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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 24 mars 1999

• 0902

[Français]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.): Chers collègues, je propose que, contrairement à notre habitude, nous commencions à l'heure prévue, mais auparavant, j'aimerais vous faire part de quelque chose.

Nous avons eu ce matin, quelques-uns d'entre nous, un petit déjeuner avec les représentants de l'Association canadienne des industries de l'environnement. Il y a un trade show ici, à Montréal, aujourd'hui et demain. Si cela vous convient, je vous propose que nous ajournions demain vers 11 h 30 ou 11 h 45, que nous allions voir l'exposition et que nous revenions ici pour l'après-midi. M. Bachand, Mme Folco, M. Patry et moi-même nous y intéressons.

[Traduction]

Monsieur Obhrai, je ne sais pas si la chose vous intéresse, mais nous avons pris le petit déjeuner ce matin avec des gens de la foire commerciale. Il me semble que cette foire serait intéressante et je propose donc que nous nous y rendions demain entre 11 h 45 et 13 h 30.

[Français]

Nous avons même des laissez-passer.

C'est toujours pour nous un privilège de recevoir notre ancien collègue Warren Allmand, qui va nous parler ce matin du rapport entre les droits de la personne et le commerce international.

Monsieur Allmand.

[Traduction]

M. Warren Allmand (président, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): Merci beaucoup, monsieur le président et merci à vous, membres du comité. J'aimerais tout d'abord vous remercier de l'occasion qui nous est donnée de nous adresser à vous sur cette question fort importante.

Je suis accompagné ce matin par Diana Bronson, la coordonnatrice du programme en matière de mondialisation et de droits de la personne. Il y a également Carole Samdup, qui se joindra à nous sous peu. Elle agit comme coordonnatrice adjointe du programme. Je suis aussi accompagné par Craig Forcese, professeur de droit à l'Université d'Ottawa et anciennement associé au CLIHR ou Canadian Lawyers for International Human Rights. Il a beaucoup travaillé aux aspects déontologiques du commerce et même écrit des ouvrages sur cette question. Il nous a également aidés dans la rédaction de notre mémoire. Je tiens d'ailleurs à dire que les trois personnes qui m'accompagnent ont toutes participé à la rédaction du mémoire et qu'elles travaillent toutes sur ces questions depuis un certain temps.

• 0905

Le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique a été créé, comme vous le savez, par une loi du Parlement en 1988, à la suite d'une recommandation unanime de votre comité. Notre mandat consiste à défendre et à promouvoir tous les droits énoncés dans la Déclaration internationale des droits de l'homme, qui comprend le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Par conséquent, notre mandat consiste à défendre les droits économiques et sociaux, et non pas simplement les droits de la personne et les droits politiques.

À cause de ce mandat, notre centre s'oppose depuis le tout début aux accords et arrangements commerciaux qui ont entraîné la suppression, la marginalisation ou l'élimination des droits de la personne. Nous ne nous opposons pas au commerce mondial, mais nous estimons que, tout comme le commerce intérieur, il doit être assujetti à des normes en matière de droits de la personne. Pour ce qui est du commerce international, ces normes sont énoncées dans des traités internationaux et elles ont été ratifiées par le Canada et bon nombre d'autres pays.

Si les échanges commerciaux mondiaux ne sont pas assujettis aux limites énoncées dans les traités visant les droits de la personne, les niveaux d'imposition ainsi que les programmes sociaux et économiques auront tendance à être réduits à leur plus simple expression. Il en résultera un écart croissant entre riches et pauvres, les riches devenant toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres, tout cela en dépit de la croissance du produit intérieur brut. On sait même que, pour le Canada et bon nombre de pays occidentaux, le produit intérieur brut est à la hausse mais que, en raison de la mondialisation du commerce, la répartition de la richesse devient, selon nous, de plus en plus inéquitable.

Au Canada, toutes les lois, y compris les lois commerciales, sont assujetties à la Charte des droits et libertés. La Charte l'emporte sur des lois fédérales ou provinciales qui régissent le commerce au Canada comme la Loi sur les banques, les lois sur les valeurs mobilières, les lois sur la vente de biens, les lois visant les ententes contractuelles, la Loi sur la marine marchande du Canada, la Loi sur les lettres de change, etc. Autrement dit, toutes les lois commerciales du pays sont assujetties à la Charte des droits et libertés. Pourquoi donc ne pas assujettir les traités commerciaux internationaux à la Charte des Nations Unies, à la Déclaration universelle des droits de l'homme, et au pacte dont j'ai parlé? Selon nous, il devrait en être ainsi.

Permettez-moi de citer brièvement un extrait de l'énoncé de politique étrangère de 1995 intitulé Le Canada dans le monde, aux pages 39 et 40:

    Les droits de la personne ont été et restent un secteur d'intérêt et d'action prioritaire pour les Canadiens. Le gouvernement considère le respect des droits de la personne non seulement comme une valeur fondamentale, mais aussi comme un élément crucial dans le développement de sociétés stables, démocratiques et prospères, vivant en paix les unes avec les autres.

Puis, à la page suivante, on dit:

    [...] nous utiliserons efficacement toute l'influence que nous confèrent nos relations économiques et commerciales et notre aide au développement pour promouvoir le respect des droits de la personne.

Telle est la politique du Canada. Je suis cependant d'avis que, jusqu'à maintenant, le Canada n'a pas donné suite à cet énoncé de politique étrangère en matière de commerce international et le moment est venu, je crois, de corriger un tel état de fait. Il ne s'agit pas de choisir entre les droits de la personne et le commerce, mais plutôt de rechercher la complémentarité entre ces deux aspects.

Nous avons distribué aujourd'hui un mémoire très complet qui est le fruit de longues recherches et qui étaye avec force détails nos arguments et les recommandations connexes. Je ne lirai pas le mémoire puisqu'il est trop long et détaillé et que nous n'avons pas suffisamment de temps. Je ne vais qu'en donner certaines des grandes lignes. Succinctement donc, nous soutenons que la Charte de l'ONU et le droit international en matière de droits de la personne l'emportent sur tous les accords commerciaux internationaux, y compris l'OMC et qu'un tel état de fait devrait être reconnu dans le cadre d'une OMC repensée.

Je tiens également à nouveau à féliciter le comité permanent de tenir les présentes audiences, et plus particulièrement d'avoir intégré à son mandat les questions relatives à la participation de la société civile, aux droits de la personne et aux droits des travailleurs.

• 0910

Il n'y a pas si longtemps, ces questions étaient totalement étrangères du commerce, et ne pouvaient être débattues que par des représentants choisis du milieu des affaires derrière des portes closes et avec des conseillers techniques. Et si les droits humains ne figurent pas encore au premier plan ni au centre des négociations commerciales, ils y ont indéniablement acquis droit de cité aujourd'hui. Il est donc de notre responsabilité, et en particulier il vous incombe à vous, en tant que législateurs, de faire en sorte que les nouvelles règles qui sont mises en place soient compatibles avec les normes internationales existantes en matière de droits humains.

Même si les échanges commerciaux se sont multipliés par douze depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pauvres continuent de s'appauvrir et les riches de s'enrichir. Selon le NPUD, le Programme des Nations Unies pour le développement, les 20 p. 100 de la population les plus riches consomment 82,7 p. 100 des biens de la planète. Les 20 p. 100 plus pauvres en consomment 1,4 p. 100. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que plus d'un milliard d'êtres humains vivent dans une pauvreté absolue et abjecte. Alors qu'en 1950, l'écart entre les nations les plus riches et les nations les plus pauvres était de 30:1, en 1980, il atteignait 60:1. C'est donc de droits de la personne qu'il s'agit.

Il est évident que nous pouvons produire plus que jamais auparavant, consommer davantage, multiplier les échanges commerciaux, investir plus et faire circuler encore plus de capitaux autour du globe. Mais si nous ne cherchons pas en même temps à réduire le problème de la faim, à mieux faire respecter la dignité des travailleurs et travailleuses, et à permettre à un plus grand nombre d'être humains de jouir de leurs droits fondamentaux, c'est que nous aurons confondu les moyens et la fin.

Malheureusement, l'OMC intéresse beaucoup de gens qui se préoccupent des dimensions sociales du commerce, et ce pour une raison majeure: c'est parce qu'elle a «des dents». C'est une institution qui est équipée pour imposer des sanctions à ceux qui enfreignent ses règles. Et c'est justement ce qui manque au dispositif international de protection des droits humains: des recours appropriés pour les victimes de violations des droits humains. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels n'est toujours pas assorti d'un protocole facultatif, et trop souvent, ces droits ne sont pas considérés comme aussi importants que les droits civils et politiques, en dépit des engagements formels en faveur du caractère indivisible de tous les droits humains.

Cette nouvelle ronde de négociations nous offre l'occasion unique de renverser la tendance des dix dernières années, à savoir le fait que la mondialisation soit devenue une fin en soi sans qu'on tienne compte des coûts humains. Il nous faut définir exactement ce qu'on entend par un commerce respectueux des droits humains.

Dans notre mémoire, nous formulons une série de recommandations qui proposent un certain nombre de mesures destinées à rendre le droit commercial plus réceptif à la question des droits humains. Notre idée de départ, que nous exposons en première partie, est que le droit relatif aux droits humains a préséance sur tout autre droit international des traités. Nous soutenons que la Déclaration universelle des droits de l'homme est devenue ce que certains pays souhaitaient qu'elle soit en 1948: l'interprétation et la définition universellement acceptées des droits humains que la Charte des Nations Unies n'avait pas définis.

Pour sa part, le gouvernement du Canada estime lui aussi que la Déclaration fait partie du droit coutumier international et qu'elle fournit la base sur laquelle interpréter les obligations relatives aux droits humains énoncées dans la Charte de l'ONU. À cet égard, c'est dans l'article 55 de cette même Charte que l'on retrouve les principales dispositions concernant les droits humains. Aux termes de cet article, les Nations Unies favoriseront le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l'ordre économique et social, ainsi que le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous.

Aux termes de l'article 56, les États membres s'engagent à agir tant conjointement que séparément en coopération avec l'Organisation pour atteindre l'objectif de respecter les droits humains. Nous soutenons ensuite que la Déclaration universelle complète et définit ce qui est prévu dans la Charte en matière de respect des droits humains.

Il ne fait aucun doute que la Charte de l'ONU l'emporte sur les autres accords internationaux. L'article 103 de la Charte stipule qu'en cas de conflit entre les obligations des membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront.

• 0915

Je vais maintenant passer brièvement à nos recommandations, sans lire le reste du mémoire.

Selon notre première recommandation, en cas d'interprétations contradictoires des dispositions de l'Accord OMC/GATT, le gouvernement du Canada doit viser l'adoption de l'interprétation qui reconnaît la primauté du droit international.

Recommandation 2—et ici je présume—le gouvernement canadien, lors de toute nouvelle négociation commerciale, doit reconnaître la primauté de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies, etc.

La troisième recommandation porte que, pour faire en sorte que les codes volontaires relatifs aux droits humains encouragés par le gouvernement canadien ne soient pas soumis aux sanctions de l'OMC, le gouvernement doit défendre le point de vue selon lequel de tels codes ne constituent pas des barrières techniques au commerce.

Recommandation 4: Si, parce que le gouvernement a participé à leur élaboration et leur mise en application, ces codes constituent des normes au sens de l'Accord sur les obstacles techniques au commerce, le gouvernement canadien doit garantir un traitement national en exigeant le respect de ces codes tant au Canada qu'à l'étranger.

Recommandation 6: Le gouvernement canadien devrait privilégier une interprétation de l'Accord sur les marchés publics qui reconnaisse la primauté du droit relatif aux droits humains.

Je passe maintenant directement à la recommandation 9. Que le gouvernement canadien s'oppose à ce que des négociations générales sur les investissements prennent place à l'OMC tant que n'auront pas été instituées des mesures de sauvegarde suffisantes pour assurer la primauté du droit international relatif aux droits humains.

Recommandation 10: Le gouvernement canadien doit appuyer la création d'un groupe de travail conjoint OIT/OMC sur les relations entre commerce et normes internationales des droits humains liées au commerce, sur le modèle du Groupe de travail sur les relations entre commerce et investissement ou celui sur les rapports entre commerce et politiques de concurrence.

Recommandation 11: Le gouvernement canadien doit promouvoir activement l'élaboration d'une clause sociale pour l'OMC.

Recommandation 12: Qu'au minimum le gouvernement canadien s'assure que l'OMC, avant la Conférence de Seattle, accorde le statut d'observateur à l'OIT et aux autres organismes de l'ONU spécialisés dans les droits de la personne, de façon à ce que ces organismes puissent participer à la troisième Conférence ministérielle, y exprimer leurs préoccupations et partager leur expertise.

Recommandation 13: Que les groupes de la société civile aient la possibilité de présenter leurs points de vue, de façon régulière, devant les comités de l'OMC; et que l'OMC prenne des dispositions pour que les ONG aient accès aux débats et aux délégués officiels à la Conférence ministérielle et aux autres réunions de haut niveau.

Et la dernière recommandation, la recommandation 14: Que le gouvernement canadien plaide en faveur de la transparence dans le mode de règlement des différends, qu'il fasse pression en vue de l'ouverture des audiences de règlement des différends et en vue de la création d'un mécanisme permettant aux tiers intéressés de présenter des mémoires. Encore une fois, ici même au Canada, nous n'accepterions jamais que des audiences commerciales concernant des questions d'une telle importance pour les Canadiens et pour tant de personnes un peu partout dans le monde se tiennent à huis clos, à l'abri des regards.

Monsieur le président, en terminant, comme je veux vous laisser le temps de poser vos questions, j'invite les membres du comité à lire le mémoire au complet.

Nous avons aussi préparé une annexe technique. Celle-ci porte sur la primauté des droits de l'homme et du droit international. Dans cette annexe, nous mentionnons bon nombre d'experts qui prennent les positions que j'ai énoncées ce matin, soit que la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l'homme l'emportent sur les traités commerciaux ordinaires et n'importe quel autre genre de traité ordinaire. Je vous recommande fortement de lire cette annexe.

Nous citons aussi des ministres canadiens et d'autres personnes en vue qui reconnaissent la primauté de la Charte et des conventions des Nations Unies.

Il y a donc le mémoire lui-même et l'annexe technique. Je m'excuse du fait que nous ayons terminé l'annexe technique hier seulement et qu'elle ne soit pas dans les deux langues. Nous sommes en train de la réviser et nous la ferons parvenir au comité dans les deux langues officielles avant que vous ne terminiez vos audiences.

En guise de conclusion, je répète simplement que selon toute raison et toute logique, de même que selon les traditions et les lois canadiennes et tout ce que nous faisons au Canada, nous devons appliquer les mêmes principes à l'échelle internationale et nous assurer que les traités internationaux sur les droits de l'homme l'emportent sur les traités commerciaux.

Merci, monsieur le président.

• 0920

Le président: Merci beaucoup, monsieur Allmand, et merci pour votre utile mémoire. Nous aurons l'occasion de le lire plus tard et, bien sûr, nos attachés de recherche pourront s'en servir pour préparer notre rapport. Je suis heureux de voir dans l'annexe technique que les experts se reportent encore à l'affaire de la Barcelona Traction, la première affaire à laquelle j'avais travaillé comme jeune avocat, ce qui va vous donner une idée de mon âge avancé et ce qui prouve aussi que la vie est un éternel recommencement.

Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Réf.): Je vous remercie d'être venu et de nous avoir fait parvenir votre mémoire. Je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire attentivement.

De façon générale, je pense que personne ne niera votre point de vue. Les droits de la personne doivent être respectés et je pense que cette question doit jouer un rôle très important dans toutes les négociations commerciales. D'un autre point de vue, par exemple d'un point de vue économique, on peut considérer que le travail des enfants constitue une espèce de subventionnement, même si cela viole les droits de la personne. Je pense que c'est un point de vue que vous expliquez très bien et je suis d'accord avec vous là-dessus.

Vous affirmez que les droits de la personne doivent l'emporter sur les négociations commerciales et vous dites que l'écart entre le monde développé et les pays en voie de développement dans ce domaine ne fait que se creuser. Pourquoi ne peut-on pas juger que, pour que les pays en voie de développement puissent progresser... Je reviens d'un voyage en Afrique où j'ai constaté qu'il reste beaucoup à faire parce que la société civile n'est pas encore établie et qu'il reste encore bien des lois à adopter... [Note de la rédaction: Inaudible]... Les structures commerciales n'existent pas et les droits de l'homme ne sont pas respectés. Cela va donc prendre un certain temps.

Pourquoi ne peut-on pas procéder graduellement et s'assurer que les droits de la personne fondamentaux sont respectés pendant qu'on investit dans le pays? C'est uniquement lorsqu'on investit dans un pays qu'on peut s'attendre à un relèvement du niveau de vie dans ce pays, surtout pour les pauvres. Les pays d'Afrique en sont un excellent exemple. Les régimes socialistes du passé et leur effondrement ont eu des effets dévastateurs sur l'économie de certains pays. Ces pays ont besoin d'un apport de fonds énorme. Si nous voulons dire à ces pays qu'ils doivent respecter les droits de la personne, j'ai bien l'impression que nous empêcherons en même temps dans une certaine mesure les investissements de se faire dans ces pays tant que ceux-ci ne pourront effectivement les protéger.

Je suis tout à fait d'accord que le Canada doit promouvoir les droits de la personne. Cependant, n'est-il pas préférable de permettre à ces pays de construire lentement leur société civile et leur structure de protection des droits de la personne sans laisser planer une menace sur leur tête?

M. Warren Allmand: Nous soutenons qu'on peut favoriser le commerce et promouvoir les droits de la personne en même temps. En réalité, nous sommes convaincus que, si l'on respecte les droits de la personne, le commerce ne fera que prospérer davantage. Comme je l'ai signalé, au Canada, toutes les lois, toutes les lois commerciales, qu'il s'agisse de la Loi sur les banques ou des lois sur la vente de produits, sur la location, l'embauche ou la Loi sur les lettres de change doivent respecter la Charte. On ne peut pas s'adonner à des activités commerciales au Canada en violant les droits de la personne.

Le secteur commercial a toujours prospéré, si vous jetez un coup d'oeil à l'Europe et aux autres pays où on respecte la loi, lorsqu'on respecte aussi les droits de la personne. Autrement dit, il ne s'agit pas de retenir le commerce et l'investissement pour empêcher ces pays de se développer. Selon nous, c'est très bien de favoriser le commerce et l'investissement, mais il faut en même temps respecter les droits de la personne, tout comme nous le faisons au Canada.

Je vais demander à Craig et à Diana de dire un mot là-dessus. Avez-vous quelque chose à ajouter, Craig? Diana?

Mme Diana Bronson (coordonnatrice du Programme de mondialisation et droits de la personne, Centre international pour les droits de la personne et le développement démocratique): Je pense que vous avez à peu près tout dit, mais le fait est qu'il existe des règles internationales relatives aux droits de la personne et d'autres qui régissent le commerce international. Nous voudrions que ces règles soient compatibles plutôt que contradictoires.

M. Deepak Obhrai: Monsieur le président.

Le président: Très bien, allez-y.

M. Deepak Obhrai: Je suis d'accord. Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites et je pense que ce serait très bien si les choses étaient ainsi. Si vous pouvez le faire, je conviens que c'est une bonne chose. Nous sommes d'accord là-dessus. Je parle cependant de l'aspect pratique. J'ai moi-même constaté de telles situations. Je veux parler de l'aspect pratique dans les pays qui n'ont pas vraiment encore de systèmes juridiques, de société civile ou d'autres structures semblables. Ces choses doivent être créées. Selon moi, ce que vous dites devrait être notre objectif ultime, mais nous devrions nous attaquer au problème de façon graduelle vu que ces pays sont en train de bâtir ces autres structures en même temps que leur économie. Ils ont grandement besoin de capitaux et, à long terme, cela va aider à protéger les droits de la personne.

• 0925

M. Warren Allmand: Je répète que nous n'avons aucune objection à l'infusion de capitaux ou à l'investissement. Ce que nous réclamons, c'est que, quand on négociera les nouveaux Accords dans le cadre de l'OMC, on reconnaisse que les droits de la personne doivent avoir la primauté.

Nous savons bien que, une fois qu'on établit des normes internationales des droits de la personne dans le domaine du commerce, du travail, et ainsi de suite, il peut être un peu difficile de les faire respecter. Nous croyons cependant qu'il importe tout d'abord de faire ce que nous recommandons, c'est-à- dire de préciser l'application de ces normes directement dans les accords internationaux, soit en y insérant des clauses sociales, soit en y reconnaissant la primauté des lois sur les droits de la personne. Nous savons que ces normes ne seront pas appliquées également. Cela arrive même dans notre propre pays. Nous avons des lois sur les droits de la personne et nous avons aussi la Charte, mais on nous signale régulièrement des violations et des manquements aux normes.

La première chose à faire, c'est de reconnaître officiellement ce que nous jugeons être la situation, même si cela n'a jamais été établi. Selon nous, on pourrait présenter d'excellents arguments de droit pour dire que la Charte et la Déclaration universelle l'emportent sur les accords commerciaux internationaux et sur les autres traités internationaux. Les droits de la personne ont la préséance, mais on ne l'a pas reconnu directement ou explicitement. Nous voulons que ce soit reconnu directement et explicitement et nous savons que l'application de ces normes peut prendre plus de temps dans certains pays. Cela ne veut cependant pas dire que nous ne devons pas reconnaître officiellement que nous devons appliquer ces normes le plus tôt possible.

M. Deepak Obhrai: Merci.

M. Craig Forcese (expert juridique, Centre international pour les droits de la personne et le développement démocratique): Je voudrais ajouter une chose si vous me le permettez. Si j'ai bien compris, vous avez demandé en fait s'il faut un certain développement économique avant qu'on puisse reconnaître et protéger les droits de la personne. À mon avis, la plupart des faits montrent qu'il faut simultanément favoriser le développement économique et reconnaître les droits de la personne. Si l'on se contente de maximiser les gains et la croissance économique grâce aux intégrations commerciales, on n'aboutit pas de façon naturelle, nécessaire et automatique à une amélioration du respect des droits de la personne. L'approche la plus profitable à long terme est une approche plus équilibrée et nuancée qui reconnaît les droits de la personne tout en maximisant la croissance économique.

M. Deepak Obhrai: Oui, et c'est de là que vient le problème. Il faut une approche graduelle parce que les autres pays n'ont pas les ressources voulues pour faire les deux en même temps.

M. Craig Forcese: Nous nous opposons au régime commercial actuel parce qu'il vise uniquement à maximiser la croissance économique et à libéraliser le commerce. Il ne favorise pas une approche équilibrée et nuancée, même si nous estimons que c'est nécessaire pour favoriser une croissance durable. Autrement dit, on ne reconnaît pas maintenant que les droits de l'homme doivent s'améliorer en même temps que l'économie prend de l'expansion.

M. Deepak Obhrai: Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Monsieur Allmand, messieurs et mesdames, bon matin.

Monsieur Allmand, j'aimerais vous poser trois questions. Préférez-vous que je vous les pose l'une après l'autre, ou que je les pose toutes et que vous y répondiez par la suite?

M. Warren Allmand: L'une après l'autre.

M. Benoît Sauvageau: D'accord.

Nous avons signé un accord de libre-échange avec les États-Unis et, plus tard, en 1993, un accord avec le Mexique. Le parti qui a pris le pouvoir par la suite a dit que c'était insuffisant au niveau des clauses environnementales et des clauses sociales. Est-ce que vous considérez que l'accord parallèle au niveau social devrait être le principe de base pour les autres accords de négociation de libre-échange, comme on l'a fait avec le Chili et comme on est en train de le faire dans le cadre de nos négociations avec l'ensemble des Amériques? Est-ce que c'est suffisant? C'est ma première question.

Ma deuxième question porte sur votre troisième recommandation qui renferme une expression qui me chatouille un peu. Vous dites:

    Pour faire en sorte que les codes volontaires relatifs aux droits humains...

Il y a ici une affirmation.

    ...encouragés par le gouvernement canadien ne soient pas soumis aux sanctions de l'OMC...

Nous avons tenté ici, au Comité permanent des affaires étrangères, de soumettre une étude sur les codes volontaires relatifs aux droits humains dans les ententes internationales, mais cela nous a été refusé. On n'a même pas pu discuter de cette question des codes volontaires. Vous savez comment fonctionnent les comités parlementaires. Je suis surpris de voir l'affirmation «encouragés par le gouvernement canadien». Pourriez-vous préciser votre pensée?

• 0930

Vos recommandations 10 et 11 proposent que le gouvernement canadien appuie la création d'un groupe de travail conjoint OIT-OMC. Si je me rappelle bien, à la première réunion ministérielle à Singapour, on avait tenté d'inscrire dans la déclaration ministérielle finale des dispositions en vue de la création d'un tel groupe de travail. Ces efforts ont été vains. Je crois me souvenir que les pays en voie de développement s'y opposaient. Devrions-nous continuer à faire des pressions à cet égard puisque la seule allusion qu'on a réussi à faire dans la déclaration finale, c'est qu'on doit respecter les cinq conditions fondamentales qu'on retrouve à l'OIT? La proposition visant la création d'un comité de travail conjoint avait été rejetée.

Voilà mes trois commentaires.

M. Warren Allmand: Je ne faisais pas partie du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique lors de la signature de l'ALENA, mais je crois que ma collègue Diana Bronson était là à l'époque. Notre centre s'était opposé aux dispositions de l'ALENA parce les droits de la personne n'étaient pas bien protégés. Nous avons adopté la même position face aux traités internationaux portant sur l'investissement et le commerce. Nous croyons qu'ils doivent renfermer des clauses relatives au respect des droits des travailleurs et des droits environnementaux. Je pourrais demander à Diana de vous fournir de plus amples renseignements.

Diana pourrait sans doute aussi répondre à votre question au sujet de notre troisième recommandation, qui porte sur les codes de conduite de l'OMC. Selon les renseignements dont nous disposons, nous devrions exercer de fortes pressions pour qu'on modifie les règles et qu'on puisse faire en sorte que les codes volontaires relatifs aux droits humains ne constituent pas des barrières techniques au commerce ou des objections dans ces traités.

Quant à nos recommandations 10 et 11, nous travaillons pour notre part de façon très étroite avec les syndicats et les groupes sociaux dans les autres pays. Nous sommes certains que le mouvement international des syndicats appuie notre dixième recommandation. Notre recommandation 11 porte sur l'élaboration d'une clause sociale pour l'OMC. Bien que certaines personnes des pays du tiers monde rejettent certaines clauses à cet égard, nous devrions pouvoir élaborer des clauses qui sauront répondre à leurs demandes et correspondre à leurs ambitions.

Je cède maintenant la parole à Diana Bronson

[Traduction]

relativement aux décisions sur l'ALENA.

[Français]

Mme Diana Bronson: Je peux faire de brefs commentaires au sujet de vos trois questions.

Face à l'accord parallèle, au moment des négociations en vue de la signature de l'ALENA, nous avions formulé des recommandations visant la protection des droits humains. Nous considérions que l'accord parallèle était insatisfaisant pour un certain nombre de raisons. Entre autres, les mesures visant à protéger la liberté d'association et le droit de négociation collective étaient très faibles comparativement aux mesures relatives à la santé et à la sécurité au travail qui y figuraient. Nous croyions que l'accord pouvait aller beaucoup plus loin, même si nous étions conscients que cela créerait un précédent dans les traités de commerce international entre les pays développés et les pays en voie de développement, à savoir si ces questions méritaient d'être incluses. Ce n'était quand même pas acquis en 1992-1993. C'était donc important.

Il y a aussi certaines questions importantes par rapport à des procédures qui sont envisagées pour mettre en oeuvre l'accord, dont la transparence et l'accès des groupes de la société civile. On constate que les syndicats canadiens, québécois, américains et mexicains commencent déjà à utiliser cet accord-là, alors qu'il y a quatre ou cinq ans, ils ne trouvaient pas cela intéressant du tout.

• 0935

Quant à votre deuxième question, au sujet des codes de conduite, je crois que vous pourrez y trouver réponse dans le mémoire que nous vous avons présenté.

M. Benoît Sauvageau: À la page 11?

Mme Diana Bronson: Dans toute la discussion finalement.

M. Benoît Sauvageau: D'accord.

Mme Diana Bronson: Une conférence portant sur les codes de conduite a eu lieu il y a quelques semaines. De plus en plus, on voit se développer en Europe et aux États-Unis des négociations où interviennent l'entreprise privée, des groupes de la société civile, des syndicats, des ONG, et, dans certains cas, des gouvernements. Les gouvernements sont plus ou moins impliqués dans des initiatives semblables à l'Ethical Trading Initiative en Angleterre ou encore le White House Task Force to Eliminate Sweatshop Abuses aux États-Unis parce qu'il est clair qu'ils craignent que cela ne contrevienne à leurs obligations dans le cadre de l'OMC. On enlève ainsi un certain nombre de leviers possibles, dont par exemple, au Canada, la Société pour l'expansion des exportations ou l'ACDI. Ce sont des outils dont dispose le gouvernement canadien pour encourager une certaine responsabilité sociale de la part des entreprises. Si on ne peut plus avoir recours à ces outils à cause des règlements de l'OMC, on se trouve privés devant cette mondialisation de moyens un peu plus éthiques.

M. Benoît Sauvageau: Croyez-vous que le gouvernement canadien encourage ces codes volontaires?

Mme Diana Bronson: Les ministres Axworthy et Marchi ont appuyé l'année dernière le code de conduite développé par Occidental Petroleum et d'autres. Ils s'apprêtent à créer un groupe de travail en vue d'étudier la question des sweatshops dans l'industrie du vêtement. De plus, Industrie Canada a publié un document visant à promouvoir les codes de conduite.

Il est vrai que lors des négociations de Singapour, en 1996, on a rejeté la création d'un groupe de travail. C'était la première ronde de négociations où l'on soulevait cette question, et des négociations se poursuivent. L'Indonésie, la Malaisie, Singapour, l'Inde et le Pakistan, dans une moindre mesure, ont manifesté leur opposition. Il existe des raisons légitimes pour lesquelles ces pays-là vont continuer de s'opposer à des propositions du même ordre lors des prochaines négociations. Il n'y a pas de consensus absolu chez les ONG ou les syndicats de ces pays-là. Je crois qu'il faut avoir une position nuancée.

Cependant, la crise asiatique qu'on vient de vivre et la chute du niveau de vie dans les pays comme l'Indonésie ont porté atteinte au dogme de la déréglementation, et on réfléchira de nouveau. De plus, dans ces pays, les syndicalistes appuient de tels principes.

M. Benoît Sauvageau: Merci.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Nous n'avons malheureusement pas eu le temps de lire tout votre mémoire. Cependant, depuis que le comité se penche sur l'OMC, on entend beaucoup parler de primauté du droit X et de primauté du droit Y. À ce jour, on a entendu parler de la primauté des États, de la primauté des droits de l'homme et de la primauté de l'environnement. Vous conviendrez que c'est quand même lourd en termes de primauté, avant même qu'on ait négocié quoi que ce soit.

J'aimerais que vous précisiez votre recommandation 9 selon laquelle le gouvernement canadien devrait s'opposer à des négociations générales sur l'investissement tant que la primauté des droits de l'homme et la primauté des États n'auront pas été respectées.

J'aimerais aussi que vous nous donniez de plus amples renseignements en réponse à la première question qui vous avait été posée aujourd'hui, à savoir ce que fait présentement le Canada au niveau mondial. Vous savez que le Canada transige avec des pays qui sont très déficients au niveau du respect des droits de l'homme et des droits de l'environnement entre autres. Puisque la prochaine ronde de négociations de l'OMC risque de durer de trois à cinq ans, qu'est-ce que le Canada devrait faire en attendant? Est-ce qu'on devrait arrêter de transiger avec ces pays-là ou est-ce qu'on devrait continuer? Est-ce qu'on devrait transiger d'une nouvelle façon? Les nouvelles règles de l'OMC n'entreront pas en vigueur avant trois à cinq ans. Qu'est-ce qu'on devrait faire en attendant?

• 0940

M. Warren Allmand: Comme nous l'avons mentionné à ce comité il y a quelques semaines, nous avons aussi demandé à être entendus sur les questions de la ZLEA, du commerce dans les Amériques. Il y a beaucoup d'autres relations commerciales qui sont en place à l'heure actuelle, et nous voulons que le gouvernement canadien appuie le développement de codes de conduite, etc. On doit continuer notre commerce international et notre programme d'investissement, mais on peut en même temps faire avancer l'agenda des droits de la personne dans tous les forums internationaux conformément à la recommandation 9.

Pour ce qui est de l'AMI, comme vous le savez, on a recommandé que la négociation se fasse à l'OMC plutôt qu'à l'OCDE, où elle s'est déroulée jusqu'à maintenant. Nous voulons que cette question soit posée jusqu'à ce qu'on puisse faire un accord sur un régime des droits de la personne pour le commerce international et surtout pour les investissements. Vous savez que le commerce existe depuis des siècles et des siècles. Un an de négociation n'est pas une grande barrière pour le commerce.

M. André Bachand: Donc, monsieur Allmand, vous ne condamnez pas le gouvernement canadien de faire affaire avec des pays dont la feuille de route, au niveau du respect des droits de l'homme et de l'environnement, est négative. Vous ne condamnez pas le pays parce qu'il fait cela.

M. Warren Allmand: Ça dépend... Par exemple, le Canada a maintenant un programme pour boycotter la Birmanie, jusqu'à un certain point, et d'autres pays. Nous croyons qu'on peut faire avancer les deux, c'est-à-dire le commerce et les droits de la personne. Malheureusement, par le passé, il y avait seulement des programmes pour faire avancer le commerce; on avait complètement oublié les droits de la personne.

M. André Bachand: Est-ce que votre organisation a déjà condamné le Canada à certaines occasions?

M. Warren Allmand: Certainement.

M. André Bachand: Donc, vous avez une liste de pays avec lesquels le Canada devrait cesser de commercer ou avec lesquels il devrait réviser ses pratiques commerciales.

M. Warren Allmand: Depuis que je suis président, nous avons condamné le gouvernement du Canada pour son changement de politique concernant la Chine et l'Indonésie. Par contre, nous l'avons appuyé dans ses pratiques concernant le Nigeria et la Birmanie.

[Traduction]

Avez-vous quelque chose à ajouter, Diana?

[Français]

Mme Diana Bronson: J'aimerais simplement dire que dans de nombreux articles de journaux, réunions, consultations, présentations et publications, nous avons suggéré des moyens qu'on peut prendre pour encourager des pratiques commerciales plus responsables de la part d'initiatives du genre Équipe Canada, d'entreprises privées, d'organismes fédéraux et d'institutions multilatérales. Nous ne sommes pas les seuls à le faire. Elles sont là, les mesures. On peut vous donner une liste des 40 ou 50 choses qu'on peut faire dans différents pays. La plupart de ces mesures n'ont pas encore été prises.

M. André Bachand: C'est ce que j'allais dire.

[Traduction]

M. Warren Allmand: Par exemple, le Canada a cessé de parrainer la résolution de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies qui condamnait la Chine pour avoir violé les droits de la personne. Au lieu de coparrainer la résolution, le Canada a dit qu'il allait plutôt avoir un arrangement bilatéral sur les droits de la personne avec la Chine. Nous avons dit que nous n'étions pas contre cet accord bilatéral, mais que le Canada n'aurait pas dû arrêter de coparrainer la résolution des Nations Unies avant d'avoir constaté des progrès aux termes de l'accord bilatéral. C'est encore notre position.

Je signale que le Danemark et quelques autres pays ont continué de coparrainer la résolution et que cela n'a pas empêché leur commerce avec la Chine d'augmenter. La Chine a essayé d'intimider les autres pays pour qu'ils cessent de parrainer la résolution des Nations Unies. Nous pensions que le Canada aurait dû continuer à la parrainer, mais il ne l'a pas fait. Il a maintenant l'entente bilatérale.

• 0945

Jusqu'à ce que la situation en Chine s'améliore, nous pensons que le Canada pourrait faire les deux. Si la Chine n'est pas d'accord, tant pis, mais nous jugeons qu'il est possible d'avoir une entente bilatérale sur la façon d'améliorer le respect des droits de la personne en même temps qu'une résolution condamnant les violations des droits de la personne le cas échéant. Il vient tout juste d'y avoir de nouvelles violations en Chine vu que le gouvernement a incarcéré des gens simplement pour avoir organisé un parti ou un mouvement politique.

[Français]

M. André Bachand: J'aimerais terminer par un commentaire. Il faut dire que depuis que l'Équipe Canada est allée en Chine, les exportations du Canada vers la Chine ont diminué dramatiquement et les exportations de la Chine vers le Canada ont augmenté d'une façon aussi drastique. Donc, on achète énormément de produits de la Chine depuis que l'Équipe Canada est allée là et on exporte beaucoup moins en Chine. C'est un des pays, malheureusement, où l'Équipe Canada n'a pas réussi aussi bien qu'on l'avait espéré.

[Traduction]

Le président: Sans vouloir que la discussion devienne trop politique, monsieur Allmand, je voudrais simplement faire une mise au point au sujet de la Chine. Vous conviendrez sans doute que le Canada a cessé d'appuyer la résolution devant le comité des Nations Unies non pas pour des raisons commerciales, mais justement parce que nous étions en train de négocier un accord bilatéral avec la Chine sur les droits de la personne à ce moment-là et que nous voulions convaincre la Chine de le signer. Ce n'était peut-être pas la bonne chose à faire, mais c'est ce qui se passait à l'époque et c'est pour cela que nous n'avons pas parrainé cette résolution. Vous le savez, n'est-ce pas?

M. Warren Allmand: Oui, je le sais...

Le président: Tant que vous le saviez.

M. Warren Allmand: ... mais nous pensions qu'on pourrait...

Le président: Vous avez peut-être considéré que c'était une erreur et il y en a beaucoup parmi nous qui en avaient discuté à l'époque.

M. Warren Allmand: Je sais qu'on négociait une entente à l'époque, mais nous pensions que ce n'était pas le bon moment pour cesser de coparrainer la résolution.

Le président: D'accord.

M. Warren Allmand: J'ajoute que d'autres pays comme le Danemark ne se sont pas laissé intimider. Soit dit en passant, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont continué d'appuyer la résolution tout en continuant d'essayer de négocier avec la Chine.

Le président: Oui, et nous pourrions avoir une longue discussion là-dessus. Cependant, vous savez certainement qu'il s'agit d'un accord bilatéral très complexe qui comprend la participation devant les tribunaux et la participation des autorités chinoises à toutes sortes d'activités. À l'époque, le gouvernement jugeait que nous ne pouvions pas prétendre vouloir conclure une entente avec la Chine qui exige toutes sortes de concessions au même moment où nous prenions des mesures contre la Chine. Le gouvernement a pris une décision de politique. Nous en avions discuté au comité et nous en avons longuement discuté ailleurs et nous en discuterons de nouveau. C'était peut-être une erreur, mais je ne pense pas qu'on puisse dire qu'on l'a fait pour des raisons commerciales parce que ce n'est pas le cas. Il fallait choisir entre deux façons de favoriser les droits de la personne et il y avait aussi bien d'autres choses en jeu.

M. Warren Allmand: D'accord.

Le président: Très bien.

Monsieur Patry.

[Français]

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Monsieur Allmand, soyez le bienvenu au comité. Cela me fait très plaisir de vous rencontrer, vous et vos collègues.

Je vais m'attarder un peu à la recommandation numéro 10. Pour commencer, je dirai que lors de séances précédentes, M. Marchi est venu nous rencontrer et nous a fait certaines déclarations relativement au rôle du Canada. On s'est rendu compte que dans le cadre de la Zone de libre-échange des Amériques, le Canada avait demandé que soit ajoutée une table de travail supplémentaire relative aux ONG, à l'environnement, aux normes du travail et à la clause sociale.

Mais en mars 1998, le dg de l'OMC, M. Ruggiero, déclarait lors d'un symposium, et je le cite:

    Quelle norme environnementale, quelle tradition culturelle, quel système politique représentent une norme universelle?

Pour ce qui est de la recommandation numéro 10, on sait très bien que dans les faits, l'Organisation internationale du travail ne possède pas de compétence dans l'établissement de procédures de surveillance et de vérification de la conformité.

Le mois dernier, vous avez tenu à Ottawa un colloque sous le thème «Commerce et conscience: Une nouvelle manière de faire des affaires à l'ère de la globalisation». Vous y avez fait des réflexions très importantes, et j'aimerais que vous nous éclairiez sur deux points.

Premièrement, existe-t-il actuellement des normes de travail fondamentales axées sur les droits de la personne qui pourraient être rapidement intégrées dans les règles du régime de commerce international? Si oui, de quelle façon pourrait-on les intégrer? Dans le cas contraire, quelle devrait être la marche à suivre?

Deuxièmement, pour ce qui est de la recommandation numéro 10, pensez-vous qu'il serait réaliste de donner plus de pouvoirs à l'OIT ou si vous pensez que tout le problème de la clause sociale devrait être intégré à l'OMC? Merci.

M. Warren Allmand: Concernant les normes de travail, il y a maintenant des core labour standards qui sont bien connus, par exemple le droit d'association et le droit de négocier collectivement. Ils sont mentionnés à la page 25 de...

• 0950

Mme Diana Bronson: Les standards sont maintenant à la page 3.

M. Warren Allmand: Donc, ces standards sont reconnus par les syndicats internationaux, et nous croyons qu'on doit les reconnaître. Nous ne croyons pas qu'il y aurait de très grands problèmes à faire reconnaître ces standards, sauf peut-être des problèmes de volonté politique. Ils sont bien connus.

Il est vrai que M. Marchi, l'année dernière et par la suite, a proposé pour la Zone de libre-échange des Amériques un forum pour consulter les syndicats et la société civile, mais cela a été refusé jusqu'à maintenant par des pays de l'Organisation des États américains. Je crois cependant qu'on doit poursuivre cette politique.

[Traduction]

Relativement à l'OIT... et soit dit en passant, j'ai oublié qu'il y avait aussi la déclaration sur les normes relatives aux droits de l'homme, qui a été acceptée cette année par les entreprises, le gouvernement et les syndicats au Canada, mais pas à l'OMC. C'est de cela que nous discutons ce matin, de la question de savoir si, quand nous adoptons et ratifions certains traités, que ce soit à l'OIT ou qu'il s'agisse de reconnaître des droits économiques, sociaux et culturels, nous pouvons simplement les obliger et continuer à négocier des ententes commerciales sans reconnaître les autres conventions que nous avons aussi ratifiées ou leur donner la préséance.

Quant à savoir si l'OIT est le meilleur endroit où procéder ou si nous devons nous concentrer sur les facteurs sociaux, je pense qu'on doit faire les deux. Nous essayons de promouvoir certains principes et je ne veux pas en abandonner un seul.

Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet, Craig?

M. Craig Forcese: Je peux dire quelques mots au sujet des normes principales sur le travail. Tout d'abord, la plupart de ces normes sont comprises dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et aussi dans les diverses conventions de l'OIT. Vous verrez à la note 34 du mémoire en anglais, et j'imagine aussi dans la version française, que le taux de ratification des conventions générales sur les codes du travail est très élevé et presque universel dans certains cas. Il ne s'agit donc pas nécessairement de normes ou de principes à propos desquels bien des gens ne sont pas d'accord.

La norme qui pose le plus de difficultés à l'heure actuelle est celle qui porte sur le travail des enfants et, comme vous le savez, l'OIT discute maintenant de la question de savoir ce qu'on entend par le travail des enfants et essaie de définir le travail abusif des enfants pour incorporer ces notions dans le contexte du commerce.

[Français]

Mme Diana Bronson: Je crois que la compétence de l'OIT n'est pas remise en question en ce qui concerne l'établissement de standards et leur surveillance. C'est leur application qui pose problème.

La déclaration adoptée au mois de juin de l'année dernière par l'OIT est en quelque sorte la réponse de l'OIT à la Déclaration de Singapour, dans laquelle on a renvoyé les questions de normes de travail à l'OIT. Les 175 membres de l'OIT ont maintenant une obligation, et on a atteint un consensus chez les travailleurs, les employeurs et les gouvernements sur le fait que cette convention constitue les normes fondamentales du travail. En d'autres mots, les droits de la personne ne doivent pas dépendre des niveaux de développement économique mais doivent être universels. Il se peut que vous habitiez un pays très pauvre, mais cela ne vous empêche pas d'avoir des syndicats libres. Au contraire, vous pouvez habiter un pays très riche et n'avoir aucun système de négociation collective ou de droits de travail qui a de l'allure.

Comme il est expliqué un peu dans la présentation écrite, l'OMC n'a pas d'expertise dans ces questions-là, mais elle a la possibilité d'appliquer des standards, d'où l'intérêt que les deux travaillent ensemble.

[Traduction]

Le président: Mme Folco et Mme Debien voudraient toutes deux poser une question. Auparavant, je voudrais vous poser moi-même une question et participer à la discussion.

• 0955

Compte tenu du commentaire de Mme Bronson sur les conflits de compétence et ce que vous avez dit vous-même, monsieur Allmand, il semble que l'OMC soit la seule chose qui semble bien fonctionner. L'OMC a certains pouvoirs.

Il me semble que les problèmes dont nous entendons parler sont dans la même veine. D'après moi, tout le monde reconnaît, et je vais maintenant parler comme un avocat, que le principe de jus cogens doit primer sur les autres formes du droit international. Tout le monde le sait. Comme vous le savez, le problème consiste à en arriver à une définition universelle des règles du jus cogens. Si un membre du Congrès aux États-Unis déclare ensuite que l'avortement viole le principe du jus cogens et qu'on ne peut donc pas avoir de lien commercial avec un pays où l'on fait des avortements, tout cela va se retrouver devant l'OMC et l'OMC ne pourra fonctionner. C'est ce qui va finir par arriver, ou du moins, c'est ce qu'on craint.

Qu'allons-nous faire au sujet du fait que, comme vous le savez, on a condamné le Canada aux Nations Unies pour n'avoir pas respecté la convention économique et sociale que vous avez qualifiée de première source du respect des droits de la personne? Est-ce que cela veut dire que d'autres pays peuvent refuser d'accepter des produits canadiens sur leur territoire parce que Mike Harris a adopté certaines politiques en Ontario que la Commission des Nations Unies considère comme une violation de nos obligations relatives aux droits de la personne? Est-ce ce que vous nous proposez? Sinon, qui va mettre de l'ordre là-dedans?

Cela me préoccupe. Je suis en faveur de ce que vous proposez. Je partage vos idées là-dessus, mais nous essayons de sortir de cette difficulté.

Vu la façon dont les choses évoluent et ce que veulent les gens, j'ai l'impression que nous verrons à l'OMC Mme Robinson comme l'une des vice-secrétaires générales ou le directeur de l'organisme mondial de protection de l'environnement sera un vice-secrétaire général et celui qui dirige l'OIT sera aussi vice-secrétaire général de l'OMC. Nous aurons littéralement à ce moment-là un nouveau gouvernement mondial. Ceux qui s'occupent du commerce résistent à cette tendance parce qu'ils disent que cela va aller trop loin et que nous risquons de perdre les avantages que nous avons déjà obtenus pour favoriser la prospérité mondiale.

C'est une chose que nous devons examiner sérieusement, je pense, et j'ai bien hâte de lire votre document pour savoir comment nous devrions nous occuper de cette importante question complexe à votre avis. Je ne vous reproche pas de n'avoir pas parlé de tout cela, mais votre mémoire nous aidera-t-il à comprendre tout cela? C'est une de mes questions.

L'autre chose, c'est que je ne vois rien dans le mémoire au sujet de la zone de libre-échange des Amériques et de la société civile. Si votre organisme a des idées là-dessus, je vous signale que nous organisons aussi des audiences sur cette question et que cela nous serait utile si vous pouviez nous dire, même par écrit, comment nous pouvons refléter les préoccupations à ce sujet dans une zone de libre-échange des Amériques vu qu'il y a une partie de cette négociation qui porte sur la société civile et que cela offre plus de possibilités, du moins à mon avis, que même les dénonciations à l'OMC.

M. Warren Allmand: Relativement à votre dernière question, nous avons déjà envoyé une demande au sous-comité pour venir témoigner au sujet de la zone de libre-échange des Amériques parce que nous avons passé beaucoup de temps à examiner cette question et que nous avons rédigé un autre mémoire là-dessus.

Le président: D'accord. C'est excellent.

M. Warren Allmand: Pour répondre à votre question, qui est une question très importante à laquelle il n'est pas facile de trouver une réponse, je vous signale que l'on n'a même pas encore reconnu dans le cadre des négociations et des accords commerciaux que les droits de la personne ont un rôle à jouer.

Nous n'étions pas à la manifestation lors des rencontres de l'APEC à Vancouver. Nous étions au sommet parallèle. Nous avons eu beaucoup de discussions avant les rencontres de l'APEC et aussi beaucoup d'autres discussions commerciales. Nous avons eu du mal à obtenir que certains pays reconnaissent même que les droits de la personne ont la moindre chose à voir avec le commerce. Ce serait donc bon de commencer par reconnaître officiellement qu'il existe d'autres traités internationaux qui ont une très grande priorité et que si nous procédions de la même façon que nous le faisons au Canada...

Nous avons des activités commerciales au Canada et nous sommes un État fédéral. Il y a des activités commerciales aux États-Unis qui sont aussi un État fédéral. Il y a des activités commerciales en Allemagne, qui est un autre État fédéral. Tous ces pays doivent respecter des chartes ou des déclarations des droits. On ne peut pas faire ce qu'on veut aux États-Unis même s'il y a certaines violations de ce qu'on pourrait appeler les droits civils qui ne sont pas considérées comme étant aussi graves que des violations des droits de la personne. Les États-Unis ont réglé cette question, même si cela a pris pas mal de temps.

Je demanderai à Craig de vous en dire plus long.

Le président: Vous conviendrez cependant que, selon le droit international, dans les rapports entre les États, les règles qui sont considérées comme étant jus cogens ont la prépondérance pour tous les rapports entre les États et l'emportent sur les relations commerciales ou autres choses. Le principe de jus cogens l'emporte sur tout le reste.

• 1000

Le problème ici, c'est que vous voulez inclure dans la notion de jus cogens les droits du travail et toutes sortes d'autres droits et que certains États ne sont pas prêts à l'accepter. Il me semble donc que ce n'est pas le principe lui-même qu'on refuse de reconnaître. Tout le monde reconnaît comme principe que les notions du droit international telles qu'elles sont reflétées dans la déclaration universelle et ailleurs, l'emportent sur toutes les autres formes d'obligations. Le problème consiste à obtenir que tout le monde s'entende sur la définition de ces principes. Selon moi, quand la Chine et la Russie se joindront à l'OMC, ce qui sera une bonne chose pour le monde entier à certains égards, ce sera encore plus difficile de définir ces principes parce que les différences culturelles entre ces pays et les autres seront encore plus difficiles à concilier.

Et je ne m'oppose pas à ce que vous proposez. Nous devons essayer de recommander au gouvernement comment s'attaquer à cette question extrêmement complexe et nous devons en considérer les aspects pratiques.

M. Warren Allmand: Je demanderai d'abord à Craig de vous répondre.

M. Craig Forcese: Je conviens que le principe de jus cogens présente manifestement des problèmes. Dans notre annexe technique, nous citons une opinion relativement modérée de ce que sont les droits de la personne jus cogens, en l'occurrence, celle qui figure dans la mise au point des États-Unis au sujet du droit des affaires étrangères. L'argument accepté consiste à dire que la Déclaration des Nations Unies constitue elle-même l'instrument d'interprétation de la Charte des Nations Unies et, comme je l'ai dit tantôt, la Déclaration des Nations Unies ne mentionne pas bon nombre de ces droits principaux en matière de travail.

Pour ce qui est de la primauté et de la façon dont ce principe peut s'appliquer dans le contexte de l'OMC, je ne peux pas dire que nous proposons nécessairement que les lois sur les droits de la personne aient la prépondérance et l'emportent chaque fois qu'il y a un conflit. Ce qui va se passer à mon avis, et il en est déjà question dans les textes spécialisés, c'est qu'on va invoquer l'argument de la prépondérance relativement à l'article 20. Par exemple, les États-Unis ont imposé en 1997 une interdiction pour les produits de la servitude pour dettes et de la main-d'oeuvre engagée à long terme et l'on pourrait prétendre que cela dépasse de beaucoup la portée de l'article 20. Certains experts signalent que l'on a invoqué l'argument de la prépondérance pour défendre ce point de vue relativement à l'article 20.

Ce sont donc des questions qui vont apparaître à l'OMC. Ce que nous demandons, c'est que vu que ces questions vont être soulevées, ne vaut-il pas mieux essayer tout de suite de définir une clause sociale qui définisse ces droits de façon plus nuancée au lieu de présenter simplement divers arguments fondés sur le texte actuel de l'article 20?

Le président: J'aime bien l'idée d'une clause ou d'une convention culturelle qui porterait sur la culture puisque nous en entendons aussi parler.

M. Warren Allmand: Diana a quelque chose à ajouter.

Le président: Très bien.

Mme Diana Bronson: Je voudrais simplement dire un mot au sujet de la définition des normes principales en matière de travail. L'OIT a quelque 170 conventions. Les normes principales en matière de travail portent sur sept de ces conventions dont on a discuté pendant les dix dernières années. Il s'agit donc d'un condensé des nombreuses conventions de l'OIT. On y parle de la liberté d'association, que l'on retrouve dans chacun des trois instruments de la Déclaration internationale des droits de l'homme. Il est question du droit aux négociations collectives. Il est question de la non-discrimination au travail, du travail des enfants et du travail forcé. On ne parle pas de rémunération. On ne parle pas de diverses choses qui sont considérées comme des droits fondamentaux des travailleurs au Canada.

Pour ce qui est de la possibilité qu'on essaie d'en faire trop à l'OMC, à ma connaissance, les avocats commerciaux affirment que c'est déjà vrai. C'est déjà le cas pour les achats gouvernementaux, pour la politique en matière de concurrence et pour les droits de propriété intellectuelle. Nous avons déjà dépassé de beaucoup les limites du droit commercial et nous allons devoir nous occuper des normes en matière de travail et de normes pour l'environnement. Vous auriez du mal maintenant à trouver des avocats commerciaux qui disent ce qu'ils auraient dit il y a 10 ans, soit qu'on doit traiter uniquement du commerce. Cela ne veut pas dire que l'OMC peut déjà s'occuper de toutes ces questions et c'est pour cela qu'il faudrait mieux coordonner ces activités avec celles d'autres organismes multilatéraux.

Le président: Je dois dire que je suis tout à fait d'accord avec votre dernière déclaration. Ç'aurait été une bonne chose il y a 10 ans d'avoir proposé et fait accepter la reconnaissance des droits environnementaux et des droits de la personne à l'OMC. Mais l'on craint maintenant que l'OMC se fasse submerger. On craint que les divers États se serviront de ces questions pour appliquer des sanctions unilatérales à d'autres pays et que cela finira, bien sûr, par détruire le système. Je ne pense pas que c'est ce que vous proposez maintenant. J'essayais donc de comprendre. Vous ne voulez pas que chaque pays puisse dire qu'il va refuser d'accepter le produit d'un autre pays parce qu'il n'aime pas la façon que l'autre pays fait telle ou telle chose, peu importent les règles de l'OMC. Je pense que c'est cela que nous essayons de comprendre.

Merci beaucoup.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, messieurs; bonjour, mesdames. J'aimerais revenir sur la recommandation 11 et l'inclusion de la clause sociale. Comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, la plupart des gouvernements des pays en voie de développement s'opposent très farouchement à l'inclusion de la clause sociale dans les accords et les négociations à l'OMC, cela pour toutes sortes de raisons. Vous en avez parlé un tout petit peu tout à l'heure en disant qu'il fallait, dans ce domaine, être très prudent et prendre un certain nombre de précautions.

• 1005

J'aimerais savoir ce qu'il faudrait faire pour surmonter l'opposition des pays en voie de développement à l'inclusion de cette clause sociale. Que devrions-nous recommander au gouvernement canadien dans notre rapport?

Ma deuxième question a aussi trait à la recommandation 13 concernant la participation de la société civile. Vous nous dites dans cette recommandation que l'OMC doit prendre des dispositions. Que veut dire concrètement prendre des dispositions? Je pense entre autres à la Commission des droits de l'homme à Genève, où les ONG ont une tribune vraiment officielle, où la société civile et les ONG peuvent s'exprimer. Suggérez-vous un mécanisme semblable? Serait-ce une nouvelle instance qu'il faudrait créer à l'intérieur de l'OMC pour permettre à la société civile de s'exprimer?

Troisièmement, que pensez-vous de la création d'une assemblée de parlementaires à l'OMC? Prenez l'exemple du Conseil de l'Europe où il y a une assemblée des parlementaires. Souvent, dans les grandes institutions multilatérales, il existe des assemblées de parlementaires. J'aimerais avoir votre avis là-dessus. Est-ce qu'une assemblée de parlementaires pourrait combler le fameux déficit démocratique dont on accuse l'OMC actuellement?

M. Warren Allmand: Pour ce qui est de l'attitude des pays en voie de développement concernant la clause sociale, si on pouvait consulter la société civile de ces pays, elle exprimerait peut-être un point de vue différent de celui des gouvernements. Dans plusieurs de ces pays, la société civile n'est pas...

Mme Maud Debien: N'existe pas.

M. Warren Allmand: Elle existe, mais elle diverge souvent d'opinion avec le gouvernement. Les gouvernements sont souvent très durs envers la société civile.

Pour ce qui est de l'autre question, vous savez que dans quelques semaines,

[Traduction]

Je vais aller à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. À cette commission, les ONG et les représentants de la société civile sont en mesure de s'exprimer tous les jours; c'est également le cas à l'UNESCO et dans les autres organismes des Nations Unies. Les représentants de la société civile peuvent s'exprimer par l'entremise des ONG, des églises, des syndicats et d'autres instances. Je ne vois donc pas pourquoi ça ne pourrait pas se faire maintenant, mais pour ce qui est des détails, je m'en remets à Diana.

[Français]

Mme Diana Bronson: Pour surmonter l'opposition des pays en voie de développement, il faut voir quelles sont leurs inquiétudes face au système de commerce mondial et quelle est leur part dans ce système. Par exemple, il y a sûrement des choses à faire au niveau des négociations sur l'agriculture qui aideront à rendre cela plus sympathique. Il y a aussi des questions d'aide technique.

On m'a raconté une anecdote lorsque je suis allée à l'OMC, en 1996. On m'a dit qu'à Genève, lorsqu'il y a des négociations de libre-échange, les Américains et les Européens arrivent avec des centaines de négociateurs bien formés, des ordinateurs et toute la technologie que vous pouvez imaginer, alors que 15 ou 20 pays africains se mettent ensemble pour envoyer une personne qui ira défendre leurs intérêts. Évidemment, quand on met autre chose sur la table, comme les normes de travail, ils ne veulent rien savoir. Ce n'est pas nécessairement parce qu'ils s'opposent aux syndicats libres, mais ils n'ont pas les moyens de se préoccuper de cela. Il faut donc envisager sérieusement une assistance technique.

Je crois que ces enjeux ont été soulignés dans les documents présentés par l'Institut Nord-Sud ainsi que par le Conseil canadien de la coopération.

En ce qui a trait à la participation de la société civile dans

[Traduction]

le règlement des différends, je pense que Craig est plus compétent que moi pour en parler.

M. Craig Forcese: Mais dans le système de règlement des différends, comme vous le savez, ça se passe à huis clos. On est à l'abri des regards du public. Les instances qui sont faites à l'organisme chargé du règlement des différends ne sont pas nécessairement rendues publiques à moins que le gouvernement n'en décide autrement.

• 1010

C'est un processus très secret. Même s'il n'y a pas de conflits d'intérêts, même si on n'a rien fait de mal, on a l'impression de se retrouver devant un tribunal d'inquisition, un processus qui manque de crédibilité. À mon avis, si l'on parle d'un ressac de la mondialisation, la meilleure façon d'éviter ce ressac, c'est d'ouvrir le processus, et ainsi les responsables du processus rendraient davantage de comptes et seraient plus crédibles en conséquence.

Je pense qu'il se pose également un problème pour ce qui est des instances qui sont faites par les tierces parties. Par le passé, plusieurs organisations non gouvernementales ont fait des instances par l'entremise des représentants de leur pays. Cependant, ceux-ci sont libres de choisir les instances qui seront faites. Il me semble que nous devrions avoir un meilleur système où on évaluerait les mérites des instances, non pas selon le choix que le pays a fait, mais en fonction de l'utilité qu'elles présentent pour l'organisme chargé du règlement des différends, en fonction du savoir-faire et des perspectives des ONG. Cela ne pourra qu'aider le processus. Cela ne pourra que hausser le savoir-faire et la compétence des autorités chargées de trancher ces différends commerciaux très importants.

Le président: Au sujet d'une association parlementaire, oui ou non. C'est une proposition qui nous intéresse beaucoup. Je veux savoir ce que vous en pensez.

M. Warren Allmand: Oui, en ma qualité d'ancien parlementaire, j'y serais favorable.

Le président: D'accord, c'est bien.

[Français]

Mme Maud Debien: Il y a une assemblée de parlementaires au Conseil de l'Europe, par exemple.

M. Warren Allmand: Oui, certainement, et dans d'autres associations.

Le président: À l'OSCE.

M. Warren Allmand: Oui, certainement.

Le président: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Ma question sera d'autant plus rapide qu'elle est dans la foulée de la réponse que vous venez de donner à la question de Mme Debien. Tout d'abord, je voudrais vous saluer et vous dire avec quel plaisir je vous rencontre ce matin. Comme certains d'entre vous le savent, j'ai fait un séjour très rapide à votre centre à titre de membre du conseil d'administration. Cela me fait donc énormément plaisir d'être avec vous aujourd'hui.

Le président: C'est un conflit d'intérêts.

Mme Raymonde Folco: Moi aussi, je voudrais vous parler de la société civile. Je passerai très rapidement à travers tout ça parce que je sais que le temps se fait très court.

Le gouvernement canadien, en particulier par le biais de M. Axworthy, le ministre des Affaires étrangères, mais aussi de M. Marchi, s'est prononcé énormément en faveur de la participation de la société civile, non seulement dans des forums de discussion, mais aussi par rapport à la prise de décision. On sait qu'il y a au gouvernement plusieurs ministres qui travaillent dans ce sens-là et qui voient les ONG comme un outil essentiel et même comme des partenaires des gouvernements et des élus.

Lorsqu'on traite avec des pays qui n'ont pas la tradition des ONG que nous avons dans les pays occidentaux, avec des pays où la société civile est mal ou peu organisée, où la société civile fonctionne même carrément contre les objectifs et la façon de faire du gouvernement, comment peut-on faire participer ces groupes tout en ne donnant pas l'impression que ce sont les pays occidentaux qui sont toujours présents et dont on entend toujours les points de vue? Le danger que l'on court, c'est celui d'entendre seulement les sociétés civiles et les ONG des pays occidentaux et de négliger d'écouter ceux qui présentent les points de vue des pays en voie de développement et ceux des pays riches dont les sociétés civiles ne sont pas suffisamment développées.

Il y a déséquilibre possible ici et j'aimerais que vous m'expliquiez comment cela pourrait fonctionner.

M. Warren Allmand: Nous travaillons en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie, et nous travaillons toujours avec les ONG et la société civile. J'ai été surpris du niveau d'activité des ONG dans ces pays, mais la société civile est plus large que les seules ONG. Elle comprend aussi les universités, les Églises,...

Mme Raymonde Folco: Les syndicats.

M. Warren Allmand: ...la presse libre et beaucoup d'autres associations. Carole Samdup, qui a travaillé en Asie et qui est allée à l'APEC, pourrait vous décrire les ONG des Philippines, d'Asie et de plusieurs autres pays.

[Traduction]

Carole, vous avez travaillé avec certaines d'entre elles. Vous pouvez nous dire quels sont leurs points forts ou leurs points faibles.

Mme Carole Samdup (coordonnatrice adjointe du Programme de mondialisation et droits de la personne, Centre international pour les droits de la personne et le développement démocratique): Il est sûr que les ONG dans ces pays travaillent et organisent des choses, mais souvent elles organisent des choses en opposition à leurs gouvernements. Lorsque les dirigeants de l'APEC se sont réunis en Malaysia en novembre, par exemple, les ONG se sont données beaucoup de mal pour organiser une manifestation parallèle et faire ainsi entendre leur voix dans les discussions qui se tenaient. Les organisateurs ont été menacés à certains égards par leur propre gouvernement. On a mis des tas d'obstacles à l'organisation de leur conférence. Mais le gouvernement du Canada, dans ce cas-ci, est intervenu et leur a donné non seulement un soutien moral et politique, mais aussi des moyens financiers pour organiser cette manifestation.

• 1015

Mme Raymonde Folco: Eh bien, voilà une brève réponse. Merci beaucoup.

Le président: Nous avons vécu la même expérience. M. Sauvageau n'est pas ici, mais nous étions tous les deux à la conférence de Singapour. D'ailleurs, les délégués de plusieurs pays en voie de développement ont pris position de telle sorte que l'on a pu discuter de toutes ces choses dont nous parlons ici aujourd'hui, particulièrement les normes principales sur le travail, l'environnement, etc. Ce sont ces pays qui ne voulaient pas entendre parler de ces choses à l'OMC. Mais si vous parlez aux ONG de ces pays, elles y tiennent, bien sûr. Ce n'est donc pas facile de trouver une solution ici.

Je vous remercie vivement de votre participation ce matin. Nous écoutons toujours avec grand intérêt ce que le Centre a à dire. Le mémoire nous sera très utile. Je sais que le comité sera très heureux de recevoir aussi vos observations sur la ZLEA parce que, comme vous le savez, on y fait état de la discussion sur la société civile. Il existe une tribune pour cela, je crois donc que nous pouvons vraiment y promouvoir fort bien les valeurs canadiennes.

Merci beaucoup d'avoir été des nôtres ce matin.

M. Warren Allmand: Je vous remercie de nous avoir écoutés. Nous espérons que vous tiendrez compte de notre mémoire et de notre document technique dans vos délibérations.

Le président: Nous allons nous assurer, monsieur Allmand, que nos attachés de recherche les lisent attentivement, soyez sans crainte.

M. Allmand: Bien.

Le président: Merci.

Nous allons maintenant entendre l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo.

• 1017




• 1023

[Français]

Le président: Dans le cadre de cette table ronde, j'aimerais proposer que nous entendions d'abord M. Valiquette, de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, puis M. Pilon, de l'ADISQ, après quoi nous passerons à la période des questions de la part de tous les participants. D'accord?

Monsieur Valiquette.

M. Gilles Valiquette (président, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique): Good morning, bonjour. Mesdames et messieurs membres du comité, je m'appelle Gilles Valiquette. Je suis auteur-compositeur et président de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, mieux connue sous le nom de SOCAN.

Je suis accompagné aujourd'hui de Me Paul Spurgeon, le chef du Contentieux de la SOCAN.

Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais souligner le fait que nous avons déposé notre mémoire en anglais et que la version française vous parviendra d'ici peu. Nous nous excusons de ce retard.

Avant de passer à la question des prochaines négociations de l'OMC, j'aimerais décrire brièvement le travail de notre association. La SOCAN est une société canadienne sans but lucratif qui représente les compositeurs, paroliers, auteurs-compositeurs et éditeurs d'oeuvres musicales ici, au Canada, et à l'échelle mondiale.

Au nom de nos membres actifs canadiens, qui sont au nombre de plus de 18 000, et en celui des membres de nos sociétés internationales affiliées, nous administrons les droits d'exécution liés aux paroles et à la musique.

• 1025

Le droit d'exécution est un droit d'auteur qui accorde au propriétaire de l'oeuvre musicale le droit exclusif d'exécuter en public ou de diffuser son oeuvre, ou d'en autoriser d'autres à le faire en contrepartie d'une redevance. En d'autres mots, le droit d'auteur, c'est le salaire du créateur.

En pratique, seuls les créateurs choisis et joints par les radiodiffuseurs reçoivent des redevances pour l'exécution de leurs oeuvres. Plus nous faisons jouer de musique canadienne, plus la proportion des redevances d'exécution qui reste ici, au Canada, devient importante. Par contre, plus les radiodiffuseurs et autres utilisateurs choisissent de faire jouer de la musique venant d'ailleurs, plus il y aura de redevances qui seront acheminées vers l'étranger.

Voilà pourquoi la SOCAN porte un vif intérêt au Règlement en matière de contenu canadien qui a été fait pour promouvoir l'utilisation de la musique canadienne ici même, au Canada.

Nous vous prions instamment de lire notre mémoire préliminaire parce qu'il porte spécifiquement sur une des questions clés des prochaines négociations, à savoir la nécessité de mieux promouvoir la diversité culturelle dans les traités commerciaux internationaux.

Au cours des quelques minutes que nous avons à notre disposition, Paul et moi aimerions souligner les quatre point suivants: premièrement, l'importance de renforcer le Règlement en matière de contenu canadien; deuxièmement, le fait que la souveraineté culturelle du Canada n'est pas protégée sous le régime des traités commerciaux internationaux actuels; troisièmement, la proposition du Groupe de consultation sectorielle sur le commerce extérieur relative à un nouvel instrument international qui tienne compte de la diversité culturelle; et finalement, la nécessité d'agir immédiatement.

Je parlerai des premier et dernier points, alors que Paul abordera les deuxième et troisième.

Pour commencer, afin de bien comprendre à quel point le Règlement en matière de contenu canadien a été utile aux membres de la SOCAN, il est important de se rappeler qu'en 1970, l'année précédant l'introduction du Règlement en matière de contenu canadien, les compositeurs, paroliers et auteurs-compositeurs canadiens avaient touché la somme de 252 000 $ en redevances d'exécution par l'entremise de leur société de gestion.

En 1997, 27 ans plus tard, la SOCAN répartissait près de 200 fois ce montant entre les créateurs et les éditeurs établis au Canada, soit 48,8 millions de dollars. Or, de cette somme, plus de 20 millions de dollars nous provenaient des marchés étrangers. Ces chiffres démontrent que le Règlement en matière de contenu canadien a contribué à la mise en place d'une infrastructure de classe mondiale pour notre industrie musicale et que le succès qu'il nous a permis de connaître chez nous nous a servi de tremplin pour les marchés étrangers.

Cependant, en dépit du succès que remportent déjà les créateurs de musique au Canada, la SOCAN demeure persuadée que l'on doit continuer à renforcer le Règlement en matière de contenu canadien.

Également, nous croyons que la capacité du Canada de continuer de renforcer la protection du contenu canadien peut être menacée par un nouveau commerce mondial, à moins que quelque chose ne soit fait, et cela tout de suite.

Par exemple, les négociations de l'OMC sur les services débuteront l'an prochain. Nous savons qu'un document récemment déclassifié de l'OMC sur les services audiovisuels portait sur les politiques du CRTC relatives au contenu canadien. En passant, monsieur le président, nous vous ferons parvenir ce document en même temps que la version française de notre mémoire.

Qui plus est, tel que le fait remarquer l'avis du comité, d'autres secteurs clés pourraient faire l'objet de négociations à la suite de la troisième conférence ministérielle de l'OMC en novembre prochain, y compris la technologie de l'information, le commerce électronique, la propriété intellectuelle et la politique d'investissement. Toutes et chacune de ces négociations pourraient avoir un impact majeur sur la souveraineté culturelle du Canada.

• 1030

Monsieur le président, il n'y a pas de temps à perdre. Nous recommandons que le gouvernement du Canada prenne des mesures concrètes pour protéger notre souveraineté culturelle avant qu'il ne soit trop tard.

Paul Spurgeon parlera maintenant du fait que la souveraineté culturelle du Canada est menacée par le statu quo actuel et il recommandera des mesures à prendre pour solutionner ce problème.

Merci beaucoup, monsieur le président.

[Traduction]

M. Paul Spurgeon (Société des compositeurs, auteurs et éditeurs de musique du Canada): Bonjour, mesdames et messieurs.

Comme l'a dit Gilles, la SOCAN craint que le statu quo ne protège pas la souveraineté culturelle du Canada. Vous allez voir qu'aux pages 13 à 20 de notre mémoire, nous faisons état de certains différends commerciaux récents et démontrons que les politiques culturelles du Canada sont menacées par les deux grands accords commerciaux que le Canada a conclus, l'ALENA et l'OMC.

Il est évident depuis fort longtemps que la stratégie actuelle du Canada ne donne pas les résultats voulus à cet égard. Par exemple, il y a un peu plus de deux ans, le Toronto Star rapportait que l'ancien ministre du Commerce international du Canada avait résumé les choses comme suit:

    Eggleton a déclaré mardi que l'Accord de libre-échange nord- américain et l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce ne protègent nullement les industries culturelles du pays.

À son avis, il fallait rouvrir l'accord afin de négocier des dispositifs de protection particuliers pour la culture:

    M. Eggleton avance que l'exemption culturelle tant vantée de l'ALENA, qui est censée protéger les producteurs culturels canadiens, est un «mythe». «L'ALENA ne protège nullement la culture, a déclaré M. Eggleton aux journalistes. C'est un mythe. Ça n'a jamais été le cas.»

Tout récemment, une décision d'un groupe spécialisé de l'OMC ainsi qu'une décision d'une instance d'appel sur la politique canadienne en matière de périodiques ont bien montré que les industries culturelles du Canada sont vulnérables. On ne peut pas prédire pour le moment l'effet qu'aura le remède législatif du Canada au jugement défavorable de l'OMC.

Peu importent les résultats, cependant, cette affaire montre que l'OMC n'a pas su mettre au point un régime distinct et complet qui se fonde sur le fait essentiel que les industries culturelles constituent un élément vital de l'identité nationale d'un pays et que, par conséquent, elles ne peuvent pas être traitées comme d'autres produits culturels ou services commerciaux. J'ajoute que ces industries seront probablement encore plus importantes au siècle prochain.

Il est également important de reconnaître que les États-Unis ne sont pas le seul pays qui s'en prend aux politiques culturelles du Canada. Par exemple, l'an dernier, l'Union européenne a demandé à l'OMC de procéder à des consultations sur les mesures canadiennes qui touchent les services de distribution cinématographique, y compris la politique du Canada de 1987 sur la distribution cinématographique et son application à des entreprises européennes comme Polygram. L'Union européenne faisait valoir que ces mesures contrevenaient à la disposition de la nation la plus favorisée dans le cadre de l'Accord général sur le commerce des services.

Le Canada ne peut plus prétendre que ses industries culturelles sont protégées par les traités commerciaux internationaux à l'heure où une vague croissante de différends démontre clairement que ce n'est pas le cas. Nous prions donc votre comité d'adresser des recommandations précises au gouvernement du Canada sur la façon de résoudre ce problème en vue des prochaines négociations de l'OMC. En particulier, nous croyons que vous devez demander dans votre rapport au gouvernement du Canada d'adopter la récente proposition du GCSCE des industries culturelles concernant un nouvel instrument international sur la diversité culturelle.

Lorsque le ministre du Commerce international a témoigné devant votre comité le mois dernier, il a parlé de l'un des éléments les plus importants de cet instrument international que propose le GCSCE sur la diversité culturelle: à savoir, la nécessité d'établir des règles concernant le genre de règlements et de mesures que les pays peuvent ou ne peuvent pas adopter pour hausser leur diversité culturelle et linguistique. Par exemple—et c'est essentiel—nous croyons que les règles concernant le contenu canadien doivent figurer dans toute liste de mesures culturelles permises étant donné qu'elles sont conformes aux principes de transparence et de traitement national des grands accords commerciaux internationaux.

• 1035

Nous croyons aussi qu'il est urgent d'agir. La SOCAN vous prie donc de recommander dans votre rapport que le gouvernement du Canada revendique la création d'un instrument international efficace en matière de diversité culturelle avant l'été, et de s'assurer qu'il soit fin prêt pour la conférence ministérielle de l'OMC de novembre et les négociations qui doivent commencer l'an prochain.

La SOCAN vous remercie de lui avoir donné l'occasion de présenter son point de vue. Nous répondrons volontiers à vos questions.

Le président: Auparavant, je vais demander à M. Pilon de faire son exposé et nous pourrons vous poser des questions à tous les deux en même temps. Nous avons jusqu'à midi si bien que cela nous donne le temps de donner à chaque membre la parole à deux reprises.

[Français]

M. Robert Pilon (vice-président, Affaires publiques, Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Robert Pilon. Je suis vice-président aux Affaires publiques de l'ADISQ, une association qui regroupe les producteurs indépendants de disques et de spectacles du Québec. Je voudrais remercier le comité de nous avoir invités à témoigner ce matin.

L'ordre du jour du comité touche des questions extrêmement fondamentales, principalement les objectifs que le Canada devrait se donner pour la prochaine ronde de négociations de l'OMC qui doit s'amorcer cet automne.

Nous pourrons parler plus longuement de cas particuliers au cours de la période de questions, mais j'aimerais d'abord parler assez rapidement des éléments essentiels des politiques culturelles canadiennes.

Mises à part les institutions nationales comme Radio-Canada, qui jouent un rôle fondamental dans la culture canadienne, il y a trois grandes catégories d'instruments ou politiques au niveau culturel au Canada. Nous avons mis sur pied un certain nombre de programmes, aux paliers fédéral et provincial, notamment au Québec, visant les différents secteurs des industries culturelles, qu'il s'agisse de la production de cinéma, d'émissions de télévision, de disques ou d'édition de livres. Ces programmes d'aide ou de soutien financier appuient la production de films, de livres et de disques et ils sont très importants. Les subventions transitent, selon les secteurs, de différentes façons. Par exemple, au niveau de l'édition du livre, le soutien est assuré au niveau fédéral à la fois par le ministère et le Conseil des arts du Canada, qui gère un programme qui s'adresse plus directement aux auteurs. Les programmes visant la production de films ou d'émissions de télévision sont administrés par Téléfilm au niveau fédéral et, dans le cas du Québec, par la SODEQ. Les autres gouvernements provinciaux ont également mis sur pied des programmes d'aide.

Dans le domaine du disque, il existe un système un peu particulier. En 1986, le fédéral mettait sur pied le PADES, le Programme d'aide au développement de l'enregistrement sonore, qui verse ses subventions par l'entremise de deux fondations privées: la Fondation Musicaction au Québec et FACTOR au Canada anglais. En 1983, le gouvernement du Québec mettait également sur pied un programme important pour soutenir la production du disque, soit le PADISQ, qui est géré par l'entremise de la SODEQ. Les gouvernements des provinces ont établi des programmes semblables, quoique plus modestes.

L'appui des gouvernements et les subventions qu'ils accordent représentent un volet extrêmement important.

Deuxièmement, je traiterai des règles en matière de contenu canadien, lesquelles prévalent surtout dans le secteur de la radiodiffusion, qui est de compétence fédérale et qui relève du CRTC. Les règles se traduisent essentiellement par des quotas au niveau du contenu canadien et s'appliquent aux stations de radio et de télévision.

Les règles prévoient que la télévision conventionnelle doit diffuser 60 p. 100 de contenu canadien, tandis que cette proportion varie dans le cas de la télévision spécialisée selon les programmes. À la radio, on a haussé, il y a un an, à 35 p. 100 le contenu canadien. Quant aux stations de langue française, elles doivent diffuser 65 p. 100 de contenu francophone.

Ces règles ont été mises en place au début des années 1970 et modifiées à l'occasion. Elles ont une longue histoire et elles ont joué un rôle fondamental. On ne pourrait s'imaginer aujourd'hui que l'industrie québécoise de la musique et la création musicale, d'une manière plus générale, auraient atteint l'importance qu'elles ont au Québec si le CRTC n'avait pas mis en place en 1973, à l'époque où il était présidé par Pierre Juneau, les quotas de contenu francophone pour les stations francophones. Il est évident qu'une foule d'autres facteurs ont contribué à leur développement, dont des programmes gouvernementaux tels que le PADISQ, que mettait sur pied le gouvernement du Québec en 1983 et le PADES, qu'on créait en 1986, ainsi que, d'abord et avant tout, la créativité des artistes et le dynamisme des entrepreneurs. Tous ces facteurs auraient été insuffisants si on n'avait pas aussi dit qu'il devait exister une fenêtre à la radio pour entendre de la chanson francophone, et plus généralement de la chanson canadienne, et qu'on n'avait pas fixé à 30 p. 100 ce quota de contenu canadien, lequel a récemment été porté à 35 p. 100.

• 1040

Quant à la télévision, il ne faut pas se raconter d'histoires. On sait que nos stations de télévision peuvent acquérir ici pour des prix qu'on peut objectivement appeler des prix de dumping, des prix nettement inférieurs, des émissions de télévision américaines. En l'absence de règles en matière de contenu canadien, 90 p. 100 de la programmation canadienne, mis à part les nouvelles et le sport, proviendrait, notamment au Canada anglais, des États-Unis. Nos règles jouent donc un rôle fondamental.

Troisièmement, je n'approfondirai pas cette question, mais il ne faut pas oublier que les politiques canadiennes renferment des règles concernant la propriété canadienne. Je prendrai comme exemple le secteur de la radiodiffusion, où leur impact est assez clair, précis et direct. Depuis qu'on a modifié, en 1968, la Loi canadienne sur la radiodiffusion, aucune firme étrangère, quelle qu'elle soit, n'a le droit de contrôler une entreprise qui exploite une licence de radiodiffusion, qu'il s'agisse d'une station de radio et d'une station de télévision. C'est une règle assez forte.

Je prendrai 30 secondes pour expliquer à quel point, notamment en radiodiffusion, il y a une architecture dans ces règles-là et une architecture qui se tient. La règle en matière de contenu canadien et celle qui régit la propriété canadienne sont inséparables. En 1968, le législateur l'avait compris. On ne peut pas imposer à des entreprises canadiennes, qui la plupart du temps sont loin d'avoir la taille et les ressources des entreprises américaines, de lourdes exigences en matière de contenu canadien ou francophone et de contributions financières à la production—ce dont je n'ai pas encore parlé—sans leur donner en contrepartie une espèce de garantie qu'elles n'auront pas à affronter directement sur le territoire canadien la concurrence d'entreprises de taille 10, 20 ou 40 fois supérieure. Ces deux règles se tiennent. C'est un élément fondamental auquel nous pourrons revenir plus tard, lors de la période de questions.

L'union de ces deux règles explique une chose, et je le démontrerai par un exemple particulier qui est assez frappant dans le secteur des canaux de musique spécialisés. Au Canada, on a mis en place il y a un certain nombre d'années la chaîne anglaise MuchMusic, dont la contrepartie française est Musique Plus. Il y a quelques années, on a doublé cette chaîne d'une deuxième chaîne, MusiMax et MuchMoreMusic. Ces chaînes de canaux spécialisés représentent un cas un peu exceptionnel parce que dans de nombreux autres pays tels que l'Italie et l'Espagne, au lieu d'avoir une chaîne domestique de canaux de vidéoclips, on retrouve une filiale locale de MTV, cette grande multinationale américaine propriété de Viacom Inc.

Il n'y avait pas encore de canaux vidéoclips en 1968, mais le législateur avait su prévoir à l'époque certaines règles qu'on a appliquées aux entreprises qui les exploitent. On s'était dit qu'on ferait les choses différemment au Canada et qu'on donnerait à des entrepreneurs canadiens le privilège d'être les seuls opérateurs de ce genre de chaînes, leur imposant en contrepartie certaines obligations. Ainsi, MuchMusic a le privilège de ne pas avoir de concurrence directe au Canada de la part d'une filiale de MTV qui serait installée à Toronto ou à Montréal, mais en contrepartie, cette chaîne a l'obligation de produire du contenu canadien, c'est-à-dire de contribuer financièrement à la production de vidéoclips d'artistes canadiens et de diffuser 30 ou 35 p. 100—ce pourcentage m'échappe—de vidéoclips d'artistes canadiens.

C'est un système relativement équilibré en termes d'architecture. Il faut y réfléchir longuement. Comme le disaient mes collègues de la SOCAN tout à l'heure, la question du contenu canadien est fondamentale, mais il faut être prudent parce que si on n'avait que des règles en matière de contenu canadien et qu'on n'imposait pas de restrictions en matière de propriété étrangère, il serait très plausible que MTV et Viacom décident de venir percer le marché canadien et d'établir une chaîne de vidéoclips, promettent 40 p. 100 de contenu canadien, entrent ici avec une force financière extrêmement lourde, et qu'au bout de cinq ans, MucMusic soit en faillite et Musique Plus ferme ses portes. Après cela, comment réussiriez-vous à imposer à ces Américains, qui seraient tout seuls sur le marché, des règles en matière de contenu canadien ou de contenu francophone? C'est pourquoi il faut être extrêmement prudent. Ce sont essentiellement les questions qui m'apparaissent fondamentales.

• 1045

Même si nous sommes voisins des États-Unis et qu'il faut avouer que notre marché, en termes de produits culturels, est très largement dominé par les produits américains, que ce soit le cinéma, la télévision et, jusqu'à un certain point, le disque, lesquels représentent souvent 60, 80 et 85 p. 100 de notre marché, l'articulation de ces trois types de politiques en matière de soutien financier, de contenu canadien et de propriété étrangère nous a malgré tout permis de nous préserver une fenêtre minimale. Il nous faut préserver ces politiques canadiennes qu'a adoptées le Canada à la fin des années 1960 et au début des années 1970 et qu'ont imitées plusieurs pays partout dans le monde. Par exemple, la France, l'Italie et une foule d'autres pays ont combiné des restrictions en matière de propriété étrangère et des obligations de quota de contenu national au niveau de leur télévision. Certains pays ont appliqué les mêmes règles au niveau de la radio, bien que dans une moindre mesure. Le plus récent exemple d'un pays qui a imité les politiques qui fonctionnent bien au Canada est Israël qui, au cours des vacances de Noël, a adopté un quota de musique locale pour ses stations de radio. Comme nos collègues l'ont souligné plus tôt, nos artistes n'auraient pas aujourd'hui, comme le dit en anglais, l'exposure qu'ils ont si ces règles-là n'avaient pas été mises en place.

Est-ce qu'il est difficile de maintenir ces acquis? Il est évident que la réponse est oui. Les pressions sont immenses. Je dirai sans gêne que si j'étais Américain, je ferais exactement ce que les Américains font. Il faut comprendre que le secteur des industries culturelles et des communications est devenu, depuis l'an dernier, leur premier secteur d'exportation, bien qu'on ait toujours tendance à dire qu'il est encore le deuxième. Ce secteur comprend les films, les livres, les disques, etc. Il est évident qu'ils souhaiteraient avoir des filiales de MTV partout dans le monde et y faire la promotion de disques d'artistes américains afin d'en vendre le plus grand nombre possible. Lorsque Warner produit un disque de Madonna, dès le début, il le conçoit comme un produit international; au point de départ, il le vendra sur un marché de 264 millions de personnes, mais il veut également le vendre sur un marché de 2 ou 3 milliards de personnes. Cette entreprise Warner a des filiales ou des affiliés dans une centaine de pays. MTV véhicule cette image dans 42 à 48 pays partout dans le monde. C'est une stratégie purement commerciale. Il faut prévoir les conséquences culturelles. Jusqu'à maintenant, on a réussi, jusqu'à un certain point, à préserver notre marché et à maintenir une fenêtre pour les productions de nos artistes.

D'autres pays nous ont imités et il y a partout dans le monde, dans un contexte de mondialisation croissante, une volonté de préserver un espace pour les productions de nos artistes. Les Brésiliens essaient de faire ça au Brésil, les Portugais au Portugal, les Grecs en Grèce et les Français en France. Nous devons donc continuer à agir dans le même sens. Alors que les autres pays commencent à nous imiter, ce n'est pas le temps de reculer.

Si vous le souhaitez, nous pourrons revenir sur des questions plus particulières et notamment sur le rapport du SAGIT, dont je suis un cosignataire, lors de la période de questions. Merci.

Le président: Merci, monsieur Pilon.

Monsieur Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Merci beaucoup. Chacun de vous trois a présenté son point de vue de façon très éloquente. Toutefois, mon parti, et je n'y peux rien, préconise une politique et une approche différentes de celles de mes collègues ici présents.

Nous avons étudié votre mémoire et les cinq arguments que vous présentez. Je conviens avec vous que la musique canadienne réussit bien. Il est difficile de définir la culture canadienne, étant donné la diversité du Canada d'aujourd'hui où sont présentes la culture anglophone, la culture francophone, la culture multiculturelle et la culture autochtone.

• 1050

Selon nous, la protection que vous réclamez de l'État est probablement excessive. Vous avez reconnu que les trois quarts des productions télévisuelles sont des productions américaines. Quant à nous, nous disons que la population canadienne décidera ce qu'elle veut regarder à la télévision, et que les artistes canadiens ont très bien réussi sur la scène internationale de toute façon. Je ne pense pas que les artistes canadiens soient inférieurs à ceux des autres pays. Quand les débouchés existent, quand le marché existe, les artistes canadiens s'en tirent très bien. Vous le reconnaissez et nous en sommes très fiers. Nous pensons que vous devriez concurrencer les autres dans un marché libre, parce que nous pensons que vous vous en tirez très bien.

Nous pensons également qu'exiger un contenu canadien à hauteur de 35 p. 100 ou 40 p. 100, c'est exiger beaucoup trop de la part du public canadien. Il appartient au public canadien d'établir la limite. J'appartiens moi-même à la communauté artistique et je comprends pourquoi vous adoptez ce point de vue, mais nous estimons que ce n'est pas la solution.

À notre avis, le projet de loi C-55, qui vise les magazines, pour protéger la culture canadienne, est un projet de loi bancal, que nous rejetons, à cause de l'incidence qu'il aura. Les gens du secteur de la publicité nous ont bien dit que ce qui se passait dans un secteur avait des conséquences pour d'autres secteurs, sans oublier le fait que les Américains vont exercer des représailles sous forme de tarifs sur l'acier et le plastique. Hormis cela, on peut s'en tenir au secteur de la publicité, qui s'en ressentira également.

Nous comprenons donc mal pourquoi on devrait imposer un tel niveau de protection, même si j'ai compris les arguments que vous présentez. En fait, étant donné la mondialisation, même les magazines chinois se plaignent des dispositions du projet de loi C-55, car cette exigence de contenu canadien a des conséquences pour eux également. Les radiodiffuseurs privés viennent nous dire que l'exigence du contenu canadien est trop élevée et qu'ils subiront des pertes de revenu.

Nous pensons que vos intérêts seraient mieux servis dans un marché concurrentiel. Les artistes réussiront mieux dans un marché concurrentiel que dans un marché protégé. Voilà le point de vue de mon parti. J'ai lu votre mémoire. Je pense que mon parti est de cet avis. Vous avez présenté vos arguments, mais je pense que nous avons un point de vue différent pour atteindre le même objectif, à savoir l'excellence dans la culture canadienne.

[Français]

Le président: Monsieur Pilon, suivi de monsieur Spurgeon.

[Traduction]

M. Robert Pilon: Monsieur Obhrai, ce ne sera pas la première fois que l'ADISQ sera en désaccord avec le Parti réformiste. Nous avons eu un désaccord majeur avec un représentant de votre parti, lors de l'étude du projet de loi C-32, le projet de loi sur le droit d'auteur.

Permettez-moi d'essayer de vous convaincre de nouveau.

M. Bernard Patry: Je vous souhaite bonne chance.

M. Deepak Obhrai: Vous pouvez toujours m'inviter à prendre un café.

M. Robert Pilon: Votre parti, si je me souviens bien, a toujours préconisé le soutien de la petite entreprise et la nécessité de la défendre contre le géant, les grandes entreprises.

Regardons ce qui se passe dans la plupart des secteurs culturels—l'édition, la production de disques, de films—et l'on constate que ces entreprises sont encore de petite taille. D'habitude quand on parle d'entreprises, on obtient l'appui de votre parti.

Prenez par exemple la production de disques au Québec. Ici, la plus grosse entreprise a probablement des bénéfices annuels de 5 millions de dollars. C'est la plus grosse. Ses concurrents directs sont des multinationales étrangères, gigantesques, comme la Warner ou BMG ou Sony, dont les revenus annuels sont de 5 milliards de dollars.

• 1055

Je suis économiste de profession et permettez-moi de retourner à Adam Smith, à propos de la concurrence pure et parfaite, dont j'ai parlé il y a quelques semaines au Comité parlementaire du patrimoine. Si nous vivions dans des conditions pures et parfaites de concurrence, et si les gens que je représente étaient une entreprise gigantesque, multinationale, propriété canadienne, eh bien, je ne serais peut-être pas aussi inquiet.

Nous ne vivons pas dans un monde où la concurrence s'exerce de façon juste. Ainsi, la plupart des entreprises dans notre secteur—et je sais qu'il y a des exceptions—sont de toutes petites compagnies, qui doivent faire face à des conditions de concurrence déloyales et de dumping, devant accepter des pratiques commerciales déloyales auxquelles s'adonnent les multinationales étrangères qui sont très très grosses et qui veulent être dominantes à l'échelle mondiale.

Il nous faut donc ce genre de politique pour nous aider un petit peu à redresser—devrais-je utiliser ce terme—un peu l'iniquité du marché. Et c'est important. À défaut de cela, même si j'ai tendance à être d'accord avec vous jusqu'à un certain point, le libre choix des consommateurs canadiens n'existe plus. En effet, quand vous entrez dans un supermarché, vous ne pouvez acheter que ce que l'on vous offre sur les étalages. Ainsi, si en l'absence d'une infrastructure industrielle et en présence d'un marché dominé par une concurrence déloyale, les produits ou les oeuvres de nos artistes canadiens ne sont pas offerts dans les magasins, comment pensez-vous que le public canadien pourra les acheter? Vous comprenez mon point de vue, n'est-ce pas?

M. Deepak Obhrai: Permettez-moi de répondre.

Le président: Eh bien, il ne faudrait pas vous engager dans un débat...

M. Deepak Obhrai: Non, non.

Le président: Il vous reste deux minutes.

M. Deepak Obhrai: Juste une petite chose.

Vous avez parlé de concurrence déloyale et je pense que c'est précisément l'objectif de l'OMC: supprimer la concurrence déloyale. Je pense que les intérêts des artistes canadiens seront bien servis quand ces barrières seront supprimées à l'OMC, ce qui leur permettra l'accès au marché international.

M. Paul Spurgeon: Monsieur Obhrai, permettez-moi de répondre à certaines choses que vous avez dites et que M. Pilon n'a pas abordées.

Tout d'abord, vous vous êtes demandé ce qu'était la culture canadienne. Je pense que nous avons déjà certaines définitions claires. Dans notre mémoire, nous en suggérons quelques-unes pour les oeuvres musicales et les enregistrements, et il y a certainement des définitions qui figurent dans les règlements pris en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, à propos de la programmation canadienne. Je ne pense pas que cela soit contesté.

Vous avez dit vous-même l'essentiel. Vous avez dit que si on leur en donnait l'occasion, les Canadiens pouvaient faire leurs preuves et être aussi bons que n'importe qui ailleurs dans le monde. C'est vrai, ils le peuvent. Il faut toutefois qu'on leur donne l'occasion de faire leurs preuves.

Si on pose l'hypothèse—et cette hypothèse figure dans le rapport SAGIT (Groupes de consultations sectorielles sur le commerce extérieur)—que les biens et les services culturels, ou la culture, représentent des biens et des services passablement différents d'autres biens et services, comment alors procéder pour avoir accès au marché? Peut-on les assimiler à celui qui produit les meilleurs bidules au monde? On pourrait dire que oui, mais il n'en est rien.

Permettez-moi de vous donner un exemple: le palmarès des stations de radio qui tous les jours font passer toute une série de chansons. Vous seriez étonné d'apprendre combien de stations de radio utilisent les services des sociétés américaines qui préparent ces palmarès au Texas ou ailleurs.

La loi du moindre effort consiste à se demander quel est le moyen le plus facile d'obtenir des chansons. Eh bien, on n'a qu'à s'adresser au marché américain car c'est là que la réponse se trouve. Comme l'a dit M. Pilon il s'agit en fait de... Peut-être que le mot «dumping» est trop fort mais à eux seuls, les milliers d'enregistrements qui sortent toutes les semaines aux États-Unis pourraient noyer... Peu importe la qualité. Si on ne donne pas à nos artistes la possibilité de se trouver sur les étalages, les Canadiens n'auront jamais l'occasion de savoir qu'ils existent. C'est aussi simple que cela. Il est plus facile pour les programmateurs de se dire: «Voilà une chanson qui a du succès aux États-Unis. Nous savons qu'elle en aura ici. Tout le travail est fait. Les grandes multinationales se sont déjà occupées de la promotion. Passons cette chanson car elle risque d'avoir du succès.» Ce n'est pas juste.

• 1100

À notre avis, les Canadiens doivent avoir accès aux expressions artistiques de leurs concitoyens. Sans ces mesures, sans l'exigence de contenu canadien, et d'autres mesures dont M. Pilon a souligné l'importance... Il en a peut-être oublié quelques-unes—des mesures fiscales ou d'autres. Tous ces outils de politique culturelle sont importants.

Nous croyons que le contenu canadien ou la programmation canadienne sont un élément crucial pour garantir cet accès aux Canadiens. Cela touche la radiodiffusion, la télévision, la câblodistribution, et jusqu'aux satellites—il faut que les Canadiens aient au moins l'occasion d'entendre et de voir les expressions artistiques de leurs concitoyens. Sans cela, n'y pensez pas.

Nous n'essayons pas d'exclure les produits étrangers. Le gouvernement canadien n'a jamais préconisé cela. Les Canadiens ne le toléreraient pas. Nous avons accès aux produits culturels américains, français, britanniques. Nous voulons tout simplement donner aux Canadiens l'occasion d'entendre les expressions artistiques de leurs concitoyens. Si cela ne leur plaît pas, soit.

Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Valiquette.

M. Gilles Valiquette: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Je vais essayer de répondre en anglais car je voudrais dire...

M. Deepak Obhrai: Je peux compter sur l'interprétation.

M. Gilles Valiquette: Je sais. Ce sera un bon exercice pour moi.

En tant que compositeur, je veux m'assurer que nous comprenons une chose très importante, à savoir que la création musicale est un travail en soi, qui est différent des arts de la scène. Nous avons des artistes de la scène très bien connus au Canada—Céline Dion et Anne Murray sont les noms qui viennent immédiatement à l'esprit—mais ces artistes interprètent des créations qui sont l'oeuvre d'autres gens. Nous ne connaissons pas ces créateurs. Qui est Yves Décary? Qui est Danièle Faubert? Qui est Jim Vallance? Ce sont les gens dont on entend les oeuvres quotidiennement, mais si nous les croisons dans la rue, nous ne les reconnaissons pas.

Nous, la SOCAN, représentons ce que nous appelons en français la matière première, qui est le fondement même de toute l'industrie. Nous sommes essentiellement le contenu de cette industrie, car c'est nous qui concrétisons la culture. Nous disons que la culture est le miroir de la société où nous vivons. Ainsi, il est très important que ce miroir reflète notre réalité, et non pas la réalité des autres. Nous pensons qu'un pays ne peut pas exister sans culture. Nous devons veiller à ce qu'elle existe car sans le Canada, il n'y aurait pas de Parti réformiste.

M. Deepak Obhrai: Me permettez-vous de poser une question, pas plus d'une minute?

Le président: Je pense que vous avez largement dépassé votre temps de parole. Vous aurez sans doute l'occasion de parler de nouveau. Vous afficherez peut-être alors des couleurs politiques différentes.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Non, non, non.

Monsieur Valiquette, votre conclusion concernant le Parti réformiste était très intéressante. Soit dit en passant, nous n'avons pas les mêmes opinions. Si vous tentez de les convaincre, peut-être devriez-vous les fréquenter plus souvent pour faire des efforts pour d'autres choses peut-être plus réalisables.

Ma question s'adresse aux deux groupes et concerne le nouvel instrument international pour protéger et promouvoir la diversité culturelle.

Premièrement, est-ce qu'on a des alliés à cet égard? Je pense que c'est une position canadienne. Je n'en ai pas beaucoup entendu parler au niveau international.

Deuxièmement, est-ce qu'on respecte les délais pour l'amener devant l'OMC en novembre prochain? M. Ivan Bernier nous a dit lundi matin, à Québec, qu'on pourrait penser à le présenter devant l'UNESCO, qui pourrait être un forum intéressant. Donc, j'aimerais vous entendre sur ces trois questions: les alliés, les délais et l'UNESCO. Merci.

• 1105

M. Robert Pilon: Comme vous l'avez sûrement remarqué, je suis l'un des signataires de ce rapport. Cependant, je n'hésite pas à dire que je ne suis pas convaincu que ce soit le meilleur des rapports qui sont sortis sur ces questions. Mon ami Paul Spurgeon s'amusait l'autre jour à sortir les phrases qui se contredisent d'une page à l'autre dans ce rapport. Il y en a quelques-unes effectivement. Cela reflète la diversité de la composition de ce comité, qui a siégé pendant au-delà de deux ans pour accoucher de ce truc-là. Il y a de bonnes choses là-dedans, mais je pense que le rapport est un petit peu...

M. Benoît Sauvageau: On veut ménager la chèvre et le chou.

M. Robert Pilon: Voilà. J'allais dire wishy-washy.

Le président: Excusez-moi. C'est le rapport du SAGIT?

M. Robert Pilon: C'est le rapport du SAGIT, oui. Je pense que cela reflète le débat qui se déroule au Canada sur les meilleurs moyens de maintenir une politique culturelle. Il y a un certain nombre de Canadiens—on vient d'en entendre un, le représentant du Parti réformiste—qui estiment qu'il y a trop de protection et il y en a d'autres qui estiment qu'il n'y en a pas suffisamment. C'est une question de choix de société. On pourrait décider demain matin de laisser tomber tout cela. C'est une question de choix de société. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Il faut choisir si, oui ou non, dans un environnement marqué par l'inégalité de la concurrence, on souhaite encore avoir des disques d'artistes canadiens, des films de réalisateurs canadiens et ainsi de suite. C'est juste une question de choix de société. Ce débat se déroule aussi ailleurs dans le monde.

Voilà qui m'amène à la question des alliés. C'est fondamental. Si vous me demandez mon opinion personnelle, je vous dirai que c'est la chose la plus importante. C'est noté dans le rapport du SAGIT, pas autant que je l'aurais souhaité, mais comme il y a 18 signataires, il y a forcément des compromis. Je pense que c'est la question fondamentale.

On l'a vu en 1993, dans les négociations de l'Uruguay Round. À la toute fin, les Américains, en décembre 1993, ont essayé de faire passer un certain nombre de choses, qui n'ont pas passé. Pourquoi? Essentiellement parce que deux pays ont fait front commun pour bloquer ça. Ces deux pays-là étaient la France et le Canada, avec un peu d'aide de l'Italie, de l'Espagne, etc. La coalition informelle s'est développée au fil des années. Est-ce qu'elle est suffisamment forte aujourd'hui? La réponse est non. Elle n'est pas suffisamment forte. C'est un débat qui se poursuit dans plusieurs pays.

On a vu que l'AMI s'est planté essentiellement à cause de l'existence de cette coalition informelle et de mouvements de masse qui commencent à se développer. On l'a vu en France, à la fin des négociations de l'AMI, notamment à la fameuse assemblée publique au Théâtre de l'Odéon où des gens aussi célèbres que Jeanne Moreau, Charles Aznavour et d'autres sont allés dire: Attention, c'est dangereux, ce truc-là. C'est dangereux pour le maintien de la diversité des expressions culturelles non seulement en France, mais partout dans le monde.

Oui, il faudra continuer à développer ces alliances partout dans le monde, parce que nous ne sommes pas les seuls que cette question touche. Elle nous touche peut-être plus particulièrement parce que nous sommes le voisin des États-Unis, mais aujourd'hui, à l'ère de la globalisation, elle touche aussi les Portugais, les Coréens et tous les peuples du monde. Donc, il faudra développer ces alliés-là.

Sur la question de l'instrument, je pense qu'il y a là une voie intéressante. On peut, par analogie, penser aux choses qui se sont faites alentour du Sommet de Kyoto ou encore du Traité sur les mines antipersonnel. C'est une option intéressante à laquelle je me suis rallié en tant que signataire du rapport. Cependant, tout dépendra de ce qu'il y aura dans ce traité. Tout est là. Si ce traité devient un truc qui restreint les possibilités des États d'avoir des politiques culturelles cohérentes, ce n'est pas bon. Si ce traité formalise clairement les règles et permet aux différent États partout dans le monde d'avoir leurs politiques, des politiques qui sont cohérentes et qui sont suffisantes pour défendre la continuation de la diversité culturelle partout dans le monde, ce sera un bon instrument. Combien de temps est-ce que cela risque de prendre? Probablement plusieurs années. Est-ce que ce sera prêt cet automne, à temps pour les négociations? Sûrement pas, à mon avis.

Cela veut dire qu'il demeurera important pour le Canada, dans les négociations de cet automne, de maintenir sa position traditionnelle, soit l'exception culturelle, soit le retrait des questions de la culture des négociations. Je pense que c'est irréaliste de penser qu'un traité sera signé en l'espace de quelques mois. C'est complètement irréaliste. Donc, je pense que nous devons maintenir nos positions traditionnelles.

• 1110

Je ne suis pas un spécialiste du commerce international, mais j'essaie de me souvenir combien de temps avaient duré les négociations de l'Uruguay Round. Sept ans, huit ans, dix ans? Donc, les négociations qui s'amorceront cet automne pourront aussi durer bien longtemps. Si ces négociations qui s'amorcent cet automne durent cinq ans, on aura peut-être un traité d'ici cinq ans. Alors, il faut développer ces choses-là en parallèle. Tant qu'on n'aura pas de traité, il faudra que le Canada maintienne ses positions traditionnelles, comme il l'a fait en 1993. C'est bien important.

[Traduction]

M. Paul Spurgeon: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Une recommandation du rapport SAGIT préconise que nous tâchions de trouver des alliés, évidemment. Si je ne m'abuse, il y a certains pays qui pensent que l'idée d'un traité sur la diversité culturelle est une bonne chose. C'est ce que j'ai cru comprendre.

Si le Canada devait assumer un rôle de leadership dans ce domaine, de toute évidence ce serait extrêmement utile. Autrement dit, le Canada pourrait prendre les devants et indiquer que nous devons établir dès le départ—ce qui est d'ailleurs mentionné dans notre mémoire et aussi dans le rapport du Groupe sectoriel—les règles et les définir, parce qu'elles ne sont pas claires; il y a beaucoup d'idées qui circulent mais elles ne sont pas définies de façon vraiment claire. Il faut donc énoncer les règles concernant le type de mesures réglementaires intérieures que le Canada et d'autres pays peuvent et ne peuvent pas utiliser, parce qu'il y a certaines règles que nous ne pouvons pas utiliser pour améliorer notre diversité culturelle et linguistique, et je pense que c'est important. Lorsque vous examinerez le document que nous vous ferons parvenir, le document de discussion de l'OMC sur les services audiovisuels, qui ne porte pas uniquement sur le film mais sur tout—la musique, la télévision la radiodiffusion—il s'agit d'une définition très générale.

Il suffit de regarder les autres pays. Chaque pays a ce genre de mesures, comme Robert Pilon l'a indiqué. Chaque pays a des mesures qui contribuent d'une certaine façon à préserver sa culture indigène. L'Europe a des règles qui portent non seulement sur les émissions françaises à la télé française mais sur les émissions européennes à la télé française. L'Inde a des règles concernant la production cinématographique. L'Irlande a des règles quant à la teneur des émissions radiophoniques. Les exemples de ce genre sont innombrables. Donc nous avons beaucoup d'alliés de par le monde avec lesquels nous pourrons établir des priorités et définir clairement en quoi devraient consister les règles à suivre et à inscrire dans un traité de ce genre... Je pense que c'est faisable. Le Canada devrait peut-être montrer la voie à cet égard.

[Français]

Le président: Madame Debien, vous avez deux minutes.

Mme Maud Debien: Monsieur Pilon, vous avez abordé indirectement la question préalable à celle de M. Sauvageau quand vous avez parlé du nouvel instrument et de la question de l'exemption culturelle. Nous avons entendu jusqu'à maintenant un certain nombre de témoins qui nous ont parlé de la création de ce nouvel instrument en rapport avec le document que vous connaissez tous, ainsi que de l'exemption culturelle. La plupart des gens nous ont dit qu'il fallait absolument que le Canada s'oriente vers l'exemption culturelle et maintienne ses positions actuelles, d'abord pour une question de temps, parce qu'on n'aura certainement pas le temps de négocier un nouvel instrument international. Entre-temps, il faut se poser la question: qu'arrivera-t-il si on va négocier ce nouvel instrument global et que l'OMC le refuse? Il faut donc avoir une position de repli, qui est le maintien de l'exemption culturelle.

J'entendais M. Spurgeon parler de précision de règles ou du contenu réglementaire concernant ce nouvel instrument. Un intervenant est venu nous dire la semaine dernière que le Canada n'était pas actuellement prêt à définir un nouvel instrument international parce qu'il n'avait pas de définition claire de ce qu'il veut protéger. Autrement dit, il n'a pas de définition claire de la culture canadienne. Donc, avant de mettre en place des mesures réglementaires, il faut d'abord préciser ce qu'on veut protéger. À ce sujet, on nous donnait l'exemple de la Loi 55. La Loi 55 ne porte pas sur la protection du contenu mais sur la protection de la propriété commerciale. Il y a une très grande différence entre la protection du contenu et la protection de la propriété commerciale. À l'égard de la définition, le Canada, semble-t-il, n'est pas prêt à faire son lit.

• 1115

Le président: Monsieur Robert Pilon.

M. Robert Pilon: Je suis presque essentiellement d'accord sur tout ce que vous venez de dire, madame Debien. Il y a du travail à faire. Ce qu'il y a d'intéressant dans cette proposition-là, c'est qu'elle va susciter un débat et qu'il est temps que ce débat-là se fasse.

On s'est rendu compte que les protections dites d'exemption ou d'exception culturelle qu'on a dans l'ALENA ou dans l'OMC coulent à l'épreuve du temps. La pluie passe à travers le toit. Il est clair que ce n'est pas suffisant. Il faut trouver autre chose.

La définition de règles précises dans le traité est une avenue intéressante qu'il faut explorer. Est-ce que cela va prendre du temps? Oui, cela va prendre du temps. Est-ce qu'entre-temps, il faut avoir autre chose? Oui, entre-temps, il faut avoir autre chose. Je suis tout à fait d'accord que c'est fondamental.

J'aimerais faire une toute petite remarque rapide sur la question du projet de loi C-55. Je ne suis pas sûr de partager tout à fait votre avis à ce sujet. À mon avis, la question de C-55 et des magazines est indirectement une question de contenu. Comme je le disais tout à l'heure pour la radiodiffusion, à mon avis, la propriété canadienne et le contenu canadien sont intimement liés.

J'espère que le gouvernement canadien maintiendra ses positions et ne cédera pas aux pressions des Américains sur cette question. Il ne suffit pas de mettre une règle de contenu. Si vous mettez une règle de contenu sur les magazines canadiens et dites que, pourvu qu'il y ait 60 p. 100 de contenu canadien, on laisse Sports Illustrated entrer ici, il y a un danger. Quel sera le prochain geste posé? Est-ce que MTV va dire qu'il est prêt à offrir 40 p. 100 de contenu canadien si on lui donne une licence de radiodiffusion au Canada? C'est le doigt dans le tordeur. C'est très dangereux, cette question-là. Donc, il faut toujours maintenir un équilibre entre la propriété canadienne et le contenu canadien, car l'un ne va pas sans l'autre.

Mme Maud Debien: Merci.

Le président: Monsieur Spurgeon.

[Traduction]

M. Paul Spurgeon: Je ne crois pas que nous devrions nécessairement abandonner les cinq instruments que l'on a déterminés—je crois que Robert Pilon en a isolé trois—c'est-à-dire les incitatifs financiers et les incitatifs de programmes, les exigences de programmation canadienne ou le soutien réglementaire, les mesures fiscales, la propriété de l'investissement étranger et enfin la propriété intellectuelle.

Je pense que nous ne devrions pas confondre les industries culturelles forcément avec la culture. Nous devrions plutôt considérer qu'elles sont complémentaires. Les industries culturelles... Si vous examinez la définition de service audiovisuel, établie par l'OMC, sa définition inclut par exemple les stations de radio ou les stations de télévision. Nous sommes tous dans le même bateau. Les stations de radio canadiennes veulent survivre de même que ceux qui s'occupent du contenu des émissions de ces stations pour permettre aux Canadiens d'y avoir accès.

Par exemple, je pense que nous avons une définition claire de ce que constitue la culture canadienne dans l'industrie de la musique. Je pense que cela est assez clair et je crois que cela vaut aussi pour le secteur de la télévision. Je ne suis pas sûr que cela existe dans d'autres secteurs. Je ne suis pas sûr par exemple du secteur de l'édition, mais je suppose que c'est assez évident. Peut-être que dans certains cas, si un livre est écrit par un Canadien, on considère qu'il s'agit de contenu canadien.

Si nous considérons l'industrie et la culture comme des éléments complémentaires et examinons les mécanismes et les industries qui permettent aux Canadiens d'y avoir accès, nous constatons qu'il s'agit d'une forme de secteur organique. Il faut que tous ces éléments bénéficient d'un type quelconque d'appui ou d'incitatif ou de mesure qui permet de s'assurer, si on revient au contenu, que les Canadiens ont accès—sans exclure quoi que ce soit, mais au moins s'assurer que les Canadiens ont accès à cette culture, à l'industrie culturelle, à tout ce qui leur permet d'entendre leurs compatriotes.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: C'est au sujet d'une question de M. Sauvageau. M. Sauvageau et moi ne sommes pas du même parti, mais je partage beaucoup plus de choses avec lui et Mme Debien qu'avec nos collègues réformistes. M. Sauvageau posait une question sur la recherche d'alliés. Je pense que vous avez eu ce matin la démonstration que vous n'avez pas à chercher vos ennemis très loin. Il y a de ces ennemis à l'intérieur même du Parlement, à l'intérieur même du comité.

• 1120

Quand je parle d'ennemis, ce n'est pas nécessairement péjoratif. On pourrait plutôt parler d'adversaires en ce qui concerne la situation de la culture. Vous comprendrez qu'il est à ce moment-là très, très difficile de développer une position solide. Ces mêmes personnes, ce matin, ont aidé un gouvernement étranger à mettre du trouble dans la compagnie Bombardier. Vous voyez un peu le bordel dans lequel on se trouve parfois. Il pourrait être intéressant et important de maximiser la crédibilité de vos alliés.

Mme Maud Debien: Tu fais de la politique.

M. André Bachand: Je ne fais pas de politique. C'est un constat. Si nous faisons tout ce que nous pouvons pour convaincre des pays étrangers de nous appuyer pour l'exemption culturelle, qui est le minimum qu'on peut avoir, alors que nous nous faisons poignarder dans le dos ici même, nous allons avoir de graves problèmes et nous devons en être conscients. C'est ce que je dis.

La mesure d'exemption n'est pas une mesure de protection. C'est le minimum qu'on peut avoir.

Vous pouvez compter sur l'ensemble des parlementaires moins l'opposition officielle, qui sera encore opposition officielle pendant quelque temps, malheureusement, pour ce qui est de la question de la culture. Il est certain qu'il y a beaucoup de gens qui partagent vos intérêts et vos craintes.

Passons à une question plus spécifique. Il y a beaucoup d'accords qui touchent la propriété intellectuelle et la culture. Il y a des conventions, signées ou pas, appliquées ou pas: Berne, Paris, la convention sur la propriété intellectuelle de janvier 1995. On a des ententes de libre-échange dans lesquelles on parle d'exemptions culturelles. Il reste qu'il y a toujours un problème de définition d'un bien et d'un service culturels. Cela revient continuellement. Il y a aussi le fait que même l'entente sur la propriété intellectuelle de janvier 1995 fait appel à l'OMC dans le cas du règlement de ses différends.

Donc, une chose est claire: tout ce qui a déjà été signé, que ce soit les ententes de libre-échange, les conventions bilatérales, trilatérales, multilatérales ou internationales, incluant même l'UNESCO, risque d'être mis à l'épreuve d'une façon assez dure à l'OMC.

J'aimerais vous entendre sur les différents autres accords qui existent sur la propriété intellectuelle et sur la culture. J'aimerais également que vous me disiez jusqu'où vous seriez prêts à aller pour atténuer les craintes de certaines personnes face à l'élément culturel.

M. Robert Pilon: J'ai manqué la fin de votre question.

M. André Bachand: Les Américains sont en train de négocier et risquent d'arriver avec des propositions qui vont ébranler le système, c'est-à-dire les cinq points dont vous parliez, et l'aide directe et indirecte à l'industrie culturelle dans son ensemble.

Lesquelles de ces cinq règles seriez-vous prêts à atténuer ou à modifier pour qu'on puisse arriver à une entente internationale qui non seulement n'exclura pas la culture mais la protégera?

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Bachand.

Monsieur Pilon.

M. Robert Pilon: Sur la question de la propriété intellectuelle, je vais laisser mes collègues de la SOCAN répondre car ils sont plus compétents que nous en cette matière. Je vais seulement faire une petite remarque.

Le projet de loi C-32, qui a été adopté en 1997, prévoit un régime de rémunération équitable pour l'exécution publique, notamment en radiodiffusion, mais aussi un régime de copie privée. Pas plus tard que la semaine dernière, notre amie Mme Barshefsky disait qu'ils allaient contester ça et qu'eux souhaitaient bénéficier des redevances sur la copie privée. C'est inacceptable. Les Américains n'ont pas de régime de copie privée aux États-Unis, sauf pour les supports numériques, ce qui est encore minuscule. Lorsque des disques d'artistes canadiens sont copiés aux États-Unis, ni l'auteur, ni le producteur, ni l'artiste-interprète ne reçoivent de redevances.

Je ne vois pas pourquoi on serait suffisamment stupides pour envoyer des sommes d'argent significatives aux États-Unis, alors qu'on n'a pas, en contrepartie, la même chose lorsque nos oeuvres ou nos disques sont piratés aux États-Unis. C'est ma seule remarque.

• 1125

Quant à la question du compromis, je répète que la vie, c'est la vie et que la politique, c'est la politique, et que tout cela finira peut-être par un compromis. J'espère que le compromis, s'il y a compromis sur le projet de loi C-55, s'en tiendra aux principes essentiels, soit que la propriété canadienne et le contenu canadien sont inséparables. Je pèse mes mots. On ne me fera pas croire qu'uniquement une règle sur le contenu canadien est suffisante.

À court terme, vous pourriez accepter qu'on publie un Sports Illustrated où il y aura 60 p. 100 de contenu canadien. Bravo, mais pesons les conséquences d'une telle chose sur l'ensemble de nos politiques culturelles. Notamment en radiodiffusion, les répercussions d'une action semblable seraient considérables. Je ne pense pas qu'on doive faire ce type de compromis.

Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais prendre quelques secondes pour vous parler d'un regroupement d'une cinquantaine d'associations représentant tous les secteurs des arts, de la culture et des communications, en passant par l'Union des artistes à l'Association canadienne des radiodiffuseurs, du Regroupement des artistes en arts visuels à l'ADISQ, la SOCAN, la SPACQ, les éditeurs de livres et les producteurs de films, qui ont tenu à Toronto lundi dernier, le 15 mars, une conférence de presse pour manifester leur appui au projet de loi C-55. J'ai en main des documents publiés à cette occasion ainsi que la liste des associations. J'aimerais, si vous me le permettez, les déposer auprès du comité.

Puisqu'on parlait d'alliances internationales, j'aimerais souligner qu'il faut commencer par les bâtir dans son propre pays. Ici, au Québec, on a créé l'été dernier un truc assez intéressant, à l'initiative notamment de l'Association des réalisateurs et réalisatrices de films du Québec et de l'Union des artistes. On a formé une coalition qui regroupe maintenant une quinzaine d'associations, dont l'ADISQ, et qui s'appelle la Coalition pour la diversité culturelle. Cette coalition a émis une déclaration où figurent les grands principes qui doivent être respectés en matière de culture dans les accords commerciaux internationaux. Je n'en traiterai pas de façon détaillée, mais les grands principes ont été énoncés. Je me fais le messager de ces gens avec qui je participais à une réunion ce matin et qui souhaiteraient bien, d'ailleurs, venir témoigner devant votre comité. J'ai apporté un nombre suffisant de brochures pour que vous puissiez tous en prendre connaissance. Je vous remercie.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Valiquette.

M. Gilles Valiquette: Merci beaucoup.

Évidemment, c'est une situation qui est loin d'être simple. Il est loin d'être facile de la décortiquer. La question que vous posez est déchirante. Nous, de la SOCAN, ne sommes pas partis à zéro. Des gens sont arrivés avec le fameux rapport dans lequel ils soulèvent cinq points. Je suis conscient des discussions qu'ils ont dû mener en vue d'en arriver à une conclusion pratique.

Il est indéniable que la SOCAN appuie ces cinq points, mais il est difficile de privilégier l'un ou l'autre. Nous avons l'impression qu'une fois que ce rapport aura été complété, le ministère sera obligé d'agir. Nous avons l'impression qu'il faut comprendre—et c'est là-dessus qu'on veut mettre l'éclairage aujourd'hui—l'aspect du contenu canadien et la propriété intellectuelle. Ce n'est pas un élément contre l'autre, mais plutôt le fait que ces éléments sont essentiels à notre survie. Il faudra les préserver précieusement.

On ne sait pas où tout cela va se terminer. On sera obligé de bouger face à cette question. Comme M. Pilon le disait, notre message d'aujourd'hui porte sur la préservation de cet aspect du contenu canadien. On fait parfois de mauvais coups, mais d'autres fois, on en fait de bons. Je pense qu'on doit se féliciter d'avoir fait celui-là. D'une certaine façon, comme M. Pilon l'a expliqué, on a été proactifs. On n'a pas attendu que quelqu'un commence une mode qu'on a par la suite suivie.

Le Canada en sortira gagnant lorsqu'il aura trouvé une solution. Elle ne sera pas idéale, mais ce sera une solution qui saura nous servir. Mettons un éclairage particulier sur le contenu canadien et allons de l'avant. Soyons proactifs et nous finirons en ayant en main plus d'éléments que si on n'avait fait qu'attendre sur le terrain.

• 1130

[Traduction]

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Spurgeon, avez-vous un commentaire?

M. Paul Spurgeon: En ce qui concerne votre question concernant la propriété intellectuelle comme l'un des instruments d'un traité commercial destiné à aider la culture, je pense en général que vous partez du principe que tous les pays sont d'accord avec cette proposition. Nous tenons tous à nous assurer qu'il existe par exemple des lois efficaces sur le droit d'auteur qui permettent aux titulaires de droit d'auteur d'être indemnisés. Cela va de soi. Les Américains, les Français, les Britanniques et nous-mêmes les Canadiens—nous tenons tous à nous assurer que ces lois sont solides et qu'elles protègent les créateurs et les éditeurs et s'assurent qu'ils sont payés pour l'utilisation de leurs oeuvres.

Cela dit, on pourrait croire alors que la question est réglée et qu'il n'y a pas vraiment de contestation, mais comme M. Pilon l'a indiqué, à cause de la façon dont ont été libellées les dernières dispositions de la Loi sur le droit d'auteur, en n'accordant pas de droits en fonction de ce que nous appelons un traitement national... en d'autres mots, les Américains, en ce qui concerne les enregistrements domestiques, sont traités de la même façon que les Canadiens, et la même chose s'appliquerait aux nouveaux droits voisins qui ont été créés dans les dernières dispositions de la Loi sur le droit d'auteur.

Cela donne lieu à certains irritants commerciaux avec les États-Unis mais en théorie, des dispositions solides en matière de propriété intellectuelle—si vous élargissez les droits et la protection aux titulaires de droit d'auteur sur la base d'un traitement national—ne devraient pas soulever d'objection. Les seuls qui s'y opposeraient seraient les pays qui sont de toute évidence des pays pirates, c'est-à-dire qui autorisent la vente d'enregistrements qui ont été faits sans autorisation.

En ce qui concerne votre question concernant l'exemption culturelle, je pense que vous conviendrez avec moi que si vous examinez le problème créé par l'exemption culturelle prévue pour les industries culturelles dans l'ALENA, vous constaterez, comme M. Pilon l'a dit, qu'il y a des fuites dans le toit et que la situation est sans doute pire car il n'y a probablement même pas de toit.

Le fait est que si vous examinez cette partie, les États-Unis peuvent prendre des mesures ayant un effet équivalent. S'ils estiment que nous faisons quelque chose qu'ils n'aiment pas sur le plan culturel, ils peuvent exercer des représailles comme bon leur semble, pas seulement dans le domaine culturel mais dans le secteur des biens ou services, ce qui pourrait s'avérer vraiment injuste. Ils pourraient exercer des représailles n'ayant rien à voir avec la culture.

Par conséquent, cette partie—peut-être que cela ne concerne pas la définition de contenu mais la partie même—n'est pas vraiment un mécanisme efficace, ou aussi efficace que nous l'espérions initialement lorsque nous l'avons formulée. C'est pourquoi nous devons l'examiner. Il s'agit d'un instrument que nous avons utilisé et qui n'est pas particulièrement efficace. Nous devons examiner d'autres instruments. Et le présent traité sur la diversité culturelle constitue une nouvelle démarche.

[Français]

M. André Bachand: Merci.

Le président: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: J'ai écouté les propos des gens assis de l'autre côté de la table et je ressens un besoin vraiment profond de vous dire qu'en ce qui me concerne personnellement, ainsi qu'en tant que membre du Parti libéral du Canada, j'ai la conviction profonde que s'il existe une culture canadienne aujourd'hui, en l'an 2000, c'est parce que dans les années 1950, 1960, 1970 et ainsi de suite, il y a eu des actions de la part du gouvernement du Canada, de Radio-Canada, de CBC et du CRTC en vue de protéger les créateurs, les écrivains et les dramaturges.

Je me souviens des concours qu'il y avait à Radio-Canada et surtout à CBC à l'époque. Je me souviens même de CBC Wednesday Night. On faisait la promotion de tous les écrivains et de tous les créateurs from coast to coast. À l'époque, il n'y avait pas de troisième coast.

Si aujourd'hui la famille McGarrigle peut aller partout au Canada et dans le monde, et que Pierre et Marie-Christine Séguin peuvent faire la même chose, c'est parce qu'il y a eu de l'aide et de la protection. Disons-le: c'est de la protection. Je suis tout à fait d'accord sur cette politique qui a fait qu'aujourd'hui, on est plutôt du côté positif que du côté négatif. Je dis bien plutôt puisque je mesure mes mots. Je sais que la culture est en danger. La culture est une créature fragile, et la culture canadienne est encore plus fragile.

• 1135

J'englobe dans cette culture canadienne toutes les diversités de langue, d'ethnie et ainsi de suite. C'est un aspect important que je voulais vraiment souligner. J'ai été membre de l'Union des écrivaines et écrivains québécois et je sais quel appui moral j'ai pu avoir de la part de l'UEEQ. Là encore, du côté personnel, je suis tout à fait d'accord.

Bien que je n'aie pas de questions à poser, j'aimerais faire un autre commentaire et envoyer quelques flèches de l'autre côté de la table en disant à quel point ça me fait plaisir, comme fédéraliste, de voir que les membres du Bloc québécois reconnaissent l'importance de l'aide que peut leur apporter le gouvernement québécois dans une chose qui leur tient énormément à coeur, qui est la culture, la culture québécoise à l'intérieur de la culture canadienne. Je suis très contente et fort aise d'entendre ces commentaires et de voir à quel point il est important que le gouvernement canadien continue d'apporter cette aide, malgré les critiques qu'il peut recevoir. Je n'ai pas de questions, comme je vous l'ai dit, mais je tenais à faire ces quelques commentaires. Merci.

Le président: J'aimerais apporter une petite précision, s'il vous plaît, madame Folco. Vous avez parlé de «l'aide que peut leur apporter le gouvernement québécois».

Mme Raymonde Folco: Oh, excusez-moi. Je voulais parler des gouvernements québécois et canadien, bien qu'en ce qui me concerne, je voulais surtout parler du gouvernement canadien. Je vous remercie de me l'avoir précisé.

Le président: Vous avez juste oublié un petit adjectif.

Mme Raymonde Folco: Oui, tout à fait.

Le président: Un lapsus s'est glissé dans votre exposé.

Mme Raymonde Folco: Comme je viens du Québec, il est évident que je faisais allusion à un partenariat, monsieur le président.

Le président: Très bien. Tant mieux.

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Je remercie nos témoins d'être venus nous rencontrer et de nous avoir présenté leur mémoire.

Je suis très heureux de constater que le rapport du SAGIT semble faire une certaine unanimité à l'intérieur de votre industrie, surtout concernant ce qui existe ou n'existe pas actuellement relativement à notre souveraineté culturelle, ainsi que concernant la marche à suivre.

Certains personnes qui sont venues témoigner devant notre comité nous ont dit que nous devions vraiment être proactifs dans ce domaine, sinon nous risquerions de faire face à de graves problèmes à l'avenir.

J'aimerais vous poser une question relativement à la page 22 de votre mémoire,

[Traduction]

où vous parlez de la nécessité d'agir maintenant. Vous dites simplement:

    La SOCAN craint que les préparatifs pour les négociations de l'OMC sur les services soient déjà bien entamés et que des décisions risquent d'être prises bientôt qui pourraient empêcher d'établir un instrument international efficace sur la diversité culturelle.

[Français]

On parle de l'avenir ce matin. Il y a des choses qui fonctionnent actuellement et j'aimerais savoir ce qu'elles sont. Monsieur Valiquette ou monsieur Spurgeon, j'apprécierais que vous me parliez des services dans le cadre de l'OMC. J'aimerais savoir ce qui se passe actuellement, parce que la situation présente pourrait avoir une influence sur l'avenir même des négociations relativement aux problèmes de la culture.

[Traduction]

M. Paul Spurgeon: Quant à la définition de ce qui constitue un service et de ce qui constitue un produit—et de toute évidence il ne faut d'ailleurs pas s'attendre à trouver ce que l'on entend par canadien—c'est un problème également, et nous l'avons constaté avec l'affaire des magazines. Notre crainte, c'est que depuis ces discussions et depuis qu'on examine ces questions—ils ont déjà publié une étude sur le sujet—nous, au Canada, devons le plus tôt possible—lorsque je dis le plus tôt possible, je dis d'ici le début de l'été. Nous devons trouver des moyens suffisamment concrets qui nous permettront de cibler les approches que nous devons adopter peut-être pas de façon aussi détaillée mais qui nous permettront de déterminer comment nous envisageons les services audiovisuels.

C'est ce dont il s'agit: établir fermement notre position à l'égard de ce genre de choses. C'est l'objectif que nous visons. Nous devons nous assurer de définir clairement ce qui constitue un produit et ce qui constitue un service dans ce domaine, parce qu'il y a peut-être certains aspects qui se chevauchent.

Le président: Monsieur Pilon.

[Français]

M. Robert Pilon: Je ne traiterai pas de questions très techniques, mais je soulèverai le fait que des négociations seront entamées en novembre, que les gens de notre milieu ne savent pas exactement où ces négociations nous mèneront et que nous sommes soucieux.

• 1140

Nous acceptons le fait que dans le cadre de négociations internationales, il y a toujours une certaine mesure de confidentialité. Nous souhaitons toutefois que le processus soit empreint du plus de transparence possible. Je suppose que vous, les parlementaires, souhaitez aussi pouvoir suivre l'évolution des négociations. En prenant l'initiative d'organiser ces audiences, vous démontrez une attitude très positive à ce niveau.

Il est évident que nos amis américains exerceront des pressions énormes. Il ne faut pas se faire d'illusions,

[Traduction]

La tâche ne sera pas facile,

[Français]

comme le démontrent déjà leurs réactions face au projet de loi C-55. On a eu recours à des tactiques de chantage absolument odieuses et, comme par hasard, on a fait des menaces de représailles dans le domaine de l'acier, portant ainsi atteinte au comté de la ministre qui a mis de l'avant ce projet de loi. C'est une tactique absolument odieuse; cela ressemble à des tactiques de motards. Peut-on s'attendre à d'autres tactiques semblables? Oui, c'est sûr.

Est-ce qu'à un moment donné, la tentation de céder sera forte parce qu'on craindra de perdre des emplois dans un autre secteur? J'aimerais mettre en garde le gouvernement et les parlementaires à cet égard. Devront-ils faire des calculs et baser leur choix en fonction du nombre d'emplois perdus, préférant faire des concessions dans le secteur des magazines, de la radio ou du disque, plutôt que de perdre 2 000 emplois de plus dans un autre secteur? Ce n'est pas comme ça qu'on bâtit des politiques. Il y aura des épreuves de force et des moments pénibles. Les parlementaires devront faire des choix difficiles. On aurait tort de croire que ces questions se régleront facilement et que dans six mois ou un an, les Américains diront que c'est correct et qu'ils laissent tomber. Non, ils ne laisseront pas tomber parce que cela représente leur premier secteur d'exportation. Ici, au Canada, et dans d'autres pays tels le Portugal et la France, il faut se demander dans quel genre de monde on voudra vivre à l'avenir.

Prenons encore l'exemple du traité sur les mines antipersonnel qu'on rejeté les Américains et qu'ils n'ont toujours pas signé, que je sache. Leur refus n'a pas empêché un bon nombre d'autres pays de le signer. Ce traité a été une grande initiative du Canada extrêmement positive pour l'avenir de l'humanité.

Il faut aborder cette problématique de la même façon. Les défis qui nous attendent au cours des prochaines années par rapport à cette question de la diversité culturelle sont très semblables aux défis relatifs à l'environnement, qu'on veut protéger pour les générations futures. Si nous sommes soucieux de protéger notre environnement physique, la vie, les espèces, les plantes, etc. au cours des années à venir pour les générations futures, le moins qu'on puisse faire, c'est de faire des efforts semblables pour les humains au niveau de la culture et de la langue. Ce sera difficile et nous devrons peut-être faire des sacrifices dans d'autres secteurs. C'est un choix de société qu'il nous faudra faire.

Il ne faudrait pas oublier qu'une chose est encourageante. Comme l'indiquait votre collègue, trop de gens disent que nous sommes à l'ère de l'Internet, de l'abolition des frontières, du commerce international libéralisé et de la mondialisation, qu'on est un village global et que ces mesures-là sont rétrogrades et dépassées. Je dirais que oui et non. Bien que ces mesures puissent sembler dépassées, on a constaté dans le domaine de la musique, au cours des cinq ou six dernières années, qu'au moment où l'on progresse vers la mondialisation et où Madonna et d'autres artistes américains sont de plus en plus présents sur la planète, un phénomène contraire se produit: dans plusieurs pays du monde, notamment en Allemagne, en Corée, au Japon, en Italie et en Espagne, les parts de marché des artistes locaux ne sont pas à la baisse, mais plutôt à la hausse. Il s'agit probablement d'un effet de balancier qui s'exerce. Bien que les gens soient intéressés à connaître la culture américaine, qui est intéressante et qu'on ne critique pas, des pays comme l'Espagne, le Portugal ou la Corée se disent qu'il n'y a pas que Madonna dans le domaine de la musique. Les citoyens de ces pays se disent intéressés à entendre leurs propres artistes ou les artistes d'autres pays que les États-Unis, ainsi qu'à créer une fenêtre, ce qui leur permettra de vivre et de s'exprimer. C'est ça, le combat pour la diversité culturelle. C'est aussi simple que ça. Ce n'est pas un combat protectionniste dans le sens négatif du terme, mais plutôt un combat extrêmement positif. Ce n'est pas un combat d'arrière-garde, mais un combat extrêmement d'avant-garde.

M. Bernard Patry: Merci.

Le président: Si vous me permettez de faire une brève intervention là-dessus, j'aimerais préciser que les trois pays auxquels vous avez fait allusion sont tous des pays qui ont l'avantage d'utiliser une langue autre que l'anglais. C'est là qu'est le problème des Canadiens de souche anglaise, du côté anglais de ce pays.

• 1145

Je regarde ce qui se passe au Québec. Vous avez ici une industrie du film qui a du succès. Pourquoi? Parce que vous avez vos propres films, tandis que nous, nous avons des films américains, etc. Donc, c'est à cet égard qu'on doit essayer de trouver nos alliés, comme vous dites, dans la bataille qui va se livrer. Je crois que le problème est beaucoup plus important dans les sociétés et les pays de langue anglaise, parce qu'ils sont plus facilement pénétrés par les Américains que les autres sociétés.

Cela dit, j'aimerais vous poser une question, monsieur Pilon. Vous avez commencé en disant que vous étiez en faveur du rapport du SAGIT, mais vous avez ensuite mitigé un peu votre opinion en disant que vous ne vous y ralliiez pas entièrement. Ce qui m'attire dans le rapport du SAGIT, c'est que les gens qui l'ont présenté l'autre jour ont dit qu'il fallait quelque chose de nouveau, qu'il n'était plus possible d'avoir recours explicitement aux mesures du passé, surtout parce que la technologie nouvelle a imposé de nouvelles règles, non seulement dans le domaine de la culture, mais dans tous les domaines. Les règles sont bousculées.

Je suis avocat de profession et je vois que la plupart des lois adoptées sont déjà dépassées même au moment où elles sont adoptées parce que la technologie a déjà évolué. Donc, pour ce qui est de la technologie, dans votre domaine de la culture, surtout avec la communication internationale qui existe aujourd'hui, il faut réfléchir aux types de mesures qui sont praticables et qui fonctionnent dans ce domaine.

Nous aimerions que votre secteur nous fasse part d'idées nouvelles pour nous protéger. Nous acceptons le principe que vous nous présentez, mais quelles sont les procédures et les procédés qui vont être praticables et qui vont réussir dans cette atmosphère nouvelle?

M. Robert Pilon: D'abord, si vous me le permettez, monsieur le président, je vais faire une remarque sur ce que vous dites sur les pays de langue anglaise. Si vous vous placez dans la perspective du Canada anglais, vous allez trouver des alliés en Australie notamment, qui est aussi un pays qui a la tradition de créer un espace pour ses artistes, où des règles ont été établies en termes de limitation de la propriété étrangère dans le domaine de la radiodiffusion, par exemple. Vous allez trouver des alliés en Irlande et en Angleterre. En 1993, au moment de la fin des négociations de l'Uruguay Round, le gouvernement britannique a pris une position relativement proche de celle du gouvernement américain. Ce n'est pas le cas de tous les artistes britanniques, notamment dans le secteur du cinéma, par exemple. Des producteurs, des réalisateurs de films se sont associés avec leurs collègues français et américains pour dire: Attention, ne touchez pas à cela.

Il y a aussi une volonté chez les artistes, chez les créateurs et chez bon nombre de producteurs dans les pays anglo-saxons. Ils disent: Attention, il n'y aura pas une seule culture mondiale; il va y en avoir plusieurs.

Le président: Même aux États-Unis.

M. Robert Pilon: Même aux États-Unis.

Le président: La culture, c'est bon pour le monde.

M. Robert Pilon: Tout à fait. Le secteur de la production indépendante de cinéma est important aux États-Unis.

Le président: C'est juste M. Valenti qui...

M. Robert Pilon: Sur la question du rapport du SAGIT, je veux préciser ce que je disais. Je suis entièrement d'accord sur la recommandation principale. Je pense que les protections qu'on a à l'heure actuelle dans les traités... M. Spurgeon dit qu'il n'y a même pas de toit. Moi, je dis que cela coule, qu'il y a un gros trou dans le toit. Il faut trouver autre chose. Je pense que l'avenue du traité est intéressante et qu'il faut l'explorer, mais il faut aussi être réaliste. Il va falloir un certain temps avant d'arriver à cela. C'est pour cela qu'entre-temps, il ne faut pas laisser tomber les autres trucs. C'est important.

Pour ce qui est de l'analyse du contenu du rapport, quand vous êtes 18 à écrire un rapport, il y a un peu de compromis là-dedans et un peu de phrases contradictoires.

Sur la question des nouvelles technologies, vous allez trouver dans le rapport des paragraphes qui disent: Aujourd'hui, à l'heure des nouvelles technologies, de l'Internet, on ne peut plus réglementer quoi que ce soit. D'autres phrases disent un peu le contraire: C'est toujours possible au plan technique et il est probablement important de continuer à le faire. Il faut faire attention.

• 1150

Dans les médias aujourd'hui, surtout dans un contexte où l'idéologie du néo-libéralisme est très forte, lorsqu'on parle des nouvelles réalités du commerce international, des technologies ou de la mondialisation, on va souvent vers des clichés, sans trop creuser. Par exemple, il y a un cliché très répandu voulant qu'on ne puisse pas contrôler Internet. Eh bien, c'est faux. Demandez à des ingénieurs. Au plan technique, il est infiniment plus facile de contrôler quelque chose qui est numérisé que quelque chose qui ne l'est pas. Au plan social, on commence à se rendre compte...

Le président: Je suis un peu dans le camp de ceux qui disent qu'on ne peut pas le contrôler. Je pense qu'un pays individuel ne peut pas le contrôler. Il faut une coalition de pays pour le contrôler. On parle de la taxe Tobin et de toutes ces choses-là. Elles sont réalisables, mais à condition qu'il y ait un consensus assez grand dans la communauté internationale pour les imposer. Le Canada ne pourrait pas les imposer seul.

M. Robert Pilon: Je vais parler d'autres questions qui sont plus controversées ces jours-ci. Il y a, par exemple, toute la question de la pornographie infantile sur Internet. Je pense qu'on commence à se rendre compte, non seulement au Canada mais dans plusieurs autres pays du monde, que la réalité est plus complexe que ne le disent les tenants du Far West, de la liberté de créer, de la liberté de faire ce qu'on veut sur Internet. C'est bien beau, la liberté et le Far West, mais quand la liberté et le Far West permettent à la pornographie infantile de se développer sur Internet, on commence à se dire qu'il va peut-être falloir le contrôler. À ce moment-là, on commence à se dire que s'il faut le contrôler pour cela, c'est peut-être possible au plan technique. Les ingénieurs disent que c'est possible. Peut-être que dans cinq ans, on n'aura pas la même vision simpliste qui a été trop souvent véhiculée sur les nouvelles réalités, comme si du jour au lendemain, il y a deux ans, le monde avait changé du tout au tout. Ce n'est pas si simple que ça.

Quand la radio a commencé, dans les années 1920, il y avait des gens qui disaient: C'est fini, la radio américaine va nous envahir et il n'y aura rien à faire. Pourtant, on a trouvé des choses à faire. On a trouvé des possibilités techniques. On a créé Radio-Canada, on a inventé le CRTC plus tard et on a adopté la Loi sur la radiodiffusion. Il y a toujours moyen, quand il y a une volonté sociale et politique, de préserver la diversité d'expression culturelle et l'accès à cette diversité pour la population canadienne. Quant il y a la volonté politique de le faire, il est possible de trouver les moyens juridiques, législatifs et techniques de le faire.

Le président: Merci beaucoup. Madame Debien, pouvez-vous être assez brève?

Mme Maud Debien: Oui, monsieur le président.

Le président: Il y a dans l'audience un M. Di Iorio qui aimerait nous présenter quelques observations là-dessus. On va lui accorder cinq minutes et on ajournera ensuite pour le déjeuner.

Mme Maud Debien: D'accord. Je voudrais souligner aux témoins que la semaine dernière, un témoin a lancé une phrase choc: il a dit que le Canada était actuellement en état de siège sur le plan culturel. À la page 5 du rapport du Groupe de consultations sectorielles, il y a un certain nombre de statistiques qui décrivent la situation effarante qui prévaut. Cela me ramène à ma première question concernant l'exemption culturelle et le nouvel instrument qu'on propose dans ce rapport.

Vous avez raison, monsieur Pilon, de dire qu'il faut lancer le débat sur la création d'un nouvel instrument. Je suis parfaitement d'accord avec vous mais, compte tenu du temps que peuvent prendre ces négociations, je veux vous entendre réaffirmer au gouvernement canadien, parce que notre rapport va s'adresser au gouvernement canadien, que d'ici là, il faut absolument maintenir l'exemption culturelle lors des prochaines négociations. Il faut que ce soit clair pour nous. Il faut que ce soit le message que vous lanciez, si c'est le message que vous voulez lancer au gouvernement canadien, en prévision de la prochaine ronde de négociations. J'espère qu'on s'entend là-dessus. C'est le minimum auquel je m'attends de votre part. C'est aussi le minimum que nous devons transmettre dans notre rapport au gouvernement canadien: il doit défendre cette position-là lors des prochaines négociations. Je ne dirais pas que c'est la position de repli, mais c'est la position qu'on doit maintenir actuellement. Je voudrais vous entendre clairement là-dessus.

• 1155

M. Robert Pilon: Madame Debien, en ce qui concerne l'ADISQ, la question est très, très claire: la culture ne doit pas être sur la table de négociations tant qu'on n'a pas un traité qui détermine ce qu'on peut faire et ce qu'on ne peut pas faire.

Mme Maud Debien: Merci.

Le président: Monsieur Spurgeon.

[Traduction]

M. Paul Spurgeon: [Note de la rédaction: Inaudible]... et je suppose que nous devons indiquer clairement qu'il existe d'autres outils, ce que fait d'ailleurs très bien ressortir le rapport SAGIT. Si nos mémoires ne l'ont pas indiqué clairement, je tiens à préciser que nous appuyons effectivement, tout comme l'a fait M. Pilon, le rapport SAGIT. Nous croyons qu'il s'agit d'un excellent rapport. Il est vrai qu'il renferme certaines incohérences mais en général l'orientation de ce rapport est bonne, à mon avis.

En ce qui concerne les listes dont vous avez parlé, lorsque vous regardez ces statistiques, c'est scandaleux. Ces statistiques existent depuis un certain temps. Nous en avons pris connaissance. C'est pourquoi il est si important de nous assurer d'avoir des règles sur le contenu et d'autres instruments pour éviter l'érosion de l'accès que nous avons maintenant.

Je vous remercie.

[Français]

Le président: Je vous remercie tous.

M. Di Iorio veut nous faire part de quelques observations. Si vous voulez rester ici deux ou trois minutes, on va ensuite terminer l'audience.

[Traduction]

Monsieur Di Iorio.

M. Joseph Di Iorio (témoignage à titre personnel): Oui, je tiens à remercier le président et les membres du comité pour cette décision impromptue de leur part. En fait, je n'étais pas sûr que vous accepteriez ma proposition.

Le président: Nous tenons à entendre ce que les Canadiens ont à dire sur cette question, c'est pourquoi nous sommes heureux d'entendre votre témoignage. Malheureusement, nous sommes limités par le temps et nous avons d'autres choses à faire. Donc, je vous accorderai environ cinq ou six minutes.

Je n'autoriserai pas les questions car autrement les politiciens parleront plus longtemps qu'ils ne le doivent.

M. Joseph Di Iorio: Je vois. Mais si vous tenez à poser des questions, je me ferai un plaisir d'y répondre, que ce soit en français ou en anglais.

J'ai simplement lu la description de votre mandat et il concerne les objectifs commerciaux du Canada dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. De toute évidence, le débat ici traite d'un aspect très particulier de l'industrie canadienne. Je pense que ce qui est vraiment important, et on l'a bien souligné, c'est l'intégrité du système canadien dans le domaine culturel.

Le seul problème c'est que souvent, en fonction des commentaires qui ont été exprimés et des mémoires qui ont été présentés par M. Pilon, M. Valiquette et M. Spurgeon, la difficulté qui semble également surgir de façon implicite, c'est que l'on n'a pas reconnu le volume exact de ce qui peut être produit au Canada.

Pendant des années, on semble s'être sérieusement interrogé sur ce qui constitue au juste l'identité canadienne dans ce genre d'industrie. Pour M. Pilon, de toute évidence, cela est un peu plus facile à définir étant donné que sur le plan culturel il y a une différence de langue et une ambiance différente qui se dégage des arguments qu'il présente.

Le reste du Canada s'interroge aussi sur la définition de la culture canadienne. Je crois que fondamentalement le problème est attribuable au simple fait que d'abord et avant tout la culture canadienne ne peut être définie qu'en fonction du volume de la production canadienne de biens et services canadiens qui sont mis en marché.

S'il n'y a rien qui soutient ce volume particulier d'information, c'est-à-dire de l'information sur le plan de la propriété intellectuelle—s'il n'y a rien de tangible à examiner ou à mettre en marché, alors toutes les démarches en vue d'établir d'autres instruments d'accord de libre-échange sont vouées à l'échec, à cause de l'absence d'infrastructure permettant de répondre aux prétendus besoins d'identité culturelle, de messages culturels, d'histoires culturelles et ainsi de suite.

• 1200

J'ai de la difficulté à comprendre comment dans la plupart des réunions de comité parfois les gens ne semblent pas comprendre que la société américaine possède une incroyable infrastructure. Je fais particulièrement allusion à cet aspect particulier de l'industrie. La production de masse existe. Elle a été beaucoup plus raffinée à cause de l'établissement de réseaux qui existent à l'heure actuelle. Mais l'aspect production de masse, le concept de production de masse et de volume existait à ses débuts.

Prenons simplement l'exemple du début des années 50, lorsque nous avions tous ces chanteurs à la mode qui sortaient de nulle part et qui ont écrit des chansons que l'on continue de remettre en marché encore aujourd'hui. Il y avait un semblant d'identité de la part du Québec mais rien de la sorte n'a jamais émergé du reste du Canada. Il n'y avait rien au départ, en ce qui concerne cet exemple en particulier, permettant d'établir une identité, une identité canadienne. Et c'est toujours le cas aujourd'hui.

Le nouveau projet de loi et la législation concernant les productions cinématographiques canadiennes, de même que l'insistance pour augmenter le budget consacré aux productions cinématographiques, tout cela est parfait. Félicitations. Mais le problème, qu'on ne semble pas comprendre, ne concerne pas réellement les entrepreneurs actuels qui ont fait leur place dans la société en tant que producteurs de disques ou, comme l'a dit M. Valiquette qui exprimait le point de vue de son entreprise, les entrepreneurs qui se sont ancrés dans leur propre perspective. Ce qu'il faut, c'est accueillir dans cette industrie un grand nombre d'entrepreneurs de façon qu'ils puissent amorcer la réalisation de leurs rêves et de leurs idées et qu'ils les fassent déboucher sur le marché, de façon à se faire voir et se faire entendre grâce à des mécanismes de soutien qui les aideront à lancer leur carrière ou leurs idées au sein de l'industrie, quitte à devoir y renoncer si ces idées ne suscitent pas suffisamment d'intérêt.

Il est dommage que l'infrastructure canadienne ne permette pas de comprendre cela. Elle semble miser sur les compagnies déjà bien établies. C'est dommage parce qu'il existe un certain nombre de groupes, de maisons de production et d'artistes qui se trouvent ainsi empêchés de faire connaître au public des idées qui germent depuis des années. L'infrastructure américaine a toujours montré beaucoup plus de souplesse à cet égard; elle permet une plus grande ouverture et un plus grand épanouissement.

La mondialisation s'intègre parfaitement dans la nouvelle réalité. C'est un élément de plus en plus important qu'il faut absolument rattacher à l'hypothèse que j'ai présentée. Comment peut-on vendre sur le marché mondial un point de vue culturel qui, au départ, n'a même pas pu s'épanouir? Qu'est-ce que vous protégez? Vous protégez un point de vue qui commence à susciter bien des interrogations.

• 1205

L'exemple le plus évident qui me vienne à l'esprit, c'est que chaque fois qu'on regarde la soirée des Academy Awards, par exemple, on constate que la seule entité canadienne dont je me souvienne et qui soit proposée pour des prix ou qui en reçoive, c'est l'Office national du film. C'est l'une des institutions les plus anciennes à voir réussi à percer sur ce marché. Mais l'Office ne représente pas la culture canadienne à lui seul; c'est un instrument qui aide les Canadiens à comprendre leurs racines et leur histoire. Il n'a rien à voir avec les perspectives futures dont le Canada a besoin pour être totalement indépendant de l'étranger sur le plan culturel.

J'insiste sur cet élément parce que nous avons un certain nombre de points communs avec nos aimables voisins. Nous parlons à peu près la même langue. Dans une conversation, il n'est pas facile de distinguer un Américain d'un Canadien. Nous communiquons très facilement. C'est un avantage très considérable en soi, mais cela peut également devenir un grave inconvénient, car comment distinguer la culture canadienne de la culture américaine dans la mesure où elle n'a plus rien de spécifique depuis sans doute 1975, c'est-à-dire depuis plus de 20 ans, depuis le moment où l'industrie canadienne du film a commencé ses activités? À part cela, on en revient toujours comme je l'ai dit, à l'Office national du film.

Le président: Vous savez, monsieur Di Iorio, un électeur de ma circonscription, Atom Egoyan, était aux Oscars l'année dernière.

M. Joseph Di Iorio: Oui, mais il...

Le président: Je suis tout à fait désolé, mais nous nous étions entendus sur une intervention de cinq minutes, et vous avez largement dépassé votre temps; je vais donc devoir vous interrompre parce que nous avons tous autre chose à faire. Je vous remercie d'avoir pris le temps de nous faire part de votre point de vue, dont nous ne manquerons pas de tenir compte. Je sais que les membres du comité ont hâte d'entendre tous les autres intervenants, et nous allons donc continuer.

Si vous avez des idées particulières sur ce qu'il faudrait faire avec l'Organisation mondiale du commerce et sur la politique que le Canada devrait adopter dans ce domaine, faites-nous-en part et nous les soumettrons à nos attachés de recherche.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Il peut nous envoyer un mémoire.

Le président: Oui.

[Traduction]

Si vous voulez envoyer un bref mémoire... Vous voyez tous que nous essayons ici de déterminer...

[Français]

Mme Maud Debien: Vous avez un point de vue très original, très nouveau. C'est la première fois qu'on entend le point de vue de M. Di Iorio, et j'aimerais que ce soit consigné par écrit. J'aimerais qu'il nous fasse parvenir un mémoire, parce qu'il a un point de vue très différent. C'est la première fois qu'on entend cette opinion, et je pense qu'elle jette un éclairage nouveau sur la situation.

Si monsieur pouvait prolonger, dans un texte, ses réflexions concernant l'OMC, c'est un élément additionnel qui viendrait s'ajouter à nos travaux. Concernant l'ONF, je dirai à M. Di Iorio que l'ONF est en train de disparaître graduellement.

[Traduction]

M. Joseph Di Iorio: C'est une question tout à fait différente, madame.

[Français]

Le président: Exactment.

[Traduction]

M. Joseph Di Iorio: Mais du point de vue de l'Organisation mondiale du commerce, le seul lien que je puisse faire—et ce sera mon dernier argument—c'est que s'il n'y a pas d'infrastructure, peu importe le nombre de mémoires que nous enverrons au comité; le volume visible des biens, des services et des productions deviendra de moins en moins significatif pour l'identité canadienne. Peu importe que ce volume passe par l'Internet, le commerce électronique ou qu'il résulte de contacts préétablis et d'un réseautage qui se poursuit depuis 34 ans; ce volume va diminuer, car l'OMC va exiger d'établir progressivement une forme d'équilibre commercial au plan intérieur dans les différents pays. Il en résultera une forme d'homogénéité commerciale, mais malheureusement, les entrepreneurs et les industries des différents pays signataires de l'OMC en subiront des pressions beaucoup plus lourdes.

• 1210

Voilà tout ce que je tenais à dire.

Le président: Je tiens à remercier tous nos témoins. Je pense que MM. Spurgeon, Pilon et Valiquette sont venus nous dire qu'il fallait veiller à ce que le Canada soit doté d'une infrastructure culturelle lorsque nous aborderons la prochaine série de négociations; nous avons beaucoup apprécié vos remarques et nous en tiendrons compte.

[Français]

Elles seront reproduites dans notre rapport. Je vous remercie beaucoup d'être venus. Nous ajournons jusqu'à 13 h 30.

• 1211




• 1347

Le président: Excusez-nous d'être un peu en retard, mais nous allons prolonger la réunion pour profiter au maximum de votre présence.

Nous allons maintenant entendre le Conseil du patronat du Québec, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la Confédération des syndicats nationaux et la Chambre de commerce du Québec.

Je demande à M. Garon de commencer.

M. Jacques Garon (directeur de la recherche et économiste, Conseil du patronat du Québec): Merci, monsieur le président.

Dans la préparation à la prochaine phase de négociations multilatérales de l'Organisation mondiale du commerce, un certain nombre de secteurs importants pourraient faire l'objet de négociations, comme l'accès aux marchés, le commerce électronique et bien d'autres. Dans le peu de temps qui nous est imparti, nous aimerions attirer l'attention du comité sur un secteur qui nous apparaît important, à savoir la politique relative aux investissements.

Un certain nombre de facteurs ont conduit à l'échec de l'Accord multilatéral sur l'investissement sous l'égide de l'OCDE, comme la perception que les négociations étaient menées en secret par les pays les plus industrialisés et, d'une façon générale, la perte de souveraineté qu'impliquait un tel accord, sans parler du traitement trop large de l'appellation «investissement», qui incluait ce qui touche à la culture.

Nous pensons qu'il y a une volonté exprimée par certains pays pour que le défunt AMI apparaisse de nouveau, mais cette fois sous l'égide de négociations générales de l'OMC.

Pourquoi est-ce si important pour le Canada? D'abord, parce que des règles comme celles qui ont fait l'objet de négociations à Paris peuvent favoriser une certaine stabilité et une sécurité accrue pour les investisseurs et les investissements, qu'ils soient en provenance ou à destination de l'étranger, sans compter qu'un accord multilatéral sur l'investissement serait cohérent avec les lois canadiennes actuelles sur l'investissement.

Ensuite, c'est important parce qu'à l'heure actuelle, la communauté internationale est confrontée à environ 1 300 accord bilatéraux sur l'investissement. Chaque pays veut un accord particulier. Il n'y a aucune cohérence ou norme parmi ces accords bilatéraux, et l'investissement international est sujet à des barrières qui sont contraires aux intérêts canadiens.

Dans cet environnement, le Canada lui-même a ou négocie quelque 50 protocoles d'entente, mais le portrait global pour la plupart des pays ressemble à un ensemble disparate, rafistolé au gré des accords bilatéraux, ce qui, en bout de ligne, est inefficace.

• 1350

L'objectif est d'établir un ensemble commun de règles claires pour les investisseurs étrangers, c'est-à-dire une protection et un traitement égaux pour tous les pays. Que ce soit pour des échanges commerciaux ou pour l'investissement, le Canada a toujours bénéficié de retombées dès lors qu'il y avait un système transparent et basé sur des règles. L'adoption d'un accord général sur les investissements permettrait au Canada de préserver et d'accroître son attrait aux yeux des investisseurs. Si la majorité des autres États membres de l'OMC souscrivaient à un tel accord, les entreprises canadiennes n'auraient pas à craindre que leurs filiales étrangères fassent l'objet d'un traitement discriminatoire.

Par ailleurs, l'investissement direct de l'étranger a toujours été un facteur clé de l'histoire économique du Canada. Un emploi sur dix ou quelque 1,3 million d'emplois sont actuellement attribués à l'investissement étranger direct. Selon des estimations prudentes du gouvernement fédéral, une augmentation de l'investissement direct de l'étranger de un milliard de dollars permettrait de créer au moins 45 000 emplois au Canada. De plus, l'investissement direct étranger accélère le transfert de technologies vers le pays d'accueil et favorise le développement du commerce, la création d'emplois et les gains de productivité. Selon le ministre fédéral du Commerce international, le Canada a réussi à attirer 180 milliards de dollars d'investissements directs étrangers depuis 1986. Les Canadiens ont eux-mêmes investi pour 171 milliards de dollars à l'étranger au cours de la même période, soit une augmentation de 164 p. 100.

Contrairement à certaines critiques selon lesquelles la production par des filiales étrangères remplace la production intérieure destinée à l'exportation—l'argument de l'exportation des emplois—, l'impact de l'investissement direct à l'étranger sur l'emploi et les revenus est neutre ou légèrement favorable dans certains cas. De plus, pour les entreprises oeuvrant au sein d'une économie de plus en plus mondiale, la capacité de ces dernières d'investir à l'étranger est souvent déterminante pour leur compétitivité, tant nationale qu'internationale.

Toujours selon le ministre fédéral du Commerce international, la souveraineté du Canada ne sera pas minée par un accord sur les investissements. Le Canada gardera sa capacité de donner son accord à de larges fusions ou acquisitions d'entreprises qui impliquent des sociétés canadiennes et de maintenir les limites du contrôle étranger lors de la privatisation d'entreprises sous contrôle gouvernemental. Il n'y aura aucune répercussion sur les programmes sociaux canadiens. De plus, comme par le passé, des investissements étrangers susceptibles de bénéficier d'une fiscalité incitative devront démontrer qu'ils créent des emplois au Canada.

Par ailleurs, l'engagement du Canada à un tel accord ne fait que nous obliger à traiter les investisseurs étrangers au Canada de la même façon que nos propres investisseurs. Les investisseurs étrangers seraient donc assujettis aux mêmes lois et règlements dans tous les domaines, y compris en matière d'environnement, de santé, de travail et de culture.

Voici quelques grands paramètres que pourrait comporter un accord éventuel sur les investissements.

Il faudrait inscrire dans l'accord une exception culturelle générale. À ce sujet, le Canada, tout comme la France d'ailleurs, avait déjà indiqué qu'il ne signerait pas l'ex-AMI s'il ne pouvait obtenir une telle exception.

Il faudrait faire en sorte que l'accord respecte également les compétences provinciales.

Il faudrait respecter l'environnement, la santé et les programmes sociaux, bien sûr.

Il ne faudrait pas accorder un traitement trop large à la définition du traitement des investissements comme ce fut le cas dans l'ex-AMI.

Finalement, il ne faut pas engager le Canada pour au moins 20 ans une fois l'accord signé. En fait, l'ALENA prévoit un préavis de six mois pour que l'un des trois pays sorte de l'accord.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Garon.

J'aimerais avoir une petite précision. Au point d), on parle de la définition des expropriations, n'est-ce pas?

M. Jacques Garon: C'est cela.

Le président: Merci.

Nous allons maintenant entendre la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, représentée par M. Massé et Mme Côté. Monsieur Massé.

M. Henri Massé (président, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): À la FTQ, nous ne nous sommes jamais opposés à l'augmentation des échanges internationaux. Cela existait déjà au temps des Romains. Ce que nous refusons, c'est la tendance forte de puissants joueurs à imposer de nouvelles règles du jeu pour établir une seule économie mondiale, une économie où les transnationales ont à peu près tous les droits, au-dessus des États, et où les États conservent principalement les responsabilités de la police et de l'armée. On comprend pourquoi.

Au Canada, avec le libre-échange, il n'y a pas eu autant de délocalisations et autant de pertes d'emplois qu'on le prétendait au départ de notre côté. Les statistiques ne sont pas très claires, mais on peut prétendre qu'il y a même eu de la création d'emplois dans certains cas. Cependant, nous constatons qu'il y a eu une diminution de la qualité des emplois et une diminution de la qualité de nos programmes sociaux.

• 1355

Nous sommes prêts à poursuivre le débat, mais nous souhaitons plus de transparence. Nous souhaitons un véritable débat démocratique autour de ces questions. Aujourd'hui, vous nous écoutez et nous en sommes heureux, mais nous pensons qu'il faudrait une structure permanente de consultation pour permettre aux syndicats, aux groupes communautaires, enfin à la société civile de s'exprimer continuellement sur ces questions.

Dans le cadre de la ZLEA, par exemple, il y a un forum pour le monde des affaires où on peut échanger sur toutes ces questions, mais il n'y a pas de forum parallèle pour les autres groupes de la société, dont les syndicats et les groupes communautaires.

Nous insistons aussi pour qu'on inscrive dans ce processus une clause des droits des travailleurs pour éviter que le processus d'intégration aboutisse à l'accroissement des inégalités. Nous avons toujours été d'accord pour nous appauvrir au Nord pourvu qu'on permette aux gens du Sud, aux gens des États plus pauvres de s'enrichir un peu. Cependant, en ce moment, nous avons beaucoup de discussions et beaucoup de liens avec les syndicats sud-américains, les syndicats africains et les autres syndicats dans le monde, de même qu'avec la CISL, la Confédération internationale des syndicats libres, et nous constatons qu'on s'est appauvri au Nord ainsi qu'au Sud. On a permis à une concurrence effrénée de se développer. Dans les pays du Sud, il y a eu une concurrence encore plus forte avec le cheap labour et les cheap products. On est même venu nous concurrencer au niveau de nos bons produits ici, au Canada.

Donc, il faut d'autres règles pour qu'il y ait une meilleure répartition des richesses.

Nous pensons que le débat doit se faire de façon beaucoup plus serrée à l'OIT, l'Organisation internationale du travail. Dans tous les débats qui se font à l'OMC, l'OIT devrait être mise à profit. On devrait utiliser beaucoup plus l'OIT, d'abord parce qu'elle est tripartite: les syndicats, le monde des affaires et les gouvernements sont là, et ils sont accoutumés de traiter de questions ensemble. Il y a là une expertise importante dans le domaine du travail. L'OIT a une compétence en matière de surveillance, de discussion des plaintes qui proviennent d'un pays ou de l'autre, ainsi qu'en matière d'application des conventions internationales. Ce qui manque à l'OIT, c'est un pouvoir de coercition. On dit, dans notre jargon à nous, qu'elle manque de dents.

Donc, nous demandons au Canada d'insister pour qu'à la prochaine ronde de négociations, on poursuive les discussions afin de définir les contours d'une véritable collaboration entre l'OIT et l'OMC. Il faut reconnaître à l'OIT l'autorité et la juridiction exclusives sur les questions du travail; soutenir la création d'un groupe de travail conjoint OMC-OIT qui aura pour mandat de définir les meilleurs mécanismes et structures à mettre en place; déterminer les mécanismes à mettre en place pour faire respecter les droits des travailleurs et des travailleuses; demander l'introduction d'une clause sociale à l'OMC; et enfin militer pour offrir un statut d'observateur à l'OIT dans toutes les structures de l'OMC, de façon à lier étroitement les droits fondamentaux des travailleurs et le commerce dans tous les travaux de l'OMC, notamment lors des examens de politiques commerciales des pays membres. Avec cette transparence ainsi que la présence des organisations syndicales et des autres groupes, on ne répétera pas les erreurs de l'AMI.

Le président: Madame Claudette Carbonneau.

Mme Claude Carbonneau (première vice-présidente, Confédération des syndicats nationaux): Merci, monsieur le président.

La Confédération des syndicats nationaux représente 250 000 travailleuses et travailleurs qui oeuvrent dans presque tous les secteurs d'activité au Québec. Du fait de cette présence, la CSN s'est intéressée de près à toute la succession de négociations commerciales internationales qui ont eu lieu au cours des dernières années. On peut penser au GATT, à l'OMC, à l'Accord de libre-échange canado-américain, à l'ALENA, et plus récemment à l'AMI.

• 1400

Trois ordres de préoccupations ont motivé l'intérêt de notre organisation au sujet des négociations commerciales. D'abord, il y a la question de l'impact de l'ouverture économique sur le niveau d'emploi et les conditions de travail de nos membres, ensuite l'impact de ces accords commerciaux sur la répartition de la richesse au niveau mondial, et enfin la prise en compte dans ces traités de la dimension sociale de l'ouverture économique.

Lorsqu'on traite de négociations commerciales internationales, on se rend vite compte que les enjeux touchent beaucoup de secteurs de préoccupation et concernent aussi bien les intérêts ici, au Canada, que dans d'autres pays. Ceci a amené la CSN, depuis plusieurs années, à développer des alliances avec d'autres organisations, aussi bien au Québec et au Canada qu'à l'étranger.

Ainsi, concernant le dossier de la Zone de libre-échange des Amériques, la CSN participe activement au Réseau québécois sur l'intégration commerciale, le RQIC, qui a été fondé en 1991 et qui regroupe les trois grandes centrales syndicales du Québec, des organisations de coopération internationale et des organisations sociales et environnementales. Le RQIC a développé une collaboration avec son vis-à-vis du Canada anglais et avec des réseaux semblables dans plusieurs pays des Amériques.

De plus, depuis novembre dernier, la CSN est affiliée à l'Organisation régionale interaméricaine des travailleuses et des travailleurs, l'ORIT, rejoignant 32 autres centrales syndicales nationales du continent américain, dont l'un des principaux thèmes de préoccupation a été la prise en compte de la dimension sociale de l'intégration continentale.

En ce qui a trait au prochain cycle de négociations de l'Organisation mondiale du commerce, la CSN travaille de concert avec les 212 autres confédérations syndicales nationales présentes dans 143 pays, affiliées à la Confédération internationale des syndicats libres. La CISL a notamment présenté des propositions détaillées lors de la Conférence ministérielle de l'OMC tenue à Genève en mai 1998 et, de nouveau, au Conseil général de l'OMC tenu en décembre dernier.

Nous allons utiliser la majeure partie de notre temps d'intervention pour expliquer la nécessité d'inclure une clause sur les droits des travailleuses et des travailleurs dans les nouveaux accords commerciaux, aussi bien dans le nouvel accord de l'OMC que dans celui qui devra donner lieu à la création de la ZLEA en 2005.

Cette proposition consiste en l'inclusion, dans les accords commerciaux, de l'obligation de respecter sept conventions fondamentales de l'OIT, un organisme de l'ONU qui a adopté 182 conventions depuis sa création en 1919. Puisque cette clause ne concerne que sept conventions de l'OIT, on voit bien qu'il s'agit d'un nombre très restreint, mais il est important d'ajouter que le caractère universel et fondamental de ces conventions a été reconnu par la communauté internationale dans la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail adoptée par la dernière conférence de l'OIT tenue en juin 1998.

Je me permets de souligner les efforts réalisés par les représentants du Canada à cette conférence, tant du gouvernement que des syndicats et des employeurs, pour contribuer à faire en sorte que la déclaration soit adoptée sans aucun vote négatif.

Rappelons les sept conventions qui font l'objet du projet de clause des droits des travailleuses et des travailleurs: les conventions sur la liberté syndicale et le droit à la négociation; celles interdisant la discrimination dans le marché du travail; celle sur l'âge minimum pour travailler; et les deux conventions relatives à l'interdiction du travail forcé. J'insiste sur le fait que ces sept conventions ne touchent aucunement des normes quantitatives, par exemple le salaire minimum et les heures de travail; elles se limitent plutôt à des droits fondamentaux d'application universelle. Le projet de les inscrire dans des traités commerciaux est endossé par la CISL et l'ORIT, deux organisations internationales qui regroupent aussi bien les travailleurs et des travailleuses des pays en voie de développement que ceux des pays industrialisés. Le projet a reçu un appui de taille lorsque le président Nelson Mandela de l'Afrique du Sud, qui a reconnu le caractère universel des droits couverts par les conventions, l'a endossé en 1995, endossement qui a été réitéré en 1998 par le ministre du Commerce extérieur de ce pays.

• 1405

La clause sur les droits des travailleuses et des travailleurs ne propose pas d'imposer des règles provenant des pays industrialisés. Par contre, elle contribuerait à prévenir les formes les plus extrêmes d'exploitation dont les femmes et les enfants sont particulièrement victimes.

L'inclusion de cette clause dans les accords commerciaux internationaux contribuerait à améliorer la situation des femmes, qui forment la majeure partie de la main-d'oeuvre dans les zones franches au Mexique et en Amérique centrale et qui doivent subir des humiliations comme des tests périodiques de grossesse. Inutile de dire qu'elles se font mettre à la porte dès que la grossesse est constatée. Les femmes dans ces zones sont également congédiées sur-le-champ quand elles essaient de s'organiser en syndicat, un droit qui serait protégé par la clause sur les droits des travailleuses et des travailleurs.

La CISL évalue qu'environ 15 millions d'enfants travaillent dans les secteurs de l'exportation au monde, une pratique que la clause contribuerait à éliminer. Mentionnons aussi des cas bien documentés de travail forcé en Birmanie et l'existence de réseaux de camps de travail en Chine au service d'usines appartenant à l'armée chinoise, dont la production est destinée à l'exportation. Ce sont là quelques exemples d'exploitation extrême que la clause sur les droits des travailleuses et des travailleurs contribuerait à supprimer.

Si on inscrivait la clause dans les traités commerciaux, tous les mécanismes contraignants, y compris, en dernier recours, des sanctions commerciales, seraient disponibles pour assurer le respect de cette clause. Ce caractère contraignant constitue la principale innovation de ce projet. Par contre, il y a lieu d'insister sur le fait que le recours à des pénalités n'aurait lieu qu'après des constats d'abus flagrants et persistants et après que les conseils et propositions d'aide technique offerts par l'OIT pour corriger la situation, avec des délais considérablement longs pour leur application, n'auraient donné aucun résultat.

Nous encourageons le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international à prendre en considération notre proposition en lui reconnaissant toute sa signification. Si le gouvernement devait rejeter l'idée de prendre en compte, tel que nous le proposons, un volet fort important des conséquences sociales de la libéralisation économique, il risquerait d'attiser les sentiments protectionnistes qui se manifestent dans plusieurs régions du monde. Ces sentiments risquent de s'intensifier au cours des prochaines années, dans la foulée des dévaluations abruptes et successives auxquelles on assiste dans plusieurs pays en raison de la crise économique et financière qui a commencé en Asie en 1997. Ils pourraient faire en sorte que des populations de certains pays refusent d'entériner des traités, prévoyant une libéralisation croissante qui, selon elles, ne signifie que pertes d'emplois et inégalités croissantes. L'exemple de l'échec de la négociation de l'Accord multilatéral sur l'investissement démontre que, dans le monde actuel, les citoyennes et les citoyens suivent les négociations commerciales internationales avec souci et intérêt. Cet exemple démontre également que l'adhésion populaire à ce genre d'accord ne sera acquise que si le processus de négociation est transparent, ouvert et renforcé par des consultations régulières de la société civile et que la dimension sociale des échanges internationaux est prise en compte dans les traités.

Étant ici à titre de délégués d'une centrale syndicale, nous avons particulièrement insisté sur notre préoccupation de voir inclure une clause sur les droits des travailleuses et des travailleurs dans les futurs traités commerciaux, mais nos propositions ne se limitent pas uniquement à ce volet. Nous avons mentionné le travail réalisé par la CSN au sein du RQIC et, à travers ce réseau, avec des vis-à-vis du Canada anglais et de plusieurs autres pays d'Amérique. Le RQIC, avec quatre autres réseaux sur l'intégration continentale, du Canada, du Chili, des États-Unis et du Mexique, a notamment élaboré et rendu publique une plate-forme détaillée d'analyses et de propositions pour les négociations entre les 34 pays du continent. Ce document, Des alternatives pour les Amériques, a été élaboré entre avril et octobre 1998 et rendu public dans différents pays à partir d'octobre. Il est disponible dans les quatre langues les plus utilisées du continent et il contient 12 chapitres thématiques traitant de sujets comme les droits humains, l'environnement, le travail, l'investissement, la propriété intellectuelle, l'agriculture et le règlement des différends.

• 1410

Dans l'approche développée avec nos partenaires dans les Amériques, nous suivons deux lignes directrices: il faut d'abord que les accords commerciaux internationaux protègent les espaces de souveraineté nécessaires pour la réalisation de projets nationaux de développement; il faut développer une réglementation internationale en matière sociale et environnementale afin d'établir certaines règles du jeu communes dans le domaine du commerce international et afin de baliser les mouvements internationaux de capitaux et de prévenir les dommages sur les économies nationales qu'ils peuvent causer.

Cette approche consiste en une tentative d'aller au-delà de la critique de modèles d'intégration existants comme l'ALENA et d'élaborer des projets de rechange mettant de l'avant un autre modèle d'intégration des Amériques. Le temps manque pour décrire les différents volets de ce modèle. Nous nous permettons seulement de mentionner, à titre d'exemple, que dans le chapitre du travail, nous proposons l'intégration dans l'accord continental d'une clause sur les droits des travailleuses et des travailleurs telle que décrite et la mise en place de mécanismes d'ajustement, avec financement adéquat, pour les secteurs qui subiront des pertes d'emplois en raison de l'intégration continentale.

Évidemment, il sera possible pour une organisation comme la nôtre de contribuer au processus d'intégration continentale seulement dans la mesure où il existera, au Canada comme au niveau du continent, un processus de négociation transparente accompagné d'un processus de consultation régulière.

En février dernier, l'ORIT, à laquelle la CSN est affiliée, a formulé une proposition précise au Comité sur la participation de la société civile de la ZLEA, créé dans la foulée de l'engagement, en avril 1998 à Santiago, des 34 chefs d'État et de gouvernement de consulter les populations des Amériques sur les enjeux de l'intégration continentale. Il faut dire que nos propositions afin d'obtenir, pour le monde syndical et populaire, une représentation équivalente à celle accordée au Forum de l'entreprise privée à l'occasion de chaque conférence ministérielle de la ZLEA, sont restées jusqu'ici sans réponse. Or, le Canada est particulièrement bien placé pour mettre en place un processus de consultation régulière sur les enjeux de la ZLEA qui pourra devenir un modèle pour les autres pays du continent puisque, d'une part, il dirige le Comité sur la consultation de la société civile et, d'autre part, il sera l'hôte de la prochaine conférence ministérielle, laquelle est prévue à Toronto en novembre 1999.

Comme le Canada l'a si bien démontré dans le dossier des mines antipersonnel, il peut jouer un rôle de leadership au niveau international dans les nouveaux domaines de préoccupation pour la communauté internationale. Mais pour ce faire, le Canada devra d'abord démontrer sa capacité de s'appuyer sur l'ensemble des forces vives de la société canadienne, qui se préoccupent de toutes les dimensions, aussi bien économiques que sociales, de la mondialisation.

Le président: Merci beaucoup, madame Carbonneau.

Je donne maintenant la parole à M. Audet, président de la Chambre de commerce du Québec.

M. Michel Audet (président, Chambre de commerce du Québec): Monsieur le président, merci de nous donner l'occasion de nous exprimer aussi tôt dans le processus, et peut-être même un peu trop tôt dans le processus, puisqu'il n'y a pas encore beaucoup de documents qui nous permettraient de nous positionner en regard des enjeux canadiens.

Maintenant, la bonne nouvelle...

Le président: Si le processus dure aussi longtemps que les autres processus, je suis certain que... [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Michel Audet: Vous avez parfaitement raison.

La bonne nouvelle, c'est qu'on ne peut pas présumer que le Canada a déjà fait son nid. On est donc en mesure d'en discuter plus librement.

Ayant été associé de près à la négociation précédente, notamment concernant l'Accord de libre-échange avec les États-Unis—j'étais à l'époque sous-ministre de l'Industrie et du Commerce et je coordonnais les travaux du Québec—, je me souviens de l'inquiétude très grande qu'il y avait à l'époque, notamment chez nos collègues syndicaux, quant à l'impact que cela pourrait avoir sur les délocalisations et sur l'emploi au Canada. Disons que j'ai été content d'entendre M. Massé nous dire que ces craintes étaient exagérées. En tout cas, je suis fermement convaincu qu'actuellement, c'est grâce à l'Accord de libre-échange avec les États-Unis et à l'ALENA que le Canada continue d'avoir une croissance soutenue. La base de notre économie, ce sont les exportations, et je pense qu'il ne faut pas se gêner pour le dire. Il y a pour 550 milliards de dollars d'échanges entre les Canada et les États-Unis. C'est donc un marché considérable pour nous. Un des points qu'il faut garder en tête dans toute cette négociation, c'est qu'il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre.

• 1415

Je sais que la négociation sera élargie à la Zone des Amériques, mais le coeur de l'enjeu pour le Canada est l'accès au marché américain et la protection et même le renforcement de cet accès qu'on a obtenu dans les accord précédents. C'est un point qu'il ne faut pas négliger. Il faut dire que cette négociation va s'enclencher dans un contexte assez différent, puisque depuis la négociation précédente, on a vécu un éclatement énorme de la façon de faire traditionnelle dans le commerce, notamment avec l'apparition du commerce électronique et des technologies de l'information. Cela change les façons de faire, le rôle des États et l'emprise des États sur certaines lois et certains règlements. Ce sera certainement un enjeu majeur. Cela change la donne de départ.

Ces enjeux, à mon avis, doivent porter sur un certain nombre de facteurs; on en a évoqué quelques-uns. L'accent devra être mis et sera certainement mis sur le fair trade. Après avoir eu le free trade, on devra mettre l'accent sur le fair trade, c'est-à-dire des règles de commerce entre le Canada et les États-Unis et même en Amérique du Nord qui feront disparaître les barrières non tarifaires.

De ce point de vue, il est évident que le Canada sera interpellé. Il l'a été récemment dans le dossier agricole, mais dans ce domaine, tout le monde a ses mesures de protection. Dans cette négociation, il est important de se fixer au départ des balises, comme cela avait été fait avec les États-Unis. Le Canada doit dire jusqu'où il est prêt à aller dans certains domaines.

Encore une fois, je pense que le secteur agricole sera la cible d'une négociation. Il va falloir clarifier cette chose au départ. Si nous voulons avoir accès aux autres marchés, nous allons devoir regarder l'impact d'une réciprocité. J'en profite pour dire qu'il ne faut pas oublier qu'une négociation se fait à plusieurs, et je pense que les gens autour de la table en sont bien conscients. On ne peut pas demander un accès plus ouvert aux autres si on n'est pas prêts à leur consentir un accès plus grand. C'est une règle de base. On ne peut pas seulement dire: Je veux que vous soyez plus ouverts pour ce qui est des produits culturels. Il va falloir s'attendre à ce que les autres continuent de fermer certaines portes si on protège ce secteur. Ça fait partie des règles du jeu, et il va falloir que le Canada adopte une position là-dessus. Il est clair qu'au Canada, l'enjeu culturel va demeurer important, tout comme l'agriculture.

Le secteur des marchés publics est un secteur qui va interpeller beaucoup les gouvernements. La dernière fois, ce secteur avait été laissé un peu à l'écart. Cette négociation va nous amener à nous poser des questions sur l'ouverture des marchés publics: jusqu'où sommes-nous prêts à aller à cet égard? J'en profite pour dire que cette négociation va devoir inclure une concertation très étroite avec les gouvernementaux provinciaux, particulièrement celui du Québec, puisque c'est un domaine très important. Alors que les gouvernements provinciaux et leurs sociétés d'État sont actuellement responsables de plus de la moitié des achats de biens et de services publics au Canada, dans une négociation, il faut s'attendre à ce que les autres veuillent qu'on aborde ce sujet. Cela veut aussi dire qu'il va falloir les impliquer dans le processus. À mon avis, les gouvernements provinciaux devront faire partie de cette consultation.

Pour terminer, il y a trois conditions de base à la réussite de cette négociation. Là-dessus, je rejoins tout à fait nos collègues des syndicats.

Il y a d'abord, comme on l'a vu lors de l'échec de la négociation sur les investissements, l'information et la transparence. Il est fondamental de donner de l'information aux gens afin qu'ils connaissent les enjeux, afin qu'ils sachent pourquoi on veut faire une entente, quel est son impact sur eux, quels sont les bénéfices qu'on en obtient et, en retour, quel prix on doit payer pour ça. Dans une négociation semblable, l'information sur ce processus est très importante. Donc, il y a la transparence.

Deuxièmement, il faut structurer une concertation systématique avec les groupes sociaux, les entreprises et les gouvernements provinciaux. Ces derniers seront interpellés très fortement. Que ce soit dans le domaine du commerce de boissons alcoolisées, dans le domaine des marchés publics ou dans le domaine des achats des sociétés d'état, il y aura une demande très forte, notamment du côté de nos collègues américains, pour avoir un accès plus large. À mon avis, on doit donc, dès le départ, s'assurer de la collaboration des provinces et d'une concertation étroite avec elles.

• 1420

Un dernier mot pour dire que je partage tout à fait le point de vue de mon collègue du CPQ sur le dossier des investissements. Ce n'est pas parce qu'il y a eu un échec de négociation qu'il faut dire que ce dossier est évacué. Il doit revenir puisqu'un pays aussi ouvert à l'investissement étranger que le Canada ne peut pas se désintéresser d'un dossier comme celui-là.

Il va certainement falloir reprendre l'exercice, mais cette fois-ci en expliquant clairement les enjeux et les raisons pour lesquelles on le fait, pour ne pas que les gens aient l'impression qu'on est en train de faire une entente qui pourrait jouer contre eux.

Voilà mes remarques préliminaires, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Audet.

Nous passons maintenant à la période de questions.

Monsieur Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Merci, monsieur le président.

Merci beaucoup pour le mémoire. Nos témoins nous présentent aujourd'hui tout un éventail de points de vue.

Mon commentaire est le suivant: Tous ceux qui sont intervenus aujourd'hui ont avancé des arguments valables, qui permettent de tracer un portrait réaliste de la situation. Depuis que j'ai quitté le Québec, j'entends constamment dire que tout le monde veut faire partie de l'OMC. On veut que l'OMC fasse ceci ou cela. Le problème, c'est que l'OMC va devenir une administration si lourde qu'elle sera inefficace.

Je vous pose cette question parce que beaucoup d'intervenants ont parlé. Je reconnais qu'il faut faire à ce niveau un certain travail social, qu'il faut définir des règles concernant les relations de travail et les droits de la personne, mais ce qui me préoccupe, c'est que nous avons déjà d'autres organismes auxquels nous pouvons nous adresser. Évidemment, on peut dire à l'inverse qu'il faut organiser le commerce et que l'OMC est dotée de moyens d'intervention efficaces.

Mais je vous demande si nous ne risquons pas de la rendre inefficace et de perdre de vue le fait qu'elle est censée faire la promotion du libre-échange. D'après certains arguments, le Canada aurait tous les droits. Si un pays membre de l'OMC porte atteinte aux droits de la personne, nous pouvons parfaitement refuser de commercer avec lui pour essayer de l'infléchir.

Qu'est-ce que cela a à voir avec l'OMC? L'OMC vise à faire appliquer uniformément des règles équitables. Certains pays fixent leurs propres règles, et je reconnais que dans certains cas, ces règles ne sont pas acceptables et qu'elles peuvent changer.

Voilà donc un problème. Peut-être pouvez-vous me proposer des idées. Est-ce que nous ne risquons pas de faire de l'OMC un énorme appareil bureaucratique inefficace?

[Français]

Le président: Monsieur Bakvis.

M. Peter Bakvis (adjoint au Comité exécutif, Confédération des syndicats nationaux): Si on parle précisément de la proposition qui est le principal message du texte que Mme Carbonneau vient de présenter, à savoir la mise en application d'une clause sur les droits des travailleurs, il ne s'agit pas du tout d'ajouter à la bureaucratie existante. La bureaucratie existe et elle s'appelle l'Organisation internationale du travail.

M. Massé a également mentionné tout à l'heure la nécessité qu'il y ait plus de liens entre les deux organisations. Mais pour ce qui est de la surveillance de l'application des normes internationales du travail, nous pensons que l'OIT le fait très bien. Tout ce qu'il reste à faire, comme M. Massé le disait, c'est donner des dents à cet organisme. Il n'y a pas beaucoup d'organismes internationaux, et l'OMC a la capacité de le faire.

D'ailleurs, il y a des textes qui décrivent la technique plus en détail, mais le nôtre était déjà assez long et on n'a pas voulu entrer là-dedans. L'idée n'est pas du tout de construire une nouvelle structure pour faire la surveillance des normes internationales du travail. Cette structure existe. Il s'agit plutôt d'essayer de faire en sorte qu'il y ait une bonne concertation entre l'Organisation mondiale du commerce d'une part et l'Organisation internationale du travail d'autre part.

• 1425

Permettez-moi d'ajouter un autre point. On fait ces propositions parce qu'on veut éviter l'action unilatérale de la part des États, qui mènerait à un fouillis beaucoup plus grand. On n'a qu'à regarder l'exemple de notre voisin du Sud, les États-Unis qui, sans avoir ratifié la plupart des sept conventions mentionnées, se permet à l'occasion d'appliquer des sanctions commerciales à des pays qui ne les appliquent pas. On ne voudrait pas se trouver dans une situation où 50 ou 60 pays décident, chacun à leur manière, de trouver des moyens d'appliquer des pénalités.

On veut donc à la fois éviter le chaos dans l'application de ces droits et s'assurer que certaines règles universelles multilatérales soient mises en place lors de la mise vigueur du mécanisme qu'on propose, qu'on appelle la clause sur les droits des travailleurs.

Le président: Avez-vous d'autres observations, monsieur Massé?

M. Henri Massé: Si le gouvernement du Canada nous écoute, lui qui peut véhiculer une bonne partie de nos positions, ce sera déjà une première étape de franchie, qui ne l'est pas à l'heure actuelle. Nous ne voulons pas de siège à l'OMC. C'est un organisme qui s'occupe du commerce international. Cependant, nous croyons que l'OMC peut consulter davantage l'OIT en matière de droits des travailleurs et de relations de travail. On est habitués à travailler dans ce dossier-là en coalition, soit à partir de la CSN, soit lors des grands sommets internationaux. Lorsqu'il y a des sommets des Amériques, il y a une division des travailleurs et des groupes communautaires. Je ne pense pas qu'on alourdirait le processus. Ce n'est pas du tout cela qu'on demande.

Le président: Monsieur Audet, est-ce que vous avez d'autres observations?

M. Michel Audet: Non.

Le président: Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: Messieurs et mesdames, bienvenue et bonjour.

Si ce processus de consultation est aussi long que les précédents, on aura sûrement l'occasion de se voir souvent. Tous les groupes, qu'ils représentent le patronat, les syndicats, le monde agricole ou le secteur culturel, revendiquent l'information et la transparence. Votre présence en est jusqu'à un certain point un exemple, et on va espérer que ça se répète assez souvent.

Ma première question s'adresse à M. Audet. Vous avez parlé, par rapport à l'agriculture, de réciprocité dans les négociations, de give and take comme on dit en bon québécois. Les agriculteurs canadiens vont devoir céder certaines choses s'ils veulent augmenter leur part du marché extérieur. Ce qu'on a entendu à ce jour, cependant, c'est qu'on avait fait plus que notre part à ce niveau-là. Les différents groupes d'agriculteurs qui sont venus nous rencontrer, notamment la Fédération canadienne de l'agriculture, l'UPA et les producteurs régionaux ou privés, nous ont dit qu'on avait déjà fait nos preuves au niveau du give and take dans le secteur de l'agriculture. On a ouvert notre marché à 4 p. 100 et les autres ne l'ont pas ouvert. On a éliminé les subventions à l'exportation et les autres ne les ont pas éliminées. J'aimerais donc que vous nous disiez si la réciprocité veut dire 50-50 ou si le Canada a déjà fait sa part à cet égard.

Au sujet de l'information et de la transparence dans le cadre de l'AMI et de l'OMC, j'aimerais que vous nous donniez tous et toutes des solutions concrètes. Par exemple, les syndicats et les groupes de pression ont un accès Internet assez facile aujourd'hui. On nous a demandé de rendre la position canadienne disponible sur Internet, non pas la stratégie mais la position canadienne, et ensuite de rendre disponibles sur Internet les documents de discussion à l'OMC. On pourrait avoir un programme d'échanges là-dessus. Avez-vous d'autres pistes de solutions pour nous aider? Oui, on veut consulter et être transparents, mais comment doit-on le faire? C'est une question.

• 1430

En ce qui concerne la clause sociale dans le cadre de l'OMC et de l'OIT, madame Carbonneau, vous avez dit que vous ne vouliez pas nécessairement que ce soit l'OMC qui gère cela, mais que l'OMC consulte fréquemment l'OIT. Si je me rappelle bien, c'est exactement ce qu'on avait dit dans la déclaration ministérielle de Singapour. Est-ce suffisant? Je pense que non. On demandait à l'OMC de respecter la philosophie des sept conditions de base de l'OIT. Est-ce suffisant? De quelle façon pourrait-on aller au-delà de cela? S'il me reste du temps, je compléterai.

Le président: Monsieur Audet.

M. Michel Audet: Je ne suis pas un expert dans le domaine de l'agriculture et je m'en tiendrai donc à des lignes très générales. Je ne pense aucunement qu'il faut remettre en cause ou mettre sur la table notre politique agricole. Je dis cependant que l'accord précédent sur l'agriculture nous a permis, au Québec notamment, de maintenir les quatre piliers de la politique agricole, comme les appelle l'UPA: la gestion de l'offre, l'assurance-récolte, l'assurance-stabilisation des revenus et le financement agricole. On ne peut pas dire que les ententes précédentes ont beaucoup nui à la politique agricole du Québec.

Ce qui est en cause et qui sera de plus en plus remis en cause, non seulement au Québec mais au Canada et ailleurs dans le monde, c'est jusqu'à quel point le secteur public doit financer l'agriculture. Qu'on le veuille ou non ou qu'on appelle cela comme on le veut, quand des fonds publics sont versés pour financer des produits agricoles, cela devient du financement public. Jusqu'où doit-on aller? Il y aura certainement une négociation importante. Si on veut qu'il y a ait une plus grande libéralisation, en contrepartie, tout le monde doit s'entendre pour réduire l'appui ou le financement public accordé à l'agriculture. Tel est l'enjeu.

Il ne suffit pas que l'un se désarme. Il faut que l'autre se désarme aussi. Comme lors d'une négociation sur le désarmement, tout le monde va devoir réduire un peu sa protection. Ce ne sera pas un seul qui le fera. Tous les pays vont devoir le faire.

Je pense que le Canada et le Québec n'ont pas à le faire avant les autres, mais ils doivent se dire que si les autres sont prêts à faire telle ou telle concession, ils devront être prêts à faire eux-mêmes un bout de chemin.

L'autre jour, j'ai eu une discussion sur les ondes avec le ministre de l'Agriculture du Québec et j'étais tout à fait d'accord avec lui sur la protection. Cependant, il disait en même temps: «Je veux augmenter nos exportations de x p. 100.» On ne peut pas dire qu'on veut augmenter nos exportations et dire aux autres qu'ils n'augmenteront pas leurs exportations chez nous. Cela se joue dans les deux sens. Donc, la notion de réciprocité va jouer, et je pense qu'il faut s'attendre à ce que ce soit un enjeu important de la négociation. Le processus devra être très clair.

Nous appuyons nos amis du secteur agricole à plusieurs égards, puisque que ce sont des travailleurs qui se sont bâti un capital et qui ont réussi à avoir une industrie qui fonctionne assez bien, mais il faut reconnaître que si on veut augmenter notre part et avoir accès aux autres marchés, les autres vont aussi réclamer leur part. C'est dans ces termes que je présentais mon point de vue.

Deuxièmement, en ce qui a trait au processus de concertation, il n'y a pas de formule absolue et claire. Ce que j'avais en tête, c'était d'abord la structuration d'un processus de concertation avec les provinces. Qu'on parle d'agriculture, de marchés publics ou des politiques d'achat des gouvernements provinciaux, il y aura beaucoup d'enjeux. Cela avait été mis en place lors de la négociation de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA. Je suis convaincu que ce processus-là va devoir se faire et qu'il devra y avoir un échange continu avec les négociateurs canadiens sur ce dossier. Voilà pour les relations avec les gouvernements.

Pour ce qui est des relations avec les groupes, je sais que le gouvernement fédéral avait son propre processus de consultation lors des négociations précédentes. Le Québec avait aussi le sien. Donc, les deux auront probablement leur propre processus pour essayer d'aller chercher les différents groupes concernés. Je crois qu'il y aurait avantage, sans avoir une structure comme cette tournée que vous faites, à ce qu'il y ait des comités structurés pour qu'au fur et à mesure de l'évolution de la négociation, on fasse part à la population des grands enjeux. On ne peut évidemment pas dévoiler tout ce qu'il y a sur la table, car il y a une partie qu'on ne peut pas rendre publique, mais on peut donner les grands enjeux et en débattre un peu pour que la population puisse évoluer au même rythme que la négociation.

• 1435

On dit: On a un accord et voici ce qu'il en est. C'est toujours difficile à accepter pour les groupes qui, lors de ces trade-offs, paient un prix pour lequel, selon eux, ils n'ont pas nécessairement de compensation.

Le président: Madame Carbonneau.

Mme Claudette Carbonneau: Votre première question portait sur les solutions concrètes en matière d'information et de transparence. Cela dépasse la stricte disponibilité de l'information écrite, quel que soit son mode de transmission. Dans notre présentation, on insistait sur l'importance de mettre en place un lieu où se développent des interactions, de façon à ce que les enjeux soient compris. L'absence de transparence et d'information attise un sentiment de rejet, un sentiment frileux de repli sur soi, ce qui n'est pas souhaitable. En ce sens, nous voyions comme un complément la mise en place d'un forum, qu'on a appelé le forum social syndical, un lieu où peuvent se développer des convergences et où il y a des interactions, et non un lieu où il y a strictement de l'information qui circule. Compte tenu du rôle joué par le Canada et compte tenu de la tenue de la prochaine conférence à Toronto, nous souhaitons qu'une initiative soit prise à cet égard par le gouvernement canadien.

Sur la deuxième question, c'est-à-dire les déclarations par rapport aux droits des travailleuses et des travailleurs, il faut comprendre que ce qu'on vise, c'est l'inclusion dans les traités commerciaux de l'obligation du respect des sept conventions fondamentales de l'OIT. Il doit y avoir une référence explicite qui soit plus engageante qu'une simple déclaration d'intention. Cela implique aussi qu'on puisse définir des mécanismes de recours à l'intérieur de ces traités commerciaux, étant entendu qu'on a dit plus tôt avec quel appui on devait aborder cette question des recours. On a mis en valeur le rôle du BIT, par exemple, qui fournit des appuis à certains pays. La pénalité ne doit pas tomber tout de suite comme le couperet à la première infraction, mais il doit y avoir une sanction s'il y a une répétition flagrante des abus et une mauvaise volonté manifeste.

Les deux mécanismes essentiels sont donc l'inclusion de l'obligation de respect des sept conventions et la définition d'un certain nombre de recours.

Le président: Madame Côté.

Mme Lise Côté (économiste, Service de la recherche, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): J'aimerais répondre à la première question sur la transparence. Nous estimons qu'il y a en quelque sorte deux niveaux. Il faut absolument que le gouvernement canadien établisse des structures permanentes de discussion afin qu'on ne soit pas toujours obligés d'agir en réaction aux événements, mais qu'on puisse être étroitement associés aux négociations qui se préparent et émettre nos préoccupations et nos revendications à l'égard des négociations qui vont s'amorcer sous peu. Donc, il y a ce volet.

Bien sûr, nous voulons être plus étroitement associés aux négociations dans le cadre du forum syndical qui est proposé dans la déclaration qui a découlé du sommet populaire parallèle à la dernière rencontre ministérielle pour les négociations de la ZLEA.

Vous avez beaucoup parlé d'Internet. Tous les moyens sont bons pour véhiculer l'information et pour diffuser les enjeux de tous ces trucs. Internet a été très efficace dans le cas de l'AMI.

M. Benoît Sauvageau: C'est pour ça que j'ai donné cet exemple-là.

Mme Lise Côté: Cela démontre que des négociations secrètes, menées juste avec des ministres d'un nombre restreint de pays, sont vouées à l'échec, car il y manque un élément de transparence. Lorsque les populations en sont saisies, il peut y avoir un très fort mouvement de mobilisation qui peut se faire par Internet.

• 1440

Il y a un autre dossier qui fonctionne bien sur Internet, et c'est celui de la taxe Tobin. Actuellement, il y a un très fort mouvement de mobilisation des différents groupes de population à l'égard de la taxe Tobin. C'est un mouvement qui a commencé en France et qui est en train de prendre beaucoup d'ampleur.

Sur la question de l'articulation entre l'OMC et l'OIT, la Déclaration de Singapour est plutôt comme une volonté exprimée des États de s'engager, mais sa formulation est la suivante:

    L'Organisation internationale du travail (OIT) est l'organe compétent pour établir ces normes et s'en occuper, et nous affirmons soutenir les activités qu'elle mène pour les promouvoir.

C'est assez vague. Nous demandons qu'il y ait une articulation et une collaboration beaucoup plus étroites entre l'OMC et l'OIT. Il nous semble que l'OMC est un organisme strictement économique, dont l'objectif est uniquement économique. Il y a plusieurs autres organisations internationales qui ont une préoccupation un peu plus large de développement et qui se préoccupent également de droits humains et de droits sociaux. Elles ont développé une expertise indéniable qui est reconnue à l'échelle internationale. Je pense aux agences de l'ONU, dont l'OIT est l'une des plus importantes.

Dans ce cadre-là, la façon dont pourrait s'articuler la collaboration entre l'OMC et l'OIT pourrait faire l'objet de l'étude d'un groupe de travail. Il pourrait s'agir d'un groupe de travail au sein de l'OMC, mais auquel serait associée l'OIT, qui arriverait à une proposition de mécanisme.

Par ailleurs, nous suggérons que l'OIT soit présente dans les différentes structures de l'OMC à titre d'observatrice. Il faudrait tout d'abord que l'OMC reconnaisse que l'OIT a l'autorité et la juridiction exclusives en matière de questions du travail.

Le président: Monsieur Massé, assez brièvement, s'il vous plaît.

M. Henri Massé: Je voudrais revenir un peu sur la question de la transparence. Je pense qu'on manque d'instruments de travail sérieux et précis pour être vraiment transparents. Tout à l'heure, j'admettais que la délocalisation avait été un peu moins grave qu'on ne le prétendait lors de notre discours d'avant le libre-échange. Cela a permis à Michel Audet de la Chambre de commerce du Québec de dire que le libre-échange était la solution à tous nos maux.

Les exportations ont augmenté, mais la valeur du dollar est très basse. Les prix de nos matières premières sont très faibles. L'agriculture est un secteur où j'ai beaucoup d'amis et que je suis de très près. Les statistiques sont beaucoup plus transparentes au Québec et au Canada qu'elles peuvent l'être dans d'autres pays.

Je pense qu'on n'a pas les vrais instruments de travail. Chez nous, à la FTQ, je suis très préoccupé par cela et je fais souvent des demandes au service de recherche. Chaque fois qu'une entreprise ferme, on dit que c'est à cause du libre-échange. Ce n'est pas nécessairement vrai. Parfois cela n'a rien à voir avec le libre-échange. D'un autre côté, chaque fois qu'il se crée un job, on dit que c'est à cause du libre-échange. C'est là qu'il faudrait avoir des instruments. Si on veut mener ces débats de façon compétente et un peu plus transparente, on doit avoir de meilleurs outils de travail.

M. André Bachand: Monsieur le président, j'aimerais poursuivre dans la foulée de M. Massé. M. Audet parlait des ententes précédentes et disait que le secteur de l'agriculture n'avait pas été aussi perdant que certains le disent. Il faut toujours faire attention quand on parle des ententes précédentes par opposition aux jugements récents.

Une loi peut paraître belle tant qu'elle n'a pas été interprétée par une cour. La justice se bâtit non pas à coup de lois, mais à coup de jurisprudence. Pour le commerce international, c'est la même chose. Ce sont les décisions dans le cadre d'une entente qui décident de la prochaine négociation et donc de l'amélioration des relations. C'était simplement un petit commentaire, parce que l'agriculture vit présentement des pressions extrêmement fortes.

Je trouve d'ailleurs malheureux qu'on banalise le dernier jugement de l'OMC. On dit que ce n'est que 5 p. 100. Il y a eu quelques décisions dans lesquelles on n'a parlé que qu'un pourcentage x, notamment dans le cas du mélange d'huile de beurre et de sucre. C'est juste un chiffre d'affaires de 40 millions de dollars. C'est juste ceci ou juste cela. À un moment donné, il faut faire attention à l'agriculture.

• 1445

Je ne suis pas un spécialiste en agriculture, mais j'aimerais quand même poser une question à l'ensemble des membres du panel, et peut-être plus précisément au groupe représentant les travailleurs et travailleuses. Depuis que notre comité se penche sur la question de l'OMC, on entend parler de la primauté d'une foule de choses. Ce matin, on parlait de la primauté de l'État qui devrait prévaloir dans le cadre des futures négociations de l'OMC. On a aussi parlé de la primauté de l'environnement; on dit que dans toute entente, on doit accorder la primauté à l'environnement. On a soulevé la primauté de la santé et—ce que j'ai beaucoup de misère à comprendre—les mesures phytosanitaires, sanitaires et je ne sais trop quoi. Ce matin, on parlait également de la primauté des droits de l'homme, tandis qu'on parle ici du droit des travailleurs.

Le président: Vous vouliez dire «les droits de la personne».

M. André Bachand: D'accord, les droits de la personne. J'utilisais le masculin pour alléger le texte.

J'aimerais que vous me disiez où vous placez la question du droit des travailleurs et des travailleuses à l'intérieur de l'ensemble de ces primautés que les organisations revendiquent. Certains pourraient englober ce droit sous les droits de l'être humain, monsieur le président, ou qu'importe.

Je ne peux m'empêcher de faire un petit commentaire sur la taxe Tobin et je m'en excuse, madame Côté. Le Parlement du Canada étudie actuellement une motion sur la taxe Tobin. J'éprouve personnellement énormément de réticences face à cela.

Mme Maud Debien: Elle a été adoptée hier.

M. André Bachand: J'éprouve encore beaucoup de problèmes et j'ai de la difficulté à accepter qu'on puisse taxer les transactions commerciales de la Banque du Canada, les obligations et les REER. La taxe Tobin est une mode qui passe et elle ne sera pas appliquée.

Tu viens de me faire perdre le fil de mes idées, mon cher Benoît d'amour!

M. Benoît Sauvageau: Je t'avais dit de ne pas le dire.

M. André Bachand: Madame Carbonneau, on demandait: pourquoi l'OMC? C'est parce que l'OMC a des dents. Plusieurs d'entre vous avez parlé de l'OIT et du temps qu'on prend avant d'appliquer les décisions. Vous avez toutefois dit à la fin, madame Carbonneau, que l'OMC devait tenir compte des sept ententes qui ont un effet sur la vie des travailleurs et des travailleuses et qu'on devait s'assurer que ces ententes sont respectées. Vous ne parlez toutefois pas de leur application. Est-ce qu'on devrait encore avoir recours au même procédé d'application qui, entre vous et moi, est effectivement déficient?

Je poserai une dernière question d'ordre général au sujet des pays qui ne respectent pas les droits des travailleurs et travailleuses et avec lesquels le Canada fait des échanges commerciaux. Croyez-vous que le Canada devrait cesser de faire des échanges commerciaux avec ces pays?

Le président: Monsieur Massé, vous avez l'air très impatient.

M. Henri Massé: Non, j'étais en train de lever mon crayon pour le regarder.

Des députés: Ah, ah!

M. Henri Massé: Votre question ne portait pas sur la souveraineté mais sur la...

M. André Bachand: La primauté.

M. Henri Massé: Il est évident que lorsqu'on signe un traité de libre-échange, on doit abandonner une certaine partie de notre primauté. D'entrée de jeu, je vous dirai qu'à la FTQ, la compétition et la concurrence ne sont pas des choses qui nous font peur. Nous avons un fonds de solidarité et nous sommes aussi obligés de travailler en respectant les lois du marché.

Mais lorsqu'on définit un système de libre-échange ou la mondialisation uniquement par des notions de concurrence à l'extrême limite, sans jamais parler de concertation ou de solidarité, on commence à avoir des problèmes. Ce qu'on ne dit pas, souvent, c'est qu'il y a des perdants dans toute cette question-là. On nous parle des gagnants. Soyons concurrentiels et on va être gagnants, nous dit-on. On a l'impression qu'on veut nous faire croire que tous les pays de la terre peuvent être gagnants maintenant. Il est clair qu'il y aura des perdants et qu'il faudra prévoir des fonds pour venir en aide aux économies qui seront défavorisées. Mais ce qui est le plus dramatique à l'heure actuelle, c'est que lorsqu'on échange avec les travailleurs et les syndicats d'autres pays, on entend souvent dire—comme je l'indiquais d'entrée de jeu—qu'on devrait s'appauvrir un petit peu au Nord afin que le Sud puisse venir nous rejoindre graduellement. Mais cela pourra prendre 15, 20, 25 ou 30 ans. C'est long dans l'histoire.

• 1450

Cependant, c'est l'inverse qu'on est en train de vivre: on ne construit pas dans ces pays une économie qui leur permettra d'alimenter leur marché intérieur. Ces pays ne sont même pas capables d'acheter les produits qu'ils produisent; ils ne les fabriquent que pour nous les vendre. Il arrive souvent que leurs travailleurs, n'ayant pas un degré de formation et d'éducation comparable à celui de nos travailleurs, fassent des produits de moindre qualité qui viennent concurrencer les nôtres. Il y a des limites à vouloir aller à l'extrême de la concurrence. Il me semble que lorsqu'on parle de libre-échange, on ne devrait pas aborder ces questions que du point de vue commercial. Il faut aussi qu'on songe à une redistribution équitable de la richesse, sans verser dans l'angélisme, et que certains mécanismes soient maintenus.

Le président: Monsieur Audet, puis madame Carbonneau.

M. Michel Audet: J'aimerais faire un tout petit commentaire sur cette dernière question. Comme Henri Massé l'a évoqué, entre le Canada et les États-Unis, on a créé un tribunal supranational qui, pour les États-Unis, était tout à fait révolutionnaire compte tenu du rôle traditionnel du Congrès américain dans le commerce. Je crois que le problème est autant présent du côté des États-Unis que du côté du Canada lorsque ces deux pays acceptent les décisions qui sont prises en matière de barrières. C'est la même chose pour l'OMC.

Pour en revenir à votre question, je ne dis pas que ces décisions n'affectent pas l'agriculture. Au contraire, je pense qu'il faut voir un peu comment ces décisions peuvent être mises en oeuvre. Lorsqu'on rend des décisions qui nous visent et qui sont négatives, il faut trouver une façon de les mettre en oeuvre sans heurter le secteur agricole. On ne peut pas dire aux autres pays qu'on ne donnera pas suite à ces décisions puisque nous devrions accepter de payer le prix pour un tel refus et subir les mesures de représailles que prévoit l'accord dans de telles situations.

Je suis tout à fait d'accord avec Henri lorsqu'il dit qu'en signant des accords, on abandonne une partie de notre souveraineté et on réduit notre capacité de faire ce qu'on veut à l'intérieur. Si on considère que les règles du jeu ne sont pas justes et qu'on n'applique pas les termes de l'entente, il y aura évidemment un prix à payer. C'est souvent ce qui arrive dans ces cas-là. Je ne dis donc pas que cela ne heurte pas, mais tout simplement qu'il faut se rendre compte que cela fait partie des règles de la négociation internationale.

Vous nous avez demandé si nous devrions continuer de faire du commerce avec les pays qui ne respectent pas les droits des travailleurs. Comme je l'indiquais, nos négociations devraient viser à favoriser le développement des pays pauvres, notamment les pays du Sud, qui sont généralement ceux où on ne respecte pas les droits des travailleurs. Si on décide de ne pas faire de commerce avec les pays qui ne respectent pas les droits des travailleurs, dans le fond, on se trouve devant le problème de la poule et l'oeuf, comme c'est le cas de l'interprétation du Canada et des États-Unis à l'égard du commerce avec Cuba. Est-ce qu'on facilite l'accès à de plus grands droits en boycottant ces pays-là, en les empêchant d'avoir plus d'emplois et de faire plus de commerce? Je ne le crois pas.

À mon avis, ce ne serait pas une méthode efficace. À partir du moment où on s'entend sur des règles qui seront applicables à tout le monde, il faut avoir recours à d'autres moyens pour faire des pressions en vue d'atteindre cet objectif de respect des droits démocratiques. Si, à chaque fois, on subordonne en quelque sorte un accord international du commerce au respect des droits, il se pose la question de savoir où commence et où finit le respect des droits. Cela devient une question qui peut être subjective, et on risque que chaque pays ait sa propre interprétation. Je n'appuierais pas une telle approche.

Le président: Madame Carbonneau, est-ce que vous aimeriez ajouter des commentaires?

Mme Claudette Carbonneau: Je pourrais soulever un certain nombre d'éléments. Si j'ai bien compris votre question au sujet des différentes primautés, il est clair qu'on ne soutient pas qu'il n'y a que le droit des travailleuses et des travailleurs qui épuise l'ensemble de la question. Comme nous l'indiquons à la fin de notre mémoire, nous favorisons une perspective plus large de ces problématiques.

Néanmoins, la question des droits des travailleuses et des travailleurs est quand même intimement liée à la question des droits de la personne, surtout quand on regarde la nature des sept conventions qui sont visées. Qu'on parle de travail forcé, d'absence de discrimination, de protection des enfants ou d'un âge minimum pour travailler, on est dans quelque chose de très, très collé aux droits les plus fondamentaux des personnes. En ce sens-là, travailler aux droits des travailleuses et des travailleurs, c'est se donner l'espace nécessaire pour trouver dans chacune des communautés nationales les mécanismes de solution le plus appropriés.

• 1455

Je pense entre autres à toute la référence au droit de négocier. Au fond, nous devons pouvoir compter sur les parties dans les États nationaux pour trouver des solutions qui soient appropriées à leur contexte, ainsi que respectueuses des droits et porteuses de progrès pour l'ensemble des populations du monde.

En ce sens, il est clair que la question des droits des travailleuses et des travailleurs n'épuise pas tout, mais c'est quand même une question centrale, d'autant plus qu'elle est intimement liée à l'organisation du commerce à travers le monde.

M. Peter Bakvis: M. Bachand nous demandait si le Canada devait arrêter de faire du commerce avec les pays qui ne respectent pas les sept conventions. Nous n'appuyons pas cette position. Vous savez que des précédents existent. Lorsque M. Mulroney était au pouvoir, il avait décidé d'appliquer, avec l'appui d'une importante partie de la société canadienne, des sanctions commerciales contre l'Afrique du Sud au temps de l'apartheid, à cause de la violation des droits humains. Plus récemment, le Canada a appliqué certaines formes de sanctions contre la Birmanie et le Nigeria à cause de violations.

Il existe donc des précédents. Le projet de clause sur les droits des travailleurs vise justement à éviter que chaque pays prenne la loi entre ses propres mains. Il a pour objectif de mettre en place un mécanisme multilatéral qui empêchera les pays de s'ériger en juge et partie et de décider qui et comment. Il pourrait y avoir toutes sortes d'intérêts propres qui jouent là-dedans. Je citerai de nouveau le cas des États-Unis qui évoquent à l'occasion le non-respect des droits du travail pour appliquer des sanctions commerciales. Mais ce pays le fait de façon tellement sélective que beaucoup de groupes, avec raison, l'accusent de le faire uniquement quand ses intérêts commerciaux sont le plus touchés.

Le Canada, suivant la bonne tradition de tous les gouvernements canadiens, a toujours appuyé la mise sur pied d'un mécanisme multilatéral s'appuyant sur un organisme qui compte 80 ans d'histoire, soit l'Organisation internationale du travail.

Votre autre question portait sur la façon dont la mécanique s'applique. La Confédération internationale des syndicats libres a proposé que le respect des sept conventions fondamentales soit une obligation qui puisse donner, en cas de violation, recours à toutes les dispositions de l'accord, comme cela a été fait lors de l'Uruguay Round pour la propriété intellectuelle. En quoi est-ce que l'esclavage est moins important que la propriété intellectuelle, c'est-à-dire l'obligation de payer des droits d'auteur à des gens qui sont propriétaires d'un brevet? Dans le cas de la propriété intellectuelle, si un pays reproduit des disques compacts sans payer de droits d'auteur, il est susceptible de se voir imposer toutes les sanctions commerciales que l'OMC prévoit. Nous soutenons que pour les sept conventions fondamentales, ces recours doivent aussi exister. Tout comme Mme Carbonneau lors de sa présentation, nous disons que cela devrait être un dernier recours. Nous soutenons l'approche de l'OIT, laquelle a toujours été fondée sur des conseils et de l'appui technique en vue d'aider les pays qui ont la volonté de corriger des situations.

Mais lorsque cela ne marche pas, comme dans le cas de la Birmanie, le Canada peut décider unilatéralement d'imposer des sanctions. Nous recommandons la mise en place d'une procédure multilatérale qui fera en sorte qu'on interviendra de façon plus systématique et qu'on ne dépendra pas de l'initiative individuelle de différents pays.

Le président: Merci.

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Merci beaucoup d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. J'aimerais d'abord vous dire que je suis très heureux que nous ayons entendu comme témoins M. Allmand, du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, et les représentants des centrales syndicales, de la Chambre de commerce du Québec et du Conseil du patronat cet après-midi. Il est très important que nous puissions entendre vos préoccupations et surtout les pistes de solution que vous pourriez nous apporter.

• 1500

Madame Carbonneau, dans votre mémoire, vous parlez d'un document élaboré par le RQIC avec quatre réseaux sur l'intégration continentale, notamment du Canada, du Chili, des États-Unis et eu Mexique. Si cela est possible, j'aimerais que vous fassiez parvenir des exemplaires de ce document, dans les deux langues officielles, à notre greffier. J'aimerais beaucoup le lire parce qu'il doit contenir une réflexion très importante là-dessus.

Vous nous avez aussi parlé des sept conventions qui ont été ratifiées par le plus grand nombre de pays. Quand on consulte la page d'accueil de l'OIT, on constate que la convention 29, qui interdit le travail forcé, a fait l'objet de 149 ratifications, tandis que la convention 138, qui porte sur l'âge minimum pour travailler, a fait l'objet de 66 ratifications. Est-ce que ces ratifications ont apporté des changements dans les pays concernés?

Monsieur Massé, vous nous avez parlé de consultations entre l'OIT et l'OMC. Ce matin, M. Allmand, au nom du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, nous a présenté 14 recommandations dont la dixième portait sur l'OMC et l'OIT. J'ai l'impression que cette dixième recommandation allait encore plus loin que ce que vous revendiquez:

    Le gouvernement canadien devrait appuyer la création d'un groupe de travail conjoint OIT/OMC sur la relation entre commerce et normes internationales des droits humains «liées au commerce», sur le modèle du Groupe de travail sur les relations entre commerce et investissement ou celui sur les rapports entre commerce et politiques de concurrence.

J'aimerais savoir si dans le cadre des consultations que vous recommandez, vous aimeriez aller plus loin et appuyer la création d'un groupe de travail OMC/OIT.

M. Henri Massé: Bien que je n'aie pas soulevé cette question, nous sommes d'accord.

M. Bernard Patry: Parfait.

Le président: Madame Carbonneau.

Mme Claudette Carbonneau: Je traiterai très brièvement du premier volet au sujet des documents que vous souhaitez pouvoir consulter. Permettez-moi de souligner que les représentants du réseau comparaîtront demain et vous présenteront sûrement un exposé plus étayé. Nous aurons le plaisir de vous faire parvenir ces documents. Vous avez aussi soulevé la question des conventions.

M. Peter Bakvis: Oui, vous nous avez demandé si la ratification des conventions avait apporté des changements dans ces pays. Dans certains cas, oui, absolument, mais pas dans tous les cas. Si vous me le permettez, je citerai encore une fois le cas de la Birmanie, qui avait ratifié la convention 29 qui portait sur le travail forcé. En passant, le Canada ne l'a toujours pas ratifiée, mais on me dit que c'est une question de temps. Bien que la Birmanie ait ratifié cette convention, on a dernièrement mené une enquête dans ce pays. J'ai obtenu copie de ce document de l'OIT qui comprend 400 pages et qui confirme que des camps de travail forcé existent dans ce pays-là.

Les pays qui ont la volonté de le faire utilisent tous les recours en matière de conseils et d'aide technique que fournit l'OIT avec son appareil. Un pays qui décide de faire fi de ces principes peut le faire. C'est le chaînon manquant, cette absence de recours, cette absence de dents, comme le disait M. Massé. C'est pourquoi nous soutenons que comme dernier recours, dans des cas extrêmes, il faut qu'on puisse appliquer des sanctions commerciales pour faire en sorte que cette convention soit respectée.

M. Bernard Patry: Merci, monsieur le président.

Le président: Puis-je revenir à cette question des sanctions? Il me semble que M. Bachand l'avait soulevée. Tout le monde est de plus en plus d'accord que l'OMC doit tenir compte des questions relatives à l'environnement, au travail et, comme on le soulève maintenant, à la culture. Mais je crois que cela présente d'autres questions. La protection de l'environnement et les droits des travailleurs exigent un régime. Comme le disait Mme Carbonneau, les règles seront les règles et les sept règles primordiales de l'OIT auront probablement la chance d'élargir le champ d'application au fur et à mesure.

Mais je crains un problème, comme a semblé l'indiquer M. Audet, au niveau des sanctions. M. Sauvageau m'a accompagné à Singapour l'année dernière, et nous avons justement entendu tous les pays en voie de développement nous dire qu'ils bénéficiaient d'une main-d'oeuvre moins chère que la nôtre, que nous allions créer une nouvelle forme de protectionnisme, un système qui remplacerait le dumping et les droits compensateurs et que leurs biens ne pourraient pas entrer dans notre système à cause de leurs règles de travail, etc.

• 1505

Actuellement, il serait très difficile de concevoir un tel système. Je crois, monsieur Bakvis, que vous avez mis le doigt sur la réponse. Vous avez dit qu'il ne fallait pas avoir un système dans lequel les pays, de façon individuelle, s'érigent en juge et jury mais plutôt un système vraiment international de sanctions, c'est-à-dire un système accepté par tout le monde. Si vous proposez quelque chose comme le dumping, ce serait le Congrès américain et le CITT pour les Canadiens qui proposeraient... Vous envisagez des procès comme nous en avons déjà en matière de dumping; on aurait les mêmes procès devant le CITT au Canada et devant les instances américaines ou européennes, qui deviennent très protectionnistes. Si c'est ce système que vous proposez, j'ai beaucoup de difficulté à l'accepter. Par contre, si vous proposez, et je crois que c'est ce qu'il faut trouver, un système vraiment international où ce sont des instances internationales qui imposent, alors je l'accepte. Est-ce la direction dans laquelle se dirige le système? Si c'est le cas, on est dans une voie très importante pour le développement du droit international et du système international.

M. Peter Bakvis: Le système que vous décrivez est exactement celui qu'on vise. C'est tout à fait conforme aux orientations en matière de négociations commerciales internationales: on va vers des règles internationales et on veut une instance internationale...

Le président: Une application internationale.

M. Peter Bakvis: ...qui prenne les décisions. On le fait, en partie, pour éviter des actions unilatérales de la part des États.

Sur la crainte du protectionnisme, on a mentionné qu'un des premiers endossements au niveau gouvernemental a été celui de l'Afrique du Sud qui, comme on le sait, est considérée comme un pays du tiers monde. Pourquoi l'Afrique du Sud et Nelson Mandela? J'imagine que c'est parce qu'il est reconnu qu'il s'agit de droits. On ne parle pas d'établir un salaire minimum mondial et encore moins...

Le président: Non, non.

M. Peter Bakvis: ...d'un salaire minimum au niveau continental. Les pays à bas salaire vont peut-être le demeurer; cela fera partie de leur avantage comparatif. Mais, comme le soulignent certains documents de la CISL, la concurrence se fait vraiment entre les pays du tiers monde. La Birmanie vole maintenant des emplois aux Philippines qui, elles, respectent certaines règles de base, alors que la Birmanie et le Vietnam ne les respectent pas parce qu'il n'y a pas, dans ces pays, de possibilité d'organiser des syndicats libres et qu'on y permet le travail des enfants. On ne parle pas d'établir un protectionnisme du monde industrialisé face au tiers monde, et c'est pour cela qu'on se limite à sept conventions de base, ratifiées par la grande majorité des pays du monde.

Si cela intéresse les députés, j'ai des copies, dans les deux langues officielles, de la déclaration de l'Organisation internationale du travail adoptée au mois de juin dernier et endossée par l'ensemble des pays membres de l'OIT, dont le nombre est d'environ 174. On y mentionne que le respect de ces conventions ne doit pas servir à justifier des mesures protectionnistes. Tout le monde était d'accord là-dessus. Il faut aussi reconnaître qu'il s'agit de certaines conventions de base d'application universelle qui doivent être respectées par tout le monde.

Le président: Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais jusqu'à maintenant, la sanction qui existe en droit du commerce international est l'accès au marché; on peut empêcher l'accès au marché.

Est-ce que vous proposez, par exemple, que l'OMC ait une sorte de tribunal qui puisse dire que tel pays n'est pas digne d'être membre de l'OMC parce qu'il ne respecte pas les normes de base, ou va-t-on plutôt sanctionner l'échange de certains produits? Comme le disait Mme Carbonneau, ou bien les règles sont assorties de sanctions, ou bien elles ne ne sont rien.

Ce matin, M. Allmand nous a dit que l'OMC était la seule instance internationale qui fonctionne actuellement parce qu'elle est la seule à avoir de vraies sanctions et des règles applicables.

Donc, si nous devons avoir des règles, quelle sera la sanction?

• 1510

M. Peter Bakvis: La sanction est la possibilité d'appliquer des tarifs douaniers spéciaux, comme cela se fait dans le cas de la propriété intellectuelle. On peut le faire de façon très ciblée. Si on détermine que tel produit provenant de tel pays est produit par des enfants de 10 ans, on peut ériger une mesure spéciale à l'égard de ce produit. On peut cibler cela très bien et cela risque de produire des résultats très rapidement.

Le président: Dans le cas de la protection des brevets, des inventions, etc., est-ce déterminé par l'OMC elle-même ou si les pays membres décident individuellement qu'ils vont l'appliquer, comme dans le cas du dumping?

M. Peter Bakvis: L'OMC peut permettre à des pays de l'appliquer, mais si un pays ne le désire pas, il ne l'applique pas. Il n'y a pas encore de police internationale qui peut obliger des pays à le faire, mais l'OMC donne aux pays la possibilité, dans des cas spécifiques, d'appliquer des sanctions commerciales.

Le président: Il faut l'autorisation préalable de l'OMC avant de le faire. Ce n'est pas comme dans le cas du dumping.

Monsieur Massé, vous aimeriez ajouter quelque chose?

M. Henri Massé: Je voudrais indiquer qu'un faux débat, assez important, circule autour de toute la question des droits des travailleurs. On nous parle de protectionnisme, etc. Il faut d'abord lire les conventions internationales pour constater qu'il y a beaucoup de flexibilité, pour ne pas dire beaucoup de slack. À tout moment on invoque la clause nonobstant, selon la volonté des intervenants au niveau national. En lisant bien, on constate qu'il y a beaucoup de place pour la primauté du niveau national.

Quand on fait ce débat au niveau syndical, à travers la CISL, les pays du tiers monde sont présents et ils sont d'accord sur l'introduction de la clause sociale, appelée aujourd'hui la clause des travailleurs. Il peut y avoir évidemment certains problèmes. Pour ce qui est du travail des jeunes, les Nord-Américains et les Européens disent que les enfants ne devraient pas travailler avant tel âge. Dans les pays du tiers monde, ils ont des problèmes avec la rigidité de notre norme parce qu'ils disent ne pas avoir de réseau d'éducation, etc. De façon générale, il s'agit de permettre à ces travailleurs, dans leurs pays, d'avoir le libre droit à la négociation pour défendre leurs conditions de travail, mais il faut arrêter de dire qu'ils doivent avoir les mêmes conditions que les nôtres car ils sont à des années-lumière de nous.

Le président: Prenons le cas des jeunes travailleurs. On ne veut pas avoir un système où, par exemple, l'Europe pourrait sanctionner le Canada parce que nos jeunes livrent le journal du matin, comme tout le monde l'a fait. Les jeunes de 12 à 15 ans font cela depuis des années, et un pays individuel verrait là un chance de sanctionner le Canada et, par cette sanction, ferait une sorte de rétorsion pour avoir des avantages commerciaux, etc. C'est ce qu'on veut éviter. Il faut un système ayant une vraie application internationale et des normes internationales.

C'est la raison pour laquelle j'ai posé cette question à M. Bakvis. Je crois qu'on va dans cette direction et votre intervention nous a aidés à comprendre.

M. Michel Audet: On se souvient de cette préoccupation du président Clinton, après son élection, à l'égard de l'entente avec le Mexique qui avait donné lieu à une sorte d'annexe à l'entente. C'est plus un best effort qu'un système qui entraîne des sanctions. C'est peut-être une piste à explorer pour la prochaine ronde de négociations. Je pense cependant que cela exigerait beaucoup de travail et que la négociation serait longue, même si je sais qu'il y a un forum à l'OIT qui en discute, avant que cela puisse se transmettre au niveau des lois de chaque pays. Cette préoccupation doit exister, mais si on veut en faire une priorité dans la négociation, il y a de bonnes chances que la négociation ne s'amorce même pas. Il faudra donc placer cet élément comme un enjeu dont on doit tenir compte, mais cela demeure une négociation commerciale et non une négociation sur les droits de l'homme.

• 1515

M. Henri Massé: Je crois que la Chambre de commerce comprendra que des travailleurs mieux payés, avec de meilleures conditions de travail augmentent le commerce.

M. Michel Audet: Tout à fait.

Le président: Si vous croyez que c'est compliqué ici, allez voir le débat qu'il y a entre républicains et démocrates chez nos voisins, aux États-Unis. Vous verrez vraiment de quoi il s'agit.

Monsieur Bakvis, vous avez le dernier mot.

M. Peter Bakvis: Pour réagir aux propos de M. Audet, dans le cas des accords parallèles de l'ALENA sur le travail et l'environnement, il y a un volet sur lequel il est sûrement en accord, soit celui où l'on reconnaît le lien entre le commerce, d'une part, et les conditions de travail et standards environnementaux, d'autre part. Ces accords permettent l'application de sanctions commerciales en dernier recours, et je suis content de constater qu'il est d'accord sur ce volet.

Le problème de ces accords, contrairement à ce qu'on a dit ici, est qu'ils n'énoncent aucune norme commune. On y dit que chaque pays doit appliquer ses lois du travail. En soi, c'est déjà une bonne chose que les pays appliquent la loi, mais on n'indique aucunement quels sont les éléments de base à appliquer. C'est ce qui manque. On devrait corriger cette situation en mettant de l'avant l'idée d'une clause sur les droits des travailleurs et travailleuses.

Le président: Votre standard minimum, ce sont les sept conventions dont on a parlé.

M. Peter Bakvis: Voilà.

Le président: On a bien compris.

Mme Maud Debien: Monsieur le président, vous m'avez oubliée?

Le président: Jamais je ne vous oublierais, madame Debien.

Mme Maud Debien: Je veux revenir sur la question de l'OMC et de l'OIT. Je comprends différentes choses. Il y a entre autres trois possibilités et j'aimerais qu'on me les clarifie,

Certains ont parlé de l'OIT dans le domaine des droits du travail comme étant l'instance possédant l'expertise nécessaire, à partir de ces sept règles fondamentales, pour bien établir les règles concernant les droits des travailleurs. Pour l'OMC, l'OIT serait l'organisme consultatif.

Quelqu'un d'autre a franchi un pas plus grand en disant que l'OIT pourrait devenir le bras coercitif de l'OMC. Ce n'est pas ce que vous avez dit?

M. Peter Bakvis: Non.

Mme Maud Debien: Ensuite, il a été question de la création d'un nouvel instrument. Quelles sont donc les relations que vous voulez établir, sur le plan formel, entre l'OMC et l'OIT?

M. Peter Bakvis: On pourrait faire parvenir au comité des textes disponibles dans les deux langues officielles...

Mme Maud Debien: Oui, j'aimerais bien parce que ce n'est pas clair.

M. Peter Bakvis: ...qui décrivent cette idée qui a déjà été véhiculée, entre autres, par la Confédération internationale des syndicats libres, dont la FTQ et la CSN font partie.

On parle de l'OIT comme ayant l'expertise et la capacité de surveillance ou de monitoring nécessaires pour constater des violations des droits fondamentaux. Ce que l'OMC ajoute est un mécanisme pour appliquer, en tout dernier recours, une sanction. Le recours contraignant éventuel est possible et il s'ajouterait à l'OIT, qui fait d'ailleurs très bien son travail de façon générale.

Mme Maud Debien: D'accord. Merci.

M. Henri Massé: Ce serait dans un protocole entre l'OIT et l'OMC, une structure par-dessus la structure.

Mme Maud Debien: Il faudrait que ce soit très formel pour que ce soit efficace. Merci.

M. Michel Audet: Me permettez-vous de faire une blague? Je propose que nos amis, les syndicats, aillent négocier des conditions de travail à l'étranger; cela nous rendra plus compétitifs.

Le président: Un défi qu'ils sont sûrement prêts à accepter.

M. Henri Massé: On a trop de travail à faire ici. On n'a pas le temps. Ce serait un beau mandat pour Gérald Larose.

Le président: Merci beaucoup. Je vous remercie tous d'être venus. Nous faisons une pause-santé de trois minutes.

• 1520




• 1528

Le président: Bienvenue à nos témoins du Barreau du Québec, de l'Ordre des comptables agréés et de l'Ordre des ingénieurs du Québec. Veuillez commencer, madame Chapados.

Me Annie Chapados (avocate, Service de recherche et de législation, Barreau du Québec): Très bien.

Le président: On entendre ensuite M. Laliberté, puis Mme Lussier-Price.

Me Annie Chapados: Monsieur le président, mesdames, messieurs, je m'appelle Annie Chapados et je suis avocate au Service de recherche et de législation du Barreau du Québec et responsable principalement des dossiers qui ont trait à l'encadrement législatif et réglementaire de l'exercice de la profession d'avocat.

Le Barreau du Québec a 150 ans aujourd'hui et regroupe près de 18 000 avocats. C'est un ordre professionnel au sens du Code des professions du Québec. Il s'agit ici d'un membership obligatoire. En ce sens, on se distingue de l'Association du Barreau canadien, une association volontaire qui, au Québec, regroupe environ 4 000 membres, juges, avocats, notaires et étudiants. Je sais par expérience qu'il y a souvent confusion entre ces deux entités qui sont complètement distinctes.

• 1530

Nous n'avons pu déposer de mémoire auprès du comité pour notre comparution. Ayant été avisés de la tenue de ces audiences il y a quelques jours seulement, le temps nous a manqué. Malgré tout, l'importance de cette question a fait en sorte que je me trouve devant vous aujourd'hui. Il n'est pas dit qu'un document ne sera pas déposé ultérieurement auprès du comité ou du ministère selon les délais dans lesquels vous déposerez votre rapport.

J'ai assisté à la fin des témoignages tout à l'heure et j'ai remarqué qu'il y avait—non pas au sens péjoratif du terme—des listes d'épicerie, c'est-à-dire des positions très fermes à l'égard de certaines problématiques: ce qu'on veut, ce qu'on ne veut pas, etc. Vous comprendrez que compte tenu du fait que je ne présente pas de mémoire aujourd'hui, je me limiterai strictement à certains éléments de base, et plus particulièrement à la question, qui apparaissait d'ailleurs sur le site Web du comité, de l'arrimage entre tout ce qui concerne l'internationalisation des services et les valeurs, principalement sociales dans notre cas. Ces valeurs sociales sont parfaitement illustrées par le système professionnel au Québec, qui est unique. Je pense qu'il est important que les gens appelés à déposer un rapport et ceux qui auront à négocier cette entente connaissent l'existence du système professionnel québécois et ses composantes.

Le système professionnel québécois date des années 1970. En 1970, le ministre libéral des Affaires sociales, M. Castonguay, constatait qu'un certain marasme existait au niveau des professions, qui empêchait leur évolution dynamique et risquait d'empêcher ultérieurement les professionnels de répondre adéquatement à leurs besoins. Une vaste étude a été tenue au terme de laquelle on adoptait, en 1973, le Code des professions qui a structuré toute l'organisation relative aux services professionnels.

Aujourd'hui, le système professionnel québécois compte 43 ordres professionnels, dont le Barreau, l'Ordre des comptables agréé(e)s et l'Ordre des ingénieurs. Ces ordres professionnels québécois ont pour mission principale, et c'est une obligation légale, de protéger le public. Vous en constaterez l'importance tout à l'heure.

L'Office des professions, qui est une agence paragouvernementale, chapeaute les ordres professionnels. Elle a pour mission de s'assurer que les ordres professionnels s'acquittent de leur mission de protection du public. En tête de liste, vous trouvez le gouvernement, plus spécifiquement le ministre de la Justice, qui est responsable de l'application des lois professionnelles au Québec; il chapeaute le tout et surveille l'ensemble des opérations.

Le système professionnel québécois est essentiellement fondé sur l'individu et le territoire; l'intérêt est de savoir qui pratique et où. La matière comme telle a peu d'importance. Pour illustrer cela, on peut penser aux conseillers juridiques étrangers, les foreign legal consultants, une notion inexistante dans le droit professionnel québécois. Cela n'est absolument d'aucune pertinence chez nous que vous veniez au Québec pour pratiquer du droit ontarien ou du droit québécois. L'important est de savoir si l'individu est membre du Barreau et s'il pratique au Québec. Il faut retenir ces fondements.

Je ne dis pas qu'on est entièrement d'accord sur cela, mais c'est l'état actuel du droit au Québec en matière de services professionnels.

L'encadrement dans lequel les ordres professionnels oeuvrent est rigide. Nous sommes, bien entendu, des organismes d'autoréglementation. On bénéficie donc, dans certains aspects, d'une certaine autonomie de gestion, mais elle est relative et tributaire des secteurs d'activités. En d'autres mots, tout le processus réglementaire et législatif encadrant l'exercice des professions au Québec est très lourd pour la partie de la protection du public. Dans le cas où un ordre professionnel veut faire adopter un règlement ayant pour objet la gérance des affaires internes, le processus est beaucoup plus souple. Mais dans le cas d'un règlement qui a pour objet de modifier le Code de déontologie ou tout règlement ayant trait à la protection directe du public, le processus est très lourd.

• 1535

Pour illustrer le processus, le règlement de l'ordre professionnel est soumis à un processus légal obligatoire de précommunication aux membres, avec un délai pour laisser venir les commentaires. Ensuite il y a adoption par les hautes instances décisionnelles de l'ordre. Le tout est transmis à l'office, qui le publie à son tour, cette fois dans la Gazette officielle du Québec, et qui, par la suite, élabore et adopte une recommandation à l'égard du projet de règlement. C'est envoyé au gouvernement. Le gouvernement passe encore une fois à travers le dossier, élabore un décret et envoie le décret au Conseil des ministres, et ce dernier adopte le règlement et le publie une autre fois dans la Gazette officielle du Québec.

Je vous expose tout cela parce que je sais par expérience que dans bien des domaines, nos homologues d'autres provinces bénéficient d'un système beaucoup plus souple. Plusieurs règles sont modifiées simplement en faisant adopter des rules par les benchers, qui sont l'équivalent de notre instance décisionnelle. Il faut comprendre que les rouages qui encadrent l'exercice de la profession sont très, très différents, et c'est la raison pour laquelle je parlais de la rigidité du système. On est confrontés à cela. On est obligés de passer à travers ces processus, ce qui peut, en certaines matières, causer certains problèmes. On se trouve à être décalés par rapport à d'autres provinces ou à d'autres pays dans l'évolution des dossiers.

Je disais donc que la protection du public constitue une obligation légale et que cette protection—j'ai parlé de règlements—passe par un contrôle très serré de l'accès à la profession. Quand on parle d'accès à la profession, on pense à nos étudiants qui étudient ici et qui deviennent membres de l'ordre. C'est le processus régulier. Mais il y a également des processus qui existent à l'heure actuelle et qui visent la reconnaissance d'avocats venant de l'étranger. Certains processus s'adressent aux avocats d'autres provinces canadiennes. Il y a également des processus, quoique limités, qui s'adressent à des avocats qui viennent d'autres pays, d'autres continents.

Je reviendrai plus tard sur le processus majeur, qui est le processus de reconnaissance des équivalences. Ce processus est aussi très lourd. Je ne vous dis pas que ce n'est pas justifié. Il ne faut pas oublier que le Québec est une juridiction de droit civil. Comme on a la mission de protéger le public, il faut s'assurer que les gens ont la compétence requise en droit civil pour que le public soit adéquatement protégé.

Quand on met cela en perspective, sur la toile de fond de la mobilité transfrontalière, on constate que l'expérience qu'a acquise le Barreau du Québec en matière de mobilité est relative.

Le Barreau du Québec a signé en 1996, dans la foulée de l'Accord sur la mobilité de la main-d'oeuvre, un protocole sur l'exercice interjuridictionnel du droit. Les normes élaborées dans ce protocole ne sont toujours pas incorporées à notre édifice réglementaire. Il y a des projections sur la table et nous y travaillons conjointement avec les autres intervenants du système dont j'ai parlé tout à l'heure, principalement l'Office des professions mais également le gouvernement, mais ce n'est toujours pas intégré.

C'est la même chose pour ce qui a trait à l'entente qui a été signée dans le cadre de l'ALENA et de certaines annexes, dont celle qui a trait précisément aux conseillers juridiques étrangers, les foreign legal consultants, dont j'ai parlé tout à l'heure.

C'est vous dire à quel point le processus est lourd. Certes, il reflète des valeurs, parce que le Québec a choisi de protéger de façon très serrée le public vis-à-vis des services professionnels rendus, mais cette lourdeur peut faire en sorte qu'il devienne très difficile de donner suite à certaines ententes, alors même que, bien souvent, nos propres membres voudraient que cela débloque plus rapidement.

J'ai parlé des outils existants tout à l'heure. Les outils qui existent à l'heure actuelle, et principalement le processus de reconnaissance des équivalences de diplômes, démontrent qu'il y a une ouverture de la profession.

Évidemment, tous les mouvements de globalisation et d'internationalisation ont un impact certain, qui est déjà tangible pour nous. Le nombre de téléphones que je reçois de membres de barreaux à l'étranger qui veulent savoir comment faire pour venir pratiquer ici a augmenté énormément. Juste durant la dernière année, le Comité de reconnaissance des équivalences, qui reçoit les demandeurs, a constaté que les demandes avaient doublé en une seule année. C'est un impact qui est récent, qui est tout nouveau, mais on est en hausse certaine.

• 1540

Par ailleurs, nous avons également des pressions de nos membres qui, voyant qu'eux sont reçus plus facilement à l'étranger, reviennent chez eux et ont le réflexe d'appeler leur ordre professionnel pour dire: «Écoutez, j'aimerais bien avoir une certaine forme de réciprocité avec d'autres cabinets, mais cela sous-entend une certaine souplesse dans l'agir, souplesse que je n'ai pas.» Le Barreau du Québec, par suite de ces pressions, s'est penché sur cette question, mais au niveau des énoncés de principe, bien entendu.

En 1996, un rapport sur l'avenir de la profession a été déposé, qui faisait suite à une vaste étude qui ne traitait pas uniquement de globalisation des marchés, mais d'un ensemble de données comme les nouvelles technologies, la modification des besoins et la globalisation. Il y avait une foule d'éléments qui étaient considérés.

Au chapitre de l'internationalisation, ce rapport en arrivait à la conclusion qu'il s'agissait là d'une variable considérée comme influente dans les conditions du marché des services juridiques et qu'elle représentait une force motrice de l'industrie des services juridiques. Elle arrivait au quatrième rang des variables les plus influentes.

Au terme de cet étude, le Barreau du Québec a opté pour un scénario d'avenir. On peut considérer cela comme une forme d'orientation pour le Barreau, qui mettait l'accent sur l'adaptabilité du système à l'égard de ces nouvelles mouvances: la concurrence, la pensée globale, les marchés extérieurs, la collaboration globale et l'interdépendance. Certains objectifs généraux du plan d'action mettaient en cause de façon plus directe le Barreau du Québec comme ordre professionnel, comme institution, l'objectif principal étant de faire des démarches telle celle que je fais à l'heure actuelle, à savoir essayer de faire en sorte que le système législatif et réglementaire puisse s'adapter facilement à ce nouveau cadre environnemental.

À la suite du dépôt de ce rapport, des orientations triennales ont été adoptées par le Barreau du Québec, qui reprenaient en quelque sorte, à l'égard de l'internationalisation, les conclusions du rapport sur l'avenir.

Il faut vous dire que le système professionnel québécois est en mouvance à l'heure actuelle et que son fonctionnement est remis en cause par l'ensemble de ses intervenants. En fait, l'Office des professions déposait en 1997 un avis disant qu'il projetait une réforme. Cette réforme, cependant, selon nous, avait pour impact malheureux de hausser davantage la structure hiérarchique verticale, donc d'imposer une rigidité encore plus difficile, si bien qu'on a exercé des pressions. On n'a pas été les seuls. D'autres ordres sont intervenus à l'égard de ce dossier. Le ministre responsable a répondu en mettant sur pied un comité consultatif ministériel ayant pour mandat d'examiner l'ensemble du système, notamment la question de la globalisation des marchés et de l'impact que cela peut avoir sur toute l'organisation structurelle du système professionnel québécois.

En gros, je pense qu'il est important d'avoir ça en tête. Ce n'est pas compliqué. C'est ce que je viens vous dire aujourd'hui. Il faut se rappeler que des ententes du type de celles dont il est question ici remettent en cause une foule de choses qui sont déterminées par règlement au Québec. On parle de détermination des champs de pratique et de l'évolution des champs de pratique. On parle du type de concurrence auquel devront faire face nos membres.

Par ailleurs, l'internationalisation a aussi un impact certain sur les besoins de la clientèle. Il ne faut pas oublier que les besoins déterminent la prestation de services juridiques, pour ce qui est de notre secteur.

Par ailleurs, les règles qui régissaient jusqu'ici le partage du marché vont changer. Il ne faut pas uniquement s'assurer que le Barreau du Québec ait toute la souplesse requise pour être capable de s'adapter à cela. Il ne faut pas uniquement s'assurer que le Barreau du Québec ait les outils pour continuer à respecter son obligation légale de protection du public, parce que cette obligation demeure. Quand on parle de valeurs sociales, c'en est une. Nous avons des obligations légales en matière de protection du public et nous devons être capables d'assumer ces obligations, même dans un cadre international. Il faut qu'on ait les outils pour le faire, mais il faut également que nos membres aient des outils pour être capables de faire face à cette nouvelle concurrence.

Je terminerai en vous donnant deux petits exemples à l'égard de nos membres.

• 1545

On sait que les juridictions qui nous entourent, pour une bonne partie, permettent aux avocats et à d'autres professionnels d'exercer leur profession en société par actions et que c'est toujours interdit au Québec. Voilà un élément majeur pour nos membres. Comment nos membres, qui ne peuvent s'incorporer, pourront-ils faire face à cette concurrence de l'extérieur par le biais de véhicules, en société par actions ou autrement?

C'est la même chose en ce qui a trait à la multidisciplinarité. La multidisciplinarité est interdite au Québec. Comment pourrons-nous, comme professionnels, faire face à une concurrence de type guichet unique venant de l'extérieur? Ce sont là des questions qui sont importantes, et pas uniquement en termes de concurrence. C'est sûr que c'est important, car on représente quand même une part du marché, mais c'est important aussi quand on pense précisément aux obligations légales qu'on a par ailleurs comme ordres professionnels. Comment les ordres professionnels pourront-ils assurer la protection du public à compter du moment où des guichets uniques venant de l'extérieur viendront faire concurrence à leurs membres? Tout est interrelié.

Je vais terminer en disant que je ne peux que déplorer l'absence ici, autour de la table, d'un représentant de l'Office des professions, qui est l'agence paragouvernementale chargée au Québec de veiller à ce que tout fonctionne comme sur des roulettes. Ils sont absents aujourd'hui.

Je parlais plus tôt du court délai dont on a disposé. Il n'est pas question d'en tenir grief à qui que ce soit, mais il n'en demeure pas moins que ça illustre le fait qu'il y a très certainement un manque au chapitre des communications entre les différentes juridictions. Le système professionnel québécois est de juridiction provinciale. Le Barreau du Québec, pour sa part, est favorable à la négociation d'ententes internationales. De toute façon, on pense que c'est irréversible. On est prêts et la volonté est là, mais il y a d'autres intervenants dans notre système, qui est très structuré et très hiérarchisé. Chacun y a des responsabilités définies, précisées par le Code des professions et par les lois constitutives des ordres. Je pense qu'on ne peut pas faire fi de cela parce que ce serait triste. Autrement, il va arriver exactement la même chose que vis-à-vis de l'ALENA et du protocole sur l'exercice interjuridictionnel: deux ans après avoir dit qu'on était d'accord sur cela et qu'on voulait mettre l'épaule à la roue, ce n'est toujours pas intégré à notre édifice législatif et réglementaire.

Le président: Merci, madame.

Monsieur Laliberté.

M. Luc Laliberté (syndic, Ordre des ingénieurs du Québec): Bonjour, monsieur le président. Bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité.

À l'instar de Mme Chapados, j'ai été invité il y a peine deux jours à venir représenter l'Ordre des ingénieurs devant votre comité. Je dois vous dire en premier lieu que, d'après ce que j'ai compris du dossier et du comité, les organisations canadiennes d'ingénieurs étaient représentées ou avaient été sollicitées antérieurement par l'intermédiaire du Conseil canadien des ingénieurs. Je me rends compte qu'il y a eu à Ottawa, au mois de février, une réunion des organisations internationales dans le cadre de ce qu'on appelle le GATS. Le Conseil canadien des ingénieurs est une fédération qui représente, au plan canadien, des associations provinciales.

Comme Mme Chapados vient de le faire ressortir, le système professionnel au Canada étant de juridiction provinciale, c'est la législature provinciale qui établit les lois et les règlements en matière de pratique professionnelle.

Au Québec, nous avons la particularité d'avoir le Code des professions et de vivre dans un régime qui a été établi de façon globale pour l'ensemble des professions québécoises, ce qui est très différent de ce qu'on a ailleurs au Canada.

Au plan de l'ingénierie, au Canada, il y a des associations qui se donnent des services communs par l'entremise du Conseil canadien des ingénieurs, notamment la reconnaissance de la formation, des diplômes d'équivalence ou des normes d'équivalence en fonction des diplômes. Le Conseil canadien des ingénieurs a négocié avec divers pays du le monde, en relation de leur système universitaire, certaines ententes de reconnaissance de la formation dans ces pays-là.

Dans le cadre de l'ALENA, le Conseil canadien des ingénieurs avait entrepris de conclure des ententes entre le Canada, les États-Unis et le Mexique pour faciliter la mobilité des professionnels en ingénierie entre les divers pays de l'Amérique du Nord. À l'heure actuelle, comme l'exercice professionnel aux États-Unis, tout comme au Canada, est de la juridiction de l'État dans la plupart des cas, nous n'avons pas obtenu le succès que nous souhaitions obtenir.

• 1550

Donc, en matière de service international, c'est le Conseil canadien des ingénieurs qui était notre porte-parole. Récemment, nous avons été invités à comparaître devant le comité dans le cadre de sa tournée canadienne.

Je ne peux pas vous dire exactement quelles sont les difficultés. Je vous dirai simplement qu'ici, au Québec, comme Mme Chapados le soulignait très bien, nos membres sont des professionnels individuels, sauf dans le cas des ingénieurs. Notre loi, la Loi sur les ingénieurs, dont j'ai apporté un extrait, comporte depuis 1964 une disposition qui permet à des professionnels de s'organiser sous une forme corporative. Nous sommes la seule profession au Québec ayant la possibilité de s'organiser sous une forme corporative afin d'offrir des services d'ingénierie et de livrer le travail en faisant appel à des personnes qui sont membres de l'ordre et sur lesquelles l'Ordre des ingénieurs a un pouvoir ou une juridiction pour contrôler la qualité de l'exercice de la profession et s'assurer que les services rendus le sont dans le respect d'un code de déontologie qui est imposé aux membres. Cependant, l'ordre n'a jamais réussi, malgré cette disposition législative, à réglementer l'exercice professionnel en corporation ou à réglementer les activités des corporations. C'est pourquoi les grandes corporations d'ingénieurs-conseils au Québec telles que SCN-Lavalin, Dessau, Tecsult, Monenco AGRA et AXOR ne tombent pas sous notre juridiction en tant que personnes morales. Elles ont donc pu développer des activités de type génie, construction et approvisionnement, livrer des projets clés en main et étendre leurs activités partout dans le monde sans que nous y participions ou sans que nous soyons présents.

Vous savez que présentement, les firmes québécoises, particulièrement les grandes firmes québécoises, rayonnent en Asie, en Afrique et un petit peu en Europe. On m'a dit qu'elles avaient beaucoup de difficulté à obtenir de l'activité aux États-Unis, ce qui amène un phénomène qu'on constate présentement: il y a des fusions entre des entreprises d'ingénierie canadiennes, québécoises notamment, et des entreprises américaines afin de faciliter le développement d'activités commerciales ou d'activités de services professionnels d'un côté et de l'autre de nos frontières.

Je n'ai pas de faits précis à vous mentionner, mais les dirigeants de deux ou trois grandes firmes québécoises qui sont à Montréal nous ont souvent dit qu'ils avaient beaucoup de difficulté à faire des affaires avec les pays de l'Europe ou à obtenir des contrats dans les pays de l'Europe et des mandats aux États-Unis.

Ici, au Québec, comme nous contrôlons l'exercice de la profession par les individus, nous avons eu à faire face dans le passé, comme ordre professionnel de régie de la profession, à une situation assez particulière, qui est devenue embarrassante au plan économique. Je prends le domaine de l'aéronautique. Vous savez qu'au Québec, il existe depuis des années des entreprises telles que Canadair et Pratt & Whitney. C'est Bombardier qui a pris le contrôle du domaine de l'aéronautique au Québec.

• 1555

Dans les années 1950 et 1960, pour arriver à fabriquer des produits de haute qualité et de haute technologie, ces entreprises ont fait appel à du savoir-faire étranger, surtout à des ingénieurs venant de tous les pays du Commonwealth qui ont été embauchés pour venir travailler ici, au Québec. Notre loi précise que l'ingénierie, au Québec, doit être réalisée par des membres de l'ordre professionnel afin que nous puissions remplir notre fonction de protéger le public et ainsi nous assurer de la qualité des services professionnels rendus.

Lorsque nous avons voulu intervenir auprès des compagnies de l'aéronautique qui importaient de la main-d'oeuvre étrangère, nous nous sommes souvent fait dire: «Écoutez, si les lois sont trop rigides au Québec à l'égard de l'exercice professionnel, nous allons nous installer ailleurs. La frontière américaine est près d'ici, notre marché est mondial ou nord-américain et nous allons compromettre l'économie québécoise.» C'est la même chose dans le domaine de l'automobile.

Donc, l'Ordre des ingénieurs, ne voulant pas nuire plus qu'il ne le fallait à l'économie d'une province qui a toujours besoin de développement économique—toutes les entités en ont besoin—, a renoncé à faire appliquer la Loi sur les ingénieurs dans la grande industrie. Le même phénomène s'est produit dans le domaine de l'aluminerie. On ne peut pas dire qu'on a eu beaucoup de difficulté dans le domaine de l'hydroélectricité parce que c'était un développement plutôt local. Il s'est alors établi une espèce de tolérance dans ce milieu industriel qui importe la main-d'oeuvre et qui rayonne sur un plan international.

Comme vous le savez, Bombardier a des installations dans au-delà de 25 pays du monde, je crois, et a recours à la mobilité de la main-d'oeuvre suivant les besoins, suivant les contrats obtenus. Cette mobilité s'effectue présentement sans trop d'entraves de notre part, malgré les lois québécoises en vigueur. Ce sont des lois publiques et non des lois privées. Ce sont des lois pour la société québécoise. Par conséquent, les organisations professionnelles perdent un peu de leur crédibilité, étant donné qu'elles ne peuvent pas faire respecter exactement les lois.

D'autre part, nous avons aussi de nos membres qui vont pratiquer à l'étranger, qui rendent des services à l'étranger et qui causent parfois des problèmes à l'étranger, notamment des problèmes en relations de l'environnement. Comme ils sont membres d'une organisation professionnelle, ils ont des devoirs en relation de la société et en relation de la propriété. Il ne nous est pas toujours facile de faire respecter ces devoirs, compte tenu des mentalités différentes dans certains pays du tiers monde.

Depuis que je suis syndic à l'Ordre des ingénieurs, j'ai eu à traiter de cas de sollicitation de contrats moyennant des avantages. Il y a des mentalités différentes de par le monde. On n'est pas sans savoir que dans certains pays, c'est pratique courante que de favoriser les décideurs par toutes sortes de moyens afin d'obtenir un contrat lucratif. Je pense qu'il est connu mondialement que dans le domaine de l'achat d'avions, des pays et des gens ont été favorisés. Ceci fait que nous avons une certaine difficulté à exercer nos fonctions et nos responsabilités.

D'autre part, ici même, au Québec, malgré notre volonté de les exécuter, nous avons de grands ouvrages qui nécessitent parfois l'expertise de gens de l'étranger. L'ouvrage le mieux connu des derniers temps est la toile du Stade olympique. On fait appel à des experts italiens, allemands, français, etc., venus ici pour pratiquer l'ingénierie telle que réservée aux membres de l'Ordre des ingénieurs. Si on part en campagne contre ces gens et qu'on leur dit qu'ils n'ont pas le droit de pratiquer l'ingénierie au Québec, on leur met une espèce d'entrave alors qu'on est dans une ère de déréglementation et de libéralisation des services des marchés.

• 1600

Aujourd'hui, je veux tout simplement sensibiliser le comité à la situation québécoise au plan de l'ingénierie, qui est peut-être aussi la situation canadienne. Comme pays, on est appelé à être tolérant en raison des conséquences que cela peut avoir sur notre économie particulièrement, sur l'économie manufacturière et industrielle, sur les grands ouvrages ainsi que sur l'exportation de nos services à travers le monde.

En terminant, je tiens à souligner qu'il y a une difficulté réelle d'exportation des services d'ingénierie vers les États-Unis et vers l'Europe. Depuis une quinzaine d'années, nos firmes d'ingénieurs trouvent qu'il est beaucoup plus facile de faire des affaires dans les pays de l'Asie et de l'Afrique. Voilà ce que je voulais vous dire. Je pourrai répondre à vos questions si vous en avez.

Le président: Merci, monsieur Laliberté.

Madame Lussier-Price, s'il vous plaît.

Mme Ginette Lussier-Price (directeur, Service de l'inspection et des affaires professionnelles, Ordre des comptables agréé(e)s du Québec): Je vous remercie. Je m'appelle Ginette Lussier-Price et je suis directeur de l'inspection et des affaires professionnelles à l'Ordre des comptables agréé(e)s du Québec.

L'Ordre des comptables agréé(e)s du Québec est un ordre à acte exclusif; c'est-à-dire que la pratique de l'expertise comptable est dévolue aux seuls membres de l'Ordre des comptables agréé(e)s du Québec ici, au Québec. Ce n'est pas nécessairement la même chose dans le reste du pays. Il est important de le mentionner.

L'ordre comporte 16 000 membres sur environ 60 000 membres au niveau canadien. La profession d'expertise comptable existe depuis 1890 au Canada. L'ordre est peut-être privilégié parce que nous avons une formation et un examen final uniformes pour accéder à la profession, qui est uniforme partout au Canada. Déjà nous avons des normes qui sont passablement les mêmes, que ce soit en termes de formation pratique ou de formation théorique, comme le stage de deux ans et demi que nos membres doivent faire avant d'obtenir leur titre. La seule différence se situe au niveau de l'examen de la langue française que doivent subir les membres qui veulent pratiquer ici, au Québec. Une personne de Colombie-Britannique qui passe son examen final uniforme là-bas peut venir pratiquer ici pourvu qu'elle ait passé cet examen-là.

Les normes que suit la profession sont établies par l'Institut canadien et sont suivies au niveau canadien. Il y aussi des normes au niveau américain et des normes internationales, et il y a présentement une tentative en vue d'adhérer le plus possible aux normes internationales de même qu'à un code d'éthique qui pourrait être international. Présentement, le code d'éthique que nous avons au Québec est un vieux code d'éthique. Le Québec est la seule province à ne pas avoir réussi à harmoniser son code avec celui du reste du Canada, justement à cause de ce que Mme Chapados vous expliquait. Le processus d'approbation fait en sorte que c'est très long et on ne peut pas bénéficier des mêmes délais que le reste du Canada.

Cela étant dit, nos membres pratiquent autant comme individus qu'en société. Ce sont des personnes qui peuvent travailler seules, comme elles peuvent travailler à 200 dans un cabinet. On n'a qu'à penser à ce qu'on avait auparavant, soit les Big Eight, qu'on appelle maintenant les Big Five. Ce sont des firmes qui ont une reconnaissance internationale.

• 1605

D'ailleurs, la profession et les membres canadiens jouissent d'une très belle réputation partout dans le monde. Les gens viennent acquérir leur formation ici, au Canada, et l'apportent avec eux dans leur pays. Je pense, par exemple, aux pays d'Afrique et même à certains pays d'Europe.

Présentement, nous avons plusieurs ententes à l'échelle internationale. Nous avons des ententes, par exemple, avec les États-Unis, l'Angleterre et certains pays d'Europe. Nous avons aussi ce qu'on appelle les équivalences de formation. Les équivalences de formation sont pour les gens de pays qui n'ont pas une reconnaissance de titre. On leur crédite certains cours de leur formation et ils seront peut-être capables d'accéder à la profession un petit peu plus rapidement. Les gens de pays avec lesquels on a des ententes pourront accéder à la profession moyennant certains examens. On veut s'assurer, par exemple, qu'ils connaissent les règles de l'impôt. Il serait quand même aberrant de travailler au Québec ou même au Canada sans connaître les règles particulières du domaine fiscal. C'est ce que nous avons.

Notre clientèle est déjà internationale. Les firmes ou les compagnies pour lesquelles nous faisons les états financiers sont déjà des compagnies internationales. Donc, pour nous, il est normal qu'on puisse travailler en harmonie à l'échelle internationale.

Nous avons cependant des problèmes. Comme Mme Chapados le disait, nous avons le devoir de bien protéger le public. Tous savent très bien que présentement, l'exercice de la profession se fait de plus en plus de façon virtuelle, presque instantanément. On peut communiquer par Internet partout dans le monde, et il devient difficile de savoir qui a fait le travail et sous quelle juridiction il est. Pour nous, il est important d'être capable de bien déterminer ce genre de choses.

En gros, c'est ce que je voulais vous dire. Je pourrais répondre à vos questions si jamais vous aviez d'autres préoccupations. Tout comme les deux autres ordre, nous n'avons pas eu l'occasion de produire un mémoire, mais il se pourrait que nous en déposions un à un moment donné.

Le président: Merci beaucoup. J'aimerais poser une question au représentant de chacune des professions. Dans l'accord sur les services, il y a des annexes. Est-ce qu'il y a une annexe pour les comptables, une annexe pour les avocats ou une annexe pour les ingénieurs?

Me Annie Chapados: De quel accord parlez-vous?

Le président: De l'accord du GATS.

Me Annie Chapados: À l'heure actuelle, c'est la profession comptable qui est la plus développée au chapitre du GATS. Je n'ai pas fait une recherche exhaustive, mais je n'ai pas été informée de l'existence d'une annexe portant spécifiquement sur la profession juridique. Je vous dis ça sous toutes réserves, pour la simple et bonne raison que, malheureusement, cette information ne vient pas jusqu'à nous. La première fois que j'ai entendu parler de négociations dans le cadre du GATS, à la suite de la ronde de l'Uruguay, ça a été par le biais d'un avocat de Genève qui participait activement aux négociations et qui a contacté le Barreau.

J'ai parlé dans les grandes lignes de la mission de protection du public, mais il y a une foule d'activités menées par certains ordres. Je ne vous dirai pas que c'est le cas des 43 ordres, car ce n'est pas vrai. Dans notre cas, nous menons certaines activités de protection du public au sens large. On fait régulièrement des interventions dans les pays en voie de développement pour participer à la mise sur pied d'un barreau indépendant. Qu'y a-t-il de plus important, dans le développement d'une démocratie, que la mise sur pied d'un barreau indépendant qui va servir de contre-pouvoir à l'État? À un moment donné, des gens à Genève entendent parler de nous et nous disent: «Vous êtes très actifs à ce chapitre-là; comment se fait-il qu'on n'ait jamais entendu parler de vous au niveau des négociations du GATS?» Tout à coup, on ramasse une bribe d'information. Le lendemain, c'est Me Dupuis qui m'appelle et me dit: «Je ne comprends pas. On doit discuter des services et on n'a rien en ce qui a trait aux services professionnels.» Je lui réponds: «Moi non plus, je ne comprends pas.» C'est toujours comme cela que l'information est rattrapée.

• 1610

Même si ce qu'on vous dit aujourd'hui semble très sommaire, il est important que vous en preniez acte, de telle sorte que l'information circule un peu mieux à ce chapitre-là.

Le président: Je suis tout à fait d'accord.

Me Annie Chapados: Encore là, il n'est pas question de tenir grief à qui que ce soit.

Le président: Non. Je suis juste au courant du fait que, par exemple, dans le cas de l'ALENA, il y a un accord sur les architectes. Donc, on a pu permettre la libre circulation des architectes. Je ne savais pas si au niveau du GATS, au niveau international ou multinational, il y avait certaines annexes pour certaines professions afin de permettre la libre circulation de vos membres dans d'autres pays signataires de l'accord, en Europe ou...

M. Luc Laliberté: Je ne saurais vous dire si c'est le cas pour les ingénieurs, mais je peux vous dire qu'au Québec, les architectes et les ingénieurs exercent deux professions différentes.

Le président: Oui, je le comprends.

M. Luc Laliberté: Dans le cadre de l'ALENA, par exemple, les ingénieurs ont négocié des mesures avec les États-Unis et le Mexique. Aux États-Unis, sur 50 États, je crois qu'il n'y en a qu'un seul qui a adhéré à l'accord, alors qu'au Canada, les 10 provinces y ont adhéré. Présentement, il y a un blocage à ce niveau-là. Peut-être que dans le cas des architectes, c'est mieux réglé que dans celui des ingénieurs. Concernant le GATS, je ne sais pas s'il y a une annexe particulière pour les ingénieurs.

Le président: Dans le cas du GATS, ce serait exactement la même chose. Ce serait à chaque province d'adhérer à un éventuel accord. Il faudrait que chaque province devienne membre ou pas.

[Traduction]

Le président: Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai: Je vous remercie beaucoup de votre exposé, qui nous permet de comprendre votre profession et le défi qu'elle doit relever. Je crois que j'étais quelque peu assoupi avant votre arrivée. Vous m'avez réveillé.

Je suis un peu perplexe. Vos trois professions sont soumises à un régime provincial et vous avez bien exposé les difficultés auxquelles vous devez faire face. Compte tenu de la mondialisation et comme vous êtes à l'avant-garde en tant que fournisseur de services, vous devriez devoir profiter d'un commerce qui prend rapidement des dimensions planétaires. J'ai déjà vu des cas semblables.

Je suis perplexe pour la raison suivante: vos défis et vos problèmes sont de nature provinciale et n'ont pas grand-chose à voir avec l'OMC. Ils ne relèvent pas de la réglementation fédérale. Par conséquent, compte tenu de votre situation, est-ce que vous privilégiez l'ouverture ou la fermeture? Je me demande vraiment si vous voulez ouvrir votre profession et y inviter de nouveaux venus, ou si vous ne voulez pas plutôt la fermer. Je ne sais pas. Je n'ai pas bien compris votre propos. Vous avez parlé d'ingénieurs venus de Paris pour le toit. Vous avez dit aussi que vous ne voulez pas faire de bruit, et que les États-Unis vous lancent des défis; vous ne pouvez pas aller aux États-Unis.

Je m'interroge donc sur votre stratégie en matière de commerce mondial et par rapport à l'OMC. Ou pour reprendre votre formule, madame, quel est votre... [Note de la rédaction: Inaudible]... pour l'OMC? Je ne pense pas que nous puissions nous préoccuper des éléments de nature provinciale. C'est à vous et à votre association de faire pression sur les gouvernements provinciaux.

Est-ce que je suis sur la bonne voie?

Le président: Je crois que vous vous méprenez sur la finalité même de l'activité commerciale, qui est de préserver la protection de votre marché lorsque vous allez à l'extérieur. Il n'est pas question d'ouverture...

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Deepak Obhrai: Évidemment. Sauf erreur de ma part, vous êtes le premier dans le secteur des services, qui fait partie des négociations de l'OMC.

• 1615

M. Luc Laliberté: Je voulais vous montrer que nous avons des difficultés. Nous voulons faire quelque chose et nous sommes déjà intervenus sur certains points, mais il semble y avoir un manque de coordination, ou du moins, l'information sur le problème ne circule pas suffisamment. Je suis ici cet après-midi pour vous montrer qu'il y a des problèmes et que jusqu'à maintenant, la coordination de l'information a été insuffisante, en particulier dans notre cas.

M. Deepak Obhrai: Mais tout cela relève de la compétence provinciale.

M. Luc Laliberté: Oui, en effet.

[Français]

Me Annie Chapados: On ne fera pas de cours de droit aujourd'hui, mais si on s'en tient aux juridictions et au partage du pouvoir décisionnel, je comprends que vous disiez que le problème est provincial. Cela dit, ma réponse, en toute déférence, est qu'à ce niveau-là, je ne suis pas tout à fait d'accord sur ce que vous avez dit. Oui, au strict sens de la juridiction, c'est provincial, mais il n'en demeure pas moins qu'à compter du moment où un gouvernement fédéral négocie une entente, il est de son devoir de s'assurer que les agents qui interviennent en première ligne pour assurer le maintien et le respect de valeurs sociales... À ce que je sache, le Québec fait encore partie du Canada. Quand le Québec détermine certaines valeurs sociales comme étant privilégiées et devant faire l'objet d'une défense spécifique, il est du devoir du gouvernement fédéral d'être au fait de ça et de s'assurer que les agents choisis par la législature provinciale pour protéger le public soient capables de faire leur travail. C'est un mandat que nous avons eu de la population québécoise. Vous avez une loi qui prévoit que les ordres professionnels québécois protégeront le public. C'est un acte de la législature. Vous dites que c'est un problème provincial. Certes, ça l'est et on exerce régulièrement des pressions, mais cela ne veut pas dire qu'il faut que le gouvernement fédéral ferme les yeux sur ces problématiques et n'en tienne pas compte.

Le président: Vous savez très bien que lorsque le gouvernement fédéral négocie un accord international qui met en cause des questions provinciales, il y a là un représentant de la province. On ne signe que pour chaque province. Regardez le GATS. Vous verrez que chaque province, dans toutes les annexes... Cela s'applique province par province.

Me Annie Chapados: Je suis entièrement d'accord avec vous, mais il est important que le message vous soit livré de façon directe. On l'a vécu avec l'ALENA. À compter du moment où on a un accord interjuridictionnel, quel qu'il soit, les représentants gouvernementaux peuvent signer, certes, mais il n'en demeure pas moins qu'à la base, les agents de première ligne en matière de protection du public dans les services professionnels, à savoir nous, demeurent aux prises avec certains problèmes concrets. Il m'apparaissait important, compte tenu précisément de notre mission de protection du public, de vous livrer le message de façon directe, sans intermédiaire. Voilà, vous avez aujourd'hui le message.

Je vais maintenant répondre à la véritable question: What does Quebec Bar want? Le Barreau du Québec dit oui aux échanges et à l'internationalisation. Je pense que c'est important. C'est une position que nous avons prise. Le rapport sur l'avenir de la profession, qui a été déposé en 1996, faisait déjà état de cette position lorsqu'il a été adopté par les hautes instances du Barreau du Québec; il faisait déjà état d'un accueil favorable. Il disait à ses membres qu'il leur fallait dorénavant faire preuve d'ouverture et penser globalisation et concurrence internationale. Alors, la réponse du Barreau du Québec est oui.

M. Luc Laliberté: L'Ordre des ingénieurs du Québec donne exactement la même réponse.

Le président: Et l'Ordre des comptables agréé(e)s du Québec aussi?

Mme Ginette Lussier-Price: Pour les comptables agréés, c'est évident. Notre marché est international et on n'a absolument pas le choix. Tout ce qu'on vous dit, c'est de nous permettre de bien remplir notre mandat de protection du public en nous donnant les moyens de contrôler les gens qui viendront pratiquer ici, dans un premier temps.

Dans un deuxième temps, et c'est quelque chose dont on n'a pas parlé jusqu'ici, j'aimerais profiter de l'occasion pour vous dire que je n'aimerais pas qu'on profite des travaux du comité pour niveler vers le bas les normes ou les standards de la profession. C'est une de nos préoccupations et elle est bien réelle. Si on jouit d'une belle réputation à travers le monde, c'est à cause de nos hauts standards et de notre formation, qui est très bien cotée. Il ne faudrait surtout pas, sous prétexte de globaliser les marchés et de permettre la mobilité à travers le monde, réduire nos standards.

• 1620

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur Obhrai, est-ce que cela vous convient?

M. Deepak Obhrai: Oui, je suppose. Je suis assez d'accord. Je peux comprendre. Vous vous portez en première ligne. J'essaie de faire la part du fédéral et du provincial, et je pense que vous avez bien répondu en disant que le gouvernement fédéral devrait intervenir. Je pense qu'il faudra tôt ou tard voir comment on peut régler le problème au niveau provincial, mais pour l'instant, je n'en sais rien.

Le président: Mais c'est ce que nous avons fait. Comme je l'ai expliqué, ce fut le cas lorsque nous avons signé l'Accord général sur le commerce des services la dernière fois. Si vous regardez les annexes de cet accord, chaque province a sa liste. Le gouvernement fédéral n'a rien signé qui concerne la compétence provinciale ou qui n'ait pas fait l'objet d'un retrait de la province. Lorsque le Canada a signé les différents accords relevant de l'Accord général sur le commerce des services, ces accords stipulaient tous que les dispositions s'appliquaient tous aux services financiers en Alberta, mais pas au Québec, qu'ils concernaient ceci ou cela au Québec, mais pas en Alberta. Il y a des dispositions concernant chaque province. Je vous en donnerai un exemplaire, si vous voulez.

M. Deepak Obhrai: Dans ce cas, d'où vient leur préoccupation?

Le président: Ils veulent s'assurer que lorsque le gouvernement fédéral va négocier, il sache que chaque organisme professionnel a ses propres normes et ses propres préoccupations. Nous devons veiller à ce que ces normes soient préservées. Il y a des différences, et je crois qu'il incombe au Canada de reconnaître les différences entre les normes et les responsabilités d'une province à l'autre.

En tant qu'avocat, je suis membre à la fois du barreau de l'Ontario et de celui de la Saskatchewan. Ces deux barreaux ont des responsabilités différentes quant à la déontologie, c'est-à-dire vis-à-vis de leurs membres. C'est la même chose pour chaque profession. C'est très compliqué, mais c'est ce qu'il faut faire.

Si l'on met ensemble 138 pays, notamment des fédérations, mais pas seulement, comme le disait M. Laliberté, pour le génie, vous concluez des ententes avec 50 États différents. Ce n'est pas avec les États-Unis, mais avec chacun des États.

M. Deepak Obhrai: Ce que vous dites est intéressant. Je n'avais pas entendu ce point de vue auparavant. Comme vous le savez, je suis nouveau ici, et je vous remercie de ce que vous m'avez appris. J'oserais proposer que des organisations de service ou des associations professionnelles concluent des ententes interprovinciales pour faire front commun. Ne serait-ce pas une bonne chose?

Le président: Un front commun?

M. Deepak Obhrai: J'avais cru comprendre que le président disait que dans une province, on peut considérer que c'est la norme, mais pas dans une autre. Sur la scène internationale, pour l'OMC, ne serait-il pas avantageux d'avoir une seule annexe pour nous tous?

[Français]

Me Annie Chapados: Je pense qu'il y a des échanges. Je parlerai pour la profession juridique. Madame a parlé de l'Intitut canadien et monsieur a parlé du Conseil canadien pour sa profession. Je vous parlerai de la Fédération des professions juridiques du Canada, un regroupement de l'ensemble des law societies qui fait certaines démarches dans ce sens-là.

Vous nous demandiez vous-même si nous ne devrions pas exercer des pressions autre part. J'exerce des pressions partout, y compris auprès du comité permanent devant lequel je me présente aujourd'hui. Mon ordre professionnel est toujours aux prises avec des problèmes. C'est du gros concret, du terrain, mais ce sont néanmoins des problèmes qui peuvent prendre un caractère aigu. Donc, je suis aux prises avec des problèmes et je passe mon message à qui veut bien m'entendre.

Compte tenu du fait qu'il y avait des audiences, je pensais qu'il était important que le message vous soit fait à vous aussi, comme il est fait aux autres provinces et comme il est fait aux législatures provinciales également.

[Traduction]

Le président: Bien. Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Luc Laliberté: Je voulais...

M. Benoît Sauvageau: Monsieur Laliberté, vous vouliez ajouter quelque chose?

M. Luc Laliberté: Je voulais juste ajouter que Mme Chapados, avec son éloquence, a donné exactement la réponse que j'aurais pu donner à M. Obhrai.

• 1625

Le président: Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose, madame Lussier-Price?

M. Benoît Sauvageau: Je partage votre opinion, monsieur Laliberté, ce qui fait que je n'aurai pas de questions mais quelques commentaires.

D'abord, je crois très utile que vous soyez tous les trois ici pour nous faire part de vos préoccupations face à la prochaine ronde de négociations. C'est la raison pour laquelle vous avez été invités. Je tiens à vous souligner, au nom du comité, que nous sommes désolés qu'on ne vous ait accordé qu'un délai de deux jours ou de quelques heures. Ce fut très bref. Les négociations dureront probablement longtemps. Si on a l'occasion de se revoir, on vous avisera à l'avance et vous aurez le temps de vous préparer.

Si vous avez des mémoires à nous présenter, vous avez encore le temps de le faire. Notre rapport devrait être déposé vers la mi-juin. On va prendre connaissance de vos mémoires avec beaucoup d'intérêt. On a un site Internet sur l'évolution des dossiers. Vous pourriez y jeter un coup d'oeil pour voir si on parle des services et de tout ça. Je suis en communication avec des gens du gouvernement du Québec et j'espère que l'information va se rendre jusqu'à vous. On prend bonne note de vos préoccupations face aux prochaines négociations.

Votre présence ici était importante et essentielle. Si vous n'avez pas eu assez de temps, vous nous ferez parvenir des mémoires. On va en prendre connaissance et, au besoin, on annotera cela dans notre rapport pour que vous soyez bien entendus.

Mme Raymonde Folco: [Note de la rédaction: Inaudible] ...avez des relations directes avec le gouvernement du Québec.

M. Benoît Sauvageau: J'espère que tous les élus du Québec au fédéral ont des relations avec les élus provinciaux parce qu'on fait partie d'une même famille, jusqu'à preuve du contraire, comme on l'a dit précédemment à ce comité.

Le président: Madame Chapados.

Me Annie Chapados: L'ordre professionnel étant un organisme apolitique, j'aimerais bien qu'on ne politise pas les propos que j'ai tenus.

M. Benoît Sauvageau: Eh bien, non.

Me Annie Chapados: J'ai bien parlé du fait qu'il y avait de multiples intervenants dans le système professionnel. Les courts-circuits sur le plan de la communication peuvent se faire à bien des endroits.

M. Benoît Sauvageau: Ce que je vous dis, c'est qu'on va essayer de faire en sorte que l'information se rende à vous.

Le président: Y a-t-il d'autres questions?

M. Bernard Patry: Peut-être un commentaire.

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Merci à nos trois invités de cet après-midi.

Un peu dans la même veine que M. Sauvageau, on se fait souvent reprocher, avec raison, de donner aux témoins trop peu de temps pour préparer leurs mémoires, mais je peux vous dire que le rapport, tel que mentionné, sera déposé en juin et est accessible à toutes les professions.

Il est important que vous sachiez que le gouvernement devra par la suite nous fournir une réponse à ce rapport dans un délai de 60 jours. Donc, vous aurez encore du temps pour faire d'autres représentations avant que les négociations de la ronde du millénaire soient amorcées. Il est important de voir les détails techniques qu'il y a à l'intérieur de cela.

Voici ma question. Je suis médecin de profession. Comme vous le savez, les médecins des autres provinces n'ont pas le droit de venir pratiquer ici, au Québec. C'est la même chose pour le Barreau. Vous avez parlé de l'interdiction au Québec de faire la concurrence au moyen de sociétés par actions. Qu'est-ce que cette interdiction peut amener? Est-ce que ça entraîne des pertes pour le Barreau? Quelles sont les conséquences de cette interdiction au Québec? Ce n'est pas interdit ailleurs.

Me Annie Chapados: Il faut d'abord que je vous dise qu'il s'agit encore là d'un dossier dans lequel nous intervenons régulièrement. Il n'y a encore rien de concrétisé, mais ce dossier devrait normalement débloquer, si ce n'est dans les prochains mois, du moins durant l'année qui va suivre.

Encore là, le principal point d'achoppement a trait aux valeurs sociales au Québec. Les intervenants avaient l'impression que l'exercice d'une profession en société par actions avait pour conséquence une déresponsabilisation du professionnel. Le gouvernement se refusait à donner son aval à ce que j'appelle une pseudo-déresponsabilisation. Évidemment, je ne reprendrai pas le plaidoyer qu'on a énoncé longuement dans un rapport. La position officielle du Barreau est accessible par le biais du site Web du Barreau, position qui énonce les tenants et les aboutissants d'argumentaires qu'on avait.

Le principal point d'achoppement était celui-là. On disait que société par actions égalait déresponsabilisation, ce à quoi le gouvernement ne voulait pas donner son aval. Il a donc fallu démontrer par un argumentaire contraire que ça n'était pas le cas.

• 1630

D'ailleurs, on parle de sociétés par action, mais on pourrait également parler de sociétés à nom collectif à responsabilité limitée. C'est une réalité dans nos juridictions. Évidemment, ce serait peut-être aller encore plus loin dans la contre-culture au chapitre de la responsabilité du professionnel, mais c'était là que le bât blessait.

Néanmoins, il y a eu des pourparlers, notamment avec le ministère des Finances également, parce qu'il y avait tout l'aspect de l'impact fiscal de cette mesure pour le gouvernement et que le gouvernement avait certaines réticences à cet égard. Il y a eu des pourparlers, et cet aspect de la problématique a également été réglé, semble-t-il, du moins informellement. Comme je vous le disais plus tôt, ce n'est pas encore concrétisé en une mesure législative ou autre, mais les pourparlers vont bon train à ce chapitre.

M. Bernard Patry: Merci, monsieur le président.

Le président: Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: J'aimerais faire un commentaire au sujet de l'Office des professions. Si vous jugez pertinent qu'ils viennent nous rencontrer à Ottawa, nous aurons d'autres séances semblables. Nous ne nous promènerons pas, cependant. Nous serons à Ottawa. C'est mon premier commentaire. Non? Peut-être peuvent-ils nous envoyer un mémoire si vous le jugez pertinent. Je sais qu'il y a là une hiérarchie à respecter.

Me Annie Chapados: Oui, il y a une hiérarchie. Par ailleurs, je dois dire que Me Dupuis m'a contactée. J'ai été la première à être contactée. Vous parliez d'heures. Je vais être honnête. Cela n'a pas été mon cas. Il m'a contactée un peu plus tôt tout de même, mais il fallait néanmoins que j'obtienne l'autorisation du Barreau pour venir comparaître devant vous.

Je sais qu'il y a eu des contacts entre Me Dupuis et le responsable du dossier de l'échange de services transfrontaliers à l'Office des professions, qui est Me Pierre Bélisle. Malheureusement, Me Bélisle n'a pas été en mesure d'obtenir à temps l'autorisation de se présenter ici aujourd'hui. Il avait l'autorisation de l'Office des professions, mais pas nécessairement celle du ministère des Affaires intergouvernementales. Voilà.

M. Benoît Sauvageau: Merci.

Le président: Madame.

Mme Raymonde Folco: Monsieur le président, tout d'abord, je voudrais simplement expliquer à Me Chapados que mes commentaires à M. Sauvageau étaient amicaux. Cela fait partie des plaisanteries qui nous font passer à travers ces après-midi parfois un peu longs, mais pas dans ce cas-ci, évidemment.

Je voudrais vous faire part d'une constatation. Ce matin, nous avons rencontré l'Association canadienne des industries de l'environnement. On parlait encore une fois des problèmes internationaux par rapport aux industries de l'environnement, et la question que j'ai posée à ces personnes-là a été celle-ci. Qu'est-ce qui se passe dans les industries de l'environnement à travers le Canada? Quelles sortes d'ententes y a-t-il? Quelles sortes de problèmes y a-t-il lorsqu'une compagnie veut faire affaire avec une compagnie qui a son siège social dans une autre province canadienne?

Je fais le lien avec ce qui a été présenté cet après-midi par les trois professions. On est en train d'essayer de trouver une règle générale, une façon de fonctionner qui puisse faire l'affaire à l'échelle internationale, alors qu'au Canada, comme on nous l'a répété time and time again, on n'a même pas ce genre de règle d'une province à l'autre, non seulement en ce qui concerne les professions, mais dans bien d'autres domaines. C'est un problème. Vous dites que quelqu'un de l'Office des professions doit avoir l'autorisation du ministère des Affaires intergouvernementales pour venir ici. Là encore, on voit les barrières qu'il peut y avoir entre un gouvernement et un autre, non seulement entre le gouvernement du Canada et chacun des gouvernements provinciaux, mais entre un gouvernement provincial et un autre.

C'est une observation que je fais là, monsieur le président. Je sais que nous sommes devant un mur tellement épais et tellement haut que ce n'est certainement pas demain matin qu'on va régler le problème. Je voulais simplement en parler parce qu'il semble que quelque part, il faudrait aller beaucoup plus loin dans les ententes que les provinces ont les unes avec les autres. Je ne suis pas naïve. Je sais qu'il y a bien des choses qui ont été faites et que nous avons aussi frappé des murs les uns et les autres, mais il est important de continuer.

C'est bizarre de voir que nous sommes en train de travailler à l'échelle internationale alors qu'on n'a pas encore réglé nos problèmes à l'intérieur même du pays. Voilà.

Le président: J'espère que tous nos témoins ne se lanceront pas dans ce débat-là.

• 1635

Mme Raymonde Folco: Surtout pas. Je voulais simplement dire cela.

Le président: Madame Chapados.

Me Annie Chapados: Il ne s'agit pas de faire de la polémique, mais c'est une observation intéressante. Évidemment, on peut parler de culture, de chicanes de clocher, etc., mais je ne pense pas que ce soit ça. Je pense qu'il y a certaines difficultés...

Mme Raymonde Folco: [Note de la rédaction: Inaudible].

Me Annie Chapados: Non, mais il y a certaines difficultés qui sont réelles et qui sont fondées aussi. J'ai fait allusion très brièvement au système de droit au Québec, qui est de juridiction civile. Je ne parle pas directement des autorisations ou de la présence ou de l'absence de l'Office des professions, car ça n'a pas de lien direct, mais il n'en demeure pas moins que ce seul élément-là, dans le cadre de l'exercice d'une profession telle la nôtre, fait qu'on ne peut pas dire que le droit est partout le même. Tant mieux si on arrive à établir des normes internationales dans le domaine de la comptabilité, mais ce serait impossible de le faire en matière de droit. Une intervention chirurgicale demeure une intervention chirurgicale. Où qu'elle se pratique, ça demeure une intervention chirurgicale et les règles de l'art les plus développées demeureront les mêmes, peu importe le territoire. Mais on ne peut pas parler de ça quand on discute du droit, et c'est la raison pour laquelle je voulais saisir vos propos, non pas pour lancer une polémique, mais bien plutôt pour revenir sur ce qu'on avait dit tout à l'heure. Effectivement, il y a certaines difficultés auxquelles on doit faire face et qui ne sont pas nécessairement non fondées. Il y en a qui sont véritablement fondées.

Mme Raymonde Folco: Monsieur le président, si vous me le permettez, je dirais même que les droits sont les mêmes à travers le Canada. C'est l'interprétation de ces droits dans un code, si je comprends bien, qui est différente d'une province à l'autre.

Me Annie Chapados: Dans notre juridiction civile, la première source de droit est effectivement la loi. On ne peut pas passer outre à ça. Donc, quand on parle du droit dans une juridiction civile, on parle d'abord de la loi. La loi est loi au Québec, et vous ne trouverez pas les mêmes lois ailleurs.

Mme Maud Debien: Même les valeurs en droit sont différentes. L'exemple le plus frappant est celui du projet de loi de Mme McLellan concernant les jeunes contrevenants. C'est le meilleur exemple du fait que les valeurs en droit du Québec sont différentes de celles du reste du Canada. C'est une question de valeurs.

Mme Raymonde Folco: Madame Debien, laissez-moi continuer. Mon argument, c'est que les valeurs ne sont pas différentes, mais que la façon de les inscrire dans des codes est différente. Mais les valeurs sont les mêmes. Les gens tiennent à leurs enfants en Colombie-Britannique, et c'est la même chose au Québec. Je me tais.

Le président: Je crois qu'on se lance dans un débat autre que celui de l'OMC et des entraves à la libre circulation des professionnels partout à travers le monde, mais ce sont de bons arguments.

Je remercie beaucoup les trois témoins d'être venus. Au nom de la commission, je vous demande pardon de ne vous avoir donné que deux jours de préavis. C'était un peu un problème d'organisation de cette visite. C'est toujours un peu difficile dans notre système parce qu'on ne sait jamais longtemps à l'avance si on aura ou non l'autorisation de la Chambre de voyager. Donc, nos greffiers organisent toujours cela un peu à l'improviste.

Donc, je vous demande pardon, mais comme M. Sauvageau l'a dit, envoyez-nous vos observations écrites. De mon côté, je vais suivre ça d'un peu plus près. Étant un professionnel comme vous, cela m'intéresse d'un point de vue personnel et je veux savoir si la communauté internationale est sur le point de réaliser un accord de libre circulation des professions. En Europe, on a fait ça après 50 années très difficiles sur la scène de la Communauté européenne. Vous savez aussi bien que moi que ce n'est pas juste une question de reconnaître les équivalences dans les différents systèmes, mais aussi de garantir qu'il y a un niveau d'instruction suffisant, etc. C'est bien compliqué, comme on le sait.

• 1640

Je vous remercie beaucoup d'être venus partager votre expertise.

Je vais demander à M. Bourbeau, s'il est là, de se joindre à nous.

Nous allons faire une pause-santé de cinq minutes.

• 1641




• 1651

Le président: Nous recevons maintenant le représentant de la Fédération des producteurs de lait du Québec. On a eu la chance de rencontrer plusieurs de vos collègues hier, à Saint-Hyacinthe. Soyez le bienvenu devant la commission.

M. Alain Bourbeau (directeur de la recherche économique, Fédération des producteurs de lait du Québec): Monsieur le président, est-ce que vous attendez d'autres membres du comité? Je sais que M. Sauvageau a quitté.

Le président: Je sais que M. Sauvageau a dû quitter, de même que le Dr Patry, mais Mme Folco va revenir.

M. Alain Bourbeau: On peut l'attendre.

Le président: On peut commencer, si vous le voulez.

M. Alain Bourbeau: D'accord.

Je m'appelle Alain Bourbeau et je suis directeur de la recherche économique à la Fédération des producteurs de lait du Québec. Au nom des 10 200 producteurs de lait du Québec, je viens aujourd'hui vous faire part de leur position dans le cadre de la prochaine négociation de l'Organisation mondiale du commerce.

Mon intervention va se faire en deux étapes, tel qu'on me l'a demandé lors de la convocation. Je ferai une première intervention pour laquelle on m'a dit d'essayer de m'en tenir à environ dix minutes.

Nous avons apporté un mémoire; je pense que vous l'avez en main. Je vais vous en décrire très sommairement le contenu. Il a trois parties. Il y a une première partie relativement importante d'une trentaine de pages, où on s'est efforcés de décrire les réalités de notre industrie. Je vous invite à la lire. Ça peut prendre entre 20 et 30 minutes et vous allez pouvoir vous approprier les bases de notre industrie d'une façon relativement vulgarisée. On y voit entre autres une vue d'ensemble de l'industrie, la dynamique des marchés, le contexte des prix et, finalement, les coûts de fonctionnement dans notre industrie, au niveau de la ferme.

Cet après-midi, je n'aborderai pas nécessairement cette matière, compte tenu du peu de temps qu'on a et du fait que l'objet principal est de vous exposer notre position dans le cadre de la prochaine négociation, mais je vous invite fortement à en prendre connaissance.

Je vais surtout m'attarder aux deux autres parties de notre mémoire. Il y a une seconde partie, que j'utiliserai comme conclusion, dans laquelle sont énoncés nos objectifs à long terme dans le cadre des négociations multilatérales au niveau du commerce. L'essentiel de ma présentation portera sur la troisième partie, qui est effectivement la position des producteurs laitiers du Québec. Il est important de dire que cette position fait consensus à l'échelle de toutes les productions qui sont sous gestion de l'offre au Canada. On parle d'environ 30 000 producteurs et de près de 6 milliards de dollars de ventes agricoles au Canada. C'est donc une position commune, qui rejoint également la position de la Fédération canadienne de l'agriculture.

La position dont nous vous faisons part aujourd'hui est le fruit d'un important travail de concertation entre les agriculteurs du Canada. Nous voulons saisir le gouvernement fédéral de cette position et lui demander de travailler avec nous à la renforcer et à l'approfondir pour mieux la défendre. On ne vous amène pas dans un processus d'arbitrage entre les productions, ce qui aurait été une perte de temps à l'aube de cette négociation. On se présente devant vous après un cheminement qui nous a permis de converger vers des positions qu'on pense très crédibles et très défendables.

Cette position a également l'avantage de s'appuyer sur l'expérience d'une première négociation, sur un vécu qui, comme on le verra, nous a permis d'asseoir les grands principes de notre position.

Sans plus tarder, je vais commencer ma présentation orale, qui durera une quinzaine de minutes, dans laquelle j'énoncerai les points essentiels de notre position.

• 1655

Très sommairement, compte tenu de la grande diversité des sujets dont vous vous êtes entretenus, je vais vous donner quelques points de repère quant à notre industrie. D'abord, la production laitière au Québec représente 27 p. 100 des recettes agricoles. C'est près du tiers. C'est 5 p. 100 des recettes agricoles du Canada. On parle donc d'une activité majeure. En termes d'approvisionnement, les producteurs de lait du Québec répondent à 100 p. 100 des besoins de la province et à près de la moitié des besoins d'approvisionnement du marché de la transformation au Canada. On estime que quelque 40 p. 100 de la production de la province est exportée à l'intérieur du Canada ou à l'extérieur. J'y reviendrai tout à l'heure.

Un fait important à souligner est la valeur des ventes brutes à la ferme. On parle d'un milliard et demi de dollars. C'est donc une très importante activité économique dont le mérite est qu'elle est répartie sur tout le territoire du Québec. Lorsqu'on parle du développement économique, il est important de se soucier du développement des grands centres, mais il faut aussi voir qu'un pays doit s'affirmer en occupant son territoire et en assurant sa santé économique. L'agriculture est sans doute l'activité par excellence pour assurer le dynamisme économique de nos régions et y amener de l'argent.

Un autre élément que je veux souligner est l'apport du secteur laitier au niveau de l'emploi. On estime à environ 56 000 emplois directs et indirects la contribution du secteur laitier sur la scène provinciale. Un autre élément que je tiens à mentionner est l'évolution du nombre de fermes. En 1986, on avait près de 17 000 fermes au Québec. Au moment où l'on se parle, il n'en reste que 10 000, et probablement qu'au cours de 1999, on va passer sous les 10 000 fermes. On assiste, comme c'est le cas dans la plupart des grandes nations commerçantes, à une diminution constante du nombre de producteurs. Cette diminution constante, compte tenu qu'on produit le même volume de lait ou un volume légèrement supérieur, montre qu'on est en présence d'entreprises qui sont de plus en plus spécialisées. Bien que le nombre de fermes ait diminué de près de 40 p. 100 dans les 12 dernières années, la production par ferme s'est accrue de 65 p. 100 pendant cette même période. On a affaire à des entreprises qui sont capitalisées et spécialisées, à des gens qui sont formés et compétents pour produire du lait.

Ce développement-là s'est fait à partir de gains d'efficacité importants. Ces gains d'efficacité ont pu être acquis par de l'investissement dans des technologies et du savoir-faire. Ces investissements ont été possibles à cause de la stabilité du secteur et de la qualité des politiques qui existent.

Un autre trait particulier de l'industrie laitière est le nombre de vendeurs qu'elle compte. Au Québec, il y a 10 200 vendeurs de lait et il y a seulement quatre entreprises qui achètent 85 p. 100 du lait. Donc, on a affaire à un niveau de concentration des acheteurs qui est très élevé. C'est une réalité ici, au Québec, ainsi que sur le marché international. On aura l'occasion d'y revenir.

Cette grande disparité entre le nombre de vendeurs et le nombre d'acheteurs est un point crucial et fondamental pour justifier le fait que les producteurs ont une mise en marché collective pour opposer un rapport de force équitable dans le commerce, pour faire en sorte que les conditions de production soient justes et permettent aux gens de vivre décemment.

Finalement, sur le plan du commerce extérieur, le Canada exporte entre 5 et 10 p. 100 de sa production. Il faut cependant savoir que nous sommes essentiellement un preneur de prix. Le joueur majeur, celui qui est vraiment le faiseur de prix sur les marchés, est l'Union européenne, qui détient entre 30 et 55 p. 100 des marchés, selon les produits. Comme on le verra plus loin, l'Union européenne est également le bloc commercial qui intervient le plus massivement sur les marchés et qui contribue le plus à introduire des distorsions sur le marché mondial. C'est un des motifs pour lesquels nous demandons le retrait complet des subventions à l'exportation.

C'était une description très sommaire des faits saillants de notre industrie. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je vous invite à prendre le temps de lire notre mémoire. Il est facile à lire, bien illustré, bien documenté et permet de dégonfler plusieurs préjugés qui sont souvent véhiculés lorsqu'on ne prend pas le temps d'approfondir les choses.

• 1700

Je vous expose tout de suite notre position pour la prochaine ronde de négociations de l'OMC. Comme M. le président l'a dit tout à l'heure, il y a des organisations de producteurs agricoles qui ont déjà fait valoir cette position, notamment les producteurs laitiers du Canada, le 9 mars dernier, je crois.

Je vous rappelle que c'est le fruit d'un consensus de 30 000 producteurs agricoles au Canada et, beaucoup plus largement, des quelque 200 000 agriculteurs représentés par la Fédération canadienne de l'agriculture. Cette position s'énonce en dix grands principes qu'on pourra regarder plus en détail, mais qu'on peut commenter dans le cadre des principaux volets de la négociation.

Comme vous le savez sans doute, les principaux volets sont l'accès aux marchés, les subventions aux exportations et le soutien interne. Nous prenons position à l'égard de ces trois chapitres.

À l'égard des subventions à l'exportation, on souhaite que le Canada demande très fermement l'élimination complète des subventions à l'exportation. Au Canada, notamment dans le secteur laitier, nous n'avons aucune subvention à l'exportation. Lorsque nous allons sur les marchés, c'est comme si nous allions à la guerre sans fusil. On n'est pas à armes égales avec l'Union européenne, notamment, qui est le principal acteur. Selon les données dont on peut disposer, l'Union européenne et les États-Unis offrent à eux seuls l'équivalent de 90 à 95 p. 100 de toutes les subventions à l'exportation.

Étant donné que nous n'avons pas de soutien à l'exportation, nous demandons au gouvernement de revendiquer une abolition complète de ces subventions. Ces subventions à l'exportation sont la principale cause de la distorsion des prix sur les marchés mondiaux.

Le second élément, au chapitre des subventions à l'exportation, est l'introduction de règles claires pour gérer les programmes d'aide alimentaire, de crédit et de promotion permis en vertu de l'OMC. Par exemple, on ne peut pas introduire de nouvelles subventions dans le commerce international. Par contre, des pays ont trouvé des moyens de contourner cette règle en accordant des prêts ou des marges de crédit à des pays acheteurs, avec une certaine mollesse dans la réclamation des prêts.

Si vous consentez une marge de crédit de 30 millions de dollars à la Russie, par exemple, et que vous n'êtes pas très exigeant quant aux conditions de remboursement ou que vous oubliez de demander votre remboursement, ce n'est pas une subvention à l'exportation, mais ce sont des conditions de prêt qui sont à ce point avantageuses qu'elles équivalent à un contournement des règles. Les États-Unis sont également champions quant il s'agit de proposer des programmes de promotion de produits pour contourner ces règles. Nous demandons donc au gouvernement fédéral d'exiger, lors de la prochaine ronde, qu'il y ait des règles claires, transparentes pour gérer ces pratiques de contournement des règles établies. Ce sont les deux éléments de position essentiels qu'on souhaite voir défendre par le Canada au niveau des subventions à l'exportation.

Le deuxième grand bloc de négociations est celui de l'accès aux marchés. Pour l'accès aux marchés, nous demandons au Canada de défendre quatre éléments. Le premier est de s'assurer de maintenir le niveau actuel des équivalents tarifaires au-delà de nos contingents tarifaires. Comme vous le savez, les contingents tarifaires, c'est une proportion de notre marché intérieur à laquelle on donne accès plus facilement aux autres pays, un accès de 3 à 5 p. 100, soit 3 p. 100 lors de l'entrée en vigueur de l'accord et 5 p. 100 à la fin de l'accord.

On demande que les tarifs au-delà de ces contingents tarifaires, qui sont très élevés dans le cas des productions sous gestion de l'offre, ne soient pas abolis tant et aussi longtemps qu'on n'aura pas des règles commerciales saines qui fassent en sorte qu'on soit à armes égales avec nos concurrents. Il serait suicidaire d'abolir ces tarifs tant qu'on ne serait pas assurés que nos partenaires commerciaux ont assaini leurs pratiques. Ce serait comme livrer nos marchés aux pays qui continuent à faire du subventionnement des exportations sans avoir la capacité de les concurrencer.

• 1705

S'il y avait un seul point à défendre dans toute la négociation, ce serait celui-là. Il faut défendre à tout prix le maintien de nos tarifs pour protéger nos accès dans les limites de nos engagements.

Le président: Est-ce que l'expression «contingents tarifaires» veut dire «TRQ»?

M. Alain Bourbeau: Oui, tariff rate quotas.

Le second élément de l'accès aux marchés, qui est également fondamental, est l'établissement de règles claires et obligatoires. Ce qui a été très décevant dans la dernière négociation, c'est que les engagements d'accès aux marchés de 3 à 5 p. 100 ont été faits sur la base de directives. Il n'y a pas eu de règles homogènes pour chacun des pays quant à cet accès. On observe aujourd'hui dans la pratique que, comme les pays ont pu avoir recours à différentes interprétations pour donner cet accès, on ne se retrouve pas à armes égales en termes d'accès aux marchés. Les données qui permettraient d'établir ces choses-là sont encore confidentielles, mais selon les estimations qu'on est capables de faire, le Canada a donné près de 4 p. 100 d'accès à ses marchés, les États-Unis ont donné un accès de 3 p. 100 et l'Union européenne a donné un accès de près de 2 p. 100. Dans certaines productions, notamment la volaille, l'Europe a donné moins de 0,5 p. 100. Tout ça est attribuable à l'absence de règles claires, transparentes et obligatoires pour gérer ces engagements.

On ne peut pas dire que les pays n'ont pas respecté leurs engagements. Ils les ont respectés, mais ils ont respecté des règles qui n'étaient pas homogènes. Nous demandons donc au Canada de contribuer à l'instauration de règles claires et transparentes pour quantifier les accès au marché, afin que l'accès aux marchés soit véritable et équivalent pour tous.

Le troisième élément de l'accès aux marchés est l'élimination des accès visant des pays spécifiques. Le but de cela, dans le fond, est de s'assurer que les accès qui seront consentis le seront à tous les pays. Le fait qu'il existe une possibilité de donner des accès spécifiques à des pays mène à des aberrations du type de celles qui vous ont sûrement déjà été citées en exemple. Par exemple, les États-Unis ont accordé un accès spécifique à la Jamaïque pour la crème glacée, alors qu'on sait très bien que la Jamaïque n'est pas un producteur de crème glacée. De telles pratiques constituent des pratiques de contournement qui corrompent l'esprit de cet engagement, qui était de donner à nos partenaires commerciaux un accès aux marchés.

Le quatrième élément de ce volet est de réduire à zéro les tarifs qui s'appliquent aux engagements d'accès minimum de l'OMC.

Comme je le disais tout à l'heure, pour la portion de ce qu'on appelle les contingents tarifaires, ce sur quoi on s'est engagés à donner accès à nos marchés, il existe des tarifs minimums. Dans le cas de l'Union européenne, ces tarifs peuvent aller jusqu'à 100 ou 200 p. 100. Bien qu'ils aient donné des contingents tarifaires, il y a encore des tarifs qui sont à ce point élevés qu'ils rendent ces accès irréalistes ou inaccessibles. Donc, la portion de marché qui est sous contingent tarifaire devrait être libre de tarif à 100 p. 100.

Ce sont nos préoccupations pour le bloc d'accès aux marchés.

Au chapitre des soutiens internes, c'est-à-dire de l'aide sous différentes formes qu'un pays peut donner à ses producteurs pour pratiquer l'agriculture, notre préoccupation est qu'on s'assure que lors de la prochaine ronde, un concept de plafonnement soit proposé et que ce plafonnement soit géré sur un concept de mesure globale de soutien. Dans la période de l'accord actuel, on a observé que les pays avaient pris des engagements de réduction dans ce qu'on a appelé les boîtes rouges ou ambrées, les boîtes bleues et les boîtes vertes. Il y avait des engagements de réduction dans les boîtes ambrées. Les pays s'y sont conformés, mais ont converti adroitement ce soutien en l'accordant dans d'autres programmes, les programmes verts. Notamment, l'Union européenne et les États-Unis ont doublé leur budget consacré aux boîtes vertes, alors que le Canada a même réduit ses engagements dans les boîtes vertes. Le Canada a été bon joueur et a respecté l'esprit de l'entente de l'OMC, mais ses partenaires ne l'ont pas fait.

• 1710

Nous souhaitons qu'à l'égard du soutien interne, nous puissions concurrencer à armes égales les paysans des autres pays et que le soutien interne dont ils jouissent soit ramené au niveau de celui dont nous bénéficions ici. Pour arriver à cela, il faut introduire un concept de plafonnement portant sur la mesure globale de soutien.

Il faut aussi éliminer les considérations spéciales accordées à la catégorie bleue. Comme vous le savez sans doute, ce qu'on appelle les boîtes bleues, c'est en quelque sorte un droit de passage que l'Union européenne s'est négocié. Les programmes qui sont dans les boîtes bleues sont des mesures d'intervention qui causent des distorsions sur le marché, mais qui sont tolérées dans la dernière entente. C'est un privilège, entre guillemets, que le poids de négociation de l'Union européenne lui a permis d'obtenir.

Comme ce sont des programmes qui causent des distorsions sur le marché, nous demandons qu'on les abolisse ou qu'on en fasse des programmes orange, et qu'on convienne d'une progression dans le retrait de ces mesures.

Finalement, parlons des programmes verts. Les programmes verts, comme vous le savez, sont des mesures ou des interventions qui sont réputées ne pas avoir d'impact sur le commerce. Ils ne causent pas de distorsions dans le commerce. Cependant, considérant leur prolifération dans l'application de l'entente et considérant la taille qu'ils ont maintenant, il devient essentiel de les domestiquer, d'en définir les critères, d'en définir les balises afin qu'ils respectent aussi l'esprit de l'entente du GATT ou de l'OMC.

Il devrait y avoir un système clair pour déterminer à l'avance le statut d'un programme. Il ne faudrait pas qu'un programme soit mis en place a posteriori ou qu'on doive ériger un panel pour régler ça.

À l'égard des soutiens internes, nous demandons que le concept de plafonnement s'applique à la mesure globale de soutien pour que le Canada préserve sa capacité de gérer ses propres programmes d'intervention en agriculture, qui tiendront compte des différents contextes de production. Vous connaissez les conditions de pratique de l'agriculture. Certaines années, un secteur peut être plus affecté que d'autres par les conditions naturelles. Il est donc important que le Canada garde sa capacité d'intervenir dans une production plutôt que dans une autre pour tenir compte de ces facteurs. Le moyen d'obtenir cela est d'appliquer le contrôle du soutien interne par la mesure de soutien global.

On a parlé des subventions à l'exportation, de l'accès aux marchés et du soutien interne. Il y a un type de mesures qui se distingue des autres, et on observe des pratiques sur lesquelles il faudra intervenir au cours de la prochaine négociation. Il s'agit de l'instauration de mesures sanitaires et phytosanitaires. Là aussi, nous demandons au Canada de s'assurer, lors de la prochaine négociation, que les mesures de ce type soient réellement basées sur des démonstrations scientifiques rigoureuses. J'aimerais vous donner un exemple d'abus. C'est le cas de l'Australie, qui impose, pour l'importation de volaille, de chauffer la volaille à 70 degrés Celsius pendant 143 minutes. Je ne sais pas si vous savez de quoi a l'air la volaille au bout des 143 minutes, mais ce produit n'est plus comestible. Ils ont imposé une règle phytosanitaire sous prétexte de protéger leur pays contre l'importation de bactéries ou de virus, mais cette pratique est abusive. Elle ne repose sur aucune étude ou recherche rigoureuse.

Nous demandons que, lorsqu'un pays édicte une mesure sanitaire ou phytosanitaire, cette mesure soit documentée et fondée sur une recherche scientifique crédible et sérieuse.

Il y a un élément qui ne fait pas formellement partie des grands enjeux. C'est toute la relation entre l'environnement et le commerce. Le Canada est une nation respectueuse de son environnement. On a ici des mesures et des règlements très sévères et très rigoureux pour protéger notre environnement et notre eau. Il est très coûteux d'assurer la protection de notre environnement. Si nos agriculteurs d'ici sont soumis à des règles qui sont 100 fois ou 1 000 fois plus importantes que celles de nos compétiteurs, c'est clair qu'on ne tiendra pas la route. Il est donc essentiel qu'un comité permanent de l'OMC soit créé pour assurer l'intégration des préoccupations environnementales dans le commerce.

• 1715

Il y a un comité qui existe actuellement, mais il devrait devenir un comité permanent. Je peux vous donner un exemple. Pour se conformer aux règlements sur l'environnement, le producteur de lait moyen doit investir quelque 50 000 $ pour contenir ses fumiers. Ce n'est pas le cas dans plusieurs pays, notamment certains États américains, et cette somme 50 000 $ ne génère à peu près pas de revenus. Elle permet de récupérer quelques éléments fertilisants. À part cela, c'est de l'argent qui fait partie des coûts fixes. S'il n'y a pas l'équivalent chez nos partenaires commerciaux, on n'est pas à armes égales avec eux et on ne tiendra pas la route.

Voici un autre élément. Le Canada a toujours été un pays qui s'est fait une gloire d'avoir des systèmes sociaux efficaces, et notre société en est une où le degré de bonheur national est parmi les plus élevés au monde, ce que notre premier ministre se permet de dire à certains moments. Donc, il y a toute la question des enjeux du commerce et des enjeux sociaux.

Pour nous, il est clair que le commerce n'est pas une fin en soi. Le commerce doit être au service de l'épanouissement des sociétés et non le contraire. Pour que le commerce soit véritablement un outil important d'épanouissement des sociétés, on ne peut pas laisser le libre marché régler tous les problèmes. Autant le communisme est un échec et nous mène dans un cul-de-sac, autant le capitalisme pur et sauvage nous mène dans ce même cul-de-sac. Il est important que dans le développement du commerce, on puisse tenir compte des enjeux sociaux. Nous demandons donc au gouvernement du Canada de promouvoir, comme pour l'environnement, la mise sur pied d'un comité permanent de l'OMC qui prendra en compte les enjeux sociaux dans l'élaboration des politiques commerciales.

Une particularité de notre revendication est qu'elle porte également sur les entreprises commerciales d'État. Bien que cette question n'ait pas été au programme de la négociation précédente, nous savons que les Américains veulent l'inscrire. Nous voulons exprimer aujourd'hui notre formel désaccord sur la définition que veulent en donner les Américains.

Nous pensons qu'on ne doit pas contester le statut et l'action des entreprises commerciales d'État, mais plutôt gérer les cas dans lesquels elles créent des distorsions dans le commerce. Les Américains attaquent le concept même de l'entreprise commerciale d'État. Nous pensons que cette façon d'analyser le dossier n'est pas la bonne. On ne doit pas tirer sur le messager, mais bien sur son message ou sur ses actions.

Si une entreprise commerciale d'État perturbe le marché et y crée des distorsions, nous sommes d'accord que les règles de l'OMC interviennent, mais lorsque les entreprises commerciales d'État ne créent pas ce genre de perturbations, il n'y a pas lieu d'intervenir. Souvent, ces entreprises commerciales d'État sont la réponse aux multinationales qui, elles, ne sont pas contraintes par les ententes de l'OMC.

Permettez-moi de commenter brièvement la théorie économique. Elle suppose qu'un équilibre naturel va s'établir sur les marchés si les acheteurs et les vendeurs sont en nombre suffisamment grand pour que ni un groupe ni l'autre n'interviennent sur le prix. Or, quand il y a deux, trois ou quatre grandes transnationales qui contrôlent les ressources et la production, il est clair que les dizaines de milliers de paysans qui vendent leurs produits à ces entreprises ne peuvent pas exercer une activité commerciale équitable. Donc, il est fondamental qu'on puisse préserver le concept des entreprises commerciales d'État dans la mesure où leurs interventions sont soumises à des règles transparentes et claires.

Voilà l'essentiel de notre position quant à la négociation qui s'enclenche. Je vais conclure en vous exprimant nos objectifs à plus long terme. Ces éléments ne vous ont pas été communiqués par les producteurs laitiers du Canada, qui s'en sont tenus aux enjeux de la prochaine négociation.

• 1720

La Fédération des producteurs de lait du Québec a tenu à vous exprimer ses préoccupations à plus long terme puisque cela rejoint fondamentalement ses valeurs.

Le premier objectif que les négociations multilatérales sur le commerce devraient poursuivre est certainement de s'assurer de la capacité des producteurs agricoles de faire de la mise en marché collective.

Comme je l'ai déjà mentionné à quelques reprises, la théorie économique ne peut pas fonctionner lorsque vous avez 10 000 fois plus de vendeurs que d'acheteurs. Il est alors impossible que le rapport de force soit équitable. Si vous avez un monopole qui n'est pas domestiqué par la réglementation, vous aurez également un abus.

La capacité des producteurs de se mettre ensemble pour commercialiser leurs produits a jusqu'à maintenant donné d'excellents résultats au Canada. Le prix de nos produits laitiers est comparable à celui des Américains et à celui des Européens, malgré la présence d'organismes de mise en marché collective.

Donc, pour nous, il est très important de s'assurer, pour qu'il y ait un rapport de force équitable avec les grandes multinationales, que les petits paysans aient la capacité et le droit de s'organiser. Cela vaut aussi pour toute organisation de travailleurs dans nos sociétés.

Le second objectif est très ambitieux et pourra même vous faire sourire, mais nous y croyons fermement. Cet objectif ne pourra être atteint avant 20, 30 ou 50 ans, mais il faut commencer à en parler.

La mondialisation en soi n'est pas un phénomène récent. La mondialisation est une réalité qui est là depuis des siècles et même des millénaires. Dès qu'on a inventé la roue, dès qu'on a accru nos capacités de communiquer, on est entrés dans une ère de mondialisation. On ne peut pas être contre la mondialisation, car c'est une réalité. On peut cependant influencer les conditions dans lesquelles cette mondialisation va se faire. Nous pensons que la façon la plus civilisée de la faire est de mondialiser également la planification de la production.

Actuellement, il y a un gaspillage de ressources naturelles parce qu'il y a des pays qui surproduisent. Il y a un gaspillage de fonds publics parce qu'il y a des pays qui surproduisent alors qu'au même moment, des gens crèvent de faim. Il y a de l'agitation sociale dans certaines nations parce qu'il y a des gens affamés.

Nous sommes conscients que c'est un projet de longue haleine, mais compte tenu de l'état actuel des trésors publics et de la croissance de la population mondiale, qui sera très importante au cours des prochaines décennies, nous croyons qu'il faut dès maintenant avoir le courage de parler de planification de la production alimentaire pour éviter le gaspillage des ressources et de notre environnement.

On sait que les pays de l'Est ont un grand défi à relever pour nourrir leurs populations et assurer leur développement. Ces gens-là n'hésiteront devant rien pour produire leurs aliments. Vous connaissez sûrement des cas où l'environnement a été corrompu par des pratiques industrielles. Donc, il faut avoir le courage d'aborder la planification alimentaire et ne pas voir cela comme une intervention communiste, mais comme une intervention économique raisonnable et raisonnée. Il n'est pas logique de gaspiller des ressources au plan économique.

Le Canada peut être un leader à ce niveau. Une intervention équilibrée dans le commerce permet de faire des gains d'efficacité, comme le démontre aujourd'hui le niveau de performance qu'ont acquis nos entreprises. Il s'agit donc d'intervenir de façon équilibrée dans le commerce tout en planifiant la production pour éviter que l'État ait à intervenir pour soutenir les gens, pour que les producteurs vivent de leur marché et pour que nos consommateurs ne manquent pas de denrées.

Nous souhaitons que le gouvernement du Canada ait le courage de présenter cette notion lors de la prochaine négociation et s'en fasse le promoteur. Vous pouvez compter sur notre collaboration pour démontrer la faisabilité d'un tel concept. Nous sommes très conscients que cela peut prendre 10, 15, 20 ou 50 ans pour le mettre en oeuvre, mais cela nous semble essentiel pour l'épanouissement de nos sociétés.

Voilà notre position.

Le président: Avez-vous eu la possibilité de parler de cette idée avec vos collègues américains? Avez-vous repoussé un peu votre horizon? Je comprends vos observations. C'est une idée très intéressante.

Madame Debien.

• 1725

Mme Maud Debien: Bonjour, monsieur Bourbeau. Effectivement, votre deuxième proposition concernant la mondialisation de la planification de la production est une idée très originale et très neuve. C'est la première fois que nous en entendons parler.

Par contre, et là je vais me faire un peu l'avocat du diable, certains nous ont dit que face au problème de la surpopulation, aux problèmes environnementaux, de désertification et à toute la problématique de l'alimentation mondiale, la production de semences génétiquement modifiées pourrait éventuellement être la solution. Qu'en pensez-vous?

M. Alain Bourbeau: Je suis un peu sceptique quand on songe à confier à une seule technologie la tâche de délivrer l'humanité de ses problèmes alimentaires. Il faut voir que la semence est un des intrants nécessaires pour produire des aliments. Pour assurer la sécurité alimentaire de la planète, il y a tout un ordre économique à établir. Au moment où on se parle, il y a suffisamment d'aliments et d'eau potable pour qu'aucune personne de la terre ne soit dans la misère. Pourtant, il y en a, de la misère. Il y en a, de l'iniquité dans nos sociétés. Cela ne dépend pas des technologies disponibles, mais bien des règles économiques qui prévalent.

Il y a des règles d'éthique qui doivent être établies pour baliser le développement des technologies. La révolution verte des années 1960 a permis a faire des bonds majeurs. Nos rendements se sont multipliés par dix. On est capables de nourrir notre planète aujourd'hui grâce à la révolution verte. La révolution des biotechnologies nous permettra de faire un autre pas de géant, mais ce pas de géant ne réglera rien s'il n'y a pas une façon civilisée de développer le commerce. Si on ne donne pas aux citoyens de la planète la capacité d'acheter des aliments, on ne réglera rien. On va avoir des stocks qui vont pourrir, pendant que des gens seront en carence alimentaire.

Mme Maud Debien: Remarquez que, personnellement, je partage davantage cette philosophie du développement durable que celle de la production de blé stérile, par exemple, dont Mme Folco nous a entretenus et qui m'a éveillée à énormément de questions. L'exemple que vous avez donné m'a beaucoup impressionnée et, effectivement, je préfère cette conception du développement durable à la transformation génétique des semences ou de quelque autre produit.

M. Alain Bourbeau: Je vous remercie de l'occasion que vous me donnez d'exprimer ma réponse.

Mme Maud Debien: Cela me donne un argument de plus, monsieur Bourbeau.

M. Alain Bourbeau: La course effrénée à la production et à la productivité compromet la qualité de notre environnement. Elle compromet aussi la salubrité des aliments. Produire des aliments sains est important. Pour abaisser les coûts, on se sert de pesticides et on prend des doses d'engrais qui tuent les flores des sols.

Vous parlez de blé stérile. Je vous dirai que depuis des années, vous mangez probablement des oranges qui le sont. Les raisins que vous mangez régulièrement, vous les préférez lorsqu'ils sont stériles. Il existe déjà dans notre quotidien beaucoup de biotechnologies qui nous ont amenés, pour des raisons de productivité et de préférence des consommateurs, à développer un type d'agriculture. Mais il n'est pas vrai que le commerce doit conduire la façon dont on va développer nos sociétés. Nous disons oui à l'Organisation mondiale du commerce et à la mondialisation, car on ne peut pas aller contre ça, mais nous avons le devoir de développer des règles transparentes en lien avec les enjeux sociaux. Le commerce doit être au service de l'épanouissement des sociétés, et non le contraire. La façon dont les choses se passent actuellement nous inquiète. C'est que le commerce est le plus important. Dans les règles de l'OMC, il y a plus d'éléments qui protègent les animaux qu'il n'y en a qui protègent les personnes humaines. C'est inacceptable.

Le président: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Si M. Bachand accepte, j'aimerais poursuivre sur l'argument de Mme Debien. Merci. Je sais que l'argument phytosanitaire est celui que vous préférez, monsieur Bachand.

• 1730

Si vous me le permettez, monsieur Bourbeau, j'aimerais poursuivre sur l'argument de Mme Debien. Ce que j'appréhendais et que j'appréhende encore, et c'est de cela que je voudrais vous entretenir, c'est non seulement que la biotechnologie transforme toute la production agroalimentaire, comme elle a déjà commencé à le faire, mais aussi qu'il y ait un contrôle quasiment unique de ce qui est produit. L'exemple que je donnais hier à d'autres groupes était que Monsanto, qui produit du blé, puisse un jour, seule ou avec une ou deux autres multinationales, contrôler la production de blé totale dans le monde. Monsanto pourrait à ce moment-là décider où on produirait du blé, pas nécessairement aux États-Unis mais peut-être ailleurs dans le monde. Elle pourrait décider quels seraient les pays qui pourraient être producteurs de blé et quels seraient ceux qui ne produiraient rien du tout. C'est aussi un type de planification.

Je reviens un petit peu à George Orwell. Je vois cela comme un danger. Ce n'est pas juste la production. C'est le contrôle de la production à long terme. Si celui qui contrôle ne planifie pas, il va perdre son business. Il faut qu'il planifie. Monsanto planifie. Elle ne planifie pas nécessairement pour donner à manger à tout le monde, mais pour vendre son produit. Donc, il y a un type de planification qui est déjà commencé, qui va peut-être s'amplifier, et qui va faire en sorte que ce ne seront plus les États qui contrôleront leur propre production agroalimentaire, mais plutôt quelques rares multinationales. Je ne vois pas cela comme un problème par rapport au communisme, comme vous le disiez en souriant il y a quelques minutes, mais par rapport à un monde orwellien dans l'avenir. Voulez-vous commenter là-dessus?

M. Alain Bourbeau: Oui, certainement. Dans le fond, vous nous rejoignez à certains égards. On revendique la capacité de faire une mise en marché collective parce que, lorsqu'il y a mise en marché collective, il y a de la transparence. Si vous voulez connaître quelque chose sur le secteur laitier, vous avez accès à des banques de données, à des réglementations et à tout ce que vous voulez. Les organismes de producteurs sont d'une transparence inouïe parce qu'ils sont des organismes réglementés.

Les multinationales n'ont pas de comptes à rendre aux citoyens. Elles ont des comptes à rendre à leurs actionnaires, qui sont quelque part dans nos fonds de pension, à vous et à moi. Ils ont des comptes à rendre à bien peu de personnes. Bien sûr, on craint de se faire imposer des choix technologiques par ces gens. La folie du libre marché peut effectivement mener... Supposons que je suis producteur et qu'on m'offre 20 $ pour mon produit alors qu'il me coûte 55 $. Pour arriver à 20 $, je dois m'intégrer à Monsanto. Monsanto va avoir son élevage et ses paysans qui vont travailler pour lui. Elle va leur fournir les intrants et les faire vivre. Si je ne suis pas capable, comme producteur responsable, d'avoir une entreprise à l'échelle humaine, alors que je connais ma belle-soeur et mon beau-frère qui mangent mes aliments, c'est clair qu'on va perdre le contrôle de la qualité de nos aliments. Ce ne seront plus des gouvernements et des citoyens qui vont gérer l'alimentation, mais des conseils d'administration de grandes compagnies.

Nous revendiquons donc la transparence et des règles. Nous croyons que le commerce est un outil d'épanouissement des sociétés. La mondialisation ne veut pas dire la déréglementation partout. La mondialisation veut dire un village global. Ça veut dire qu'il n'y a pratiquement plus de limites. Mais ça ne veut pas dire l'abolition des règles. La mondialisation est plus un nivellement des conditions qu'une abolition des règles. Laissez faire le libre marché, mais cela pose beaucoup de risques à long terme, selon moi.

Le président: Monsieur Bachand, voulez-vous parler des mesures phytosanitaires?

M. André Bachand: Non, je ne parlerai pas de cela cet après-midi, monsieur le président. Je vous remercie. Je sais que cela vous intéresse beaucoup, mais, malheureusement, le temps nous manque. Je me ferai un plaisir de vous envoyer un mémoire là-dessus si vous le voulez.

• 1735

Ce qu'on retient surtout de votre présentation, c'est sa dernière partie. Il s'agit d'un concept nouveau-ancien ou ancien-nouveau dont on discute depuis des années et qui est très difficile à mettre en place. Est-ce que cette planification de la production mondiale sera mise en place? Probablement pas.

Cependant, si on pouvait faire un bout de chemin dans l'atteinte de cet objectif, ce serait pour le mieux. Il faut éviter qu'il y ait des pays qui se spécialisent. Lorsqu'on planifie une production, on peut dire, par exemple, que le Canada va produire du lait et que les États-Unis vont produire de la viande. À ce moment-là, on crée une surspécialisation qui est extrêmement dangereuse, quant à moi.

On parle de capacité d'acheter les aliments et ainsi de suite. Il faut regarder aussi ce qui se passe à quelques coins de rue d'ici. Il y a des enfants qui vont à l'école le matin l'estomac vide. Il faut toujours demeurer sensible à la réalité de ce qui se passe chez nous. Je pense que c'est important.

Cela dit, vous parliez des subventions à l'exportation et de la décision récente de l'OMC par rapport au lait. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus et je poserai ensuite une question.

M. Alain Bourbeau: Vous comprendrez qu'à ce stade-ci du processus, comme il s'agit d'une audience publique, le rapport de la décision n'a pas encore été officiellement rendu public. Il le sera seulement le 9 avril. Mes commentaires seront donc restreints.

Il est clair que la décision ne met pas du tout en cause la façon intérieure de fonctionner de l'industrie laitière. La décision remet en question les pratiques d'exportation pour une portion de nos exportations.

Présentement, nous sommes en train d'évaluer la pertinence d'aller en appel. Nous avons jusqu'au 29 avril pour prendre cette décision. Il serait sans doute sage qu'on prenne tout le temps à notre disposition pour prendre cette décision. Donc, dès que la décision sera connue officiellement, soit le 9 avril, le Canada aura un certain nombre de jours pour évaluer la situation. Dans le fond, c'est le Canada qui va prendre la décision d'aller ou de ne pas aller en appel. Il semble possible que le Canada y aille.

M. André Bachand: Vous disiez tout à l'heure que le Canada devrait demander que tous les pays abolissent leurs subventions à l'exportation. Vous dites que la décision de l'OMC ne touche pas le système intérieur, qu'elle touche l'exportation. Quel est le problème si on n'a pas de subventions à l'exportation et que le système intérieur de la gestion de l'offre est bon?

M. Alain Bourbeau: En fait, on n'est pas d'accord sur cette décision. On a assimilé une certaine pratique de prix à une subvention. Selon nous...

M. André Bachand: J'essaie de bien comprendre. Vous dites qu'on n'a pas de subventions à l'exportation. C'est vrai. Il n'y a pas de programme fédéral officiel qui a été annoncé par le ministre de l'Agriculture pour l'exportation des produits laitiers canadiens. Cependant, on reproche souvent au Canada sa gestion interne des produits laitiers, que vous voulez garder à tout prix.

M. Alain Bourbeau: Oui.

M. André Bachand: Dans le cadre de cette gestion, certaines catégories de lait sont perçues comme étant payées un peu plus cher afin que le prix de certaines catégories destinées à l'exportation puisse être moindre, ce qui fait en sorte qu'on peut faire—je pèse mes mots—un genre de dumping à l'extérieur.

Non, il n'y a pas de subventions à l'exportation, mais il y a un problème quant à la catégorisation du lait et quant aux prix rattachés aux différentes catégories. C'est cela qui peut poser problème. Non?

M. Alain Bourbeau: Tout d'abord, dans le concept même de subvention, qui n'est pas nécessairement l'objet de cette audience, on fait spécifiquement allusion à une intervention de l'État. Il est clair que le prix qu'un producteur de lait reçoit n'a rien à voir avec une intervention de l'État dans le secteur laitier. Ce sont les producteurs qui assument les coûts du système de gestion des approvisionnements du lait. Le gouvernement fédéral ne met pas d'argent là-dedans.

Un des arguments du plaignant a été d'assimiler les organismes de producteurs à des organismes d'État. C'est pour le moins contestable.

• 1740

M. André Bachand: Mais il y a aussi l'élément...

M. Alain Bourbeau: Il faut voir qu'à la limite, c'est une pratique qui peut être corrigée. Il y a certaines classes d'exportation qui sont assujetties à cette chose. Les producteurs le font sur une base globale. Donc, c'est intégré dans leur marché domestique. C'est un petit peu paradoxal en ce sens que quand on a introduit ce système, c'était sur l'avis du gouvernement canadien. Il aurait pu y avoir d'autres façons de procéder, mais on a pris cette voie.

Ce n'est pas sans solution si on veut implanter un plan de redressement à ce niveau.

M. André Bachand: C'est un système qui fonctionne très bien à l'intérieur, entre vous et moi. Finalement, il y aura probablement certaines modifications. Les subventions de l'État sont une chose, mais on reproche aux producteurs de se subventionner eux-mêmes. À ce moment-là, on prend un autre terme, celui de «dumping».

M. Alain Bourbeau: Je disais tout à l'heure que le Canada était un preneur de prix. Avec ce système, si le prix mondial était à 60 $, notre prix serait automatiquement à 60 $. C'est un système qui prend le prix du marché. Il ne l'influence pas. Dans le système de subventions, il y a un concept de financement qui intervient. C'est pour cela qu'on est pour le moins étonnés de la décision. Il faut la prendre car elle est comme cela, mais il y a des choses qui sont pour le moins questionnables dans cette décision.

Le président: Monsieur Bourbeau, nous vous remercions de votre présentation orale mais aussi de votre mémoire, qui est plein d'une information très intéressante. Je l'ai feuilleté un peu. On va le lire.

M. Alain Bourbeau: Si vous avez des questions en le lisant ce soir, avant de vous endormir, cela me fera plaisir d'y répondre.

Le président: D'accord. Quel est votre numéro de téléphone personnel?

M. Alain Bourbeau: Malheureusement, ce soir je suis à l'hôtel.

Le président: On saura où vous trouver.

Merci beaucoup d'être venu, monsieur Bourbeau. J'ai bien aimé votre intervention.

Nous ajournons jusqu'à demain, 9 heures.