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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le vendredi 30 avril 1999

• 0935

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton- Ouest—Mississauga, Lib.)): Je déclare ouverte cette table ronde.

Je vous demande de me pardonner. Il y a une chose que l'on apprend à force de voyager d'un bout à l'autre de notre pays, et c'est qu'il faut toujours le faire au printemps ou en automne. Cela vous rappelle la grande diversité de notre pays. Il faisait très chaud en fin de semaine à Victoria, où j'ai laissé mon manteau.

Les audiences publiques que notre comité tient d'un bout à l'autre du pays sur les principaux aspects de la future politique du Canada en matière de commerce international ont lieu au moment même où les pays du monde doivent faire des choix et prendre des décisions cruciales dans le cadre du processus complexe des négociations multilatérales sous les auspices de l'Organisation mondiale du commerce et dans le cadre de nouvelles tribunes régionales comme le projet de zone de libre-échange des Amériques.

En entreprenant ces vastes consultations publiques sur les intérêts des Canadiens à l'égard à la fois de l'OMC et de la ZLEA, le comité et son Sous-comité du commerce sont tout à fait d'accord avec le ministre du Commerce international, Sergio Marchi, quant à la nécessité d'offrir aux Canadiens davantage d'occasions d'avoir leur mot à dire relativement aux positions que le gouvernement du Canada adopte dans le cadre de ces négociations.

En mars, le comité est allé au Québec et dans les provinces de l'Atlantique. Cette semaine, pendant que la moitié du comité tient des audiences dans les trois provinces de l'Ouest, l'autre moitié de notre comité tient des audiences semblables au Manitoba et en Ontario. Nous espérons obtenir un échantillon le plus vaste possible des opinions des Canadiens et consigner le tout dans un rapport que nous comptons déposer au Parlement avant l'été, donc avant les principales réunions internationales sur le commerce qui doivent avoir lieu cette année.

Je pense que certains d'entre vous ont déjà témoigné à Ottawa et vous connaissez donc notre façon de procéder. Au début, nous avons entendu le ministre et des hauts fonctionnaires, et ensuite un certain nombre de délégations qui ont été convoquées à Ottawa avant les audiences ailleurs au Canada.

À la mi-avril, plus de 100 témoins avaient fait des présentations élaborées devant le comité, abordant une vaste gamme de questions fondamentales et de préoccupations relativement à l'OMC et au rôle que le Canada y joue et aux objectifs et stratégies au moment d'aborder la prochaine ronde de négociations multilatérales, qui doivent être lancées lors de la troisième conférence ministérielle de l'OMC, réunissant 134 pays membres, conférence qui doit avoir lieu cette année aux États-Unis.

Comme le ministre Marchi l'a dit dans son exposé devant notre comité, le commerce international est maintenant devenu une question locale. Ce qui se passe aux tables de négociation à l'autre bout du monde a des conséquences concrètes qui se font sentir jusque dans la cuisine des Canadiens et dans d'autres domaines de la vie courante. Comme cette tendance se renforce à cause de la mondialisation, on ne peut pas s'en remettre à une poignée de fonctionnaires pour élaborer la politique commerciale; il faut plutôt engager dans cet exercice l'ensemble de la société et tous les niveaux de gouvernement.

C'est pourquoi les membres du comité sont contents de pouvoir tenir ces audiences qui constituent une étape dans l'atteinte de cet objectif. Nous avons été impressionnés par la qualité des témoignages et des mémoires écrits. Au-delà des audiences formelles, notre démarche doit constituer un processus continu d'apprentissage et d'écoute. À cet égard, nous venons d'ajouter au site Internet de notre comité une série de fiches de discussion avec des questions à l'intention du public, et nous prévoyons inclure dans notre rapport un guide de l'OMC à l'intention des citoyens.

J'encourage donc tous les Canadiens à prendre la parole. Je vous souhaite la bienvenue ce matin et je pense que les points de vue que vous présenterez aujourd'hui seront peut-être quelque peu différents de ceux que nous avons entendus la semaine dernière.

Nous entendons ce matin M. Dr Sarkar, directeur de University of Saskatchewan International et conseiller spécial auprès du président. Bienvenue.

Monsieur Foster, les membres du comité ont déjà eu le plaisir de vous entendre et nous vous souhaitons de nouveau la bienvenue ce matin.

Je vais en terminer avec la table d'honneur. Monsieur Handy, j'ignore ce que signifie le sigle CALACS.

M. Jim Handy (président, Canadian Association for Latin American and Caribbean Studies (CALACS); témoignage à titre personnel): Ce sigle signifie Canadian Association for Latin American and Caribbean Studies.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Et M. Peter Phillips, professeur à la Van Vliet Chair, Faculté d'économie agricole. Bienvenue.

• 0940

Je pense que nous allons aussi nous présenter nous-mêmes.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Je m'appelle Charlie Penson. Je suis député de Peace River au Parlement et porte-parole en matière de commerce du Parti réformiste, qui est l'opposition officielle.

M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Je m'appelle Murray Calder. Je suis député au Parlement, le représentant d'une circonscription du centre de l'Ontario. Je suis aussi vice-président du Comité permanent de l'agriculture et je suis aussi toujours par ailleurs aviculteur.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je suis Colleen Beaumier, députée de Brampton, à côté de Toronto—mais ce n'est pas Toronto. Je préside la réunion parce que notre présidente a dû se rendre à New York aujourd'hui.

Qui va commencer? Monsieur Sarkar?

M. Asit Sarkar (témoignage à titre personnel): Merci, madame la présidente et messieurs les membres du comité.

C'est un plaisir bien spécial pour nous de l'Université de la Saskatchewan de faire des présentations devant votre comité. Je pense qu'à chaque fois que vous voyez des représentants de l'université, vous devez vous attendre à entendre des points de vue diversifiés et je suis pas mal certain que ce que vous entendrez ce matin sera assez diversifié. Mais j'espère que cette diversité présentera quand même un thème central et pertinent pour votre comité, afin que vous puissiez en tirer certaines idées. J'ai le grand plaisir de vous faire part de certaines réflexions ce matin au sujet des négociations en vue de créer une éventuelle zone de libre-échange des Amériques. J'ai été professeur dans le domaine des affaires internationales et j'ai été directeur du Centre pour les études en commerce international de l'Université avant d'assumer mon poste actuel il y a près de six ans.

Je suis donc bien conscient de l'importance de mettre en place un marché mondial où les biens et les idées peuvent circuler avec le moins de contraintes possible.

Reconnaissant que les économies de la ZLEA représentent des débouchés intéressants pour les biens, les services et les investissements canadiens, j'appuie l'initiative de notre gouvernement en vue de conclure un tel accord d'une manière qui sera équitable pour tous les peuples de l'hémisphère tout en protégeant en même temps les intérêts vitaux du Canada.

On a laissé entendre que le processus de négociation de la ZLEA doit être beaucoup plus ouvert que les précédentes négociations commerciales multilatérales et qu'il faut prendre en compte les points de vue et les préoccupations d'un groupe élargi ne se limitant pas seulement au gouvernement. Cette volonté de chercher à obtenir la participation des citoyens est extrêmement louable, étant donné qu'avec la mondialisation accrue de l'économie, la sphère d'influence relative se détourne du gouvernement pour aller plutôt vers les organisations non gouvernementales, le secteur privé et les particuliers.

L'émergence de ces acteurs non étatiques dans l'économie mondiale, en particulier les entreprises multinationales, a soulevé des craintes pour un certain nombre de raisons que je ne vais pas nécessairement énumérer toutes.

Les entreprises multinationales contribuent aux mouvements de capitaux privés d'une manière qui cause parfois des distorsions par rapport aux priorités sociales de chacun des pays et des économies. De plus, on a laissé entendre que les décisions en matière d'investissement privé des entreprises multinationales contournent parfois la législation nationale sur la santé et la sécurité.

De même, parfois, donner prééminence de l'agenda strictement commercial des entreprises multinationales dans des accords multinationaux peut entraîner une perte de souveraineté des gouvernements dans les dossiers autres que commerciaux. Je me rends compte que les visées des entreprises multinationales ne sont pas toujours conformes aux priorités sociales et économiques des pays dans lesquels elles ont des activités. Ces entreprises s'y sont installées essentiellement pour faire des affaires et des profits et, dès qu'il y a possibilité de faire des profits, l'entreprise s'y engouffre.

• 0945

Toutefois, dans une tentative pour contrôler leur comportement, il faut faire attention de ne pas nuire à l'objectif clé, qui est d'obtenir une circulation plus libre des biens et des services. Nous n'attendons pas des entreprises privées qu'elles assument la responsabilité des services publics. En même temps, le processus de prestation des services publics ne doit pas rendre l'environnement commercial contraignant au point que les choix privés commencent à nuire à l'intérêt de ces «économies restreintes».

Un élément important de tout accord de libre-échange est l'engagement de réduire les barrières tarifaires. Un programme de réduction des tarifs suscitera toujours des inquiétudes quant à la trop grande rapidité des changements, mais un accord de libre- échange ne vaut pas le papier sur lequel il est écrit s'il n'entraîne pas une réduction importante ou même l'élimination complète des barrières tarifaires et non tarifaires. L'expérience de l'ALENA montre que les compagnies canadiennes dans leur ensemble se sont bien débrouillées dans un environnement commercial marqué par des tarifs faibles ou inexistants. Nous devons toutefois nous assurer que les règles du jeu soient claires dès le départ et que l'on mette en place une protection contre d'éventuelles pratiques commerciales déloyales.

Cette entente en particulier, la ZLEA, s'étendra à un plus grand nombre de pays comportant des situations économiques beaucoup plus inégales que ce qui était le cas pour l'Accord de libre- échange ou l'ALENA. Par conséquent, il sera nécessaire de tenir compte spécialement des pays de l'hémisphère qui sont plus petits et moins avancés économiquement. Toute mesure en ce sens doit toutefois être temporaire et spécifique. L'engagement ultime de tout participant doit être d'aboutir à un environnement commercial exempts de tarifs.

Il faut renforcer le processus pour obtenir que la société civile soit partie prenante aux discussions débouchant sur un éventuel accord. On s'attend à ce que les négociations soient longues et pendant cette période, tout changement imprévu dans l'hémisphère ou même ailleurs dans l'économie mondiale pourrait entraîner des changements aux résultats attendus. Il peut toujours y avoir des changements de gouvernement dans les pays en cause, ce qui peut nuire non seulement à l'intérêt régional vertical global, mais aussi à l'intérêt humain. Il peut aussi y avoir des changements imprévus dans le secteur financier, comme on l'a vu récemment au Brésil. Ou bien des changements peuvent avoir lieu ailleurs dans le monde, ce qui peut également changer toute la perspective de l'environnement commercial dans la région.

Il faut donc être souple et le processus de consultation doit également être souple. Ce n'est pas parce qu'on a consulté les gens au début du processus que cela doit être le point final pour ce qui est de la consultation des Canadiens. Les intervenants non gouvernementaux doivent être tenus au courant des changements à chaque étape importante du processus de négociation et doivent avoir la possibilité d'intervenir de nouveau. Par conséquent, le processus de consultation doit être continu, utilisant au minimum toutes les possibilités qu'offre la technologie de communication par Internet et l'organisation de conférences virtuelles.

De plus, il serait utile d'établir un processus formel de consultation des intervenants non gouvernementaux, afin que l'équipe de négociation puisse obtenir rapidement leur réaction aux diverses étapes des négociations.

Il y a aussi d'autres éléments importants pour lesquels le Canada peut jouer un rôle de chef de file. D'abord, à titre d'intervenant important sur la scène du développement international, le Canada peut jouer un rôle très utile en s'assurant que les pays plus petits et moins développés de l'hémisphère ne soient pas marginalisés dans le processus de négociation. Je sais que certains membres de l'équipe de négociation des petits pays ont reçu une formation au Canada sur le processus de négociation, mais cela ne saurait être le seul moyen pour nous d'aider les économies plus petites. Nous devons aussi prendre des mesures pour nous assurer que le point de vue de la société civile dans ces pays soit bien représenté pendant les négociations. En fin de compte, si nous voulons que cet accord commercial donne de bons résultats pour tous les peuples de l'hémisphère, il faut veiller à ce que les citoyens de ces pays bénéficient au premier chef des avantages d'une économie plus florissante.

• 0950

Deuxièmement, le Canada a un rôle important à jouer dans l'industrie du savoir. Il peut être un chef de file pour s'assurer que l'industrie du savoir ne se heurte pas à diverses barrières non tarifaires sous prétexte de protéger les intérêts nationaux des divers pays en cause. Comme on l'a vu dans un certain nombre de pays dans diverses parties du monde, l'accès à Internet et à d'autres éléments de la technologie de l'information a été limité par un certain nombre de gouvernements, souvent afin de restreindre la liberté d'expression. Le Canada peut s'assurer que de tels éléments restrictifs ne soient pas inclus dans l'accord, afin d'assurer la plus grande liberté possible dans le secteur de l'industrie du savoir. Une telle position permettrait aussi au Canada de jouer un rôle de chef de file dans la promotion du commerce électronique.

Troisièmement, il est probable que des éléments de la ZLEA influeront sur les politiques et les normes qui continuent de relever des gouvernements provinciaux et locaux. Il est donc essentiel que les gouvernements provinciaux et locaux soient partie prenante dans les aspects clés des négociations mettant en cause ces politiques et normes. S'ils sont consultés, il est plus probable qu'on aboutira à des positions communes à tous les Canadiens.

Enfin, tout processus de ratification de la ZLEA doit inclure l'engagement du gouvernement de publier des rapports annuels sur l'impact de la ZLEA sur divers aspects de l'économie, afin que tous les intervenants comprennent pleinement à la fois les avantages et les problèmes éventuels.

Merci, madame la présidente. Cela met fin à ma déclaration.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Foster, êtes-vous le suivant?

M. John Foster (témoignage à titre personnel): Madame la présidente, messieurs les membres du comité et chers amis, je vais aborder des questions entourant la ZLEA et mes observations sont très schématiques étant donné les contraintes de temps. Mon mémoire renvoie à d'autres documents de référence, si les membres du comité sont intéressés.

Je voudrais dire quelques mots au sujet du contexte et de l'investissement et des droits de la personne et des aspects sociaux d'un accord comme le projet de ZLEA.

Premièrement, les partisans des accords sur le commerce et l'investissement ne ratent jamais l'occasion d'avancer leur hypothèse voulant que l'accroissement du commerce et des investissements va faire «remonter la barre», ce qui est loin d'être prouvé. Le comité est certainement au courant d'études qui ont été faites sur la répartition des revenus dans l'hémisphère, faisant ressortir des tendances négatives et polarisantes entraînant un accroissement des inégalités et de la marginalisation qui coïncide avec l'application de politiques de libéralisation du commerce ainsi que d'autres éléments de ce que l'on pourrait appeler le consensus de Washington.

Les travaux du professeur Albert Berry, de l'Université de Toronto, sont éloquents à ce sujet. Les protestations généralisées au Pérou cette semaine ne sont que l'expression visible d'une réaction à l'échec de 10 ans de mise en oeuvre de telles politiques. Les bouleversements et les divisions créés par les accords sur le commerce et l'investissement et l'accroissement du commerce ne se limitent pas aux économies plus pauvres, plus vulnérables ou plus petites, mais touchent tous les Américains et les Canadiens.

L'étude de William Cline sur le commerce et la répartition des revenus, effectuée pour le compte du Institute for International Economics de Washington, documente la pression à la baisse sur les salaires américains et les écarts croissants dans la répartition des revenus découlant de la libéralisation du commerce. Un certain nombre d'études récentes font ressortir des conséquences semblables au Canada.

On pourrait résumer la tendance générale par l'aphorisme suivant: l'intégration pour quelques-uns, la désintégration pour la plupart, c'est-à-dire l'intégration au niveau international et de l'élite, et la désintégration, la polarisation et l'appauvrissement au sein des sociétés. Je n'ai pas le temps d'explorer toutes les ramifications de cela, qu'il suffise de dire qu'il semble bien que les accords sur le commerce et l'investissement conclus par la génération actuelle vont probablement aggraver ces tendances négatives. Il est tout à fait inacceptable de se contenter d'affirmer que les choses vont s'améliorer. S'il y a désaccord là- dessus, l'étape la plus logique serait de faire une évaluation approfondie des conséquences sociales et économiques de l'ALENA.

• 0955

Si nous recherchons des avantages sociaux généralisés, une plus grande équité, la réduction de l'inégalité, une prospérité partagée, ainsi que la paix sociale, nous devons concevoir des accords qui visent directement à faciliter l'atteinte de ces objectifs.

Par où commencer? Je vais faire une suggestion en me fondant sur un autre accord. En 1995, le Canada et un certain nombre de nos partenaires de l'hémisphère ont signé la Déclaration de Copenhague et le programme d'action au Sommet mondial pour le développement social. Nous avons fait nôtre un programme complet visant à combattre l'inégalité, le chômage et la marginalisation en prenant des mesures comme des programmes nationaux exhaustifs visant l'élimination de la pauvreté, avec la participation directe des organisations de la société civile et des personnes les plus directement touchées. On fera un suivi de nos engagements l'année prochaine à l'occasion d'une réunion spéciale de l'Assemblée générale des Nations Unies qui aura lieu à Genève.

Quel meilleur moyen d'atteindre un objectif global de développement social et d'intégration sociale que d'amorcer une consultation conjointe dans les Amériques sur la mise en oeuvre des accords de Copenhague, avec la participation pleine et entière des intervenants de la société civile? Donc, ma première recommandation est que le Canada établisse comme cadre, pour ainsi dire, des négociations ultérieures, un processus de consultation conjointe entre les gouvernements des Amériques sur la mise en oeuvre de la Déclaration et du programme d'action du Sommet mondial pour le développement social, avec la participation pleine et entière des acteurs de la société civile, en vue d'élaborer des accords pour une mise en oeuvre plus efficace de ces ententes, y compris en fournissant les ressources voulues de façon prioritaire.

Compte tenu de la polarisation qui se produit dans les Amériques, il faut prendre bonne note, comme l'a fait le dernier intervenant, de l'effet des crises. La situation sociale et économique de la majorité de la population en Amérique latine s'aggrave actuellement en raison des conséquences des crises des devises et des crises financières généralisées, qui semblent endémiques dans le modèle de la mondialisation qui est actuellement appliqué. La première crise de la nouvelle génération a été la soi- disant crise du peso au Mexique en 1994-1995, mais le Brésil, l'Équateur et un certain nombre d'autres pays sont actuellement aux prises avec une nouvelle flambée de crises. Cela a amené un certain nombre d'autorités, depuis George Soros, dont la réputation n'est plus à faire mais qui se prête aux citations, jusqu'à la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, à réclamer des mesures afin de renforcer la réglementation des mouvements de capitaux et d'aider les gouvernements nationaux à renforcer leurs exigences.

Sans entrer dans les détails, je veux simplement rappeler au comité que l'un des critères qu'il faut appliquer à toute entente éventuelle est la question de savoir dans quelle mesure elle renforce ou affaiblit les instruments qui se situeront essentiellement, mais pas entièrement, au niveau national afin d'empêcher les crises et d'y remédier.

À cet égard, le bilan du Canada est assez équivoque. Durant les négociations avec le Chili en 1996, nous avons fait pression sur le Chili pour qu'il abandonne sa loi sur les exigences de réserve imposées aux investisseurs étrangers, mais de l'avis de beaucoup d'observateurs, c'était précisément cette loi qui contribuait à isoler le Chili et à le protéger des pires conséquences de la crise du peso mexicain, ce que l'on a appelé l'effet tequila.

Ainsi donc, ma deuxième recommandation est que dans tout accord sur le commerce et l'investissement, y compris le projet de ZLEA, le Canada vise à renforcer les mesures nationales et internationales pour réglementer les mouvements de capitaux et les investissements afin d'empêcher et d'atténuer les crises financières.

Sur la question des droits en matière d'investissements commerciaux, je sais que vous avez entendu beaucoup d'interventions, surtout de la part d'organismes comme le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. Je veux simplement faire savoir que je souscris à l'annexe technique que cet organisme a présenté au comité sur la transcendance du droit international en matière des droits de la personne et ses rapports avec ces accords.

Je dirai toutefois qu'il subsiste un danger considérable que les accords sur le commerce et l'investissement ne puissent affaiblir et renverser nos accords existants et éventuels en matière de droits de la personne, et ce fait doit être reconnu, compris après quoi il faut y remédier. Je pense qu'il y a ici un rôle pour les organismes parlementaires et que le gouvernement peut scruter davantage la question et je fais certaines recommandations à cet égard dans mon mémoire écrit.

• 1000

Je dirais qu'une façon simple d'indiquer cette priorité consisterait à inclure dans tout accord sur le commerce et l'investissement une disposition de portée générale établissant un lien avec d'autres accords existants. Les Européens le font en insérant dans les accords commerciaux ce que l'on appelle la clause standard sur les droits de la personne et la démocratie. Je ne vois aucune raison empêchant le Canada et ses partenaires de l'hémisphère d'insérer une telle disposition dans les premiers articles constituant la partie opérante de tout nouvel accord.

Cela ne fait pas disparaître le besoin de se pencher sur des considérations plus détaillées en matière de droits de la personne en rapport avec le nouvel accord. Vous êtes au courant de la déclaration conjointe faite en novembre dernier par les chefs d'État du MERCOSUR sur les questions sociales et du travail, déclaration qui passe en revue de façon très détaillée leurs engagements en matière de droits de la personne. Je recommande donc que le gouvernement canadien négocie l'insertion d'une disposition sur les droits de la personne et la démocratie dans tout nouvel accord sur le commerce et l'investissement et que le gouvernement canadien mette en branle un dialogue hémisphérique préparatoire à un accord global conjoint sur les droits sociaux et du travail dans l'hémisphère. Le programme actuel des négociations commerciales n'est pas satisfaisant à cet égard.

Pour ce qui est de l'investissement, l'inclusion des dispositions sur l'investissement dans un nouvel accord commercial est une question extrêmement préoccupante. Les fonctionnaires canadiens s'affairaient la semaine dernière à jeter les bases d'un chapitre sur l'investissement dans le nouvel accord, tandis que leurs collègues ailleurs exprimaient des préoccupations au sujet du «malentendu quant à l'intention des dispositions sur l'expropriation (de l'actuel chapitre 11 de l'ALENA), tout en niant que l'on ait l'intention de rouvrir l'ALENA».

Ensanglanté par la cause Ethyl et tirant derrière lui le boulet de nombreux recours au chapitre 11, le champion canadien du commerce extérieur fonce en titubant, cherchant à se faire tabasser encore plus. Au lieu d'essayer d'étendre la méthode de l'ALENA à l'ensemble de l'hémisphère, le Canada devrait consacrer ses énergies à la révision ou à l'abrogation du chapitre 11 de l'ALENA.

En matière d'investissement, notre précepte devrait être: «Ne faites pas plus de mal». Nous devrions chercher à réviser et corriger ces aspects néfastes de l'ALENA. Voir nos négociateurs tenter de propager le chapitre 11 à l'échelle de l'hémisphère, parmi les décombres de l'Accord multilatéral sur l'investissement, nous force à nous demander si le mot «apprendre» peut vraiment s'appliquer à ceux qui s'occupent de commerce international.

La documentation naissante sur le fiasco de l'AMI, y compris le rapport Lalumière-Landau au ministère français des Finances et le rapport du comité parlementaire du Royaume-Uni sur la vérification environnementale, montre que le processus de conception et que le fond de l'accord proposé, modelé d'après le chapitre 11 de l'ALENA, étaient profondément viciés.

Je propose donc que le gouvernement canadien entreprenne une étude approfondie, avec pleine participation du public, de la clause de l'ALENA sur l'investissement, des dispositions comparables de l'AMI et de tout texte semblable dans le projet de la ZLEA, en vue d'examiner leurs effets sur l'aptitude du Canada à respecter les accords internationaux auxquels il adhère et qui portent sur les droits de la personne, le travail et l'environnement. Je propose également de ne pas procéder à des négociations relatives à un accord sur l'investissement dans les Amériques tant qu'il n'y aura pas suffisamment de garanties pour assurer la préséance des droits de la personne et le maintien de la capacité des États de réglementer l'investissement conformément aux priorités qu'ils auront démocratiquement établies.

En ce qui a trait au lien entre les droits de la personne et un accord proposé, le Canada doit dire clairement que son engagement à l'endroit des droits de la personne dans l'hémisphère est entier et sans équivoque. Pour l'instant, le Canada n'a ratifié ni la Convention américaine relative aux droits de l'homme, qui prend pour modèle approximatif le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni ce qu'il est convenu d'appeler le Protocole de San Salvador sur les droits économiques, sociaux et culturels, qui est semblable au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Il y a un débat considérable à ce sujet. Le ministre des Affaires étrangères a publiquement déclaré son intention d'amener le Canada à ratifier ces deux conventions. Il reste pourtant un certain nombre d'obstacles. À mesure que les retards s'accumulent, la position du gouvernement et son engagement deviennent plus ambigus. La ratification, plus particulièrement, du protocole économique et social aurait un effet considérable. Je crois pressentir que l'adhésion du Canada permettrait qu'il commence enfin à être appliqué.

Ce serait là un moyen idéal de signaler l'engagement réfléchi et vigoureux du Canada à l'endroit de l'indivisibilité des droits de la personne et de mettre de l'ordre dans nos engagements régionaux et multilatéraux. Cela indiquerait également que les initiatives touchant le commerce extérieur et l'investissement n'avanceront pas tant qu'on ne renforcera pas l'institutionnalité compensatoire qu'est la défense des intérêts de la personne.

Il y a un certain nombre d'autres mesures dont j'ai fait état et auxquelles le Canada peut recourir à ce sujet. Il devrait également être clair que la ratification n'est que le début du processus, que nous devons en faire beaucoup plus pour renforcer l'application de ces traités et de ces accords dans l'hémisphère. Cela signifie qu'il faudra y consacrer des ressources et du leadership, dans un processus international de renforcement.

• 1005

Je recommande que le Canada ratifie la Convention américaine relative aux droits de l'homme, avec quelques réserves appropriées, ainsi que le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l'homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels. Je recommande également qu'une loi de mise en oeuvre soit préparée pour le Parlement, accompagnée d'encouragements aux provinces et aux territoires à adopter une mesure semblable, étant donné que beaucoup des questions soulevées dans ces accords relèvent de leur compétence.

Je recommande aussi que le Canada, se servant des ressources des organismes parapublics et non gouvernementaux, lance, à l'échelle de l'hémisphère, un programme de développement plus poussé des dispositions portant sur l'accès réel, la mise en oeuvre et l'application.

Je recommande enfin que la signature et la ratification des pactes internationaux, de la Convention contre la torture, de la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, de la Convention américaine et du Protocole additionnel deviennent les conditions préalables à l'adhésion à tout accord hémisphérique sur le commerce extérieur et l'investissement.

En conclusion, j'estime que l'approche à trois volets adoptée pour les négociations dans les Amériques—c'est-à-dire l'OÉA, le processus du sommet et le processus du commerce et de l'investissement—doit non seulement être intégrée beaucoup plus efficacement qu'à l'heure actuelle, mais le processus du commerce et de l'investissement doit s'inscrire dans le cadre d'un accord plus général qui cherche à établir une collectivité plus équitable et plus durable dans les Amériques. Le ministre des Affaires étrangères a lui-même fait état de cet objectif général de construire la collectivité de l'Amérique du Nord et des Amériques.

Je crois que cet objectif noble peut être atteint, mais nous en sommes bien loin pour l'instant. Faute d'inscrire les accords sur le commerce et l'investissement dans un cadre plus général axé sur le développement social, l'équité et la durabilité, ainsi que sur le respect des droits de la personne, nous risquons de miner plutôt que de renforcer la base de la collectivité pour la majorité des habitants des Amériques. J'espère sincèrement que le rapport de votre comité nous aidera à passer de la voie suivie jusqu'à ce jour à une nouvelle voie.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Handy.

M. Jim Handy: Je pense que nous constatons la diversité dont a parlé M. Sarkar dans son exposé. Bien que beaucoup des choses dont je veux parler reprennent bon nombre des questions dont John a parlé dans son exposé, mon exposé sera plus bref et, à cause de cela, un peu plus vague peut-être.

Je pars pratiquement des mêmes prémisses que John. Si nous croyons que les régimes commerciaux et la libéralisation du commerce devraient être conçus pour favoriser le bien-être social généralisé, le dossier des accords commerciaux actuels n'est pas très reluisant. Il y a de nombreuses études qui font état d'une augmentation de l'inégalité, de niveaux croissants d'agitation sociale, d'une augmentation du nombre de gens vivant dans la pauvreté de par le monde et, chose que moi et d'autres trouvons très troublante, d'une augmentation du nombre de personnes vivant dans des conditions de pauvreté abjectes dans le monde. Cette détérioration des conditions est, en partie, le résultat des réglementations et des régimes commerciaux actuels.

Si nous croyons donc que c'est la situation qui prévaut et si nous cherchons à modifier les accords commerciaux pour mieux promouvoir l'accroissement du bien-être social, la question qui se pose est: comment procéder? Manifestement, la seule voie ouverte au Canada est de continuer à croire au commerce international et au libre-échange, ou du moins à une libéralisation des échanges, mais en commençant à essayer de modifier les régimes commerciaux de façon à répondre à cette problématique. J'estime qu'il y a cinq grandes questions que le Canada doit envisager dans ces négociations commerciales. Certaines ont déjà été abordées tant par M. Sarkar que par John.

• 1010

La première question est la suivante: qui amenons-nous à la table? Comme l'a dit M. Sarkar, nous devons élargir les horizons des négociateurs et de ceux qui se préparent à des négociations. Comme l'a dit le ministre Marchi, le commerce international est une question locale. L'une des significations naturelles et immédiates de cela, c'est que les gouvernements nationaux ne peuvent pas seuls négocier au nom de tous ces intérêts locaux.

Le fait que le gouvernement canadien effectue ces consultations constitue, selon moi, une mesure positive et importante. Ce ne sont pas tous les gouvernements qui se livrent à des consultations publiques de ce genre. Par contre, je ne pense pas qu'il suffise simplement d'avoir des consultations publiques. Je crois qu'à la table de négociation, nous devons amener d'autres intervenants.

Dans ce contexte, on peut penser à de nombreux autres secteurs qui pourraient être représentés à la table de négociation de bien des façons, mais certains des candidats les plus évidents sont les ONG internationales, les organismes indigènes, les associations de travailleurs agricoles et de producteurs. Bien sûr, il est difficile de les amener à la table, mais ils ont été amenés à la table dans d'autres tribunes internationales où, antérieurement, seuls les États étaient représentés, notamment pour beaucoup de dossiers concernant les Nations Unies. Je ne vois pas pourquoi il serait plus difficile d'amener ces intervenants non étatiques à la table de négociation d'un accord commercial qu'il ne l'était dans certaines de ces autres tribunes internationales.

La deuxième question que je voudrais examiner est celle d'imposer des limitations à la capacité d'accéder à certains marchés. Je ne suis donc pas tout à fait d'accord avec M. Sarkar là-dessus, et il n'en sera pas surpris, car j'estime que, dans les accords futurs, il devra y avoir des dispositions qui permettent à des pays ou à des structures politiques plus locales d'empêcher que certaines choses soient considérées comme des marchandises.

L'un des effets permanents des instruments commerciaux actuels est de permettre aux forces du marché de pénétrer plus profondément dans les sociétés nationales et locales. Dans beaucoup de cas, cela est bénéfique. Dans certains autres, ce ne l'est pas. Cela a eu pour effet de transformer en marchandise des choses que beaucoup de gens estiment ne pas devoir être transformées en marchandise, car cette transformation a signifié que certaines personnes n'ont plus la capacité d'accéder à ces choses parce qu'elles deviennent trop onéreuses.

Ce processus, que Vandana Shiva appelle «enclore la commune mondiale», se poursuit. Les pays et les collectivités doivent pouvoir recourir à l'option de ne pas traiter certaines choses comme des marchandises. Il s'agit là d'une question qui intéresse certainement le Canada, puisque nous continuons de nous battre pour que les soins médicaux et l'instruction restent du domaine public. Dans d'autres pays, des préoccupations semblables portent sur la terre, les connaissances traditionnelles ou indigènes et la propriété intellectuelle.

La troisième question est celle de la liquidité, de la mobilité des capitaux. John en a longuement parlé. J'aimerais faire quelques observations à ce sujet.

Avant de nous lancer dans de nouvelles négociations sur la libéralisation de l'investissement dans le monde, il nous faut certainement une mesure qui contrôle les capitaux spéculatifs internationaux, qu'il s'agisse d'une taxe Tobin ou de toute autre mesure semblable. Je crois également que les gouvernements nationaux et locaux doivent, s'ils le souhaitent, maintenir le droit de dresser des obstacles à certains types d'investissement ou d'imposer des restrictions à l'investissement tels que des partenariats locaux ou l'obligation d'effectuer des transferts technologiques.

J'ai promis d'être plus bref que John—pas plus court que John, je suis de toute façon plus court que lui—et je vais donc terminer assez rapidement.

La quatrième question que j'aborde est celle-ci: Il nous faut, dans la nouvelle négociation sur la libéralisation du commerce, des mesures d'encouragement qui empêchent les organismes commerciaux internationaux d'autoriser ou d'imposer des accords de libre- échange manifestement nuisibles au bien-être social de la collectivité. Je voudrais donner un seul exemple de cela. Il s'agit de la décision, pas très récente, de l'OMC sur l'Union européenne et le commerce de la banane. Si cette décision est maintenue, elle aura pour effet de détruire la production de bananes des Antilles et de concentrer encore plus la production de bananes en Amérique latine continentale, sous contrôle des trois grandes entreprises bananières américaines.

• 1015

La production de bananes dans les Antilles ne se fait pas de la façon la plus éclairée au monde, mais elle a belle allure lorsqu'on la compare à la production bananière continentale contrôlée par les trois grandes entreprises bananières des États- Unis. Dans les Antilles, elle est moins dangereuse d'un point de vue environnemental et meilleure au plan social. Elle offre de meilleurs salaires. Elle permet l'achat auprès de petits producteurs. Elle permet de faire tout cela. Les récentes décisions de l'OMC auront manifestement une incidence sociale néfaste, je dirais même désastreuse.

Je pense également que les décisions récentes de l'OMC visant à assurer que le marché européen soit ouvert au boeuf traité à l'hormone de croissance recombinante bovine constituent un exemple du même type.

Enfin, je voudrais reprendre à mon compte ce que John a proposé. Le libre-échange et la libéralisation de la réglementation sur l'investissement ne devraient pas se faire de manière à permettre aux investisseurs d'éviter les exigences légitimes en matière de fiscalité, de salaire et d'environnement. Les accords de libre-échange doivent être liés à des engagements plus clairs de respecter les droits de la personne. J'entends par cela tant les droits politiques et civils que les droits économiques, sociaux et culturels. Les accords de libéralisation du commerce et de l'investissement ne devraient pas être le moteur d'une course vers le fond.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Nous avons un peu plus de temps pour les questions, et nous avons deux nouveaux membres du comité qui viennent de se joindre à nous.

Comme les autres, voulez-vous vous présenter à nos témoins? Je ne pense pas qu'il faille présenter Chris ici, mais...

M. Jim Pankiw (Saskatoon—Humboldt, Réf.): Merci. Je suis Jim Pankiw, député de la circonscription de Saskatoon—Humboldt.

M. Chris Axworthy (Saskatoon—Rosetown—Biggar, NPD): Je suis Chris Axworthy, député de la circonscription de Saskatoon—Rosetown—Biggar.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Nous sommes heureux que vous ayez pu vous joindre à nous.

Monsieur Phillips, s'il vous plaît.

M. Peter Phillips (Van Vliet Chair, Faculté d'économie agricole, Université de la Saskatchewan; témoignage à titre personnel): Bonjour. Je suis bien content d'être ici aujourd'hui, peut-être pour servir de point final aux divers exposés de l'Université de la Saskatchewan. Nous avons commencé par les observations d'Asit axées sur les marchés, et nous avons changé de vitesse pour les deux derniers conférenciers. En ma qualité d'économiste, je vais essayer de nous ramener aux intérêts du marché, particulièrement dans cette région et particulièrement pour le secteur agroalimentaire.

Comme économiste, j'ai passé une bonne partie de ma vie dans les cercles gouvernementaux et universitaires, à examiner l'élaboration de politiques et à aider à les mettre en oeuvre. Je constate qu'il y a toujours des opinions sur la façon dont le commerce fonctionne ou ne fonctionne pas, mais que le commerce n'est qu'un seul des mécanismes d'élaboration des politiques. Trop souvent, nous attendons de la politique commerciale qu'elle permette la réalisation d'objectifs multiples alors qu'habituellement il faut de multiples politiques pour réaliser de multiples objectifs. Voyons donc comment la politique commerciale pourrait aider à favoriser le développement agroalimentaire et les intérêts commerciaux de l'ouest du Canada.

Tout d'abord, permettez-moi de vous rappeler que le secteur agroalimentaire—pas seulement l'agriculture, mais les services et les intrants de l'agriculture ainsi que les secteurs de production et de transformation—représente le plus grand secteur économique du Canada. En fait, de tous les secteurs économiques au Canada, c'est celui qui dépend le plus des activités d'exportation. Nos intérêts ne se limitent donc pas à un seul marché ou à une seule région; ils sont de nature mondiale.

De façon générale, les accords commerciaux bilatéraux ou régionaux ont peut-être certains avantages, mais les plus grands avantages proviendront probablement d'une activité constante et soutenue à l'échelle multilatérale.

• 1020

Bien que certains produits soient dominés par la relation commerciale canado-américaine, en pratique, un bon nombre de nouveaux produits et de nouveaux secteurs où s'effectuera de la transformation à valeur ajoutée intéresseront des marchés situés à l'extérieur de l'Amérique du Nord continentale.

Quels sont donc nos intérêts commerciaux dans le secteur agroalimentaire? Je ne vais pas insister sur les questions traditionnelles dont je soupçonne que l'on vous aura beaucoup parlé jusqu'à présent au cours de votre tournée. Les questions traditionnelles telles que l'accès aux marchés, les tarifs, les contingents, le processus de tarification, l'accès minimal, les subventions à la production, les subventions à l'exportation, les quantités optimales à produire, la couleur de la boîte, qu'elle soit verte ou bleue, toutes ces questions qui se bousculent sont importantes, mais, à mon sens, elles perdront de leur importance au fil des années.

Il y a deux choses auxquelles le comité voudra réfléchir avant d'offrir ses conseils au gouvernement. L'une d'elles a trait à l'expansion des mécanismes actuels de commerce international. Un bon nombre de nos concurrents et de nos partenaires commerciaux les plus importants n'adhèrent à aucun accord commercial—je songe à la Chine, la Russie et à un bon nombre d'autres pays. Tant qu'ils ne souscrivent pas à un accord, la relation commerciale et, dans les faits, les politiques sociales et culturelles dont mes collègues ont parlé ne seront pas du tout balisées par des règles ou des normes. Voilà donc peut-être une question à laquelle votre comité voudra réfléchir et sur laquelle vous voudrez peut-être poser des questions.

L'autre question est de nature plus commerciale. Traditionnellement, en Amérique du Nord, l'agriculture est considérée comme un secteur de faible technicité, à forte intensité de main-d'oeuvre. En fait, rien n'est plus faux que cette vision des choses. Il s'agit actuellement de l'un des secteurs de plus haute technicité et de plus forte densité de capital et de connaissances en Amérique du Nord. L'arrivée des technologies de l'information, de la télédétection, de diverses techniques nouvelles d'agronomie et, bien sûr de la biotechnologie, ont changé du tout au tout l'évolution de ce secteur pour les cinq ou dix années à venir.

Cela soulève toute une série de nouvelles questions qui, traditionnellement, n'ont pas été envisagées en matière d'agriculture. Nous avons tendance à traiter le secteur agricole comme faisant partie d'une table distincte aux négociations. Nous parlons de subventions à l'accès aux marchés et de subventions intérieures et à l'exportation. Ces questions ont peut-être une certaine importance, mais pour un produit fondé sur le savoir, pour lequel le temps est de l'argent et où, en fait, vous vendez un bien intangible inséré dans un produit alimentaire, il y a toute une série d'autres questionnements qui méritent notre attention dans le contexte du système agroalimentaire, pas simplement dans le contexte d'objectifs économiques plus généraux. Permettez-moi de vous en présenter quelques-uns.

Si nous nous orientons vers une agriculture axée sur le savoir, comme nous le faisons dans l'ouest du Canada, la qualité, la sécurité des aliments et la propriété intellectuelle vont orienter les forces du marché et les forces de l'offre. Cela signifie que, d'une certaine façon, nous allons devoir nous occuper des problèmes de normes.

Nous avons divers accords issus de l'OMC, le système FTS et la Commission du Codex Alimentarius pour assurer la sécurité des aliments. Nous avons divers systèmes en cours d'élaboration dans le monde, tels que celui de l'ISO, et le système de l'analyse des risques-point critique pour leur maîtrise. Tous ces systèmes offrent le grand potentiel d'être soit un soutien à des échanges commerciaux ou un obstacle au commerce. À long terme, il seront probablement plus importants que le fait que le tarif soit fixé à 5 ou à 3 p. 100 pour un produit alimentaire transformé.

D'autres questions qui entrent en ligne de compte et qui pourraient entraver ou en fait bloquer tout commerce des produits alimentaires incluent l'environnement. Les discussions actuelles, par exemple, relatives au protocole sur la biosécurité, pourraient avoir pour effet d'empêcher le transport ou l'expédition de beaucoup des produits primaires et secondaires de l'ouest du Canada et pourraient avoir des répercussions sur des questions telles que l'étiquetage éthique des produits.

Nous avons eu des discussions avec la Commission du Codex Alimentarius. Nous avons eu des discussions au sein de divers autres organismes alimentaires pour voir comment nous pouvons commencer à étiqueter certains produits afin de parvenir à une certaine segmentation du marché. L'éthique est une question subjective et, dans bien des cas, elle est devenue un outil qui sert d'obstacle au commerce et pas vraiment un mécanisme social ou culturel.

Il y a d'autres problèmes. Comme je l'ai dit, les droits à la propriété intellectuelle ainsi que la création et la commercialisation du savoir vont devenir une partie fondamentale du commerce agricole au cours des années à venir. Nous sommes signataires d'instruments tels que la Convention UPOV sur les droits des sélectionneurs de 1991, l'APIC et divers accords internationaux sur les brevets, mais ces systèmes ne fonctionnent pas encore à plein régime. En fait, dans bien des cas, nous comptons sur le droit américain des brevets pour servir d'obstacle ou de base à un commerce international des connaissances. Je crois que nous devons examiner d'un peu plus près la façon d'intégrer cette partie des négociations dans nos démarches sur le commerce agricole.

• 1025

Une autre question à laquelle mes collègues ont déjà fait allusion et où je présente peut-être un point de vue contraire, c'est qu'à mesure que s'industrialise le secteur agroalimentaire, il n'existera plus de chaîne alimentaire entièrement comprise à l'intérieur d'un seul pays. On verra des réseaux alimentaires investir dans de multiples pays et, par conséquent, les taux d'investissement, bien qu'ils puissent sembler être une lame à double tranchant, deviendront un facteur important lorsqu'il s'agira de prendre des décisions sur la façon de faire évoluer notre système agroalimentaire. De ce fait également, la politique sur la concurrence inclura des questions qui se répercuteront sur l'agriculture et sur le secteur agroalimentaire.

Qu'est-ce que cela signifie donc pour les politiques gouvernementales? Il y a toute une série de questions nouvelles à examiner. J'ai trois observations à faire. La première, c'est qu'à la table de négociation, historiquement, le Canada a adopté une stratégie où chacune de ces questions est traitée à une table différente, par des spécialistes différents avec très peu de communications entre les tables aux fins de la négociation, de l'établissement des stratégies ou d'acheminement de l'information. Par conséquent, les produits de la négociation n'ont pas toujours été conformes aux besoins du secteur. Nous devons nous débrouiller pour trouver une façon tant verticale qu'horizontale de gérer la négociation au cours des cycles futurs.

Deuxièmement, ces questions entraînent toutes sortes de conséquences très différentes. Il ne sera peut-être plus possible de poursuivre la stratégie de négociation du passé où l'on choisit un partenaire ou un groupe de partenaires auxquels on s'allie totalement et sans ambiguïté. Nous constaterons peut-être que certains de nos alliés ne font pas partie de notre groupe traditionnel de partenaires, tels que le Groupe de Cairns ou le bloc de l'OCDE.

Enfin, la plupart de ces questions concernent des pays en voie de développement et la capacité de ces pays à négocier dans certains de ces secteurs est très ténue. Le Canada aura peut-être la capacité d'aider les pays en voie de développement à obtenir la capacité de négocier en groupes et de mettre en oeuvre les accords que produiraient ces négociations. Le dernier cycle de négociations a failli s'effondrer du fait de l'incapacité des pays les moins avancés à s'engager dans la négociation de façon sérieuse. Au cours des cycles futurs, où le développement du secteur agroalimentaire et des marchés, dans bien des cas, se fera à l'extérieur des pays industrialisés, des pressions réelles seront exercées pour que nous les intégrions pleinement dans le système commercial international.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous commencerons notre période de questions avec M. Penson.

M. Charlie Penson: Merci, madame la présidente.

Tout d'abord, bienvenue à nos témoins. Les discussions que nous avons pendant notre tournée pancanadienne d'audiences nous seront très utiles lorsque nous établirons la position que le Canada adoptera tant dans les futures négociations de l'OMC que dans le processus de la ZLEA.

Il me semble que le processus de la ZLEA demande beaucoup plus de temps. On a laissé entendre ce matin que certains pays en développement, du moins, semblent mieux comprendre quels seront leurs intérêts, mais il reste également encore beaucoup à apprendre.

J'ai trois questions à poser. La première porte sur la société civile et le rôle que celle-ci pourrait jouer dans ces négociations. On semble tenir pour acquis au Canada que la société civile sera consultée, mais il n'en va pas nécessairement de même dans d'autres pays, surtout dans certains pays en développement de l'Amérique latine et de l'Amérique du Sud.

En décembre, j'ai participé au Mexique à une conférence où plusieurs gouvernements semblaient dire qu'ils n'ont pas l'intention de consulter la population et que s'ils y sont forcés, ils refuseront de négocier. Il est un peu difficile de contester leur opinion, car il s'agit de gouvernements élus démocratiquement et, dans certains cas, je vous le rappelle, de gouvernements élus démocratiquement depuis peu et qui sont donc de ce fait encore un peu fragiles.

Quelqu'un a dit ce matin que la société civile devrait participer aux négociations, mais je n'arrive pas à imaginer comment cela pourrait fonctionner.

• 1030

J'ai assisté à la réunion des ministres de l'OMC à Singapour. On y trouvait toute une gamme d'ONG et de groupes d'intérêts venus là spécialement pour être informés et consultés avant que la délégation canadienne n'entre dans la salle de négociation. À mon avis, il faut un porte-parole pour livrer un message commun, car tous ne s'entendent pas nécessairement. C'est l'un des éléments que j'aimerais mieux comprendre.

Pour ce qui est de la société civile elle-même, quelle que soit sa définition, comment peut-on vérifier qu'elle est dûment consultée? Si les gouvernements ne tiennent pas de consultations suffisantes, comment peut-on s'assurer qu'ils connaissent toute la gamme des intérêts de ses membres? Voilà pour ma première question.

Ma deuxième question porte sur l'AMI, et il s'agit davantage d'une observation. À mon avis, l'argument voulant qu'il ne faut pas inclure de dispositions sur les investissements dans ces accords futurs se fonde sur de fausses hypothèses. Je sais que bon nombre de gens font valoir que l'AMI a été rejeté parce que la population s'y est opposée. C'est vrai dans une certaine mesure, mais il y a aussi des pays, dont les États-Unis, qui demandent pourquoi on voudrait un accord sur l'investissement si le but est d'accorder une exemption sur tout—et je crois que les pays devraient avoir la possibilité d'accorder toutes les exemptions qu'ils souhaitent. C'est ma deuxième question.

Lundi, à Winnipeg, nous avons entendu un certain nombre de groupes.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Comme vous le savez, nous n'avons pas beaucoup de temps à consacrer aux questions, et tous les préambules limitent le temps des réponses...

M. Charlie Penson: Et vous utilisez aussi une partie du temps dont je dispose.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Continuez, s'il vous plaît.

M. Charlie Penson: Et voilà pour la consultation de la société civile.

Des voix: Oh, oh!

M. Charlie Penson: Ma dernière question porte sur le développement durable—l'idée que certains groupes ne bénéficient pas de ces mesures et qu'il faudrait éviter de libéraliser davantage le commerce et les investissements.

Certains groupes ont dit qu'il vaudrait mieux pour la population des pays en développement qu'on crée chez eux des emplois et qu'on augmente le commerce plutôt que de leur offrir de l'aide; ils disent que nous faisons fausse route avec nos programmes d'aide et qu'il vaudrait mieux envisager de réduire les tarifs et d'abolir les obstacles à l'accès aux marchés afin que ces pays en développement aient accès à nos marchés. Ces groupes disent également que cela vaudrait mieux également pour l'environnement, car les subventions que l'on accorde dans ces pays ont souvent pour effet de détériorer l'environnement. On peut démontrer ici même au Canada que les subventions ont contribué à l'érosion des sols, dans le secteur agricole.

Je ne sais pas s'il vous reste du temps pour répondre, mais j'ai terminé.

M. Jim Handy: Permettez-moi de commencer par répondre à votre question sur la société civile et sur les divers aspects de cette question. Tout d'abord, il est un peu tordu à mon avis de dire qu'un gouvernement fraîchement converti à la démocratie ne peut consulter la société civile parce qu'il est fragile. S'il est un moyen de renforcer un gouvernement démocratique, c'est bien de tenir une consultation générale de la société civile. Lorsque nos partenaires commerciaux disent qu'ils ne peuvent consulter la société civile, ils usent d'un vieil argument qui n'a rien à voir avec la réalité.

M. Charlie Penson: Monsieur Handy, puis-je vous interrompre?

M. Jim Handy: Bien sûr.

M. Charlie Penson: C'est ce que disent ces gouvernements ou ces gens. Ils ont peut-être divers points de vue, mais si c'est sur cela qu'ils fonderont leur décision de participer ou non aux négociations de la ZLEA, que peut-on faire? Certains disent qu'ils ne négocieront pas si on leur impose ces consultations.

M. Jim Handy: C'est pour cela que j'ai dit que nous devons trouver un moyen de permettre à la société civile internationale d'avoir son mot à dire dans les négociations. Vous avez dit que vous ne pouvez pas imaginer comment la société civile pourrait participer aux négociations. Je n'ai peut-être pas expliqué assez clairement comment on pourrait le proposer.

• 1035

Cela ne veut pas dire nécessairement que ces secteurs doivent être eux-mêmes à la table de négociation, mais ils devraient au moins y être à titre de témoins pour y exprimer leurs vues et leurs idées, outre celles de leurs gouvernements. Vous avez dit, et nous le savons tous, que bon nombre de ces gouvernements ne souhaitent pas entendre ces points de vue. Nous devons donc offrir aux représentants de la société civile internationale une ou plusieurs tribunes où ils pourront expliquer leurs points de vue aux négociateurs de tous les pays participants.

M. Charlie Penson: En faisant cela, ne passeraient-ils pas outre à leurs gouvernements?

M. Jim Handy: C'est déjà le cas. La plupart des représentants de la société civile participent maintenant à des ONG internationales, à des associations autochtones internationales et à des associations internationales de paysans et de producteurs qui sont déjà représentés dans des organismes comme les Nations Unies. Lorsque l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture s'est réunie à Rome pour discuter de sécurité alimentaire, on a invité le groupe Via Campesina et d'autres groupes internationaux de paysans et de producteurs à venir témoigner. C'est une pratique qui devrait également être appliquée, à mon avis, dans toutes les négociations sur le commerce et l'investissement.

M. John Foster: Permettez-moi de faire une ou deux observations en réponse à votre deuxième et à votre troisième questions, monsieur Penson. Il y a sans doute de nombreuses causes, tant internes qu'externes, qui expliquent le rejet de l'AMI. Le rapport préparé par le gouvernement français sur les préoccupations de la société civile, tant sur le fond que sur le processus, contient de nombreux détails à ce sujet. L'ancien adjoint du négociateur en chef a également prononcé un discours très intéressant sur la façon dont certains de ces enjeux ont été traités à l'interne, surtout sur la façon dont les négociateurs ont sous-estimé les préoccupations environnementales.

Tous réclament la transparence, mais on ne saurait certes utiliser ce terme dans les relations entre l'OMC et les organisations non gouvernementales, abstraction faite des entreprises. C'est donc une question qu'il faudra étudier soigneusement, surtout pour ce qui est de l'OMC et des négociations, dans l'établissement des règles du jeu des prochaines négociations.

Pour ce qui est de l'AMI, et d'une disposition relative à l'investissement, je vous signale deux questions de fond qui tenaient une place considérable dans le rapport français et dans d'autres documents. Le premier, c'est le mécanisme de règlement des différends entre une partie et un investisseur d'une autre partie. Du point de vue juridique, constitutionnel et judiciaire, nous devrions nous y opposer d'emblée. Ce mécanisme pervertit les voies de droit régulières, et nuit à la participation de la société civile. Certains ont dit qu'il s'agissait d'un rétablissement des méthodes de l'inquisition. Il faudrait extirper ce mécanisme du chapitre 11 actuel et ne pas adopter d'autres mesures semblables.

M. Charlie Penson: Comment y arriver?

M. John Foster: Nous devons négocier. Évidemment, lorsque le ministre a posé des questions au sujet de l'interprétation de cette disposition en matière d'expropriation, le ministre mexicain a dit qu'il fallait laisser tomber cela pour l'instant. Mais nous devons négocier avec ces forces-là. Il peut s'agir des gouverneurs d'État des États-Unis ou d'autres partis politiques du Mexique qui souhaitent des modifications. C'est un processus à long terme. Lors du sommet, je me souviens avoir entendu une députée brésilienne du Parlement de Santiago fulminer contre ses homologues des autres pays qui avaient adopté—selon ses termes—une disposition aussi stupide.

Nous en avons déjà senti les effets dans l'affaire Ethyl. Le gouvernement fédéral mexicain à San Luis Potosi en fait également les frais et nous devons élaborer une stratégie pour changer ce mécanisme. Nous n'aurions jamais dû l'accepter. Je répète que ce mécanisme est entièrement régressif du point de vue de la loi et des voies de droit.

M. Charlie Penson: Je vous signale que pour cela, les trois parties doivent être d'accord.

M. John Foster: Oui, vous avez raison. Il s'agit donc d'une stratégie à long terme, mais c'est ce que nous devons viser.

Le deuxième élément relève davantage des questions de développement dont a parlé M. Handy. Quand on parle aux gens de développement économique de la base de la communauté vers le sommet, la plupart des choses que les gens réclament, quel que soit le style de gouvernement, étatique, local ou tribal, entrent dans la catégorie des obligations de rendement. On veut que les entreprises produisent ici et qu'elles embauchent des travailleurs locaux. On veut qu'elles aient ici leur administration centrale. On veut également qu'une partie de la production soit vendue localement, etc.

C'est exactement le genre de choses qu'interdisait l'ébauche de l'AMI et auquel il faut faire très attention dans la ZLEA. Il faut permettre aux gouvernements, à divers paliers, de se doter des instruments nécessaires pour encourager le développement et voir à ce que ce développement soit durable, et qu'on y trouve des composantes comme l'emploi ou d'autres normes que l'on souhaitera appliquer à l'échelle régionale et locale.

• 1040

Pour ce qui est du développement durable, il me semble qu'il y ait certains risques dans les hypothèses habituelles d'exigences économiques de taille unique, que ces hypothèses soient celles du FMI, de la Banque mondiale ou de l'OMC. Je mentionne plus particulièrement le travail de Dani Rodrick, professeur de Harvard et conseiller du Groupe des 24, un groupe lié à la Banque mondiale. M. Rodrick dit en gros qu'il faut permettre davantage les variations et les applications nationales. Cela signifie qu'il faut limiter les dispositions qui empêchent les gouvernements de régir et d'orienter le développement. Il faut réduire cet espèce de caractère arbitraire à une échelle multilatérale et permettre davantage de variation et de créativité à l'échelle nationale.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Sarkar, soyez bref, s'il vous plaît.

M. Asit Sarkar: Merci. Permettez-moi de répondre à la question sur la participation de la société civile.

Tout d'abord, surtout dans les négociations commerciales, la société civile ne se limite pas à nos conceptions classiques des ONG et comprend également les organismes du secteur privé, ainsi que les universités et les autres établissements d'enseignement supérieur qui se préoccupent de la politique commerciale et économique.

Pour aider les pays à avoir une participation efficace de leur société civile, le Canada peut entre autres... Permettez-moi de vous donner un exemple.

Dans sa division de l'Amérique latine, le CRDI du Canada met en oeuvre un excellent programme en matière de commerce, d'emploi et de compétitivité. De tels programmes n'ont pas été utilisés pour favoriser l'établissement de partenariats et le partage des connaissances entre les pays et les établissements canadiens qui seraient en mesure d'améliorer la capacité de ces pays. Il est donc possible d'utiliser de façon sélective des initiatives de développement qui existent déjà pour renforcer la capacité des pays en développement.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Nous devons souligner que nous sommes élus pour représenter la société civile et que celle-ci devrait donc avoir un rôle très important à jouer.

Je vous prie de nous excuser. Nous n'avons plus de temps pour les questions et certains d'entre nous en sont extrêmement déçus. Malheureusement, nous n'avons pas pu convaincre les sociétés aériennes de modifier leurs horaires pour nous.

Merci beaucoup de vos témoignages. Pour ma part, j'ai beaucoup apprécié vos points de vue. Il en va de même de mes collègues, j'en suis certaine. Je dois avouer que vous avez répondu à bon nombre de mes questions dans vos témoignages. Je suppose que nous pourrions vous écrire pour demander des précisions, n'est-ce pas?

M. Asit Sarkar: Oui.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci beaucoup.

Nous entendrons maintenant les représentants du Saskatchewan Council for International Cooperation et de la Saskatchewan Health Coalition, John Derbowka et Warren Peterson.

Bonjour et merci d'être venus nous rencontrer. Comme vous avez pu le constater avec nos témoins précédents, nous avons entendu des témoignages importants et perspicaces et nous avons bien hâte d'entendre les vôtres. Comme je l'ai déjà dit, notre temps est malheureusement très limité. Nous vous demandons donc de limiter vos remarques à environ dix minutes afin que nous ayons plus de temps pour vous poser des questions.

Je vous laisse la parole.

• 1045

M. John Derbowka (membre du conseil, Saskatchewan Council for International Cooperation): Merci beaucoup, madame la présidente.

Permettez-moi de me présenter brièvement. Je représente les partenaires de la Fondation canadienne contre la faim, dont je suis un bénévole, au sein du Saskatchewan Council for International Cooperation, organisme de coordination qui regroupe 30 Églises, institutions et organismes bénévoles de la Saskatchewan qui oeuvrent dans les domaines du développement international et de la justice mondiale.

Je vous renvoie à notre mémoire, que je citerai dans une large mesure. Dans les deux premières pages, qui portent sur l'économie mondiale, on indique que la mondialisation actuelle du commerce et des finances renforce les tendances vers un ordre économique moins équitable, moins axée sur le développement durable et donc moins viable du point de vue économique, compte tenu de la croissance rapide de la pauvreté.

Il existe aujourd'hui des disparités toujours plus grandes non seulement entre les nations riches et les nations pauvres, mais aussi entre les groupes riches et pauvres au sein des nations. À l'échelle locale, provinciale, nationale et internationale, il faut élaborer, planifier et mettre en oeuvre une vision pratique et applicable d'ordre économique plus juste, plus équitable et plus durable.

L'Organisation mondiale du commerce a été créée pour permettre aux économies plus petites et plus faibles du monde de participer à l'élaboration de la politique mondiale du commerce qui les touche inévitablement. Toutefois, depuis l'échec du nouvel ordre économique international, il y a 25 ans, la CNUCED et l'Organisation mondiale du commerce ont de plus en plus visé à promouvoir les politiques de libéralisation du commerce, souvent en passant outre aux objections des économies plus petites et plus faibles.

Comme l'a fait remarquer l'ambassadeur de l'Inde au conseil général de l'OMC, «la mise en oeuvre (du rapport annuel de l'OMC) oblige les gouvernements à accorder plus d'importance aux profits des sociétés transnationales qu'au bien-être de la population. À peu près tous les gouvernements du monde sont dirigés de façon démocratique et doivent rendre des comptes à leur population. C'est la population, et non les gouvernements, qui doit vivre la dure réalité de la crise». À ce titre, les gouvernements doivent être en mesure d'appliquer des politiques qui protègent leur population contre les pires extrêmes de l'économie de marché.

Il faut donc s'inquiéter de l'attaque portée par l'OMC contre le droit des gouvernements nationaux d'appliquer des méthodes d'approvisionnement locales. Même si la mondialisation met l'accent sur l'investissement international et le développement de marchés mondiaux, le programme de développement des Nations Unies indique que le développement économique communautaire est un élément clé de l'éradication de la pauvreté. Le PNUD recommande la création d'un climat habilitant à l'intention des petites entreprises agricoles et des micro-entreprises du secteur de l'information. Ces entreprises contribuent à la croissance puisqu'elles créent des revenus et des emplois à faible coût, qu'elles nécessitent peu d'instants importés et n'ont que de faibles exigences de gestion.

On reconnaît également que la protection des industries naissantes, bien que directement contraire aux règles de la libéralisation du commerce, est une étape nécessaire dans le développement des économies nationales et la réduction de la pauvreté. La Grande-Bretagne, les États-Unis, Taïwan et le Japon—en fait, la plupart des économies les plus fortes du monde—ont tous connu des périodes de protectionnisme intense dans le développement de leurs économies. Maintenant que ces pays et ces industries cherchent de nouveaux marchés, voilà qu'ils veulent nier aux pays en développement le droit de se prévaloir des mêmes mécanismes de protection.

La déréglementation financière pose un autre problème. On a vu à plusieurs reprises, durant la crise financière en Asie et la crise suivante au Brésil, le FMI réclamer une plus grande libéralisation des marchés financiers dans des pays déjà en détresse—et on sait maintenant que ces mesures étaient une erreur—au détriment de la population de ces pays.

Par exemple, la Chine et la Malaysia, qui sont intervenues sur le marché financier en fixant la valeur de leurs devises et en imposant certaines conditions aux investissements étrangers, ont été moins frappées par la crise économique. Il est important que les gouvernements nationaux aient encore la liberté d'adopter leurs propres solutions, même si ces solutions exigent une réglementation du marché.

La libéralisation mondiale du commerce a exigé un sacrifice trop grand de la sécurité économique et environnementale de la population, au profit de l'acquisition d'un avantage concurrentiel. Les pays du tiers monde qui essaient désespérément d'attirer des investissements font fi dans bien des cas de leurs propres lois en matière de main-d'oeuvre et d'environnement pour s'attirer les faveurs d'entreprises étrangères.

• 1050

Des travailleurs des maquiladoras du El Salvador qui visitaient récemment la Saskatchewan ont décrit comment les chefs de gouvernement de leur pays avaient réclamé leur exécution pour trahison, pour le crime d'avoir organisé un syndicat. Les gouvernements estiment qu'il est essentiel pour leur participation à l'économie mondiale de conserver un milieu d'affaires totalement dénué de syndicats de travailleurs ou de normes de sécurité au travail, de normes exigeant une rémunération suffisante ou de respect pour les droits humains des travailleurs.

Loin de respecter les lois des pays en matière de main-d'oeuvre ou d'environnement, les accords actuels de libre-échange facilitent la contestation de ces lois par les investisseurs. En 1998, la firme américaine Ethyl Corporation a contesté la loi canadienne en matière d'environnement et a obtenu gain de cause sous le régime de règlements de l'ALENA. Le gouvernement du Canada aurait pu investir des millions dans la recherche pour démontrer que sa loi, adoptée démocratiquement, était justifiée du point de vue de l'environnement et ne constituait pas un obstacle déguisé au commerce. Il a choisi, au lieu, d'abroger sa loi. Quelles sortes de normes environnementales les pays du tiers monde sont-ils obligés d'abandonner, en cas de contestation, par manque des ressources nécessaires pour se défendre devant les tribunaux et pour payer des recherches indépendantes?

Dans cet exemple, la théorie économique mondiale va entièrement à l'encontre de l'objectif d'amélioration du développement humain et du développement durable de l'environnement. L'OMC doit instaurer des normes mondiales en matière de main-d'oeuvre et d'environnement qui permettront aux pays d'harmoniser les leurs à la hausse plutôt que d'accélérer ce que M. Romanow appelle ici, en Saskatchewan, la course vers le fond.

On fait également remarquer dans la partie sur l'infrastructure que les pays en développement ne pourront jamais être sur un même pied que les autres tant qu'ils ne se seront pas dotés des mécanismes d'appui institutionnels en matière d'éducation, de santé et de sécurité du revenu qui ont été élaborés dans les pays industrialisés, surtout, là encore, grâce à la réglementation du gouvernement. Je tiens à souligner cet élément, dans cette partie du mémoire.

Dans l'avant-dernière partie, qui porte sur les marchés durables, on fait remarquer qu'une trop grande dépendance envers les exportations peut rendre une économie vulnérable aux fluctuations internationales des prix et aux économies instables où les droits humains ne sont pas respectés et où la pauvreté augmente. Dans bien des pays industrialisés, on a vu les taux de chômage atteindre des proportions jamais vues depuis les années 30 et des écarts de revenus inédits depuis le siècle dernier.

Mais passons à la dernière partie, sur le rôle du Canada. Le Canada, et la Saskatchewan surtout, dépendent du commerce; et le commerce dépend de la consommation. Le commerce et la consommation ne sont pas nuisibles en soi et ont souvent été le moteur des progrès humains. Tant dans les pays industrialisés que dans ceux du tiers monde, on trouve maints exemples montrant que la croissance économique profite généralement à une minorité et qu'il est généralement nécessaire d'intervenir sur les marchés pour garantir la distribution de la richesse. Aujourd'hui, il faut de toute urgence prendre des mesures pour mettre fin aux politiques économiques qui creusent le fossé entre les riches et les pauvres, qui sacrifient les populations et les ressources à l'avantage concurrentiel international. Il faut de toute urgence mettre sur pied un régime économique mondial qui appuie le développement humain, pour les générations actuelles et à venir.

Pour conclure, je vous signale nos recommandations. Il y en a cinq:

(1) Que le Canada prenne une part très active à l'Organisation mondiale du commerce afin de promouvoir un commerce international équilibré qui reconnaisse les droits des citoyens dans leurs propres économies nationales et locales.

(2) Que le Canada favorise le développement de normes de travail et de normes environnementales mondiales conjointement avec les membres de l'Organisation mondiale du commerce et l'application de ces normes par l'OMC.

(3) Que le Canada défende le rôle du gouvernement dans le perfectionnement des gens et le développement de l'infrastructure.

(4) Que le Canada favorise des politiques commerciales qui développent des marchés durables pour les produits d'exportation, plutôt que de créer une surproduction qui encombre le marché face à une pauvreté bouleversante.

(5) Que les représentants canadiens soient conscients des priorités parlementaires liées à l'économie mondiale et assurent la concordance de la position du Canada à l'Organisation mondiale du commerce et de ses objectifs généraux en matière de politique étrangère.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Peterson.

M. Warren Peterson (porte-parole, Saskatchewan Health Coalition): Je représente la Coalition canadienne de la santé. Je milite personnellement depuis des années dans le secteur de la santé en Saskatchewan et au Canada, et en fait à l'échelle internationale.

Je voudrais tout d'abord commencer par la déclaration qui se trouve dans le document que vous avez devant vous. Aujourd'hui, nous sommes confrontés aux questions les plus fondamentales: les sociétés et cultures sont-elles déterminées par une seule série de valeurs? Si elles le sont, est-ce que la race humaine, sans parler de l'humanité, peut survivre?

• 1055

Il s'agit peut-être là d'une entrée en matière dramatique. Par souci de concision, je vais maintenant reprendre certains points clés soulevés dans le mémoire que je vous ai présenté.

En ce qui concerne le dernier paragraphe du chapitre intitulé «la même vieille rengaine», le travail de base, naturellement, qui se fait en secret et sans fanfare, est déjà commencé depuis longtemps, particulièrement en Amérique latine et certainement en ce qui a trait aux activités du gouvernement en Amérique du Nord. Le Groupe de travail de l'OMC pour le commerce et l'investissement bat son plein tandis que la déclaration ministérielle de San José stipule qu'il suivra les principes de l'OMC tout en déclarant que la Zone de libre-échange des Amériques devrait permettre d'y apporter des améliorations.

À titre d'exemple de l'efficacité du Groupe de travail sur le commerce et l'investissement, la conférence annuelle de 1998 de l'Alliance corporative internationale qui s'est tenue à Montevideo a été dominée par la propagande de l'OMC. Personne n'était là pour représenter les intérêts de la société civile. Ce qui est ironique, c'est que le thème de cette conférence était «le visage humain de l'économie» alors qu'il n'y avait aucune participation civile à cette assemblée annuelle.

Les soins de santé dans les Amériques sont caractérisés, selon le récent rapport de l'organisation panaméricaine de la santé, par la décentralisation, l'autonomie juridique et administrative, de nouvelles formes de financement—et nous savons ce que cela signifie—mettant l'accent sur le contrôle et le recouvrement des coûts, et la création de programmes de base en matière de services de santé. À l'heure actuelle, la philosophie du système de services de santé de l'organisation met l'accent en Amérique latine sur l'influence des économies de marché, l'autogestion, le pluralisme institutionnel, l'efficacité économique, le contrôle des coûts et le recouvrement des coûts. Et la liste continue.

Ces principes et ces pratiques énumérés dans le rapport de l'Organisation panaméricaine de la santé reflètent clairement le programme de libéralisation des échanges. Afin d'expliquer un peu plus trois de ces principes et pratiques, permettez-moi de vous dire que la pratique qui consiste à créer des groupes de services signifie que le secteur privé peut assumer l'exécution de tout service à but non lucratif qui n'est pas compris dans le programme de base, notamment l'accès payant aux services par resquillage et les soins grâce aux techniques de pointe pour ceux qui en ont les moyens. Les services de base incluent naturellement les soins des démunis et le maintien de la promotion de la santé publique, dont aucun n'est lucratif pour le secteur privé.

La participation sociale, un autre des points sur lesquels l'Organisation panaméricaine de la santé met l'accent, constitue l'un des principes généraux de la politique mais est pratiquée de façon plutôt étroite. Au Canada, cela prend habituellement la forme d'une invitation à présenter des mémoires sur des questions données et la mise sur pied de comités comme le vôtre pour recevoir de tels mémoires.

La coordination des secteurs public et privé: Cette pratique donne davantage l'occasion aux sociétés privées de profiter de la prestation des services de soins de santé et du fait que ces derniers soient assurés. Il suffit de regarder chez nos voisins du Sud aux États-Unis.

Le fait que l'on mette l'accent sur le recouvrement des coûts est particulièrement pervers et insidieux. La pratique du recouvrement des coûts pour les programmes sociaux incitera inévitablement les entreprises à demander à cor et à cri d'autres réductions fiscales et le recours au principe de l'utilisateur payeur, ce qui sera un bénéfice exceptionnel pour les assureurs privés. Si ce principe est officialisé dans la Zone de libre-échange des Amériques, la population sera particulièrement exposée à une plus grande marginalisation.

Cela se produit déjà beaucoup au Canada. Cela se produit avec la réforme des soins de santé. Tout a commencé lorsqu'on a sabré dans le budget des soins de santé. Cela a commencé lorsqu'on a réclamé un plus petit gouvernement et une plus grande participation du secteur privé. Cela se poursuit avec le transferts des responsabilités administratives et des responsabilités de recouvrement des coûts. Alors que la fonction publique est en train de diminuer et de devenir localisée, les entreprises augmentent en taille et deviennent énormes et monopolisent les produits et services mondiaux.

• 1100

Je pourrais continuer à vous donner plus de détails sur la façon dont on en est arrivé là. Entre autres, naturellement, l'institution du CHSA et le démantèlement du système de financement des programmes établis ont fait en sorte que récemment, dans le budget fédéral de 1999, on n'a pas vraiment tenu compte de la possibilité d'une programmation nationale. Il y a d'avantage d'argent pour les soins de santé, mais c'est dans le cadre du système CHSA, et on ne met absolument pas l'accent sur la désignation et sur un effort coordonné pour utiliser de façon efficace ce financement. Ce qui est assez curieux, et ce qui était peut-être intentionnel, en même temps—quelques jours auparavant—l'entente sur l'union sociale a été signée, entente qui mettrait davantage en oeuvre la libéralisation des échanges au Canada, particulièrement dans le domaine des services—une autre décentralisation des responsabilités.

Puisque le gouvernement du Canada, dans le budget fédéral, ne fait pas mention de quelque type que ce soit de programme de santé national et qu'au cours des dernières années il a maintenu le projet de loi C-91 et la protection par brevet des sociétés pharmaceutiques multinationales, il a littéralement rendu sans intérêt la question de savoir si nous pouvons mettre en place des programmes nationaux de services sociaux, notamment l'assurance- médicaments, les soins à domicile, la garde des enfants. C'est une dégradation importante du rôle traditionnel du Canada en matière de responsabilité collective.

La méfiance de la population à l'égard des autorités régionales en matière de santé reflète l'ampleur de la régionalisation... Naturellement, j'aurais dû lire mon mémoire plutôt que de parler comme ça librement.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Pourriez-vous nous faire vos recommandations? Nous commençons à manquer de temps.

M. Warren Peterson: Oui. Il y a des mesures que le Canada peut prendre afin d'assurer des accords commerciaux plus bénins sur le plan social, ou du moins moins dangereux:

- Reconnaître que la société civile a un rôle constructif et légitime à jouer dans les questions commerciales et doit agir en conséquence.

- Resserrer la définition des ONG dans le cadre de la zone de libre-échange des Amériques afin d'exclure les intérêts commerciaux. C'est ce que les intervenants précédents disaient également. Les intérêts commerciaux sont déjà fortement représentés comme force motrice de la libéralisation.

- Inclure une participation significative et équitable de la société civile dans le processus de négociation comme tel en incluant des représentants des ONG dans chaque groupe de négociation. Les groupes les plus importants qui seront touchés par un accord de libre-échange sont de loin ceux qui sont exclus du processus.

- Reconnaître la réalité effrayante selon laquelle les mesures prises dans le cadre de la zone de libre-échange des Amériques sans en avoir auparavant vérifié les conséquences sociales et environnementales mèneront inévitablement à un désastre mondial; et agir en conséquence.

- Donner suite immédiatement à la motion parlementaire M-239 afin de mettre en place une taxe Tobin sur les transactions financières. Faire participer et éduquer le grand public à cet égard.

- Enfin, promouvoir l'allégement de la dette pour les pays extrêmement endettés.

Je vais tout simplement vous lire le dernier paragraphe. L'idée d'une série commune de règles pour les conflits entre le commerce et l'investissement et le bien-être social devrait présenter un oxymoron. Malheureusement, ce n'est pas le cas.

L'exclusion continue de la société civile de la participation aux décisions qui la touchent si profondément risque non seulement d'en arriver à de mauvaises ententes commerciales, mais aussi d'intensifier les troubles civils dans le monde entier. L'exclusion a une autre dimension plus sinistre, c'est-à-dire qu'une seule série de valeurs prescrite par les principes et les pratiques de la libération commerciale deviendra la seule série de valeurs sociales et culturelles. Le simple fait d'y penser est un véritable cauchemar. Le simple fait de tenter de l'imaginer équivaut à entrer dans un endroit tout gris où il y a un mouvement constant et insensé, sans couleur ni espoir ni dimension, et dominé par la question suivante qu'on ne peut cesser de se poser: n'y a-t-il pas autre chose?

N'y a-t-il pas autre chose?

• 1105

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Je suis désolée, nous n'avons pas de temps pour les questions, mais je sais que la greffière peut vous retrouver. Pour ceux d'entre nous qui ont des questions, je suis certaine que vous serez prêts à y répondre.

M. Warren Peterson: Je voudrais tout simplement exprimer une préoccupation aux fins du compte rendu. Je crains que l'on ne nous ait accordé moins de temps qu'au premier groupe de témoins et moins de temps qu'au groupe suivant également.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je crois que la décision a été prise... Ce n'est pas moi qui ai organisé cela. Je ne sais pas.

M. Warren Peterson: Je tiens à le dire aux fins du compte rendu.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Très bien, c'est fait.

M. Warren Peterson: Merci. Les questions auraient été très importantes dans ce contexte.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Très bien.

Nous allons maintenant entendre Marvin Shauf et Jonathan Greuel du Saskatchewan Wheat Pool, et Noreen Johns, du Saskatchewan Women Agricultural Network.

Bonjour. Qui voudrait commencer et présenter rapidement le groupe? Comme vous pouvez le constater, nous manquons de temps. Si vous pouviez condenser votre exposé, cela nous donnera davantage de temps pour les questions.

Mme Noreen Johns (secrétaire exécutive, Saskatchewan Women Agricultural Network (SWAN)): Certainement.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci beaucoup.

Mme Noreen Johns: Comme le Saskatchewan Women's Agricultural Network m'a demandé de lire une déclaration qui a été préparée par ce groupe, je vous lirai le texte que je vous ai remis.

Nous sommes une organisation à but non lucratif d'agricultrices à l'échelle de la province. SWAN a vu le jour en 1985 comme groupe d'aide à l'éducation pour les agricultrices de la province et est depuis devenu un défenseur pour bon nombre de questions qui intéressent les agricultrices, les familles d'agriculteurs et les exploitations agricoles. Nous sommes heureuses d'avoir l'occasion de comparaître devant votre comité pour vous faire part de notre point de vue sur la question très complexe et très importante du commerce mondial.

Nous nous réjouissons que votre ministre soit d'avis que le commerce international est maintenant devenu une question locale dont les conséquences atteignent la table de la cuisine et d'autres domaines de la vie quotidienne. Les membres de SWAN vivent directement des réalités auxquelles les agriculteurs doivent faire face aujourd'hui dans le cadre d'un marché mondial. Ce sont ces réalités qui forment les opinions que nous vous présentons aujourd'hui alors que nous nous penchons sur la mise en oeuvre des ententes existantes et sur la portée, le contenu et le processus des nouvelles négociations dans le cadre de l'OMC.

Nos membres ont eu le privilège de participer au groupe de concertation qui s'est réuni ici en Saskatchewan sous l'égide du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation de la Saskatchewan et aux consultations fédérales-provinciales sur l'agriculture qui se sont déroulées à Ottawa. Nous avons beaucoup appris de ces entretiens, et nous vous remercions de cette occasion qui nous a été donnée de consolider nos pensées et nos suggestions en vous présentant ce mémoire. Nous croyons qu'il s'agit là de processus très importants en vue d'assurer une meilleure compréhension entre le secteur de l'agriculture et les diverses régions et de formuler une position commerciale plus unie et plus forte pour notre pays—et j'ajouterais, une position commerciale en matière d'agriculture. Nous sommes confiantes que les suggestions recueillies lors de ces réunions et de ces audiences seront effectivement prises en compte lorsque le Canada formulera sa position de négociation.

La position de SWAN est claire. Les négociateurs canadiens doivent présenter une position de force, et on ne doit pas compromettre la stabilité et la rentabilité des exploitations agricoles canadiennes lors de la prochaine ronde de négociations de l'OMC.

Nous reconnaissons tous l'importance du commerce pour la santé de l'économie canadienne. L'agriculture canadienne apporte une contribution importante. Ici en Saskatchewan, l'agriculture représente 12 p. 100 de notre PIB, et 40 p. 100 des emplois en Saskatchewan sont liés à ce secteur; 80 p. 100 de la production agricole de la Saskatchewan est exportée, ce qui nous rend très vulnérables aux conditions commerciales.

• 1110

Il est évident que lors de toute négociation future, il faudra accorder une grande importance à la mise en oeuvre et à l'application de l'entente actuelle de l'OMC. D'autres pays doivent d'abord respecter les engagements qu'ils ont pris par le passé, comme nous l'avons fait, avant que toute autre discussion puisse se dérouler de bonne foi. Le ministre Vanclief prétend que le Canada fait des progrès plus rapides dans le domaine de l'agriculture par rapport à l'objectif prévu, mais tant que d'autres pays ne font pas la même chose et que les règles du jeu ne sont pas équitables, les agriculteurs canadiens paient un prix beaucoup trop élevé.

Il est nécessaire d'avoir des définitions plus claires des règles et de la terminologie si on veut empêcher l'auto- interprétation qui existe aujourd'hui concernant les subventions et l'exportation, l'accès aux marchés, et le soutien interne. Nous devons certainement savoir ce qui constitue et ce qui ne constitue pas une subvention à l'exportation.

Il est nécessaire d'améliorer le mode de règlement des différends commerciaux afin de faire respecter les règles de l'OMC et d'empêcher le harcèlement commercial. Le tribunal chargé du règlement des différends ne peut être dominé par les grandes puissances. De bonnes politiques et des règles qui se fondent sur les faits scientifiques, et non pas sur la politique, peuvent être essentielles lors de toute médiation.

J'ai été très troublée par les observations de Dan Glickman, des États-Unis, qui, lors du banquet du 19 avril de la conférence nationale, a laissé entendre que les Américains ne faisaient rien de mal au nom de leurs agriculteurs, et a ensuite utilisé notre podium pour s'attaquer à la Commission canadienne du blé. J'ai été tout aussi consternée que personne ne conteste ce qu'il a dit, ce qui est typique de la politesse canadienne. Comme le ministre Goodale l'a déclaré au déjeuner de mardi, la Commission canadienne du blé a fait six fois l'objet d'une enquête et a été six fois exonérée. L'attaque de M. Glickman frôlait le harcèlement, et nos représentants ont humblement accepté ses observations.

C'est aux Canadiens de décider de quelle façon nous commercialisons nos produits. Nous devons organiser une forte campagne pour résister aux allégations non prouvées des Américains contre la Commission canadienne du blé dans le cadre du débat au sujet des sociétés commerciales d'État et des monopoles d'exportation. Les Américains pourraient mieux cibler leurs attaques sur le pouvoir monopolistique et le manque de transparence des géants multinationaux comme Cargill. Le Canada doit choisir judicieusement ses alliés lors des négociations et doit les choisir selon les circonstances. Il vaudrait mieux que nous nous présentions comme un pays positif, indépendant, et non pas entièrement dans l'ombre des Américains.

Bien que nous convenions que la valeur ajoutée soit importante pour notre province et pour notre pays, la réalité pour les agriculteurs de la Saskatchewan est que nous ne recevons pas notre juste part. Une bonne partie de notre valeur ajoutée se fait pour des produits crus bon marché. Comme l'a dit un des participants lors de la consultation à Ottawa, la richesse du commerce n'est pas distribuée équitablement à la ferme. Si les exportations dans le secteur agroalimentaire ont plus que quintuplé depuis 1975, le revenu agricole net en espèces pour les exploitations agricoles canadiennes a diminué de 25 p. 100.

Ce qui me préoccupe en tant que producteur primaire, c'est qu'à la table de négociation pour un tarif réduit sur les produits transformés, la réduction du soutien pour l'agriculture primaire ne doit pas devenir la carotte. Les questions émergentes des restrictions sanitaires et phytosanitaires offrent des obstacles commerciaux plus subjectifs et plus intangibles qui compliquent la ronde du millénaire de l'OMC. Où s'arrête la science et où commence la politique? Pouvons-nous combattre les craintes avec la sensibilisation des consommateurs, la communication et un étiquetage fiable des produits? L'établissement des prix a-t-il le pouvoir de changer les attitudes?

Bien que les producteurs de la Saskatchewan soient encouragés à utiliser les nouvelles technologies OGM, notamment les canolas transgéniques que nous utilisons dans nos exploitations agricoles, combien de marchés ouvriront en demandant des preuves fondées sur des faits scientifiques pour répondre aux préoccupations concernant la salubrité des aliments, et combien resteront fermés tout simplement parce que le consommateur choisira de ne pas acheter ces produits? Les perceptions sont souvent la réalité pour nos clients consommateurs. Les agriculteurs canadiens doivent insister pour avoir une évaluation ouverte, honnête et non commerciale des marchés éventuels et du risque d'une utilisation répandue des OGM. Avec des produits mixtes comme notre canola, les problèmes internes de ségrégation dans le système de manutention du grain risquent de mettre en danger l'important marché européen.

Le Canada a une bonne avance par rapport à ses engagements dans le cadre de l'OMC, et je me demande si les agriculteurs de la Saskatchewan qui ont été touchés par la perte du tarif du Nid-de- Corbeau, la déréglementation ferroviaire, et par une réduction du programme fédéral de protection du revenu n'étaient pas effectivement l'agneau du sacrifice pour satisfaire un engagement commercial vague par le passé. À plusieurs reprises, lors des consultations à Ottawa, on a demandé dans quelle mesure le retrait de l'appui pour l'agriculture canadienne était un choix que nous avons fait ici au Canada, une décision prise par le Trésor, et dans quelle mesure cela a été nécessaire pour respecter nos engagements dans le cadre de l'OMC. Nous croyons que le Canada devra jouer ses cartes d'une façon beaucoup plus serrée lors de la prochaine ronde de négociations. La dernière fois, nous avons beaucoup sacrifié pour être les premiers. Cette fois-ci, nous devons faire en sorte que le reste du monde nous rattrape. C'est à leur tour de nous rattraper.

• 1115

En tant qu'agriculteurs, nous ne sommes pas convaincus que l'agriculture des Prairies n'a pas été sacrifiée lors de la dernière ronde de négociations. SWAN comparait le Canada à quelqu'un qui a enlevé presque tous ses vêtements avant le début d'une partie de strip poker. Cette fois-ci, le Canada doit avoir une vision à long terme et une position plus ferme jusqu'à la fin.

Les décisions qui sont prises à la table de négociation affectent l'avenir de nos familles d'agriculteurs. Les gains concurrentiels que les agriculteurs de la Saskatchewan ont faits grâce aux améliorations technologiques nous ont été retirés, car notre gouvernement fédéral ne nous traite pas comme d'autres pays traitent leurs agriculteurs.

Les agriculteurs ont beaucoup investi dans notre avenir par une expansion importante, l'éducation, les nouvelles technologies, une diversification risquée parfois coûteuse et de longues heures de travail tant à la ferme que dans un emploi à l'extérieur pour aider nos exploitations agricoles. Les recettes monétaires agricoles sont à la hausse, tandis que le revenu agricole net a diminué. L'agriculture canadienne s'appuie en grande partie sur le travail gratuit des familles d'agriculteurs, y compris les femmes et les enfants qui vivent sur la ferme, et jusqu'à ce que le Canada reconnaisse la valeur de cette ressource familiale, nous ne pouvons espérer avoir du succès dans l'économie mondiale. En résumé, le Canada est peut-être en train de tuer la poule aux oeufs d'or.

Je vous remercie de votre attention.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Je pense que vous avez dit très clairement, comme bon nombre d'autres l'ont fait, que l'agriculture est importante. Nous enverrons peut-être les négociateurs qui ne veulent pas lutter pour l'agriculture négocier l'estomac vide ou en leur promettant qu'à moins qu'ils ne représentent bien les intérêts des agriculteurs, ils n'auront rien à manger.

Mme Noreen Johns: C'est très bien. Je vous remercie de cette observation. Je l'apprécie.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Allez-vous partager votre temps, ou ferez-vous tous les deux un exposé?

M. Marvin Shauf (vice-président, Saskatchewan Wheat Pool): Je ferai l'exposé.

Je vous remercie de l'occasion qui nous est donnée d'être ici. Je vous remercie de voyager dans tout le Canada pour entendre les Canadiens et leurs organisations et leurs industrie exprimer leurs préoccupations et vous proposer des idées sur cette question très importante.

Comme vous le savez bien, il y a eu une conférence à Ottawa il y a environ 10 jours afin d'aborder les questions commerciales agricoles pour l'avenir, et environ 500 personnes ont assisté à cette conférence. Je pense que cela montre bien l'importance des questions liées au commerce des produits agricoles pour la prochaine ronde de négociations. Je crois que l'avenir de notre industrie dépend dans une grande mesure de notre succès lors de ces prochaines négociations qui commencent à l'automne.

Les règles du commerce mondial ont un impact sur le revenu agricole et sur la viabilité des entreprises et des industries liées à l'agriculture. Le commerce mondial affecte par ailleurs la diversification de nos économies non seulement à l'échelle locale et provinciale, mais également à l'échelle nationale.

J'aimerais prendre quelques minutes pour vous donner un bref aperçu de notre organisation, le Saskatchewan Wheat Pool. Nous avons 74 000 membres de catégorie A. Le Saskatchewan Wheat Pool est la plus grande coopérative agroalimentaire inscrite à la bourse au Canada et c'est la plus importante entreprise de manutention de grains de l'ouest du Canada. Nous comptons plus de 3 000 employés au Canada. Nous sommes une société canadienne qui a des opérations aux États-Unis, au Mexique, en Pologne et au Royaume-Uni.

Bien que le Saskatchewan Wheat Pool soit peut-être davantage connu pour la manutention du grain, il constitue en outre une entreprise hautement diversifiée et intégrée qui exporte une vaste gamme de produits dans le monde. Nous ajoutons de la valeur aux récoltes de bon nombre de nos membres producteurs, notamment la mouture de blé. Nous transformons l'avoine, dont la majeure partie est exportée aux États-Unis. Nos opérations comprennent la trituration des oléagineux, la production d'éthanol et le maltage de l'orge.

Notre division du bétail exporte du bétail et de la viande fraîche, surgelée et transformée. CSP Foods est une division du Saskatchewan Wheat Pool qui produit des produits de boulangerie, notamment des produits du beurre d'arachide, et des produits saccharifères, qui sont très en demande chez nos voisins du Sud. C'est l'un des domaines importants, car un accès accru au marché américain permettrait à nos produits à valeur ajoutée et de transformation ultérieure des Prairies et de l'Ontario de prendre de l'expansion.

• 1120

La diversité de notre base de produits exportables et nos contacts directs avec les producteurs membres donnent au Saskatchewan Wheat Pool une large perspective sur l'importance d'améliorer les règles qui régissent le commerce mondial. Nous devons tenir compte à la fois de la perspective commerciale et de la perspective de nos membres.

L'Uruguay Round a été un événement historique pour le secteur parce que pour la première fois nous avons eu une série de règles internationales en matière d'échanges commerciaux agricoles. Au cours des prochaines négociations, nous devrons continuer à nous appuyer sur les progrès accomplis. Le secteur agricole sera touché à la fois par l'accord sur l'agriculture et la série plus large des négociations qui auront lieu.

J'aimerais aborder brièvement ces questions et l'importance qu'elles revêtent pour l'agriculture et pour le Canada. Le Saskatchewan Wheat Pool est fermement convaincu que l'industrie agroalimentaire pourrait augmenter considérablement ses exportations de denrées brutes et de produits à valeur ajoutée. Les avantages qui découleront de l'exploitation de ces possibilités profiteront non seulement à nos collectivités locales et à nos économies provinciales, mais aussi à l'ensemble de l'économie canadienne, grâce à des revenus agricoles plus stables, à un accroissement de la valeur ajoutée et à une transformation ultérieure.

Pour que l'industrie puisse exploiter pleinement ses possibilités, il lui faut des règles du jeu équitables sur le marché international grâce à la réduction des subventions qui faussent le commerce et à un accès élargi aux marchés afin que les agriculteurs et les transformateurs de produits agroalimentaires aient davantage de possibilités de vendre les denrées et les produits de grande qualité que nous produisons. Nous avons besoin d'un engagement de la part du gouvernement canadien à fournir des niveaux sûrs de soutien intérieur afin de préserver l'avantage concurrentiel de l'industrie et de permettre aux producteurs de gérer efficacement les risques.

J'aimerais maintenant aborder la question de la compétitivité internationale. Les subventions à l'exportation et les programmes lucratifs de soutien intérieur assurés par d'autres pays sont en train de fausser le marché mondial des produits agricoles. Ces subventions ont un effet déstabilisateur et font baisser les prix mondiaux. Au cours des années qui ont suivi les négociations de l'Uruguay, le Canada s'est empressé d'aller au-delà de son engagement à réduire les subventions. L'abandon de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest a complètement éliminé notre programme de subventions à l'exportation. Aujourd'hui, les agriculteurs des Prairies payent le coût total du transport des céréales vers les points de départ des exportations, ce qui représente des dépenses supplémentaires d'environ 560 millions de dollars par année. Le financement fédéral des filets de sécurité a diminué de 80 p. 100 depuis 1992, plaçant le Canada bien en deçà de son engagement à réduire le soutien intérieur qui fausse la production. Les droits pour le recouvrement des coûts pour les producteurs canadiens ont augmenté de 150 millions de dollars.

Même si nous ne préconisons pas forcément de rétablir le niveau antérieur des dépenses, il est important de se rendre compte que les agriculteurs canadiens ne peuvent pas faire concurrence aux Trésors d'autres pays. Le Canada doit continuer à travailler à l'élimination des subventions à l'exportation. Il doit également continuer ses efforts en vue de restreindre le soutien intérieur qui fausse les échanges, assuré par d'autres pays.

Les producteurs canadiens ont apporté certaines modifications à leurs opérations pour rester concurrentiels sur le marché international. Ils ont diversifié leurs opérations, augmenté la production de nouvelles cultures et réduit les surfaces en céréales. Cependant, cette transition s'est trouvée ralentie par les États-Unis et l'Union européenne, qui continuent d'assurer des niveaux élevés de soutien à leurs agriculteurs, ce qui fausse les signaux du marché et entraîne une surproduction de ces denrées. Par exemple, tandis que les agriculteurs de l'Ouest du Canada ont l'intention cette année de diminuer la production de blé dur de 28 p. 100 en raison de la baisse des prix qui est prévue, les agriculteurs américains prévoient accroître leurs surfaces de 12 p. 100 par suite d'un nouveau programme d'assurance-récolte et de paiements lucratifs de programmes.

Le problème se trouve aggravé du fait que des pays aux prises avec d'énormes approvisionnements ont souvent recours aux subventions à l'exportation, ce qui fausse davantage les marchés mondiaux. Cette année, les Européens ont une subvention à l'exportation représentant jusqu'à 139 $ la tonne pour le malt d'orge. Les agriculteurs canadiens sont incapables de faire concurrence à un pays qui est prêt à verser autant d'argent à ses clients pour qu'ils achètent leurs denrées. Sur le plan économique, les agriculteurs canadiens sont incapables de concurrencer ce genre de prix. Il n'est pas étonnant que cette année les ventes d'orge canadien à l'étranger soient pratiquement inexistantes.

• 1125

Bien que les négociations de l'Uruguay aient tâché de restreindre l'utilisation des subventions à l'exportation, les États-Unis et les Européens soutiennent que les accords en vigueur permettent de reporter toute quantité non utilisée. Bien que nous aimerions que les subventions à l'exportation soient complètement éliminées, nous aimerions à tout le moins que l'on élimine ces échappatoires.

L'augmentation des stocks mondiaux risque d'entraîner une guerre effrénée des subventions qui rivalisera avec celle de la fin des années 80 et du début des années 90, et à laquelle les producteurs canadiens ne survivront pas. Les producteurs primaires ne peuvent pas soutenir la concurrence, et il ne faut pas fermer les yeux sur les conséquences à long terme de cette perte de compétitivité.

Le gouvernement canadien doit assurer un financement suffisant à l'échelle nationale pour les dépenses d'infrastructure, la recherche et les filets de sécurité. Nous devons obtenir la garantie que des programmes tels que le Compte de stabilisation du revenu net et l'assurance-récolte ne soient pas assujettis à des droits compensateurs ou à des engagements de réduction.

Les agriculteurs canadiens dépendent des marchés mondiaux. En raison de notre population relativement faible et de l'abondance de nos terres arables, nous sommes des exportateurs nets de denrées agricoles. Au moins 80 p. 100 de nos céréales et oléagineux cultivés dans les Prairies sont exportés. Les producteurs de produits agricoles et agroalimentaires ont besoin d'un accès aux marchés internationaux qui soit plus large et plus sûr pour leurs produits. Cela comprend les denrées brutes, les denrées prêtes à la consommation et les produits à valeur ajoutée comme l'huile de canola et les produits carnés. Des règles commerciales plus favorables permettront d'accroître la production à valeur ajoutée et la transformation ultérieure au Canada.

Le Canada doit axer ses efforts de négociation sur le développement de débouchés profitables et l'accès à ces marchés. À cette fin, lors de la prochaine série de négociations, nous devrions viser à accroître notre accès aux marchés mondiaux de trois façons. Premièrement, en augmentant les engagements en matière d'accès minimal. Bien qu'il soit important de mettre de l'ordre dans les engagements actuels en matière d'accès, l'industrie doit également pouvoir compter sur le fait que nous irons au-delà des niveaux initiaux et que ces engagements augmenteront avec le temps.

Deuxièmement, nous devons négocier des taux tarifaires moins élevés. Il faut éliminer les droits de douane dans les quotas et obtenir des engagements en vue de réduire l'escalade des tarifs qui établissent une distinction à l'endroit des produits à valeur ajoutée dans l'économie canadienne. Des tarifs plus élevés appliqués sur des produits transformés ou semi-transformés restreignent l'expansion des industries de transformation à valeur ajoutée ici au Canada, comme je l'ai dit.

Enfin, nous devons accroître la transparence de l'administration des contingents tarifaires afin de nous assurer qu'ils ne réduisent pas la taille ni la valeur des engagements négociés en matière d'accès aux marchés.

Nous devrions poursuivre les négociations sur une option zéro pour zéro dans les secteurs où on soutient une telle démarche. L'accès aux marchés doit être un accès sûr. L'automne dernier, les producteurs américains ont essayé de bloquer la libre circulation des produits agricoles. Ils exigent que leur gouvernement bloque l'accès des produits canadiens aux États-Unis, qu'il s'agisse de bétail, de canola ou de céréales. Ils ne se rendent pas compte que leurs propres produits sont exportés au Canada. Ils ne se rendent pas compte non plus que nos exportations aux États-Unis ne représentent qu'une très faible proportion de leur marché global.

Récemment, le Canada et les États-Unis ont annoncé un nouveau processus destiné à prévenir les perturbations du commerce. Ce processus réunit entre autres des groupes de représentants des gouvernements fédéral et provinciaux et de l'industrie et permettra de réduire les menaces pour nos marchés, telles que celles que nous avons connues l'automne dernier. Nous devons toutefois nous efforcer également d'améliorer le processus de règlement des différends de l'OMC afin que les problèmes soient résolus de façon plus opportune.

Enfin, les nouveaux accords que nous négocierons devront être mis en oeuvre de façon opportune dans tous les pays, afin que les producteurs puissent profiter immédiatement des gains que nous ferons. Plusieurs autres questions commerciales, autres que l'agriculture, auront des répercussions sur le secteur. En tant que promoteur convaincu de la suppression totale des subventions aux exportations, le Canada sera exposé à des pressions, surtout de la part des États-Unis, en vue d'accepter des restrictions sur l'exploitation des entreprises commerciales d'État comme la Commission canadienne du blé. Il doit cependant résister vigoureusement pour ne pas être entraîné à faire de telles concessions.

La Commission canadienne du blé est un élément clé du marché canadien, et six enquêtes sur le fonctionnement de la commission, menées par des agences américaines, dont la Commission du commerce international, ont établi que la Commission canadienne du blé a toujours respecté les règles du commerce loyal. Les producteurs canadiens n'ont pas les moyens d'accepter des restrictions qui les placeraient dans une position commerciale désavantageuse, ni de limiter la capacité de la commission de recourir à un système de prix commun.

• 1130

Bien que la salubrité des aliments deviendra une question de plus en plus importante pour les consommateurs au cours des années à venir, on ne doit pas permettre aux pays d'utiliser des obstacles sanitaires ou phytosanitaires pour bloquer l'accès à leurs marchés intérieurs. L'accès aux marchés devrait être déterminé en fonction de données scientifiques solides et d'une évaluation convenable du risque, et non en fonction de sentiments.

Lors de la formulation d'accords par le biais du comité de l'OMC sur le commerce et l'environnement et d'accords ayant trait au protocole sur la biosécurité, les négociateurs canadiens doivent tenir compte de leur impact sur l'agriculture. Ces ententes doivent permettre d'assurer la compétitivité de l'industrie agroalimentaire à l'échelle internationale.

Le Canada a tout ce qu'il faut pour exercer une concurrence à l'échelle internationale. Nous avons une incroyable capacité de produire des aliments dans un environnement sain qui est respecté par la communauté internationale. Ce que nous devons faire maintenant, c'est adopter des règles commerciales claires d'application universelle qui assureront un environnement commercial plus prévisible et plus stable.

Le Saskatchewan Wheat Pool et nos membres dépendent des débouchés économiques offerts par le commerce international, et nous poursuivrons notre travail en vue d'obtenir un changement positif dans cette direction. Nous encourageons le gouvernement à continuer à collaborer avec les organisations agricoles tout au long des négociations afin d'assurer la compétitivité et le dynamisme du secteur agricole.

Je vous remercie de nous avoir offert l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je vous remercie.

Nous commencerons par M. Calder.

M. Murray Calder: Merci beaucoup, madame la présidente.

Bonjour, Noreen, Marvin et Jonathon. Comme Noreen l'a souligné, l'une des choses dont nous devrons nous occuper ici, c'est que le Canada est un chef de file pour ce qui est de la réduction des subventions. Donc, comment pouvons-nous obtenir ces règles du jeu équitables dont les États-Unis ne cessent de parler, par exemple?

Le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire était à Washington le mois dernier, et a rencontré à cette occasion les représentants du Congrès et du Sénat. En ce qui concerne la question que nous leur avons présentée à ce moment-là, je peux vous donner quelques chiffres. Vous les connaissez sans doute, mais j'aimerais simplement préciser qu'en ce qui concerne le blé, qui a beaucoup d'importance pour la Saskatchewan, la Communauté économique européenne a la possibilité à l'heure actuelle, grâce à la disposition de report, de fournir 1,4 milliard de dollars pour subventionner les exportations au cours des deux prochaines années. Les États-Unis pour leur part ont toujours la possibilité de fournir 444 millions de dollars, et le Canada zéro dollar. En ce qui concerne les oléagineux, l'Union européenne pourrait fournir jusqu'à 25 millions de dollars américains, les États-Unis 22 millions de dollars, mais le Canada zéro dollar. À titre d'exemple supplémentaire, l'Union européenne peut fournir jusqu'à 1,5 milliard de dollars américains en ce qui concerne le boeuf, les États-Unis 25 millions de dollars, mais le Canada zéro dollar.

De toute évidence, nous montrons la voie à cet égard. Donc, il s'agit tout simplement de déterminer si nous pouvons faire du sur- place pendant que le reste d'entre eux nous rattrapent. Est-ce qu'ils l'accepteront? Que pouvons-nous faire, compte tenu de la situation? Nous avons suivi les règles pendant que les autres en débattaient.

Mme Noreen Johns: Effectivement, nous avons suivi les règles. Nous sommes considérés comme un pays qui a suivi ces règles, mais à nos dépens en tant qu'agriculteurs. Il faut que l'on comprenne bien que si nous voulons une industrie agricole solide dans ce pays, nous avons intérêt à défendre le fait que nous allons faire du sur-place pendant un certain temps. Je demandais également un processus de médiation auquel on pourrait avoir recours s'ils devaient se plaindre que nous faisions du sur-place, et qui ne doit tout simplement pas être dominé par les Américains.

Je crois comprendre aussi que si nous voulons faire du commerce avec les États-Unis, nous devons répondre à leurs attentes. Mais j'ai l'impression que nous ne leur avons pas suffisamment tenu tête. Je songe à l'arrogance dont a fait preuve M. Glickman, par exemple, à Ottawa—sans que l'on réagisse. Nous n'irions jamais nous comporter de cette façon aux États-Unis, et encore moins sans qu'on laisse passer un tel comportement. Est-ce que c'est comme cela qu'on défend l'agriculture canadienne? C'est ce qui me préoccupe. Je ne sais pas comment nous allons les obliger à nous écouter, mais à mon avis, jusqu'à présent, nous nous sommes laissé marcher sur les pieds.

• 1135

M. Murray Calder: En tant qu'agriculteur d'abord, puis politicien, lorsque nous étions à Washington, j'ai constaté que les Américains ont dès le départ fait preuve d'intransigeance, ce qui est exactement ce que M. Glickman a fait à la conférence à Ottawa. Mais une fois que vous commencez à les défier, ils adoptent très rapidement une attitude de «oui, mais».

Par exemple, lorsque nous avons comparu devant la Commission du commerce international, j'ai demandé quelles étaient les questions qui seraient sur la table. On m'a répondu: tout. De quoi parlons-nous ici? Des règles du jeu équitables; nous voulons zéro tarif. D'accord, très bien, nous n'avons pas de tarifs sur le sucre ou la cacahuète; allez-vous complètement et immédiatement éliminer vos tarifs pour vous conformer à ce que nous avons déjà fait? Oui, mais...

J'aimerais avoir vos commentaires à tous sur une autre question. Avec la mondialisation de l'économie, nous allons de toute évidence devoir examiner la question des normes internationales. Ces normes devront porter sur les subventions, la santé, la culture, l'environnement et le travail, pour en nommer quelques-unes. Je prendrai l'exemple de l'environnement, parce qu'ici encore nous devons avoir des règles du jeu équitables.

Disons, par exemple, que vous avez une entreprise en Amérique centrale qui fabrique des pièces de freins, et que les normes environnementales de cette entreprise dans cette région des Amériques sont beaucoup moins sévères que les normes environnementales que nous avons ici pour la production des mêmes pièces. À mon avis, cela constituerait sans l'ombre d'un doute une subvention à cause des frais généraux de l'industrie en Amérique centrale, parce qu'elle n'a pas à respecter les mêmes normes environnementales que nous ici. Donc c'est de toute évidence un avantage pour eux et un désavantage pour nous. Comment pouvons-nous donc établir ce genre de normes? Comment pouvons-nous tâcher d'établir, dans le cadre de négociations, ces normes internationales, ou est-ce possible?

M. Marvin Shauf: J'aimerais d'abord commenter votre dernière question.

Le Canada est allé nettement au-delà des engagements en matière de réduction des subventions. Le Canada a dépassé le stade de réduire les subventions à zéro, ce qui à ce stade amène beaucoup de gens à se demander si nous n'avons pas été lésés lors de la dernière série de négociations. Bien des gens sont vraiment désillusionnés par ce qu'ils estiment s'être produit et craignent beaucoup ce qui risque de se produire au cours de la prochaine série de négociations à cause de ce qui s'est produit la dernière fois.

Ce n'est pas tant que le Canada n'a pas bien négocié, mais plutôt qu'il voulait traiter de certains aspects budgétaires et qu'il voulait le faire dans le contexte de ces négociations. Cela a en fait laissé une impression assez vague dans l'esprit d'une part de la population à propos de ce qui s'est réellement passé au cours de ces dernières séries de négociations. Donc je crois que les producteurs et les transformateurs seront extrêmement préoccupés lors de cette prochaine série de négociations par ce que le Canada obtiendra et par ce qu'il nous restera pour négocier. Je suis d'accord avec vous là-dessus.

En ce qui concerne la question de l'harmonisation, tout sera sur la table, depuis les outils que les gens utilisent jusqu'aux frais généraux qui se rattachent à des considérations environnementales, etc. Nous sommes déjà en train de nous heurter à des problèmes d'harmonisation en ce qui concerne les produits chimiques...

Une voix: Oui, le MRA.

M. Marvin Shauf: ... en ce qui concerne la production entre le Canada et les États-Unis. Il faudra harmoniser ce genre de choses. Des normes devront être établies, et il s'agira de déterminer lors de l'établissement de ces normes quels sont les pays qui ont la capacité de les mesurer. Donc il ne s'agira pas uniquement d'établir des normes, mais aussi de s'assurer que les pays qui établissent les normes sont en mesure de les appliquer et de les mesurer. C'est un vaste secteur, mais il sera important pour le Canada de s'assurer que des normes sont établies et que ceux qui acceptent ces normes sont également en mesure de les mettre en oeuvre.

M. Murray Calder: Je tiens à ce que mes questions soient concises et précises. J'ai terminé.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Très bien, je vous remercie.

Monsieur Penson.

• 1140

M. Charlie Penson: Je vous remercie.

Vous avez soulevé la question du soutien intérieur qui nuit vraiment à notre accès au marché d'autres pays—je songe entre autres à l'Union européenne. Vous avez indiqué que les négociations de l'Uruguay ont marqué une étape importante, puisqu'elles ont permis à l'agriculture d'être assujettie aux règles commerciales. Nous nous étions tous engagés à diminuer progressivement les montants sur une certaine période, et bien entendu le Canada devance tous les autres pays. Mais l'an 2000 approche. Une autre série de négociations s'annoncent.

Ma première question est la suivante: seriez-vous favorables à ce qu'on élargisse la portée des négociations agricoles pour qu'elles ne soient plus simplement sectorielles, mais générales?

M. Marvin Shauf: Je pense qu'il y a probablement un certain mérite à le faire. Je n'y ai pas beaucoup songé, mais lorsque vous examinez strictement la question de l'agriculture et lorsque vous examinez les subventions que le Canada a déjà éliminées, il est difficile de voir les outils qu'il nous reste pour négocier.

M. Charlie Penson: Je ne pensais pas vraiment à notre situation, mais à celle d'autres pays. Ma crainte, c'est que si nous demandons à l'Union européenne, par exemple, de réduire ses subventions internes et ses subventions à l'exportation, nous aurons de la difficulté à faire accepter politiquement chez nous, à notre retour d'une négociation sectorielle, le fait que nous ayons perdu et encore perdu. S'il y a plus de choses sur la table qui les intéresseraient dans le cadre d'une série de négociations générales—d'autres réductions industrielles de tarifs, le droit en matière de concurrence internationale, les droits de propriété intellectuelle c'est le genre de choses auxquelles je pense—cela pourrait peut-être leur donner une plus grande marge de manoeuvre.

M. Marvin Shauf: Oui. Je pense que cela correspond assez à ce que je disais. Si nous n'avons que l'agriculture, nous avons éliminé pratiquement tout ce qui pourrait nous servir à négocier.

Donc je pense que cela milite probablement en faveur d'une série de négociations plus générales, de manière à pouvoir mettre certaines choses sur la table pour en rapporter certaines chez nous. À ce stade, je ne crois pas qu'il reste au Canada beaucoup de choses à mettre sur la table en ce qui concerne l'agriculture, et j'hésite vraiment à dire ce genre de chose et à laisser entendre que l'agriculture doit gagner aux dépens de quelqu'un d'autre. Mais je pense effectivement qu'il faut élargir la portée des négociations en fonction de ce que d'autres pays peuvent attendre du Canada. Il faut absolument que le Canada se montre très prudent et sache faire les choix qui s'imposent en tenant compte des répercussions qu'ils pourraient avoir sur l'agriculture. Si nous ne protégeons pas notre industrie agricole au Canada, à long terme elle risque de disparaître.

M. Charlie Penson: Cela m'amène à ma question suivante, et je pense que vous y avez probablement déjà répondu. Mais si le Canada rentre de ces négociations ou si ces négociations ne permettent vraiment pas de donner suite à nos préoccupations, qui consistent essentiellement à tâcher d'élargir l'accès de nos produits aux marchés étrangers, produits qui à l'heure actuelle font concurrence aux produits subventionnés, pendant combien de temps notre industrie agricole peut-elle survivre dans les circonstances où nous nous trouvons?

M. Marvin Shauf: Je pense que c'est difficile à dire. Il ne s'agit pas uniquement de déterminer combien de temps elle survivra. Je pense que l'agriculture survivra sous une forme quelconque. Il s'agit de déterminer si c'est la forme souhaitée par le Canada.

La solidité financière du secteur agricole comporte certains aspects importants. L'agriculture doit s'occuper de ses ressources. Elle doit s'occuper de l'environnement. Elle doit s'occuper de ceux qui travaillent dans ce secteur. Il faut que l'agriculture soit financièrement solide pour que l'économie qui gravite autour de l'agriculture soit elle aussi solide financièrement.

M. Charlie Penson: Monsieur Shauf, dans certains autres endroits, les groupes agricoles qui ont comparu devant nous nous ont dit que si nous continuions à réduire les tarifs, les subventions à l'exportation et les subventions intérieures, cela pourrait offrir aux agriculteurs canadiens d'importantes possibilités de faire des gains considérables. Je pense que l'on a cité des chiffres de 2 à 3 milliards de dollars. On a également indiqué que la réduction des subventions internationales à l'exportation et des subventions intérieures pourrait être profitable à notre industrie puisqu'elle lui donnerait accès aux marchés étrangers. Votre organisation s'est-elle intéressée à cette question?

• 1145

M. Jonathan Greuel (économiste chargé de recherche, Saskatchewan Wheat Pool): En ce qui concerne la réduction des subventions à l'exportation, il ne fait aucun doute que cela serait profitable au secteur. Il nous est impossible de concurrencer les subventions pour le malt d'orge, par exemple, qui sont en vigueur en Europe. Dès le départ, si ces subventions étaient éliminées, le montant pour l'orge seulement s'élèverait presque à 50 millions de dollars. Pour ce qui est de l'accès aux marchés, nous aurions accès à un plus grand nombre de marchés étrangers, ce qui serait également avantageux.

Avec la valeur ajoutée, les gains dépassent largement le secteur agricole pour toucher l'ensemble de l'économie canadienne.

M. Charlie Penson: Selon le Conseil du canola, la suppression de toutes les barrières tarifaires ou non tarifaires pourrait se chiffrer par un gain de 2 milliards de dollars pour l'industrie canadienne du canola.

Ce sont là toutes mes questions, madame la présidente.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Une réponse brève, s'il vous plaît.

M. Marvin Shauf: Je voulais ajouter que ce sont les subventions à l'exportation qui cassent vraiment les prix des produits européens. Ils font chuter nos ventes en faisant chuter les prix. C'est donc aux subventions à l'exportation qu'il faut s'attaquer en priorité.

Mme Noreen Johns: En Europe, les prix de soutien se transforment en subventions au niveau des exportations à notre détriment sur nos autres marchés. Bien sûr, si nous voulons accéder au marché européen, il faut nous intéresser à ces prix de soutien, mais ces prix de soutien ont une réaction en chaîne sur nos marchés d'exportation tout autant que leur surproduction. Selon moi, il y a deux problèmes à distinguer.

M. Charlie Penson: C'est un très bon point. Notre famille fait pousser du grain et des oléagineux sur une ferme de 2 000 acres en Alberta. C'est donc le genre de problèmes que nous vivons quotidiennement. Je suis d'accord avec vous, les subventions internes conduisent à la surproduction, surproduction qui aboutit à des prix cassés sur des marchés qui nous échappent. Si nous pouvons régler ces problèmes lors de cette prochaine négociation, il y aura des gains importants à réaliser.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Ces témoignages sont impressionnants. D'aucuns prétendent que la société civile est mal informée. Ce groupe de la Saskatchewan nous a fait une éclatante démonstration de l'exception qui peut confirmer la règle.

J'aimerais vous signaler un petit détail. En préparant ce voyage, nous avions prévu une journée pour la Saskatchewan, compte tenu de sa démographie. Cependant, je crois que Chris peut être très fier; la réponse de la Saskatchewan a largement dépassé les attentes de notre personnel organisateur. Nous avons plus de 30 témoins de prévus aujourd'hui à Saskatoon, et malheureusement notre temps est limité.

Je tiens à assurer chacun d'entre vous que vos mémoires seront inclus dans le compte rendu officiel. Ils seront pris en compte par les membres de notre comité qui seront chargés de la rédaction du rapport. Si nous avons des questions, nous avons vos adresses et nous n'hésiterons pas à vous contacter. Pour répondre à la question de M. Peterson concernant le temps accordé aujourd'hui aux témoins, nos audiences durent sept heures, et nous ne faisons pas de pause, mais nous ne nous plaignons pas. Le groupe d'universitaires a eu une heure et quarante minutes; le groupe agricole, cinquante minutes; un groupe avec deux syndicats, cinquante minutes; et pendant les quatre autres heures nous avons entendu autant de témoins à titre individuel de la société civile que nous le pouvions. J'espère que vous comprendrez, et vous avec l'assurance que vos témoignages font partie du dossier.

Je vous remercie infiniment d'être venus témoigner.

Le groupe suivant est le Syndicat canadien de la fonction publique, représenté par Malcolm Matheson, et la Fédération du travail de la Saskatchewan, représentée par Don Anderson, son adjoint exécutif.

• 1150

Bonjour. Si vous pouviez résumer au maximum—10 minutes, nous aimerions—cela nous donnerait plus de temps pour vous interroger.

Qui va commencer? Monsieur Anderson.

M. Don Anderson (adjoint exécutif, Fédération du travail de la Saskatchewan): Merci beaucoup. Très heureux d'avoir été invités.

Je vous parle au nom de la Fédération du travail de la Saskatchewan. Nous représentons quelque 80 000 travailleurs en Saskatchewan, toutes les régions de la province. Nous sommes ici aujourd'hui parce que les questions qui sont discutées sont très importantes pour nous, comme elles le sont pour tous les Canadiens.

La mondialisation, la fuite des industries vers les régions à faibles salaires, la déréglementation des normes d'emploi traditionnelles et l'abdication des gouvernements devant les caprices et les priorités du monde des affaires internationales affectent directement les travailleurs plus que quiconque dans la société. Lorsque les compagnies internationales, après avoir cherché une main-d'oeuvre régionale ou nationale à meilleur marché, déplacent leurs installations de production en conséquence, ce sont les travailleurs qui en paient le prix, tant ici que dans le tiers monde. Le capital a de moins en moins de respect pour les frontières nationales. C'est un prédateur économique mondial.

Quand l'Accord de libre-échange et l'ALENA ont une fonction de pistolet de départ pour une course servant à déterminer quelle administration est la plus prête à adopter les lois les plus laxistes en matière de main-d'oeuvre, d'environnement et de santé au travail et à les appliquer le moins possible, ce sont les travailleurs et leurs familles qui en souffrent. Mais en général ce ne sont pas les propriétaires et les directeurs qui travaillent dans des conditions dangereuses ou qui vivent dans la misère; ce sont, souvent, les travailleurs. Mais il s'agit plus que de ne pas pouvoir refuser de travailler dans des conditions dangereuses ou d'être en contact avec des produits toxiques ou de ne pas pouvoir former un syndicat. Les travailleurs sont aussi membres de la société, et de plus en plus on nous refuse notre droit démocratique d'influer sur les affaires de notre pays, de notre province, de notre municipalité, et encore moins sur les affaires concernant notre lieu de travail.

Nous pratiquons la mathématique parlementaire dans une démocratie dollarisée où l'argent semble avoir plus d'importance que les gens. Les gouvernements ne défendent plus les intérêts des citoyens moyens et consacrent presque exclusivement leurs efforts à satisfaire les souhaits des entreprises multinationales. Pour tous ceux d'entre nous qui croient à une société juste et équitable, il n'y a vraiment pas de quoi se réjouir.

Le nouveau mandat de l'Organisation mondiale du commerce et la proposition de création d'une zone de libre-échange des Amériques ne sont que les derniers éléments de mesures visant à retirer tout contrôle et toute influence aux populations pour les confier à une classe directoriale.

Voici quelques exemples. Nous connaissons tous les lois importantes de notre histoire: la Factory Act, qui a interdit le travail des enfants; la Loi sur les accidents du travail de la fin des années 20; la pension de vieillesse des années 20; l'assurance- chômage; l'assurance-hospitalisation, qui a démarré ici, en Saskatchewan; l'assurance-maladie; le Régime de pensions du Canada; les lois et les règles fondamentales en matière de sécurité et de santé au travail; les lois sur les droits de la personne; les lois sur l'équité salariale dans certaines provinces.

Comme cette liste partielle le montre, il fut un temps où des mesures législatives pendant la vie d'un gouvernement rythmaient la sécurité sociale et économique de notre nation, et on pourrait très bien se demander: qu'avait de mauvais ce système? Cet arrangement traditionnel qui voulait que le gouvernement politique, comme le décrivait le philosophe britannique Jeremy Bentham, ait pour rôle de légiférer pour le plus grand bonheur du plus grand nombre? Ce n'est plus le cas depuis un certain temps.

Nous avons eu Brian Mulroney, Margaret Thatcher et Ronald Reagan aux commandes de leur nation, et qu'est-ce qu'ils nous ont apporté? Nous avons eu des négociations sur le GATT dont l'objectif principal était d'éroder la capacité individuelle des pays de protéger le secteur manufacturier de leur économie et les emplois allant avec, et nous avons eu l'Accord de libre-échange, suivi par l'ALENA, et ensuite l'Accord multilatéral sur l'investissement. Nous ne sommes pas convaincus d'ailleurs de la mort de l'AMI. Les négociations sont bloquées, mais ces messieurs, surtout des messieurs, en costume rayé ne tarderont pas à le ranimer. Le capital finira par l'emporter si on les laisse faire.

Forts de notre expérience passée d'accords similaires, nous demeurons inquiets des effets néfastes de ces plans sur nos membres, sur les autres travailleurs et les citoyens.

L'AMI et l'ALEA semblent vouloir soulager les investisseurs internationaux et les propriétaires de capitaux de l'ennui insupportable d'avoir à se conformer aux lois et aux règlements locaux, provinciaux ou nationaux. Un pas de plus sur la voie de la libéralisation, et nous n'exercerons plus aucun contrôle sur notre économie. Le capital dominera tout. Il n'y aura plus de programmes sociaux comme l'assurance-maladie; plus de sociétés d'État pour répondre aux problèmes locaux; et plus de possibilités de recours au gouvernement pour défendre l'égalité, l'équité, voire l'embauche préférentiel en matière d'emploi. Nous n'aurons plus le droit d'adapter notre économie à nos besoins; c'est le marché qui aura force de loi, et au diable les besoins de la population. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas.

• 1155

Au lieu de programmes progressifs, les politiciens nous imposent désormais l'ALE, l'ALENA, l'ACI, l'AMI, l'ALEA et l'OMC. Nous croyons qu'il faudrait demander aux politiciens responsables de ce changement radical d'orientation s'ils croient honnêtement que les citoyens qu'ils représentent sont bien servis lorsque leurs représentants élus exaucent en priorité les souhaits de la centaine des plus grosses sociétés privées du monde.

Les défenseurs de l'AMI et de l'ALEA, les lobbyistes, les PDG et leurs compères et les apologistes des chambres de commerce aiment à dire qu'il y a des protections dans ces traités commerciaux pour la main-d'oeuvre, l'environnement et les droits de la personne. Nous n'y croyons pas.

Ils parlent des trois points d'ancrage concernant les droits de la main-d'oeuvre contenus dans ces accords.

Le premier est la référence du préambule. Ils disent que le préambule du document contiendra une référence à certaines normes fondamentales d'emploi qui ne sont pas énoncées dans ce contexte immédiat. Ceux d'entre nous qui travaillent régulièrement pour les syndicats savent qu'il est souvent difficile, et parfois impossible, de faire reconnaître par un employeur ou un arbitre les termes d'un préambule à une convention collective, surtout quand ces termes sont vagues et mal définis. Nous sommes loin d'être convaincus qu'ils protègent les travailleurs.

Le deuxième point d'ancrage est l'annexion des directives de l'OCDE pour les entreprises multinationales. Cela veut dire que les directives de l'OCDE seraient incorporées à l'AMI. Le problème est que ces directives de l'OCDE pour les entreprises multinationales se sont avérées totalement inefficaces. Des directives, cela veut dire exactement ce que cela veut dire pour moi—des directives. Elles sont facultatives. Si un pays de l'OCDE décide de respecter ces directives, très bien. S'il décide de ne pas le faire, apparemment c'est tout aussi bien. C'est la même chose pour l'administration centrale de l'OCDE. Mis à part de très rares pays—la Suède, la Finlande, la Belgique et la Suisse—les directives de l'OCDE pour les entreprises multinationales sont restées pratiquement lettre morte.

Le troisième de ces points d'ancrage est une clause engageant les gouvernements à ne pas réduire leurs normes de main-d'oeuvre pour attirer les investissements. Cette proposition a fait l'objet pendant les négociations de la très forte opposition des gouvernements au Mexique, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Ils ont délibérément bloqué l'adoption de cette clause. Il y avait un autre groupe de pays mené par les États-Unis, le Japon et l'Allemagne—du temps de l'administration Kohl—qui appuyait une clause non exécutoire dite des meilleurs efforts pour régler la question des normes d'emploi. Cela revenait exactement à ceci: une autre série d'objectifs non exécutoires et facultatifs qui auraient été ignorés tout autant par les sociétés que par les pays.

Nous estimons que ces trois points dit d'ancrage de protection pour les travailleurs n'auraient aucune valeur pratique pour les travailleurs. Tant qu'une instance internationale respectée comme les Nations Unies n'adoptera pas un code universel de conduite pour les entreprises multinationales et ne le fera pas respecter, la meilleure protection des droits des travailleurs se situera au niveau des assemblées législatives nationale et provinciales, et c'est à ce niveau que nous ferons porter le maximum de nos efforts. Nous n'abandonnerons pas notre espoir de détruire nombre de ces accords commerciaux. Nous avons toujours à l'esprit les leçons de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA. Nous nous opposons à toute proposition analogue. Nous croyons qu'elle serait mauvaise pour les travailleurs canadiens.

À ceux qui disent que les investissements créent des emplois, nous rappelons deux faits.

Premièrement, près de 80 p. 100 des investissements mondiaux sont de nature purement spéculative. Seulement un dollar sur cinq des capitaux qui entrent dans un pays ou qui en sortent vise à maintenir, consolider ou améliorer la capacité de production. Nous estimons indispensable de réglementer et de taxer ces transactions.

Deuxièmement, ce qui nous intéresse, ce sont des emplois décents, à plein temps et à long terme, avec des salaires et des avantages en conséquence. Ce n'est pas le genre d'emplois que les principaux parrains de ces divers accords commerciaux envisagent lorsqu'ils disent que leurs projets créeront des emplois.

Les gouvernements des pays industrialisés démocratiques avaient pour habitude de rester sur la touche ou de ne pas faire le sale travail pour les sociétés multinationales, et ils ne manifestaient aucun intérêt pour faire ce genre de choses. Nous croyons que dernièrement les choses ont changé. Nous servons de plus en plus—nos gouvernements—de couverture au capital international. Nos gouvernements servent désormais la soupe chaude aux pires canailles du capitalisme.

• 1200

Notre attaché de recherche vient de terminer la lecture d'un livre sur les syndicats dans les années 1890, et je crois que c'est de là qu'il a tiré cette expression—nos gouvernements servent désormais la soupe chaude aux pires canailles du capitalisme. Très belle phrase. Il mérite une prime.

La démocratie n'est pas ce qui reste une fois que les passagers d'avions d'affaires ont donné leurs instructions aux politiciens et qu'ils sont repartis. Ce n'est pas une série de lois rédigées par les membres des conseils restreints de l'OCDE, de l'OPEP, de la Commission trilatérale et de l'Association des manufacturiers ou des tours de bureaux qui surplombent Wall Street.

À la FTS, nous croyons que les meilleures lois environnementales sont celles qui sont le résultat de véritables consultations et de la participation des environnementalistes, des naturalistes et des simples citoyens, et non pas la réserve exclusive des pollueurs. Les lois du travail sont supérieures quand elles suivent les conseils et ont l'assentiment des travailleurs et que les exploiteurs des travailleurs sont exclus de leur élaboration.

Je crois que je m'arrêterai là. Merci beaucoup.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Je crois que vous avez fait passer votre message. Les multinationales ne sont pas des travailleuses sociales. C'est ce que vous essayez de nous dire?

M. Don Anderson: Très bien dit.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Matheson.

M. Malcom Matheson (porte-parole, Syndicat canadien de la fonction publique): Merci de nous avoir invités à comparaître.

Le Syndicat canadien de la fonction publique de la Saskatchewan représente plus de 22 000 membres qui travaillent dans les hôpitaux, dans les maisons de santé, les centres de santé mentale, les foyers, les conseils scolaires, les universités, les municipalités, les bibliothèques, les garderies, les services d'assistance juridique et d'autres entités du secteur public. Le SCFP est le plus grand syndicat de la province.

J'aimerais commencer par résumer brièvement certaines des conséquences... ou plutôt l'expérience canadienne du libre-échange.

Bien que d'une manière globale les exportations vers les États-Unis aient augmenté, plusieurs exportations canadiennes, allant du bois de construction au porc, font l'objet de représailles continues de la part des États-Unis, malgré l'existence de deux accords de libre-échange.

Près de 300 000 emplois dans le secteur manufacturier canadien ont disparu entre 1989 et 1996, et le nombre d'entreprises manufacturières au Canada a diminué de 18,7 p. 100 de 1988 à 1995. La productivité a également décliné depuis 1989. Alors que pour plusieurs compagnies dans l'ère post-ALE les bénéfices ont monté en flèche, les travailleurs ont connu une stagnation en termes de salaires réels et une érosion des emplois permanents à plein temps en faveur des emplois temporaires à temps partiel ou à contrat.

Le taux de pauvreté est passé de 13,6 p. 100 en 1989 à 17,6 p. 100 en 1996. Les programmes sociaux ont souffert des conséquences de cette libéralisation. Le Régime d'assistance publique du Canada a été supprimé, et plusieurs provinces ont sabré dans leurs programmes de bien-être et majoré les critères d'admissibilité. L'assurance-chômage a subi coupe après coupe, avec pour conséquence la réduction du nombre de chômeurs admissibles aux prestations, qui est passé de 87 p. 100 en 1989 à 36 p. 100 en 1998.

Le financement des universités et des collèges s'est évaporé, entraînant une augmentation de 88 p. 100 des frais de scolarité de 1990 à 1997. Ainsi l'Université de la Saskatchewan à Saskatoon vient d'annoncer une augmentation des frais de 12 p. 100.

Les gouvernements fédéral et provinciaux ayant réduit leurs dépenses de santé, les dépenses privées pour la santé sont passées par tête d'habitant de 606 $ en 1991 à 790 $ en 1997.

Quant à la menace pour nos programmes sociaux, la protection réelle du régime de services sociaux et de santé du Canada énoncée dans l'ALENA est très faible. L'annexe II-C-9 de l'accord offre une protection pour ces programmes seulement dans la mesure où il s'agit de «services sociaux» maintenus ou fournis «dans un but public».

Cependant, aucun des termes clés, tels que «service social», «but public», ou «santé» ne sont définis dans l'ALENA, laissant à cette réserve une portée vague et ouverte à toute interprétation. Alors que les négociateurs commerciaux canadiens peuvent interpréter «but public» d'une manière très générale, les réserves aux accords multilatéraux sont souvent interprétées de manière très étroite par les tribunaux internationaux. Plus important encore, les représentants pour le commerce des États-Unis croient que cette réserve devrait être interprétée d'une manière très étroite, suggérant que la prestation de services de santé privés, à la fois à but lucratif et à but non lucratif, peut ne pas être couverte par cette réserve. Étant donné que la vaste majorité des services de santé au Canada ne sont pas directement offerts par les gouvernements, mais par des organismes privés, une interprétation avalisant la position américaine pourrait très bien exposer notre système de santé public à des contestations de la part d'entreprises étrangères.

• 1205

Mel Clark, ancien membre de l'équipe de négociation commerciale du gouvernement canadien, prétend que malgré cette clause l'ALENA donne aux États-Unis le droit de percevoir des droits compensateurs sur toute exportation canadienne au motif que sa production est subventionnée par notre régime d'assurance-maladie. C'est une question à laquelle il est souvent fait référence lors des discussions sur les coûts d'emploi entre le Canada et les États-Unis. Selon lui:

    La preuve que l'ALENA donne véritablement à l'industrie des services de santé américaine le droit de prendre le contrôle du système de santé canadien se trouve aux articles et aux clauses de l'ALENA gouvernant les obligations canadiennes et les droits américains dans ce traité. (Clauses 1201, 1102-1202, 102, 1902 et chapitres 19, 105, 103:2, 17, 11 et 15).

Toujours selon lui:

    Effectivement, en vertu de l'ALENA, nous avons le choix entre voir notre régime d'assurance-maladie américanisé volontairement par le gouvernement lui-même ou voir les grosses compagnies américaines de services de santé le faire en invoquant leurs droits conférés par l'ALENA.

Selon Clark, le seul moyen de protéger notre système de santé publique de représailles américaines et de nous retirer de l'ALENA et de l'ALE.

Il y a aussi une menace pour notre souveraineté, et il y a été fait allusion lorsque Don Anderson a parlé de la nature antidémocratique de sa procédure de règlement. Elle n'est pas simplement antidémocratique, elle est irresponsable. Selon cet accord, c'est un comité de trois personnes qui, avec l'aide de bureaucrates spécialisés dans le commerce, sur la plainte d'un pays investisseur, délibèrent dans le secret. Seuls les gouvernements nationaux peuvent intervenir à titre de tiers. Les organisations non gouvernementales et les particuliers intéressés n'ont aucun accès à la procédure, et les décisions du comité ne peuvent faire l'objet d'un appel.

C'est au nom de cette clause de l'ALENA qu'Ethyl Corp. a lancé une poursuite de 350 millions de dollars contre le gouvernement canadien quand il a décidé d'interdire le MMT comme additif à l'essence pour des raisons de santé et d'environnement. Craignant de perdre, le gouvernement fédéral a opté pour un règlement à l'amiable en versant à Ethyl Corp. 20 millions de dollars de dommages en abrogeant l'interdiction d'utilisation du MMT et en déclarant publiquement que le MMT n'était une menace ni pour la santé ni pour l'environnement. Cette capitulation du gouvernement fédéral a incité une autre société américaine transnationale à lancer une poursuite au nom de l'ALENA. S.D. Myers, une compagnie de traitement des BPC, poursuit le gouvernement fédéral et réclame 15 millions de dollars pour perte de bénéfices pendant l'année et demie pendant laquelle le gouvernement a interdit les exportations de BPC.

L'autre exemple qui touche encore de plus près les membres du SCFP est la menace pour nos ressources en eau. En tant qu'employés du secteur public, nous représentons énormément de gens qui ont la responsabilité de traiter les eaux et les eaux usées du pays. L'ALENA menace également l'approvisionnement en eau douce du Canada. Le Canada détient actuellement 20 p. 100 des réserves mondiales d'eau douce, et beaucoup de sociétés se mettent actuellement sur les rangs pour en exporter et en vendre en vrac à l'étranger pour d'énormes bénéfices. Dès que cette eau sera exportée, elle deviendra une denrée selon l'Accord de libre-échange nord-américain, et les compagnies nord-américaines pourront en faire le commerce sans aucune restriction.

Même l'ancien représentant du commerce américain Mickey Kantor disait que «si l'eau devient un produit commercialisable, toutes les dispositions des accords régissant le commerce de produits s'appliquent». La disposition de traitement national de l'ALENA requiert que les compagnies américaines et mexicaines soient traitées exactement de la même manière que les compagnies canadiennes. En d'autres termes, le gouvernement fédéral ne pourrait limiter le commerce de l'eau aux compagnies nationales, pas plus qu'il ne pourrait imposer des limites qualitatives et quantitatives à sa commercialisation. En vertu de la disposition de proportionnalité de l'ALENA, le Canada ne pourrait jamais interdire les exportations en vrac d'eau, nonobstant les besoins des Canadiens ou l'impact sur l'environnement.

Enfin, cette disposition concernant les États investisseurs permet aux compagnies étrangères de poursuivre notre gouvernement chaque fois qu'elles estiment qu'une de nos lois réduit leur possibilité de bénéfices. Si nous autorisions l'exportation de notre eau, il est fort vraisemblable que les Canadiens auraient à verser des milliards de dollars aux investisseurs étrangers pour les compenser de ne pas pouvoir acheter notre eau pour l'exporter. Déjà la compagnie californienne Sun Belt poursuit le gouvernement du Canada et réclame 220 millions de dollars par suite de la décision de la Colombie-Britannique d'interdire à cette compagnie d'exporter de l'eau douce de la Colombie-Britannique en Californie.

Quelles sont les conséquences du commerce de l'eau? La destruction de l'habitat faunique, la perte de forêts et de terres agricoles, et même des changements climatiques. Les exportations d'eau en vrac créeraient quelques emplois, mais détourneraient des ressources de projets plus avantageux sur le plan économique. Mais surtout, nous croyons que l'eau est un bien public qui nous appartient à tous. Personne ne devrait avoir le droit d'en profiter aux dépens de quelqu'un d'autre.

• 1210

Des entreprises canadiennes, comme le Groupe Nova et le Groupe McCurdy, s'intéressent de plus en plus à l'exploitation de notre eau, et de nombreuses municipalités ont conclu des partenariats publics-privés avec des sociétés transnationales. Certaines de ces sociétés approvisionnent en eau une soixantaine de pays. La privatisation des réseaux d'approvisionnement en eau n'a pas donné de bons résultats. Une fois que Margaret Thatcher a privatisé ces services en Angleterre et au pays de Galles, les tarifs ont plus que doublé, le taux de dysenterie a augmenté de 600 p. 100 et des aqueducs en mauvais état ont perdu jusqu'à 37 p. 100 de l'eau qu'ils transportaient. Par contre, les bénéfices des compagnies des eaux ont augmenté de 692 p. 100 et la rémunération de leurs dirigeants a grimpé en flèche. Les compagnies des eaux transnationales qui gèrent les réseaux d'alimentation en eau potable des municipalités pourraient très bien se servir de ces installations comme point de départ pour exporter de l'eau.

J'ai quelques observations à formuler au sujet de l'Accord multilatéral sur l'investissement. Comme l'ont fait remarquer Tony Clarke et Maude Barlow, le principal objectif de cet accord est de faciliter le mouvement des capitaux—sous la forme d'argent et d'installations de production—de part et d'autre des frontières internationales au moyen de règles empêchant les pays de se servir de lois, de politiques et de programmes pour entraver ce mouvement. Par conséquent, tout pays signataire de l'accord se verra interdire d'obliger les transnationales à respecter certaines normes économiques, sociales, environnementales ou culturelles jugées importantes pour le bien-être de ses citoyens.

L'AMI serait parvenu à ce résultat en étendant les dispositions de l'ALENA concernant l'investissement à tous les autres pays de l'OCDE. Le principe fondamental de l'AMI était la disposition concernant le traitement national, qui aurait obligé le gouvernement canadien à traiter les sociétés étrangères de la même façon que les sociétés canadiennes. Il aurait dû donner accès aux sociétés étrangères aux programmes d'acquisition locale, aux subventions, aux incitatifs fiscaux, aux garanties de prêt ou autres formes d'aide utilisées pour stimuler le développement économique, au même titre qu'aux sociétés nationales.

D'autre part, l'AMI aurait interdit, dans une large mesure, de soumettre les sociétés étrangères à des exigences de rendement les obligeant à satisfaire à certains critères économiques en échange de diverses formes d'aide gouvernementale. Autrement dit, les gouvernements fédéral et provinciaux et les administrations municipales n'auraient pas pu imposer aux sociétés étrangères des exigences de rendement les obligeant à se servir d'intrants canadiens, à embaucher de la main-d'oeuvre locale, à transférer leur technologie, à atteindre certains objectifs de R-D ou d'emploi, à établir une coentreprise, à atteindre un nouveau minimum de participation locale ou à équilibrer les exportations et les importations. Comme l'ALENA, l'AMI aurait également conféré aux sociétés transnationales le droit de poursuivre le gouvernement pour toute rupture de contrat causant ou risquant de causer des pertes ou des dommages pour l'investisseur.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Résumez assez rapidement, s'il vous plaît.

M. Malcolm Matheson: Je vais passer à nos recommandations.

Nous estimons que le gouvernement canadien devrait aborder le prochain cycle de négociation de l'OMC et les futurs pourparlers de l'Accord de libre-échange comme une occasion de demander un réexamen sérieux des avantages de la libéralisation du commerce et de l'investissement. L'expérience passée a montré que les accords de libre-échange apportaient peu d'avantages, tandis qu'ils nous coûtaient très cher.

Dans ce contexte, la section de la Saskatchewan du SCFP adresse les recommandations suivantes au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international:

Premièrement, s'opposer à ce que les dispositions de l'AMI soient reprises dans l'OMC et l'ALEA.

Deuxièmement, promouvoir un nouveau cadre. Au lieu de promouvoir des intérêts commerciaux limités qui font passer les profits avant les travailleurs, le gouvernement canadien devrait souscrire aux principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies et aux autres conventions des Nations Unies pour négocier dans le cadre de l'OMC et de l'ALEA. Ces documents énoncent la plupart des droits démocratiques et libertés fondamentales des citoyens, y compris le droit à un logement, à des vêtements et à de la nourriture; le droit au travail, le droit à des soins de santé et à l'éducation; le droit à un environnement propre, à des services publics de qualité et à l'intégrité culturelle; le droit à un salaire équitable, à la négociation collective et à la syndicalisation, de même que le droit démocratique de participer aux décisions qui se répercutent sur ces droits.

Nous croyons nécessaire d'abroger l'ALENA, qui a largement contribué à la perte d'emplois dans le secteur de la fabrication, à la stagnation des salaires réels et à l'érosion de nos programmes sociaux.

Nous voudrions également promouvoir la mise en oeuvre de la taxe Tobin. La proportion d'opérations de change qui permettent de faire des affaires dans l'économie réelle ne représente que 2,5 p. 100 du total; 97,5 p. 100 des transactions ont un but purement spéculatif. Cela a compromis la capacité des États-nations de poursuivre des politiques monétaires et financières indépendantes et a contribué à l'effondrement des monnaies en Asie du Sud-Est, au Brésil et en Russie. Cette taxe dissuaderait de faire des investissements à court terme dans le but d'obtenir le taux de rendement le plus élevé, sans toucher les investissements étrangers à long terme et les achats de biens étrangers.

• 1215

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Matheson, savez-vous que la Chambre a adopté...

M. Malcolm Matheson: En mars.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Vous le savez.

M. Malcolm Matheson: La Chambre des communes a adopté la motion d'initiative parlementaire numéro M-239 prévoyant que le gouvernement devrait adopter une taxe sur les transactions financières, de concert avec la communauté internationale. C'est ce que nous vous demandons de faire.

Pour annuler la dette du tiers monde, le gouvernement canadien devrait exercer des pressions sur les gouvernements des pays industrialisés et leurs institutions financières afin qu'elles radient la dette que les pays les plus pauvres du monde ne sont pas en mesure de rembourser. En 1997, les pays les moins développés devaient 2 billions de dollars US, même s'ils ont payé près de 3 billions de dollars US en intérêts et principal entre 1981 et 1997. L'annulation de cette dette contribuerait largement à promouvoir l'égalité à l'échelle mondiale.

Enfin, il faut consulter les Canadiens. Le gouvernement fédéral et les provinces doivent consulter davantage les citoyens au sujet des coûts et avantages d'une nouvelle libéralisation du commerce et de l'investissement. Il faudrait également que le gouvernement canadien s'efforce de mettre en place un processus transparent pour les futures négociations afin que le public puisse examiner les accords avant qu'ils ne soient ratifiés.

Je vous remercie de votre patience.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Cette dernière recommandation nous a été clairement adressée un peu partout au pays.

Je ne vais pas poser de questions cette fois-ci, étant donné que je suis seulement la présidente suppléante. Il est parfois plus amusant de poser des questions aux gens avec qui vous n'êtes pas d'accord, car cela permet de se lancer dans une grande discussion. Néanmoins, ce n'est pas le cas cette fois-ci. Je vais donc me contenter de lancer quelques affirmations, comme le fait que les multinationales ne sont pas des travailleuses sociales et que les plans économiques échouent souvent parce que l'élément humain en a été omis. Et si vous faites des affaires dans un pays qui ne respecte pas les droits humains de ses propres citoyens, comment peut-on s'attendre à ce qu'il respecte les droits commerciaux des investisseurs étrangers? Nous examinerons le sujet non pas dans une perspective morale, mais purement économique.

Comme le dit le vieil adage, quand on dîne avec le diable, il faut se munir d'une longue cuillère. Nous semblons l'avoir oublié. Nous cherchons à conclure des marchés avec des gouvernements... Nous disons qu'ils devraient représenter la société civile, mais les gouvernements corrompus... Je peux parler seulement de deux pays avec qui j'ai eu des contacts personnels. Il s'agit de l'Inde et du Mexique. Nous savons que les investisseurs canadiens doivent passer énormément d'argent sous la table. Comment empêcher cette attitude de s'installer au Canada?

Je crois que les normes environnementales et les normes du travail inférieures représentent une forme de subvention au commerce. Vous serez sans doute d'accord avec moi sur ce point, et j'ai toute une liste d'exemples. Mais je voudrais savoir comment nous pouvons continuer avec l'Organisation mondiale du commerce sans avoir à craindre que ces facteurs négatifs ne dominent. Que pouvons-nous faire pour veiller à ce que nos normes ne soient pas abaissées et pour relever celles des autres pays? Est-ce possible, et comment?

M. Don Anderson: Il faut sans doute commencer par se demander à quoi sert une économie et pourquoi nous structurons une économie. Apparemment, il y a une raison à cela. Je voudrais croire que c'est pour l'amélioration de notre sort à tous, que nous vivions à Rockglen, une petite ville de la Saskatchewan, à Regina, dans la grande ville de Toronto, ou dans la ville encore plus grande de New York; c'est dans l'intérêt de la population. Il semble que nous nous soyons éloignés graduellement de cette idée générale et que nous cherchons plutôt à protéger l'argent.

Billy Bragg, un rocker anglais, ou si vous voulez, un folk-rocker anglais—il est encore plus jeune que moi—a une chanson dans laquelle il dit que nous défendons les intérêts du capitalisme. Personnellement, j'ai renoncé à dire que nous pouvions détruire ce monstre. Je crois toujours que c'est immoral et que les gens en sont les victimes. C'est un système que je n'aime pas, mais il existe bel et bien. Il vaudrait mieux trouver comment dompter ce monstre et l'empêcher de s'échapper à chaque instant. Comment faire?

• 1220

Vous ne pouvez pas compter sur les riches pour veiller sur les intérêts des gens du commun. Ils vous disent que l'entreprise a pour but de réaliser des profits. Je le reconnais. Mais jusqu'où peuvent aller ces profits?

M. Gates vaut-il 42 milliards ou 44 milliards aujourd'hui? À ce qu'on dit, il gagne 125 $ par seconde, chaque seconde de l'année, et s'il voyait un billet de 500 $ sur le sol, il ne vaudrait pas la peine pour lui de prendre quatre secondes pour se pencher pour le ramasser. Réfléchissez-y un peu.

En venant ici aujourd'hui, j'ai essayé de voir ce que représentait 40 ou 35 milliards de dollars. D'abord, j'en ai fait une pile de pièces de 1 $: une pile de deux pouces de hauteur vaut 25 $ ce qui donne 1 500 $ le pied et pour 5 280 pieds... J'étais arrivé jusqu'à la lune et je commençais à peine à calculer l'argent que cet homme accumulait. C'est ce que ces gens d'affaires font dans le monde entier.

Ma réponse est peut-être un peu longue, mais pourquoi développons-nous les économies? Pour mettre davantage d'argent en circulation? Il y a beaucoup d'argent en jeu.

Si vous allez à Toronto en avion, les piscines commencent à scintiller dans un rayon de 25 milles autour de la ville. Elles appartiennent à quelqu'un. Si vous allez dans la partie nord de Vancouver, vous verrez des condominiums de luxe avec des Mercedes et des Jaguars devant la porte. Cela appartient à quelqu'un. C'est ce que l'économie a apporté à ces gens-là. Qu'en est-il pour le reste d'entre nous?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je crois que nous partageons le même point de vue, vous et moi. Je voudrais savoir comment mettre en place ces garanties. Comment aborder les négociations? Il serait naïf de croire que si j'aillais demander à mon gouvernement d'arrêter, nous n'irions pas plus loin... Ce serait plutôt naïf. Que pouvons-nous faire pour mettre en place certaines garanties?

M. Don Anderson: Je regrette, Malcolm, mais pour ce qui est de la taxe Tobin, si nos principaux problèmes sont dus à cette circulation internationale de l'argent qui s'arrête là où elle veut... Il y a une dizaine d'années environ l'Europe a été touchée. Ces investissements ont touché l'Italie, l'Angleterre et la Suède qui ont perdu environ 12 milliards de dollars sur huit jours simplement à la suite de spéculations. Il faut donc prendre la situation en main.

Je demanderais donc de nouveau quel est le but d'une économie. Est-elle là pour servir les gens ou pour servir l'argent? Selon moi, toutes ces transactions qui se superposent les unes aux autres nous empêchent de prendre nos propres décisions, que ce soit à titre de particuliers, d'États ou de provinces.

Ce n'est pas seulement l'argent. Il est question de déréglementer le réseau électrique parce que quelqu'un a dit que c'était une bonne idée.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Très bien, mais dites-vous qu'il est trop tard?

M. Don Anderson: Non.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Dans ces cas, comment faire?

M. Don Anderson: Sans doute faudrait-il commencer par tenir des réunions comme celle-ci en Saskatchewan. L'année dernière, j'ai assisté à cinq ou six d'entre elles auxquelles assistaient un tas de gens inquiets. Quand vous parlez du nombre de gens qui ont assisté à vos audiences en Saskatchewan, si votre venue avait été mieux annoncée, il y en aurait eu dix fois plus car, quelle que soit notre position, en Saskatchewan, nous aimons nous réunir pour discuter de ces questions, et même parfois assez âprement. En fait, je suis venu ici en pensant que 80 p. 100 seulement de la richesse mondiale était à la poursuite de l'argent. Malcolm dit que c'est 97,7 p. 100. Je suis encore plus inquiet que je l'étais il y a dix minutes. Voilà comment sont les gens en Saskatchewan.

Il n'est pas trop tard, mais nous devons cesser d'adorer le dieu dollar, le veau d'or, et comprendre qu'il faut que les économies servent les intérêts des gens. Laissons-les réaliser un profit, mais où est la limite du raisonnable?

Nous avions une société d'État pour la potasse et je crois que son PDG gagnait 150 000 $ par an. M. Devine l'a privatisée. Le nouveau PDG, gagne maintenant 15,3 millions de dollars par an. C'est un Américain et afin qu'il ne soit pas trop durement touché par l'impôt, comme il paierait moins s'il vivait aux États-Unis, on lui donne la différence. Et il empoche quand même 15 millions de dollars par an.

Le salaire minimum est de 6 $ de l'heure en Saskatchewan. Cela donne 12 000 $ par année. Nous nous attendons à ce que les gens puissent vivre avec cela et se réjouir de ce que leur apporte l'économie. L'économie devrait être fonction des besoins des gens et non pas des besoins du capital.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Très bien. La plupart des pays en développement, du moins la majorité des pays de l'OMC, s'opposent énergiquement à l'inclusion des normes du travail. Comment le Canada pourrait-il surmonter cette restriction? Comment promouvoir cette cause? Suffit-il de dire que si les normes du travail ne sont pas incluses, nous allons nous désister? Comment procéder?

• 1225

Vous êtes pour les normes internationales. Faudrait-il les inclure dans l'OMC? Faudrait-il un autre organisme pour représenter ces intérêts sociaux? Je crains que si nous avons deux organismes différents, celui qui aura l'argent aura plus d'influence.

M. Don Anderson: Si j'avais la solution, j'essaierais d'occuper votre place.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je suis là pour que vous nous proposiez des solutions.

M. Don Anderson: Je le comprends, mais c'est également décourageant pour les citoyens. Malcolm a parlé de l'ALENA et a dit que si nous commençons à vendre de l'eau, nous ne pourrons plus nous arrêter. En fait, si nous ne leur donnons pas autant que l'année d'avant, nous pouvons être poursuivis. Tous ces accords qui nous lient les mains et ne nous permettent pas prendre de nos propres décisions posent beaucoup de problèmes, mais je crois que nous pouvons y remédier. Je n'ai pas la solution, mais commençons à voir où va cet argent.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Et vous, monsieur Matheson?

M. Malcolm Matheson: Je crois qu'il faut veiller à ce que le processus soit accessible et visible. Il faut une surveillance. Si les groupes comme le nôtre n'ont pas accès au système d'appel ou de règlement des différends, on ne tiendra jamais compte de nos valeurs et de nos besoins. Les choses sont allées si loin qu'il ne s'agit pas de freiner ou d'arrêter la machine, mais qu'il faut plutôt relever le défi.

Comme vous l'avez dit, il faut se munir d'une longue cuillère, mais c'est quand même risqué.

Néanmoins, c'est un risque à prendre et nous avons un rôle à jouer.

Le Syndicat canadien de la fonction publique représente plus de 400 000 travailleurs et nous sommes prêts à relever le défi. Nous avons actuellement un comité de surveillance de l'eau qui va d'une ville à l'autre alerter l'opinion publique et tenter d'obtenir la participation des groupes environnementaux. Notre but est de former des regroupements, de mobiliser l'opinion, de participer à des audiences comme celle-ci et de continuer à faire connaître nos opinions au gouvernement.

Nous voulons que le gouvernement tienne compte de ces opinions et de ces besoins, pour nous représenter à la table de négociation. S'il le fait de façon clairement visible et si les consultations se poursuivent, l'appui du public sera de plus en plus grand étant donné que les Canadiens accordent beaucoup plus d'importance à ces droits, à ces responsabilités, à la capacité d'établir nos propres lois, nos propres règlements et, en ce qui concerne la société civile, nos propres objectifs sociaux. Nous nous battons pour cela et aussi imparfait le processus soit-il, on dit souvent que la démocratie n'est pas idéale, mais qu'elle vaut beaucoup mieux que son contraire. Nous voulons que la démocratie soit préservée et améliorée dans le cadre de ce processus.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Quelqu'un d'autre a-t-il des questions?

M. Chris Axworthy: Avons-nous du temps?

Je vous remercie beaucoup de vos exposés. Je crois que nous avons entendu d'excellents commentaires pendant toute la matinée et que le thème qui est revenu assez souvent est celui des conséquences négatives de l'internationalisation de l'économie. C'est ce que nous ont dit les groupes agricoles, vous-même et les experts des universités qui passent beaucoup de temps dans les pays en développement. On peut dire que même si nous acceptons les avantages de l'élargissement du commerce, ces effets négatifs sont assez évidents.

Ma question fait donc suite à celle de Colleen. Quand vous examinez les résultats des élections au Canada, la majorité des gens semblent voter pour des partis qui préconisent d'aller plus loin dans cette direction plutôt que l'inverse. Que pouvons-nous donc faire pour promouvoir ces idées? Quand une tendance est évidente, comme c'est sans doute le cas ici, comment peut-on faire avancer les choses?

Dans vos mémoires, vous avez fait des suggestions sur certains sujets et vous avez également parlé de mobiliser l'opinion publique de différentes façons. Je dirais que cela ne donne pas de très bons résultats.

• 1230

Je ne m'attends pas à ce que vous ayez des solutions à proposer, mais peut-être auriez-vous une idée des mesures positives que nous pourrions prendre pour faire avancer les choses. Je le dis parce que, comme vous le savez, les gouvernements se laissent conduire par l'ensemble de la population et si le public continue à voter pour lui alors qu'il va à l'encontre de ses intérêts, il continuera d'agir à l'encontre de ses intérêts.

Vous pouvez prendre autant de temps que vous le voulez pour répondre.

M. Don Anderson: Je crois que Malcolm en a parlé; nous avons besoin de la participation des citoyens, pour commencer. Trop peu de gens sont vraiment au courant. Lorsque j'essaie de me tenir à jour en ce qui concerne l'ALENA, l'Accord de libre-échange, l'AMI, l'Accord sur le commerce intérieur et l'OMC, c'est pratiquement impossible. Si je n'y arrive pas, celui qui ne s'y intéresse pas du tout est complètement dépassé. Il faut donc trouver un moyen d'y arriver.

Malheureusement, les gouvernements annoncent ce genre de choses deux ou trois ans d'avance, il ne se passe rien, et les choses se font tout à coup. C'est ce qui se passe pour ces accords ou ces nouvelles lois. Lorsqu'elles se matérialisent, les gens sont complètement dépassés.

J'aimerais voir la classe politique diriger, plutôt que de ramer à la remorque de ses sondages. J'aimerais beaucoup en voir qui défendent les choses auxquelles je crois, mais je pense que même les politiques qui ne partagent pas le même point de vue philosophique que moi ne défendent pas nécessairement leurs propres valeurs. Dans la vie, on peut toujours ne pas aimer quelqu'un tout en respectant son point de vue. Je constate que nous n'avons pas de dirigeants dont je peux respecter le point de vue, que je sois ou non d'accord avec eux.

Je pense que de nombreux Canadiens ont perdu confiance dans la démocratie, un peu comme ce que l'on voit au Kosovo. Je ne me suis rangé ni d'un côté ni de l'autre, alors qu'auparavant je savais toujours qui était les bons, qui était les méchants. Mon enfant m'a dit: «qui sont les bons?» Tout cela avait commencé et avait pris de l'ampleur avant que je n'y porte attention. Tout à coup, je bombardais un pays lointain, ou tout au moins on le faisait en mon nom, et je me suis dit: «mon Dieux, j'ai honte, je n'ai pas fait attention parce que je n'ai pas de position autre que celle que j'ai toujours détesté la guerre».

Je pense que ces ententes commerciales font la même chose. Je m'éloigne du sujet, je m'en excuse, mais comme Canadiens, nous sommes dépassés par toutes ces histoires.

Il y a des gens qui tentent de faire avancer leur programme. Ma grand-mère disait fait attention aux gens en costume-cravate; méfies-toi des costumes-cravates. Je pense que c'était un bon conseil. Les citoyens donc...

Le président suppléant (M. Murray Calder): Vite, Malcolm, enlevez votre veste.

M. Malcolm Matheson: Il vient de dire «attention». Il n'a pas dit qu'il allait faire quelque chose.

Le président suppléant (M. Murray Calder): Avez-vous quelque chose à dire, Malcolm?

M. Malcolm Matheson: Je ne pense pas avoir grand-chose à ajouter à ce qu'a dit Don. Je pense que nous recherchons dans nos élus une certaine prévoyance quant à ce que l'avenir nous réserve. Or ce n'est pas le cas; je ne vois pas les choses de la même façon que quelqu'un qui est à la Chambre des communes et qui traite d'une question sur le plan national.

Il nous faut plus d'information. Nous devons pouvoir suivre les événements dès leur début. Comme l'a dit Don, on annonce des choses qui disparaissent ensuite de la scène pour ressurgir tout à coup ailleurs.

Nous sommes très heureux qu'il y ait ce genre de séance où nous pouvons venir et dire ce que nous pensons et nous voulons que le processus se continue. À part cela, je suppose que nous avons comme philosophie que le mouvement syndical existe pour s'organiser en vue de faire progresser son point de vue et nous allons continuer à le faire et à tenter de trouver tout l'appui possible auprès de nos amis ou de quiconque peut devenir notre allié.

Le président suppléant (M. Murray Calder): Y a-t-il d'autres questions?

Jim?

M. Jim Pankiw: Non.

Le président suppléant (M. Murray Calder): Je pense que je devrais apporter une précision.

De votre point de vue, Don, je suis toujours agriculteur et je vois essentiellement les choses de ce point de vue-là et ensuite, je suis un homme politique. Toutefois, depuis six ans que je suis ici, j'ai appris une chose. Dans ma petite localité rurale en Ontario, les gens sont très catégoriques. Dans la rue, dans les cafés, c'est soit noir ou c'est blanc; c'est ceci ou cela. Sur la scène politique, la plupart des réponses se trouvent entre les deux. C'est une zone grise. Comme député de l'opposition, Jim et Chris sont la conscience du gouvernement et comme gouvernement, nous tentons de faire ce qu'il y a de mieux pour le pays. Nous sommes tous là pour cela.

• 1235

Je sais que lorsque nous parvenons à une solution et que nous l'annonçons, tous ne sont pas heureux. Mais c'est probablement parce que c'est la bonne réponse, car cela signifie qu'il n'y a pas une partie qui a gagné et l'autre qui a perdu. Voilà l'équilibre.

Lors de la dernière ronde de l'OMC, nous sommes entrés en scène à la dernière heure. Lorsque j'ai été élu pour la première fois en 1993, comme agriculteur, je constatais qu'on me disait, surtout les responsables de la gestion des approvisionnements: «Mon Dieu, comment allons-nous arranger cela?» Mais nous l'avons fait. Cette fois-ci, nous disposons de beaucoup de temps et nous travaillons à nous préparer. Différents secteurs du milieu agricole ont déjà fait part de leur position de négociation à nos négociateurs.

Nos autres comités permanents tout comme nous sont en tournée actuellement, par exemple le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire, dont je suis un des vice-présidents. Nous nous sommes déjà rendus à Washington. Nous avons déjà traversé le pays une fois. Le premier ministre va annoncer la création d'un groupe de travail au cours de la semaine de relâche en mai. Ces membres vont également écouter les Canadiens. Vous verrez donc le processus se répéter, encore et encore, car il nous faut tout l'apport possible. De façon générale, nous savons ce qui se passe. Vous êtes les spécialistes. Vous êtes ceux qui connaissent exactement vos problèmes et cela doit être notre point de départ.

Si vous n'avez rien d'autre à ajouter, nous allons passer à nos invités suivants. Nous sommes un peu en avance.

M. Don Anderson: J'aimerais faire quelques remarques. Je tiens à vous remercier d'être venus nous parler. Sauf erreur toutefois, l'AMI serait chose faite si les citoyens n'avaient poussé les hauts cris et contesté l'accord. On aurait conclu l'accord.

Ensuite, j'ai vu dans le CCPA Monitor il y a quelques mois des chiffres voulant qu'en 1976, le rapport entre le revenu des 10 p. 100 de Canadiens à revenus élevés et le revenu des moins nantis, le 10 p. 100 du bas, était de l'ordre de 27:1 et qu'en 1996, ce rapport était de 314:1. Je dirais donc que l'économie fonctionne très bien pour certains. Je ne pense pas que nous ayons besoin de grandes ententes commerciales afin d'améliorer les choses pour ce groupe. Il faut que nous trouvions une façon pour que cela fonctionne pour la population locale, les gens qui vivent ici.

Le président suppléant (M. Murray Calder): Je partage aussi cet avis.

Messieurs, je vous remercie beaucoup de vos exposés.

J'aimerais maintenant donner la place à Citizens Concerned about Free Trade, à M. David Orchard, s'il est ici ou à quiconque représente ce groupe.

Si le groupe n'est pas ici, pour gagner du temps, parce que notre horaire est serré, je vais passer au groupe suivant, c'est-à-dire un exposé de 10 minutes. Est-ce que Tim Quigley du Conseil des Canadiens est ici? Carolyn Taylor peut aussi prendre place en même temps qui Tim.

Je vous souhaite la bienvenue. Vu le temps que vous avez passé dans la salle, vous savez comment nous fonctionnons. Vous disposez chacun de 10 minutes. Si vous prenez les 10 minutes au complet pour votre exposé, il n'y aura pas de questions. Si votre exposé a moins de 10 minutes, alors les membres du comité assis autour de la table pourront vous poser des questions. Tim.

• 1240

M. Tim Quigley (témoignage à titre personnel): Est-ce qu'il y a un ordre particulier que vous souhaitiez que nous suivions?

Le président suppléant (M. Murray Calder): Votre lumière est allumée, donc allez-y.

M. Tim Quigley: Merci. Je m'appelle Tim Quigley et je suis membre de la section de Saskatoon du Conseil des Canadiens. Je suis heureux d'être ici pour vous présenter ce mémoire au nom des cinq sections de la Saskatchewan, c'est-à-dire celles de Saskatoon, Regina, Prince Albert, Moose Jaw et Swift Current. Il est aussi à noter que quelque 15 organisations qui représentent des syndicats, le troisième âge, les artistes et écrivains, et les intervenants qui luttent contre la pauvreté, appuient notre mémoire.

Dans les grands débats qui portent sur le commerce, ceux en faveur du libre-échange voient en général ceux qui s'y opposent et qui sont en faveur d'un commerce équitable comme des Luddites. On nous dit souvent que la mondialisation dont le libre-échange est un élément fondamental est inévitable et qu'il n'existe aucune alternative au libre-échange. Je suis ici pour contester ces idées et pour dire que ceux qui sont en faveur d'accorder plus de droits aux investisseurs et aux sociétés aux dépens des citoyens sont les dinosaures d'une époque antérieure, celle du capitalisme et du colonialisme déchaînés.

Ce n'est que ce siècle-ci que les nations du monde ont commencé à mettre en place des programmes sociaux en vue de l'éducation, de la santé et du plus grand bien-être économique et social de tous ainsi que de la durabilité environnementale de la planète où nous vivons. Plus que la plupart des pays, le Canada a mis en place de tels programmes et jusqu'à il y a peut-être 10 ans, avait fait un effort conscient pour parvenir à une plus grande mesure d'égalité entre ses citoyens.

Toutefois, l'idéologie néo-libérale qui s'est répandue presque partout dans le monde a gravement attaqué les gains qui avaient été réalisés. Le libre-échange s'insère tout à fait dans cette idéologie, puisqu'il prône l'élimination des obstacles au commerce et au comportement sans entraves des sociétés. Plus grave encore, c'est à huis clos, pas du tout démocratiquement, qu'on a adopté la mondialisation. Les citoyens ordinaires, partout au monde, ont vu disparaître leurs emplois et leurs programmes sociaux s'éroder, s'ils n'ont pas été carrément abolis. L'inégalité, et à l'intérieur des pays et entre les pays riches et les pays pauvres a augmenté de façon marquée et l'environnement continue à se dégrader ce qui est de mauvais augure pour les générations futures.

La dette du tiers monde a augmenté de façon marquée tout comme l'ont fait les programmes d'ajustement structurel conçus pour gérer cette dette dans l'intérêt des institutions prêteuses et aux dépens des citoyens. Des mesures telles que l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, l'ALENA, l'Accord multilatéral sur l'investissement proposé et la zone proposée de libre-échange des Amériques, s'insèrent tous dans cette tendance. Les éléments centraux et très insidieux de ces accords incluent des négociations derrière des portes closes qui excluent la participation des citoyens, des institutions démocratiques et des organisations non gouvernementales; des restrictions sur la capacité des gouvernements, à tous les paliers, de réglementer et de gouverner dans l'intérêt de leurs citoyens; et une réduction correspondante dans la protection accordée à l'environnement, aux droits syndicaux, aux programmes sociaux et aux mesures conçues afin de promouvoir les économies locales, telles que l'emploi local et les exigences de contenu local.

Un très grand obstacle à l'obligation démocratique de rendre compte et à la transparence est la tendance qui s'est d'abord manifestée aux termes du chapitre 11 à l'ALENA et maintenant de l'AMI proposé et fort probablement de la ZLEA, et qui consiste à examiner les poursuites intentées par les investisseurs devant des groupes commerciaux spéciaux et secrets. Au Canada, nous avons déjà constaté la menace que représentent ces groupes à notre capacité de gouverner; la capitulation du gouvernement fédéral devant la société Ethyl sur la question de l'interdiction de l'additif MMT dans l'essence est très éloquente. Autre exemple: les poursuites du groupe Loewen de maisons funéraires intentées contre le système juridique du Mississippi suite à un verdict rendu par un jury qui lui était défavorable dans cet État.

Nous en sommes arrivés au point, en droit commercial international, où l'expropriation d'un investissement est définie de façon si vaste qu'on peut apparemment y inclure presque tout règlement émis par un organisme de réglementation, y compris les décrets municipaux, la réglementation environnementale et maintenant, les décisions des tribunaux.

Par contre, dans les accords de commerce international actuels ou proposés, on n'impose aucune obligation sur les investisseurs de respecter les conventions internationales sur les droits de la personne, les droits du travail ou l'environnement. Qu'est-ce qui peut être libre dans ce genre de libre-échange, à moins que l'on veuille parler de commerce parfaitement libre de toutes restrictions ou obligations pour les investisseurs et les sociétés?

Les Canadiens, surtout ceux de la Saskatchewan, sont très conscients de l'importance du commerce international. Manifestement, les pays ne sauraient produire tout ce dont ils ont besoin eux-mêmes, et par conséquent ils doivent échanger leurs surplus de biens produits pour ceux qui ne peuvent produire. De plus, le commerce bien géré peut promouvoir la solidarité internationale entre les peuples, promouvoir l'égalité sociale et économique, la protection de l'environnement et aider à l'atteinte d'une vie meilleure pour nous tous, sur cette terre.

Pour atteindre ces objectifs toutefois, nous devons répudier les erreurs faites ces dernières années et nous assurer qu'elles ne seront pas répétées dans les accords négociés à l'OMC ou dans la ZLEA proposée. Nous devons faire un effort pour créer un monde commercial équitable à la place de la position actuelle qui favorise peu ou pas de restrictions sur le capital, ce qui réduit les gouvernements et les citoyens à l'état de simples pions dans la course qui nous conduit vers le bas.

• 1245

À cette fin, nous préconisons que le Canada s'inspire des principes et mesures qui suivent dans sa politique sur le commerce et les investissements internationaux:

D'abord, il faut effectuer une évaluation approfondie de l'incidence de l'ALE, de l'ALENA et de l'OMC afin de déterminer si ces mesures ont ou non fonctionné dans les meilleurs intérêts de tous les Canadiens et des autres citoyens du monde. Dans le cas contraire, le Canada doit exercer ses options et annuler ces accords, et dans le cas de l'OMC, chercher à obtenir des modifications qui éliminent des pratiques aussi inacceptables que les comités de règlement des différends dans l'état de l'investisseur.

Deuxièmement, les négociations en vue de modifier les accords actuels ou en vue de nouveaux accords tels que la ZLEA ne devraient se tenir que sous l'égide des Nations Unies. De telles négociations, conventions internationales et protocoles sur les droits humains et sociaux, l'environnement, les droits syndicaux et autochtones doivent être primordiales. En d'autres termes, les accords sur le commerce et sur l'investissement ne doivent être conclus que lorsqu'ils avancent les engagements pris par les signataires à ces conventions et protocoles internationaux et il faut leur assujettir les règles du commerce et de l'investissement. Le Canada doit par conséquent appuyer des mesures qui mettent en place un commerce plus équitable et appuyer les nations plus faibles qui cherchent à se protéger de l'agression économique et sociale inhérente au programme de mondialisation. Nous devons également favoriser des instruments internationaux de réglementation tels que la taxe Tobin afin d'empêcher la spéculation sur les devises qui hantent de nombreux pays en voie de développement, et imposer un certain niveau de responsabilité aux investisseurs.

Troisièmement, plus précisément, les États investisseurs qui siègent à des comités sur le commerce et l'investissement ne devraient être partis à aucun accord sur le commerce et l'investissement. Plutôt, les lois nationales des pays signataires doivent s'appliquer, de la façon habituelle et doivent évidemment, être appliquées publiquement et de façon imputable. Ainsi, les dispositions sur l'investissement de l'AMI et du chapitre 11 de l'ALENA ne doivent pas figurer à l'ordre du jour du Canada en vue de l'OMC ou de la ZLEA.

Quatrièmement, avant de conclure des accords internationaux sur le commerce et l'investissement, le Canada doit consulter exhaustivement et de façon démocratique ses citoyens sur les répercussions des accords proposés. Cela signifie plus qu'un bref débat parlementaire. À tout le moins, il faut prévoir des séances publiques étendues et la diffusion généralisée de l'information sur les accords proposés. De plus, il faut assurer que les groupes intéressés par un accord seront consultés et pourront participer. J'inclus à ce titre les Autochtones, les organisations environnementales, les syndicats et les travailleurs et les organisations de promotion des droits humains et sociaux.

Cinquièmement, le Canada doit avoir dans la négociation d'accords internationaux sur le commerce et l'investissement comme objectif global de promouvoir la justice sociale dans la communauté internationale et à l'intérieur de nos propres frontières. Par conséquent, nous ne devons pas signer d'accord dont ce n'est pas l'objectif premier. Dans cette optique, le Canada doit cesser de s'aligner avec les pays et les intérêts qui cherchent à abolir toutes les barrières au commerce pour s'allier plutôt aux pays et aux organisations animés des mêmes sentiments que nous, qui cherchent un monde de justice sociale et de commerce loyal.

Merci.

Le président suppléant (M. Murray Calder): Merci beaucoup, Tim.

Nous avons le temps de poser une question—deux minutes. Charlie, une minute pour vous et une minute pour Jim.

M. Charlie Penson: J'aimerais faire remarquer à M. Quigley que nous avons un accord commercial actuellement, l'Accord de libre-échange, et ensuite c'est l'ALENA qui est venue ajouter un chapitre sur l'investissement. Nous avons donc été assujettis à ce chapitre sur les investisseurs depuis environ 10 ans, avec les États-Unis, et depuis cinq ans, cela a aussi concerné le Mexique, au fil de son adhésion.

Je crois savoir qu'au sein de la population canadienne, on constate que l'appui qu'on accorde à l'Accord sur le libre-échange augmente d'année en année. Les sondages révèlent que plus de 80 p. 100 des Canadiens y sont favorables ces temps-ci, ce qui signifie que le nombre augmente. Si on considère que plus de 65 p. 100 de l'investissement intérieur—et le chiffre est environ le même dans le cas des investissements canadiens à l'étranger, aux États-Unis—demeure en place, à moins que les trois parties conviennent d'apporter des changements, et compte tenu du fait que l'accord est assez bien accepté et du fait, qu'à mon avis, cet accord commercial n'a pas donné lieu à un trop grand nombre de problèmes, comment pouvez-vous dire que nous ne devons pas pousser la chose plus loin à la lumière de l'expérience que nous avons eue?

M. Tim Quigley: Je ne pense pas que notre expérience soit celle que vous décrivez. Je pense que si la population appuie l'Accord c'est sans doute qu'on a l'impression qu'il n'y a, à toutes fins utiles, aucune alternative, ce qui n'est pas le cas, comme j'ai tenté de le démontrer. Nous avons fait l'objet d'une propagande massive, mais non pas d'un examen sérieux, impartial, arrêtée de toutes ces répercussions. C'est vrai que le commerce avec les États-Unis a augmenté, mais je me demande si c'est une bonne chose que d'augmenter notre dépendance sur un seul marché.

• 1250

Je pense aussi que l'opposition à l'ALENA prendra de l'ampleur au fur et à mesure que la population prendra connaissance d'événements tels que l'action intentée par la société Ethyl en tant qu'investisseur. Je pense que ce n'est que la pointe de l'iceberg, et quand les sociétés commenceront à contester les diverses mesures gouvernementales aux termes du chapitre 11, je prédis que nous allons entendre la population pousser des hauts cris et déplorer l'émasculation de notre gouvernement.

M. Charlie Penson: Comment voyez-vous l'action en justice de la société Ethyl du point de vue de...? Ces derniers mois, j'ai entendu de nombreuses personnes citer cette affaire pour expliquer pourquoi le Canada ne devrait pas participer à ce genre d'accords sur l'investissement. Toutefois, si j'ai bien compris, le gouvernement canadien a présenté un projet de loi qui n'était pas fondé sur des données scientifiques, en disant que le produit menaçait la santé des Canadiens, sans montrer qu'il était nocif pour l'environnement. Ce n'est pas ainsi que le projet de loi a été présenté en Chambre et adopté; par conséquent, on s'est dit qu'il fallait exclure le produit en limitant les importations ainsi que le transport interprovincial du produit. Les provinces ont contesté et par conséquent il a fallu abroger la loi et la société Ethyl ne s'est jamais rendue au Comité de règlement des différends sur cette question.

M. Tim Quigley: Parce que ce n'était pas nécessaire. L'entreprise avait une telle influence sur le gouvernement fédéral que celui-ci a cédé, a fait le mort et lui a donné 50 millions de dollars. Ce que cela révèle très clairement c'est que la souveraineté de toute nation est menacée par ces accords parce que presque toute mesure de politique publique peut alors être contestée, non pas devant un tribunal pour atteinte à une loi nationale, mais devant un comité secret où nous ne pouvons pas...

M. Charlie Penson: D'après ce que j'ai compris...

Le président suppléant (M. Murray Calder): Dernière question, Charlie.

M. Charlie Penson: Très bien.

D'après ce que j'ai compris du chapitre sur l'investissement de l'ALENA, si un produit menace, pour quelque raison que ce soit, la santé des gens ou l'environnement, le gouvernement canadien—en fait, les trois gouvernements—ont la possibilité de créer une exemption fondée sur ces critères. La disposition existe déjà. Nous avons déjà ce droit.

M. Tim Quigley: Toutefois, à mon avis, le chapitre 11 comporte le risque que nous n'allons jamais contester pleinement, car le risque de ne pas avoir gain de cause par rapport à d'autres gouvernements dans une telle situation, où la seule question consiste à déterminer si on a ou non respecté les exigences de l'ALENA, et cela signifie qu'on n'a pas à se préoccuper de l'aspect financier. Et cela est traité devant des experts en commerce internationaux et non pas devant un tribunal national qui se réunit en public et qui donne la possibilité à des intervenants de participer, etc. Le processus est tout à fait faussé et nous sommes donc sous le coup d'une très grande menace à ce chapitre.

Le président suppléant (M. Murray Calder): Merci beaucoup, Tim.

Carolyn, vous voulez bien prendre la parole?

Mme Carolyn Taylor (membre, Saskatchewan Environmental Society): Le mémoire que je présente ici aujourd'hui a été rédigé par Roger Peters au nom de la Saskatchewan Environmental Society.

Le présent mémoire de la Saskatchewan Environmental Society propose de nouveaux principes mondiaux pour régir le commerce et l'investissement de façon à protéger en permanence les intérêts vitaux du Canada et ceux d'autres pays. Le mémoire propose également que le Canada utilise cette approche lors des prochaines négociations dans le cadre de l'OMC, en vue de l'établissement de l'ALEA, ainsi que des modalités pour y arriver.

En premier lieu, pourquoi une nouvelle approche est-elle nécessaire? Récemment, les négociations commerciales ont porté sur l'élimination des obstacles au commerce et à l'investissement, laissant seulement des lignes directrices d'application volontaire pour palier aux éventuelles incidences négatives sur la société et l'environnement. Un des principaux problèmes est que les pays ne sont pas autorisés à établir une distinction entre les biens et services en fonction de la façon dont ils sont produits, situation qui mine le développement économique et social et nuit à la gestion durable de l'environnement et des ressources. Par exemple, les pays ne peuvent pas accorder la préférence au bois d'oeuvre et aux produits de papier qui répondent aux normes du Forest Stewardship Council, ou aux tapis qui répondent aux exigences des codes du travail des enfants établis par l'Organisation internationale du travail.

Il faut une nouvelle approche à l'égard du commerce et de l'investissement qui régira ce secteur pour le bien général du monde entier tout en offrant un ensemble commun de règles et de garanties aux négociants et aux investisseurs.

La nécessité d'une nouvelle approche ayant été établie, les règles régissant le commerce et l'investissement devraient être fondées sur des valeurs universelles:

- la démocratie dans la prise de décisions et la responsabilité du gouvernement envers ses citoyens;

- la citoyenneté sociale et la responsabilité collective à l'égard de nos semblables;

- la nécessité de préserver et de protéger notre environnement et nos ressources pour les générations futures;

- la subordination au bien commun de l'entreprise privée et des droits à la propriété;

- la capacité de tirer des avantages raisonnables de notre travail et de notre investissement;

- la protection des droits de la personne;

- l'accès universel à l'éducation publique, aux soins de santé et aux services sociaux;

- un salaire décent et un lieu de travail sûr et équitable;

- la protection des terres et des ressources naturelles, tenues en propriété commune;

- les droits des peuples autochtones.

• 1255

Voyons maintenant quels devraient être les sept objectifs fondamentaux des ententes sur le commerce et l'investissement:

- elles doivent fournir un ensemble clair de règles qui serviront à stimuler l'initiative économique plutôt qu'à l'étouffer;

- elles doivent permettre d'informer pleinement le consommateur afin que celui-ci puisse prendre en matière d'achat des décisions éclairées, en fonction de la sécurité;

- elles doivent encourager les formes d'investissement productives qui favoriseront les économies locales et nationales;

- elles doivent permettre aux gouvernements de mettre en oeuvre des politiques économiques, sociales, environnementales et culturelles qui conviennent à chaque pays;

- elles doivent faire en sorte que les entreprises respectent leurs obligations sociales, c'est-à-dire qu'elles respectent les normes et priorités économiques, sociales et environnementales;

- elles doivent permettre des stratégies de développement qui prévoient la propriété publique dans des secteurs stratégiques;

- elles doivent freiner les formes d'investissement spéculatif et à court terme qui entraînent des sorties rapides de capitaux et des effondrements économiques.

Dans le cadre de cette nouvelle approche, les principes régissant le commerce et l'investissement seraient les suivants:

1. Les collectivités et les citoyens auront le droit d'être consultés, par le biais d'un processus national exécutoire, sur les règles régissant le commerce et l'investissement internationaux et d'approuver la participation de leurs gouvernements à des ententes internationales.

2. Tous les investissements, les biens et les services seront régis par un ensemble de règles communes, qui peuvent comprendre des exigences minimales d'exécution établies d'après l'incidence sociale et environnementale et le mode de production. Tous les biens et services seront étiquetés pour indiquer le mode de production.

3. Les collectivités pourront, par le biais de leurs gouvernements, établir des exigences légales de rendement en matière d'investissement, de pratiques des entreprises et de développement national et international, au moyen de règlements visant à faire respecter les normes susmentionnées.

4. Les collectivités et les pays pourront, par le biais de leurs gouvernements, adopter des politiques qui favoriseront le développement local et protégeront les ressources naturelles.

5. Les pays pourront favoriser les biens et services qui dépassent les normes minimales d'exécution.

6. Les pays pourront percevoir des taxes internationales sur les transactions commerciales ou financières ou prendre d'autres mesures multilatérales afin de réglementer ces transactions.

7. Tout différend entre collectivités, gouvernements ou investisseurs sera soumis à un tribunal entièrement indépendant qui entendra les parties et résoudra le différend dans la collectivité ou le pays touché, par le biais d'un processus public ouvert et démocratique.

Quelle devrait donc être la stratégie du Canada aux négociations de l'OMC de 1999? Le Canada devrait tout d'abord soumettre les concepts généraux suivants à l'examen de l'OMC:

- des normes minimales d'exécution fondées sur l'impact et le mode de production;

- des normes internationales d'étiquetage fondées sur le mode de production et élaborées par l'Organisation internationale de normalisation;

- la discrimination, sans pénalité, à l'égard des biens et des services qui ne répondent pas aux normes minimales ou qui ont une incidence néfaste sur le développement social ou économique ou sur la durabilité de l'environnement ou des ressources;

- donner la préférence, sans pénalité, aux biens et services qui dépassent les normes minimales ou qui ont une incidence favorable sur le développement social ou économique ou favorisent la durabilité de l'environnement ou des ressources.

Deuxièmement, l'OMC est une excellente tribune pour étudier des mesures financières internationales comme la taxe Tobin. Le Canada devrait proposer que cette taxe soit adoptée le plus vite possible et que soit formé un groupe de travail international dirigé par le Canada et deux autres nations commerçantes de l'extérieur de l'OCDE, afin d'élaborer une stratégie de mise en oeuvre.

• 1300

Troisièmement, les positions de négociation du Canada devraient viser des points précis comme l'agriculture, les services, la propriété intellectuelle et les achats gouvernementaux. Par exemple, dans le domaine de l'agriculture:

- l'OMC devrait élaborer une série de normes minimales d'exécution en matière de commerce et d'investissement pour tous les produits de l'agriculture et des pêches;

- tous les produits de l'agriculture et des pêches échangés à l'échelle internationale devraient être étiquetés et accompagnés d'informations afin d'indiquer les différences quant à l'origine et au mode de production;

- tout pays peut limiter l'échange ou l'investissement à l'égard des produits de l'agriculture ou des pêches en fonction du mode de production, s'il est connu que ce mode est nuisible au contexte culturel, social ou écologique;

- tout pays peut favoriser l'échange ou l'investissement à l'égard des produits de l'agriculture ou des pêches en fonction du mode de production, s'il est connu, par le biais de l'intendance internationale ou d'organisations du travail, que ce mode est favorable au contexte culturel, social ou écologique;

- tout pays peur limiter la fabrication, l'utilisation, la vente, l'exportation ou l'importation de tout produit chimique agricole, nouveau ou existant, dont on sait ou l'on soupçonne qu'il est toxique ou dangereux, sans pour autant être obligé de compenser la perte de profits;

- tout pays peut limiter et réglementer la vente de graines et de produits chimiques agricoles sans compensation, s'il est jugé souhaitable de le faire pour assurer la durabilité et la croissance future de la production et de la transformation des produits agricoles de ce pays.

La mise sur pied de l'ALEA constituera aussi une occasion unique pour le Canada, comme président, et ses partenaires commerciaux dans tout l'hémisphère, d'adopter une nouvelle orientation dans l'administration du commerce et de l'investissement multilatéral de façon non seulement à tenir compte de l'économie mondiale mais aussi de reconnaître les droits mondiaux des citoyens.

Le Canada devrait aussi présenter dans ce cadre les mêmes concepts généraux décrits ci-dessus:

- des normes minimales d'exécution;

- des normes d'étiquetage internationales;

- discrimination à l'égard des biens et services qui ont une incidence négative;

- favoriser les biens et services qui dépassent les normes minimales ou ont une incidence favorable;

- un mécanisme démocratique de règlement des différends;

- des rôles clé pour les politiques d'intérêt public et la propriété publique, particulièrement dans le cadre des services;

- des rôles clé pour les achats gouvernementaux.

Nous tenons à remercier le Comité permanent de l'occasion qu'il nous a donnée de présenter nos idées sur cette question d'actualité très importante. J'espère qu'elles vous seront utiles et que vous en tiendrez compte dans votre rapport.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Il nous reste encore quelques minutes pour cette partie. Aviez-vous une question, monsieur Axworthy?

M. Chris Axworthy: Pas vraiment, parce que je souscris à ce que vous nous avez dit. On a dit tout à l'heure que c'est plus amusant de poser des questions quand on n'est pas d'accord.

Je voudrais simplement poser une question d'ordre général. Vous avez très clairement indiqué quels seraient les objectifs qu'il faudrait chercher à réaliser. Quel serait, selon vous, le plus important obstacle à la réalisation de ces objectifs?

Mme Carolyn Taylor: Je suppose que si tout le monde souscrivait à ces objectifs, il n'y aurait sans doute pas de gros problème. Le problème vient du fait que ce n'est pas tout le monde qui y souscrit. Il s'agit donc d'éduquer ceux qui ne souscrivent pas à ces objectifs et de donner à ceux qui y croient les outils nécessaires pour les réaliser.

M. Chris Axworthy: Si j'ai posé la question, c'est parce que presque tous les témoins que nous avons entendus nous ont parlé des conséquences négatives de tout ce qui s'est produit, et je crois que la plupart d'entre nous seraient aussi de cet avis, mais non seulement notre pays se trouve entraîné malgré lui dans tout cela, il est en fait parmi les chefs de file quand il s'agit...

Mme Carolyn Taylor: Je sais, je sais. C'est gênant.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Nous souhaitons la bienvenue à John et Betsy Bury, de l'association Vétérans contre les armes nucléaires. Avant que vous ne commenciez, puis-je vous demander si vous avez lu le rapport du Comité permanent sur le désarmement nucléaire?

M. John Bury (Vétérans contre les armes nucléaires): Oui. Je l'ai même ici.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Voulez-vous commencer?

M. John Bury: Le bureau national de Vétérans contre les armes nucléaires a déjà témoigné devant votre comité, comme vous le savez sûrement, quand il étudiait la politique canadienne en matière d'armes nucléaires. Il suffit donc de vous dire que nous sommes une association qui regroupe des anciens combattants et les membres de leurs familles immédiates vivant au Canada, quel que soit leur pays d'origine, et qui a pour objectif l'élimination des armes nucléaires. Pourquoi donc sommes-nous venus témoigner ici, comme un des membres de votre personnel l'a demandé à un de mes collègues l'autre jour?

• 1305

La section de Saskatoon est venue témoigner devant vous aujourd'hui pour vous parler de l'effet sur la souveraineté du Canada des changements qu'il est proposé d'apporter à l'Organisation mondiale du commerce et de la création d'une alliance—comme tous les autres témoins que vous avez entendus, évidemment. Nous avons toutefois une optique particulière qui s'inspire notamment de la décision de l'OMC dans le conflit des bananes qui opposait la communauté européenne aux États-Unis.

Cette décision mérite que nous nous y arrêtions parce qu'elle a accordé la préférence aux sociétés au détriment des pauvres agriculteurs impuissants des Caraïbes. Ce sont donc les grandes sociétés qui ont gagné, tandis que les petites gens ont perdu. Nous estimons qu'il faut tenir compte de facteurs autres que les bénéfices des sociétés dans les changements qu'il y a lieu d'apporter aux accords existants avant de conclure de nouveaux accords.

Si nous nous intéressons à cette question comme anciens combattants, c'est que nous savons que les disparités économiques sont une des principales causes des conflits et que les conflits conduisent à des guerres. Aussi longtemps que nous aurons des armes nucléaires, le monde risque de se retrouver en guerre, qu'il s'agisse d'un conflit déclenché délibérément ou accidentellement—vous venez tout juste d'entendre le général Lee Butler, Robert McNamara et les deux Grahams vous en parler quand ils ont témoigné devant votre comité il y a un mois—auquel cas toute discussion sur le libre-échange ne sera plus que théorique. Nous avons l'obligation, en tant que bons citoyens, de chercher à réduire les disparités économiques au lieu de les faire augmenter. C'est bien sûr toujours au nom de cet objectif que les anciens combattants sont appelés à se battre.

L'autre aspect de la question qu'a mis en lumière la guerre en Yougoslavie tient à la relation étroite que nous avons avec les États-Unis en raison de notre appartenance à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord. Nous nous sommes engagés dans cette guerre sans consultation ni débat populaire, nous contentant de suivre la politique vigoureusement mise de l'avant par les États- Unis, qui demeure le principal porte-parole et dirigeant de l'OTAN. Les États-Unis ont d'ailleurs publié en 1984 un document où ils décrivaient comment ils s'y prendraient pour démanteler la Yougoslavie. Ce document a de nouveau été publié en 1993, et je peux vous faire parvenir les références si vous le souhaitez.

Il reste à voir quel sera le résultat de cette guerre, mais il semble jusqu'à maintenant que ce soit une catastrophe sur le plan tant humanitaire que militaire. C'est peut-être seulement quand le dernier missile aura été lancé et que le dernier Kosovar aura été dépossédé de ses biens que les Canadiens repenseront à leur participation à l'OTAN. On discute beaucoup de cette question ces jours-ci, même parmi les officiers à la retraite des Forces armées canadiennes.

Dans votre rapport, intitulé Le Canada et le défi nucléaire: réduire l'importance politique de l'arme nucléaire au XXIe siècle, vous dites très clairement que le Canada devrait promouvoir le Traité de non-prolifération. Vous y faites bien comprendre aussi que le Canada devrait exercer des pressions pour que les armes nucléaires soient éliminées du plan stratégique de l'OTAN. Les États-Unis s'opposent catégoriquement à cette position.

En outre, le Canada, sous l'impulsion de M. Axworthy, a amené 11 autres pays de l'OTAN à s'abstenir de voter en décembre dernier sur une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies prévoyant l'adoption d'un nouveau programme, et a bien fait comprendre par son abstention qu'il voulait de nouvelles mesures permettant d'avancer l'objectif du désarmement nucléaire.

Nous demandons maintenant à votre comité de s'interroger sur la façon dont les accords commerciaux pourraient être utilisés pour limiter et entraver la capacité du Canada à prendre ses propres décisions en matière de politique de défense. Bien que cette question ait été reléguée au second plan par la guerre au Kosovo, M. Axworthy a réussi dans une certaine mesure, à l'occasion du 50e anniversaire de l'OTAN, à amener l'organisation à tenir compte dans son plan stratégique de la possibilité d'éliminer les armes nucléaires de son arsenal.

La menace de sanctions économiques qu'évoque la perte récemment de notre statut de nation la plus privilégiée, en raison du non-respect d'ententes militaires, nous amène à nous interroger sur cette façon qu'ont les États-Unis de réagir à tout ce que nous faisons avec lequel ils ne sont pas d'accord.

Il semble que les accords de libre-échange aient considérablement entravé notre liberté d'action. Nous avons déjà parlé du cas Ethyl, et nous n'y reviendrons pas, mais il semble qu'il y ait un autre différend qui se prépare relativement aux exportations d'eau potable en Colombie-Britannique. Nous estimons que les accords commerciaux existants et futurs doivent être plus souples pour qu'on puisse y tenir compte de facteurs liés à la pauvreté et à l'économie, pour pouvoir s'attaquer aux disparités entre les grandes puissances et les pays plus pauvres et moins puissants. Sinon, le monde se dirige vers une multiplication des conflits, des massacres tribaux et ethniques, et à long terme, des guerres.

• 1310

L'application de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de manière à favoriser au cours des 46 dernières années la libéralisation unilatérale et sans discernement du commerce en Afrique n'a fait qu'empirer la situation. Tout récemment, 13 pays africains francophones ont fait l'objet d'une contestation et ont été sommés de modifier leur réglementation afin de permettre l'entrée chez eux de semences génétiquement modifiées sinon... La guerre des bananes donne à penser que c'est le même type de sanction qu'on applique.

À notre avis, toute modification apportée à l'Organisation mondiale du commerce ou aux conditions de l'Accord de libre-échange des Amériques doit permettre au Canada de pouvoir mieux servir ses intérêts, et il ne faut pas que l'intérêt du Canada soit sacrifié encore plus qu'il ne l'est déjà.

Notre principale préoccupation est d'assurer la paix. Nous estimons que les accords qui se fondent uniquement sur la libéralisation des échanges et du marché ne contribuent pas à la réalisation de cet objectif. Jusqu'à récemment, le Canada était respecté pour son rôle de gardien et de promoteur de la paix. Il ne faudrait pas que notre confiance aveugle dans les forces du marché ne vienne ternir cette réputation.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Avez-vous une question, monsieur Calder?

M. Murray Calder: C'était là un exposé très intéressant, John. Je suis membre de la Légion et je suis curieux de tout ce qui touche l'histoire des deux grandes guerres. Ce que nous voyons au Kosovo et en Yougoslavie à l'heure actuelle est exactement l'inverse de ce qui s'est produit il y a environ 55 ans, quand le Wehrmacht occupait le territoire avec l'appui des Albanais, des Macédoniens et des Kosovars. La purification ethnique se faisait dans l'autre sens.

Il ne faut pas oublier que le Canada n'est qu'un des 19 membres de l'OTAN. Les décisions prises par les 18 autres, avec lesquelles nous étions d'accord, visaient essentiellement à mettre fin à l'épuration ethnique qui est en cours là-bas. L'histoire nous dira si ces décisions étaient bonnes ou mauvaises. C'est l'autre chose qu'il ne faut pas oublier.

Je voudrais toutefois vous poser une question. Ce qui me préoccupe notamment au sujet des négociations, c'est que les pays en développement, qui n'ont pas les moyens financiers de pays comme les États-Unis, ne pourront pas compter sur un aussi grand nombre de négociateurs pour entreprendre les négociations commerciales dans le cadre de l'OMC. Y a-t-il quelque chose que nous pourrions mettre en place pour aider ces pays? Manifestement, les États-Unis auront des négociateurs spécialisés en agriculture, en industrie, en santé et dans divers autres domaines, tandis que les pays en développement pourraient n'avoir qu'une personne pour s'occuper de tous ces domaines. Je considère qu'il s'agit là d'un désavantage pour ces pays-là. Comment pourrions-nous régler ce problème d'après vous?

M. John Bury: Je ne sais vraiment pas. Je ne suis pas spécialiste du commerce international. Nous ne faisons que faire un constat, à savoir que, jusqu'à maintenant, les accords commerciaux tendent à accroître considérablement les disparités entre les pays sous-développés et en développement et le bloc de pays occidentaux très puissants dont les États-Unis sont sans doute le plus puissant. Il me semble, comme l'a dit tout à l'heure mon collègue de la société environnementale, qu'il faut inclure dans ces accords des normes qui tiennent compte de leur effet sur la population locale, sur l'environnement, sur les conditions de travail et sur le mode de vie en général.

Je suis terrifié par cette vague de modifications génétiques qui balaient le monde, car je crois que beaucoup d'agriculteurs pauvres ne pourront plus continuer à cultiver leur terre. Ils ne pourront pas planter de nouvelles semences et ils n'auront pas les moyens d'acheter les semences brevetées. Il faut freiner ce pouvoir excessif. Il me semble qu'on nous a obligés à adopter en toute vitesse...

Il y a bien sûr deux choses à la mode dans cette ville, l'uranium et la modification génétique. Nous pensons devoir nous engager dans la voie de la biotechnologie. Je ne crois pas que l'un ou l'autre soit entièrement à notre avantage. Il faut inclure dans les accords des normes comme celles dont je parlais tout à l'heure.

M. Murray Calder: Merci, madame la présidente.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Madame Bury.

Mme Betsy Bury (Vétérans contre les armes nucléaires): Je crois qu'il convient d'ajouter l'effet de Monsanto sur les agriculteurs de la Saskatchewan est un peu plus près de nous que l'exemple de la république de banane. À mon avis, le gouvernement devrait intervenir pour empêcher les sociétés internationales de venir entraver la liberté d'action de l'agriculteur qui veut cultiver les produits que nous cultivons depuis toujours dans cette province agricole.

• 1315

Je tiens également à m'inscrire en faux contre ce qu'a dit M. Calder au sujet du bombardement. Je suis moi aussi une ancienne combattante de la Seconde Guerre mondiale et je sais bien ce qui s'est passé pendant ce conflit de 1939 à 1945. Je crois que, si cela s'était produit en 1949, nous aurions eu des doutes quant au bien-fondé d'une tentative de résoudre quelque problème que ce soit à 33 000 pieds dans les airs au lieu de le faire par la voie de la négociation. Nous savions ce pourquoi nous nous battions. Nous avions l'impression de faire quelque chose de bien. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de militaires qui trouvent que la méthode utilisée par l'OTAN est très efficace. Je crois par conséquent que la réputation du Canada comme gardien de la paix se trouve entachée. C'est quelque chose que je regrette en tant qu'ancienne combattante canadienne, et je crois que la plupart de nos anciens combattants sont du même avis.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Neil Sinclair, s'il vous plaît.

M. Neil Sinclair (dirigeant, New Green Alliance): Vous serez heureux de savoir que mon exposé sera court.

Souveraineté, démocratie et environnement: Avec chaque nouvel accord commercial international que le gouvernement canadien conclue, nous, les Canadiens, perdront de plus en plus de notre souveraineté, notre démocratie s'affaiblie et notre capacité à protéger l'environnement ici au Canada et ailleurs dans le monde se trouvent entravé ou bloqué. Les expériences récentes que nous avons de l'Accord de libre-échange et ensuite de l'Accord de libre- échange Nord américain, et aussi de l'Accord multilatéral sur l'investissement, qui a été rejeté, nous ont beaucoup appris—surtout que les Canadiens n'appuient pas ces accords commerciaux, mais s'y opposent activement.

Notre souveraineté est menacée par les sociétés multinationales qui cherchent à accroître constamment leurs bénéfices et l'influence qu'elles ont sur les gouvernements. L'ALENA a créé un précédent dangereux en ce sens qu'elle a mis les sociétés sur un pied d'égalité avec les gouvernements en les autorisant à poursuivre directement les gouvernements qu'elles accusent de leur avoir fait perdre des bénéfices. Le jour où la petite société Ethyl a réussi à intimider le gouvernement canadien et à le faire battre en retraite, alors qu'il avait l'intention d'adopter une loi pour interdire l'addition du MMT à l'essence fut un jour très sombre de notre histoire. Notre santé et notre environnement sont maintenant compromis parce que notre Parlement est trop faible pour adopter cette loi. Pourquoi les citoyens canadiens devraient-ils payer à la société Ethyl une indemnité en compensation des bénéfices perdus en raison de la nécessité de protéger notre santé et notre environnement? C'est scandaleux. Le Parlement n'est plus suprême.

Dans quel genre de démocratie vivons-nous si des sociétés étrangères peuvent intenter en secret des poursuites contre le gouvernement canadien? Tout ce processus est secret d'un bout à l'autre. Les citoyens canadiens sont laissés dans une ignorance totale. Cela mine la capacité qu'a le gouvernement de légiférer. Cela affaiblit notre démocratie. Nos députés fédéraux sont censés nous représenter. Comment peuvent-ils prendre des décisions qui tiennent compte de nos opinions quand nous ne savons même pas ce qui se décide? Toute cette histoire de mécanisme secret de règlement des différends dans l'ALENA et dans l'AMI était, et est, répréhensible. On se demande comment un élu qui croit vraiment dans la démocratie peut être favorable à cela.

Enfin, nous devons tenir compte de l'environnement mondial. Quels sont les effets de la libéralisation du commerce? Le problème avec l'Organisation mondiale du commerce, c'est qu'elle ne prend pas en compte les considérations environnementales lorsqu'elle prend des décisions. En conséquence, lorsque la loi environnementale d'un pays entre en conflit avec le commerce, l'OMC blâme toujours le pays.

Prenons l'exemple de la United States Environmental Protection Act, qui oblige les crevettiers américains et étrangers à se servir de filets qui excluent les tortues afin de protéger les tortues marines qui sont en voie d'extinction. L'OMC a jugé que cette loi était illégale. Les tortues marines vont-elles disparaître à cause de l'OMC?

S'appuyant sur l'expérience que nous avons vécue avec l'ALÉ, l'ALENA et l'AMI, la New Green Alliance recommande que le Canada n'adhère pas à la zone de libre-échange des Amériques, et que le Canada s'emploie à affaiblir l'OMC. Les pays qui ont des gouvernements élus doivent être davantage en mesure d'agir selon les voeux de leurs citoyens et, ce faisant, de mieux protéger le bien-être de leurs populations.

Tous les Accords internationaux qui touchent les citoyens du Canada doivent être soumis à un référendum national. Que l'on laisse les gens décider s'ils veulent ou non de l'ALENA, de l'AMI ou de tout autre accord semblable.

Merci.

• 1320

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Axworthy, avez-vous des questions?

M. Chris Axworthy: Non, pas vraiment, parce que toutes ces personnes disent des choses avec lesquelles je suis d'accord. Je me suis donc contenté d'écouter ce que tout le monde dit... afin que les gens répètent ce qu'ils ont dit.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Calder.

M. Murray Calder: Une clarification, Neil, au sujet du MMT, là où nous avons eu des ennuis, c'est parce qu'on nous a dit qu'on disposait de la preuve scientifique voulue pour démontrer que le MMT était nocif pour l'environnement. Nous sommes donc allés de l'avant. Lorsque la contestation a eu lieu, et que nous nous sommes essentiellement butés aux barrières interprovinciales, lorsqu'il nous a fallu produire la preuve scientifique, nous nous sommes adressés aux manufacturiers automobile pour l'obtenir, et nous n'avons pas obtenu ces preuves scientifiques. Il nous a donc fallu reculer afin d'éviter une poursuite judiciaire que nous n'aurions pas gagnée.

Premièrement, nous avons épargné aux contribuables une poursuite judiciaire, mais cela a été gênant pour nous parce que lorsqu'il nous a fallu produire la preuve scientifique—et on nous avait dit qu'elle existait—elle n'était pas encore au point. Voilà donc le problème que nous avons eu.

M. Neil Sinclair: La Ethyl Corporation n'a-t-elle pas touché une indemnité de 20 millions de dollars? Tous les médias ont rapporté cette information.

M. Murray Calder: C'est vrai? D'accord.

M. Neil Sinclair: Tout le problème, c'est que le processus est secret du début à la fin.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Excusez-moi, je ne suis pas d'accord. Je sais que le Globe and Mail a publié de longs articles sur cette question, étape par étape, et la preuve est là. Si le public n'est pas au courant de ce genre de chose, est-ce la faute du gouvernement, ou est-ce peut-être parce que les journaux pensent que ce genre de nouvelle ne vend pas de journaux? Je ne sais pas, mais je sais que la presse en a parlé.

Voulez-vous apporter une clarification?

M. Gerry Schmitz (recherchiste du comité): Je ne vais pas entrer dans ce débat, mais je sais qu'en vertu de l'Accord sur le commerce intérieur, plusieurs provinces, dont l'Alberta et quelques autres, je crois, ont contesté l'interdiction interprovinciale d'importer du MMT. Un jugement a été rendu en juin 1998, comme vous le savez sans doute, où le gouvernement fédéral a perdu sa cause. Ce cas était quelque peu différent de la contestation de la Ethyl Corporation en vertu de l'ALENA, mais je pense que cela a sûrement affaiblit la cause du gouvernement fédéral. Puis il y a eu par après, bien sûr, le règlement qui est intervenu avant que l'on invoque l'ALENA pour trancher l'affaire.

Le problème important que bon nombre d'entre vous soulevez tient à la définition de l'expropriation, qui peut être soumise à examen par le biais du mécanisme de l'État investisseur, et cela tient aussi au fait que la Ethyl Corporation, qui est le seul producteur nord-américain de MMT, a fait valoir que l'interdiction fédérale avait pour effet de confisquer ses profits futurs. C'est ce problème-là, je crois, qui préoccupe tant de monde, à savoir que l'État investisseur peut invoquer la procédure d'arbitrage en vertu du chapitre 11 de l'ALENA, ce qui peut donner cours à la nécessité d'indemniser des sociétés étrangères.

L'autre problème, bien sûr, tient au fait que seule la société étrangère a accès à cette procédure en vertu de l'ALENA. Une entreprise canadienne n'aurait pas pu recourir à cette procédure d'arbitrage. Il y a toute une série de problèmes qui se posent ici, et c'est un dossier très compliqué.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Très compliqué.

M. Chris Axworthy: Franchement, le vrai problème, c'est que le Canada adopte une loi et se fait dire par quelqu'un d'autre qu'il n'a plus le pouvoir d'adopter ce genre de loi. On fait valoir que cela mine la démocratie et qu'il faut mettre cela au passif de tous ces accords commerciaux, et je ne crois pas que quiconque puisse être en désaccord avec cela.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je ne veux pas avoir l'air de réfuter ce que vous dites ou même de ne pas être d'accord avec vous. Cependant, nous avons entendu ce genre de choses plusieurs fois au cours des audiences. Notre secrétaire parlementaire était ici, et je me sentais très mal à l'aise et j'étais très convaincue par les arguments que l'on présentait sans explication complète. Je voulais seulement vous faire profiter de l'explication que j'ai demandée plusieurs fois au cours de ces audiences, à maintes reprises, à notre secrétaire parlementaire.

• 1325

M. Neil Sinclair: D'accord.

J'aimerais ajouter un autre élément d'information. La Ethyl Corporation est la même entreprise qui a produit un additif au plomb pour l'essence. On a prouvé pour la première fois que c'était dangereux pour la santé publique dans les années 20. La Ethyl Corporation a réfuté cela, et il a fallu attendre les années 70 pour que le plomb soit interdit.

Il n'y a que quelques années que l'on ajoute du manganèse à l'essence, et j'espère qu'il ne faudra pas encore un demi-siècle pour s'en débarrasser, si c'est effectivement dangereux. Je pense qu'il faut pécher par excès de prudence lorsqu'il s'agit de notre santé. Et je pense que le gouvernement du Canada devrait avoir le pouvoir de protéger les citoyens canadiens.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Nous avons bien noté ce que nous dites. Nous espérons que la technologie nous permettra d'élucider cette question et que nous n'aurons pas à attendre 40 ou 50 ans comme dans le cas du plomb.

Nous allons maintenant entendre M. Garth Nelson de Nature Saskatchewan.

M. Garth C. Nelson (Nature Saskatchewan): Je remercie le comité d'avoir accepté de m'écouter.

Nature Saskatchewan tient d'abord à rappeler l'importance vitale de la diversité pour la vie sur terre. Lorsque des virus ou des bactéries envahissent le corps humain et causent des maladies, nous avons à l'intérieur de nous-mêmes des guérisseurs inhérents qui ont pour nom: le système immunitaire, une force complexe et puissante qui nous met sur la voie de la guérison.

Tout comme le corps humain, notre planète a aussi un système immunitaire complexe et puissant. C'est ce qu'on appelle la biodiversité, un assortiment colossal et varié de gènes interreliés, d'espèces et d'écosystèmes. C'est cette diversité immense des formes de vie et la capacité que nous avons de créer une plus grande diversité qui nous donnent la stabilité et la force qu'il faut pour nous remettre de nos blessures et de nos maladies, même de ces catastrophes que sont les extinctions massives d'espèces.

Il y a eu cinq grands épisodes d'extinction dans l'histoire de notre planète, le dernier étant la disparition des dinosaures. Dans chacun des ces épisodes cataclysmiques, plusieurs espèces ont disparu de la terre; cependant, la planète a fini par revenir à la diversité et à la santé après plusieurs millions d'années.

Edward O. Wilson de l'université Harvard, l'un des scientifiques les plus respectés du monde, croit que nous traversons en ce moment le sixième grand spasme d'extinction, qui est dû non pas à des facteurs naturels mais à l'impact de l'espèce humaine.

Notre système économique se fonde sur le principe que la seule chose qui compte, c'est gagner de l'argent, et que les autres espèces n'ont de valeur que si elles sont exploitables. C'est un système économique qui méconnaît le rôle vital de la biodiversité, qui est le système immunitaire de la terre, ou qui décide de propos délibéré de n'en tenir aucun compte afin de réaliser un gain à court terme.

Je dirais ensuite qu'il y a un prix très lourd à payer pour une telle inconscience devant ce qui guérit et soutient la vie sur terre. Nous connaissons tous le sida, cette maladie qui ravage le système immunitaire du corps humain. La terre elle-même souffre d'une maladie semblable au sida. L'extinction de diverses espèces et l'appauvrissement consécutif du patrimoine génétique et la destruction des écosystèmes s'accélèrent à un rythme alarmant.

En se servant de la puissance de technologies pointues pour prélever des espèces fauniques en proportions astronomiques, en détruisant les habitats dont dépendent les autres espèces pour vivre, en introduisant des espères étrangères dans les écosystèmes vierges, et en inondant l'atmosphère de gaz à effet de serre, les êtres humains ont accru le taux d'extinction de 1 000 à 10 000 fois ce qu'il était normalement entre les grands épisodes d'extinction. Ce sont les chiffres de Wilson. Il ajoute que, d'après l'estimation la plus prudente des pertes d'espèces que l'on peut calculer raisonnablement selon la connaissance actuelle que nous avons du processus d'extinction, nous perdons chaque année pour toujours 2 700 espèces, soit 74 par jour.

• 1330

Ce sixième grand spasme d'extinction mine la résistance de la biosphère de la terre, affaiblit son système immunitaire, et s'attaque par conséquent à la fondation même de tous nos échanges commerciaux et de nos vies mêmes.

Le fait que nous en savons peu sur la plupart des espèces de la terre et sur leurs besoins complique les efforts que nous faisons pour contrer cette tendance et protéger les écosystèmes. Wilson estime que 90 p. 100 sont peu connues et n'ont même jamais eu de nom scientifique. À l'heure où l'affaiblissement de la biodiversité est généralisé, nous nous traînons les pieds et nous faisons comparativement peu d'efforts pour étudier la nature de cette maladie et réunir le savoir qu'il nous faut pour mettre fin à cette épidémie.

Ce qui entrave aussi les efforts que nous faisons pour mettre fin à cette épidémie, c'est le fait que plus de la moitié des espèces végétales et animales sur terre se trouvent dans les forêts tropicales et humides des pays en voie de développement dont l'économie est handicapée par une dette opprimante et la spéculation constante sur les monnaies. Ces pays brûlent leurs forêts et assassinent ainsi une biodiversité précieuse dans les efforts frénétiques qu'ils font pour payer leurs dettes et contrer les effets de la dévaluation des monnaies que cause la spéculation.

Ce qui m'amène à la troisième chose que j'ai à dire. La mondialisation est une sorte de dissolution morale. En accentuant la libéralisation des échanges et des investissements et la spéculation sur les monnaies, on propage cette maladie semblable au sida qui afflige la planète. Le U.S. Council for International Business, un instrument important de la mondialisation, a affirmé à des hauts fonctionnaires américains en 1997 qu'il «s'opposerait à toute mesure créant la moindre obligation de type environnemental aux gouvernements ou aux entreprises». Les dispositions de l'ALENA et le programme de l'Organisation de coopération et de développement économiques, avec son Accord multilatéral sur l'investissement, semblent encourager cette résistance à la protection responsable de l'écologie.

C'est avec la plus grande humiliation que nous avons vu le gouvernement canadien l'an dernier, comme on l'a dit plus tôt, en vertu des exigences de l'ALENA, se mettre à genoux et adresser des excuses à Ethyl Corporation parce qu'il avait adopté une loi interdisant l'additif MMT à base de manganèse, levé l'interdiction et ensuite indemnisé l'entreprise au coût de 19 ou 20 millions de dollars.

C'est avec crainte que nous avons vu l'OCDE promouvoir l'AMI, un accord qui aurait miné une bonne part du travail de conservation d'organisations comme Nature Saskatchewan. En vertu de la disposition sur le traitement national, la protection des écosystèmes aurait été réduite au dénominateur commun le plus bas. En vertu des dispositions relatives au maintien et à l'élimination, l'adoption et la préservation de lois capables de protéger l'environnement auraient été plus difficiles, sinon impossibles.

En vertu de l'article sur les différends, le genre d'intimidation des gouvernements nationaux dont nous avons été témoins dans la poursuite de Ethyl Corporation aurait été rendue plus facile, le règlement du différend ayant peut-être eu lieu dans un pays étranger à l'abri des regards du public.

Il semble maintenant que l'Organisation mondiale du commerce fait la promotion de l'AMI, que l'on planifie l'adoption d'une version élargie de l'ALENA sous la forme d'un accord de libre- échange des Amériques, et que le Canada est favorable à ces deux initiatives.

On ne cesse de nous assurer que le Canada va protéger ses intérêts vitaux en matière d'environnement, mais nous sommes de plus en plus sceptiques. De telles assurances nous ont été données à profusion avant la ratification de l'ALENA et lorsque le Canada a fait la promotion de l'AMI. Cependant, on ne cesse de contester les lois environnementales devant les tribunaux. On voit encore des sociétés transnationales, les principaux maîtres d'oeuvre de la mondialisation, prendre leurs pénates et déménager dans des pays où il est plus facile de polluer et de détruire des écosystèmes dans la recherche de la rentabilité. On voit encore l'Organisation mondiale du commerce, comme dans les décisions relatives au thon et au dauphin et aux crevettes et aux tortues, favoriser le commerce au détriment de la protection de l'environnement.

Nous sommes d'avis que s'engager dans la mondialisation comme on veut le faire maintenant, c'est propager une maladie qui ravage le système immunitaire de la terre et mettre en danger plusieurs espèces, dont la nôtre. On ne connaît pas encore de remède à ce sida qui détruit le corps humain. Il existe cependant des remèdes pour les maux qui affligent la biosphère.

Voilà qui conclut mon exposé. Les recommandations qui vont suivre constituent à notre avis les ingrédients essentiels de ce remède.

• 1335

Nous recommandons, premièrement, que le Canada suspende ses négociations avec l'Organisation mondiale du commerce et d'autres instances économiques qui veulent libéraliser le commerce et les règles d'investissement. Concentrons-nous à la place sur une analyse profonde des effets de la mondialisation sur le capital véritable de la terre, à savoir la biodiversité qui soutient la vie sur terre.

Deuxièmement, nous recommandons que le Canada suspende sa participation aux négociations visant à établir une zone de libre- échange pour les Amériques. À la place, employons-nous à renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain et assurons-nous que le gouvernement canadien demeure libre d'adopter toute loi qu'il juge nécessaire pour protéger les espèces et les écosystèmes du pays, et ne plus jamais se soumettre à ce genre d'agression humiliante contre notre souveraineté nationale et notre régime démocratique qui a résulté de la poursuite intentée par Ethyl Corporation.

Troisièmement, nous recommandons que le Canada agisse rapidement pour mettre en oeuvre le projet de loi M-239 qui vient d'être adopté, la loi sur la taxe Tobin, qui oblige le gouvernement à prendre l'initiative et à imposer une taxe sur les transactions financières. Nous recommandons aussi que le Canada encourage vigoureusement d'autres pays à prendre des mesures semblables afin de décourager la spéculation généralisée sur les monnaies et la circulation à court terme des capitaux.

Quatrièmement, nous recommandons que le Canada, en donnant lui-même l'exemple et en se servant de son influence dans la communauté mondiale, fasse la promotion vigoureuse, premièrement, d'une protection efficace des espèces en péril dans le monde et de leurs habitats, et, deuxièmement, de la recherche sur les 90 p. 100 d'espèces qui demeurent inconnues et ne portent toujours pas de nom.

Il nous reste peut-être du temps pour renverser le cours des choses en transformant nos paradigmes économiques, mais il ne reste pas beaucoup de temps. Nous sommes bien engagés dans le sixième grand épisode d'extinction de la planète. Comme le souligne E.O. Wilson, de Harvard, notre environnement «va se déstabiliser et devenir mortel si l'on perturbe trop les organismes».

En terminant, je le citerai de nouveau:

    Méconnaître la diversité de la vie, c'est risquer de se catapulter dans un environnement étranger. Nous ressemblerons à ces globicéphales noirs qui échouent inexplicablement sur les plages de la Nouvelle-Angleterre... Il est insensé de supposer que l'on peut amoindrir indéfiniment la biodiversité sans menacer l'humanité elle-même.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Avez-vous des questions? Quelqu'un? Étant donné que quelques témoins ne se sont pas présentés, nous pouvons nous arrêter quelques minutes.

M. Murray Calder: D'accord, parfait.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous pouvons même faire une vraie pause.

M. Murray Calder: Excellente idée.

J'ai bien aimé votre exposé, Garth. Je vais vous dire qu'en ma qualité de fermier je suis devenu un protecteur de la terre depuis que je me suis lancé en agriculture en 1973, non seulement parce que cela assure la viabilité de mon exploitation, mais aussi parce que j'aime la nature. C'est l'autre aspect de la question.

De vos quatre recommandations, je suis d'accord avec la troisième et je m'intéresse à la quatrième, mais j'aimerais revenir sur la première et la deuxième. Ayant entendu toutes ces personnes jusqu'à présent, je me demande si la suspension des négociations avec l'OMC ou la ZLEA est faisable. Mais ce que nous devons faire, et ce que nous faisons maintenant, c'est intervenir et établir une forte position de négociation pour cette série-ci.

Lorsqu'on a achevé les négociations sur l'Organisation mondiale du commerce en 1993 et ratifié l'accord en 1994, nous avons essentiellement établi les règles fondamentales du jeu dans un espace où il n'y avait jamais eu de règles fondamentales auparavant, et au cours de cette série-ci, ce que nous faisons maintenant, peu importe le temps que cela prendra et peu importe comment on appelle cela... Je me demande même si cela peut se faire en trois ans. Je pense que cela va prendre beaucoup plus de temps que cela. Mais ce que nous faisons en ce moment, c'est peaufiner ces règles. Nous savons quelles erreurs nous avons commises en 1993 dans un tas de dossiers différents, et je pense que le processus dans lequel nous allons entrer va marcher. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

• 1340

M. Garth Nelson: Je ne suis pas en mesure de savoir si le Canada a le pouvoir de suspendre les négociations. J'imagine qu'un État souverain peut adhérer à un accord international ou décider de ne pas y adhérer.

M. Murray Calder: Je vous dirais, à titre de clarification, que nous pouvons nous en retirer. Je vais vous donner tout de suite quelques données démographiques à ce sujet. Lorsque les négociations ont commencé en 1993, 117 pays y participaient. Ils sont aujourd'hui au nombre de 134. Trente autres pays veulent y participer. Si vous avez vu les nouvelles, vous savez par exemple que les responsables de la République populaire de Chine ont fait une tournée aux États-Unis et qu'ils sont très désireux de participer à la négociation.

Au début du mois, j'étais en République de Chine, à Taïwan, et nous expliquions aussi à leurs responsables notre position de négociation, parce qu'ils veulent également adhérer à l'OMC. Quand je dis qu'à mon avis les deux premières recommandations ne sont pas réalisables, c'est parce que ce que vous nous demandez de faire, c'est de quitter l'OMC et de rester seuls, et je ne pense pas que nous le pouvons, étant donné que le Canada est un pays commerçant, considérant que les exportations constituent 40 p. 100 de notre économie à l'heure actuelle.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Nous vous remercions pour votre exposé. Comme je l'ai dit plus tôt, tous les exposés figureront au procès-verbal du comité.

Nous allons maintenant entendre M. McConnell.

M. John J. McConnell (témoignage à titre personnel): Madame la présidente, si vous voulez faire une pause maintenant, cela me va; je peux revenir après la pause.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je pense que nous allons faire une pause de cinq ou six minutes tout de suite après vous avoir entendu.

M. John McConnell: Merci beaucoup, madame la présidente, membres du comité.

J'imagine que je suis ici à titre de bénévole. J'ai travaillé pendant 40 ans, plus ou moins, comme fonctionnaire, et je considère que mon petit message est dans l'intérêt de la fonction publique. Je crois que je suis ici pour dire des choses au nom d'un grand nombre de petites gens qui aimeraient être ici, mais qui ne peuvent pas y être pour diverses raisons.

Si je devais résumer cela en un mot, ce qui me préoccupe le plus, c'est la nature du Canada, son évolution, et je m'inquiète de nous voir perdre le contrôle de nos finances. Je pense que c'est John Foster Dulles, le secrétaire d'État des États-Unis, qui a dit il y a plusieurs années de cela qu'il y a deux façons de neutraliser un pays. On peut s'en emparer par la force des armes. Ou alors on peut simplement contrôler les finances de ce pays. C'est ce qui me préoccupe. Comme je l'ai dit, j'ai été fonctionnaire 40 ans, au niveau provincial et fédéral, dont plusieurs années à Ottawa, et la plupart de ces années à titre d'économiste, croyez-le ou non.

Aujourd'hui, je m'intéresse surtout aux petits-enfants et aux questions environnementales, et j'ai été ravi d'entendre les remarques très éloquentes qui ont été faites ce matin.

Je n'ajouterai rien sur la taxe Tobin, car je ne ferai que répéter ce que vous avez déjà entendu. Mais j'aimerais mentionner deux ou trois autres choses.

Le ministre Marchi a bien résumé les choses lorsqu'il a déclaré que nous concluons des accords commerciaux pour améliorer la vie des citoyens. Il a dit qu'il est d'une importance cruciale que nous consultions attentivement tous les Canadiens, et que ces accords doivent être plus ouverts et transparents. Bien sûr, cela présente un grand intérêt pour moi, car j'ai beaucoup travaillé dans le domaine des communications publiques, de la télévision et de la presse écrite, et de l'édition.

Pour ce qui est d'améliorer la vie des citoyens, des articles parus récemment dans la presse sur des études menées par Statistique Canada et fondées sur des recherches faites par des économistes examinant les questions relatives à la famille indiquent que la majorité des Canadiens travaillent davantage, mais gagnent moins.

Cela m'inquiète qu'on s'intéresse tant au bien-être des Canadiens à la lumière de ce qui se passe ailleurs dans le monde. J'ai travaillé pendant plusieurs années pour l'Agence canadienne de développement international, surtout dans le domaine des communications. J'ai alors appris tout ce que cette organisation très impressionnante avait réalisé dans le passé. Malheureusement, de nos jours, elle obtient beaucoup moins de fonds qu'auparavant. Que se passe-t-il?

• 1345

On dit que la famille canadienne moyenne ne s'en tire pas mieux qu'il y a 20 ans, même si de nos jours, dans environ 70 p. 100 des familles, les deux parents travaillent à l'extérieur du foyer. Beaucoup ont un emploi mal rémunéré ou à temps partiel, comme nous le savons pertinemment. En valeur réelle, le niveau de vie de la plupart des Canadiens a baissé en dépit du fait que notre économie est beaucoup plus productive qu'il y a 20 ans. À combien se chiffre cette productivité? C'est tout à fait étonnant. Nous exportons pour plus d'un milliard—pas un million, mais bien un milliard—de dollars chaque jour. Nos exportations totalisent 368,9 milliards de dollars, une augmentation importante par comparaison avec 1992, par exemple; c'est près du double du niveau de 1992.

On produit des richesses considérables. Je siège bénévolement à un comité qui examine les forêts du Nord de la Saskatchewan, un autre exemple de l'énorme richesse qu'on produit. Mais c'est un autre débat; nous avons tous beaucoup entendu parler de ce qui se passe dans nos forêts.

La plupart des familles d'agriculteurs et bien d'autres qui fournissent les biens de première nécessité à la société canadienne n'obtiennent pas un rendement raisonnable des exportations de cette richesse. Entre-temps, les grandes sociétés qui transigent au Canada nous expliquent qu'elles doivent rester concurrentielles sur le marché mondial, qu'elles doivent rationaliser leurs effectifs au besoin. Cela signifie que si les impôts canadiens et les salaires des travailleurs augmentent, elles devront quitter le Canada pour un pays où elles pourront réduire leurs coûts. Elles reconnaissent toutefois la valeur des programmes sociaux du Canada, lorsqu'elles font montre d'un peu de sérieux, et le fait que ces programmes sociaux contribuent à la grande qualité de notre main-d'oeuvre.

Des cadres des grandes sociétés disent parfois que le Canada doit être plus compétitif s'il veut rivaliser sur le marché mondial. Ce mois-ci, dans CanadExport, la plus importante publication s'adressant aux exportateurs, KPMG, l'agence de gestion internationale, présente une étude détaillée où elle compare les coûts d'affaires dans les pays du G-7. Incroyable, mais vrai: le Canada est le pays où les coûts d'affaires sont les moins élevés. Les coûts d'affaires moyens au Canada, dans neuf secteurs, sont inférieurs de 7,8 p. 100 à ceux des États-Unis. Pourtant, il est rare qu'on parle des occasions d'affaires et de la qualité des entreprises au Canada au chapitre de l'efficience et des coûts, n'est-ce pas?

Dans un autre ordre d'idées, les négociateurs du Canada—ce sont surtout des avocats et des économistes, mais j'espère qu'ils sont encore tenus de se conformer aux directives des parlementaires—n'auront pas la tâche facile. Vous me pardonnerez mon audace, mais nous estimons qu'ils ne défendent pas le Canada assez vigoureusement. Ils ne comptent pas suffisamment sur l'approche interdisciplinaire. L'économie est un domaine assez limité, et la vie ne se limite pas à l'économie. J'y reviendrai dans un moment. Je tiens surtout à insister sur l'importance de l'approche interdisciplinaire et sur la nécessité de se recycler tous les deux ou trois ans.

• 1350

Afin de négocier des règles qui seront acceptées et appliquées s'il y a litige dans les années à venir—il y en aura certainement—il devrait être établi que ces règles seront des règles commerciales. Pourquoi? Parce que si elles sont considérées comme des règles environnementales, par exemple, les avocats et les économistes diront que cela relève d'un autre comité et qu'ils en traiteront plus tard. Ces autres questions ne sont pas traitées de la même façon, à mon avis, que les aspects juridiques et économiques, car elles sont intégrées aux arrangements commerciaux.

À cet égard, il faudrait créer non pas un, mais plusieurs groupes de travail sur le commerce aux fins de la société civile. Soit dit en passant, je remercie mon député, qui m'a envoyé de nombreux documents sur ce qui se passe actuellement; j'ai lu qu'il y a 14 groupes ou comités du domaine des affaires, 14 petits groupes qui dispensent des conseils et sont tenus informés. C'est très bien, mais qu'en est-il des groupes de la société civile?

D'éminents économistes qui ont étudié les écrits et les idées d'Adam Smith—qui remontent à il y a deux cents ans—nous disent qu'il préconisait la prudence—et les économistes savent très bien pratiquer la prudence de nos jours—mais nous avons peut-être oublié certaines des autres vertus qu'il prônait, telles que la compassion, le commerce équitable, la justice, etc. Je propose donc aux économistes et aux avocats qui participeront à ces délibérations non seulement d'adopter une approche interdisciplinaire, mais aussi de relire ce qu'Adam Smith a déclaré dans La richesse des nations et dans ses autres ouvrages.

D'ailleurs, bien des leaders religieux disent la même chose. J'ai peu de temps; alors je me contenterai de vous dire que le modérateur de l'Église unie du Canada, par exemple, le très révérend Bill Phipps, estime qu'on peut susciter un mouvement vers une économie morale au sein des sociétés civiles. Il est d'avis que cela peut se faire là où la distribution de la richesse et la répartition du pouvoir sont équitables. Il explique que de telles politiques économiques visent à encourager la création d'une entraide collective, d'une plus grande sécurité économique, d'investissements sociaux accrus et d'un plus grand bien-être environnemental.

J'aimerais maintenant vous dire quelques mots de l'ouverture et de la transparence des cadres commerciaux. Honnêtement, j'estime que tout a été trop secret jusqu'à présent, et ce n'est que grâce à certains groupes de Canadiens qu'on a commencé à en discuter ouvertement. Il est absolument nécessaire que le public soit sensibilisé à toutes ces questions et comprenne bien de quoi il s'agit, mais, comme l'a mentionné la présidente, les médias ont aussi une importante responsabilité à assumer à cet égard. Il ne suffit pas pour eux de savoir ce qui se passe et d'être mieux informés, il leur faut aussi consigner ces informations et informer les citoyens. Peut-être que certains citoyens ont une longueur d'avance sur les médias et sont un peu plus intelligents que ne l'estiment les journalistes.

Je traite aussi de l'eau. On en a déjà parlé longuement; alors je me contenterai de faire écho aux remarques qui ont été faites. Il en va de même pour la taxe Tobin. Je ne citerai pas George Soros, ni Lamberto Dini, un ancien cadre du Fonds monétaire international. Essentiellement, ils nous ont affirmé qu'un contrôle global était aussi nécessaire que le contrôle de la souveraineté d'un pays.

• 1355

Merci beaucoup. Je vous sais gré d'être venus en Saskatchewan; je sais que les réunions que vous tenez ici attirent toujours un auditoire nombreux.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci, monsieur McConnell. Je crois que vous avez raison de dire que la société civile et le public ont une longueur d'avance sur les médias. Nous commençons à peine à reconnaître que c'est au sein de la population que se trouvent les solutions.

Je rappelle à tous que nous avons un site web, un site web préparatoire. Je dois toutefois avouer que je ne l'ai pas encore vu.

Gerry, voulez-vous nous en parler?

M. Gerry Schmitz: Vous avez annoncé ce matin qu'une série de documents de travail et de questions ont été ajoutés au site web du comité. Pour ceux qui y ont accès, la transcription de toutes nos tables rondes et de nos séances figurera au site web du comité. Habituellement, il faut prévoir deux ou trois semaines pour la traduction. Un compte rendu complet des consultations sera donc à la disposition de tous. Bien sûr, c'est un processus qui se poursuit et dans le cadre duquel les gens pourront continuer d'apporter leur contribution au cours des mois à venir. Mais tous ceux qui au Canada ont accès à l'Internet peuvent accéder à ce site web pour prendre connaissance du compte rendu complet des consultations menées par le comité.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je suspends nos travaux pour dix minutes. Nous vous remercions de votre patience; la séance reprendra dans dix minutes.

• 1357




• 1414

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous reprenons. M. Calder devrait se joindre à nous dans un moment.

Nous accueillons Merv Harrison, du Multi Faith Social Justice Network; la révérende Jeanette Liberty-Duns, du Consistoire de la Saskatchewan de l'Église unie; Roger Petry, du Synode de Saskatoon de l'Église évangélique luthérienne; et Tony Haynes, du Diocèse catholique de Saskatoon.

• 1415

Voulez-vous prendre la parole dans l'ordre dans lequel je viens de vous nommer? Monsieur Harrison, vous avez la parole. Nous ferons comme tout à l'heure; vous aurez dix minutes pour faire votre exposé. Si vous prenez moins de temps, nous aurons quelques minutes pour une période de questions.

M. Merv Harrison (Multi Faith Social Justice Network): Merci. Je m'appelle Merv Harrison et je représente le Multi Faith Social Justice Network. Notre mémoire est loin d'être bref. Il est même plutôt volumineux, mais je vais tenter de faire ressortir ses points saillants. Cependant, nous vous prions instamment de le lire. Nous sommes convaincus qu'il contient la philosophie et les principes fondamentaux qui devraient régir le rôle du Canada en matière de commerce international.

Nous témoignons à titre de représentants de plusieurs communautés religieuses dont les noms figurent dans notre mémoire. Nous avons choisi le thème de l'édification d'une économie morale, une économie fondée sur certaines valeurs et principes moraux. Nous sommes partis de la question que le prophète hébreux a posée: qu'exige Dieu de nous? À notre avis, Dieu exige des personnes, des collectivités, des nations et des dirigeants du monde qu'ils fassent des choix éthiques et moraux.

Nous estimons que toutes les politiques gouvernementales, y compris les politiques touchant les investissements et le commerce international doivent donner la priorité aux valeurs humaines, valeurs qui doivent être honorées dans ces accords, et non minées et bafouées. Nous avons identifié sept valeurs. Nous ne les aborderons pas toutes en détail, mais en voici la liste: la dignité humaine, la responsabilité mutuelle, l'équité sociale, l'égalité des sexes, l'équité économique, la justice fiscale et la durabilité écologique.

Les choix économiques sont des choix éthiques. Ces valeurs servent de repères moraux pour la création d'une économie qui répondra aux besoins de tous. Nous ne devons pas oublier que l'économie existe pour la population, et non pas la population pour l'économie.

L'automne dernier, notre groupe s'est vivement opposé à l'Accord multilatéral sur l'investissement proposé. À notre sens, cet accord violerait la plupart des principes et valeurs que nous avons recensés, sinon tous. L'analyse de l'AMI a servi de point de départ aux discussions sur le commerce international et les investissements pour deux raisons: premièrement, parce que nous craignons grandement que cette version de l'AMI ne refasse surface pendant les prochaines négociations de l'OMC et, deuxièmement, parce que nous craignons que toutes les négociations futures de l'Organisation mondiale du commerce ne se fondent sur les principes et objectifs incarnés par l'AMI.

Dans les années 80 et dans les années 90, les Églises membres de notre réseau ont participé à la lutte contre l'Accord de libre- échange, et aux efforts en vue de le modifier, à tout le moins, et l'ALENA. Nous sommes maintenant les témoins des retombées de ces accords, dont nous avons dressé la liste. Je ne lirai pas cette liste.

À notre avis, il ne faut pas que les conditions de l'Accord de libre-échange, de l'ALENA et de l'AMI se reflètent dans les accords à venir sur l'investissement ou le commerce international. Ils ne devraient certainement pas être inclus dans l'accord proposé sur la nouvelle ZLEA.

D'autres témoins vous parleront aujourd'hui des détails des différents genres de commerce et d'investissement. Notre but est d'examiner l'investissement et le commerce international du point de vue moral et éthique, et, à cette fin, nous avons choisi six sujets. Le premier est celui de la mondialisation de l'économie.

L'AMI n'est que le plus récent exemple d'une série de politiques négociées au cours des dix dernières années par les plus grandes puissances du monde en vue d'accélérer ce processus de mondialisation. On nous dit qu'une économie de marché mondialisée est inévitable, que le Canada doit déréglementer, privatiser, être concurrentiel et tenter de pénétrer les marchés mondiaux, à défaut de quoi il traînera de l'arrière. En réalité, ni la mondialisation économique non réglementée, ni ses effets désastreux sur la majorité des pauvres ne sont inévitables. La mondialisation prend racine dans la politique, dans les valeurs et dans l'idéologie, et non pas dans quelque force de la nature. L'influence écrasante du commerce international et de la finance internationale découle directement de ces politiques. Les politiques ne sont ni inévitables, ni irréversibles. Le commerce international peut être réglementé. Les sociétés transnationales peuvent être tenues responsables.

• 1420

Le genre d'ententes que nous avons vues, telles que l'AMI, violeraient bon nombre des conventions et traités signés par les pays par l'entremise des Nations Unies, et les empêcheraient de les respecter.

Deuxièmement, il faut prendre soin des plus vulnérables. Au Canada, nous tentons depuis longtemps de protéger les plus vulnérables par le biais de nos programmes sociaux. Certains de ces programmes ont été démantelés systématiquement ces dernières années au nom de la réduction du déficit, alors que le Canada a amorcé son nivellement par le bas en vue d'égaliser les chances conformément à l'ALE et à l'ALENA.

La poursuite de politiques d'investissement et de commerce libéralisées minera davantage ces programmes, et nous décrivons dans ce paragraphe ce que nous craignons.

Le Canada, et surtout les pays en développement, doivent disposer de toute la liberté nécessaire pour mettre en oeuvre des solutions créatives aux problèmes de la privation, de l'inégalité et de la pauvreté, pour maintenir les normes de travail et répondre aux aspirations des peuples autochtones. À titre de citoyens du Canada et du monde, nous avons l'obligation morale de faire de cela notre priorité absolue.

Troisièmement, il faut promouvoir le bien commun. Nous craignons grandement que le genre de mesures prévues dans l'AMI n'érodent et ne détruisent la propriété publique des sociétés sur lesquelles compte le Canada pour assurer le mieux-être de la société et le bien commun. Ces critères s'opposent directement aux valeurs que nous avons recensées si ces entités ne peuvent plus fonctionner. Ils mettront fin à notre capacité d'assumer nos responsabilités mutuelles et d'assurer l'équité sociale. Si les investissements étrangers ne sont pas réglementés, les investisseurs étrangers ne seront pas tenus de créer des emplois.

Cette orientation va directement à l'encontre du principe éthique selon lequel c'est le travail, et non pas le capital, qui doit primer dans une économie fondée sur la justice.

Quatrièmement, il faut préserver l'environnement et les ressources naturelles. Garth Nelson vous en a parlé longuement, et nous ne pouvons que faire écho à ces préoccupations. Il est tragique de constater que, dans une large mesure, le Canada a déjà perdu cette bataille. Des articles de l'Accord de libre-échange forcent le Canada à continuer d'exporter ses ressources naturelles en général, et les ressources pétrolières non renouvelables en particulier, vers les États-Unis, même lorsqu'il y a pénurie nationale. John McMurtry, professeur à l'Université de Guelph, a décrit la catastrophe ultime à laquelle l'AMI nous aurait menés.

Notre foi nous amène à souhaiter la vie en harmonie avec la création et à nourrir et à préserver la nature pour toutes les créatures et les générations futures. Ces mesures qui restreignent si sévèrement la capacité du gouvernement de protéger la nature sont indéfendables du point de vue moral.

Le cinquième point est celui de la participation des citoyens. Nous jugeons scandaleux qu'on ait négocié l'AMI en secret pendant plus de deux ans. Cela nous montre qu'on respecte peu la dignité humaine et la valeur individuelle.

Nous sommes tout aussi préoccupés par l'accord sur les services financiers, qui, d'après ce qu'on nous dit, a été signé par le Canada par l'entremise de l'OMC en décembre 1997. Quand pourrons-nous voir ce document? Certains d'entre nous le demandent depuis 1997, mais en vain.

À d'autres occasions semblables à celle-ci, nos Églises ont exprimé leur grande inquiétude devant l'absence de consultations publiques dans ces trois déclarations que nous vous avons remises. Au moins, on devrait créer des tribunes sur lesquelles les citoyens pourraient discuter, débattre et arrêter des positions sur tous les accords sur les investissements et le commerce.

La sixième partie de notre mémoire porte sur le code sur le développement juste et durable en matière d'investissement étranger. Ces derniers mois, le marché mondial a été hors de contrôle, ravagé par l'agiotage destructeur des spéculateurs et des fonds de couverture. Les bouleversements économiques en Asie, en Russie et maintenant au Brésil ont amené les dirigeants du monde à finalement reconnaître qu'il faut une certaine réglementation des marchés financiers mondiaux.

On envisagera peut-être enfin une réforme fondamentale, et nous estimons que le Canada devrait saisir cette occasion pour ouvrir la voie et amorcer sa propre réforme. Nous décrivons six genres de réforme et nous tentons d'en expliquer les effets. Il y a d'abord les mesures de contrôle des capitaux, surtout pour les pays moins développés; une légère taxe sur les opérations en devises—la taxe Tobin; la réglementation des fonds de couverture et du commerce des instruments dérivés; l'établissement d'un tribunal international sur l'insolvabilité; l'annulation immédiate de la dette d'au moins 50 des pays les plus pauvres du monde; et le remplacement et la restructuration des institutions financières périmées dans le monde, surtout le Fonds monétaire international.

• 1425

Pour ce faire, il faut d'abord modifier profondément les valeurs. Le désir de répondre aux besoins fondamentaux de tous les membres de notre société doit primer l'optimisation des profits et de la croissance. Nous proposons donc comme principes directeurs ceux qui ont été suggérés par la Coalition oecuménique pour la justice économique. Vous les avez dans notre mémoire.

Notre document énonce ensuite des objectifs plus précis et des exigences de rendement dans une annexe à notre mémoire.

En conclusion, le Canada ne devrait pas se lancer à la hâte dans la prochaine série de négociations, impatient de conclure des ententes qui libéraliseront davantage les investissements et le commerce. Il devrait réclamer l'imposition d'un moratoire sur ce processus et tenter de trouver des solutions durables à la crise agricole qui continue de dévaster la Saskatchewan.

Nous devrions encourager l'OMC à examiner la dévastation et les souffrances humaines qui ont été provoquées par les accords existants et exiger la réforme fondamentale du régime financier international que nous avons décrite.

Nous avons commencé par demander: «Qu'est-ce que Dieu exige de nous?» Dieu nous demande de créer des accords sur le commerce et les investissements qui accordent la priorité aux valeurs qui appuient et rehaussent la condition humaine; de créer des instruments et des ententes qui favoriseront la stabilité économique mondiale et entraîneront de véritables changements sociaux en vue de mettre fin à la pauvreté, à la faim et à la privation qui prévalent dans tous les pays du monde.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Soit dit en passant, l'accord sur les services financiers est entré en vigueur en mars de cette année. C'est un document public, et un résumé de cet accord figure au site web du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.

M. Merv Harrison: Depuis quand?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Depuis que l'entente a été signée, en 1997.

Il semble que l'alarme d'incendie ait été déclenchée.

M. Murray Calder: La sortie est juste derrière vous, madame la présidente.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Étant étrangère en Saskatchewan, je ferai comme les gens d'ici.

• 1429




• 1432

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous reprenons notre séance avec le témoignage de la révérende Jeanette Liberty- Duns.

Révérende Jeanette Liberty-Duns (Consistoire de Saskatoon de l'Église unie du Canada): Merci.

Le Consistoire de Saskatoon comprend 42 Églises comptant environ 8 100 membres. Mes remarques traduisent certaines préoccupations bien précises qui ont été exprimées par le Consistoire de Saskatoon sur les politiques et les positions élaborées par les organismes nationaux et provinciaux de l'Église unie concernant la justice économique au pays.

Notre Église apporte à ces discussions une longue expérience en matière de justice économique et sociale et de lutte pour l'adoption de politiques gouvernementales qui appuient le bien commun. Nous apportons aussi des valeurs morales, éthiques et théologiques qui donnent la priorité aux besoins fondamentaux des êtres humains, à l'usage durable des ressources et aux soins qu'il faut accorder à toute la création. À titre de chrétien motivés par l'évangile d'amour et de justice, nous nous préoccupons tout spécialement des plus opprimés et des plus vulnérables, autant au Canada qu'ailleurs dans le monde.

Nous insistons pour que les ententes et politiques nationales et internationales servent à réduire le fossé croissant entre les pays riches et les pays pauvres du monde, y compris le fossé entre les Canadiens et les habitants du reste de la planète.

Dans les années 80, l'organisation nationale de notre Église a tenté d'obtenir un meilleur accord que le présent accord de libre-échange conclu avec les États-Unis. En 1984, le conseil général de l'Église unie du Canada a appuyé les politiques qui sont respectueuses de l'environnement et qui permettent aux gouvernements de contrôler l'exploitation des ressources naturelles non renouvelables.

En 1986, le conseil général a dit craindre que l'ALE n'entraîne une dépendance à l'égard des décisions des sociétés transnationales en matière d'exportation de matières premières telles que l'eau douce, les minéraux, le bois, les céréales, le bétail et le poisson. Nous craignions que l'ALE ne provoque la fermeture d'usines, la perte de milliers d'emplois, la perte de notre capacité d'utiliser et d'exporter nos ressources naturelles à notre guise, et l'érosion des normes de travail et des programmes sociaux, au nom de la compétitivité et de l'égalité des chances. Mais l'ALE a été adopté, et l'article 409 oblige le Canada à continuer d'exporter ses ressources naturelles en général, et les ressources pétrolières non renouvelables en particulier, vers les États-Unis, même en période de pénurie nationale.

En 1994, nous avons réclamé que ces préoccupations soient atténuées dans l'Accord de libre-échange nord-américain, mais en vain. Cet accord n'a fait qu'empirer les choses.

• 1435

L'an dernier, plus de 500 délégués à l'assemblée annuelle de l'Église unie du Canada, en Saskatchewan, ont approuvé un document s'opposant au projet d'accord multilatéral sur l'investissement. Tous semblent maintenant s'entendre pour dire que le projet d'accord avait de graves défauts. Par conséquent, compte tenu du bilan du gouvernement fédéral dans tous ces dossiers—l'ALE, l'ALENA et l'AMI—nous nous inquiétons considérablement au sujet du rôle du Canada dans les prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce.

Nous craignons notamment trois choses: premièrement, qu'un accord sur l'investissement comme l'AMI, avec tous ses défauts et ses objectifs, sera mis en oeuvre par l'entremise de l'OMC; deuxièmement, que les principes, les concepts et objectifs fondamentaux de l'AMI seront utilisés dans le cadre des négociations futures de l'OMC pour libéraliser davantage le commerce, ce qui va profiter aux entreprises au détriment des particuliers; et troisièmement, que les négociations, en partie ou en totalité, vont se dérouler sans que les Canadiens soient suffisamment informés ou consultés.

Selon nous, les mêmes inquiétudes que nous avions énoncées dans nos documents au sujet de l'AMI, et les mêmes valeurs et principes que nous avions évoqués au cours des audiences précédentes, s'appliquent aux prochaines négociations sur le commerce mondial. Les principes et les valeurs qui devraient prévaloir dans les accords sur le commerce et l'investissement sont: premièrement, les principes de la démocratie dans la prise de décisions et l'obligation du gouvernement de rendre des comptes à ses citoyens, ce qui signifie la consultation et la participation des citoyens; deuxièmement, la responsabilité collective de l'ensemble de la population, tant nationale qu'internationale; troisièmement, le droit de tout pays souverain de décider de son avenir; quatrièmement, des accords internationaux qui protègent les droits de la personne, les normes du travail et l'environnement; et cinquièmement, une réglementation efficace du commerce et de l'investissement international, par exemple grâce à la mise en oeuvre de la taxe Tobin.

J'ai énuméré les activités auxquelles nous aimerions avoir l'assurance que le Canada ne participera pas, mais je ne vais pas vous les lire toutes.

Notre organisation s'inquiète également des ramifications qu'un accord international aurait sur tous les aspects de l'agriculture dans notre province et au Canada. La sécurité alimentaire des Canadiens et des habitants des pays en développement nous préoccupe tout particulièrement. Même si les exportations agricoles ont été multipliées par 5,5 depuis 1975, le revenu agricole net a diminué de 25 p. 100, et nous traversons en fait une crise agricole.

Nous avons observé une augmentation considérable des échanges, mais elle n'a profité qu'aux grandes entreprises, et non pas aux agriculteurs dont les revenus dépendent de la ferme familiale. Un nombre réduit d'acteurs, à savoir des grandes entreprises, contrôlent la production alimentaire, et davantage de personnes sont chassées de leurs terres, tant au Canada que dans les pays en développement. Cela entraîne le dépeuplement des régions rurales et toute une gamme de problèmes sociaux liés au déplacement de la population.

Nous nous préoccupons de l'importance accrue du génie génétique, de ses répercussions sur l'agriculture, et de son contrôle à l'échelle mondiale. Pour que les petits agriculteurs puissent continuer d'exploiter des fermes rentables, ils doivent pouvoir compter sur des offices de commercialisation qui contrôlent le prix de leurs produits, car ils ne peuvent continuer de les produire s'ils ne peuvent compter sur un revenu stable.

Nous réclamons que toutes ces craintes soient discutées dans le cadre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce.

Enfin, en résumé, l'Église unie réclame que le Canada privilégie la population et l'environnement au cours des prochaines négociations au lieu de mettre l'accent sur l'expansion des grandes entreprises. Les petites entreprises et les petites fermes sont les bases sur lesquelles notre pays a été construit, et le Canada doit continuer de reconnaître leur contribution et leur importance. Le mieux est parfois l'ennemi du bien.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Est-ce qu'il vous reste suffisamment de temps pour poser des questions?

M. Murray Calder: J'en serai très heureux.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): D'accord.

M. Murray Calder: Au sujet de votre dernier argument portant sur les petites fermes, je suis agriculteur dans mon autre vie. Je suis aussi vice-président du Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Nous avons une exploitation avicole, un secteur assujetti à la gestion de l'offre.

• 1440

Je suis également coprésident de ce que l'on appelle le caucus SM-5, c'est-à-dire les cinq groupes assujettis à la gestion de l'offre. Nous avons formulé une position en prévision des négociations commerciales qui a été acceptée par la Fédération de l'agriculture. Elle est intitulée First Things First. Je me sens très à l'aise face à la position que nous avons adoptée. Nous cherchons à nous assurer que les contingents tarifaires sont protégés, et pourtant nous sommes d'accord pour éliminer les tarifs sur la production.

L'industrie laitière est la seule en ce moment qui reçoit des subventions, d'environ 130 millions de dollars, lesquelles sont à la baisse. L'industrie compense pour cela en ce moment. Les autres secteurs de la gestion de l'offre ne le font pas. Nous sommes dans une situation très solide pour faire face à l'OMC, et je n'ai aucune crainte. En fait, je vais construire un autre poulailler cette année pour témoigner de la confiance que j'ai dans l'issue des négociations de l'OMC.

Au sujet des autres points que vous avez soulevés, je les ai déjà entendus. En fait, c'est notamment pour cela que je me suis lancé en politique et que j'ai quitté ma ferme. Je me dis encore que je suis d'abord agriculteur, et ensuite politicien.

M. Merv Harrison: Puis-je vous demander si l'initiative dont vous parlez va permettre de stopper la chute continue du prix des denrées? Il semble que le Canada respecte ses engagements de ne pas subventionner l'agriculture alors que les autres pays versent de fortes subventions.

M. Murray Calder: La chute du prix des denrées—et je peux même citer un document du gouvernement...

Une des règles que nous envisageons, c'est que la faiblesse des prix mettrait un terme aux faibles prix. Je veux dire par là que vous ne pouvez pas produire à perte un bien pendant de longues périodes sans que la banque vous saisisse. Nous savons que ce n'est pas vrai, et je peux vous donner un exemple, que j'ai donné ce matin. La Communauté économique européenne dispose d'une clause que les négociateurs qualifient de report, et les États-Unis, grâce à leur loi FAIR, ont versé des fonds à leurs agriculteurs. L'Union européenne verse 1,4 milliard de dollars pour subventionner les exportations de blé, et les États-Unis disposent de 444 millions de dollars, tandis que le Canada ne verse rien.

Nous avons respecté les règles...

Une voix: Je sais.

M. Murray Calder: ... et ils ont essentiellement débattu des règles. C'est l'un des arguments que j'ai invoqués le mois dernier, lorsque nous étions à Washington.

Lorsque nous avons comparu devant la Commission du commerce international, et que nous avons commencé à parler des tarifs et de leur élimination, de règles du jeu équitables, très rapidement la discussion a tourné en une série de «oui, mais».

M. Merv Harrison: C'est fondamental, non?

M. Murray Calder: Oui, effectivement.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Votre temps est malheureusement épuisé. Je suis désolée.

M. Penson a une question.

M. Charlie Penson: Elle porte à peu près sur le même sujet.

Monsieur Harrison, vous avez suggéré que nous fassions une pause avant de poursuivre les négociations, et je crois que vous avez cité l'exemple des problèmes auxquels sont confrontés les agriculteurs de la Saskatchewan.

Monsieur Harrison, vous savez sûrement qu'au cours de la ronde de l'Uruguay des négociations du GATT, l'agriculture a été assujettie aux règles commerciales pour la première fois, mais nous n'avons pu faire qu'un premier pas modeste pour graduellement éliminer les subventions et les tarifs dans le monde en vertu de cet accord. Il s'agit approximativement de 15 p. 100 pendant les six premières années.

Reconnaissant qu'ils ne pouvaient pas agir plus rapidement, ils ont décidé d'instituer une deuxième ronde de négociations sur l'agriculture, qui devrait commencer en l'an 2000. La plupart des producteurs de céréales, d'oléagineux et de boeuf que nous avons rencontrés veulent que nous cherchions à obtenir des réductions additionnelles des subventions et des tarifs au cours de ces négociations afin d'améliorer leur situation.

Essentiellement voici comment cela se passe. Les agriculteurs voient qu'il y a des tas de subventions qui sont envoyées ici et là, particulièrement en Europe et aux États-Unis, et nous sommes les premiers à en souffrir sur le plan des prix. L'Union européenne a subventionné ses agriculteurs à la hauteur de 70 milliards de dollars l'an dernier. En gros, cela signifie que nous ne pouvons pas pénétrer leur marché pour le moment. Mais ce qui est pire, ces subventions ont créé une surproduction, avec ensuite du dumping sur les marchés des pays tiers à des prix très bas. Cela évidemment fait chuter les prix des denrées de nos agriculteurs canadiens.

Voilà pourquoi ces agriculteurs viennent nous demander de poursuivre, en allant au-delà du pur secteur agricole. Beaucoup d'entre eux viennent nous demander d'élargir les négociations, d'avoir une série du millénaire pour négocier bien d'autres choses pour qu'ils puissent obtenir les conditions qu'ils demandent.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Une question, monsieur Penson?

• 1445

M. Charlie Penson: Non. J'étais en train...

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Est-ce que je peux rappeler à mes collègues que nous sommes ici pour écouter? Évidemment il serait agréable de pouvoir débattre et discuter plus longuement, mais nous devons d'abord écouter.

M. Charlie Penson: C'est un rappel au Règlement. Je crois qu'il est également important d'engager la discussion, ce qui permettra à tout le monde de comprendre certaines inexactitudes qui se glissent dans le discours. Et si cela peut ensuite être débattu...

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Oui, cependant, nous avons...

M. Charlie Penson: Il est important, également, d'engager le dialogue.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Oui mais notre programme est très chargé, et il faut pouvoir entendre tout le monde.

Monsieur Petry.

M. Roger Petry (Synode de la Saskatchewan, Église évangélique luthérienne du Canada): Merci beaucoup. Je suis ici pour représenter le Synode de la Saskatchewan de l'Église évangélique luthérienne du Canada.

Au mois d'avril 1998, le Synode de la Saskatchewan a adopté deux motions: la première, exprimant l'opposition résolue du Synode de la Saskatchewan de l'EELC à l'Accord multilatéral sur l'investissement tel que proposé; selon la seconde motion, le Synode de la Saskatchewan assemblé a encouragé tous les citoyens concernés à faire pression auprès du gouvernement fédéral pour qu'il organise une série de consultations auprès de la population avant la signature finale de tout accord multilatéral sur l'investissement.

Au vu de cette deuxième résolution, j'aimerais vous féliciter aujourd'hui d'avoir précisément permis que cette consultation de la population ait lieu, et comme cela a déjà été dit, il est essentiel que tout accord international de ce type, qui sera largement approuvé, soit négocié dans la transparence et la franchise. La leçon que nous avons tirée de cette négociation d'un accord multilatéral sur l'investissement nous rappelle Luc 122: «Tout ce qui est caché sera découvert, tout ce qui est secret sera connu», parole de Jésus. Je pense que cela s'applique particulièrement au cas de l'AMI.

La première résolution s'élève contre l'Accord multilatéral sur l'investissement, et je pense que je peux parler au nom de l'Église et dire que dans la mesure où elle s'est fermement opposée à cet accord, elle ne veut pas le voir réapparaître, sous l'égide de l'OMC, dans une version déguisée; on ne voudrait pas non plus que les conditions des négociations au sein de l'OMC finissent par être fixées de façon à aboutir à la signature d'un accord multilatéral sur l'investissement. Je pense que de façon générale les Églises sont prêtes à s'entendre dire que ce n'est pas l'enceinte où cette question doit être discutée, que les Nations Unies sont un organisme plus démocratique, plus ouvert et plus mondialement représentatif à cet égard. La question se pose ensuite de savoir qui a véritablement intérêt à saisir l'OMC de ce débat.

Mais j'aimerais me concentrer aujourd'hui sur un aspect particulier de cette question qui vous a également intéressés jusqu'ici, et qui concerne la portée générale, le contenu et la procédure de ces nouvelles négociations au sein de l'OMC. Du point de vue de l'Église, la question clé, à mon avis, est celle de la responsabilité des êtres humains, et plus particulièrement leur capacité d'être responsables des décisions qui sont prises, particulièrement dans le domaine économique, et d'être comptables de leurs actes. Par ailleurs—et l'Église luthérienne a fait connaître sa position dans ce document—nous aimerions que la collectivité humaine privilégie le développement durable, de façon à ne pas mettre en péril ce qui est l'oeuvre de Dieu et en même temps ce qui pourra assurer la survie des générations de demain.

Dans ces négociations qui concernent l'OMC, on entend souvent parler de volonté d'aboutir à un accord purement économique qui serait sans ambiguïté. Or, on semble vouloir discuter de questions économiques à l'exclusion de toute autre question tout à fait légitime telle que le domaine social ou environnemental. On aboutit alors à la mise en place de mécanismes qui, à long terme, nuisent à la capacité des États souverains de jouer le rôle de défenseurs légitimes de l'intérêt général.

Si les décisions de l'Organisation mondiale du commerce finissent par l'emporter sur celles des États souverains, celle-ci devra alors inclure les domaines social et environnemental dans son processus de décision. Dans le cas contraire, l'Organisation mondiale du commerce serait finalement complice, et même instigatrice, de mesures de ces États-nations qui seraient illégales. Illégales parce quÂen contradiction avec les conventions nationales et internationales ratifiées par ces États-nations, en contradiction avec le droit international, et parfois même avec les constitutions mêmes de ces États qui ne peuvent pas tolérer que les droits et privilèges des citoyens soient supprimés au profit d'organismes internationaux. Cet aspect de la question me paraît très important.

Il arrive par ailleurs fréquemment que les États-nations se voient reprocher une politique protectionniste lorsqu'ils ne font que défendre de façon raisonnable leurs domaines de responsabilité. Je dirais que l'Organisation mondiale du commerce aurait l'obligation, avant tout, de prouver qu'il s'agit effectivement de politiques protectionnistes; deuxièmement, que le gouvernement responsable de cette politique a bel et bien des intentions protectionnistes; enfin, l'OMC devrait prévoir une clause de dérogation, la clause du bon samaritain, permettant aux États- nations une certaine marge d'expérimentation chaque fois qu'il est question de protéger certaines ressources, afin que ces États ne soient pas pénalisés au cas où la suite des événements permettrait de prouver que les nouvelles mesures sont effectivement protectionnistes.

• 1450

Si certains continuent à s'en tenir à la version du tout économique, je pense que les chrétiens que nous sommes doivent se reporter à la tradition des prophètes, qui refusent d'abandonner les pauvres et les marginaux. Nous ne pouvons absolument pas tolérer que des intérêts puissants puissent manipuler le marché de façon coercitive.

Mais une question intéressante qui se pose est celle de savoir pourquoi bon nombre de questions économiques ne sont pas négociées au sein de ces différentes organisations mondiales du commerce.

Il y a tout d'abord la question traditionnelle de la lutte contre les pratiques monopolistiques à l'intérieur d'un marché livré aux intérêts privés. À notre avis, les sociétés multinationales doivent être surveillées, et le monde doit se doter d'une législation antitrust appliquée de façon générale à toutes les pratiques monopolistiques.

Deuxièmement, si certains prétendent qu'il s'agit purement de questions d'intérêt économique, nous devons alors permettre aux individus en qualité de consommateurs, et aux nations également, d'exercer pleinement leurs responsabilités de contrôle des produits et services consommés. Que les consommateurs et gouvernements soient capables d'exercer ces responsabilités de façon raisonnable dépendra de l'information qu'ils obtiendront des grandes sociétés: il faut savoir où elles sont présentes, et dans quelles conditions elles fonctionnent. C'est-à-dire que les États et les consommateurs devront pouvoir exiger qu'un organisme mondial du commerce en soit informé, ce qui devra permettre en même temps aux gouvernements et aux consommateurs de pouvoir pleinement évaluer le coût économique réel des biens et services et prendre leurs décisions en connaissance de cause.

De plus, l'Organisation mondiale du commerce devrait prêter assistance aux organismes de consommateurs qui demandent que l'on légifère à l'échelle mondiale sur la question de l'étiquetage et des diverses normes imposées, et ne pas tolérer que les grandes sociétés cherchent à contourner ces normes.

Troisièmement, l'Organisation mondiale du commerce devrait appuyer les revendications et les droits des actionnaires des fonds de pension qui cherchent à exercer un droit de regard sur la question des ressources de leurs entreprises.

Quatrièmement—et cela a déjà été évoqué devant vous par d'autres témoins—se pose toute la question de la spéculation sur les marchés des devises, des produits de base et autres actions et obligations. Cela pose finalement la question du délit d'initié. Il s'agit effectivement d'une activité illégale où certains jouent des volumes importants de denrées qu'ils achètent et vendent pour pouvoir faire monter ou baisser les prix. Ils utilisent certaines informations privilégiées dont ils disposent, et il s'agit bien d'une activité illégale qui devrait donner lieu à des mesures coercitives de la part de l'OMC.

Cinquièmement, les consommateurs ont le droit d'organiser d'autres formes d'activités économiques. Nous n'encourageons pas la monoculture planétaire, contrairement à la tendance actuelle des industries. En fin de compte, si la planète doit être viable, de la même façon qu'il nous faut la biodiversité, il faut aussi une diversité de régimes économiques sous forme de coopératives et d'initiatives communautaires de développement économique, et l'Organisation mondiale du commerce ne devrait pas les interdire.

L'Organisation mondiale du commerce devrait se charger de contrôler les activités des entreprises afin d'assurer le respect de la législation nationale en matière de fiscalité et des sanctions prévues en cas de fraude fiscale. Les grandes sociétés ont recours à des moyens électroniques pour faire de la fraude fiscale, et une organisation mondiale du commerce devrait adopter une loi mondiale pour régler cette question.

L'Organisation mondiale du commerce ne devrait pas garantir les droits des investisseurs. En fin de compte, il incombe à l'État-nation de déterminer quelle est la valeur relative du droit de propriété par rapport à d'autres droits sociaux, économiques et environnementaux. Dans la mesure où l'AMI cherchait à garantir les bénéfices des sociétés et permettait à celles-ci de poursuivre les gouvernements pour perte de bénéfices, on créait des incitatifs à effet pervers. Le marché privé ne garantit des bénéfices à personne, et en fin de compte ce genre de mesure reviendrait à encourager de mauvaises décisions et de mauvais calculs de la part des sociétés.

La dernière question que je voudrais aborder, c'est toute la question de la responsabilité démocratique des États-nations et des organismes internationaux. Si l'Organisation mondiale du commerce doit jouer le rôle qui est envisagé, elle devra faire l'objet d'un contrôle de la part des Nations Unies et de ses agences afin d'assurer le respect du droit international, y compris les différentes ententes et conventions.

De plus, toutes les délibérations de l'Organisation mondiale du commerce et de ses membres devraient être enregistrées et facilement accessibles à tout citoyen. Les sociétés et les lobbyistes privés ne devraient pas être reçus par l'organisation, puisque c'est justement leurs activités que celle-ci cherche à réglementer, et l'Organisation mondiale du commerce est responsable envers les citoyens et non pas envers les entreprises.

Je vous remercie.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Y a-t-il des questions?

• 1455

M. Murray Calder: J'ai déjà posé la question ce matin, Roger, m ais puisque vous l'avez abordée, je vais la répéter. Nous parlons ici de lois et de normes internationales qui vont porter sur les subventions, la santé, la culture, l'environnement, la main- d'oeuvre et toutes sortes de choses. Comment élaborer cet ensemble de mesures?

Il y a des gros pays, des petits pays et des pays en voie de développement et ils participent tous maintenant à ces négociations. Comme je l'ai déjà dit, nous avons établi les règles préliminaires lors des négociations de 1993, et il faudra maintenant les affiner. Comment envisager ce processus? Vous parlez ici de droit international qui n'existe pas maintenant; alors comment faisons-nous pour l'établir?

M. Roger Petry: D'abord il faut rassembler les ententes internationales déjà signées. Il existe beaucoup de conventions des Nations Unies déjà adoptées qui devraient servir à établir les paramètres de ce débat. On ne peut pas partir du principe que le processus a commencé en 1993. Il faut remonter à la situation postérieure à la Deuxième Guerre mondiale afin d'établir les paramètres de ce débat. Il nous faut un mécanisme formel qui prévoit que les Nations Unies et les agences internationales chargées de surveiller ces questions seront impliquées dans le processus, et toute discussion concernant la façon de faire le commerce international devrait se faire à l'intérieur de ces paramètres.

Il nous faut aussi reconnaître que les États-nations ont des responsabilités en matière d'intendance. S'ils exercent ces responsabilités et qu'on peut le démontrer, même si c'est par des mesures protectionnistes, j'estime que les lois en matière de commerce international être subordonnées à ces autres responsabilités des gouvernements nationaux.

Alors, lorsqu'on examine les lois en matière de commerce international, il faut les évaluer par rapport à d'autres lois pour déterminer si elles créent des incitatifs pervers au niveau du gouvernement national et de ses responsabilités de bonne réglementation pour le bien de la population.

Nous devons examiner l'état du droit de la même façon que nous examinons l'état du droit de la propriété, ce qui était l'intérêt principal de l'AMI. Cet accord donnait une importance primordiale au droit de propriété. Dans l'histoire politique de l'Ouest depuis trois siècles le droit de propriété constitue une question épineuse, et tous les autres droits impliquent souvent la redistribution de la richesse. Ce sera une question cruciale au cours du prochain demi-siècle.

Les États-nations seront peut-être obligés d'imposer des niveaux d'imposition assez élevés. Ils vont peut-être devoir faire des expropriation afin de régler des problèmes de propriété. Cela pourrait devenir un problème. Il s'agit de savoir si le droit international permettra à un gouvernement de prendre ces mesures de bonne foi. Je pense que c'est là que se situe le véritable débat.

M. Murray Calder: Puis-je poser une brève question?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Très brève; nous avons du retard.

M. Murray Calder: Donc, si on arrive à créer ce droit international et que les normes en matière de santé sont moins élevées que celles que nous avons ici—et j'estime que nos normes sont plutôt élevées—devrons-nous nous soumettre aux normes internationales en tant que membres de l'OMC, ou est-ce que notre propre régime devrait rester intact? C'est des questions que nous devrons élucider au fur et à mesure.

Quelle est votre perception de la situation?

M. Roger Petry: Si le gouvernement canadien décide d'adhérer à ces accords, je ne pense pas qu'il ait le droit de renoncer aux droits et privilèges des citoyens qui sont consacrés par notre Constitution. Cela dit, si le gouvernement du Canada finit par accepter ces paramètres, je suppose qu'il pourrait aussi avoir un droit de retrait, pourvu que cela se fasse par déclaration officielle.

Je ne pense pas que ce soit une mauvaise idée d'établir des normes planétaires dans le domaine du commerce ou dans d'autres domaines, pourvu qu'elles répondent aux intérêts de la population plutôt qu'aux intérêts des riches. Malheureusement, c'est ce dernier objectif qui a surtout motivé beaucoup de ces négociations.

Dans mon mémoire, je fais remarquer toutes les autres questions économiques qui ne font pas l'objet de négociations précisément parce qu'elles cherchent à protéger les citoyens ordinaires contre les pratiques monopolistiques des sociétés multinationales. Pourquoi ces questions, comme le délit d'initié, les pratiques monopolistiques et la fraude fiscale, ne sont-elles pas visées par un accord économique mondial? À mon avis, c'est la question qu'il faut poser.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je vous remercie, Roger.

Monsieur Haynes.

M. Tony Haynes (Bureau de justice sociale, Diocèse catholique de Saskatoon): Mon évêque, Mgr James Weisgerber, Diocèse catholique de Saskatoon, qui dépasse les limites de la ville, aurait voulu comparaître cet après-midi pour faire un exposé, comme il l'a fait pour l'étude de l'AMI en novembre. Malheureusement, ayant été prévenu un peu tard de votre venue, il regrette d'être dans l'impossibilité d'assister à cette réunion. Personnellement, je regrette aussi de devoir vous parler seulement à titre de porte- parole de l'évêque plutôt qu'au nom de la Commission des affaires sociales de la Conférence des évêques catholiques du Canada.

• 1500

Néanmoins, en tant que directeur de l'action sociale du diocèse, j'ai l'intention de vous parler cet après-midi non pas en tant qu'expert de l'économie internationale ou du droit commercial, mais pour vous faire part de la réflexion catholique sur les questions sociales. Étant donné leur importance, les sujets dont nous parlons aujourd'hui ne peuvent pas être limités aux experts seulement, car leur incidence sur nous tous est très grande. Nous sommes tous des experts quand il s'agit de parler du genre d'avenir économique que nous cherchons à construire pour le prochain millénaire.

À vrai dire, la question du commerce international et des traités sur l'investissement est un débat sur les valeurs, en particulier le culte actuel des valeurs du libre marché que sont la concurrence et la croissance économique illimitée. Celles-ci sont accompagnées d'irresponsabilité écologique et de l'exclusion croissante des pauvres. Ne devrions-nous pas nous concentrer plutôt sur les valeurs humaines, communautaires et même spirituelles que nos sociétés surdéveloppées ont malheureusement mises en veilleuse?

Il serait peut-être opportun de vous expliquer pourquoi nous demandons qu'on s'arrête et qu'on réexamine les enjeux d'un monde régi par des métapuissances apatrides, qui exercent leur activité par le biais de l'Organisation mondiale du commerce et de la Zone de libre-échange des Amériques. C'est parce que certains principes l'emportent sur n'importe quel facteur économique. Je vais vous les définir et les expliquer, et je vais vous sensibiliser aux répercussions ou aux désastres qui se sont produits depuis la toute récente création de l'Organisation mondiale du commerce. Ces principes sont l'intérêt commun, la participation des citoyens, la protection des pauvres, les droits des travailleurs et la subsidiarité.

Que connaît l'Église de l'économie? Nous ne nous y connaissons peut-être pas beaucoup en théories économiques, mais nous en connaissons plus ce qu'il faut sur la réalité économique du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui et l'extrême souffrance d'une bonne partie de la population mondiale.

Nous jetons le blâme sur les gouvernements qui permettent aux multinationales de définir elles-mêmes les règles du commerce international. À notre avis, l'OMC essaie de réussir là où l'OCDE a échoué. Je vais m'inspirer du mémoire que mon évêque a présenté à l'Enquête sur l'AMI tenue ici en novembre dernier. De plus, je vais vous parler de l'expérience qu'a récemment vécue l'Union européenne dans sa lutte contre les États-Unis concernant les bananes venant des Antilles.

D'abord, pour ce qui est de l'intérêt commun, les enseignements catholiques énumèrent bien des principes pour aider à conscientiser les gens et à mettre au point une action sociale appropriée. Un des principes directeurs est l'intérêt commun. Ce principe a été très bien illustré dans un document rédigé par notre Commission épiscopale, qui disait que l'objectif principal des systèmes et structures économiques ne doit pas être la prolifération des produits, ni les profits ou la domination, mais plutôt l'amélioration de la vie des gens.

Conséquemment, les ressources et les biens de la terre doivent être exploités pour servir le bien public. Ce principe devrait guider tous les systèmes politiques et économiques. Tous les autres droits, y compris le droit de propriété et la libéralisation du commerce, doivent être subordonnés à ce principe.

De même, les Évêques canadiens ont parlé haut et fort au Canada et à Rome, à l'occasion des synodes internationaux des Évêques, de la domination économique croissante des sociétés transnationales. Si l'OMC devait adopter le programme de l'AMI, dont l'objectif est aujourd'hui connu de tous, et que d'aucuns ont baptisé la Charte des droits et libertés pour les sociétés transnationales, et d'autres la Charte des droits pour les propriétaires absents, cela donnerait davantage de pouvoir aux monstres économiques de notre ère.

Les citoyens peuvent ne pas avoir l'occasion de porter plainte contre des sociétés. Mais d'un autre côté, l'OMC a déjà obligé des gouvernements à compenser en permanence une partie lésée. Qu'attendons-nous de l'OMC à l'avenir—quelle défende aux pays de restreindre les transactions impliquant de l'argent, des investissements ou des profits illicites?

• 1505

Qui va bénéficier des modifications aux ententes de l'OMC et de l'élargissement de la ZLEA? La réponse semble être que ce seront les multinationales énormes basées dans l'hémisphère Nord, apatrides, qui ont fait pression pour avoir un accès libre aux marchés.

Ayant écouté les membres de l'Église catholique et d'après les principes de l'intérêt commun, nous avons conclu que ni les être humains, ni l'environnement, ne bénéficieront d'un tel système. Des études indépendantes sur la société, sur l'environnement et les sexes n'ont pas démontré que l'OMC a aidé les groupes désavantagés au Canada et dans travers le monde.

Deuxièmement, quant à la participation du public, j'espère que cette tournée pancanadienne du sous-comité sera un pas vers l'élimination des négociations en coulisse utilisées lors de l'introduction proposée de l'AMI et la mise en place de la transparence.

Selon les enseignements catholiques, la société civile et les gouvernements à travers le monde doivent avoir plus de pouvoir pour contrer l'influence économique des grandes multinationales. Ces géants, qui sont souvent de mèche avec des gouvernements dociles, contrôlent déjà la rapidité des flux financiers et comme l'OCDE a rejeté l'AMI, ils cherchent à augmenter leur pouvoir corporatif par le truchement de l'OMC.

Troisièmement, quant à une option préférentielle pour les pauvres, bien des Canadiens ont l'impression qu'ils n'ont jamais eu l'occasion de comprendre l'impact du libre-échange et du projet de ZLEA. Mais pensez à la situation dans les pays du Sud. Bon nombre de ces pays n'ont pas les moyens d'envoyer un seul avocat pour les représenter à l'OMC. Il est inacceptable de voir que certains chefs d'État continuent à croire qu'ils peuvent, et même devraient, négocier une entente à offrir ou à imposer aux pays en voie de développement. Si certains pays ont moins de pouvoir au départ, pour être plus juste, il faudrait négocier des ententes asymétriques, donnant ainsi plus de chances à ces économies qui sont plus petites et moins fortes d'évoluer comme bon leur semble.

Quant aux droits des travailleurs, la lettre encyclique de 1891 du pape Léon XIII Rerum Novarum a été traduite en anglais et stipule De la condition des classes laborieuses. Ce document n'a pas seulement lancé et guidé l'enseignement catholique au cours des 70 premières années, mais il demeure un grand thème aujourd'hui.

Lorsque le pape Jean-Paul II a visité le Canada en 1984, par exemple, il a repris une déclaration très connue des évêques du Canada qui est toujours d'actualité:

    Les besoins des pauvres ont la priorité sur les désirs des riches; les droits des travailleurs sont plus importants que la maximisation des profits; la participation des groupes laissés pour compte a préséance sur le système qui les exclut.

Si nous étions d'accord pour dire que «le principe d'ordre moral voulant que le travail et non pas le capital reçoive la priorité dans le développement d'une économie fondée sur la justice», nous serions en mesure de protéger la valeur du travail humain. Plus précisément, les normes de travail de base seraient respectées et appliquées uniformément. Le mandat de l'OMC ne doit annuler ni les conventions internationales sur les droits fondamentaux de la personne ni les conventions de l'Organisation internationale du travail.

Enfin, quant à la notion de subsidiarité, elle reste valable aujourd'hui et elle est à la base de l'enseignement catholique. Selon ce principe, les décisions devraient être prises au niveau le plus près des gens qu'elles toucheront. Au sujet de l'AMI, la Commission des affaires sociales des évêques catholiques du Canada a dit en mars de l'année dernière:

    Lorsqu'on dit aux individus qu'ils doivent se prendre davantage en charge au même moment où on transfère les responsabilités financières vers les paliers de gouvernement inférieurs, n'est-il pas paradoxal de voir que le Canada prévoit signer une entente qui accorde une plus grande liberté aux grandes entreprises et qui sape le pouvoir politique?

Comment les gouvernements peuvent-ils prétendre représenter la population? Enlever le pouvoir décisionnel des représentants élus pour le donner aux administrateurs, et pour aller encore plus loin, aux actionnaires, n'améliorera pas la démocratie et ne coïncide surtout pas avec la notion de subsidiarité.

Permettez-moi de conclure en parlant d'une décision récente de l'OMC sur les bananes des Antilles. Cette décision de l'OMC est le résultat de dix ans de tracas qui ont précédé la naissance de l'OMC. D'un côté, il y a les États-Unis qui protègent les intérêts économiques de leurs multinationales en Amérique latine, bien que le gouvernement américain ait employé ses tactiques habituelles qui consistent à demander à un autre pays qu'il mène par le bout du nez—le Guatemala—de formuler la plainte. De l'autre côté, il y a l'Union européenne, où certains pays membres évaluent leurs responsabilités envers leurs anciennes colonies des Antilles. Lorsque les États-Unis ont menacé d'imposer des sanctions sur certaines exportations européennes, les autres pays membres de l'Union européenne ont senti le besoin de protéger leurs producteurs innocents.

• 1510

Notez que contrairement à son mandat, l'OMC était prête à permettre aux États-Unis d'appliquer aux produits européens des tarifs protecteurs de l'ordre de 200 millions de dollars. De plus, l'OMC a imposé une amende de près de 170 millions de dollars à de l'Union européenne. La façon dont l'OMC est arrivée à cette décision était confidentielle, quoique les documents sont maintenant du domaine public.

Vous direz que cela ne concerne pas le Canada. J'estime que le titre même, l'Organisation mondiale du commerce, nous indique que oui. Les exportateurs de bananes de l'Amérique latine sont des multinationales nord-américaines dont les intérêts sont financiers. La Banque mondiale et le FMI agissent en fonction d'un programme d'ajustement structurel qui, comme bien des gens ont pu le constater, ne fait pas grand-chose pour éliminer la pauvreté chez les travailleurs et leurs familles en Amérique latine. Plus précisément, on est en train de nier ce qui va arriver aux habitants des Antilles qui exportent principalement des bananes. Qu'est-ce qu'ils ont comme récoltes de remplacement?

Ils auront le même choix que les producteurs de café en Amérique latine lorsque les multinationales du Nord ont commencé à manipuler et à faire baisser le prix du café. Le choix est clair: c'est la cocaïne, qui fait partie intégrante de la culture des drogues et de l'économie cachée des États-Unis. Donc, en permettant à quelques-uns de réaliser des profits au sein d'une économie de libre marché, les gouvernements en paient le prix en luttant contre cette malédiction qui afflige non seulement les pauvres, non pas une seule personne ou un seul foyer, mais la société en général aux États-Unis et ailleurs.

Avant de passer à des recommandations, je vais citer un éditorial publié récemment dans un journal britannique.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je suis désolée, je vous prie de passer tout de suite aux recommandations, car votre temps est écoulé.

M. Tony Haynes: Je m'en excuse.

Je voudrais faire deux recommandations précises: d'abord, commencer par agir après avoir écouté ceux qui disent qu'on pourra mieux protéger les droits de la personne et le bien-être en limitant les pouvoirs de l'OMC au lieu de les élargir. Il faut faire pareil dans le cas des grands intérêts commerciaux, c'est-à- dire les multinationales dont l'objectif de réaliser des profits pour soi-disant satisfaire les actionnaires est à la base de tout le chômage et de l'appauvrissement dans le monde. Deuxièmement, il faut réaffirmer le pouvoir des gouvernements de surveiller et de garantir les droits des travailleurs et de leurs familles, ce que seule permettra la transparence.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci beaucoup à tout le monde d'avoir... Je suis désolée, nous n'avons vraiment pas... Je me sens coupable maintenant. Celui ou celle qui représente l'église que je fréquentais quand j'étais plus jeune a fait du bon travail sur la culpabilité.

Oui, allez-y monsieur Axworthy.

M. Chris Axworthy: Il est intéressant... Eh bien, je ne poserais pas de question si je ne pensais pas que les commentaires étaient intéressants. Il me semble que la plupart des chefs d'État dans le monde, y compris le nôtre, sont membres d'une religion représentée ici aujourd'hui ou d'une autre tradition religieuse.

De toute évidence, notre premier ministre est catholique. Comment peut-on expliquer qu'à l'instar du président Clinton, des premiers ministres et des présidents du monde, il ne se conforme pas...

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): C'est un argument valable.

M. Chris Axworthy: ... aux principes que vous énoncez? Vos arguments ont été formulés au fil du temps. C'est un grand défi pour nous, n'est-ce pas? S'ils ne réagissent pas à cela, comment peut-on s'attendre à ce que la population y réagisse?

M. Merv Harrison: À mon avis, ces chefs, tout comme le public en général, ont souscrit à cette fausse philosophie voulant que c'est l'économie de libre marché qui est suprême et non pas notre Dieu que nous vénérions par le passé.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Pour ceux qui disent que seuls les Catholiques ressentent la culpabilité, je dois leur signaler que l'Église unie a fait du bon travail à ce sujet aussi.

M. Murray Calder: Voyons. Essayez la tradition presbytérienne.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nos prochains témoins sont les suivants: William Adamson, Don Irvine, Jan Norris, David Greenfield, Sasha Kvakic et Michelle Beveridge.

• 1515

Veuillez limiter votre présentation à 10 minutes. J'aimerais vous signaler que si vous devez la raccourcir un peu, le texte intégral paraîtra dans le procès-verbal. J'essaierai de vous donner un préavis de deux minutes, pour ne pas devoir vous interrompre. Je vous demanderais seulement de lever les yeux de temps en temps quand vous êtes essoufflés.

Nous allons commencer avec M. Adamson.

M. William R. Adamson (témoignage à titre personnel): Bonjour.

Il serait à l'avantage du Canada d'élaborer d'une façon coopérative un cadre et une série de procédures et de lignes directrices pour un commerce juste et équitable avec d'autres pays. Cependant, il va falloir que ces lignes directrices soient d'un type et d'une qualité spéciale.

D'abord, il va falloir énoncer que nos valeurs fondamentales constituent la pierre de touche des négociations: la prise de décisions démocratique et la responsabilité du gouvernement envers ses citoyens, qui ont été évoquées à plusieurs reprises aujourd'hui, je crois; la citoyenneté sociale et la responsabilité collective pour tous nos concitoyens; le besoin de conserver et de protéger l'environnement; la subordination des sociétés privées et des droits de propriété au bien commun; et la capacité de profiter convenablement de notre travail et de nos investissements.

Les ententes négociées doivent se conformer à la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies, en plus du Pacte international relatif au droits économiques, sociaux et culturels, et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Il est utile de se rappeler la nature du capital. Le capital international est le fruit du travail des générations actuelles et passées. Il comporte aussi une dimension écologique, étant donné que les ressources naturelles extraites de la terre pour l'énergie et la production constituent une partie de notre patrimoine commun sur cette planète. C'est de cette façon qu'on obtient la valeur sociale emmagasinée du capital. Cette valeur sociale comporte des obligations et des responsabilités.

Certaines idéologies et certains mythes trompeurs et illusoires planent sur notre culture et ils doivent être contestés et rejetés.

Il ne convient pas de classer les gens simplement comme consommateurs ou investisseurs. Cela porte atteinte à leur capacité en tant que citoyens d'entretenir des rapports démocratiques et de se préoccuper de leurs voisins et de leurs collectivités.

Un autre mythe veut que l'influence et le développement du marché donneront une orientation à nos rapports communautaires. Le marché se préoccupe d'abord des profits, et se fiche complètement des personnes. En tant qu'êtres humains, il nous faut un plus large sens de la citoyenneté et de la responsabilité.

Il existe un troisième mythe selon lequel la culture et les services humains sont simplement des biens à acheter ou à vendre comme s'il s'agissait d'objets matériels. Cela est dégradant pour la communauté humaine.

Un quatrième mythe considère la mondialisation économique comme une force naturelle qui balaie la planète, qui est inéluctable et à laquelle il faut simplement s'ajuster, comme l'a dit notre premier ministre. Le village planétaire existe depuis 1860, lorsqu'on a posé le câble transatlantique. Nos ordinateurs modernes communiquent vite, mais nous pouvons contrôler les messages envoyés et les politiques et les valeurs véhiculées. Nous pouvons aussi suivre des transactions et des transferts financiers d'une nouvelle façon, et cela nous donne donc une façon de les contrôler.

Pour ce qui est de la stabilité financière, pendant l'effondrement des marchés, le dollar canadien a été la proie d'investisseurs spéculatifs qui l'ont attaqué pour en réduire la valeur à un taux record. Le gouvernement fédéral était impuissant et immobile devant l'assaut. L'investissement spéculatif a remplacé l'investissement productif comme force motrice de l'économie globale. Pendant cette crise de la première moitié de 1998, il y a eu 81 prises de contrôle de sociétés canadiennes, dont 69 par des acheteurs américains.

Notre gouvernement fédéral doit travailler rapidement, de concert avec d'autres nations, pour mettre en oeuvre la taxe Tobin sur les transactions financières, surtout à travers les frontières nationales. Il doit aussi obliger les investisseurs étrangers à déposer une partie de leur investissement à la Banque du Canada ou dans des banques régionales pour assurer leur responsabilité dans les collectivités où ils font affaires et ralentir les activités des spéculateurs sans scrupule.

On prend souvent l'ALENA comme point de référence pour les négociations commerciales. Cependant, cette pratique comporte des problèmes. L'article 809 de son prédécesseur, l'ALE, oblige le Canada à continuer d'exporter des ressources naturelles en général, et l'article 904 stipule qu'il faut, en particulier, exporter des ressources pétrolières et que, en périodes de pénuries nationales, les États-Unis doivent recevoir 60 p. 100 et le Canada 40 p. 100 du pétrole canadien. Cela est intolérable.

• 1520

Le chapitre 3 de l'ALENA crée l'obligation pour le Canada d'exporter l'eau comme un bien commercial en vertu des règlements de cet accord.

La disposition concernant le traitement national pour les investisseurs étrangers est intolérable. Les dispositions du chapitre 11 de l'ALENA permettent aux investisseurs étrangers de poursuivre le gouvernement canadien pour une perte de bénéfices ou pour une perte de bénéfices éventuels. Les investisseurs canadiens n'ont pas accès à une telle compensation.

Certains cas récents et embarrassants font ressortir le caractère fallacieux de ces règlements: le MMT, ajouté à l'essence, qui a été évoqué à plusieurs reprises; S.D. Myers et les rejets de BPC; Lockheed et l'aéroport Pearson; les sociétés américaines de tabac et les lois proposées, la controverse concernant les magazines à double tirage, et la société Sun Belt Water. Ces choses sont intolérables.

Le gouvernement fédéral a déjà cédé une trop grande partie de notre souveraineté. Il donne trop de pouvoir et trop d'avantage aux investisseurs étrangers et il a renoncé à s'occuper du bien-être de ses citoyens. Il est maintenant impuissant et sans ressource devant les assauts de sociétés transnationales.

Le gouvernement fédéral doit avoir le courage de renégocier ces règlements offensants de l'ALENA. Si les négociations ne réussissent pas, alors il lui faudra donner un préavis de six mois et abroger l'accord. Il vaudrait mieux solutionner ces problèmes gênants qui nous rendent vulnérables avant de commencer à négocier un accord sur la zone de libre-échange des Amériques.

Dans tout accord sur la ZLEA il va falloir souligner les droits fondamentaux des citoyens et de leurs entreprises et de leurs gouvernements locaux, et pas seulement ceux des sociétés ou des investisseurs. Il va falloir inclure une souplesse qui permette de tenir compte de la taille, de la situation, des ressources et du pouvoir des différentes nations. Les gouvernements nationaux auront besoin de souplesse pour utiliser les outils de la politique. Il ne faut pas que cela devienne une grande grille imposée à toutes les nations, sans égard à leur situation. Il faut tenir compte de la brute dans le groupe, à cause de sa taille, de sa richesse et de son pouvoir, qui veut toujours avoir gain de cause et obtenir le meilleur avantage, par exemple, le bois d'oeuvre, le blé dur, les produits laitiers, la culture, les hormones de croissance bovine, les bananes et l'exportation de l'eau.

Il faut revoir d'urgence l'OMC. À l'heure actuelle, il s'agit d'un monstre autocratique qui existe surtout pour protéger les investisseurs transnationaux, sans se préoccuper du bien commun des peuples et des gouvernements des États-nations. Il est inapproprié que l'OMC organise des tribunaux de trois à cinq spécialistes commerciaux pour régler les différends entre nations. Ces comités d'arbitrage se tiennent en secret, il n'y a aucune participation des citoyens ou des groupes concernés, les membres ne sont pas des représentants élus ou responsables, la décision du comité est finale, il n'y a pas de procédure d'appel, et il n'y a pas de renvoi aux politiques des gouvernements nationaux. Cette procédure arbitraire et dictatoriale va tout à fait à l'encontre de l'héritage démocratique, judiciaire et parlementaire du monde occidental. Il faut qu'elle soit amenée à se conformer aux procédures démocratiques et aux valeurs sociales.

Il paraît que l'OMC réduit tout à des biens ou marchandises. Elle ne tient aucunement compte des facteurs tels que la culture, les services, la propriété intellectuelle, la santé, l'éducation, et ces éléments clés de la société civilisée. Elle a toujours nié les préoccupations environnementales pour augmenter le commerce.

Pour ce qui est de l'AMI, les dirigeants politiques prônent maintenant un dialogue avec la société civile. Reste à voir si ce sera une véritable recherche de nouvelles approches ou de règlements axés sur les citoyens, ou s'il s'agira d'un exercice pour bien paraître ou pour faire de la propagande. Chaque fois qu'on évoque des éléments nuisibles de l'AMI proposé, soit sous une nouvelle forme ou en de nouveaux endroits, il faut les identifier et les rejeter.

Les citoyens du Canada sont maintenant au courant des questions liées aux négociations commerciales, et sont mieux informés et mieux organisés. Si nos chefs de gouvernement n'arrivent pas à élaborer de nouvelles approches et de nouvelles prémisses, et se contentent de restituer les intérêts acquis et duplicités des sociétés transnationales, nous en paierons le prix fort.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Irvine.

• 1525

M. Don Irvine (témoignage à titre personnel): Madame la présidente et membres du Comité permanent, et ceux qui sont à cette table et ceux qui sont derrière moi, d'abord permettez-moi de féliciter le gouvernement canadien de cette initiative opportune qui vise à tenir compte des opinions du grand public pour la libéralisation du commerce international et des politiques d'investissement dans les Amériques et à travers le monde.

Depuis que je suis d'âge à m'occuper de ces choses-là, j'ai toujours adopté une perspective mondiale et testé les obstacles indus au mouvement international des produits ou des personnes. C'est donc avec fierté et satisfaction que j'ai vu le Canada jouer un rôle de leader dans les premières négociations du GATT et à l'OCDE. Pour moi, cette dernière initiative, cette consultation de la société civile qui nous réunit ici aujourd'hui, sera pour longtemps une source de satisfaction, non seulement pour moi mais pour tous les Canadiens.

Je suis toxicologue de profession et j'enseigne surtout l'analyse des avantages et des risques et les autres moyens de faire l'analyse critique de problèmes. Ce matin, on a mentionné les ratios d'avantages-risques, entre autres, et j'y reviendrai dans un instant.

Je m'intéresse également beaucoup à l'histoire, comme je le mentionne dans mon mémoire écrit. Je signale brièvement que le GATT est bien sûr l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques. Les accords généraux et la coopération sont des principes fort louables. J'ai toutefois l'impression que nous nous sommes un peu fourvoyés ou que ces principes ont pris une grave tangente car il semble que nous soyons maintenant engagés dans la concurrence mondiale aux dépens de la coopération; on ne saurait dire que des accords comme l'AMI soient fondés sur la coopération ou qu'ils soient conformes aux intérêts des citoyens moyens.

J'ai donc quelques préoccupations dont j'aimerais vous faire part. Je vais examiner ces nouvelles propositions sous l'angle de l'analyse avantages-risques—ce qui ne vous étonnera pas. Cela se trouve à la page 3, pour ceux d'entre vous qui ont des exemplaires de mon mémoire.

Lorsque nous prenons des décisions, nous essayons toujours d'équilibrer les risques et les avantages. Dans les études environnementales et dans de nombreux aspects de la toxicologie, l'examen de cet équilibre est un processus formel et des méthodes ont été mises au point pour rendre l'analyse avantages-risques systématique, scientifique, méthodique, claire et facile à comprendre pour le commun des mortels. Cette méthode consiste en grande partie à poser des questions précises et à y répondre. Même si ces démarches ont été élaborées dans le cadre de l'analyse environnementale, entre autres, j'estime qu'elles s'appliquent tout aussi bien aux propositions semblables à celles dont nous discutons aujourd'hui.

Dans toute nouvelle entreprise, quelle qu'elle soit, comment les risques se comparent-ils aux avantages? Quels sont les avantages? Quels sont les risques? À qui vont les avantages? Qui assume les risques? Quelle est la distribution géographique et socio-économique des bénéficiaires? Quelle est la distribution géographique et socio-économique de ceux qui assument les risques? Quand les avantages sont-ils retirés? Quand les risques se manifestent-ils? Pourquoi devrait-on réaliser cette entreprise? Pourquoi devrait-on encourir les risques? Voilà donc la liste des questions que l'on se pose habituellement.

Il y a également un autre groupe de questions qu'il faut habituellement se poser dans une analyse générale des avantages et des risques: Quels seront les effets secondaires? Le projet pose-t-il des dangers pour l'environnement? Est-il conforme au principe du développement durable? En quoi maintient-il ou améliore-t-il le bien-être de la population? Les avantages et les risques ont-ils été évalués de façon complète, sous tous les angles? A-t-on utilisé des moyens efficaces et objectifs pour consulter toutes les personnes qui pourraient être touchées par le projet et pour prendre en compte leur opinion? Le processus de décision est-il transparent, accessible et dirigé démocratiquement? Existe-t-il un dialogue complet et constant entre les planificateurs et les négociateurs, d'une part, et le grand public et les organisations à but non lucratif et non gouvernementales, d'autre part? Le degré total de risque est-il acceptable pour le public? La supériorité des avantages sur les risques est-elle convaincante? Le projet vaut-il la peine d'être réalisé compte tenu de ses avantages nets à long terme? Voilà une liste de questions sur les avantages-risques qui s'appliquent également à l'OMC et aux propositions de la ZLEA.

Il faut peut-être souligner que le grand public accepte davantage le risque si ce dernier possède les caractéristiques suivantes: le risque est de nature connue, le risque est parfaitement compris, il est choisi, il présente un avantage clair pour les personnes et leur entourage, il est accepté plutôt qu'imposé, il est expliqué en termes clairs mais non simplistes, sans condescendance et sans avalanche d'informations, en demeurant sensible aux difficultés que la population perçoit et en les respectant.

• 1530

Outre ces questions générales de l'analyse avantages-risques, il serait pertinent d'ajouter les questions suivantes à l'analyse des accords internationaux:

Premièrement, la proposition est-elle compatible avec les accords qui existent déjà dans des domaines non pécuniaires comme la réduction du bioxyde de carbone, la protection de l'environnement et le développement durable?

Le Canada et les autres nations seront-ils encore en mesure d'imposer des sanctions commerciales et financières comme nous l'avons fait dans le cas de l'apartheid, en Afrique du Sud, et pour protester contre les comportements intolérables de certains États, comme la Libye, l'Irak ou la Serbie par exemple? La proposition est-elle conforme à notre caractère national?

Enfin, permettez-moi d'appliquer les méthodes de l'analyse critique au mot d'ordre apparent de la libéralisation des échanges commerciaux, de la politique d'investissement et de la mondialisation économique, en général, soit qu'il faut être plus compétitif à l'échelle mondiale. Que constate-t-on, si l'on observe cette idée au microscope?

Ce que l'on voit d'abord, c'est son caractère vague et ambigu. Qui fera concurrence à qui, sur quoi et dans quels domaines? S'agit-il seulement d'une question d'argent? La deuxième observation, c'est qu'on essaie d'imposer une nouvelle philosophie qui s'écarte constamment de la coopération pour s'orienter vers la concurrence. La troisième observation, c'est qu'il existe une pression parallèle vers une plus grande productivité, pour que chaque travailleur fasse davantage durant le même temps pour un salaire moins élevé. Quatrièmement, on ne met l'accent que sur un seul résultat, l'argent et le profit. Cinquièmement, on y mesure la compétitivité à l'aune du marché international.

Pour réduire les coûts et augmenter les profits de façon spectaculaire, on peut faire produire la marchandise par des enfants, chez eux, dans des pays où le niveau de vie est extrêmement bas, où il n'existe aucune protection efficace de l'environnement et où n'est appliquée aucune norme en matière d'heures de travail, ou de santé et de sécurité au travail. Des pays où existent de telles conditions et qui permettent la robotisation totale de la production seront très compétitifs sur le marché international. En adoptant une politique de libéralisation mondiale du commerce et de l'investissement, le Canada devra suivre leur exemple. Il ne sera plus possible de protéger le Canada contre les exportations de ces pays, non plus que de protéger nos industries contre la concurrence qu'ils exerceront. C'est une course vers la misère. Le Canada veut-il y participer? Le Canadien moyen veut-il se joindre à cette course?

La sixième observation, c'est qu'on engendre un sentiment d'insécurité chez les travailleurs au moyen de mesures visant à réduire les coûts pour garantir la compétitivité mondiale. Parmi ces mesures, il y a des mises à pied massives, des réductions des effectifs, des programmes de travail à domicile, les cubicules, le bureau à la carte, l'automatisation du travail jusqu'au remplacement complet des travailleurs par des guichets robotisés, ainsi que la surveillance électronique de l'efficacité du travail.

La septième observation, dans cette liste, c'est qu'on chante les louanges de la compétitivité pour ses réussites financières et les profits de ses investissements, même si, par définition, la concurrence fait davantage de perdants que de gagnants. Par opposition, la coopération produit surtout, sinon exclusivement, des gagnants.

Les récents efforts pour établir les règles d'une politique de libéralisation hémisphérique ou mondiale du commerce et de l'investissement contenaient certains éléments déplorables:

Le premier est l'abandon d'un ensemble de considérations richement détaillées sur les relations entre les nations, pour satisfaire aux impératifs du profit.

Le second est l'abandon de l'interaction démocratique entre États souverains, au profit de décisions quasi judiciaires axées sur les intérêts financiers de petites minorités.

Le troisième, ce sont des mesures qui ne sont ni demandées par les citoyens ni librement débattues par les parlements, mais qui au contraire nuisent à leurs intérêts et leur répugnent.

Le quatrième, ce sont des écarts profonds entre la position philosophique et stratégique du Canada sur les propositions de politiques de libéralisation internationale du commerce et de l'investissement, d'une part, et l'esprit de bon nombre des accords internationaux signés et ratifiés par le Canada dans d'autres domaines, dont le développement durable, d'autre part.

Ces accords bien acceptés qui visent à protéger l'environnement mondial et qui préconisent la paix et le bien-être public partout au monde vont à l'encontre des objectifs des accords et propositions récents en matière de commerce et d'investissement. Comment allons-nous résoudre ce dilemme? Le Canada et toutes les nations devraient montrer au reste du monde l'exemple de politiques logiques avec elles-mêmes, constantes et intégrées qui tiennent compte des divers aspects de la nation, pas seulement des revenus.

J'ai dix recommandations à proposer. La première porte sur les consultations...

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Vous devrez nous les lire en 30 secondes, car votre temps est écoulé.

M. Don Irvine: Il faudrait poursuivre et accroître les consultations comme celles d'aujourd'hui. Les Canadiens qui appartiennent à des organismes à but non lucratif devraient participer à la planification et aux négociations. Les experts qui participent aux décisions et à la planification ne devraient pas venir seulement du domaine des finances, mais aussi de la sociologie et de l'écologie, de la santé du travail et des études interdisciplinaires. Les politiques d'investissement international ne devraient pas être libéralisées.

• 1535

Je vais m'arrêter là pour vous permettre de poser des questions.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Nous passerons aux questions après avoir entendu tous les exposés, s'il nous reste du temps.

Madame Jan Norris, s'il vous plaît.

Mme Jan Norris (témoignage à titre personnel): Merci de votre invitation.

Voici trois heures que je suis ici, et d'après tout ce que j'ai entendu, personne ne semble vraiment enthousiaste vis-à-vis de l'Organisation mondiale du commerce. Je me demande si c'est la réaction que vous constatez dans tout le pays. Si c'est le cas, je me demande si cette réaction représente la majorité des Canadiens. Dans l'affirmative, je me demande également si l'opinion de la population influencera la politique du gouvernement.

En ma qualité de membre du conseil d'administration de la Saskatchewan Environmental Society et du Sierra Club du Canada et à titre de membre du comité de direction de la New Green Alliance de la Saskatchewan, je vous parlerai surtout des effets du mouvement du libre-échange sur l'environnement. Je tiens également à souligner que les préoccupations environnementales sont intimement liées aux préoccupations sociales et de main-d'oeuvre, et que ces préoccupations doivent être examinées et traitées très prudemment dans tous ces accords.

S'il est un message que je veux transmettre au sujet du GATT, de l'OMC, de l'ALE, de l'ALENA, de la ZLEA, de l'APEC et toutes ces mesures de libéralisation des échanges commerciaux, c'est qu'ils ont été catastrophiques pour l'environnement. Cela n'a rien d'étonnant, si l'on considère qui les négocie et pourquoi ils sont négociés.

Les accords de libre-échange obligent les pays à renoncer à leurs pouvoirs de légiférer en matière de commerce à l'intérieur et à l'extérieur de leurs frontières. Les tribunaux chargés de régler les différends commerciaux constituent un mécanisme d'exécution très rigoureux de ces accords. Un certain nombre de gens en ont déjà parlé. On a abordé un peu aujourd'hui la question de savoir, si je me souviens bien, si ces tribunaux fonctionnent de façon transparente. Même s'il est vrai que le Globe and Mail publie les résultats des examens faits par ces tribunaux, une fois les décisions rendues, il ne s'agit pas d'un processus transparent. Contrairement à un tribunal judiciaire, il n'y a pas de journalistes, le public n'a pas accès aux documents et il n'est pas possible à d'autres citoyens préoccupés d'intervenir. Les décisions sont rendues par quelques experts du commerce qui mettent l'accent sur les éléments très pointus. Ils rendent des décisions arbitraires qui ne se fondent pas nécessairement sur les précédents. Comme l'a dit M. Adamson, il n'existe aucune forme d'appel.

Il existe derrière le mouvement du libre-échange mondial un postulat que personne ne met en doute, et c'est que le commerce est bon, qu'un plus grand commerce est meilleur et que le droit commercial devrait avoir préséance sur tout autre type de droit. Il n'est pas donc étonnant que dans tous les cas, sans exception, lorsqu'une loi de protection de l'environnement était en conflit avec une loi du commerce international, cette dernière l'ait toujours emporté.

Le premier différend porté devant l'Organisation mondiale du commerce était une attaque du Brésil et du Venezuela contre le Clean Air Act des États-Unis. Un tribunal commercial composé de trois membres a délibéré en secret et statué en faveur du Brésil et du Venezuela, ce qui a affaibli la loi des États-Unis, une loi élaborée grâce à un énorme investissement de temps et d'argent et qui aurait amélioré la qualité de l'air dans tout le pays. D'autres décisions ont eu pour effet d'annuler la Marine Mammal Protection Act des États-Unis, qui protégeait les dauphins et les tortues de mer contre les pratiques de pêche à la crevette et au thon.

Le Canada s'est servi, et continue de se servir, des accords de libre-échange pour voir à ce que les autres pays ne puissent interdire l'importation de notre amiante, une substance cancérigène dangereuse. Grâce à nos accords de libre-échange, également, le Canada ne peut plus insister sur le débarquement du poisson capturé dans nos eaux. Auparavant, nous pouvions insister non seulement pour que ce poisson soit débarqué, mais aussi pour qu'il soit transformé et mis en conserve au Canada. Tout cela a été aboli par le GATT, et maintenant, nous ne pouvons même plus insister pour qu'il soit débarqué. Nous ne sommes plus en mesure de bien surveiller les stocks pour en connaître la taille et voir quelles sont les prises. Par conséquent, nous ne sommes plus en mesure de bien gérer cette ressource. Comme tous les Canadiens le savent et comme on l'a mentionné ici à plusieurs reprises, notre gouvernement n'a pas le pouvoir d'interdire l'importation d'un additif à l'essence à moteur qui nuit au fonctionnement des mécanismes de prévention de la pollution des véhicules et qui nuit probablement à la santé de nos enfants.

• 1540

Comment en est-on arrivé là et que pouvons-nous faire pour qu'on accorde à la protection de l'environnement au moins autant d'importance qu'au droit commercial?

J'ai quatre recommandations à faire. La première est de rendre au gouvernement tous les moyens dont il a besoin pour réglementer le commerce et l'investissement dans l'intérêt supérieur de la population et de la planète. Cela inclut les moyens qui lui permettraient de limiter les importations et les exportations. Évidemment, les pays industrialisés se sont justement servis de tels moyens pour bâtir leurs économies. Pendant des centaines d'années, ils ont été en mesure de limiter leurs importations et leurs exportations, et nous voulons maintenant refuser ce droit aux pays en développement au moyen de ces accords commerciaux.

Les pays devraient être en mesure d'adopter toutes les normes nécessaires en matière d'environnement, de main-d'oeuvre, de société ou de culture, même si ces normes peuvent nuire aux profits des entreprises. Les accord de l'Organisation mondiale du commerce, la ZLEA et tous les autres accords commerciaux, doivent reconnaître expressément la préséance des accords multilatéraux en matière d'environnement. Il s'agit d'accords comme le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone, la Convention de Bâle sur le transport des déchets dangereux et la Convention sur le commerce des espèces en danger. Comme on l'a mentionné, ces accords sont en conflit avec les accords commerciaux. Ils limitent expressément le commerce. Il est interdit de faire commerce d'animaux ou de plantes appartenant à des espèces en danger. Il y a là un conflit direct. Ces accords seront sûrement contestés devant l'un de ces tribunaux et il sera intéressant de voir le résultat. Si la tendance actuelle se poursuit, l'environnement sera perdant. Comme je l'ai dit, c'est toujours l'environnement qui perd, à l'unanimité.

La deuxième recommandation est que l'on commence à facturer l'énergie correctement. Ce n'est pas expressément l'une des prérogatives de l'Organisation mondiale du commerce. Mais cette question influe à tel point sur toute l'économie mondiale que je ne puis m'empêcher d'en faire mention. Le marché mondial est alimenté par des combustibles fossiles dont le prix est abaissé artificiellement. Cela n'est pas dû seulement au fait que les gouvernements continuent de subventionner les secteurs du pétrole et du gaz et au fait que l'on ne tient pas compte du coût réel de ces carburants pour que le système puisse survivre. Quand je parle de coût total, j'inclus les coûts de santé que doivent payer les contribuables au titre de maladies respiratoires, de cancers et d'accidents de voiture; les coûts d'infrastructure des aéroports, des ports et des autoroutes, qui sont également payés par les contribuables; les frais de nettoyage des déversements accidentels de pétrole, qui se produisent beaucoup plus fréquemment qu'on ne peut le lire dans les journaux, et les coûts de la dévastation des récoltes, que l'on reconnaît être provoquée par l'ozone des basses couches, c'est-à-dire le smog.

Nous payons tous ces coûts pour aider à abaisser le prix de l'énergie, ce qui profite aux sociétés et alimente l'économie mondiale. Sans tout cela, le système tout entier serait bientôt paralysé—peut-être pas paralysé. Il serait ralenti. Il faudrait donc éliminer toutes les subventions versées aux combustibles fossiles et tenir compte de tous les coûts, y compris ceux des dégâts causés dans l'environnement.

Troisièmement, nous devrions appuyer le biorégionalisme. Le biorégionalisme est un mouvement en pleine croissance qui signifie vivre dans sa propre écosphère. Ce mouvement va directement à l'encontre du mouvement de libre-échange mondial, évidemment. Ce mouvement signifie qu'au lieu de pratiquer la monoculture à vaste échelle sur les terres agricoles—comme les plantations de bananes ou d'ananas des tropiques qui nous permettent d'acheter ces fruits à très bas prix aux dépens des agriculteurs locaux de là-bas—, nous cultiverons nos propres aliments, ou les achèterons des agriculteurs locaux. De cette façon, nous produirions nos propres produits à partir de ressources locales et nous entrerions en relation avec la terre sur laquelle nous vivons. En fin de compte, c'est ce que devront faire un grand nombre de gens si nous voulons préserver les systèmes qui rendent la vie possible sur cette planète. Le paradigme actuel d'une économie mondiale toujours croissante n'est tout simplement pas viable. De plus en plus de gens s'en rendent compte, et c'est pourquoi ce mouvement est en expansion.

Il faudrait interdire tout accord commercial qui nuirait à la capacité d'une collectivité de vivre dans sa propre biorégion, en limitant par exemple la formation de coopératives locales ou en interdisant les pratiques d'approvisionnement local.

• 1545

Ma quatrième et dernière recommandation, c'est que le principe de prudence doit avoir préséance. Les accords commerciaux actuels ne tiennent aucun compte de ce principe. Ce principe veut que l'on puisse prendre les mesures nécessaires si on estime qu'il y a un danger pour l'environnement ou la santé humaine. L'incertitude ne peut servir de prétexte à l'inaction.

À l'heure actuelle, l'Organisation mondiale du commerce oblige l'Union européenne à accepter du boeuf traité aux hormones. Certaines études ont révélé que ce boeuf pourrait être nuisible pour la santé, mais il n'existe pas de preuves scientifiques. Par conséquent, d'après les règles de l'Organisation mondiale du commerce, les Européens doivent accepter ce boeuf même s'ils s'y opposent. Voilà un exemple de non-application du principe de prudence.

Le même problème se pose du côté de la biotechnologie. On ne sait pas quels effets peut avoir la libération dans l'environnement d'organismes dont les gènes ont été manipulés. Nous n'en avons aucune idée. Mais pourtant, des sociétés exhortent l'OMC à empêcher les gouvernements de l'interdire. Il faut protéger le droit des gouvernements d'invoquer le principe de prudence et d'interdire le commerce de produits douteux.

Permettez-moi de faire une parenthèse. On a parlé précédemment d'améliorer l'accès de nos agriculteurs aux marchés de l'Union européenne. Les Européens n'aiment pas beaucoup la biotechnologie. C'est un gros problème chez eux. Ils n'en veulent pas, et nous mettons en danger une vaste partie de notre part de leurs marchés en permettant aux sociétés de biotechnologie de venir répandre leurs produits partout dans les champs et polluer peut-être également nos récoltes non modifiées génétiquement. Cela pourrait nous faire perdre nos marchés en Europe.

Pour conclure, je vais revenir à une vue d'ensemble.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Vous avez 30 secondes.

Mme Jan Norris: Le but de l'Organisation mondiale du commerce, de l'Accord de libre-échange, de la Zone de libre-échange des Amériques et de toutes les autres mesures de libéralisation du commerce est d'accroître le commerce. Pour accroître le commerce, il faut accroître la production, l'emballage, l'expédition et l'élimination des produits, dont bon nombre sont superflus. En augmentant le commerce, on accroît également les émissions de gaz à effet de serre et les changements climatiques. On augmente la pollution et on épuise les ressources de la planète. Cet accroissement du commerce est incompatible avec les principes fondamentaux de l'écologie. Il faudrait prendre toutes les mesures nécessaires pour augmenter l'autosuffisance des gens et leur lien avec la terre au lieu de négocier d'autres accords de libre-échange qui mineront l'écosphère et permettront l'exploitation des plus pauvres de la planète.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Greenfield, s'il vous plaît.

M. David Greenfield (témoignage à titre personnel): Bonjour. Je suis à la fois un militant et un artiste; je suis poète, chanteur et j'écris des chansons. Je vous ai donc présenté deux poèmes: un sonnet intitulé Marcuse's No, et un poème en vers libres intitulé Iron Heel. Je ne vais pas vous les lire, mais si j'ai le temps, j'aimerais vous chanter une petite chanson. Le sujet de mon exposé est généralement dans la même veine que les poèmes que je vous ai présentés.

Je me présente devant vous aujourd'hui pour dire non: non aux soi-disant principes que contenait l'ancien AMI, non à l'enchâssement des principes de l'AMI dans l'OMC, non aux utilisations et activités actuelles de l'OMC, non à la Zone de libre-échange des Amériques, non à l'Accord de libre-échange nord-américain, non au libre-échange Canada-États-Unis et un non fondamental à toute l'orientation du capitalisme au cours des 10 à 20 dernières années.

Dans toute cette discussion, on parle sans cesse de «mondialisation», un terme intéressant puisqu'il semble laisser entendre qu'il s'agit d'un processus naturel et inévitable. Il s'agit de grandir dans le grand village planétaire. Il s'agit d'appartenir à l'ensemble du monde, etc. Deuxièmement, ce terme laisse entendre que les gens qui s'opposent à ce processus sont étroits d'esprit, qu'ils ont l'esprit de clocher, qu'ils sont nationalistes ou même réactionnaires.

• 1550

Je n'utilise pas le terme «mondialisation». Je préfère utiliser le terme «privatisation» qui me paraît plus juste pour décrire ce phénomène dont nous sommes témoins depuis 10 ou 15 ans où un nombre très limité de personnes, environ 250 000 dans le monde entier—ce qui représente 0,004 p. 100 de la population mondiale—possède et contrôle la majorité de la richesse mondiale. Ce groupe relativement petit et ceux qui gravitent autour de lui en cercles concentriques, augmentent leur contrôle et s'emploient à concentrer toujours plus la richesse et le pouvoir. Les élites capitalistes transforment l'espace commun en espace privé et d'ailleurs, comme l'ont dit éloquemment Maude Barlow et Heather-Jane Robertson dans le titre de leur livre paru il y a quelques années, c'est la guerre des classes. Une poignée de privilégiés font la guerre à la population mondiale et à la biosphère. Il ne s'agit pas d'une lutte où s'affrontent un pays et la communauté internationale ou des intérêts locaux et globaux. Il s'agit d'une guerre fondamentale où l'élite dirigeante fait la lutte à nous les exclus et à la biosphère.

Quand je veux décrire le système qu'on nous invite et qu'on nous contraint à adopter, j'utilise l'expression «capitalisme totalitaire». J'utilise le terme «totalitaire» qui est un mot choc. Il évoque l'Allemagne de Hitler ou la Russie de Staline. Mais j'utilise le terme «totalitaire» dans l'acception suivante. Je l'utilise dans le sens où il était utilisé plus tôt au cours de ce siècle où il désignait l'état autoritaire ou l'état militaire—qui existait déjà dans la Russie des tsars ou la Prusse du kaiser—et où les fonctions de l'autorité, dont le maintien de l'ordre, s'exerçaient de façon totalitaire. La possibilité de coexistence d'autres options avait été réprimée, détruite, et la société dans son ensemble était remodelée par la contrainte.

Quand je parle de «capitalisme totalitaire», je veux dire que le pouvoir du capital, lequel existe depuis 100 ou 150 ans environ, devient total de sorte que l'existence de modèles différents, la capacité des institutions et des idées antagonistes aux intérêts de la classe dirigeante sont détruites ou tout à fait marginalisées et, en réalité, les sociétés dans le monde entier sont ainsi remodelées et restructurées du haut vers le bas. Ainsi, l'expression «capitalisme totalitaire» me semble bien choisie et j'ajouterais même que le terme «totalitaire» a une valeur très péjorative et rend la lutte inévitable pour nous.

Je tiens à préciser que je ne suis pas contre le monde ou la planète. De fait, c'est parce que j'aime le monde, parce que j'aime la planète et tous les êtres humains, toutes les créatures, toutes les espèces qui y vivent, et parce que je crois au rêve d'un village planétaire que je m'oppose à tous ces changements dont nous sommes témoins depuis 10 ou 15 ans.

Si nous voulons réellement parler d'un village planétaire et d'une vision mondiale, permettez-moi de proposer quelques options qui tiennent d'une véritable mondialisation progressiste:

D'abord, dotons-nous d'un Parlement mondial élu au suffrage direct qui serait habilité à taxer les sociétés multinationales du monde entier, qui ne pourraient se soustraire au fisc en se réfugiant dans des paradis fiscaux; ensuite, dotons-nous du pouvoir d'exiger que les sociétés multinationales du monde entier versent les billions de dollars d'impôts reportés qu'elles doivent à la population du monde; et enfin, dotons-nous d'un Parlement mondial démocratiquement élu qui aurait le pouvoir d'établir un salaire minimum mondial, des normes environnementales mondiales, etc.; et le pouvoir de sanctionner toute infraction.

• 1555

Nous verrons alors pendant combien de temps encore les multinationales nous serineront la rengaine de la mondialisation et de la pensée globale, quand il s'agira de la mondialisation de la démocratie et du pouvoir populaire.

Soyons bien clairs, en faisant cette suggestion, je ne propose pas que nous mettions tous nos oeufs dans un même panier. Nous devons dans un même temps renforcer nos collectivités locales, nos institutions locales, dont les coopératives et les monnaies locales, et promouvoir pour nos autorités locales et régionales l'autosuffisance et l'autonomie.

Au niveau intermédiaire, au niveau national, les élus nationaux doivent—et je le dis le plus succinctement possible—cesser d'écouter les sociétés et se demander qui ils sont censés représenter: les Canadiens ou les 0,004 p. 100 qui possèdent et contrôlent l'essentiel de la richesse? Ma mission c'est de travailler au niveau communautaire; votre mission c'est de chercher des solutions jusqu'à en perdre le sommeil.

Enfin, j'aimerais citer un économiste dissident, Robert Theobald qui, en 1965—et c'est un paragraphe très court—, disait essentiellement que si nous ne commençons pas dès maintenant à corriger le tir, nous allons très rapidement nous retrouver dans une société qui nous rappellera Le Château de Kafka, Le Meilleur des mondes de Aldous Huxley ou encore 1984 de George Orwell. Voilà ce que disait Robert Theobald en 1965. Nous voici 34 ans plus tard. Je dirais que Le Château de Kafka ou le Meilleur des mondes de Huxley, et j'ajouterais même Iron Heel de Jack London ne relèvent presque plus de la fiction.

J'aimerais maintenant vous chanter une chanson.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Une chanson de deux minutes.

M. David Greenfield: Cette chanson s'intitule «Out With the Powers»:



À bas ceux qui nous écrasent À bas ceux qui nous voudraient dociles


Nous vivons dans un village planétaire pas au royaume du roi Argent
À bas ceux qui nous écrasent.


Vos potentats parcourent le monde à prêcher les dogmes du
capitalisme
En menaçant les réfractaires de marginalisation


Vous ne m'aurez pas, n'y comptez pas, je n'ai pas peur
Je sais que vous rêvez de faire du Nord une grande forteresse


À bas ceux qui nous écrasent
À bas ceux qui nous voudraient dociles.


Votre village planétaire c'est le royaume du roi Argent
À bas ceux qui nous écrasent
À bas ceux qui nous voudraient dociles.


Quand l'entreprise gouverne, on ne voit que forteresses à perte de
vue
La liberté a disparu, les rêves deviennent l'unique ami
C'est une course vers l'abîme, la danse de la mort au rythme des
chiffres
Nous avons vu les présages, il y a de cela combien d'années?
Combien de millions de fois?


À bas ceux qui nous écrasent
À bas ceux qui nous voudraient dociles


Nous voulons vivre dans un village à nous pas au royaume du roi
Argent
À bas ceux qui nous écrasent


Travailleurs du monde entier unissez-vous
Si un jour nous parvenions à faire cause commune
Ils en resteraient pantois


Nous les mettrions bien à leur place tous ces tyrans
Jusqu'à ce que sombrent dans l'oubli ces mots honnis...
capitalisme, impérialisme


À bas ceux qui nous écrasent
À bas ceux qui nous voudraient dociles


Nous refusons le royaume du roi Argent
À bas ceux qui nous écrasent


À bas ceux qui nous voudraient dociles




• 1600





La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci, David. Cela nous aurait fait grand bien vers 13 heures aujourd'hui.

Nous accueillons maintenant Michelle Beveridge d'OXFAM.

Mme Michelle Beveridge (coordonnatrice provinciale, OXFAM Canada): Merci. Bonjour. Je suis un peu secouée en pensant qu'il aurait fallu que je fasse un exposé en vers pour que mon message soit plus créatif.

Je suis coordonnatrice provinciale pour OXFAM Canada. OXFAM est une organisation de développement internationale et a des projets dans plus de 20 pays d'Amérique centrale, des Antilles, de la Corne de l'Afrique et de l'Afrique australe. Nous sommes voués à la répartition équitable de la richesse et du pouvoir par le biais de changements sociaux fondamentaux, et nous nouons des relations de solidarité et de partenariat avec ceux qui travaillent déjà avec la population de ces pays.

Dans nos missions à l'étranger et au Canada, la sécurité alimentaire, le droit de chacun à une saine alimentation, est l'un de nos trois principaux thèmes. Dans le plan d'action du Canada pour la sécurité alimentaire, réaction du Canada au Sommet mondial de l'alimentation, on peut lire que la sécurité alimentaire est assurée lorsque tous les individus ont accès à tout moment et ce, physiquement et économiquement, aux aliments requis pour répondre aux besoins nutritifs qui leur permettront de mener une vie productive et saine.

Ce qui nous préoccupe le plus vivement, comme d'ailleurs ceux avec qui nous travaillons, c'est la réduction de l'accès aux aliments et aux terres et la tendance à la réification des denrées et des terres que subissent les populations du monde entier depuis l'intensification des efforts de libéralisation des échanges.

Depuis cinq ans, l'OMC contribue à accroître la pauvreté et les inégalités pour la majorité de la population mondiale, à des schémas de production et de consommation intenables et au creusement de disparités entre les riches et les pauvres, entre les nations et à l'intérieur des nations.

La libéralisation des échanges comme moyen d'accroître la sécurité alimentaire tient à la croyance que si les pays en développement améliorent la productivité et l'efficience de leur production alimentaire et les autres secteurs de leur économie, ils seront mieux en mesure de commercer et d'être concurrentiels sur les marchés mondiaux.

Dans le plan d'action du Canada pour la sécurité alimentaire, on ajoute que cela contribuerait de façon significative à la sécurité alimentaire à long terme du pays puisque cela permet de surmonter les problèmes liés au protectionnisme agricole et à l'autosuffisance alimentaire au profit d'un développement alimentaire auto-centré. Or, cela suppose qu'il existe sur un marché compétitif mondial une abondance d'aliments accessibles à tous alors qu'une production alimentaire adéquate au niveau mondial n'est nullement pertinente. Sur le marché international préoccupé de libre-échange, on remarque une augmentation de la faim parce que les aliments cultivés localement sont vendus sur le marché et ne servent pas à calmer cette faim.

La théorie de l'offre et de la demande suppose que les aliments sont acheminés vers ceux qui représentent une demande effective, à savoir ceux qui ont l'argent pour acheter ces aliments, tandis que ceux qui représentent une demande réelle, les affamés, en sont privés. C'est une situation particulièrement émouvante quand les producteurs eux-mêmes ne comptent pas parmi ceux qui ont accès aux aliments ou qui ont les moyens de se les payer.

• 1605

Malgré nos exportations records et à la hausse, les agriculteurs canadiens connaissent leurs plus faibles revenus depuis les années 30. Si une famille agricole canadienne ne peut pas gagner sa vie en cultivant 1 000 acres de grains et d'oléagineux en utilisant les techniques les plus perfectionnées, comment feront les agriculteurs thaïs et péruviens pour survivre? Quand nous sommes témoins de famine et de pénurie d'aliments, lorsque nous voyons les sans-abri et les sans-terre, là où il y a instabilité économique et révolution, nous devrions nous demander s'il y a un lien entre ces malheurs et les effets qu'ont nos exportations sur les agriculteurs et les collectivités rurales.

Si les agriculteurs canadiens s'en sortaient gagnants tandis que ceux des autres pays se retrouvaient perdants, alors nous pourrions nous demander si le jeu en vaut la chandelle. Mais comme les agriculteurs canadiens sont eux aussi perdants, la réponse est très claire. Le fait est que les pays exportent des aliments alors que leur propre population reste affamée—800 millions d'habitants dans le monde entier se meurent de faim. La libéralisation des échanges a provoqué un déséquilibre critique où l'on constate que les pénuries et les prix excessifs mènent à la famine, à ce qui est tout compte fait une insécurité alimentaire d'origine anthropique. La véritable sécurité alimentaire pose la question de la propriété des terres, de l'identité des producteurs, des décideurs, de ceux qui pourront manger et la question de savoir si les aliments produits le sont dans des conditions respectueuses de la culture locale. En définitive, il ne peut y avoir de réelle sécurité alimentaire que s'il y a autosuffisance alimentaire au niveau local, national et régional.

Le mouvement en faveur d'un commerce loyal qui propose un autre système d'échanges mondiaux gagne en popularité dans toute l'Europe, aux États-Unis et au Canada au fur et à mesure que les consommateurs deviennent mieux renseignés sur l'origine et le mode de fabrication des produits qu'ils achètent. Une société ou une organisation peut dire que ses produits font l'objet d'un commerce loyal si elle se conforme à une série de principes:

- l'entreprise doit traiter directement avec des coopératives administrées de façon démocratique;

- les coopératives mettent en commun leurs ressources dans l'intérêt de leurs collectivités, construisent des écoles et des centres de soins de santé financés au moyen de l'accroissement de leurs revenus;

- l'entreprise doit acheter ses produits à un juste prix, calculé selon le coût réel de production et le besoin au lieu de chercher à payer le plus bas prix possible;

- l'entreprise doit aussi offrir des crédits abordables aux petits agriculteurs qui ont énormément de mal à obtenir du financement puisque seuls les négociants de taille moyenne leur font crédit moyennant des taux d'intérêt excessifs; et

- l'entreprise doit mettre en place des relations à long terme pour que la coopérative puisse compter sur l'entreprise ou sur l'organisation de commerce loyal pour acheter ses produits à long terme afin qu'elle puisse élaborer des plans d'exploitation à long terme.

Un système de production et de commercialisation d'aliments socialement juste comporte des protections pour l'environnement et le respect des droits de la personne. Ce n'est pas une simple question d'idéalisme mais plutôt une question de droit et d'accords internationaux. L'OMC est la seule à avoir le pouvoir de sanctionner les infractions, de l'emporter sur tout autre accord et de déclarer invalides les lois nationales de protection de l'environnement et des droits sociaux. Ce pouvoir a de profondes répercussions sur les gouvernements internationaux et nationaux et porte atteinte à leur souveraineté. L'OMC fait la promotion du commerce à des fins économiques uniquement et pas pour le bien de l'humanité.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci, Michelle.

Nous recevons maintenant notre dernier témoin, Linda Murphy.

Mme Linda Murphy (Ploughshares, et InterChurch Uranium Committee Educational Cooperative (ICUCEC)): Je comparais aujourd'hui comme porte-parole de Ploughshares Saskatoon et de l'ICUCEC, la InterChurch Uranium Committee Educational Cooperative. Et comme vous êtes pressés d'aller prendre vos taxis, je vais devoir abréger.

D'abord, j'aimerais protester contre le peu de temps qu'on nous accorde, sans possibilité de questions, etc. J'avoue ne pas avoir été ici toute la journée mais les témoins ont eu peu de temps. Je tenais à m'en plaindre.

Je parle à titre personnel quand je dis qu'avant toute autre chose nous devons nous retirer de l'ALENA et de l'Accord de libre- échange. Il faut que le Canada le fasse. J'ai entendu beaucoup parler ici de la taxe Tobin et je ne crois pas que ce soit une solution si nous ne dénonçons pas ces accords commerciaux.

J'allais vous faire une version recyclée du mémoire présenté par Joanna Miller, de Ploughshares Saskatoon, lors des audiences sur l'AMI qui ont eu lieu à Saskatoon en novembre 1998. Bien entendu, les choses ont changé depuis; l'AMI a été rejeté. Je ne le dis pas en blaguant car nous savons tous qu'il n'en est rien, que le projet en mis en veilleuse et qu'il reparaîtra sous un autre nom. Voilà pourquoi chaque fois que Joanna dans son mémoire parle de l'AMI je vais parler d'ATAMI, ce qui signifie «Accord de type AMI».

Dans son mémoire elle parlait des coûts de la militarisation, etc., depuis 50 ans; la plupart d'entre nous savent que les coûts ont été faramineux et je ne vais pas vous ennuyer avec cela. Cela se trouve dans mon mémoire écrit. Le Brookings Institution des États-Unis disait que près de 10 billions de dollars ont été consacrés aux armes nucléaires dont 5,8 billions par les États-Unis à eux seuls.

• 1610

J'aimerais vous livrer cette citation du sénateur Douglas Roche qui dit que les puissances occidentales, parmi lesquelles nous comptons le Canada, poursuivent cette lutte «pour la préservation du mode de vie occidental contre les protestations de plus en plus vives des marginalisés de ce monde...», et nous parlions du conflit qui pendant des années a opposé l'OTAN aux pays du Pacte de Varsovie.

C'est parce que nous connaissons le coût des armes et des combats que nous sommes convaincus de la nécessité de rejeter l'ATAMI. Nous sommes convaincus qu'un ATAMI favoriserait la militarisation des nations augmentant du même coup la pauvreté et la souffrance des populations du monde et la destruction de notre environnement. Ce qui est le plus inquiétant c'est la façon dont un tel accord limiterait le pouvoir des gouvernements de freiner le militarisme.

Le Groupe End the Arms Race de Vancouver a choisi un titre tout à fait approprié pour son étude sur le militarisme et l'ATAMI à savoir Protecting War. Cette étude avance bon nombre des arguments que je vais présenter et j'aimerais remercier les auteurs de cette importante recherche. Si le Canada signe l'ATAMI, il se verra privé de sa capacité d'intervenir dans l'économie au profit des citoyens canadiens. Si le Canada décidait d'intervenir néanmoins, son intervention pourrait être contestée par les États et les investisseurs étrangers et il s'exposerait à des poursuites en dommages-intérêts énormes, comme ce fut le cas avec Ethyl Corporation.

Bien qu'il existe une exception aux règles et aux recours dans le cas de l'ATAMI, cela ne nous rassure guère. L'ATAMI menace la quasi-totalité des initiatives publiques dans l'économie canadienne notamment les soins de santé, l'éducation et la culture, et les actions et les programmes liés à la sécurité nationale sont exclusivement exclus de l'application de l'ATAMI

Parmi ces actions et ces programmes notons les dépenses du gouvernement pour l'armée, la mise au point et la protection des armes et le soutien direct aux fabricants d'armes. Sur ce dossier, les négociateurs des pays membres de l'OCDE sont parfaitement d'accord pour dire que «l'armée doit pouvoir continuer de compter sur le soutien du gouvernement sans ingérence».

Quel sera le résultat de tout cela? Aux termes de l'ATAMI, le pouvoir et l'influence du complexe industriel militaire seront renforcés. Ils auront accès à une part encore plus grande des dépenses publiques, au détriment des besoins économiques et sociaux du peuple canadien. En vertu de l'ATAMI, les programmes publics à finalité sociale, notamment les programmes de développement communautaire, auront tendance à favoriser les projets militaires plutôt que les projets sociaux. Par exemple, s'il s'avérait nécessaire de choisir entre la construction de traversiers pour desservir les collectivités locales et la construction de destroyers pour la marine, ces derniers projets seraient privilégiés de sorte que des secteurs importants de notre économie seraient voués à la production militaire plutôt qu'à la satisfaction des besoins des Canadiens.

Aux termes de l'ATAMI, les gouvernements ne pourront pas réglementer les exportations d'armes, même vers les pays en guerre ou vers les pays qui bafouent les droits de la personne, des régimes comme celui de Pinochet. Cela soulève la question de l'impact de l'ATAMI sur les exportations de mines terrestres. Ce serait une ironie bien tragique si les signataires de l'ATAMI devaient choisir entre l'autorisation des exportations de mines terrestres et l'indemnisation des producteurs pour perte de contrats.

Le Canada exporte déjà pour plus d'un milliard de dollars d'armes chaque année et il est le huitième exportateur d'armes en importance vers les pays en développement. En vertu de l'ATAMI, les exportations d'armes seraient encouragées. En faisant la promotion des exportations d'armes, l'ATAMI inciterait d'autres nations à consacrer une part toujours plus importante de leurs ressources à des fins autres que la satisfaction des besoins intérieurs des pays en développement. Cela favorisera l'augmentation de la pauvreté, la dégradation de l'environnement, la violation des droits de la personne ce qui contribuera à aviver les troubles sociaux et les conflits et, trop souvent, à provoquer la guerre.

Aux termes de l'ATAMI, il ne semble y avoir aucune limite aux protections que peuvent réclamer les sociétés. L'ATAMI renferme des dispositions qui garantissent qu'en temps de guerre, les sociétés étrangères doivent recevoir du gouvernement la même indemnisation que les sociétés nationales. Ainsi, les pays en guerre pourraient être tenus de réserver d'importantes sommes à la protection des investissements étrangers dans leurs pays au détriment de leur propre population. Il n'est pas difficile d'imaginer un tel scénario pour l'avenir: les sociétés qui ont contribué à fomenter et à alimenter la guerre dans certains pays où elles ont des investissements pourraient exiger d'être protégées et indemnisées en cas de dégradation de ces investissements.

Aux termes de l'ATAMI, les projets de R-D bénéficiant d'un financement fédéral seront de plus en plus voués à la recherche militaire; il y aura de moins en moins de R-D dans d'autres secteurs, notamment la santé et l'environnement. Ce détournement de ressources a déjà débuté. L'ATAMI ne fera qu'accélérer la tendance.

• 1615

Il est probable que l'ATAMI permette d'empêcher les gouvernements de faire respecter les embargos sur les armes ou d'imposer des sanctions aux entreprises qui font des affaires avec des régimes qui ne respectent pas les droits de la personne. Les sanctions ont contribué à mettre fin à l'apartheid en Afrique du Sud. Il est possible que ce genre de sanctions ne soient plus autorisées aux termes de l'ATAMI. Les sanctions imposées aux sociétés canadiennes qui font affaire avec des pays comme l'Indonésie pourraient exposer notre gouvernement à des contestations judiciaires.

Ainsi, nous les citoyens d'un pays qui se prétend démocratique serons privés de notre droit d'avoir un gouvernement capable d'exaucer nos souhaits et de répondre à nos besoins. Ce droit sera en grande partie usurpé par les grandes sociétés, dans bien des cas des sociétés transnationales dont les bénéfices vont ailleurs.

Pour toutes ces raisons, nous estimons que l'ATAMI constitue une menace non seulement pour le Canada, réputé être l'un des meilleurs pays au monde où il fait bon vivre, mais aussi à la communauté mondiale. Les défis auxquels nous faisons face sont déjà énormes. Les accords internationaux qui portent atteinte à nos efforts de répondre à ces défis menacent l'avenir de tout le monde.

Voilà donc la fin du mémoire de Joanna mais en tant que porte- parole du ICUC je voudrais soulever quelques questions. Si le gouvernement du Canada était assez malin pour voter en faveur du rapport du CPAICI sur les armes nucléaires, pourrait-il faire l'objet de poursuites pour perte de profit de la part d'une société n'ayant pas le droit de fabriquer des pièces pour ces systèmes d'armement? L'abolition des armes nucléaires risquerait-elle d'échouer parce que les sociétés transnationales sont plus puissantes que les gouvernements?

Si un gouvernement du Canada était assez intelligent pour décider de ne pas accepter des déchets nucléaires d'autres pays, cette décision pourrait-elle être annulée grâce à l'ATAMI?

Si un gouvernement du Canada était assez intelligent pour refuser l'importation et l'utilisation de carburant MOX, cette décision pourrait-elle être annulée grâce à l'ATAMI?

Si un gouvernement du Canada était assez intelligent pour voter contre la participation à l'OTAN, cette décision pourrait- elle être annulée grâce à l'ATAMI?

Si un gouvernement du Canada était assez malin pour interdire l'utilisation de l'uranium épuisé, qui est véritablement une arme nucléaire à cause de sa radioactivité à long terme, cette décision pourrait-elle être annulée grâce à l'ATAMI?

La Saskatchewan a déjà les mains sanglantes comme fournisseur d'uranium pour les armes utilisant l'uranium épuisé qui ont servi en Irak et en Yougoslavie. Le rapport du groupe mixte fédéral- provincial sur l'extraction de l'uranium dans le nord de la Saskatchewan publié en février 1997 fait remarquer que:

    il n'existe aucun processus permettant de séparer l'uranium canadien d'uranium acheté ailleurs. La politique de la fongibilité ne permet donc pas d'assurer à la population que l'uranium canadien ne servira pas à la fabrication d'armes».

Si un gouvernement du Canada ou une province était assez intelligent pour mettre fin à l'extraction minière de l'uranium, cette décision les exposera-t-elle à d'éventuelles sanctions? Autrement dit, notre souveraineté pourrait-elle disparaître à cause de l'ATAMI?

Je vous remercie.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je vous remercie.

Vous vous êtes plainte de ne pas avoir pu faire deux exposés différents. Aujourd'hui nous avons entendu 30 mémoires et au cours de la semaine dernière 150 exposés, alors le temps nous a manqué. Je suis désolée que nous n'ayons pas pu vous permettre de faire les deux exposés mais il y en a sans doute bien d'autres qui auraient voulu faire de même.

Je vous présente mes excuses à cause de ce manque de temps.

Mme Linda Murphy: Je suppose que c'est parce que vous essayez de nous faire économiser de l'argent, n'est-ce pas? N'aurait-il été possible d'avoir deux jours de séance? Je pose simplement cette question.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Eh bien, c'est notre cinquième jour de séance et il nous en reste encore cinq. En fin de compte, je pense que nous aurons consacré 20 jours à cette étude. Nous aurions probablement pu consacrer une semaine à nos audiences ici et deux ou trois semaines à nos réunions en Colombie- Britannique, compte tenu du nombre de personnes qui voulaient participer.

Il existe un site Web et vous avez aussi votre député. Il a été question de démocratie et je suppose que votre député a été élu de façon démocratique, que le résultat vous ait plu ou non. Il existe donc bien des façons de faire connaître votre opinion. Mais le temps impose des contraintes et nous sommes désolés si vous estimez que vous n'avez pas eu la possibilité de vous faire pleinement entendre.

Voilà qui met fin à nos audiences dans l'Ouest du Canada.

Les exposés ont tous été très intéressants. Nous sommes ici pour vous écouter et c'est ce que nous avons fait. Je pense que tout le monde a insisté beaucoup sur la nécessité de la transparence. Nous allons tenir compte de tous vos mémoires dans nos délibérations.

Je vous remercie d'être venus.

La séance est levée.