C'est la réponse. Merci beaucoup.

Le président: Monsieur Epstein.

M. William Epstein: J'aimerais ajouter quelque chose au sujet du réacteur CANDU, si vous me le permettez. Vous savez que la Corée du Nord avait un réacteur russe qui, contrairement au réacteur CANDU, n'utilisait pas l'eau lourde comme modérateur pour ralentir et contrôler la production de neutrons. Mais les Américains ont affirmé qu'il était trop facile de convertir ce réacteur au plutonium, alors les Nord-Coréens ont accepté de le démanteler et d'adopter un réacteur américain, à eau légère. Ce réacteur doit être entièrement arrêté avant que l'on puisse en sortir une barre de combustible et il est beaucoup plus sûr que le réacteur à uranium naturel.

Le CANDU canadien est un réacteur à uranium naturel, qui permet de produire facilement du plutonium. Les 44 pays du monde qui, jusqu'à maintenant, ont signé le Traité d'interdiction complète des essais peuvent tous adopter l'énergie nucléaire s'ils le désirent parce qu'ils ont des réacteurs qui peuvent produire du plutonium—ils ont le choix.

Il y a près de 30 ans, nous, le groupe canadien Pugwash, avons persuadé les Canadiens de ne pas vendre de réacteurs sans obtenir d'abord tout un éventail de garanties. Le Canada a finalement adopté cette position, et il s'agissait du premier pays au monde à insister pour qu'on lui fournisse toutes ces garanties.

Nous avons ensuite demandé que le Canada fasse la même chose les Russes. Nous avons soutenu que si l'on vendait des réacteurs CANDU après avoir obtenu toutes les garanties possibles, la seule façon de veiller à ce que la transaction soit sûre consistait à exiger que tout le combustible épuisé soit remis au Canada, tout comme les Russes insistaient pour que tout le combustible utilisé retourne chez eux. Je ne sais pas si les Russes maintiennent encore cette pratique. Cela se faisait en Union soviétique.

Mais à l'époque, le gouvernement a refusé notre requête. Le gouvernement a affirmé que c'était trop dangereux, que l'élimination du combustible épuisé nous posait suffisamment de problèmes et qu'il ne nous en fallait pas plus. Ce n'est pas vraiment une réponse satisfaisante. L'Union soviétique, autrefois, insistait pour récupérer ce combustible épuisé.

Si nous vendons ce produit dangereux, il... Honnêtement, le fait que d'autres personnes le vendront n'est pas un argument valable. D'autres personnes vendent des drogues, de l'héroïne et tous ces produits. Cela ne signifie pas que nous devrions le faire aussi.

Je crois que le Canada est devenu un chef de file moral de bien des façons dans ce domaine. Et je crois que nous devons aller plus loin. Si le Canada continue de vendre des CANDU, un réacteur bon marché, facile à exploiter et fiable, il devrait insister pour que tout le combustible utilisé lui soit remis. Alors, nous avons le problème qui consiste à nous débarrasser de ces déchets à activité élevée.

J'aimerais que quelqu'un me propose un rapport à ce sujet. Je sais que vous n'avez pas beaucoup d'argent. J'aurais aimé apporter 25 exemplaires de la convention modèle sur les armes nucléaires, mais l'ONU est à cours de fonds elle aussi, et je ne pouvais pas le faire.

Permettez-moi cependant de dire ceci: dans le rapport du CCIL, on affirmait qu'on annexerait le texte intégral du traité au texte de mon allocution à l'occasion de la réunion soulignant leur 25e anniversaire, alors vous pourrez en prendre connaissance dans un mois ou deux, quand ce document sera publié.

Mais j'aimerais beaucoup que quelqu'un me fasse parvenir un exemplaire de ce rapport qui vient de sortir.

M. Phillip Penna: Je le ferai.

M. William Epstein: Vraiment? Très bien. Le gouvernement n'a pas d'argent, mais je suis heureux de constater que les ONG en ont.

Des voix: Oh, oh!

M. William Epstein: C'est très rare.

M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.): Monsieur le président, ma question se rapporte à la question de M. Sarkis...

Le président: Vous pouvez la poser si Mme Augustine vous y autorise, car elle est la suivante sur la liste.

Est-ce que vous permettez à M. Cannis de poser une question? Il essaie de se faufiler.

M. John Cannis: Je n'ai qu'une question...

Le président: Monsieur Cannis.

M. John Cannis: C'est au sujet du combustible épuisé. Est-ce que nous pouvons ajouter dans les lignes directrices que ce combustible doit être adéquatement entreposé comme condition de la vente du CANDU à la Turquie, par exemple? Est-ce que nous pouvons dire qu'une méthode d'entreposage adéquate doit être mise au point, comme vous l'avez suggéré, qu'il faut creuser profondément et enfouir le combustible? Est-ce que cela pourrait être une condition? Pourrions-nous dire que le combustible irradié ne doit pas revenir, mais...

• 1115

M. William Epstein: Ce serait un peu mieux que la condition actuelle, mais c'est encore de l'aspirine; ce n'est pas un remède.

Depuis deux ou trois ans, on tente de moderniser et d'améliorer les mesures de protection de l'AIEA, mais ces mesures sont encore insuffisantes, parce que si quelqu'un peut cacher un peu de combustible, alors vous devez prévoir les mêmes droits que ceux qu'exercent l'UNSCOM à l'heure actuelle en Iraq, le droit d'aller n'importe où n'importe quand pour procéder à des vérifications.

L'idéal serait qu'il faille remettre le combustible et en rendre compte, en entier, au Canada. Nous aurions de la difficulté à l'éliminer, mais nous avons beaucoup plus d'espace que nos acheteurs. Nous n'aurions pas alors à craindre qu'ils décident un jour de produire une arme, eux aussi. Je crois que c'est la seule réponse possible.

M. John Cannis: Merci.

Le président: Cela pourrait aussi nuire à la vente des réacteurs, dans une certaine mesure, M. Epstein, ce qui ne serait pas un mal.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci aux témoins. Vos exposés m'ont paru extrêmement solides, et mûrement réfléchis.

Je veux revenir à la question de la Cour internationale de Justice. Vous avez consacré une partie de votre document à ce sujet, monsieur Epstein. Quand l'ambassadeur du Canada auprès de l'ONU est venu témoigner, j'ai eu l'impression que les réponses qu'il nous fournissait—et là encore, je parle de mon impression—montraient que le Canada avait accepté les grandes lignes de cet avis, mais que d'une certaine façon il n'avait pas vraiment accepté la décision. C'est l'impression que j'ai eue, que nous n'allions pas adopter de mesure particulière à la suite de cette décision.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette réticence à adopter, cette hésitation à tenir compte d'un avis consultatif de la CIJ, et ce que vous pensez que nous devions faire à cet égard.

M. William Epstein: Si l'on me permet de répondre, je vous remercie beaucoup d'avoir posé cette question. C'est quelque chose qui ennuie bon nombre de Canadiens, à l'ONU et ailleurs. Le Canada est connu pour son respect de la primauté du droit. Il a eu d'excellents rapports avec la Cour internationale de Justice au fil des ans.

Le Canada a appuyé du bout des lèvres l'avis de la cour, parce que la Malaisie avait proposé une résolution des pays alignés deux années d'affilée, résolution maintenant adoptée.

Le but premier, l'effet concret de l'un des paragraphes se dégage de l'avis consultatif de la CIJ, la principale conclusion étant, d'après cet avis où les juges indiquent à l'unanimité qu'il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à bien des négociations en vue du désarmement, est qu'on se dit, «Très bien, commençons maintenant à négocier une convention en vue d'éliminer toutes les armes nucléaires. Il faudra prévoir toutes les étapes intermédiaires dans la convention ou s'y conformer avant de rédiger le document final, mais il faut au moins commencer.» Dans cette résolution, un seul paragraphe reprenait l'avis unanime de la cour. Le président de la cour a déclaré que puisque la décision était unanime, elle s'inscrivait dans le droit international coutumier. Le Canada a demandé un vote distinct et s'est prononcé en faveur de ce paragraphe, mais il a voté deux fois contre la résolution dans son ensemble, qui prévoit le début de négociations.

L'un de mes voeux les plus chers est que le Canada affirme avec plus de conviction que nous devons donner suite à cette décision. J'ai indiqué dans mon exposé deux mesures que le Canada pourrait prendre pour exercer un certain leadership. L'une consiste à demander un nouvel avis consultatif à la cour pour déterminer si les puissances nucléaires respectent l'avis de la cour, qui d'après eux, fait maintenant partie intégrante du droit international coutumier, car cette cour est la plus haute instance judiciaire au monde, même si elle ne peut que donner des avis consultatifs.

Mais en droit international, comme vous le savez, les avis des spécialistes et des juges, etc. contribuent à créer le droit international coutumier qui prévoit que ces puissances respectent ou non... puisqu'elles refusent maintenant de négocier de façon multilatérale et qu'elles ne négocient même pas à cinq, ou avec les trois autres. Il n'y a pas le moindre signe qu'un changement se prépare.

Même les négociations bilatérales, je l'ai signalé dans mon allocution, sont menacées parce que la Douma pourrait ne pas ratifier un accord en raison de l'élargissement de l'OTAN, comme quelqu'un l'a fait remarquer ici aussi.

• 1120

La deuxième question qu'ils devraient se poser a trait au fait que sept personnes se sont prononcées et ont affirmé que le recours à la force nucléaire était généralement contraire au droit humanitaire international, c'est-à-dire au droit international. Toutes sept ont déclaré qu'il n'avait pas été décidé s'il était admissible d'utiliser les armes nucléaires quand la survie même—la défense—d'un État était en jeu. Puis le président a ajouté sa voix prépondérante et la question a été réglée à huit contre sept, affirmant que c'était en général contraire au droit international. Mais trois personnes avaient une opinion divergente et affirmaient que la question n'avait pas été tranchée; leur dissidence se fondait non pas sur le fait qu'elles étaient en désaccord, mais sur le fait qu'elles considéraient que la loi allait plus loin. La loi interdit véritablement tous les usages, même les usages défensifs, quand l'existence d'un État est en jeu.

Dix des juges considéraient donc qu'il était illégal d'utiliser l'arme nucléaire, et seulement quatre soutenaient que cette question n'était pas encore décidée. Je crois que le moment est venu maintenant, d'autant plus que nous avons pu constater, en Bosnie et en Iraq, qu'il n'était pas nécessaire de recourir aux armes nucléaires pour remporter la victoire.

Même si la survie du Koweit était en jeu... ou, comme on le dit, si la majorité des pays arabes menaçaient d'envahir Israël. Ces pays ont 10 fois ou 100 fois la population d'Israël, alors l'existence même d'Israël pourrait être menacée.

Mais nous avons vu qu'il serait très facile à une grande puissance de détruire l'Iraq avec des armes conventionnelles si elle le voulait. Certainement pour gagner une guerre et sauver le Koweit. On a aussi constaté qu'il était très facile—même s'il a fallu longtemps pour le décider—de faire quelque chose pour sauver la Bosnie.

Je crois donc qu'il vaut vraiment la peine de retourner devant la cour et de poser la question, est-ce qu'il est légal d'autoriser l'usage préventif des armes nucléaires? Tout ce que je peux vous conseiller, c'est de lire la déclaration du général Lee Butler à ce sujet. Il considère que le recours à l'arme nucléaire est immoral, illégal et sans utilité militaire ou politique. C'est essentiellement aussi ma position.

Je crois que le Canada est en meilleure position pour assumer le leadership. Je sais, concrètement—on me l'a dit—, que le gouvernement américain a posé des questions et s'est plaint de ce que le Canada avait appuyé ce paragraphe de l'avis de la cour. Les États-Unis ont finalement voté contre la résolution, mais vous pensez bien qu'ils considèrent que le Canada ne devrait même pas voter en faveur d'un paragraphe unanime dans l'avis de la cour! Je crois vraiment qu'il vaudrait la peine de demander un nouvel avis consultatif. Bien des gens l'ont recommandé. J'ai parlé à bien des délégations qui jugent l'idée excellente, mais tout le monde hésite à accrocher la casserole à la queue du chat, c'est un vieux problème.

J'ai assisté à deux conférences, il y a un mois, et à trois conférences en Asie du sud-est, et tous appuyaient ces idées que je vous ai présentées ici. Mais ils les appuyaient de façon officieuse, «Bill, vous savez, cela serait très difficile pour nous maintenant. Nous ne voulons pas irriter inutilement les États-Unis.» Cela, c'est un élément de la réalité.

Comme je l'ai dit, qui mieux que le Canada peut assumer la direction de ce mouvement? Qui mieux que le Canada pourrait s'appuyer sur la Cour internationale de Justice et sur la primauté du droit? Merci.

[Français]

M. Daniel Turp: Est-ce que je peux poser une question?

[Traduction]

Le président: Je ne sais pas si madame Augustine en a terminé.

Mme Jean Augustine: J'ai encore un peu de difficulté. La grande question, à mes yeux, c'est pourquoi est-ce que nous hésitons autant? Est-ce que vous dites que c'est parce que les juges n'étaient pas unanimes, que c'était une décision avec avis minoritaire...

M. William Epstein: Non, ce n'est pas ce que je dis.

Mme Jean Augustine: Je me demande pourquoi.

M. William Epstein: La seule raison est que, sous la direction des États-Unis, les puissances nucléaires sont déterminées à ignorer ce jugement. Il n'a pas force exécutoire; ce n'est qu'un avis consultatif. Même s'il avait force exécutoire, je sais qu'il serait impossible de forcer une puissance nucléaire à faire quelque chose contre son gré.

Quoi qu'il en soit, comme je l'ai dit, il a fallu des décennies pour se débarrasser du colonialisme et de l'apartheid. Si nous continuons à adopter les politiques appropriées, et certainement, la politique appropriée est de respecter l'avis consultatif de la cour, en particulier sur les points où il y a unanimité et sur les points au sujet desquels vous croyez que vous pouvez obtenir une décision majoritaire, je crois que vous seriez en mesure d'obtenir deux bonnes décisions: l'une sur le fait que les puissances nucléaires contreviennent à la loi internationale lorsqu'elles refusent de négocier, et elles ont non seulement l'obligation de poursuivre des négociations, mais en outre de les mener à bien; deuxièmement, parce qu'une majorité des juges de la cour sont opposés à l'emploi en premier des armes nucléaires et considèrent que c'est illégal, immoral, et tout ce que vous voulez.

• 1125

La seule façon de convaincre le monde de cette réalité, c'est de soulever la question. Nous devons soulever toute cette question du point de vue moral et éthique, maintenant, tout comme on l'a fait dans le cas des mines terrestres. Malheureusement, il n'y avait pas de CNN, pas de télévision, à l'époque où l'on a largué les bombes sur Hiroshima et Nagasaki. Aujourd'hui, nous avons la télévision, mais de quelle façon peut-on persuader les gens, à la télévision, que l'avis de la cour est un événement spectaculaire, qui change la face du monde. Seuls des avocats pourraient comprendre cela, et seuls des avocats et des personnes qui croient en la primauté du droit devraient continuer sur cette voie.

Le Canada serait le pays tout désigné pour mener ce combat.

Mme Jean Augustine: Merci.

Le président: Merci.

Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: En tant qu'avocat, j'aimerais vous...

Le président: Et professeur distingué.

M. Daniel Turp: Comme M. Graham. Je vous rappelle par ailleurs qu'un avis de la Cour internationale de justice ne peut être sollicité que par l'Assemblée générale des Nations unies, ou le Conseil de sécurité ou une autre organisation internationale ou ses organes, l'Organisation mondiale de la santé ayant d'ailleurs cherché à demande un avis à la cour, qui a refusé de lui donner cet avis.

Croyez-vous qu'il est réaliste de penser que le Canada ou un autre pays puisse convaincre le Conseil de sécurité ou l'Assemblée générale de demander un avis additionnel à la lumière de cet avis qui est si partagé, tellement partagé que le président de la cour, M. Bedjaoui, a dû utiliser son vote de président pour départager la majorité et la minorité dans cette affaire?

Je trouve qu'il est un peu exagéré de suggérer que la cour elle-même est d'avis ou s'est prononcée sur le fait qu'une première frappe serait illégale au sens du droit international. Ce n'est pas ce que la cour dit, et je ne pense pas qu'on puisse donner l'autorité que vous donnez aux opinions individuelles de la cour pour suggérer que la cour elle-même a proscrit l'utilisation de l'arme nucléaire en première frappe.

[Traduction]

M. William Epstein: Merci, monsieur, de ces excellentes questions, vos deux questions sont excellentes.

Évidemment, seule l'Assemblée générale le peut. Ne vous présentez pas au Conseil de sécurité. Les cinq membres permanents sont des puissances nucléaires qui peuvent y opposer un veto. L'Assemblée générale suit la règle de la majorité, simple ou des deux tiers.

J'étais parmi ceux qui ont aussi collaboré avec le Comité des avocats sur la politique nucléaire, à New York. Ce sont eux qui ont lancé tout ce mouvement. La première fois que nous avons soulevé la question, elle n'a pas passé le test de l'Assemblée générale. Les gens n'étaient pas suffisamment convaincus. La deuxième fois, elle a été adoptée. Elle a été adoptée par l'Assemblée générale. Je demande que le Canada soulève la question à l'Assemblée générale, et non pas qu'il sollicite lui-même un avis consultatif. Voilà mon premier point. Vous soulevez la question à l'Assemblée générale et vous ralliez un grand nombre de pays de même orientation.

Le Canada jouit d'un immense respect aux Nations Unies, plus que certains des pays non alignés qui ont parrainé le premier appel devant la cour. Si le Canada devait assumer la direction de ce mouvement, je crois qu'il rallierait la majorité à l'Assemblée générale.

Deuxièmement, l'interdiction de l'emploi préventif. Il est vrai que la cour n'a pas déclaré illégal l'emploi en premier, mais l'implication de l'opinion majoritaire est... La décision n'a pas été prise à huit contre sept, trois juges de plus se sont prononcés en faveur, c'est donc à dix contre quatre qu'ils ont déclaré qu'il était toujours illégal d'utiliser des armes nucléaires, quelles que soient les circonstances. Alors il faut en déduire qu'ils affirmeraient que l'emploi en premier est illégal.

Nous n'avons aucune garantie, mais on ne se présente pas devant un tribunal quand on sait quel sera le résultat. Vous vous présentez devant un tribunal lorsque vous êtes incertain du résultat. Les juges l'ont affirmé eux-mêmes, la loi n'est pas suffisamment développée ou claire pour que l'on puisse déterminer si même l'utilisation défensive est légale, même quand l'existence d'un État est en jeu, qu'il s'agisse d'un allié ou d'une puissance nucléaire.

• 1130

J'ai discuté de cette question. Il l'a déclaré publiquement, alors il n'y a pas de raison pour que je ne le répète pas ici: McGeorge Bundy et moi étions là tous les deux lorsqu'on a adopté le Traité de non-prolifération. Je représentais le secrétaire général, et M. Bundy était conseiller juridique des États-Unis. Nous convenons tous deux qu'il s'agit d'une très bonne idée: se présenter devant la cour et demander aux juges de régler ce problème très délicat et très difficile, quand la question ne fait pas l'unanimité parce que les pays...

La décision de la cour, cette première décision, a provoqué la surprise. Au sein de la cour, cinq puissances nucléaires étaient représentées ainsi que quatre de leurs alliés, il y avait donc neuf des 15 juges qui représentaient les puissances nucléaires ou les alliés de ces puissances. Quoi qu'il en soit, nous avons obtenu une décision à huit contre sept, compte tenu du vote prépondérant, et trois juges ont en outre statué qu'il était toujours illégal d'utiliser les armes nucléaires, quelles que soient les circonstances, parce que les retombées voyagent partout dans le monde et touchent des générations successives et des civils—les arguments habituels.

Je crois que cela serait extrêmement intéressant, et McGeorge Bundy, qui était conseiller juridique de la délégation américaine à l'époque et qui est un avocat international réputé, est du même avis. Je ne suis pas réputé, mais je me mêle aussi de droit international. Nous sommes d'accord, et nous y étions à l'époque, il s'agirait d'une question extrêmement utile à poser à la cour.

[Français]

M. Daniel Turp: Vous recommandez que ce comité suggère au gouvernement de proposer que l'Assemblée générale demande un nouvel avis consultatif sur cette question. Si tel était le cas, quel appui le Canada pourrait-il recevoir, selon vous, parmi ses alliés de l'OTAN?

[Traduction]

M. William Epstein: Cette question est plus difficile. Je ne suis pas sûr que les membres de l'OTAN vont vouloir aider le Canada. Il ressort des conversations que j'ai eues avec des représentants de plusieurs pays que la plupart des pays sont contre l'élargissement de l'OTAN. Ils craignent que cela n'entraîne une reprise de la guerre froide ou une nouvelle «paix froide».

Il est vrai qu'une des raisons pour lesquelles les Russes sont revenus sur leur engagement de ne pas utiliser en premier leurs armes nucléaires était en fait celle-ci, l'élargissement de l'OTAN qui est à leurs yeux une décision hostile. Malheureusement, et nous le savons très bien, c'est une réalité qu'il ne faut jamais oublier, il n'y a plus qu'une seule superpuissance, les États-Unis. C'est certainement le pays dominant au sein de l'OTAN. Il n'est pas facile pour le Canada de s'opposer au chef du monde occidental devant l'OTAN et il est certain que les Américains et les autres puissances nucléaires ne veulent pas recevoir d'autres avis consultatifs de ce tribunal.

Dans le mémoire que j'ai remis au CCIL, j'ai déployé des efforts considérables pour énumérer toutes les fois où le Canada a pris la bonne décision malgré l'opposition des Américains. J'en ai énuméré quelques-unes dans le domaine du désarmement mais le Canada en a prises dans de nombreux autres domaines, économique, social et humanitaire, où il a fait preuve d'initiative. Les trois puissances nucléaires n'ont pas aimé la position que le Canada a adoptée au sujet des mines terrestres antipersonnelles. Le Canada a pris position et il a reçu les félicitations de tous les autres pays. Si le Canada devait prendre l'initiative de demander un autre avis consultatif, je crois pouvoir pratiquement garantir, c'est une exagération, je ne peux rien garantir mais je crois que je parierais de l'argent là-dessus, que tous les pays non alignés ou presque donneraient leur appui et leur soutien au Canada.

Je ne pense pas qu'il y aurait beaucoup de pays alliés, membres de l'OTAN, qui appuieraient le Canada. Néanmoins, ces pays n'ont pas tous appuyé le Canada sur la question des mines antipersonnelles, ni sur les autres positions qu'a adoptées le Canada. Je pense, par contre, que la plupart d'entre eux ont appuyé le Canada lorsqu'il a pris l'initiative, contre la volonté des États-Unis, d'accorder le siège à la Chambre aux Nations Unies à la Chine communiste et non à la Chine nationaliste. Nous avons fait beaucoup de choses de ce genre.

Le Canada a en fait beaucoup d'influence sur la scène internationale. Le Canada faisait preuve de plus d'indépendance avant la création de l'OTAN, mais depuis cela lui est plus difficile. Les autres pays lui font remarquer qu'il fait partie d'une alliance et il n'est pas facile de prendre une position isolée, différente de celle des autres membres.

C'est tout de même ce qu'ont fait de nombreux gouvernements canadiens. Le gouvernement a demandé aux Américains de retirer du Canada leurs armes nucléaires. Les Américains n'étaient pas très contents... ou leurs forces armées stationnées en Europe, et c'était la chose à faire. Je crois que si le Canada veut défendre le droit international, et je pense que tous les Canadiens semblent croire que le Canada a une grande marge de manoeuvre et que le monde serait meilleur si les Nations Unies réussissent plutôt que de laisser une, deux, trois ou quatre puissances nucléaires régler cette question.

• 1135

Le président: Merci.

M. Daniel Turp: Très bien.

Le président: J'aimerais poser quelques questions mais je voudrais revenir sur vos derniers commentaires, M. Epstein, parce qu'il semble que tous ces problèmes soient profondément imbriqués. Tout a des répercussions sur tout. Je crois comprendre que nous devrions, d'après vous, en tant que comité, pour ce qui est de la position adoptée sur la question nucléaire, recommander au gouvernement canadien de se retirer également de l'OTAN.

M. William Epstein: Non, je ne pense pas que cela soit nécessaire.

Le président: Eh bien, je ne vois d'autre possibilité si je me fie à ce que vous dites, parce que cette organisation limite tellement notre capacité...

M. William Epstein: Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de quitter l'OTAN. Je crois qu'il faudrait avoir une franche discussion avec les autres pays. Je ne suggère aucunement que le Canada se retire de l'OTAN. Je crois que vous pourriez faire adopter certains principes par l'OTAN, demander à ses membres de reconsidérer la possibilité d'accueillir de nouveaux membres, peut-être pas seulement ces trois là mais même, dans quelques années, les États de la Baltique. Je suis d'accord avec George Kennan lorsqu'il dit que c'est là l'erreur la plus grave que va commettre l'Occident depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.

M. Daniel Turp: Pourquoi?

M. William Epstein: Parce que cela risque d'isoler la Russie. Cela va créer des problèmes énormes. Cela va coûter beaucoup plus que cela ne va rapporter et cela n'est pas nécessaire. C'est une alliance militaire. Laissez-les adhérer à l'Union européenne. Appuyez-les dans cette démarche. Laissez-les se joindre à l'organisation pour la sécurité en Europe.

Le président: L'Union européenne a déjà beaucoup de mal à les admettre. Nous parlons régulièrement à nos collègues des pays de l'Est de cette question. C'est une question très complexe.

Nous ne sommes pas complètement en désaccord avec ce que vous dites mais nous ne devrions pas aborder la question de l'élargissement de l'OTAN dans le rapport du comité, car nous risquons de ne jamais le terminer.

Mais je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il y a un lien, parce qu'il est évident que la question de l'emploi en premier des armes nucléaires va être la question la plus complexe et la plus difficile que le comité aura à traiter. Je ne suis donc pas en désaccord avec vous. Cela est lié à l'OTAN et nous allons devoir en tenir compte.

Mais je voudrais vous présenter mes deux questions et observations et tout le monde pourra ensuite répondre, si vous le désirez.

La première question concerne la dissuasion nucléaire et les armes chimiques et biologiques. Cela me paraît un sujet également très difficile, du moins pour moi. Les partisans de cette position nous disent que, si l'on admet que les armes biologiques et chimiques sont une chose terrible et qu'un organisme international les interdit, la seule façon de dissuader efficacement les pays qui seraient tenté de passer outre à cette interdiction, est de posséder des moyens dissuasifs. Ces partisans disent que s'il est interdit d'avoir des armes chimiques et des armes biologiques, le seul moyen dissuasif est la dissuasion nucléaire. Si vous nous refusez la dissuasion nucléaire, alors nous allons sans doute fabriquer secrètement des armes biologiques et nous nous trouverons devant un choix forcé.

Voilà quels sont les arguments avancés. J'aimerais beaucoup savoir ce que vous pensez de cette question et je ne pense pas qu'il soit vraiment utile de dire, ce que nous faisons ne peut être mal puisque les autres font quelque chose de mal. Je crois qu'il faut qu'il y ait une raison stratégique.

Nous avons entendu des arguments convaincants. Par exemple, il y a un témoin qui est tout à fait contre les armes nucléaires et qui a dit que le seul fait qu'Israël possédait peut-être une arme nucléaire pendant la crise iraqienne est une des raisons pour lesquelles l'Iraq n'a pas utilisé d'armes biologiques ou chimiques contre Israël, parce que les Iraqiens savaient fort bien qu'ils en subiraient les conséquences. C'est un argument que nous devons essayer d'évaluer, parce que nous parlons pour le bien de tous les pays ici, nous n'aimons pas ça mais il faut être réaliste. Voilà la première question.

Ma deuxième question s'adresse particulièrement à M. Epstein. Je crois déceler, monsieur, que vous avez établi une distinction. Les autres intervenants nous disent que, si nous voulons vraiment nous débarrasser des armes nucléaires, il va falloir tôt ou tard supprimer également l'industrie nucléaire, parce que ces deux choses sont liées.

Êtes-vous d'accord avec cela ou pensez-vous que l'on peut avoir une industrie nucléaire civile dans un monde dénucléarisé, compte tenu, particulièrement, du fait que le traité de non-prolifération imposait aux puissances nucléaires l'obligation, pour obtenir l'accord des autres pays à ne pas fabriquer d'armes nucléaires, de les aider à développer leur capacité nucléaire civile? Si nous revenons sur cette promesse, comment allons-nous nous en sortir? Voilà la question que je vous pose.

La troisième est en fait un commentaire sur l'opinion de la Cour internationale de justice, dont nous avons beaucoup entendu parler devant notre comité et qui est très intéressante et de toute évidence complexe. Les avocats sont toujours en mesure de présenter des arguments des deux côtés, c'est ce que font les avocats.

• 1140

Pour en revenir à la remarque de Mme Augustine, il me semble que les représentants du gouvernement canadien ont déclaré au comité que la raison pour laquelle le Canada n'avait pas demandé cette opinion était précisément parce qu'il voulait que l'on respecte la primauté du droit. Notre gouvernement a estimé que le fait de demander un avis consultatif dans ces circonstances, avis auquel les puissances nucléaires n'accorderaient aucune importance, étant donné que ces questions touchent la sécurité des États... Je me rappelle que Dean Rusk a déclaré qu'il y avait des affaires d'État auxquelles le droit international ne s'appliquait pas. C'est ce qu'il a dit lorsque les É.-U. ont réagi à la crise des missiles de Cuba et il a dit que cela était contraire au droit international.

Si nous demandons un jugement de droit international dont les puissances nucléaires vont se gausser, nous indiquons que la primauté du droit n'est pas un principe reconnu internationalement, parce que nous avons créé une situation dans laquelle nous sommes obligés de dire que le droit ne s'applique pas. Cela serait peut-être pire qu'obtenir un avis consultatif qui va dans le sens souhaité mais qui ne fait pas l'unanimité.

Si les citoyens refusaient de respecter les lois du Parlement, notre société civile ne durerait pas longtemps, parce que cela saperait le fondement même du droit. C'est dans la nature du droit, comme vous le savez. C'est là que réside, d'après moi, la difficulté que pose un avis consultatif.

Là encore, ce sont là des questions que nous essayons encore de clarifier mais je crois que tous les membres du comité seraient très intéressés à en savoir davantage sur les rapports entre l'industrie nucléaire et les armes nucléaires.

Je me demande également comment l'on peut aborder l'autre côté de la question que posent les armes biologiques et chimiques, aspect qui a été soulevé ici devant le comité? Nous avons examiné le traité sur les armes chimiques. Ce n'était pas au moment où M. Turp était ici mais au cours de la dernière session. Nous avons adopté le projet de loi qui mettait en vigueur ce traité mais, comme vous le savez, ce projet de loi était particulièrement rigoureux. Il était presque contraire à la Charte sous certains aspects, d'après ce qu'on nous a dit, parce que, pour appliquer le traité, il faut mettre en place un mécanisme international d'inspection des sites. Et pour les armes biologiques, il est encore plus difficile de mettre sur pied un mécanisme qui soit efficace.

Comment peut-on concilier cet aspect avec la théorie de la dissuasion que nous décrivent les stratèges? Vous allez peut-être tous souhaiter intervenir.

M. William Epstein: Je n'en doute pas mais je pense que vous vous êtes adressé à moi.

Le président: Eh bien, la deuxième question s'adressait effectivement à vous.

M. William Epstein: J'aimerais répondre à toutes les trois. Nous en arrivons à l'essentiel. Nous parlons de choses concrètes maintenant et je suis content que vous ayez posé ces questions.

La première était la question de la dissuasion nucléaire par rapport aux armes biologiques et chimiques. En 1969, j'ai présidé un comité d'étude sur les armes chimiques et biologiques composé de spécialistes consultants du secrétariat général provenant de tous les pays et qui a présenté des conclusions unanimes. Cette étude est indirectement à l'origine de la Convention sur les armes biologiques et elle a même joué un rôle pour l'adoption de la Convention sur les armes chimiques.

Pour la première fois, des représentants des puissances nucléaires, et je crois qu'ils étaient tous représentés sauf la Chine—ont comparé les dommages que peuvent causer les armes chimiques, biologiques et nucléaires. Ils ont indiqué que les armes chimiques et biologiques étaient surtout utilisées par les terroristes. Ils ont affirmé que les gens hésitaient longtemps à s'en servir parce qu'en vertu de l'ancien protocole de Genève, on pouvait répondre en utilisant le même type d'armes; c'était un protocole de Genève prévoyant le non-usage en premier de certaines armes. Il y a un autre aspect qui arrête les gens, c'est qu'il est impossible d'empêcher les produits chimiques, les microbes, les bactéries et les toxines de toucher votre propre population. Par exemple, la grippe de 1918 a fait le tour du monde bien qu'elle ait commencé...

Le président: C'est l'observation qui avait été faite au sujet des nouveaux appareils nucléaires codés. Il semble que ces appareils aient touché les militaires américains autant que les autres.

M. William Epstein: C'est une des restrictions. Comme je l'ai mentionné, les armes chimiques et biologiques pourraient détruire une ville, peut-être davantage et toucher davantage de gens. Mais ces armes vont nécessairement toucher également le pays qui a décidé de les utiliser et non pas seulement l'ennemi. Quoi qu'il en soit, elles ne sont pas aussi puissantes qu'une bombe nucléaire qui, comme je l'ai dit plus tôt, peut tuer des millions de gens en quelques minutes. Ces armes agissent lentement et il est possible de se défendre contre toutes, qu'elles soient biologiques ou chimiques. Il y a des défenses possibles. Les deux traités permettent la poursuite de la recherche qui porte sur les moyens de se défendre contre ces armes.

Il est impossible de savoir si l'Iraq s'est abstenu d'utiliser les armes chimiques parce qu'il craignait qu'Israël les utilise également. Je crois que l'Iraq a craint davantage être anéanti par les armes conventionnelles américaines. C'est je crois ce qui a dissuadé ce pays. Mais nous n'en savons rien; cela n'est qu'une hypothèse. Si l'Iraq avait eu l'arme nucléaire, je crois qu'il l'aurait peut-être utilisé, même avec le risque de subir des représailles. Mais les armes chimiques et biologiques, non.

• 1145

Le président: Il ne nous reste presque plus de temps et je sais que les autres... Et la...

M. William Epstein: Pour ce qui est des armes biologiques, on essaie de mettre en place un mécanisme de vérification, comme cela a été fait pour les armes chimiques.

Sur la question de savoir si je suis en faveur de cesser d'utiliser l'énergie nucléaire, je ne le suis pas, parce que tant que nous n'arrivons pas à obtenir de l'énergie de façon économique, en utilisant le soleil, le vent et d'autres choses, nous allons être obligés d'utiliser cette source d'énergie. Cela revient à demander si nous ne devrions pas renoncer totalement à utiliser le pétrole et le gaz parce que ces produits ont tendance à polluer l'atmosphère. Nous ne devrions pas utiliser cette source d'énergie mais nous pourrions, je crois, renforcer beaucoup la sécurité en exigeant, comme je l'ai déclaré il y a un instant, que les utilisateurs renvoient le carburant utilisé au pays d'origine. L'AIEA a mis en place des mesures de protection beaucoup plus efficaces pour les utilisations pacifiques. Ces mesures pourraient encore être renforcées. Elles ont déjà été resserées quelque peu avec l'affaire de la Corée du Nord mais pas suffisamment.

Vous demandez ce que nous allons faire si les puissances nucléaires s'y opposent. Même si ces documents ont force obligatoire, si les puissances nucléaires s'y opposent, il n'y a rien à faire. Il n'existe aucun moyen de leur imposer votre volonté. Néanmoins nous avons constaté qu'avec le temps, ces pays changent d'idées. Ils étaient contre les mines antipersonnelles, ils étaient contre l'abandon du colonialisme et certains ne voulaient pas renoncer à l'apartheid. Mais, progressivement, si l'on persiste et si l'on a choisi la bonne position, qui est la primauté du droit et que la plupart des gens ont tendance à respecter... Ils ne vont pas contester l'avis du tribunal; ils essaient de l'enterrer pour que les gens n'y pensent plus.

Le président: L'accord sur les mines terrestres a été négocié entre États. Il s'agit ici d'un jugement de la Cour internationale de justice. Si les États ne sont pas d'accord avec ce jugement, on nous dit que cela risque de compromettre la primauté du droit; alors que les États sont libres de ratifier ou non une convention internationale comme celle qui concerne les mines terrestres.

C'est comme ceci que le droit s'élabore. Je serais d'accord avec nous, s'il s'agissait de réformer le droit. Nous avons tous étudié cela en droit international et nous l'avons enseigné mais je me demandais si dans ce cas...

Vous estimez qu'il est quand même préférable d'avoir cet avis, si je peux résumer ainsi votre position.

M. William Epstein: Excusez-moi?

Le président: L'avis de la Cour internationale de justice.

M. William Epstein: Oh, absolument.

Le président: Très bien, voilà qui résume la question.

M. William Epstein: Comme je l'ai déjà dit, jamais veut dire jamais, en particulier lorsque ce sont des puissances nucléaires qui doivent régler toute une série de problèmes et surtout se concilier leurs opinions nationales. La Cour suprême est encore respectée aux États-Unis, tout comme la Cour internationale de justice.

Dans l'affaire du Nicaragua, ils ont finalement appliqué le jugement même s'ils ne l'ont jamais accepté.

Le président: M. Penna, je crois que vous vouliez ajouter quelque chose.

Une voix: Pourrions-nous aller dans cette direction pour que tout le monde ait la possibilité de prendre la parole?

Le président: Certainement. Je ne sais pas si tout le monde veut parler ou non. Y a-t-il quelqu'un qui veille ajouter quelque chose très rapidement?

Mme Anne Adelson: Nous avons beaucoup à dire et nous n'avons pas souvent l'occasion de parler, je ne vais donc pas refuser cette invitation.

Le président: Très bien. Il nous reste 10 minutes, nous allons essayer de partager le temps qui nous reste.

Mme Anne Adelson: Au sujet de la question que vous avez soulevée, à savoir pourquoi accepter un document qui n'est pas juridiquement obligatoire, je dirais qu'il existe de nombreuses ententes qui sont devenues des conventions internationales par le truchement de l'ONU. Si nous avions accepté la charte de l'ONU, cela aurait supprimé les guerres, et pas seulement les guerres nucléaires.

À quoi servent donc tous ces documents? Il ne s'agit pas, d'après moi, de se demander si ces documents sont vraiment utiles parce qu'ils ne lient pas les États nations ou, pour s'attaquer à l'autre côté de la question, comment faire pour rendre ces documents obligatoires pour les pays qui les ont ratifiés, et en particulier, pour les citoyens de ces pays. La charte de l'ONU parle des peuples et elle ne semble pas beaucoup parler des gens.

Sur ce point, je ne sais pas si Mme Hanna Newcombe l'a mentionné lorsqu'elle était ici mais elle avait proposé de constituer une assemblée permanente des peuples qui serait chargée de dire ce qu'il fallait faire de toutes ces déclarations magnifiques. (ONU). Si nous avions accepté et respecté toutes nos obligations internationales, nous aurions une structure globale qui respecterait la primauté du droit et il régnerait la paix, la justice, la sécurité, et il n'y aurait pas de pauvreté ni de discrimination, il y aurait toutes ces choses. Ce n'est pas la réalité mais c'est dans cette direction que nous devons aller. Nous devons trouver les moyens d'y parvenir, sans signer d'autres traités, parce qu'ils sont bien souvent impossibles à appliquer.

• 1150

Pour ce qui est de la dissuasion, il y a bien sûr eu de nombreuses guerres conventionnelles entre pays possédant des armes nucléaires et en particulier, durant la guerre froide, avec des États clients des superpuissances. Je ne sais pas très bien d'où vient ce mythe.

Pour en revenir à ce que le Canada peut faire, M. Epstein et les autres ont beaucoup parlé du traité sur les mines antipersonnelles. Je crois que cela a constitué un point tournant, pour de nombreuses raisons. Le Canada a utilisé cette question pour affirmer son indépendance et travailler avec des pays autres que les États-Unis, qui n'ont jamais signé ce traité, autres que ceux de l'OTAN mais avec des pays ayant des idées semblables... Le Canada a toujours joué un rôle très important auprès des puissances de moyenne importance. Je pense que nous devrions retravailler cette initiative.

Pour régler la question de notre appartenance à l'OTAN, je crois qu'il faut se demander si cela nous aide à rendre le monde plus sûr ou si cela nous en empêche. C'est sur ce critère que nous devrions nous baser. Si cela est un obstacle, il faudrait peut-être repenser notre adhésion à l'OTAN.

Le traité sur les mines antipersonnelles a eu un autre effet. Il a suscité un véritable partenariat entre les gouvernements et les ONG. Je pense que nous devrions également essayer de développer ce genre d'initiative.

Le président: Merci. Cela a été très utile.

Monsieur Penna.

M. Phillip Penna: Pour ce qui est de la première question, devons-nous viser la dissuasion ou devons-nous viser la paix, je crois que nos orientations doivent s'inscrire dans ce cadre. C'est ce que je pense.

Le président: Je suis désolé de vous interrompre mais l'argument des partisans de la dissuasion est que sans dissuasion, vous n'aurez pas la paix. Comment répondre à cela? C'est la question qui se pose constamment.

M. Daniel Turp: Comment peut-on avoir la paix autrement que par la dissuasion?

Mme Anne Adelson: Lisez le rapport Carnegie. Nous avons eu beaucoup plus de guerres depuis que nous avons les armes nucléaires qu'auparavant.

Le président: Je n'en disconviens pas. C'est exact. Le nombre des guerres conventionnelles augmente à un rythme vraiment terrible.

M. Phillip Penna: C'est exact.

Le président: Nous devons donc en arriver à... il faut en revenir à votre point, Mme Adelson, celui que vous avez soulevé au sujet de la démocratie sociale. Ce sont les conditions que nous devons créer. De sorte que l'ACDI... il faut que tous les efforts concourent à créer des conditions favorisant l'existence d'une société civile, que ce soit le renforcement de la démocratie ou le développement économique.

M. Phillip Penna: Je vais faire une petite digression, parce que nous en faisons beaucoup: nous allons également devoir redéfinir le rôle de l'armée dans ce cadre. Mais je ne voudrais pas aborder cette question.

Le président: Ne pensez-vous pas que c'est ce que nous faisons au Canada avec notre maintien de la paix? Comparé à l'armée américaine... j'ai passé beaucoup de temps avec les membres du Congrès américain. Il y a une différence énorme entre ce que l'on pense au Canada du rôle de l'armée et leur attitude vis-à-vis de leur armée.

M. Phillip Penna: C'est un aspect qui illustre bien pourquoi nous pouvons rester au sein de l'OTAN si nous le voulons, tout en ayant des opinions différentes.

Le président: Oui.

M. Phillip Penna: Mais la question de la primauté du droit est de savoir si elle est préservée lorsque des personnes la violent... Cela veut simplement dire que ce sont des criminels. Cela ne veut pas dire que la primauté du droit n'est pas respectée et que par conséquent, cette règle continuera à ne pas être respectée. Cela veut dire simplement que les personnes qui n'acceptent pas la primauté du droit sont des criminels, et c'est comme cela que nous devrions les appeler, parce que c'est ce qu'ils sont.

Le troisième point, au sujet de la question...

Le président: Lorsque le nombre des criminels est supérieur à celui des autres membres de la société, il faut s'interroger sur le genre de droit qui a été créé.

M. Daniel Turp: Seulement si la violation de la loi est un crime; les violations de la loi ne sont pas toujours des crimes. Dans votre cas, vous affirmez que ces personnes ont commis un crime contre l'humanité, un crime contre la paix, ou quelque chose du genre.

M. Phillip Penna: Absolument, et c'est comme cela que nous devrions qualifier ce comportement. Il faut être franc. Ce sont des criminels. Cela nous oblige ensuite à examiner quel genre de relations nous voulons avoir avec eux.

Cela me rappelle une histoire. Bill Epstein a parlé de la nécessité de ramener ici les déchets nucléaires lorsque nous vendons des réacteurs. Pendant la guerre froide, et cela n'a pas changé mais je vais vous donner cet exemple, il existait trois installations d'enrichissement d'uranium au monde. Une de ces usines était russe. Lorsque nous envoyons de l'uranium dans ces usines d'enrichissement, l'uranium est transformé en U-235 et U-238. L'uranium 235 peut être utilisé pour les réacteurs nucléaires. L'uranium 238 devient un produit dérivé. Après 90 jours, cet uranium devient la propriété des États-Unis, de la France ou du pays qui possède l'usine. Il peut alors être utilisé pour la production d'armes ou de têtes nucléaires. C'est un aspect de l'histoire des armes nucléaires et de ce que nous avons fait, malgré les accords. C'est l'échappatoire.

Mais lorsque les Russes enrichissaient de l'uranium pour les réacteurs suédois, en utilisant notre uranium, nous leur demandions de ne pas donner à la Suède un montant égal à l'uranium appauvri. Pourquoi leur avons-nous demandé cela et ne l'avons-nous pas fait pour les États-Unis, pour la France ou pour la Belgique? Parce que nous avions une relation stratégique avec ces pays qui était différente de celle que nous avions avec la Russie et nous n'avons pas exigé que les accords que nous avions conclus avec ces pays soient respectés; cet accord exigeait que notre uranium ne soit pas utilisé pour produire des armes nucléaires.

• 1155

C'est un problème fondamental. C'est ce que nous voulons dire lorsque nous disons que ces deux aspects, l'électricité nucléaire et les armes nucléaires, sont complètement imbriquées pour ce qui est des politiques et des technologies.

Le président: Merci beaucoup. C'est très intéressant.

Monsieur Coombes.

M. Peter Coombes: Je crois que la première question portait sur la dissuasion et qu'elle faisait référence à une question que quelqu'un avait posé auparavant: faut-il se préparer pour la guerre ou pour la paix? Cela fait des milliers d'années que l'on se pose cette question et je crois que l'histoire a démontré que ça fait des milliers d'années que nous préparons la guerre et que nous faisons la guerre. Je crois donc que l'histoire a amplement démontré que c'est nous, ceux qui affirme que la dissuasion ne marche pas, qui avons raison.

Vouloir utiliser les armes nucléaires pour empêcher les armes biologiques est une idée ridicule et un raisonnement ridicule. Ce n'est même pas un raisonnement. C'est une hypothèse. C'est une affirmation. La réalité est que nous possédons des armes nucléaires et que cela n'empêche pas d'autres pays de fabriquer des armes biologiques et chimiques et de les accumuler. En fait, je dirais que le fait d'avoir des armes nucléaires encourage ces pays à posséder des armes biologiques et chimiques, parce que lorsque quelqu'un a une arme puissante, les autres veulent avoir quelque chose d'aussi puissant, ou du moins de comparable, puisque cela constitue une menace réelle pour eux.

M. William Epstein: La bombe atomique du pauvre. La bombe atomique des pays pauvres.

M. Peter Coombes: C'est cela. Pour en revenir à la question de l'OTAN, c'était quelque chose que je voulais soulever, je ne suis pas tout à fait d'accord avec certains intervenants. Je ne pense pas que le retrait du Canada de l'OTAN soit une politique réaliste. Cela est certain mais je ne suis pas nécessairement venu ici pour vous parler de politiques réalistes. Je suis venu parler ici de ce que nous devons faire pour garantir notre avenir, pour nous protéger contre les armes nucléaires, contre la guerre, etc.

L'OTAN est une sorte de camisole de force pour le Canada. Chaque fois que le Canada veut bouger, chaque fois que le Canada essaie de faire des choix en matière de défense, le gouvernement canadien réagit tout le temps de la même façon, c'est-à-dire qu'il déclare que nous ne pouvons pas faire cela parce qu'il faut respecter les obligations que nous impose l'OTAN; nous devons aller nous battre contre l'Iraq. Pourquoi, parce que notre allié de l'OTAN, la superpuissance de l'OTAN, le pouvoir dominant, nous dit d'aller se battre contre l'Iraq avec eux.

En fait, l'OTAN est une menace pour le Canada. C'est l'OTAN qui entraîne le Canada dans ce système de guerre globale. C'est l'OTAN qui entraîne le Canada vers la dissuasion nucléaire. Tant que nous serons membres de l'OTAN, nous continuerons de croire que notre survie militaire dépend de la dissuasion nucléaire.

M. Daniel Turp: Que faut-il faire avec l'OTAN?

M. Peter Coombes: Je répondrai à cette question dans un instant.

Cela me ramène à l'avis consultatif de la CIJ. Je crois que, lorsque la cour rend une décision de cette nature, cela indique à tous les pays ce qui est conforme au droit et ce qui ne l'est pas. L'important est de savoir quels sont les pays qui vont respecter tous ces accords. En tant que membre de l'OTAN, j'estime que nous ne respectons pas cet accord comme nous devrions le faire.

À ce que je sache, le Canada n'a jamais refusé d'appliquer des règles énoncées par la cour internationale. Je ne crois pas qu'il y ait eu un seul autre cas où le Canada n'ait pas strictement respecté un jugement de cette cour.

Le président: À l'époque de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, contrairement au droit international, nous avons refusé de reconnaître la compétence de la cour. Voilà le respect que nous avons eu pour le droit sur cette question, ce qui indique que nous ne sommes pas aussi parfaits que les gens le pensent.

M. Daniel Turp: Il n'y a que deux cas où la cour ait prononcé des décisions concernant le Canada.

Le président: Je ne ferais pas nécessairement cette hypothèse. Je ne le dis pas avec orgueil mais je ne...

[Français]

M. Daniel Turp: C'est un gouvernement libéral, d'ailleurs, qui avait...

[Note de la rédaction: Inaudible] ...cette déclaration.

[Traduction]

Le président: C'est un problème difficile.

M. Peter Coombes: Il y a peut-être un exemple, mais malheureusement je pense que ce sont les États qui ne respectent pas le droit qui finalement se placent dans une situation impossible. Voilà ce que j'avais à dire.

• 1200

Par quoi remplacer l'OTAN? Je pense que nous devrions renforcer la CEI, la...

M. Daniel Turp: La Communauté des États indépendants?

M. Peter Coombes: C'est exact. Excusez-moi.

M. Daniel Turp: Non, cela n'est pas possible.

M. Peter Coombes: Non, la CEI est...

Le président: C'est la CEI russe.

M. Peter Coombes: Pas la CEI, excusez-moi.

Le président: L'OSCE?

M. Peter Coombes: Oui, l'OSCE. Je suis désolé, je savais que je me trompais d'initiales. Les initiales sont importantes, n'est-ce pas?

Nous pourrions suivre cette voie et les Nations Unies sont, je crois, l'organisme que nous devrions privilégier pour renforcer la sécurité internationale. L'OTAN est une alliance militaire qui divise le monde en deux. Nous devrions essayer de créer un réseau mondial de sécurité.

M. Daniel Turp: Demanderiez-vous au Canada de se retirer?

M. Peter Coombes: Je pense que le Canada devrait sérieusement envisager de s'en retirer.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Sinclair.

M. Neil Sinclair: J'aurais quelques commentaires sur la dissuasion nucléaire appliquée aux États qui pourraient utiliser des armes biologiques ou chimiques. Je pense que les pays qui s'opposent à l'utilisation illégale des armes biologiques et chimiques possèdent suffisamment d'armes conventionnelles pour que cela ait un effet dissuasif. Si l'on prend le cas des États-Unis et de l'Iraq, il y avait une supériorité écrasante sur le plan des armes conventionnelles qui aurait pu être utilisée contre ce pays.

Je voudrais mentionner un autre aspect de la dissuasion nucléaire et des armes biologiques et chimiques: le problème qui se pose à l'échelle mondiale est qu'il existe des différences énormes entre les pays riches et les pays pauvres. Si les gouvernements ne se mettent pas à améliorer les conditions de vie d'un grand nombre de personnes, nous aurons continuellement des guerres et des luttes armées. Les gens vont s'armer et attaquer les riches pays occidentaux.

Il faut aller à la base, au coeur du problème, c'est-à-dire, améliorer la situation de ceux qui souffrent de nos jours et ne pas les exploiter comme le font certaines sociétés occidentales.

Le deuxième sujet est l'OTAN. J'estime que l'OTAN devrait évoluer vers une forme moins militaire. Il est sûr que cet organisme ne devrait pas accepter d'autres pays de l'Est. Pourquoi en sommes-nous là? Le seul but de l'OTAN, pendant la guerre froide, était de constituer une alliance militaire. Si l'un des pays membres était attaqué par un pays du Pacte de Varsovie ou aujourd'hui, par la Russie, tous les membres de l'OTAN devaient défendre ce pays. Sommes-nous vraiment prêts à envoyer des soldats canadiens dans les pays de l'Europe de l'Est pour les défendre contre une attaque russe hypothétique? Enfin, tout le monde sait que les Russes ne vont pas attaquer ces pays. Les gens qui pensent cela sont très mal informés de la situation réelle des Russes. Pourquoi alors chercher à élargir l'OTAN? Quel est l'objectif recherché?

L'autre aspect est l'industrie nucléaire civile et la possibilité de distinguer ce secteur du nucléaire militaire. Si l'on regarde l'histoire des secteurs nucléaires civils et militaires, on constate que les deux ont toujours été imbriqués, comme Phillip Penna vient de le mentionner à propos de l'enrichissement de l'uranium. À moins d'être disposés à faire des changements très très coûteux, ces deux secteurs seront toujours imbriqués et je ne pense pas qu'ils soient prêts à dépenser des sommes énormes pour le faire.

Le président: Merci.

Lorsque j'enseignais le droit public international, il y a quelques années, je remettais souvent aux étudiants un article écrit par une professeure éminente qui a vécu il y a des années dans laquelle elle disait que si le monde était un village d'une centaine de personnes et que cinq d'entre elles possédait 80 p. 100 de toutes les richesses, ces personnes seraient peut-être obligées de s'occuper davantage de mettre une barrière autour de leur maison que de partager avec les autres.

Je crois que c'est le sens de votre intervention et c'est un aspect auquel nous travaillons tous, pour essayer de trouver les moyens de faire davantage dans ce domaine.

Je tiens à remercier les témoins. J'aurais une observation à faire sur l'OTAN. Vous dites que les gens sont mal informés s'ils craignent une invasion russe mais les pays qui demandent leur admission à l'OTAN sont la Pologne, la Hongrie et les autres pays qui ont souffert pendant des générations sous l'emprise de la Russie. Ils ne partagent pas votre opinion, je peux vous le garantir. Nous avons beaucoup parlé avec eux. Ils ont vécu une expérience différente qui les rend très, très inquiet. Ils recherchent une certaine sécurité; ils ne veulent pas que cela se reproduise.

• 1205

Mais je ne suis pas en désaccord avec vous. Nous ne voulons pas créer une situation qui susciterait une nouvelle forme de peur en Russie qui accélérerait la course aux armements. Nous essayons tous de démêler ces problèmes complexes.

M. Epstein, il ne reste plus de temps. Je peux vous donner 10 secondes si vous voulez.

M. William Epstein: Très bien.

Le Bélarus et d'autres pays demandent de créer une zone dénucléarisée dans l'Europe centrale et de l'Est qui engloberait le territoire des anciens pays membres du Pacte de Varsovie. C'est une façon de résoudre le problème de l'élargissement de l'OTAN. Si le Canada proposait de créer dans l'Europe centrale et de l'Est une zone dénucléarisée, cela pourrait résoudre ce problème.

Le président: Très bien.

M. William Epstein: Je ne sais pas si la copie du discours du général Lee Butler comprend les questions et les réponses, elles figurent dans le mien, dans lequel il répond à une question au sujet...

Le président: La réponse à votre question est oui.

M. William Epstein: Vous l'avez. Très bien. Les questions et les réponses vont un peu plus loin que le discours.

Le président: Nous avons vraiment apprécié les témoins de ce matin. Nous avons eu une discussion très intéressante et très stimulante, qui s'intègre très bien à nos autres activités, à l'OSCE, à l'OTAN. Les opinions que vous avez exprimées seront fort utiles pour tous les membres du comité.

La séance est levée.