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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 5 février 1998

• 0910

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte.

Avant la présentation de nos témoins, je crois savoir, monsieur Assadourian, que vous voulez m'adresser une demande.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Bonjour à tous.

Monsieur le président, je crois que mardi prochain nous devons reprendre notre étude sur ce sujet. Je propose que nous consacrions quelques heures à la situation en Irak au cours de la première partie de la séance, étant donné que la situation là-bas ne fait que s'aggraver. Je pense qu'il nous appartient d'y consacrer quelques heures et de discuter de cette question avant que le gouvernement ne décide de s'engager dans ce conflit au Moyen-Orient ou de s'en dégager.

Le président: Madame Hilchie, je me demande...

[Français]

À l'intention des autres membres du comité, M. Assadourian nous a demandé qu'à la prochaine réunion, celle de mardi prochain, on commence par une discussion d'une demi-heure ou d'une heure sur la situation en Irak. C'en est une d'urgence et on devrait la connaître.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): J'espère que le président va être un peu plus ouvert que ce gouvernement si on tient un débat sur la question de l'Irak.

Le président: Malgré les allégations contenues dans le Star, je suis toujours très ouvert à tout.

M. Daniel Turp: Puisque cela vient d'un député libéral...

[Traduction]

Une voix: Il est en train de le faire.

Le président: Monsieur Grewal, seriez-vous disposé à ce que nous tenions une discussion préliminaire, à tout le moins, que nous consacrions une heure de notre prochaine séance à la question irakienne?

M. Gurmant Grewal (Surrey-Centre, Réf.): Bien sûr.

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

Je suppose qu'on ne voit pas d'objection à ce qu'on passe du temps sur le sujet?

M. Daniel Turp: Oui, nous serions favorables à ce qu'il se tienne ici un débat sur la question de l'Irak, puisqu'il ne peut pas avoir lieu à la Chambre des communes.

[Traduction]

Le président: Je ne constate aucune objection au sein du comité. Je pense que c'est une recommandation très opportune. Je vous remercie de l'avoir faite, monsieur Assadourian.

Monsieur le secrétaire parlementaire.

M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): On ne saurait concevoir ici une dichotomie entre le comité et la Chambre des communes. La déclaration du premier ministre ne va pas tout à fait dans le même sens que vous avez dit ce matin.

Le président: Pardonnez-moi, pourriez-vous...

M. Ted McWhinney: Je dis que notre initiative ne saurait se substituer à celle de la Chambre des communes, et le premier ministre a indiqué hier les possibilités qui s'offriraient à la Chambre des communes en temps utile.

Le président: C'est exact, mais je crois que ce que M. Assadourian suggère, c'est que nous saisissions l'occasion pour réunir des renseignements, pour nous informer à titre de membres du comité.

M. Ted McWhinney: Je suis d'accord. C'est une excellente idée.

Le président: Personne ne dit qu'un débat ici se substituerait à un débat à la Chambre.

Donc, cette suggestion étant acceptée, la greffière insérera cette question dans notre ordre du jour normal, ou il se peut que nous nous réunissions mardi après-midi; nous y verrons. Mais que chacun comprenne bien qu'il s'agira d'une séance d'information. Merci beaucoup.

J'aimerais vous présenter nos témoins, qui se prononceront aujourd'hui sur notre étude de la politique canadienne sur la non- prolifération nucléaire. Je tiens particulièrement à souhaiter la bienvenue à M. Roche, qui a déjà eu l'amabilité de témoigner devant notre comité auparavant.

Merci beaucoup pour votre livre, monsieur Roche; c'est gentil à vous. Nous aurons sûrement l'occasion de le lire.

Nous recevons également de Project Ploughshares, M. Robinson; de l'Association des vétérans contre les armes nucléaires, M. Morgan; de l'Association des médecins pour la survie mondiale, Mme Grisdale. Voulez-vous vous joindre à nous?

Mme Debbie Grisdale (directrice générale, Association des médecins pour la survie mondiale): Non, le Dr Trouton parlera en notre nom.

Le président: Très bien. Nous avons déjà rencontré le Dr Trouton aussi. Il est bon de vous revoir, monsieur.

Nous entendrons ensuite l'Alliance canadienne pour la paix, représentée par M. Klopstock et Judith Berlyn, qui nous arrive de la Westmount Initiative for Peace. Ce qui fait donc cinq témoins.

Auriez-vous l'obligeance de limiter votre allocution liminaire à 10 minutes afin que les députés aient le temps de vous poser des questions? Je serai un peu sévère, et si vous dépassez les 10 minutes, je vous le ferai savoir. Comprenez bien qu'il ne s'agit pas pour moi d'être impoli; je veux seulement m'assurer que nous avons assez de temps pour les questions et les réponses.

Nous pourrions commencer par M. Roche.

• 0915

M. Douglas Roche (président, Groupe canadien Pugwash et Canadian Network to Abolish Nuclear Weapons): Merci, monsieur le président.

[Français]

Monsieur le président, je tiens à remercier le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de m'offrir l'occasion de comparaître devant vous.

[Traduction]

Je vous adresse la parole au nom du Groupe canadien Pugwash, dont je suis président, et du Canadian Network to Abolish Nuclear Weapons, dont je suis président également.

Permettez-moi tout d'abord de féliciter le gouvernement et le Parlement pour l'esprit d'initiative dont le Canada a fait preuve à l'égard de l'élaboration du nouveau Traité sur l'interdiction des mines terrestres. C'est un événement historique marquant.

J'aimerais examiner la question des armes nucléaires sous trois principaux angles. Premièrement, le risque comparatif pour la sécurité mondiale, deuxièmement, les obligations et les moyens d'action du Canada, et troisièmement, le mouvement grandissant en faveur du désarmement.

La situation des armes nucléaires a atteint un point critique dans le monde. Près de dix années après la fin de la guerre froide, il reste plus de 35 000 armes nucléaires dans le monde. Aucune nouvelle négociation concernant les armes nucléaires n'a été entamée; la Conférence sur le désarmement est paralysée. Craignant une expansion de l'OTAN, la Douma russe n'a pas ratifié le START II. Le START III est immobilisé. Certains politiciens et militaristes russes, préoccupés par la détérioration de la structure des forces classiques de la Russie, parlent à nouveau des armes nucléaires comme d'un moyen de défense vital pour la Russie.

Même si le START II était ratifié, il resterait au moins 17 000 armes nucléaires de toutes sortes en 2007. Vous trouverez la ventilation détaillée de ces chiffres dans mon mémoire ainsi que dans mon livre, auquel vous avez fait aimablement allusion, monsieur.

Malgré la prolongation jusqu'à une date indéterminée du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et la signature du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, une course vers de nouvelles technologies, dirigée par les États-Unis, s'est amorcée dans la quête d'armes nucléaires plus novatrices. Étant donné que les États dotés d'armes nucléaires ont de toute évidence l'intention de continuer à produire des armes nucléaires plus perfectionnées, il est fort peu probable que d'autres pays renoncent à chercher les technologies qui leur permettront de demeurer dans la course. Le monde s'apprête à entrer dans le vingt et unième siècle dans une atmosphère de paix froide où le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires ne sera pas ratifié par certains des pays tenus de le faire et où le TNP pourrait commencer à s'étioler.

Le maintien d'armes nucléaires par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui persistent à dire qu'elles sont essentielles à leur sécurité et à celle de leurs alliés, tout en refusant de reconnaître le même droit à d'autres, contribue à l'instabilité de la situation. C'est ce qu'a fait ressortir la Cour internationale de justice, dont l'appel à la poursuite des négociations sur les armes nucléaires continue à être rejeté par les États dotés d'armes nucléaires et la majorité des pays membres de l'OTAN.

Dans le cadre de son examen du concept stratégique de l'Alliance en prévision de sa prochaine rencontre au sommet en avril 1999, l'OTAN a confirmé, le 2 décembre 1997, que «les forces nucléaires continuent à jouer un rôle essentiel dans la stratégie de l'OTAN et que son but fondamental est politique».

D'aucuns soutiennent que l'élimination des armes nucléaires entraînerait un retour des guerres conventionnelles entre les grands pays industrialisés, mais, comme l'affirme Lord Carver, ancien chef d'état-major de la défense du Royaume-Uni, la situation actuelle, c'est-à-dire de modestes réductions de leurs arsenaux militaires par les États-Unis et la Russie, va sûrement déboucher sur l'acquisition de l'arme atomique, déclarée ou non, par un plus grand nombre de pays, dont certains appliqueront des méthodes de contrôle moins fiables que celles des pays qui disposent déjà d'armes nucléaires. Le risque d'une explosion intentionnelle ou accidentelle d'armes nucléaires s'en trouvera donc accru.

En revanche, un engagement sans équivoque des États dotés d'armes nucléaires à entamer des négociations en vue de l'élimination des armes nucléaires constituerait une mesure d'instauration de la confiance susceptible d'ouvrir la voie à l'élaboration d'un régime mondial de vérification pour appuyer l'abolition des armes nucléaires.

Il serait prématuré peut-être d'écarter la possibilité d'éventuelles guerres conventionnelles, mais quel est le risque que de telles guerres éclatent dans un climat international où l'accent porte sur la préparation de la paix plutôt que de la guerre? Autrement dit, les risques qu'il y aurait à ne pas essayer d'éliminer les armes nucléaires sont beaucoup plus grands que les risques qu'il y aurait à essayer de le faire.

• 0920

Le désarmement nucléaire ne saurait incomber uniquement aux États dotés d'armes nucléaires. L'article VI du TNP oblige tous les États à négocier le désarmement nucléaire, de même que le désarmement général et complet. Ces deux éléments ne sont pas interdépendants.

En raison des dangers immenses qu'elles comportent pour l'humanité, l'élimination des armes nucléaires doit recevoir la priorité absolue en matière de négociations.

Aucun pays ne serait capable à lui seul d'influencer les États dotés d'armes nucléaires. Les moyennes puissances les plus importantes doivent lancer une campagne bien orchestrée, mues par la détermination à affirmer leur droit d'influer sur la question de la sécurité commune et, fortes de l'appui du public, par la volonté politique de ne pas se laisser détourner de leur but par les États dotés d'armes nucléaires.

La guerre froide étant maintenant terminée, le jour des moyennes puissances est venu. L'abolition des armes nucléaires, élément central de la quête gouvernementale mondiale de la sécurité commune, doit maintenant être prise en charge par une nouvelle coalition de moyennes puissances. Cette diplomatie préventive pourrait amener les États dotés d'armes nucléaires à renoncer à la folle voie dans laquelle ils se sont engagés. Il faudrait que cette coalition soit composée de divers représentants des groupements onusiens des pays de l'Est, de l'Ouest et du mouvement des non-alignés, nés des idéologies de la guerre froide. Il devra s'agir d'États importants et influents ayant déjà fait leurs preuves au chapitre du désarmement et capables de bien s'entendre. Grâce aux efforts conjugués de ses membres, une nouvelle coalition devrait avoir la capacité de jouer un rôle sans précédent à l'égard de la paix.

Vu le leadership dont il s'est montré capable lors de la conférence de 1995 sur l'examen et la prorogation du Traité sur la non-prolifération, le Canada est tout désigné pour remplir le rôle de maître d'oeuvre dans l'établissement d'une nouvelle coalition qui se vouerait à l'élimination des armes nucléaires à l'échelle mondiale. À titre de fier défenseur du TNP et de membre de l'OTAN, le Canada a le droit et le devoir de parler en faveur de l'élimination des armes nucléaires et de jouer un rôle de premier plan dans la réalisation de cet objectif.

Le déploiement continu d'armes nucléaires en Europe par l'OTAN, allié au refus d'obéir à la Cour internationale de justice et d'entamer de vastes négociations, enfreint directement la promesse faite en 1995 par les États dotés d'armes nucléaires au moment de la prorogation pour une durée indéterminée du Traité de non-prolifération, soit de mettre en oeuvre avec détermination des efforts systématiques et progressifs en vue de la réduction des armes nucléaires à l'échelle mondiale, le but ultime étant leur élimination.

Même si l'OTAN s'entoure du plus grand secret, il est clair que l'Alliance n'a pas l'intention de renoncer aux armes nucléaires, est déterminée à maintenir une capacité nucléaire de mener la guerre et est prête à utiliser la première des ogives nucléaires de faible puissance.

Il est inacceptable que l'OTAN refuse même de rendre public le cadre de référence utilisé pour son présent examen du concept stratégique. L'expansion d'une telle alliance dotée d'armes nucléaires met en péril l'établissement de relations amicales avec la Russie au lieu d'y contribuer.

Les actes de l'OTAN sont en contradiction avec l'intention déclarée du Canada de travailler à la primauté du droit à l'échelle internationale. Comment le Canada peut-il tenir son engagement à respecter le droit international alors même que l'OTAN insiste pour que tous ses membres s'opposent aux résolutions des Nations Unies en vue de l'ouverture de négociations axées sur l'élimination des armes nucléaires?

La Cour internationale de justice a modifié la dynamique de la participation du Canada au sein d'une alliance dotée d'armes nucléaires, et compte doit être tenu de ses vues.

Le Canada devrait commencer par exhorter l'OTAN à réviser sa politique de manière à ne plus compter sur les armes nucléaires comme un moyen «essentiel» d'assurer sa sécurité. Une première étape consisterait à supprimer toutes les armes nucléaires en sol européen.

Le Canada devrait également inciter les pays dotés d'armes nucléaires à prendre immédiatement les mesures suivantes, c'est-à- dire à: faire en sorte que toutes les forces nucléaires cessent d'être sur un pied d'alerte; s'engager à renoncer à l'emploi en premier de leurs armes nucléaires; mettre un terme au déploiement d'armes nucléaires non stratégiques à l'extérieur de leur propre territoire; mettre un terme à la production de matières fissiles pouvant servir à la fabrication d'armes; enfin, appuyer la création de nouvelles zones exemptes d'armes nucléaires.

Monsieur le président, il ne fait aucun doute que le mouvement pour la neutralisation des arsenaux nucléaires bénéficie en ce moment d'un élan historique. Plus tôt cette semaine, fait sans précédent, une centaine de dirigeants civils du monde, dont 36 chefs de gouvernement anciens ou actuels, ont émis une déclaration pour demander que les armes nucléaires soient éliminées. L'ancien premier ministre canadien Pierre Trudeau, l'ancien président américain Jimmy Carter et l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt figuraient au nombre des signataires.

• 0925

Cette déclaration succédait à une autre, semblable, faite il y a un an, par 61 anciens généraux et amiraux de 17 pays selon qui la politique nucléaire internationale à long terme doit être fondée sur le principe de l'élimination continue, complète et irrévocable des armes nucléaires. La prestigieuse...

Le président: Monsieur Roche, nous avons dépassé de loin les 10 minutes. Je sais que vous n'avez pas terminé de lire votre texte, mais étant donné que nous avons déjà le texte devant nous...

M. Douglas Roche: Je conclurai en vous donnant lecture de mon dernier paragraphe, monsieur le président...

Le président: Merci beaucoup. Je vous sais gré de votre collaboration, monsieur.

M. Douglas Roche: ... et je fais remarquer au passage que ce mouvement pour l'abolition des arsenaux nucléaires prend de l'ampleur partout dans le monde.

Monsieur le président, je demande respectueusement au comité de se concentrer sur le fond du problème: l'agression contre l'humanité que les armes nucléaires représentent. L'humanité est le lien qui nous unit tous. Les gens se sont souciés des mines terrestres. Ils ont compris le problème sur le plan humain. Les médias, sensibilisés par l'intervention de la princesse Diana, ont su mettre ce problème en évidence. Ils ont dépeint l'horreur sur le plan humain des 26 000 décès et mutilations par année attribuables aux mines terrestres. Que dire des millions de morts en quelques minutes qui résulteraient de l'explosion d'une seule arme nucléaire? Ce n'est pas que les gens ne se soucient pas de pareils mégadécès; c'est plutôt qu'ils ont oublié l'horreur d'Hiroshima et de Nagasaki et que le problème demeure abstrait pour eux, dénué des sentiments intenses pour la vie elle-même que les armes nucléaires devraient provoquer.

Je vous demande de tenir compte de l'horreur, des morts et de la désolation, de même que des effets inhumains et incalculables qu'entraînerait l'emploi d'armes nucléaires. Il ne faut pas oublier que les armes nucléaires sont en réalité des armes de destruction massive. Elles violent chaque précepte et règle du droit humanitaire. Leur emploi ne saurait être justifié. Comme l'ancien président de la Cour internationale de justice l'a dit, elles constituent le pire des maux. Elles doivent être condamnées et abolies. Leur maintien représente un défi de la plus haute importance d'un point de vue moral, légal et politique.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Roche. Et encore une fois, excusez-moi de vous avoir pressé, mais je crois qu'il est important pour nous de passer aux questions, comme vous le comprendrez.

Je tiens seulement à attirer votre attention sur un fait. Vous savez que M. Moher a témoigné devant le comité. Il a témoigné à huis clos parce que nous voulions donner au gouvernement la possibilité de nous renseigner sur toutes les questions de sécurité délicates qui interviennent, mais il a fait une déclaration publique qui rejoint bon nombre des thèmes que vous avez évoqués, et nous pouvons vous donner une copie de son texte si vous voulez. Chose certaine, le personnel du comité en donnera copie à tous les participants ici présents, étant donné qu'il s'agit d'un exposé assez complet de la position gouvernementale. Nous entendrons sûrement l'ambassadeur Moher en public, et nous vous donnerons à vous et à d'autres organisations la possibilité d'assister à son témoignage. Nous vous donnerons une copie de sa déclaration si vous voulez.

De même, au nom des membres du comité, je tiens à souhaiter la bienvenue à notre collègue, M. Robinson, qui est de retour parmi nous, quelque peu abîmé, mais solide comme toujours. Bienvenue, monsieur. Il est bon de vous revoir.

Des voix: Bravo.

Le président: Nous allons maintenant écouter M. Bill Robinson.

M. Bill Robinson (bureau national, Project Ploughshares): C'est un plaisir pour moi que de témoigner à nouveau devant votre comité. J'étais ici en mars dernier.

Project Ploughshares tient à féliciter le comité permanent d'avoir entrepris cette étude importante et opportune de la politique du Canada en matière d'armes nucléaires.

Notre mémoire est assez long. Je ne vous en donnerai pas une lecture complète; je me contenterai donc d'une petite partie de l'introduction et je porterai ensuite mon attention sur la partie traitant de la convention sur les armes nucléaires.

La fin de la guerre froide n'a pas mis un terme à la menace que les armes nucléaires font peser sur l'humanité et le monde. Au cours de la dernière décennie, on a réduit de moitié l'arsenal nucléaire mondial, qui est passé d'environ 70 000 armes à environ 35 000, ou un peu moins aujourd'hui, mais la puissance destructrice de l'arsenal d'aujourd'hui demeure colossale, soit l'équivalent d'un demi-million de bombes nucléaires de la taille de celle qui a détruit Hiroshima.

J'ignore combien d'entre vous ont notre mémoire sous les yeux, mais vous y trouverez un chiffre qui montre la puissance destructrice des arsenaux d'aujourd'hui, qui s'établit à 18 000 mégatonnes, soit 3 000 fois plus que la puissance explosive utilisée pendant la Deuxième Guerre mondiale. Même si les plans actuels de réduction des armements devaient se réaliser, le nombre total d'armes nucléaires dans le monde varierait quelque part entre 15 000 et 20 000 d'ici à l'an 2007, soit une puissance destructrice représentant entre 200 000 et 300 000 fois la bombe d'Hiroshima. Il s'agit donc ici d'une puissance explosive gigantesque qui pourrait détonner littéralement à n'importe quel moment.

• 0930

Project Ploughshares fait trois recommandations dans son mémoire. Premièrement, que le gouvernement du Canada prône la prise de mesures immédiates pour atténuer la menace nucléaire, notamment la mise hors d'état d'alerte de toutes les forces nucléaires et la conclusion d'ententes sur le principe du non-usage en premier et de la non-utilisation des armes nucléaires contre des États qui n'en ont pas. Deuxièmement, demander que soient entreprises des négociations sur une convention destinée à éliminer toutes les armes nucléaires. Et, troisièmement, renoncer au parapluie nucléaire et cesser de défendre les armes nucléaires.

La partie sur laquelle j'aimerais insister est la deuxième, soutenir la signature d'une convention sur les armes nucléaires, qui commence à la page 6 du mémoire. Nous estimons que le gouvernement du Canada devrait faire de l'abolition des armes nucléaires un objectif réel dans le monde d'aujourd'hui et presser les puissances nucléaires et d'autres États d'entreprendre des négociations sur une convention visant à éliminer toutes les armes nucléaires.

Pour le moment, les efforts de désarmement nucléaire du Canada se concentrent presque exclusivement sur des mesures de restriction, en particulier le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires et un traité proposé visant à mettre un terme à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. De telles mesures sont précieuses, mais elles ne vont pas assez loin. Le moment est venu pour le Canada de joindre sa voix à celle d'autres pays pour demander la négociation d'une convention sur les armes nucléaires qui définirait un cadre d'élimination complète des armes nucléaires.

Je n'ai pas pris connaissance des propos de l'ambassadeur Moher devant le comité mardi, mais j'ai lu ce qu'il a dit en octobre 1997, que je cite dans le mémoire, et j'imagine que ses vues sont assez semblables. Il a exposé la position du gouvernement du Canada...

Le président: Vous parlez de la déclaration Pugwash, n'est-ce pas?

M. Bill Robinson: Oui.

Le président: Oui, c'est très semblable.

M. Bill Robinson: Il a dit à ce moment-là que les propositions visant la signature d'une convention sur les armes nucléaires sont dans le meilleur des cas prématurées. Selon lui, le Canada ne s'oppose pas à la conclusion d'une telle convention; il la voit comme une étape éventuelle du processus de désarmement nucléaire, à franchir au moment opportun, et non comme une première étape générale.

Nous ne pouvons souscrire à cette position. De nombreuses raisons expliquent que l'amorce de négociations sur la conclusion d'une convention sur les armes nucléaires constitue, à l'heure actuelle, une étape opportune et, en fait, des plus souhaitables. Je vais me contenter d'en énumérer cinq.

Tout d'abord, s'entendre pour entreprendre des négociations sur une telle convention entraînerait une amélioration radicale de la sécurité internationale. En contribuant à enterrer les fantômes de la guerre froide et en établissant des relations non militaires positives avec la Russie, on contribuerait à atténuer les préoccupations de la Russie à l'endroit de l'expansion de l'OTAN. De plus, on renforcerait la légitimité du régime mondial de non- prolifération, qui deviendrait pratiquement inattaquable. On soulignerait la volonté de plus en plus ferme des États de respecter et de renforcer le droit international, qui, comme la Cour internationale de justice l'a mentionné, oblige déjà les États à mener et à conclure de bonne foi des négociations aboutissant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects.

Deuxièmement, les négociations entourant la conclusion d'une convention légitimeraient le contexte de mesures de portée plus limitée aujourd'hui prises par le gouvernement du Canada et d'autres. Je pense en particulier au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires et à l'interdiction de la production de matières fissiles. Ces mesures seraient beaucoup plus légitimes dans le cadre de négociations sur la signature d'une convention sur les armes nucléaires et auraient beaucoup plus de chances de recueillir des appuis si elles étaient implicitement ou explicitement incorporées au processus.

Troisièmement, dans le cadre des négociations, on devrait mettre sur la table les mesures cruciales liées à l'abolition, par exemple la mise au point de procédures rigoureuses de reddition de comptes à l'égard des têtes explosives et de la matière fissile, ce qui ne fait pas actuellement l'objet de négociations. Il faudrait commencer à en discuter immédiatement et s'atteler à la tâche. C'est l'un des aspects les plus importants des négociations sur une convention relative aux armes nucléaires. Les négociations doivent être entamées.

Quatrièmement, grâce aux négociations, on s'assurerait que les mesures intérimaires prises dans le cadre d'ententes sur la réduction des armes stratégiques et d'autres pourparlers vont dans la bonne direction. Nous avons déjà pris certaines mesures selon les ententes sur la réduction des armes stratégiques, mais la négociation d'une convention aiderait à déterminer, par exemple, que la configuration privilégiée des arsenaux nucléaires réduits qui seront probablement créés aux divers stades intérimaires précédant l'abolition est le plus appropriée possible. Celle-ci pourrait être radicalement différente de la configuration défendue actuellement dans les pourparlers sur le contrôle des armements.

J'en donne dans le mémoire un petit exemple qui reflète peut-être ou peut-être pas ce qui se produira en réalité, mais ce n'est qu'une possibilité.

• 0935

On pourrait utiliser les silos à missiles qui sont actuellement détruits comme installations d'entreposage sûres des têtes explosives mises au rancart dans le cadre de diverses mesures de dénucléarisation. Ces silos seraient un très bon endroit pour entreposer les têtes explosives. Ils seraient à l'abri d'une attaque, et l'on assurerait un équilibre plus stable pendant la dénucléarisation. À l'heure actuelle, on les détruit à cause des ententes sur la réduction des armes stratégiques. C'est tout à fait légitime, mais les pays en cause ne voient pas assez loin, parce que les négociations ne visent pas maintenant à en arriver au point zéro. Personne n'y pense.

Enfin, l'acceptation de négociations en vue de la conclusion d'une convention constituerait un important progrès en soi dans la mesure où elle signalerait que les puissances nucléaires reconnaissent que les armes nucléaires ne sont pas essentielles, qu'elles sont en fait superflues et contraires aux intérêts de la sécurité et que, enfin, l'objectif fondamental consistera désormais à les éliminer le plus rapidement possible, de façon sûre et vérifiable.

Voilà qui marquerait un tournant psychologique fondamental dans la délégitimation des armes nucléaires, ce qui aurait des conséquences immédiates pour les doctrines et les plans nucléaires existants. En fait, l'amorce de telles négociations pourrait servir de tremplin à la mise en oeuvre des mesures immédiates mentionnées par l'ambassadeur Roche et d'autres, qui consistent à dénucléariser et à se débarrasser des armes nucléaires tactiques, par exemple. Cela réduirait de façon dramatique les risques que représentent les arsenaux nucléaires actuels.

Ploughshares tient à souligner que, selon nous, on peut et doit prendre immédiatement de telles mesures, que le Canada décide ou non de mettre de l'avant une convention sur les armes nucléaires et que ces négociations soient entamées ou non d'ici peu de temps. Nous considérons très important que ces négociations soient entamées, mais il importe aussi de prendre ces mesures immédiates. Et l'on peut le faire, peu importe si l'on réalise des progrès ou non. Cependant, nous somme convaincus que le fait de réaliser des progrès dans la négociation d'une convention favoriserait aussi la prise de mesures immédiates.

Tout cela ne veut certes pas dire qu'une convention sur les armes nucléaires constituerait un processus instantané. Le principal obstacle tient à l'absence d'une volonté politique d'aller de l'avant, et, si cette volonté politique était là, je pense qu'on pourrait conclure une convention rapidement, mais personne ne devrait s'étonner que de telles négociations prennent du temps. À cet égard, le processus pourrait s'assimiler à la longue saga de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Il aura fallu de nombreuses années pour obtenir des résultats concrets, mais la conférence, de par son existence même, a contribué de façon considérable à mettre un terme à la guerre froide.

Comme la Commission de Canberra l'a déclaré, l'engagement des puissances nucléaires à agir sans délai pour créer un monde dénué d'armes nucléaires est la première étape à franchir en vue de la réalisation de l'objectif. Selon la Commission, un tel engagement aurait pour effet de transformer tout le processus.

Je pense que c'est très vrai, et c'est pourquoi il importe de parler d'une convention pour éliminer les armes nucléaires et d'entamer des négociations à ce sujet à l'échelle internationale.

Les sessions annuelles de l'Assemblée générale des Nations Unies constituent pour le Canada une occasion en or de se prononcer en faveur de la négociation d'une convention sur les armes nucléaires et d'encourager d'autres États à manifester leur soutien. En 1997, comme vous le savez sans doute, le Canada a voté contre la résolution 52/38 O, qui prévoyait des négociations multilatérales devant conduire à la conclusion rapide d'une convention sur les armes nucléaires. À l'occasion de la session de 1998 et au cours des années à venir, on se penchera sur une résolution similaire; le Canada devrait voter en faveur de la résolution et envisager de la coparrainer.

Merci beaucoup de m'avoir permis de vous adresser la parole. Je répondrai volontiers à vos questions sur cette partie de notre mémoire ou sur n'importe quelle autre partie qui vous intéresse.

Le président: Merci, monsieur Robinson.

Monsieur Morgan.

M. David R. Morgan (président, Association des vétérans contre les armes nucléaires): Monsieur le président, je tiens à remercier le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de nous donner cette occasion de témoigner devant vous. Je suis géologue et membre de la British Columbia Professional Engineers Association. Je vous adresse la parole aujourd'hui à titre de président national de l'Association des vétérans contre les armes nucléaires.

Je voudrais aujourd'hui vous parler de la menace des armes nucléaires pendant les 16 crises nucléaires connues de la guerre froide. À mon avis, une association d'anciens combattants a deux rôles importants à jouer: rappeler le passé et donner des avertissements.

• 0940

Dans le cadre de vos études de la politique nucléaire, vous trouverez sans doute utile de voir quelles politiques les États nucléaires ont appliquées pendant ces crises. En guise d'introduction, je vais vous parler de deux aspects importants de ces crises. Le premier est le sentiment d'irréalité. Quelqu'un ici a-t-il déjà vu une arme nucléaire ou une explosion nucléaire? Non? Moi non plus, mais j'ai pu voir les conséquences d'une explosion.

Je travaillais comme géologue au Nevada, et Las Vegas est un port d'attache très utile, parce qu'il est très bien servi par les lignes aériennes. J'étais dans ma chambre à l'hôtel Best Western à Las Vegas le 30 avril 1987, à 6 h 30, quand mon lit a commencé à trembler. Ce n'était pas un mouvement violent, mais un simple aller et retour comme ceci. J'ai regardé ce qui arrivait à une lampe suspendue dans la chambre. La lampe se terminait par une baguette qui oscillait tranquillement comme un pendule. Il s'agissait d'un hôtel en béton, et j'étais au 8e étage. J'ai entendu toute la structure de l'hôtel grincer et je me suis dit qu'il s'agissait ou bien d'un tremblement de terre, ou bien d'une bombe. J'ai aussi pensé que je ne le saurais probablement jamais. Cependant, le soir, dans l'avion vol qui me ramenait à Vancouver, j'ai lu ceci dans le Los Angeles Times:

    Sixième essai d'une arme nucléaire par les États-Unis cette année.

    On a fait exploser sous le sol du désert du Nevada à 6 h 30 une bombe thermonucléaire 11 fois plus puissante que la bombe d'Hiroshima.

J'avais donc l'explication.

La zone d'essai est située à 80 milles de l'hôtel. L'arme en question pouvait faire trembler un hôtel en béton à 80 milles de distance. C'est une preuve impressionnante de la puissance de ces armes. C'était ma première expérience, et j'espère bien que ce sera la dernière.

La deuxième chose que je veux souligner au sujet de ces crises dont vous pouvez voir un aperçu sur le tableau au mur est le risque. Comme ces crises semblent irréelles, de même que les armes nucléaires en général, on oublie un peu quels sont les risques. À l'époque des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, le public mondial savait très bien quels étaient ces risques, mais je pense que l'on est devenu de moins en moins sensible à ces risques à mesure que ceux-ci ont augmenté. C'est le deuxième aspect que je voudrais signaler à votre attention.

De toute évidence, ce graphique représente le XXe siècle. J'aimerais vous signaler une ou deux choses. Les deux guerres mondiales sont en rouge. Dix-sept millions de soldats sont morts pendant la première, et de 17 à 20 millions, pendant la seconde, mais également 33 millions de civils. Il est important de signaler cette tendance lorsqu'on examine les guerres du XXe siècle: les civils sont de plus en plus menacés.

Les marques orange représentent les crises nucléaires qui se sont produites. Ces crises ont tendance à s'aggraver. La toute dernière, celle que j'appelle «première frappe», s'est déroulée entre 1983 et 1985, et ce fut certainement la plus grave, et peut- être également la plus incompréhensible.

Tous ceux qui ont vécu la crise de Cuba s'en souviennent. Au milieu, vous voyez le mot «Cuba»: de toute évidence, cette crise-là fut très grave.

Maintenant, ces crises suivent un schéma bien particulier. J'indique ce schéma en bas du graphique. En un premier temps, les États-Unis avaient le monopole des armes nucléaires. Le président Truman a un jour demandé à Robert Oppenheimer, le père de la bombe atomique, combien de temps s'écoulerait avant que les Russes aient la bombe. Oppenheimer a répondu qu'il faudrait environ 10 ans. Truman dit ensuite que les Russes ne l'auraient jamais. C'est ce qu'il pensait à l'époque. En fait, les Russes ont eu la bombe en 1949, et, par conséquent, c'est un monopole que les Américains n'auront eu que pendant quatre ans.

Cet événement a déterminé la fin de cette période. En fait, il y a eu deux facteurs: d'abord, la bombe russe le 3 septembre 1949, puis, en octobre, la Chine est devenue communiste.

• 0945

Il y avait donc un aspect stratégique... et à partir de là, la situation dans le monde s'est renversée très rapidement. Après cela, on assista aux États-Unis à une sorte de convulsion politique, et Truman demanda à ses conseillers dans combien de temps les Soviétiques pourraient monter une attaque atomique sérieuse. Ils répondirent que le jour «A» se produirait en 1954, que ce jour-là leur pouvoir destructeur serait égal à celui des Américains.

Ce n'est pas par hasard que huit des seize crises que je vous signale se sont produites pendant cette période. C'est une période où les chefs d'état-major interarmées et le Conseil national de sécurité insistaient pour que les États-Unis soient les premiers à frapper et à attaquer la Chine et la Russie avec des armes nucléaires. À un certain moment, le président Eisenhower était le seul obstacle à ces attaques. Il a résisté à beaucoup de pressions pour utiliser ces armes.

Cette période a abouti, bien sûr, à la crise de Cuba, qui a été particulièrement grave. Ce fut une crise grave à tous les égards. Et Kennedy et Khroutchev ne furent pas les seuls à s'en rendre compte; les populations du monde entier en étaient conscientes. Les gens se rendirent compte qu'on était tout proche d'un point de non-retour, et ils furent saisis de peur, une peur qui dura pendant environ huit ans, ou plutôt sept.

Ce ne fut pas par hasard que l'année suivante Kennedy et Khroutchev signèrent un traité pour interdire les essais nucléaires. Malheureusement, ils ne purent donner suite à ces nouvelles relations qui avaient été établies, car Kennedy fut assassiné un mois plus tard, en novembre, et Khroutchev perdit le pouvoir environ un an plus tard, la veille du jour où les Chinois firent exploser leur première bombe.

C'est Richard Nixon qui mit fin à cette période de panique en menaçant de mettre fin à la guerre du Vietnam avec des armes nucléaires. Suivit ensuite une période assez confuse pendant laquelle la machine de guerre continua à grossir irrémédiablement— c'est ce que j'appelle une course aux armements irrémédiable—une période pendant laquelle la technologie des armes nucléaires fit des progrès énormes, en particulier les systèmes de lancement. On abandonna les fusées uniques qui lançaient d'énormes ogives ayant le pouvoir de détruire des villes entières pour des fusées beaucoup plus précises, porteuses d'ogives multiples.

On vit ensuite apparaître le missile de croisière, et cela aboutit à la pire crise de toutes, celle que vous voyez ici au bout, celle dont nous nous souvenons tous, la crise de première frappe. Cette crise a été déclenchée lorsque les Américains ont livré à l'Allemagne de l'Ouest neuf missiles Pershing II qui, avec le missile de croisière MX, leur donnaient une capacité de première frappe. Souvenez-vous que la différence entre une capacité de première frappe et une intention de première frappe est très difficile à faire, surtout pour l'ennemi.

Cette crise a duré environ deux ans, et, en fait, c'est Gorbatchev qui y mit fin. C'est véritablement Gorbatchev qui a mis fin à la guerre froide. Et cela nous amène à la période actuelle, celle de l'après-guerre froide, et où en sommes-nous?

Pendant longtemps, j'ai cru qu'encore une fois nous étions dans une période de grande panique, mais l'année dernière, avec l'élargissement de l'OTAN vers l'Est, et avec les nouveaux tests nucléaires, et en particulier de réacteurs sous-critiques, je pense que nous sommes revenus au point zéro, et encore une fois nous pensons détenir une sorte de monopole nucléaire au sein de l'OTAN et au sein des puissances nucléaires. Cela s'accompagne d'une certaine arrogance.

Je le regrette beaucoup, mais je n'ai pas le temps d'examiner en détail chacune de ces crises. J'ai voulu vous parler de la crise pendant laquelle la Chine a été menacée, la troisième crise de Berlin, la crise pendant laquelle le président Kennedy avait déclaré à son Cabinet qu'il y avait une chance sur cinq de conflit nucléaire. Ce n'était même pas pendant la crise de Cuba; c'était pendant la crise précédente. Celle qui est désignée par B-III sur le graphique.

• 0950

Je voulais vous parler également de la crise de première frappe, mais comme le temps me manque, je vais passer au résumé de ces crises qui figure dans vos notes.

La première chose, c'est que pendant ces 39 années de guerre froide, le monde a été sous une menace nucléaire pendant un total de 107 mois. Cela représente 23 p. 100 du temps, c'est-à-dire neuf années.

Après Berlin II, l'espèce humaine a été gravement menacée d'extinction lors d'un hiver nucléaire qui aurait suivi une guerre atomique pendant toutes les crises majeures. C'est la flèche verte à gauche.

Mais pendant 22 ans, le monde ignorait l'existence de cette menace d'hiver nucléaire. La flèche à droite montre la date à laquelle on s'est aperçu de l'existence de cette menace. Donc, pendant 22 ans, nous ignorions cette conséquence. Quels sont les autres facteurs d'une guerre nucléaire que nous ignorons toujours, puisqu'il a fallu 22 ans pour découvrir celui-ci?

Pendant les incidents récents en Ontario et au Québec, je parle de la tempête de verglas, nous avons eu une idée de ce que serait l'hiver sans électricité. Pendant un hiver nucléaire, il faut ajouter à cela une nuit qui dure une année entière, des températures au-dessous de zéro même en été, et même dans les tropiques, et aucune possibilité de prendre un vol vers les tropiques. Pas d'approvisionnements alimentaires, pas d'eau, pas de carburant, pas de gaz ou d'électricité, pas de service d'égouts, personne pour porter secours, et la vie dans un smog toxique, d'énormes doses de radiations rendant les gens malades et les tuant dans de vastes régions, pas de récoltes, l'effondrement de l'agriculture et de violentes tempêtes près de la côte. Au bout d'un an, la fumée se dissiperait, et il n'y aurait plus d'ozone. On serait alors exposé à de brutales radiations ultraviolettes. Voilà les risques que nous avons courus pendant ces 22 ans.

Comment a-t-on réagi? Trois ans plus tard, la politique américaine n'avait toujours pas changé, et Richard Perle, le secrétaire adjoint à la Défense aux États-Unis déclarait le 15 mars 1985: «La menace d'un hiver nucléaire qui effacerait toute trace de vie sur la planète est une raison de plus de continuer la politique du président Ronald Reagan et de constituer d'importants stocks d'armements.»

Je vais maintenant passer à mes conclusions: les risques posés par les armes nucléaires ont été bien plus graves que nous ne le pensons, et le sont encore. Deuxièmement, ces risques existent toujours. Troisièmement, il existe actuellement une possibilité de diminuer ces risques, mais elle disparaît rapidement, surtout depuis un an. Quatrièmement, la politique du Canada en matière d'armes nucléaires est fonction de notre appartenance à l'OTAN. Cinquièmement, il est illusoire de penser travailler de l'intérieur à changer la politique nucléaire de l'OTAN. Sixièmement, des pressions économiques considérables s'exercent sur le Canada pour qu'il reste au sein de l'OTAN, entre autres au moyen de l'Accord canado-américain sur le partage de la production de défense, mais on ne peut se permettre d'en tenir compte lorsqu'il s'agit de décisions d'une telle gravité. Enfin, septièmement, il sera très difficile de se débarrasser des armes nucléaires, mais en comparaison des problèmes qu'on risque en les gardant, ce sera un jeu d'enfant.

Enfin, les Vétérans contre les armes nucléaires ont trois recommandations à formuler: premièrement, que la politique du Canada sur la non-prolifération des armes nucléaires, le contrôle des armements et le désarmement soit révisée de manière à être entièrement conforme à l'avis facultatif de la Cour internationale de justice sur la légalité de la menace ou de l'utilisation des armes nucléaires. Deuxièmement, que le Canada se retire d'ici à cinq ans de toutes les alliances militaires où les armes nucléaires sont opérationnelles et où il serait concevable qu'elles soient utilisées. Enfin, troisièmement, que le Canada se joigne à d'autres puissances intermédiaires à la recherche d'une sécurité commune afin de faire pression sur les États possédant l'arme nucléaire afin qu'ils a) prennent immédiatement des mesures afin que leurs armes nucléaires ne soient plus en état d'alerte; b) signent un engagement de «non-emploi en premier»; et c) signent d'ici à l'an 2000 une convention établissant un échéancier obligatoire en vue de l'abolition de toutes les armes nucléaires.

Les Vétérans contre les armes nucléaires vous remercient infiniment de les avoir écoutés.

Le président: Merci, monsieur Morgan.

Nous écoutons maintenant les Drs Bryans et Konia Trouton, qui représentent l'Association des médecins pour la survie mondiale.

[Français]

Dr Konia Trouton (présidente, Association des médecins pour la survie mondiale): Merci. Je m'appelle Konia Trouton. Le Dr Bryans et moi aimerions tout d'abord vous remercier de nous avoir invités ici ce matin.

• 0955

Certains d'entre vous ont sûrement entendu ou lu notre exposé de l'an dernier. L'examen en cours de la politique du Canada sur les armes nucléaires est de la plus haute importance.

Le Dr Bryans et moi sommes membres de l'Association des médecins pour la survie mondiale, une organisation dirigée par des médecins qui compte environ 7 000 membres. Elle a été fondée au Canada il y a 17 ans et avait anciennement pour nom Médecins canadiens pour la prévention de la guerre nucléaire.

Notre énoncé de mission est le suivant: Comme nous nous préoccupons de la santé mondiale, nous travaillons à l'élimination des armes nucléaires, à la prévention de la guerre et à la promotion de moyens non violents pour la résolution des conflits et la justice sociale dans un monde durable.

Les membres de l'Association des médecins pour la survie mondiale considèrent les armes nucléaires comme un danger pour la santé, un problème moral et une question de droit. Ces armes risquent d'engendrer la pire catastrophe pour l'homme, catastrophe contre laquelle les services de santé du monde ne pourraient presque rien. Il n'existe pas de traitement efficace contre les dommages immédiats ou permanents qu'elles causeraient à la population et à l'environnement dans lequel nous vivons.

Nous faisons partie de l'Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire, à qui le prix Nobel de la paix a été décerné en 1985. Nous sommes l'une des quelque 1 000 organisations gouvernementales de 79 pays dont est composée Abolition 2000, le mouvement international en faveur de l'élimination des armes nucléaires. Nous sommes également un membre fondateur du Canadian Network to Abolish Nuclear Weapons.

[Traduction]

Dr Alex M. Bryans (Médecins pour la survie mondiale): Si nous sommes ici, ce n'est pas seulement pour vous convaincre de la nécessité de respecter la décision très claire de la Cour internationale de justice, le droit humanitaire établi de longue date, et les conventions de Genève sur la guerre et les conflits internationaux. Nous supposons que vous voulez entendre également des suggestions d'ordre pratique pour remplir ces engagements internationaux, et nous sommes certains que la population canadienne s'associerait volontiers à une telle tâche.

Nous allons mettre l'accent dans notre exposé d'aujourd'hui sur l'élimination des armes nucléaires, la notion de dissuasion, l'OTAN et la nécessité de travailler avec des États avec lesquels nous avons des affinités.

L'Association des médecins pour la survie mondiale a été le coordonnateur au Canada du projet qui a mené la Cour internationale de justice à se prononcer sur la question de la légalité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires.

Près de 30 000 Canadiens ont signé une déclaration d'objection de conscience par laquelle ils ont affirmé être fermement convaincus que les armes nucléaires sont odieuses et immorales. Une quarante de municipalités, dont Toronto et Vancouver, et plus de 100 organisations régionales et nationales ont exprimé leur aversion contre les armes nucléaires dans le cadre du projet de la Cour internationale de justice. Vingt mille Canadiens ont écrit au gouvernement pour l'exhorter à cesser d'autoriser les sous-marins américains à armement nucléaire à pénétrer dans les eaux canadiennes au large de la côte Ouest.

Faisant fond sur les réalisations du projet de la Cour internationale de justice, les Canadiens ont dit croire, toutes les fois qu'ils en ont eu l'occasion, que les armes nucléaires sont inacceptables et devraient être éliminées. Le comité est sans doute au courant des résultats de la série pancanadienne de tables rondes que M. Douglas Roche a présidées et au cours desquelles des dirigeants locaux ont demandé au gouvernement du Canada de prendre immédiatement—et non pas dans un avenir lointain—l'initiative de convaincre la communauté internationale d'adopter un programme d'abolition des armes nucléaires.

Nous réaffirmons ces premiers points dans nos deux premières recommandations à la page 3. Première recommandation: que le gouvernement canadien respecte l'avis consultatif de la Cour internationale de justice et les exigences du droit international. Recommandation 2: que le Canada commence à exercer des pressions sur les États dotés d'armes nucléaires pour qu'ils s'engagent à mettre leurs armes nucléaires hors d'état d'alerte et à ne pas frapper en premier.

• 1000

Vous aurez certainement lu, ou vous aurez certainement l'occasion de lire la convention modèle sur les armes nucléaires qui a été soumise récemment aux Nations Unies par le Costa Rica. Le moment est bien choisi pour une telle initiative, et cela nous amène à notre troisième recommandation: que le Canada appuie les efforts devant conduire à la signature d'une convention sur les armes nucléaires.

À la page 3 de notre rapport écrit, nous discutons de la dissuasion. Nous tenons à contester la théorie de la dissuasion, la notion que la possession déclarée ou l'emploi possible de bombes nucléaires améliore la sécurité en réduisant les risques qu'une autre partie emploie ces bombes nucléaires. Cet argument part du principe qu'un pays doit avoir en sa possession des bombes nucléaires pour décourager des pays récalcitrants ou des terroristes d'y avoir eux-mêmes recours, ou un État doté de l'arme nucléaire de l'utiliser contre un autre. Si certains pays, y compris les plus puissants, affirment avoir besoin d'armes nucléaires pour leur sécurité, d'autres pays en concluront qu'ils en ont d'autant plus besoin. Le seul moyen efficace de faire disparaître la menace que posent les bombes nucléaires, peu importe à qui elles appartiennent, est de créer un monde qui en soit exempt.

Nous reconnaissons que le grand public doit être protégé et qu'il continuera d'y avoir des conflits au sein des nations et entre les nations. Par conséquent, l'Association des médecins pour la survie mondiale appuie l'utilisation et le développement de moyens efficaces pour régler les conflits internationaux dans la non-violence. Nous vous signalons également que la sécurité de l'humanité englobe les principes de la justice sociale, du respect des droits de la personne et de la responsabilité partagée.

Certains disent que 5 000, 500 ou même 50 armes nucléaires est un nombre sécuritaire qui pourrait suffire pour assurer la dissuasion. Cela pourrait peut-être dissuader d'utiliser des bombes, mais le risque pour la société est toujours là. On n'empêche pas ainsi entièrement la possibilité d'une utilisation accidentelle ou non autorisée. L'argument voulant que les bombes nucléaires protègent la société n'est absolument pas valable.

Avant de laisser de côté la question de la dissuasion, nous exhortons le comité à répondre aux quatre questions suivantes. Supposons que les Russes fassent exploser une bombe nucléaire, non autorisée, sur une ville américaine. Premièrement, quelle serait la réaction des États-Unis? Deuxièmement, quel est le plan des États-Unis dans une telle éventualité? Ils en ont certainement un. Troisièmement, le gouvernement canadien connaît-il le plan des États-Unis et est-il d'accord avec ce dernier? Quatrièmement, si le gouvernement canadien ne le connaît pas, prendra-t-il des mesures immédiates pour y remédier?

Notre quatrième recommandation est que le gouvernement canadien rejette la notion de dissuasion nucléaire comme moyen de parvenir à la sécurité nationale et internationale.

Dr Konia Trouton: En ce qui a trait à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, il y a quatre questions qui nous préoccupent. Elles se trouvent dans le texte que vous avez devant vous, et je vais vous les résumer.

Tout d'abord, voici ce que disait l'OTAN dans un communiqué publié en décembre dernier:

    Nous réaffirmons que les forces nucléaires des alliés continuent à jouer un rôle unique et essentiel dans la stratégie de prévention de la guerre de l'Alliance.

Notre deuxième préoccupation, c'est que le gouvernement canadien a accepté la déclaration de l'OTAN comme un élément central de la défense. Notre question est la suivante: où dans la politique étrangère du Canada est-il dit que les armes nucléaires sont essentielles à notre sécurité?

M. Roche a déjà décrit l'écart qui existe entre le droit international et la politique de l'OTAN.

L'absence de transparence au sein de l'OTAN et du ministère de la Défense nationale du Canada nous préoccupe également. Nous voulons parler plus particulièrement de l'examen de la mise à jour, au besoin, du concept stratégique de l'Alliance qui a été annoncé par les ministres de la Défense de l'OTAN en décembre dernier. L'absence de transparence est également illustrée par la ratification cette semaine par le Canada de l'expansion de l'OTAN.

Le dernier point sur lequel nous voulons insister est l'indifférence totale de l'Alliance de l'OTAN face à la décision de la Cour internationale de justice.

Cela nous amène à la page 6 de notre texte, où se trouve notre recommandation 5: que le gouvernement canadien s'emploie à convaincre l'OTAN de mettre un terme à sa dépendance nucléaire et à renoncer à sa stratégie de combat nucléaire.

Nous espérons que le Canada portera ces questions troublantes à l'attention d'autres membres de l'OTAN.

Maintenant, en ce qui concerne la section portant sur la collaboration avec des pays animés des mêmes sentiments, nous tenons à vous dire que nous appuyons fermement et avec enthousiasme le concept de la collaboration avec des pays animés des mêmes sentiments pour arriver à abolir les armes nucléaires. En tant qu'organisation non gouvernementale, l'Association des médecins pour la survie mondiale travaille en collaboration avec d'autres, à l'échelle nationale et internationale, à développer cette initiative.

• 1005

Nous croyons que le Canada a davantage d'impact lorsqu'il travaille avec d'autres nations. Par conséquent, nous aimerions faire notre sixième recommandation: que le Canada, en collaboration avec des pays animés des mêmes sentiments, exerce des pressions sur les cinq puissances nucléaires afin qu'elles s'engagent à entreprendre des négociations multilatérales menant à l'élimination des armes nucléaires.

Enfin, j'aurais quelques observations à faire au sujet du Protocole additionnel 1, qui n'a pas encore été mentionné. La Cour internationale de justice a fait observer que le Protocole additionnel 1 aux conventions de Genève de 1990 interdit l'emploi, par les États qui l'ont ratifié, de:

    méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut s'attendre qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel.

La Cour en est arrivée à la conclusion que:

    les États doivent aujourd'hui tenir compte de considérations écologiques lorsqu'ils décident de ce qui est nécessaire et proportionné dans la poursuite d'objectifs militaires légitimes.

Le Canada a ratifié le Protocole additionnel 1, en partant du principe que les règles qu'il comporte ne s'appliquent pas aux armes nucléaires. D'autres pays, dont la Belgique, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et l'Espagne, ont interprété le protocole de la même façon. Or, cette façon de voir est indéfendable en droit international.

Notre dernière recommandation est que le gouvernement canadien supprime les réserves faites sur la ratification et observe intégralement le Protocole additionnel 1.

Encore une fois, nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de venir vous faire part des préoccupations des membres de l'Association des médecins pour la survie mondiale. Nous serions heureux que se poursuive l'approche de collaboration entre la communauté des ONG et votre comité. Nous estimons que la question la plus importante est celle de l'élimination de toutes les armes nucléaires. Pour atteindre cet objectif, il est extrêmement important d'avoir un échéancier clairement défini, convenu, pour les mesures à prendre en vue de l'abolition.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Notre groupe de témoins suivant est l'Alliance canadienne pour la paix. Mme Berlyn et M. Klopstock partageront le temps qui leur est alloué.

Allez-y.

[Français]

M. Paul Klopstock (président, Les artistes pour la paix, Alliance canadienne pour la paix): Merci. Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, laissez-moi d'abord vous remercier de nous avoir invités et d'accorder à l'Alliance canadienne pour la paix l'occasion d'être ici aujourd'hui.

Je me nomme Paul Klopstock, des Artistes pour la paix, et je suis accompagné de Mme Judith Berlyn, de l'Initiative de Westmount pour la paix.

L'Alliance canadienne pour la paix est un organisme parapluie qui chapeaute un grand nombre de groupes canadiens oeuvrant, entre autres, pour un monde libre de la menace constante de la destruction causée par les armes, particulièrement les armes nucléaires.

L'Alliance canadienne pour la paix partage les soucis exprimés par les représentants des quatre ONG que vous avez pu entendre plus tôt aujourd'hui. Nous sommes d'accord sur leur argumentation et nous appuyons toutes leurs recommandations. Nous aimerions cependant faire trois recommandations supplémentaires concernant l'expansion de l'OTAN, le sujet du transfert du plutonium, c'est-à-dire sa vente, son transport et son trafic, et la militarisation de l'espace.

Concernant l'expansion de l'OTAN, comme vous le savez, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord a entrepris une expansion vers l'Europe de l'Est, incluant désormais des pays signataires de l'ancien Pacte de Varsovie. La juridiction de l'OTAN étant poussée vers l'Est, ses politiques et déploiements militaires connaîtront également une expansion dans cette même direction, ce qui pourrait inclure les armes nucléaires.

Ce geste change la frontière dite «est-ouest» et inquiète la Russie, dont la consternation a résulté en une réévaluation de sa politique sur la possession et l'utilisation de son arsenal nucléaire. Alors que la Russie promettait jadis de ne pas employer des armes nucléaires dans un premier lieu, voilà que cette politique est maintenant retirée. Étant donné que l'OTAN n'a jamais fait une telle promesse, nous avons maintenant une situation dans laquelle tout État possédant des armes nucléaires croit à son droit de première utilisation. Nous parlons alors en termes d'offensive autant que de dissuasion, créant une situation potentiellement plus volatile.

• 1010

L'Alliance canadienne pour la paix aurait voulu recommander que le comité presse le gouvernement canadien de mener un débat public sur l'expansion de l'OTAN en espérant qu'il arrive à exercer son droit de veto sur ce projet. Comme vous le savez, le gouvernement a fait exactement le contraire en annonçant avant-hier, dans un communiqué, que le Canada avait ratifié cette expansion, cela sans avoir consulté le public canadien. L'Alliance canadienne pour la paix est outragée par un tel manque de démocratie quand il s'agit de questions de sécurité publique et de notre avenir à tous.

Concernant le plutonium et la prolifération, le monde ne peut réaliser la non-prolifération des armes nucléaires si nous permettons la prolifération du plutonium, que l'on connaît comme étant le principal composant explosif servant à la confection de ces armes. C'est pour cela que l'Alliance canadienne pour la paix s'oppose au projet d'importation de plutonium venant des armes nucléaires démantelées et destiné à servir comme carburant dans les réacteurs appartenant à la compagnie Hydro-Ontario. D'autres pays, comme la France, le Japon, la Russie et l'Inde, s'apprêtent à faire de même, créant ainsi une nouvelle économie du plutonium. Une fois ce produit largement commercialisé, un marché noir est inévitable. Ainsi, le plutonium sera disponible pour quiconque—gouvernement, groupe terroriste ou organisation criminelle—désirera fabriquer sa propre arme nucléaire.

L'Alliance canadienne pour la paix recommande que le comité presse le gouvernement canadien de rejeter la proposition d'importer jusqu'à 100 tonnes de plutonium venant des armes nucléaires russes et américaines démantelées et destiné à servir comme carburant dans les réacteurs d'Hydro-Ontario.

Concernant la militarisation de l'espace, nous commençons, via les médias, à entendre parler de l'implication du Canada dans la militarisation de l'espace de concours avec les États-Unis. L'opposition que le gouvernement du Canada a déjà exprimée quant à ce nouveau secteur militaire devrait être reflétée clairement par le ministère de la Défense nationale.

L'Alliance canadienne pour la paix recommande que le comité demande au gouvernement canadien d'insister auprès du ministère de la Défense nationale pour qu'il renonce de manière claire à toute implication dans la militarisation de l'espace.

Pour terminer, je cède la parole à Mme Berlyn.

[Traduction]

Mme Judith Berlyn (Alliance canadienne pour la paix): Bonjour.

    Le pouvoir que déclenche l'atome a tout changé, sauf notre façon de penser, et nous glissons donc vers une catastrophe sans précédent. La mise en garde qu'a faite Albert Einstein au monde entier en 1946 est beaucoup plus urgente aujourd'hui qu'elle ne l'était à l'époque. Nous venons tout juste d'entendre certaines des raisons pour lesquelles c'est le cas.

L'objectif général de l'Alliance canadienne pour la paix est de participer au processus qui est en train de changer la façon de penser de l'humanité pour tenter d'éviter le désastre sans précédent vers lequel nous continuons de glisser. Notre objectif ici aujourd'hui est d'exhorter le comité à persuader le gouvernement de changer sa façon de penser au sujet des armes nucléaires et de la guerre nucléaire. Nous considérons que cette façon de penser est surtout un problème d'attitude.

La position du gouvernement du Canada est que pour l'instant les armes nucléaires sont un mal nécessaire et que les politiques de l'OTAN qui menacent de déclencher une guerre nucléaire devraient continuer d'avoir l'appui du Canada. Depuis le 8 juillet 1996, le gouvernement a maintenu cette position sans tenir compte de la décision de la Cour internationale de justice, défiant ainsi le droit international.

Nous sommes profondément troublés par cette attitude et par les politiques qui y sont associées. Nous ne pouvons imaginer une situation qui pourrait justifier une guerre nucléaire. Nous avons demandé à des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international quelles circonstances le gouvernement du Canada considérerait comme pouvant justifier le déclenchement d'une guerre nucléaire, et nous n'avons pas obtenu de réponse. Il semble que le gouvernement n'ait pas de critères. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le gouvernement ne sait pas quels seraient ses critères minimums concernant le déclenchement d'une guerre nucléaire. C'est peut-être parce qu'il nie tout simplement le problème.

• 1015

Les risques inhérents au fait de continuer de vivre avec le danger que pose l'existence même des armes nucléaires sont inacceptables pour nous. La seule façon d'être certain d'éviter une guerre nucléaire consiste à se débarrasser des armes nucléaires. S'il n'y a pas d'armes nucléaires, il ne peut pas y avoir de guerre nucléaire. S'il n'y a pas d'armes nucléaires, il ne peut pas y avoir d'accidents causés par des armes nucléaires.

Le gouvernement ne tient pas compte, et va même jusqu'à le nier, du simple fait important auquel nous devons faire face, c'est-à-dire qu'il n'existe pas de technologie sans défaillances. Tôt ou tard, toutes les technologies font défaut. Ce n'est qu'une question de temps avant que la technologie qui nous a permis de construire, de manipuler et d'entreposer des armes nucléaires depuis plus de 50 ans fasse défaut. Une catastrophe sans précédent se produira.

Nous demandons à chacun d'entre vous d'imaginer ce que vous ressentirez si cela se produit de votre vivant, comme cela est fort possible, si vous n'avez pas fait tout ce qui est en votre pouvoir pour empêcher une telle catastrophe de se produire.

Cela nous amène à un problème politique. Comme des gens l'ont dit, la seule chose qui nous empêche d'avoir un monde sans armes nucléaires, c'est le manque de volonté politique. Depuis le tout début de l'ère nucléaire, les politiques canadiennes ont aidé à perpétuer à la fois l'existence des armes nucléaires et la menace d'une guerre nucléaire. Pendant des décennies, des milliers de Canadiens ont exhorté les gouvernements successifs à changer cela. La nécessité de le faire devient de plus en plus urgente de jour, tandis que nous continuons notre glissade vers une catastrophe sans précédent.

Veuillez nous aider à créer la volonté politique dans notre pays afin de faire du Canada un chef de file pour libérer le monde de cette menace génocide. Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci beaucoup.

Monsieur Grewal, vous avez la parole.

M. Gurmant Grewal: Merci, madame la présidente.

Je remercie tous les témoins de leur excellent exposé. Nous avons entendu tous les témoins, et nous savons que le monde n'a pas besoin de guerre nucléaire. Personne ne veut d'une guerre nucléaire dans le monde. C'est pourquoi il n'y a pas eu de guerre jusqu'à présent. Certaines nations souhaitent une guerre nucléaire. C'est pourquoi on construit des armes nucléaires.

Si on regarde l'évolution des armes nucléaires, des armes nucléaires ont été construites en secret. La confidentialité et la sécurité étaient des plus importantes à cette époque. Pendant 22 ans, le monde n'était pas au courant des armes nucléaires. C'étaient des armes très coûteuses qui étaient construites à l'époque.

L'objectif consiste à éliminer entièrement les armes—c'est l'objectif que vise le Canada. Nous savons que les défis sont de taille.

J'ai un problème ici. Nous savons que dans ces traités sur le désarmement, dans une certaine mesure, il n'y a pas de conséquences juridiques. Il y a deux facteurs importants: la confiance et la vérification. Lorsqu'un pays fabrique des armes, c'est qu'il ne fait pas confiance à d'autres nations, ou qu'il tente d'espionner d'autres nations. La confiance est très fragile.

En ce qui concerne la vérification, quels sont les moyens, quel est le processus, ou quels sont les éléments du processus qui assurera la vérification de la destruction des armes mentionnées dans ces traités? Voilà pour ma première question.

• 1020

Mon autre question, madame la présidente, concerne la sécurité, le danger que des produits nucléaires comme le plutonium se retrouvent entre les mains de terroristes; comment faire en sorte qu'ils ne puissent mettre la main sur ces produits, comment il est possible... J'ai entendu dire que des centaines de bombes nucléaires pouvant tenir dans un porte-documents étaient déjà disponibles en Russie. Nous avons entendu parler de ces bombes à distance de sécurité lorsqu'elles étaient menaçantes, etc.

Ma question serait donc la suivante: comment pouvons-nous contrôler la sécurité et l'aspect terroriste de la question?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): À qui adressez-vous votre question, monsieur Grewal?

M. Gurmant Grewal: Je ne sais qui voudrait y répondre.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Qui veut répondre à cette question?

M. Douglas Roche: Madame la présidente, merci. M. Robinson répondra à la première question, et je vais commencer à répondre à la deuxième.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Robinson.

M. Bill Robinson: Oh, je vais répondre à la question sur la vérification. Je ne suis pas certain si c'est la première question, mais, quoi qu'il en soit, c'est une question.

Il n'existe pas de vérification parfaite, et cela n'existera jamais. C'est le monde dans lequel nous vivons, et c'est ce que nous devrons accepter, mais nous pouvons vivre avec cela.

Ce dont on peut s'assurer grâce aux procédures d'inspection et de surveillance, c'est que personne n'essaie de tricher à grande échelle. Oui, il est possible qu'on essaie de le faire à petite échelle. Mais cela serait très difficile avec les procédures de vérification et d'inspection complètes qui sont en place. Cela serait également très difficile dans le climat politico- psychologique qu'engendrerait un accord sur l'abolition nucléaire, qui dirait clairement que produire, cacher et garder ces armes constituent un crime contre l'humanité.

Il pourrait donc aussi y avoir un genre de vérification civile, avec des dénonciateurs et un genre d'espionnage. Il n'est pas vraiment facile de garder ce genre de chose secrète, et en fait un arsenal nucléaire soi-disant secret ne l'est pas. Nous savons qui a la bombe, et nous avons toujours su qui avait la bombe. Nous savions que l'Afrique du Sud avait la bombe, même s'ils ne l'ont admis qu'après l'avoir éliminée. Ce n'était cependant pas un secret qu'ils avaient la bombe. L'Afrique du Sud avait la bombe.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous nous apprêtons à faire face à l'Irak à l'heure actuelle. L'Irak a-t-il la bombe? Écoutez, nous pourrions...

M. Bill Robinson: Non, l'Irak n'a pas la bombe.

M. Gurmant Grewal: Le problème, c'est que s'il y a une confrontation ultérieurement, comme dans le cas de l'Irak, quelle est la solution? La solution consisterait-elle pour l'Amérique à faire appel à tous ses alliés et ensuite à attaquer le pays délinquant, quel qu'il soit? Si ce pays était les États-Unis, quelle serait la solution? Qu'est-ce qu'on envisage?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je pense que Mme Berlyn veut faire valoir un bon point.

Mme Judith Berlyn: Je ne suis pas une scientifique. Je suis bibliothécaire de formation. Mais des amis scientifiques m'ont assuré que la seule solution était d'interdire et de couper l'approvisionnement en matières fissiles, le principal matériau explosif.

Il n'y a que deux matériaux dans le monde avec lesquels on peut fabriquer une bombe nucléaire. Il faut avoir soit de l'uranium fortement enrichi, soit du plutonium pour fabriquer des armes, du plutonium séparé. L'une ou l'autre de ces matières est essentielle. Et pour les fabriquer, ce n'est pas une affaire simple que l'on peut mener de façon clandestine. On me dit qu'il est impossible de fabriquer cela clandestinement.

Les usines d'enrichissement d'uranium s'étendent sur des acres, et il est impossible de les dissimuler dans des montagnes, ou dans des cachettes souterraines, de sorte qu'avec des satellites on peut les localiser. Je suppose que c'est la même chose pour le plutonium.

Parmi l'ensemble des mesures à prendre, nous pourrions interdire la production de ces matières, qui sont uniquement nécessaires à la fabrication de bombes. Vous comprenez, elles n'ont pas d'usage civil. Elles ne sont pas nécessaires pour fabriquer de l'énergie nucléaire, ou quoi que ce soit de ce genre. En privant les parties intéressées des matériaux essentiels pour fabriquer des bombes nucléaires, on résoudrait le problème. Il faut donc que cela fasse partie des mesures.

Vous aurez davantage l'occasion de poser des questions là- dessus le 19—j'espère que vous pourrez assister à ces audiences— lorsque les représentants du groupe Campagne contre l'expansion du nucléaire feront un exposé.

M. Bill Robinson: J'aimerais continuer lorsque vous aurez fini.

• 1025

Mme Judith Berlyn: J'ai fini.

M. Bill Robinson: En général, je suis d'accord. Il est impossible d'obtenir une vérification parfaite. Par ailleurs, il est possible, à la suite de vérifications de sécurité poussées, de s'assurer qu'on ne triche pas à grande échelle.

La triche à petite échelle représente une menace potentielle. C'est un risque beaucoup plus faible que celui auquel est confronté le monde à l'heure actuelle. Je pense qu'il est important de le signaler. Il faut peser les risques.

À l'heure actuelle, la pire menace est l'explosion de 8 000 mégatonnes qui détruiraient la civilisation humaine. En cas de tricherie, le pire risque, c'est qu'un petit nombre de bombes explosent. Ce serait terrible, mais cela ne causerait pas la fin de l'humanité. Il est important de se le rappeler.

Cela dit, il est impératif d'envisager ce qui se passerait dans le scénario du pire, car c'est cela qui nous préoccupe. Or, cette question va au-delà de la vérification.

Même si je pouvais vous promettre une vérification sans failles, vous pourriez vous demander ce qui se passerait en cas d'échec. Voyons donc ce qui se passerait en cas d'échec.

Je ne suis pas d'accord pour dire que la situation en Irak en est un exemple, mais, aux fins de la discussion, supposons que ce soit le cas. Vous avez devant vous un dirigeant qui possède des armes de destruction massive, qui reste sourd aux exhortations diplomatiques et qui semble enclin à se servir de ces armes. Peut- être ne veut-il pas tuer qui que ce soit, mais il veut brandir la menace de ces armes.

Supposons que ce soit le pire cas qui puisse se présenter, et je répète, encore une fois, que je ne suis pas prêt à dire que c'est ce qui se passe avec l'Irak à l'heure actuelle. Mais supposons que ce soit le cas.

Tout d'abord, il faut comprendre que cela peut se produire dans l'état actuel du monde. Certaines personnes pensent que le cas s'est produit avec l'Irak, mais cela pourrait se produire de toute façon dans un monde doté d'armes nucléaires. Le fait que nous ayons des arsenaux nucléaires à l'heure actuelle ne nous protège pas de ce genre de menaces, tout d'abord parce que ces armes pourraient être utilisées, même face à des menaces dissuasives.

On parle de menaces impossibles à décourager. Eh bien, c'est une possibilité, et, en outre, un accident peut toujours se produire. Par conséquent, cette menace existe toujours.

J'ai un autre argument, auquel j'ai fait allusion tout à l'heure. Lorsqu'on parle de tricherie à petite échelle, le pire scénario est beaucoup moins pire que le pire scénario auquel nous sommes confrontés dans le monde d'aujourd'hui, qui aboutit à la disparition de l'humanité.

Comment traiter un tricheur de petite envergure? À mon avis, la véritable menace dissuasive, si vous voulez, la vraie solution pour la communauté mondiale, n'est pas d'utiliser en guise de représailles les armes de destruction massive. La communauté internationale doit plutôt menacer de renverser le régime coupable et, le cas échéant, mettre sa menace à exécution. Elle doit utiliser la force conventionnelle pour punir les transgresseurs. Autrement dit, prendre les moyens pour détruire un Manuel Noriega.

Project Ploughshares n'est pas un grand tenant du recours à la force militaire, et ce n'est pas ce que je suis venu vous proposer. Mais dans le pire des scénarios, s'il n'y a vraiment aucune solution diplomatique possible, c'est ce que la communauté internationale devrait faire.

À mon avis, peu importe l'analyse qu'on en fait, c'est cette approche qui permettra de résoudre la crise provoquée par l'Irak. Ce sera le recours à la force conventionnelle, et non pas la menace nucléaire. La force conventionnelle est beaucoup plus utile, et beaucoup plus crédible. Son atout, c'est qu'elle frappe le régime là où ça fait mal, au coeur du pouvoir.

Saddam Hussein se fiche bien du sort des civils en Irak. Sous le régime des sanctions, 600 000 civils sont morts jusqu'à maintenant, et cela ne l'a pas tellement dérangé. Cependant, il tient beaucoup au pouvoir. Si la menace conventionnelle visait les assises de son pouvoir, auquel il tient énormément, il serait plus enclin à se défaire de ces armes.

Même si les forces alliées recouraient aux bombes nucléaires, elles ne savent pas où se trouvent les armes biologiques qui présentent une menace. Elles ne savent pas quoi cibler. La seule façon de supprimer ces armes intégralement dans un cas comme celui- là serait d'investir le territoire, de fouiller dans tous les coins, de changer le gouvernement.

Le recours à la force conventionnelle permet de faire des choix. Elle permet de ne pas détruire des villes entières et leurs populations civiles. En comparaison d'une attaque nucléaire, c'est une approche morale et juridique, et j'estime qu'il est important pour une planète civilisée de privilégier cette voie.

D'ailleurs, les puissances mondiales ont les moyens de réussir un tel plan. Environ 70 p. 100 des dépenses militaires mondiales sont attribuables aux pays du G-8 membres de l'OTAN. Ils ont 100 fois la taille du plus grand État délinquant. La disponibilité de forces conventionnelles ne fait pas problème, et on évite...

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je vais devoir vous demander de conclure rapidement, car nous en sommes à notre tour de 10 minutes...

M. Bill Robinson: Il ne me reste qu'une phrase ou deux.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Et M. Turp attend patiemment.

M. Bill Robinson: Je suis désolé.

Et cela évite de légitimer les armes de destruction massive, ce que font les menaces actuelles.

• 1030

Pour toutes ces raisons, la menace du recours à la force conventionnelle est beaucoup plus crédible. À mon avis, c'est ainsi que la communauté internationale devrait agir. Je crois que cela explique également pourquoi on n'a pas eu recours aux armes de destruction massive pendant la guerre du Golfe.

Cela n'a rien à voir avec la prétendue menace nucléaire. Par contre, cela a beaucoup à voir avec le fait que la communauté mondiale était en mesure de réagir à la menace de façon crédible.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

M. Gurmant Grewal: Madame la présidente.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je suis désolée, mais nous vous reviendrons tout à l'heure, monsieur Grewal. Je vais maintenant donner la parole à M. Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: D'abord, j'aimerais remercier les témoins de leur intervention d'aujourd'hui. J'ai beaucoup apprécié les vertus pédagogiques de votre témoignage, monsieur Morgan. Vous nous avez beaucoup appris et vous avez bien résumé l'état de la situation.

Votre comparaison entre l'hiver nucléaire et ce qui s'était passé m'a rappelé quelques minutes d'un passage sur un pont dans ma circonscription de Beauharnois—Salaberry en janvier, il y a quelques jours à peine, où il y avait ce paysage désertique, ce paysage gris, ce paysage qui nous faisait penser à ce que des États et des hommes—j'espère que ce ne seront pas des femmes—irresponsables pourraient faire de notre planète s'ils utilisaient un jour les armes nucléaires.

J'ai beaucoup apprécié aussi, madame Berlyn, la conviction que vous avez démontrée dans votre exposé. Vous nous rappelez que tout n'a pas été fait, que peu de choses ont été faites pour essayer d'éliminer les armes nucléaires de cette planète.

J'ai trois questions et j'aimerais bien que tous les gens puissent y répondre, bien que je veuille les adresser à des personnes en particulier. Monsieur Roche, vous avez une expérience extraordinaire. Vous avez été le prédécesseur de M. Moher, qui est venu nous parler mardi. Vous avez plus de liberté maintenant, plus de liberté de parole. Vous avez parlé dans votre exposé du heart of the issue.

Puisque que vous avez maintenant cette liberté, what is the heart of the issue? Comment peut-on véritablement travailler à l'élimination des armes nucléaires? Est-ce que the heart of the issue, c'est vraiment la volonté politique des États-Unis ou de la Russie? Est-ce que c'est la capacité ou l'incapacité des moyennes puissances, comme vous le dites, d'influencer ces deux États? Ou est-ce que ce serait une autre princesse qui viendrait influencer l'opinion publique internationale et amener plusieurs pays à faire un combat pour éliminer ces armes nucléaires, comme on veut éliminer—on réussira peut-être à les éliminer—les mines antipersonnel? Cette question s'adresse à vous, monsieur Roche.

Monsieur Robinson, j'ai posé cette question à l'ambassadeur avant-hier. J'aimerais savoir si le Canada a les mains propres lorsqu'il se veut un défenseur et un avocat de l'élimination des armes nucléaires. Dans votre mémoire, vous parlez des formes de coopération nucléaire que le Canada a avec plusieurs pays, dont les États-Unis, de sa participation à l'OTAN. J'aimerais savoir si le Canada, dans ces circonstances, peut être un avocat légitime lorsqu'il s'agit d'appuyer des organisations comme la vôtre pour éliminer les armes nucléaires.

Vous avez presque tous abordé la question très intéressante de la conformité de la politique nucléaire canadienne avec l'avis de la Cour internationale de justice. Quelqu'un a dit qu'il n'y avait pas de compliance. En ce qui vous concerne, madame Trouton, vous et votre groupe avez fait une recommandation, à mon avis, tout à fait intéressante et très concrète: le retrait de la réserve du Canada au protocole numéro 1, à la Convention de Genève.

Je pense qu'il serait très utile pour notre comité qu'il y ait des affirmations claires à ce sujet-là. Croyez-vous que le Canada et d'autres pays sont maintenant dans une situation de violation de leurs obligations internationales? Ce sont mes trois questions.

• 1035

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Roche.

[Français]

M. Doug Roche: Merci, monsieur Turp. Si vous me le permettez, je répondrai en anglais.

[Traduction]

Vous avez posé une question sur l'essentiel. À mon avis, le problème se pose de deux façons. Tout d'abord, il y a l'aspect humanitaire. Vous avez vous-même fait référence à l'hiver nucléaire. La dévastation qui suivrait une explosion nucléaire serait d'une telle ampleur—M. Morgan nous a décrit certaines répercussions—que la vie serait intolérable. Après qu'on a dit cela, que peut-on dire d'autre?

Voilà pourquoi je conclus mon témoignage en demandant au comité de garder présent à l'esprit l'agression contre la vie humaine, l'agression contre la planète elle-même, que représentent les armes nucléaires. Comme l'a dit le président de la Cour internationale de justice, il s'agit de l'incarnation ultime du mal.

Deuxièmement, l'essentiel sur le plan politique est de convaincre les pays dotés d'armes nucléaires d'adhérer à un programme de négociation. En l'occurrence, nous devons nous attacher aux États-Unis. La Chine a déjà voté aux Nations Unies en faveur d'un programme de désarmement nucléaire assorti d'un échéancier. La Russie a déjà voté en ce sens sous Gorbatchev et le ferait de nouveau pour peu que l'Occident donne le ton. La Grande-Bretagne et la France, même si ce sont des États nucléaires, emboîteraient certainement le pas aux États-Unis à cet égard.

J'aimerais attirer l'attention du comité sur la détermination des États-Unis, exprimée dans la directive présidentielle du président Clinton il y a deux mois. Les États-Unis ont l'intention de conserver leur arsenal nucléaire jusqu'après l'an 2000 et de le raffiner.

L'important, pour le comité et le gouvernement du Canada, c'est d'essayer d'influencer les États-Unis. Ce sont nos amis; ce sont nos alliés. Je pense que nous devrions collaborer avec d'autres nations qui, comme le Canada, estiment que l'élimination des armes nucléaires est un objectif nécessaire.

Vous avez fait référence à mon travail, et je vous en remercie. Je suis à l'emploi d'une organisation non gouvernementale, mais j'ai déjà travaillé au gouvernement, et c'est ce qui me permet de voir les deux perspectives. Je connais le contexte dans lequel le comité évolue et je sais ce qu'il doit faire.

L'initiative prise par le gouvernement dans le dossier des mines terrestres est un exemple de la façon de procéder dans celui des armes nucléaires. Dans le dossier des mines terrestres, le gouvernement du Canada et les organisations non gouvernementales ont formé un partenariat qui a pris l'initiative.

Nous venons ici ce matin, mes collègues et moi-même, dans un esprit de collaboration avec le gouvernement. Après tout, si l'on se fie aux déclarations des représentants gouvernementaux et aux propos de l'ambassadeur Moher devant le comité il y a deux jours, nous poursuivons le même objectif. Nous souhaitons l'élimination des armes nucléaires. C'est simplement que notre perspective est légèrement différente.

Le gouvernement estime qu'une convention régissant les armes nucléaires est prématurée, mais ce n'est pas l'opinion des Nations Unies. La majorité des pays membres des Nations Unies disent qu'il faut négocier maintenant une convention relative aux armes nucléaires, et il existe sur le sujet un document de l'ONU sur lequel j'attire l'attention des membres du comité.

D'après le gouvernement, l'opinion consultative de la Cour internationale de justice ne précise pas de plan d'action particulier. Mais en fait, elle le fait, et je le signale à M. Turp et aux autres membres du comité. La cour mentionne précisément qu'il convient de conclure les négociations. Comment conclure des négociations qui n'ont même pas commencé?

J'en arrive à mon argument principal. Je pense qu'un partenariat unissant le gouvernement et les organisations non gouvernementales qui rallient l'opinion publique pourrait aider le Canada à montrer à des pays de même mentalité qu'il se développe un mouvement en faveur de négociations pour des motifs humanitaires. Cela pourrait aussi inciter l'administration américaine à s'orienter dans cette direction. Le gouvernement américain a besoin d'aide, car il doit contrer aux États-Unis mêmes des éléments récalcitrants. Les États-Unis ont besoin de l'aide de pays de même esprit. Ils ont besoin de l'aide de l'opinion publique.

• 1040

Nous sommes ici pour aider le gouvernement à procéder de la même façon que pour la convention sur les mines terrestres. Sa réussite est le fruit d'une fusion, d'une synergie, d'une énergie suscitée par la prise de conscience que la société civile, que nous représentons ici aujourd'hui, peut collaborer avec les élus politiques du gouvernement du Canada.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Je suis désolée, monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Et mes deux autres questions?

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je vais permettre à M. Robinson d'intervenir. Nous vous reviendrons plus tard.

Svend Robinson.

[Français]

M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Je crois que vous aviez d'autres questions auxquelles ils aimeraient répondre brièvement.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): D'accord. C'est à vous.

[Français]

M. Daniel Turp: J'aimerais en entendre d'autres, monsieur Robinson, peut-être rapidement.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Robinson, est-ce que ce sera sur votre temps de parole? Acceptez-vous de le partager?

M. Svend Robinson: Non, je ne suis pas généreux à ce point.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je crains qu'il ne faille s'en tenir à la règle habituelle. Je vais redonner la parole à tout le monde.

M. Svend Robinson: Merci, madame la présidente.

Je tiens moi aussi à remercier tous les témoins de leurs exposés très puissants et très éloquents d'aujourd'hui. Je tiens à être très clair: je parle au nom de mes collègues du Nouveau Parti démocratique, de mon chef, et nous appuyons entièrement les objectifs que vous invitez le comité à appuyer aujourd'hui, en particulier la conclusion d'une convention visant à éliminer toutes les armes nucléaires. Je vous remercie de votre éloquent témoignage d'aujourd'hui.

J'ajouterai une note personnelle pour vous dire que votre témoignage a évoqué en moi un souvenir. Je me souviens d'être rentré de l'école à l'époque où j'étais en septième année à Lethbridge, en Alberta, et d'avoir trouvé ma mère en pleurs. Au moment de la crise des fusées de Cuba, elle faisait partie de l'organisation la Voix des femmes. On se sentait impuissant et désespéré de savoir que le monde était sur le point de voir employées ces armes de destruction massive.

Je me souviens d'avoir rencontré une survivante d'Hiroshima et d'avoir entendu son récit. Je me souviens d'avoir raconté à des élèves de ma circonscription l'histoire de Sadako et les mille grues de papier.

Je tiens donc à vous remercier de votre témoignage émouvant.

J'ai trois questions à poser. Je ne sais pas si nous pourrons obtenir une réponse à toutes les trois, mais la première s'adresse à M. Roche. Pendant des années, Doug Roche a été un collègue et un ami à moi à la Chambre. D'ailleurs, je le remercie pour le rôle de chef de file qu'il joue dans ce dossier.

Monsieur Roche, vous avez présidé des audiences sur le sujet dans tout le pays et j'ai le sentiment que la population devance de loin les politiciens. Les jeunes surtout. Pourriez-vous nous relater ce que vous avez entendu les Canadiens vous dire au sujet de l'abolition des armes nucléaires?

Deuxièmement, le président ainsi que certains membres du comité ont soulevé la question de l'Irak. M. Robinson en a parlé. On a discuté de la possibilité que les États-Unis aient recours à l'arme nucléaire si l'Irak devait lancer une attaque. J'aimerais que les témoins nous parlent de l'horreur de cette éventualité.

Lorsque l'on parle d'armes de destruction massive, il faut souligner l'immense hypocrisie des États-Unis et du Royaume-Uni dans cette crise. Ce sont eux qui possèdent les armes au potentiel de destruction le plus élevé. Au Moyen-Orient, Israël, tout près, possède aussi l'arme nucléaire. Un homme courageux, Mordechai Vanunu, qui l'a révélé, est aujourd'hui détenu en isolement. Il y a donc une grande hypocrisie aux États-Unis et au Royaume-Uni, ainsi d'ailleurs qu'au Canada, dans cette affaire.

Les témoins conviennent-ils que l'option militaire en Irak, avec des moyens conventionnels ou autres, est pure folie et que la solution est de se pencher sur l'effet dévastateur des sanctions, notamment sur les enfants, comme l'atteste l'UNICEF, et d'essayer de trouver des solutions de rechange à la force militaire?

• 1045

Enfin, mon parti a depuis des années une position nette au sujet de l'OTAN. C'est un anachronisme. Il est absurde de croire que cette alliance contribue à la sécurité commune, surtout vu sa doctrine de la première frappe nucléaire. Je me souviens d'avoir demandé au secrétaire général Solana, ici même, pourquoi l'OTAN conservait cette doctrine absurde, et je n'ai jamais eu de réponse.

Les témoins pourraient-ils nous parler de l'importance du rôle de chef de file que le Canada peut jouer au sein de l'OTAN pour que l'organisation renonce à cette doctrine?

M. Douglas Roche: Merci, madame la présidente. Je vais répondre à la première question concernant l'opinion publique. M. Robinson répondra à la question sur l'Irak, et nous répondrons ensuite à celle sur l'OTAN.

Monsieur Robinson, monsieur le député, merci. Cela fait plaisir de vous revoir ici.

Au nom du projet Ploughshares, j'ai parcouru le pays à la fin de 1996 et je me suis rendu dans 18 villes de toutes les régions du pays. J'ai tenu des tables rondes avec des dirigeants locaux, quelque 400 personnes en tout, un échantillon représentatif de chaque endroit. Nous leur avons demandé leur avis.

Nous avons remis au gouvernement un rapport qui montre qu'il y a au pays des valeurs canadiennes basées sur la poursuite de la paix qui devraient amener le gouvernement à chercher dès maintenant, et non dans un avenir éloigné, à faire abolir les armes nucléaires. Si le gouvernement pouvait aller de l'avant, en essayant d'amener les États qui partagent ses vues à collaborer, partout dans le monde, pour assurer la survie de l'humanité, ce que menace l'arme nucléaire, il y aurait d'immenses appuis en faveur du gouvernement et du Parlement.

Le président du comité a déjà dit qu'aucun autre sujet n'avait fait l'objet d'un courrier aussi abondant. Je peux vous assurer que le pays est traversé par un courant d'opinion lorsque les gens sont informés. Beaucoup de gens ne réfléchissent pas, mais lorsqu'on les informe, le sujet les préoccupe, si bien que le gouvernement recevrait beaucoup d'appuis s'il allait de l'avant.

Chez ces partisans, on s'inquiète évidemment beaucoup de l'OTAN. Beaucoup s'interrogent sur l'avenir à long terme de l'alliance, et pourtant elle existe et elle prend de l'expansion. Si elle doit grandir, il faudrait à tout le moins qu'elle se débarrasse de ses armes nucléaires. Il y a un fort courant d'opinion au Canada qui est en faveur de cette idée.

M. Bill Robinson: En ce qui concerne l'Irak, sachez que le projet Ploughshares, et les autres personnes qui m'accompagnent sans doute, sont contre toute forme d'action militaire dans cette crise dans les circonstances actuelles. Lorsque j'ai évoqué le cas tout à l'heure, je voulais seulement évoquer les pires cas dans un monde postérieur à l'abolition de l'arme nucléaire, et non pas ce cas précis.

La situation est très différente, essentiellement parce que l'on n'a pas vraiment donné sa chance à la diplomatie. On n'a pas vraiment essayé, et il faudrait le faire pour voir quelles sont les conditions précises qui autoriseraient la levée des sanctions contre l'Irak pour sa désobéissance à la Commission spéciale de l'ONU.

Si des pourparlers diplomatiques de cette nature se tenaient, cette crise aurait de très bonnes chances d'être réglée. Mais on n'essaie pas; c'est bloqué. Les États-Unis et certains autres pays poussent à l'intervention militaire sans nécessité et sans justification.

La menace implicite du recours à l'arme nucléaire est obscène. C'est une grosse erreur. C'est contre-productif. On peut dire que c'est illégal. C'est une énorme erreur. Cela va miner le régime de non-prolifération. C'est tout à fait stupide, et le gouvernement du Canada devrait s'en dissocier tout à fait.

• 1050

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian: Merci beaucoup. Évidemment, personne ne conteste ce que vous dites, mais il faut voir la réalité en face. Nous savons tous que ce que vous dites est vrai. Moi, je le pense, surtout dans le cas du Moyen-Orient, où la guerre fait partie de la réalité quotidienne.

J'ai deux questions à poser, et l'une d'elles s'adresse à M. Morgan.

Monsieur Morgan, à la première page de votre exposé, 3-5, vous dites que Gorbatchev a mis fin à la guerre froide entre 1985 et 1991. Pouvez-vous nous dire comment il a mis fin à la guerre? L'a-t-il gagnée? L'a-t-il perdue? Que s'est-il passé? Je vous serais reconnaissant de clarifier cela. C'est ma première question.

Ma deuxième question s'adresse à M. Roche. Ici au Canada, en Occident, nous avons le luxe de pouvoir nous poser des questions hypothétiques: dans telle éventualité, il se passera telle chose. Mais imaginez-vous derrière le rideau de fer avant Gorbatchev en 1985, au plus fort de la guerre froide, et imaginons que vous êtes ici—c'est une hypothèse, ne m'en tenez pas rigueur—l'état-major des Forces canadiennes. Imaginons que la Russie a attaqué le Canada à proximité de l'île de Vancouver et se dirige vers l'est, en direction d'Ottawa. Vous êtes l'état-major et vous voyez la population gazée par l'empire du mal, pour reprendre l'expression de Ronald Reagan. Tout est détruit sur leur passage, tout est brûlé, comme dans le film The Day After.

Si vous étiez l'état-major, vous préféreriez vous rendre ou défendre le pays avec tous les moyens à votre disposition?

M. David Morgan: Je peux répondre en premier?

M. Sarkis Assadourian: Oui, ma première question s'adressait à vous.

M. David Morgan: Gorbatchev a mis fin à la guerre froide. Le 11 mars 1985, Mikhaïl Gorbatchev a été élu secrétaire général du Parti communiste. Il l'a emporté sur son rival, Viktor Grishin, par une voix.

Grishin était partisan de la ligne dure. S'il avait été élu, avec deux intransigeants en présence, la guerre nucléaire aurait pu éclater.

En juillet—c'est-à-dire en mars, avril, mai, juin, juillet— Gorbatchev a ordonné la fin des essais nucléaires soviétiques. Il n'a pas convoqué de conférence pour en discuter. Il ne s'est pas demandé si les Américains allaient en faire autant. Il l'a fait.

En novembre de cette année-là, Gorbatchev a rencontré Ronald Reagan à Genève, et c'est à partir de ce moment-là que les tensions ont commencé à s'atténuer. Les deux dirigeants ont sympathisé et à l'issue de leur rencontre ils ont publié un communiqué: la guerre nucléaire ne peut pas être gagnée et ne doit jamais être livrée. Les mesures prises par la suite n'ont pas nécessairement confirmé que c'était le cas, mais c'est la déclaration qui a été faite à l'époque.

L'année suivante, 1986, était l'année de la paix, ainsi qu'en avait décidé l'ONU. Dans ces 12 mois, les États-Unis ont effectué 15 essais d'armes nucléaires. Sous la direction de Gorbatchev, l'Union soviétique n'en a réalisé aucun.

Le 15 janvier de cette année-là, Gorbatchev a proposé un plan graduel d'élimination des armes nucléaires de la planète d'ici à l'an 2000. Je ne vais pas vous énumérer toutes les étapes prévues, mais c'était son projet.

Il avait des vues larges. Il est passé des paroles aux actes. Si l'on en juge d'après ce que j'ai décrit, je pense qu'on peut dire qu'il a mis fin à la course aux armes nucléaires, la guerre froide.

M. Sarkis Assadourian: Par la menace ou par la victoire?

M. David Morgan: Il a gagné la guerre froide de la seule façon dont elle pouvait être gagnée. La guerre froide, ce n'était pas l'Union soviétique dotée d'armes nucléaires qui affronte les États- Unis dotés d'armes nucléaires. Gorbatchev a vu, comme beaucoup d'entre nous le voient, que c'était l'Union soviétique et les États-Unis contre l'arme nucléaire, voire toute l'humanité contre l'arme nucléaire.

Gorbatchev l'a vu. Il a renoncé à l'arme et à la puissance nucléaires bien plus que les Américains ne l'ont fait, mais il est arrivé à ses fins.

M. Douglas Roche: Merci, monsieur Assadourian. Il ne fait pas de doute que c'est une question hypothétique d'imaginer que Doug Roche puisse jamais devenir le chef d'état-major. Ce serait sûrement une nouvelle si on me nommait à ce poste.

• 1055

Je dois dire que les prémisses de votre question se situent dans le cadre de la guerre froide. On a parlé de l'Union soviétique comme de l'empire du mal, mais cette expression est à l'image d'une période révolue. Nous ne traitons pas avec l'empire du mal, nous ne traitons même pas avec l'Union soviétique. Elle s'est effondrée. Nous traitons avec la Russie, un pays qui a désespérément besoin de l'aide économique et politique de l'Occident pour assurer la prospérité de sa population.

Je suis allé à Moscou récemment, et il m'apparaît clairement que la seule raison pour laquelle il y a aujourd'hui une résurgence du militarisme en Russie, c'est parce que l'Occident hésite à faire des Russes de véritables partenaires, ce qui impliquerait davantage d'aide économique. Mais il y a parmi les Russes eux-mêmes un fort courant d'opinion, à la fois politique et militaire, visant à se débarrasser des armes nucléaires, tout comme dans notre propre société.

Je voudrais donc tabler sur cette communauté d'intérêts qui se manifeste maintenant, en cette époque de l'après-guerre froide, pour que nous reconnaissions tous que nous sommes entrés dans une nouvelle ère et qu'au lieu de nous soupçonner mutuellement d'entretenir des projets d'agression armée, nous devrions travailler de concert pour mettre en place une série de mesures précises, arrêt de la production de matières fissiles pour la fabrication de nouvelles bombes, décélération, fin de l'état d'alerte, déciblage, engagement de ne pas utiliser l'arme en premier, dans le contexte d'un engagement pris par les États qui possèdent l'arme nucléaire, le tout devant mettre en branle sans équivoque le processus de négociation du désarmement nucléaire. Je trouve que c'est la façon la plus réaliste d'aborder le scénario actuel.

M. Sarkis Assadourian: Cela ne répond pas à ma question, mais cela ne fait rien.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Bachand.

[Français]

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Premièrement, je voudrais remercier les gens qui sont venus nous rencontrer ce matin. Malheureusement, avec le peu de temps qu'on a et le nombre de témoins et de gens autour de la table, on n'a pas le temps de vous questionner en profondeur sur vos présentations. Cependant, nous apprécions énormément que vous vous soyez déplacés.

Effectivement, l'objectif d'avoir un monde plus sécurisant, un monde en paix est partagé par tous ici, au pays. Cependant, il y a des éléments plus difficiles à atteindre au niveau de la sécurité.

J'aimerais faire deux petits commentaires très rapides, parce que le temps passe tellement rapidement. On a beaucoup parlé des mines antipersonnel. Cela a été un bon exercice. Il faut dire que l'objectif était peut-être plus facile à atteindre. Lorsqu'on regarde la réalité des mines, on voit qu'il manque de grands joueurs dans tout cela. Imaginez-vous donc ce que c'est lorsqu'on parle d'armes nucléaires. Je ne pense pas que les grands joueurs qui ne s'impliquent pas dans le bannissement des mines antipersonnel accepteront très rapidement de faire partie du groupe des pays sans armes nucléaires.

Je suis convaincu que le gouvernement canadien, le Parlement en général et en particulier le ministre Axworthy ne pourront pas prendre le bâton du prêcheur demain matin et faire exactement le même exercice que pour les mines antipersonnel. Après vous avoir entendus, je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire ici, au Canada, avant d'aller vendre quoi que ce soit à l'extérieur. Alors, on a un travail à faire ici. On a peut-être un problème de logique, si on veut en arriver là, avec les différents ministères concernés. On a parlé de l'OTAN.

Je vais maintenant parler très rapidement de l'Irak. L'Irak est un exemple et n'en est pas un. Ce qu'il faut retenir de la situation en Irak ou de toutes les crises qui sont survenues, c'est qu'il faut peut-être réinventer la diplomatie. C'est lorsqu'une convention écrite ne peut plus être respectée, ne peut plus être mise en vigueur qu'on a un problème. Cela fait partie de diplomatie.

C'est comme si vous aviez une contravention. Un règlement dit que vous devez rouler à 50 km/h. Vous avez une force pour l'appliquer. Vous avez un recours en justice pour le faire rapidement et immédiatement. En diplomatie, il y a un problème. La feuille de papier n'est pas suffisante. On a parlé de vérification. Lorsqu'on se fout carrément de tous les principes de vérification, des principes de diplomatie, des règles du jeu international dans un pays comme l'Irak qui, somme toute, n'est pas vraiment important dans la vie du Canada, cela peut entraîner des problèmes beaucoup plus graves. En tout cas, je pense qu'il faut réinventer la diplomatie. Encore là, cela part d'ici, au pays.

• 1100

J'aimerais vous entendre sur la question des gestes concrets qu'on doit poser par rapport aux trois grands principes de non-prolifération et de bannissement des armes nucléaires dont l'ambassadeur nous parlait en comité. C'était une question politique, une question de sécurité et une question technologique, et l'ambassadeur semblait relier ces trois choses. Comment pouvez-vous les lier à une opération rapide en termes de désarmement nucléaire?

On a parlé des mines antipersonnel et on parle des armes nucléaires, mais entre les deux, il y a toutes les autres armes dites conventionnelles ainsi que les armes bactériologiques ou chimiques, sur lesquelles il faudrait que le Canada se prononce un jour.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Qui va répondre à la question?

[Français]

Dr Konia Trouton: Je peux commencer en parlant de la comparaison avec les mines antipersonnel. Dans ces conventions et ces discussions, il y a beaucoup de choses semblables et on peut en apprendre beaucoup.

Premièrement, il y a maintenant une convention contre les armes nucléaires aux Nations unies. Je pense que c'est un départ.

[Traduction]

Nous pouvons commencer à partir de là.

Nous avons tous insisté sur le fait que le Canada doit appuyer l'initiative du Costa Rica, qui a présenté aux Nations Unies cette convention contre les armes nucléaires.

Deuxièmement, dans le cadre du mouvement d'action contre les mines en décembre, il y a eu une collaboration très claire entre la communauté des ONG et les autorités gouvernementales. Nous appuyons aussi cette initiative: qu'il y ait collaboration au Canada entre les organisations non gouvernementales et le gouvernement, de même qu'entre le Canada et les autres moyennes puissances qui partagent son point de vue.

Ce sont deux comparaisons très claires et deux leçons utiles que nous pouvons tirer du processus de décembre.

Peut-être que quelqu'un d'autre voudrait poursuivre dans la même veine.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Roche.

M. Douglas Roche: J'ai entendu le député dire que le Canada doit élaborer sa propre position dans ce dossier, comme nous l'avons fait dans le dossier des mines terrestres, ce qui nous a permis d'être un chef de file dans le monde. C'est absolument vrai.

Il y a assurément des divergences entre les diverses composantes gouvernementales sur la question de savoir comment faire débloquer le dossier des armes nucléaires. Il faut concilier ces diverses positions, et j'attends du rapport du comité qu'il présente une méthode qui nous permettrait de nous exprimer clairement sur la question.

J'en reviens au fait qu'il existe au Canada des organisations non gouvernementales très bien informées qui peuvent être utiles pour la formulation d'une politique cohérente. Cette cohérence a pour base la reconnaissance qu'il faut entendre l'appel lancé par la Cour internationale de justice et mener à terme les négociations, et qu'il faut s'efforcer de convaincre les États qui possèdent l'arme nucléaire, y compris et surtout les États-Unis, parce qu'il y va de leur propre intérêt d'assurer la sécurité du monde entier au moment d'aborder le prochain siècle.

Il est possible de réveiller la conscience mondiale, tout comme il y a eu convergence d'opinions lors de l'élaboration du traité d'interdiction complète des essais. Pendant longtemps, les États-Unis ont voté contre le traité d'interdiction complète des essais à l'ONU, mais quand l'opinion a pris corps, les États-Unis ont changé d'avis.

Je prévois donc moi aussi que si l'opinion mondiale est entraînée par des pays respectables, influents, modérés, qui ont un bon bilan, comme le Canada—et je mettrais le Canada en tête d'une telle liste—cela aura une incidence sur l'opinion et les actes de l'administration des États-Unis, qui, même aujourd'hui, subit des pressions croissantes de la part d'importants groupes de réflexion aux États-Unis, de la part d'organismes qui font l'opinion aux États-Unis.

• 1105

Un sondage réalisé aux États-Unis montre que 85 p. 100 des Américains croient que le monde s'en trouverait mieux si aucun pays n'avait d'armes nucléaires, y compris le leur.

Nous avons donc beaucoup d'éléments favorables à notre projet, que je représente ici auprès de mes collègues, projet auquel nous voulons associer le gouvernement. Nous pouvons réussir.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Madame Berlyn, je pense que vous vouliez intervenir.

Mme Judith Berlyn: Merci. Je voudrais revenir sur l'appel lancé par Mme Trouton, qui réclame davantage de consultations. Le ministère des Affaires étrangères a un processus de consultation structuré et permanent auprès des ONG qui s'occupe des Droits de l'homme, par exemple. Cela aura lieu dans deux semaines, et se répète chaque année.

Nous croyons qu'il faut instituer un processus semblable pour les ONG qui s'occupent de la paix et du désarmement au Canada et nous vous exhortons à le faire. C'est fantastique de participer aux audiences du comité, mais elles n'ont lieu qu'occasionnellement.

Comme nous le disons dans notre mémoire, la population du Canada, qui est intéressée au premier chef, exerce des pressions dans la mesure de ses moyens. Enfin, nous devons admettre que cette question ne fait pas les manchettes tous les jours et que ce ne sont pas tous les citoyens qui s'en préoccupent. Mais pour ceux qui y réfléchissent, qui ont pris la peine de s'informer, l'opinion des ONG et des gens qui y travaillent... je le répète ce sont des gens bien informés et désintéressés. Ils ne défendent aucun intérêt particulier, seulement leurs préoccupations quant à l'avenir du monde, pour ainsi dire. En fait, ils sont tous d'accord avec ce que nous préconisons.

L'opinion publique canadienne est tout à fait... Je veux dire, nous la représentons et nous le savons parce que nous avons fait beaucoup de tournées d'un bout à l'autre du Canada.

Nous avons commencé au tout début des années 80 avec l'enquête populaire sur la paix et la sécurité. Nous avons tenu nos propres audiences, parce qu'à cette époque, il n'y avait absolument aucune consultation de la part du gouvernement, aucune audience. Nous sommes allés dans 19 villes au Canada. Nous avons reçu 500 ou 600 mémoires qui sont résumés dans le rapport de ces audiences. C'était juste après la guerre du Golfe.

Ensuite l'Ambassadeur Roche a tenu sa propre série de tables rondes. Trente mille Canadiens, ou en tout cas des milliers de Canadiens ont signé la déclaration en bonne conscience. Les preuves abondent en ce qui a trait à l'opinion publique canadienne.

Il ne devrait pas être trop difficile de susciter la volonté politique et nous vous exhortons à mettre sur pied un processus structuré de consultations.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci madame la présidente. Ma question portera plutôt sur la façon de s'y prendre.

On nous a dit qu'il est quasi impossible de faire un inventaire absolument précis de la quantité de matériaux fissiles pouvant servir à fabriquer des bombes dans le monde à l'heure actuelle. En soi, cela pose un grave problème. Si nous ne pouvons pas en faire l'inventaire, que faut-il faire?

Il y a aussi les préoccupations concernant la production clandestine d'armes nucléaires à l'avenir. C'est toujours une possibilité, puisque les connaissances nécessaires sont plus largement diffusées que jamais. Je me risquerai à dire qu'un jour, on pourra se procurer la recette sur l'Internet.

Je vais poser une autre question à M. Klopstock. Il était question d'enlever le plutonium de ces armes à mesure que leurs nombres diminuent. Que proposez-vous de faire avec ce plutonium, si nous n'envisageons de l'utiliser comme combustible? Y a-t-il moyen de s'en débarrasser à tout jamais?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): À qui posez-vous votre question?

M. Julian Reed: Eh bien, j'ai posé ma dernière question à M. Klopstock, parce que c'est lui qui l'a soulevée. Mais si les deux autres veulent répondre, je n'ai pas d'objection.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Voulez-vous commencer par la dernière question?

M. Julian Reed: D'accord.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Bon, monsieur Klopstock. Ensuite peut-être M. Robinson aimerait-il répondre.

• 1110

M. Bill Robinson: Oui, assurément. Dans une certaine mesure, il y aura toujours certains doutes au sujet de l'inventaire des matières nucléaires. Même dans le programme nucléaire américain, par exemple, qui possède le système de comptabilité et de rapport le plus méticuleux au monde, il existe ce qu'ils appellent MUF, sigle anglais signifiant matières nucléaires non comptabilisées. Ce sont des matières qu'ils ont simplement perdues d'une façon ou d'une autre, dans les conduits d'air, dans le sol. Ces matières sont manquantes, on ne sait où elles se trouvent.

Mais on peut en retrouver la grande majorité et il est possible de les mettre sous haute surveillance. Et bien sûr les armes, les quantités utilisables de matières, ne sont pas si faciles que cela à dissimuler et elles sont radioactives. Il y a diverses manières de les détecter.

Il y aura toujours un certain doute, mais il sera important de le réduire au minimum. Pour cela, il faut que nous commencions tout de suite à nous attaquer à ces questions.

On ne devrait pas se lancer dans des traités de désarmement partiel, envisager de se débarrasser d'une poignée d'ogives nucléaires, sans avoir mis en place la procédure voulue pour comptabiliser toutes les matières nucléaires et préciser ce qu'il en est advenu. C'est l'une des grandes raisons pour laquelle nous disons qu'il faut établir un processus, une convention sur les armes nucléaires entourant tout le processus de désarmement, à mesure que nous nous rapprochons de l'élimination totale des armes nucléaires. Cela nous donnera la plus grande assurance possible d'avoir comptabiliser jusqu'au dernier gramme de matière nucléaire.

Quant à la production clandestine, comme je l'ai déjà signalé, cette possibilité existera toujours quelque part dans le monde. C'est très improbable, et il faut se demander pourquoi. Qu'en ferait-on?

Fondamentalement, si quelqu'un produisait une arme de ce genre, ce qui se passerait, c'est que le reste du monde se liguerait d'une façon ou d'une autre contre le coupable. Le scénario le plus plausible serait peut-être que les autres pays puiseraient aussi dans leur arsenal pour produire des armes de destruction de masse, et nous nous retrouverions dans un monde fondé sur la dissuasion.

Mais quel avantage cela aurait-il apporté à ceux qui auraient triché? Je ne vois pas où serait leur avantage, et ils seraient même grandement désavantagés pour avoir triché.

Donc, si l'on compare la norme rigoureuse qui s'établirait contre les armes nucléaires, l'absence de véritable avantage pour les tricheurs, et le fait qu'il serait difficile de tricher sans se faire prendre... Je ne dis pas que ce serait impossible, mais ce serait très difficile. Tous ces facteurs indiquent que cela n'arrivera probablement pas. C'est mon avis.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): En bref, monsieur Klopstock, êtes-vous prêt à répondre à cette question? On n'en a pas parlé auparavant, mais je vous demanderais d'y répondre brièvement, car nous n'avons plus de temps.

M. Paul Klopstock: Merci.

Je vous remercie pour votre question. Je ne suis pas physicien ni technicien. Comme Judy l'a dit, il y a quelqu'un qui comprend les aspects techniques du plutonium, nommément M. Gordon Edwards, qui sera ici dans deux semaines.

Mais essentiellement, en bref, le procédé s'appelle la vitrification. Cela veut dire l'entreposage du plutonium dans des cylindres de céramique...

Mme Judith Berlyn: De verre, on le met dans du verre.

M. Paul Klopstock: Du verre. On le confine dans du verre et on n'y touche plus. C'est une technique appelé vitrification.

Mme Judith Berlyn: Il est ensuite rendu inutilisable. Si je comprends bien, après l'avoir enlevé des ogives nucléaires, on peut le laisser sur place, on se contente de le confiner dans une enveloppe de céramique ou de verre, dans un processus qui s'appelle...

Cela le rend inutilisable, impossible à voler, etc. Cela supprime presque toute possibilité que quelqu'un puisse s'en emparer ou l'utiliser. Ce sont des objets très lourds, très difficiles à déplacer. On se contenterait de l'entreposer jusqu'à ce que l'on trouve une meilleure solution.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Madame Debien.

[Français]

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Je vous salue et vous dis un beau bonjour. C'est Mme Berlyn et M. Roche qui ont, je pense, soulevé la question que j'aimerais approfondir avec vous. En tout cas, j'aimerais à tout le moins connaître votre opinion sur un sujet dont on n'a pas discuté ce matin.

Je pense que vous proposez tous dans vos mémoires l'abolition de la production des matières fissiles que sont l'uranium et le plutonium, ce qui veut probablement dire que vous préconisez indirectement, et c'est là-dessus que j'aimerais vous entendre, l'abolition de toute forme d'énergie nucléaire. Ce serait la conséquence logique de ce que vous avancez. Que j'aie bien compris ou non, j'aimerais vous entendre à ce sujet-là.

• 1115

[Traduction]

M. Douglas Roche: Merci, madame Debien. Votre question comprend deux volets. Le premier traite de l'arrêt de la production de matières fissiles. Dans ce dossier, le Canada a certainement joué un rôle de chef de file à la conférence sur le désarmement à Genève, et aussi aux Nations Unies, en présentant des résolutions. C'est-à-dire que nous avons essayé d'amener la communauté internationale à négocier l'interdiction de la production de matières fissiles. Cela aiderait grandement à stopper la production des armes nucléaires.

Mais cela nous ramène au problème auquel nous sommes confrontés. Il y a des pays comme l'Inde et d'autres qui s'opposent à cette mesure. Ils disent, écoutez, vous avez des armes nucléaires et vous possédez déjà une quantité immense de matières fissiles. Donc, le fait que vous arrêtiez la production ne contribuera nullement à nous débarrasser de vos armes nucléaires, mais vous empêcherez d'autres pays d'en posséder.

Ces pays là disent que c'est un autre résultat du Traité de non-prolifération. C'est discriminatoire. Cela permet à ceux qui possèdent des armes nucléaires de les conserver, tout en empêchant ceux qui n'en ont pas d'en acquérir. C'est le noeud de toute l'affaire.

La seule façon de relancer les négociations en vue de l'arrêt, de l'interdiction de la production de matières fissiles, c'est d'obtenir l'engagement des États qui possèdent l'arme nucléaire d'amorcer un processus de négociation en vue de ramener leur propre stock d'armes à zéro. Voilà le fond du débat international.

Mon deuxième point porte sur l'énergie nucléaire. On est divisé au Canada et je suppose aussi au Parlement sur l'efficacité de l'énergie nucléaire. Je ne suis pas ici pour discuter de l'énergie nucléaire comme telle. Je reconnais que le Traité de non- prolifération, que j'approuve et que le gouvernement canadien approuve, permet l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Il prévoit la transmission sous bonne garde de l'énergie nucléaire. Certains pensent que c'est une bonne chose, d'autres sont d'avis contraire.

Quoi qu'il en soit, je veux faire porter mes observations sur les armes nucléaires et l'élimination des armes nucléaires. Je crois que tout comme nous avons maintenant des sauvegardes pour la transmission de matières nucléaires qui sont source d'énergie, nous pouvons de même renforcer ces mesures.

Nous pouvons le faire en renforçant l'Agence internationale de l'énergie atomique et les divers régimes du monde qui doivent garantir l'inspection et la vérification afin de s'assurer que pas un gramme de ces matières n'est utilisé pour fabriquer des armes.

Je veux que le comité consacre toute son attention à la tâche nécessaire d'éliminer complètement les armes nucléaires dans le monde entier. En disant cela, je reconnais que l'énergie nucléaire est un dossier connexe, mais distinct.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

[Français]

Mme Maud Debien: Madame la présidente, j'aimerais entendre la réponse de Mme Berlyn.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Oh, je m'excuse, madame Berlyn.

[Français]

Mme Judith Berlyn: Merci, madame Debien. Il est très important de clarifier ce point-là. Je voudrais souligner qu'il est possible de produire de l'énergie nucléaire sans utiliser les matières brutes nécessaires à la production des armes nucléaires. C'est un point clé. Il y a différents types de réacteurs civils, etc. Sans parler de la question de l'énergie nucléaire comme telle, sans dire si on est pour ou contre, on peut affirmer qu'il est possible d'avoir un programme d'énergie nucléaire tout en coupant l'approvisionnement en matières brutes pour les armes nucléaires, c'est-à-dire les matières fissiles.

Mme Maud Debien: Cela répond à ma question. Merci.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur McWhinney.

M. Ted McWhinney: Merci.

Monsieur l'ambassadeur Roche, je voudrais aborder certaines questions avec vous au sujet de la stratégie du désarmement nucléaire. À la fin des années 80, vous et moi avons discuté de la question du renvoi à la Cour internationale.

• 1120

La question a alors été soulevée devant l'OMS et nous avions un tribunal particulièrement solide. Le président Nagendra Singh était encore là, de même que le juge Elias et le juge Lachs, mais comme vous le savez, le gouvernement de l'époque a décidé de ne pas intervenir. On avait le sentiment, et je crois que vous étiez d'accord là-dessus, que l'intervention canadienne aurait peut-être clarifié les questions soumises à la cour et aboutir à un excellent jugement de la part d'un tribunal très solide.

Je suis quelque peu troublé par la confiance que le groupe ici présent semble accorder à l'opinion de la Cour mondiale. En termes techniques, c'est l'opinion du plus bas commun dénominateur. En fait, seule la brillante diplomatie du président Bedjaoui a réussi à étoffer cette opinion—si tant est que l'on puisse appeler cela une opinion majoritaire—quant à la volonté des États de négocier. Mais vous et moi savons bien qu'il est impossible de faire appliquer cela. En langage juridique, on dit que c'est purement précatif.

Je me demande si la voie législative ne serait pas une voie fructueuse pour votre groupe.

Personne n'a parlé des protocoles connexes aux protocoles de Genève de 1925, les protocoles de 1978. S'ils étaient appliqués, ils interdiraient le recours aux armes nucléaires en Irak, par exemple, si une crise survenait.

Avez-vous des conseils d'ordre général à ce sujet? Proposeriez-vous que nous nous adressions aux tribunaux—à la cour actuelle—encore une fois, ou préconiseriez-vous plutôt la voie législative? Il faudrait que ce soit une loi à adoption graduelle, comme les protocoles de Genève auxquels vous avez fait allusion.

M. Douglas Roche: Merci, monsieur McWhinney, et merci de votre initiative dans ce domaine et de votre livre remarquable qui a, en grande partie, certes servi de fondement à notre propre réflexion.

Vous avez parlé de la Cour internationale de justice et le moment est bien choisi pour examiner ce que cette cour a dit.

Dans une décision partagée confirmée par le président du tribunal, la cour a statué que le recours ou la menace de recourir aux armes nucléaires violerait de façon générale tous les aspects du droit humanitaire. Toutefois, dans un exemple extrême—la légitime défense—la cour n'a pas pu trancher la question de savoir si l'usage des armes nucléaires, dans de telles circonstances serait légal.

Le problème, c'est qu'on a inclus ces deux questions dans le même paragraphe. Si elles avaient fait l'objet de dispositions distinctes, d'après toutes les déclarations et le vote subséquent des membres, il est clair qu'on se serait prononcé à dix voix contre quatre pour l'élimination complète des armes nucléaires, pour une interdiction complète.

En dépit de cela, la cour a affirmé unanimement... Cette cour est l'autorité juridique suprême du monde. Faire fi de l'avis de la Cour internationale de justice, comme certains—pas ici, mais dans de hautes instances—ont coutume de le faire, c'est projeter le monde dans un XXIe siècle marqué du sceau du militarisme plutôt que du droit international comme principal critère de notre comportement.

Il est à l'honneur du gouvernement du Canada d'avoir affirmé— dans le document que votre comité a contribué à rédiger—que le développement du droit international aurait la priorité absolue. Le Canada s'est dit disposé à travailler au développement du droit international. Comment alors peut-il négliger ou se joindre aux voix de l'OTAN qui non seulement négligent mais rejettent l'opinion du plus haut tribunal du monde, selon lequel les négociations doivent se poursuivre.

J'estime que s'il n'en tenait qu'à lui, le Canada tiendrait de telles négociations. Les valeurs du gouvernement et du peuple canadien vont dans le sens du droit international et à l'encontre des pressions qu'exerce l'OTAN.

Il faut donc prendre le taureau par les cornes et exercer notre propre pression sur l'OTAN. Si nous voulons rester au sein de l'OTAN, nous ne pouvons accepter que l'OTAN somme le Canada de se taire et garde ses armes nucléaires. C'est faire affront aux habitants du monde entier, aux Nations Unies et aux valeurs du Canada.

Pour répondre à votre question, monsieur, je ne peux pour ma part recommander qu'on s'adresse à nouveau à la Cour pour le moment. À mon avis, cela ne ferait qu'accroître la confusion. La cour s'est prononcée clairement sur la nécessité de tenir des négociations. On examinera le Traité de non-prolifération en l'an 2000 et, déjà, en prévision de cette étude, des commissions préparatoires se tiennent chaque année.

• 1125

J'estime que si on n'a pas réalisé suffisamment de progrès dans le temps convenu par les États possédant des armes nucléaires en 1995, c'est-à-dire des progrès systématiques vers l'élimination des armes nucléaires, et si ce progrès ne peut être défini en l'an 2000, le Traité de non-prolifération commencera à s'effriter. J'emploie ce terme en pensant à notre voisin, le Mexique. Le Mexique, notre propre partenaire dans l'ALENA, a dit, monsieur, en trois occasions publiques, notamment pendant son témoignage devant la Cour internationale de justice, qu'en l'absence de progrès dans la mise en oeuvre de l'article 6 du Traité de non-prolifération, le Mexique se retirera du traité après l'an 2000. C'est une déclaration que nous devrions prendre très, très au sérieux.

D'autres pays sont aussi désillusionnés par cette discrimination. L'Inde, qui bien sûr n'a pas signé le TNP sous prétexte qu'il est discriminatoire, a déclaré qu'elle n'aborderait pas le prochain siècle en citoyen de seconde zone.

Les États qui ont des armes nucléaires doivent comprendre qu'ils ont l'obligation, envers l'humanité, d'amorcer des négociations. Comme l'a dit M. Robinson, personne ne s'attend à ce que cela se fasse du jour au lendemain. Même les experts bien informés estiment que, même s'il y avait des négociations, il faudrait un quart de siècle, certains disent même un demi-siècle, avant d'éliminer toutes les armes nucléaires.

Parfois, on invoque tous les obstacles qu'il faudrait surmonter pour éliminer les armes nucléaires pour refuser d'agir. À mon avis, c'est plutôt le contraire. Nous devons dès maintenant résoudre ces problèmes et, pour ce faire, il ne servirait à rien de recourir de nouveau au tribunal; il faudrait plutôt agir au niveau législatif et parlementaire, il faut que des pays comme le Canada ouvrent la voie pour sauver le TNP.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Monsieur Sauvageau, vous avez la parole.

[Français]

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Je pense que Daniel veut prendre 30 secondes de mon temps pour faire une petite annonce.

M. Daniel Turp: Madame la présidente, je pense que les collègues du Parti conservateur et du Nouveau parti démocratique, et ce serait sans doute aussi le cas des réformistes s'ils étaient là, voudront se joindre au Bloc québécois pour manifester leur mécontentement à la décision du Président de la Chambre d'empêcher la tenue d'un débat d'urgence sur l'Irak.

Ce matin, la décision qu'il n'y ait pas de débat d'urgence sur l'Irak a été confirmée. Nous croyons que le Parlement devrait être le lieu d'un tel débat et nous pensons qu'il y a urgence à débattre de cette question. Je voulais le faire savoir devant le secrétaire parlementaire. Je pense qu'il est urgent que ce débat ait lieu et qu'il n'ait pas lieu seulement à ce comité. Je voulais que les organisations non gouvernementales qui s'intéressent à cette question puissent être les témoins de ce manque de volonté du gouvernement de tenir au Parlement même un débat sur cette question si importante.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Vous généralisez. Je ne suis pas certaine qu'il n'y aura pas de débat sur l'Irak, en temps et lieu. C'est une situation hypothétique.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je voulais donner à M. Turp quelques secondes de mon temps, mais peut-être pas à M. McWhinney. Je suis généreux, mais j'ai mes limites. Donc, est-ce que je peux poser mes questions?

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Non. Je n'ai pas donné la parole à M. McWhinney non plus.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: J'ai apprécié l'ensemble des témoignages qui ont été faits ici. Cela nous a permis de mieux cerner la très grande problématique que l'on va étudier pendant les semaines et les mois à venir. J'ai perçu très clairement des positions que le gouvernement canadien pourrait adopter rapidement. La première position, qui nous vient de M. Robinson, je crois, parle d'une zone franche de tout armement nucléaire du gouvernement canadien. Je crois qu'au niveau interne, dans les plans d'action du gouvernement, ça pourrait être un premier pas pour lequel on n'aurait pas besoin d'avoir l'opinion internationale de notre côté, mais plutôt l'opinion publique canadienne. Donc, c'est bien.

Je complète une question que Mme Debien a posée lorsque Mme Berlyn et M. Robinson, entre autres, ont parlé de mettre un terme à la production de matières fissiles ainsi que de l'énergie nucléaire. Je sais que M. Roche ne voulait pas en parler, mais je voudrais que ce soit clair pour pouvoir bien argumenter dans le débat. Est-ce qu'on peut mettre fin à la production de matières fissiles d'un côté et poursuivre dans le domaine de l'énergie nucléaire de l'autre? Et comment?

• 1130

Mme Maud Debien: Comment est-ce possible?

Mme Judith Berlyn: C'est que les matières brutes sont différentes. Pour fabriquer des armements nucléaires, il faut l'une de deux matières brutes. On peut prendre du highly enriched uranium. Ce n'est pas du tout l'uranium qu'on trouve dans la terre. Le processus d'enrichissement est très, très compliqué. Il faut une installation de production énorme. Ce n'est pas ce qu'on utilise dans les réacteurs civils.

M. Benoît Sauvageau: Parfait.

Mme Judith Berlyn: On peut aussi prendre du plutonium. Le plutonium n'est pas essentiel à la production d'énergie nucléaire. Donc, ce sont les deux matières brutes nécessaires pour les bombes: le separated plutonium ou le highly enriched uranium. Ni l'un ni l'autre ne sont nécessaires à la production d'énergie nucléaire.

M. Benoît Sauvageau: Bon. Donc, au niveau interne, le gouvernement canadien pourrait être un leader sur le fait qu'on ait une zone franche de tout armement nucléaire et de toute circulation d'armement nucléaire comme les sous-marins sans être en opposition avec l'énergie nucléaire. Si je vous comprends bien, c'est cela?

Mme Judith Berlyn: C'est cela.

M. Benoît Sauvageau: Parfait. Cela, c'est au niveau interne. Au niveau externe, pensons à une action concrète que le gouvernement canadien peut poser. Là on pense aux mines antipersonnel. Est-ce qu'une des premières opérations à envisager serait d'encourager les pays à signer la convention de non-emploi en premier lieu de l'arme nucléaire? On peut bien se battre contre tout le principe, mais s'il cherche un point sur lequel il pourrait arriver rapidement et concrètement à un consensus, est-ce que le gouvernement canadien pourrait prendre celui-là?

Mme Judith Berlyn: Oui, et il y a aussi la question de la mise en alerte. Ce seraient les deux points principaux.

M. Benoît Sauvageau: Je vous remercie beaucoup.

Mme Judith Berlyn: Merci.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, madame la présidente. Je remercie les témoins d'être venus aujourd'hui et de nous avoir montré que la collaboration est possible entre les ONG et le gouvernement.

Revenons à l'exposé que nous a présenté l'ambassadeur Moher et aux recommandations de M. Morgan. Monsieur Morgan, compte tenu de vos recommandations, les étapes décrites par l'ambassadeur sont- elles réalistes? Sont-elles suffisantes? Sont-elles pertinentes? Comment vos recommandations se comparent-elles à la position de l'ambassadeur?

M. Douglas Roche: Madame la présidente, avant que mon collègue, M. Morgan, ne réponde à la question, je veux m'assurer qu'on répondra à la remarque de M. Turp sur l'opinion des ONG concernant les possibilités d'une frappe militaire contre l'Irak. Je tiens à dire que nous ne voulons pas remettre en question le fonctionnement du Parlement. J'espère que ce n'est pas dans cet esprit que vous envisagerez mes remarques.

Mais parce qu'il a demandé quelle était l'opinion des ONG sur cette question, je tiens à déclarer que nous nous opposons fermement à toute mesure militaire unilatérale contre l'Irak. Nous estimons que, si une intervention armée devenait nécessaire, elle ne devrait se faire que sous l'égide du Conseil de sécurité des Nations Unies et aux termes de l'article 43. C'est là la seule mesure légale qui pourrait être prise. Mais avant d'envisager une opération militaire de ce genre, des pourparlers et des initiatives diplomatiques sont encore possibles. Je suis d'avis que le Canada devrait donner son appui et même participer à l'élaboration de techniques de négociation, de conciliation et de médiation en vue de trouver une solution pacifique à ce problème.

• 1135

[Français]

M. Daniel Turp: Je suis très heureux de vous entendre dire cela parce que c'est la position de notre parti. Ils la défendront au Parlement.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Excusez-moi, monsieur.

Mme Jean Augustine: Ai-je perdu ma question?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Non, vous n'avez pas perdu votre question.

Monsieur Morgan.

M. David Morgan: Merci.

Je n'ai reçu mon exemplaire du discours de M. Moher que récemment; je n'ai donc pas eu l'occasion de le lire attentivement. Dans mon résumé, que vous avez sous les yeux, je crois, je conclus qu'il est illusoire de vouloir changer la politique de l'OTAN de l'intérieur même. Cela a été vain dans le passé et il est peu probable que cela porte fruit à l'avenir. Sur la question fondamentale des armes nucléaires de l'OTAN, le Canada n'a aucune chance d'amener l'OTAN à modifier sa politique en exerçant des pressions de l'intérieur.

Sur ce grand navire qu'est l'OTAN, le Canada est premier lieutenant, ce qui lui donne le droit de maugréer un peu sur la situation et sur le cap, mais il ne peut contredire les ordres du capitaine. Ce n'est qu'en exprimant notre intention de quitter le navire, s'il ne change pas de cap, que nous pouvons véritablement exercer notre influence.

Il ne s'agit pas de nous opposer aux États-Unis. Comme l'a fait remarquer mon collègue, M. Roche, de nombreux Américains préconisent l'abolition des armes nucléaires et, en outre, le Canada a la pleine confiance des Américains. Notre pays jouit d'une très grande confiance. Si nous agissons par nous-mêmes et cessons de nous comporter comme le premier lieutenant du navire OTAN, je crois que nous pourrions modifier profondément le cours des événements.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Êtes-vous satisfaite, madame Augustine?

Mme Jean Augustine: J'ai une question sur la troisième recommandation selon laquelle le Canada devrait se joindre aux autres puissances intermédiaires dans sa quête de sécurité. Pourriez-vous nous en dire plus long sur les trois points dont vous parlez dans cette recommandation?

M. David Morgan: Premièrement, le Canada devrait immédiatement supprimer la cote d'alerte des armes nucléaires. C'est le premier point. En principe, la guerre froide est terminée depuis 1991, et on ignore généralement que les armes nucléaires ont encore une cote d'alerte. Cela signifie que le risque d'une guerre nucléaire accidentelle reste très élevé.

En outre, l'OTAN a toujours eu pour politique, concernant le paragraphe 7-3b), de conserver son droit d'employer en premier ses armes nucléaires. Ce n'est pas un droit de première frappe, mais le droit d'utiliser des armes nucléaires en réponse à une attaque de type classique. C'est une politique extrêmement dangereuse. L'Union soviétique l'a toujours rejetée. Ce n'est que récemment, depuis qu'on a indiqué vouloir accueillir de nouveaux membres au sein de l'OTAN, que les Russes sont revenus sur leur politique et ont adopté une politique d'emploi en premier de leurs armes nucléaires.

C'est en partie ce qui m'a fait changer d'opinion. Dans la situation actuelle, nous ne sommes plus simplement motivés par la peur. Nous sommes plus audacieux en matière d'armes nucléaires.

Troisièmement, signer avant l'an 2000 une convention qui comporterait un échéancier exécutoire pour l'abolition des armes nucléaires... Nous sommes tous d'accord pour dire que c'est nécessaire. Ce n'est qu'avec une telle convention qu'on pourra mettre en oeuvre un plan sérieux et complet d'élimination de ces armes.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

J'aimerais moi-même poser une question qui s'adresse surtout à M. Klopstock.

Vous avez parlé de volonté politique. Vous avez peut-être raison. Toutefois, lorsque vous préconisez qu'on abolisse l'énergie nucléaire, je suis préoccupée. Lorsque vous parlez d'énergie nucléaire et d'armes nucléaires... Je crois que M. Roche a fait remarquer que le lien entre les deux n'est pas bien défini. Pour certains pays du tiers monde, dans des régions reculées, l'énergie nucléaire est la seule forme d'énergie disponible. Certains diront peut-être que le développement n'est peut-être pas dans l'intérêt de toutes les sociétés.

• 1140

J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus long à ce sujet.

M. Paul Klopstock: Il ne fait aucun doute que nous sommes ici aujourd'hui pour parler d'armes nucléaires. On a soulevé la question—vous venez de le faire et d'autres ont posé quelques questions à ce sujet—de savoir quelles seraient les conséquences de l'abolition des armes nucléaires pour l'industrie civile de l'énergie nucléaire. Il est possible de séparer ces deux questions, car les combustibles nécessaires à la création d'armes nucléaires ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui alimentent les réacteurs nucléaires civils.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): La reconversion est très simple, n'est-ce pas?

Mme Judith Berlyn: C'est une reconversion complexe.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je ne veux pas dire par là que cela pourrait se faire sur ma cuisinière. M. Reed croit que oui, car il a goûté à ma cuisine.

Il semble que je connais mal le sujet.

Mme Judith Berlyn: Nous croyons savoir—et comme je l'ai déjà dit, vous pourrez poser des questions pointues ou scientifiques dans quelques semaines—qu'il faut d'énormes installations pour produire de l'uranium enrichi. Les usines d'enrichissement de l'uranium s'étendent sur des acres. Vous ne pouvez les cacher sous terre ou dans une montagne. Il est impossible d'enrichir suffisamment d'uranium pour en faire des armes sans que cela se sache.

Il en va de même, je crois, pour la séparation du plutonium. Je connais mal le processus, mais, encore une fois, le plutonium qu'il vous faut pour produire des armes nucléaires doit...

M. Bill Robinson: Le plutonium peut être séparé dans des usines plus petites. Ça, c'est un problème. À l'heure actuelle, aucun réacteur nucléaire civil n'est alimenté au plutonium. On craint qu'il ne serve de combustible à l'avenir. Voilà pourquoi nous ne voulons pas que le plutonium des armes serve de combustible pour les réacteurs, car cela encouragerait l'utilisation du plutonium dans les pays comptant sur l'énergie nucléaire. On mettrait ainsi à la disposition des gens un produit pouvant servir à la fabrication d'armes.

Le plutonium est produit par tous les réacteurs, c'est un résidu qu'il faudrait séparer des autres résidus. En ce sens, les armes nucléaires et les réacteurs nucléaires ne peuvent être séparés, mais c'est un problème auquel le monde fait déjà face car il y a déjà d'énormes quantités de résidus radioactifs dont on pourrait extraire le plutonium. Déjà, le monde doit protéger ces résidus, empêcher l'extraction du plutonium et son utilisation. Cela pourrait se faire si les réacteurs civils ne disparaissent pas, car il faudra alors trouver une solution, ou on pourrait éliminer les réacteurs civils, mais il nous faudrait quand même protéger les résidus qui existent déjà. C'est là le problème. En réglant les problèmes des réacteurs civils, on ne règle pas la question de savoir ce qu'on fera des produits pouvant servir à la fabrication d'armes nucléaires.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Peut-être devrions-nous remettre cette question à notre prochaine audience. Chaque fois que le Canada envisage de vendre un réacteur CANDU, nous recevons des lettres de gens qui nous disent que nous avons tort de vendre ces réacteurs.

M. Bill Robinson: Les mesures de protection qui empêcheront la fabrication de bombes après l'abolition des armes sont les mêmes qui peuvent empêcher la fabrication de bombes par ceux à qui nous vendons des réacteurs CANDU. Si ces mesures ne nous semblent pas suffisantes, nous ne devrions peut-être pas vendre ces réacteurs.

• 1145

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Il y a un autre point à l'ordre du jour. On a demandé au comité de rencontrer une délégation parlementaire de Lituanie, comprenant le président du Groupe parlementaire des relations avec le Canada et le président du Comité des relations étrangères de la Seima. Cela serait possible pendant notre réunion de mardi matin, 17 février. Sommes-nous d'accord?

Des voix: D'accord.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Bien sûr.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je vous remercie tous d'être venus ce matin. C'est un sujet dont nous pourrions parler indéfiniment. Nous n'avons fait qu'effleurer le sujet pendant ces trois dernières heures, mais je vous remercie de vos exposés et de vos réponses.

La séance est levée.