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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 24 mars 1999

• 0904

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.)): Bonjour mesdames et messieurs. Le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international entreprend ses travaux.

Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le comité principal examine les objectifs du Canada en matière de commerce et du programme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Simultanément, le Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux examine les intérêts prioritaires du Canada dans le processus de création d'une zone de libre-échange des Amériques.

Celle-ci est notre troisième réunion dans le cadre de la première des audiences publiques que le comité va tenir aux quatre coins du pays sur des aspects clés de la politique commerciale du Canada.

• 0905

À une époque où les pays doivent prendre des décisions et faire des choix décisifs par l'entremise de processus de négociations multilatérales complexes qui ont lieu sous les auspices de l'Organisation mondiale du commerce, ils élaborent des accords régionaux, comme celui de la zone de libre-échange des Amériques qui est proposé.

En entreprenant ces études et ces consultations publiques d'une vaste portée sur les intérêts du Canada dans les négociations relatives à l'OMC et à la ZLEA, le comité et son sous-comité sont absolument d'accord avec le ministre du Commerce international, Sergio Marchi, sur la nécessité d'offrir à la population canadienne davantage de possibilités de contribuer à la prise de positions du gouvernement du Canada en vue de ces négociations.

Cette semaine, pendant qu'une moitié du comité tient des audiences dans les provinces de l'Atlantique, l'autre moitié tient des audiences similaires au Québec. Au cours de la dernière semaine d'avril, le comité se divisera à nouveau en deux groupes, afin de pouvoir mener des audiences approfondies en Ontario et dans les provinces de l'Ouest.

Nous espérons entendre les opinions d'un éventail aussi large que possible de la population canadienne et de refléter ces avis dans les rapports qui doivent être soumis au Parlement cet été, avant la tenue d'importantes réunions portant sur le commerce qui auront lieu plus tard cette année.

Avant la présente étape de consultations pancanadiennes, le comité a entendu, dans un premier temps, l'avis du ministre et de ses collaborateurs. Par la suite, au mois de mars, nous avons tenu sept tables rondes initiales très fructueuses à Ottawa, avec des exposés de plus de quarante témoins, portant sur un très large éventail d'aspects systémiques et sectoriels.

Dans son exposé introductif, le ministre Marchi nous a fait savoir que le commerce international est maintenant devenu une question locale. Ce qui se passe aussi loin qu'à la table des négociations a des répercussions jusqu'ici même, à la table de cuisine, dans d'autres domaines de la vie de tous les jours. À mesure que cette tendance se renforce, en raison de la mondialisation, l'élaboration de la politique commerciale ne peut être laissée uniquement à quelques fonctionnaires dans des antichambres, mais doit plutôt faire appel à l'ensemble de la société et du gouvernement, à tous les niveaux.

Les membres du comité accueillent donc favorablement la tenue de ces audiences, qu'ils considèrent comme un pas vers l'atteinte de cet objectif, et nous encourageons d'autres citoyens, partout au Canada, à participer, à nous faire part de leurs meilleures idées et à suivre le processus d'examen parlementaire dans les prochaines semaines et dans les prochains mois.

[Français]

Je souhaite la bienvenue à nos invités et je les remercie vivement de nous accueillir parmi eux aujourd'hui.

[Traduction]

Avant de commencer nos consultations, je voudrais essayer d'établir la façon dont va fonctionner notre table ronde aujourd'hui. Ce que nous voudrions essayer de faire, c'est d'établir un véritable dialogue.

Nous allons commencer avec le professeur Winham. Je voudrais que les gens lèvent simplement la main et me fassent savoir qu'ils souhaitent dire quelque chose. Nous voudrions établir un véritable dialogue

[Français]

Les deux langues sont de mise et je vous invite à parler celle que vous préférez.

[Traduction]

Bienvenue, donc, et nous allons commencer à ma droite, avec M. Speller.

M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Merci pour l'introduction. Je m'appelle Bob Speller. Je suis le député de la circonscription de Haldimand—Norfolk—Brant, dans le sud-ouest de l'Ontario. Je suis également secrétaire parlementaire auprès du ministre du Commerce international.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Je m'appelle Sarkis Assadourian; je suis le député de Brampton-Centre. Je suis également membre du Comité des affaires étrangères et membre du Parti libéral.

M. James McNiven (professeur, Administration publique et des affaires, Université Dalhousie): Je m'appelle Jim McNiven; je suis professeur à l'Université Dalhousie, à la Faculté de gestion; j'ai été sous-ministre au Développement, en Nouvelle-Écosse, et membre du CCCE.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bienvenue.

M. Gil Winham (professeur, Commerce international, Université Dalhousie): Je m'appelle Gil Winham et suis professeur à l'Université Dalhousie, au Département de science politique. J'enseigne également à la Faculté de droit. Je suis membre des groupes spéciaux du chapitre 19 de l'ALÉNA, et je m'intéresse depuis longtemps au commerce international.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bienvenue, professeur Winham.

M. Hugh Kindred (professeur, Faculté de droit (Commerce), Université Dalhousie): Je m'appelle Hugh Kindred. J'enseigne également à l'Université Dalhousie, à la Faculté de droit. J'enseigne le droit international et à l'occasion, le droit commercial.

Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Je m'appelle Wendy Lill. Je suis la députée de la circonscription de Dartmouth. Je suis porte- parole du Nouveau Parti Démocratique pour les personnes handicapées, ainsi que pour les arts et la culture.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Je m'appelle Daniel Turp. Je suis député du Bloc québécois représentant le comté de Beauharnois—Salaberry, porte-parole aux Affaires étrangères et membre de ce comité.

[Traduction]

Je suis également professeur en congé de l'Université de Montréal, et très heureux d'être de retour à Halifax. La dernière fois que j'ai été ici, c'était quand Hugh Kindred organisait le concours international de tribunal-école Jessup. C'était quand déjà, Hugh?

M. Hugh Kindred: C'était en 1984. Nous l'avons fait à nouveau cette année, mais vous n'êtes pas venu.

M. Daniel Turp: Non, je n'ai pas pu me rendre.

Mme Anna Lanoszka (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Anna Lanoszka et je suis candidate au doctorat à l'Université Dalhousie, au Département de science politique. Depuis quatre mois, je m'occupe d'un projet spécial à la division de l'accession de l'Organisation mondiale du commerce, à Genève.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci. Bienvenue.

M. Darrel Stinson (Okanagan—Shuswap, Réf.): Je m'appelle Darrel Stinson, député de Okanagan—Shuswap, Colombie-Britannique.

• 0910

J'ai également fait partie du North American culture group, à l'Université Dalhousie, et donné des conférences, à temps partiel, dans le cadre du programme de maîtrise en administrations des affaires, services financiers, de l'Institute for National Economics de l'Université Georgetown, à Washington.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bienvenue. Je m'appelle Sarmite Bulte, mais tout le monde m'appelle Sam. Je suis la députée de la circonscription de Parkdale—High Park, de Toronto. J'ai l'honneur de présider la tournée du comité dans l'Est, et je suis également présidente du Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux

Bienvenue, professeur Winham. Veuillez commencer.

M. Gil Winham: Merci, madame la présidente. Comme l'a dit le ministre, le commerce est un thème local. J'ai reconnu entièrement ce fait il y a quelques années, lorsque M. Rod McLeod, de la brasserie Molson—il était chef de la direction à l'époque—a emmené son principal syndicaliste dans mon bureau pour me consulter au sujet du GATT. Bien sûr, la raison de cette visite était qu'à l'époque, Molson était aux prises avec un litige lié à la bière. C'est à un tout autre niveau de gouvernement que M. McLeod voulait s'adresser. Je pense donc que le ministre a absolument raison de dire que le commerce est une question locale.

Madame la présidente, comme vous le savez, et comme le sait votre comité, l'OMC se prépare à de nouvelles négociations qui auront lieu en l'an 2000. J'estime que le Canada devrait faire pression pour que ces négociations aient un ordre du jour d'une portée large, et devrait y participer pleinement.

Madame la présidente, j'ai préparé quelques remarques, que vous avez devant vous, et je vais être concis, parce qu'il y a d'autres personnes qui veulent prendre la parole.

Ces nouvelles négociations vont avoir lieu dans le contexte de la mondialisation de l'économie, et ce contexte aura une incidence et imposera des contraintes sur tout genre de nouvelle négociation. Lorsqu'on parle de mondialisation, on parle d'une interdépendance commerciale croissante, c'est-à-dire un rapport commerce-produit intérieur brut qui va en augmentant. Il ne faut pas oublier qu'à mesure que cela se produit, les économies s'ouvrent vers l'extérieur, et par conséquent, une grande partie de notre économie trouve ses moyens de subsistance en dehors des frontières du pays.

Un deuxième indice de la mondialisation est le marché mondial de la finance, qui est devenu un facteur important dans l'économie internationale d'aujourd'hui. Il a notamment créé un marché ouvert, et par conséquent, il impose une certaine moralité à l'économie internationale, ce qui a mon avis, est inévitable.

Un autre indice de la mondialisation est l'investissement étranger, qui comporte une production internationalisée, et qui contribue autant que n'importe quel autre facteur à l'intégration croissante de l'économie internationale d'aujourd'hui.

Tous ces facteurs mènent vers une échelle plus vaste, qui, à certains égards, est une occasion pour nous tous, mais aussi une perspective effrayante pour beaucoup de gens dans nos économies intérieures. C'est un aspect semblable, à mon avis, au mouvement vers une échelle plus vaste qui a eu lieu à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle à la suite de l'avènement du capitalisme. Les gouvernements de l'époque avaient été appelés à gérer les dommages économiques qu'un mouvement vers le capitalisme ou un mouvement vers une échelle plus vaste a pu engendrer. Dans nos économies intérieures, le résultat a été la création d'une économie mixte, que l'on trouve un peu partout maintenant dans les pays développés. Selon moi, le mouvement vers une économie mixte que nous vivons est un mouvement, dans le système international, vers un régime fondé sur des règles, et un effort visant à gérer le mouvement inexorable vers des rapports économiques à une échelle plus vaste.

L'Organisation mondiale du commerce joue un rôle important dans l'établissement d'un régime fondé sur des règles. Qu'est-ce que l'Organisation mondiale du commerce? De manière générale, il s'agit d'un ensemble de règles. C'est un mouvement vers un régime commercial ou une organisation commerciale universelle. Cette organisation est également essentielle parce qu'elle comporte un engagement unique, c'est-à-dire que lorsque des pays se joignent à l'Organisation mondiale du commerce, ou les pays qui en font partie depuis ses débuts, ils acceptent pratiquement tous les engagements du régime, qui sont compris, comme vous l'avez constaté, dans les volumineux comptes rendus relatifs aux accords conclus lors des négociations de l'Uruguay Round.

• 0915

Le système de règlement de différends est la pierre angulaire de ces accords. C'est un aspect déterminant car, dans le cas de tout système de règles, on doit pouvoir appliquer ces règles et s'assurer que tous les membres les respectent.

Les règles sont au centre d'un certain nombre de différends assez importants. Je pense au différend sur les bananes entre les Européens et les Américains, mais aussi aux litiges que nous avons périodiquement avec les Américains. Dans ces litiges, on parle de l'interprétation des règles par les groupes spéciaux chargés du règlement des différends et de la façon dont seront appliquées ces interprétations. Tout cela renvoie à l'article 22 du Mémorandum relatif au règlement des différends, et je pense que ce sera une question importante lors des négociations prévues. Je dirais que le Canada devrait faire pression pour qu'il y ait plus de clarté au sujet de l'application, par rapport à ce que prévoit l'article 22 à l'heure actuelle.

Madame la présidente, une des préoccupations auxquelles on fait face dans toute nouvelle négociation aujourd'hui est le contexte d'instabilité financière que nous avons vécu au cours des deux dernières années, en particulier en Asie, mais aussi dans les pays en développement. Je pense que l'instabilité financière et la dette soulèvent la question de savoir si une libéralisation ultérieure est la bonne voie à suivre à l'heure actuelle.

Une grande partie de l'inquiétude a trait à la question de savoir comment gérer les finances internationales dans un système de relations économiques ouvert, mais il me semble qu'une chose est claire: à une époque d'incertitude, nous aurions intérêt à essayer de promouvoir un système de commerce international ouvert. Un système de commerce international ouvert est un élément essentiel pour les pays développés, afin de pouvoir maintenir la production intérieure. Il est encore plus important pour les pays en développement, étant donné qu'ils doivent gagner des devises étrangères pour payer les intérêts de la dette qu'ils ont déjà accumulée. Comme nous l'avons vu récemment, lorsque les représentants des pays d'Amérique centrale ont rencontré le président des États-Unis, ils ont fait savoir au président Clinton qu'il devait maintenir l'accès aux marchés. Je crois que cette opinion vaut pour tous les pays en développement qui font partie de l'Organisation mondiale du commerce.

Je suis sûr que vous êtes au courant que les prochaines négociations comportent un ordre du jour intégré. Il porte en grande partie sur l'agriculture et les services. Il y a des gens ici qui sont plus compétents que moi en matière d'agriculture et de services, mais je voudrais mentionner que le Canada devrait soutenir les négociations prévues dans ces deux secteurs.

Ces négociations représentent toutes deux des occasions. Dans le secteur agricole, nous avons non seulement des accords internationaux, mais il y a eu également des réformes dans certains pays au cours des cinq dernières années. Ces pays ont choisi en grande partie de séparer l'aide à l'agriculture du soutien aux prix des marchandises. Dans ce secteur, cette mesure permettra de réduire davantage les subventions ou les crédits à l'exportation, qui est la tendance que devrait suivre maintenant le Canada, et d'essayer également de s'orienter vers une plus grande libéralisation dans les secteurs qui ont fait l'objet de tarifs dans le cadre des négociations de l'Uruguay Round.

Concernant les services, nous avons un nouveau code juridique, qui a été négocié lors de l'Uruguay Round, et qui prévoit un processus pour la prise d'engagements nationaux à l'égard de l'accès aux services. J'estime que la priorité dans le secteur des services serait d'élargir les engagements d'accès aux marchés qui ont déjà été pris. Premièrement, nous pourrions nous orienter vers une couverture sectorielle complète dans le domaine des services. Deuxièmement, nous pourrions libéraliser les engagements relatifs à l'accès qui ont déjà été pris, ou qui seront pris à l'avenir dans ce domaine. Je pense que les intérêts du Canada résident toujours dans un élargissement et une libéralisation du commerce dans les services, comme c'était le cas lors de l'établissement du régime relatif aux services dans le cadre de l'Uruguay Round.

• 0920

Il y a également d'autres questions qui vont jouer un rôle, à mon avis. Si on peut se fier au Tokyo Round et à l'Uruguay Round, nous constatons qu'une négociation prend de la force une fois qu'elle a commencé, et de nouveaux points viennent s'y ajouter. Une de ces nouvelles questions sera probablement l'investissement. Nous avons vu que des efforts importants ont été déployés afin d'essayer de négocier l'investissement, ainsi qu'un protocole d'entente dans le cadre de l'OCDE. Cela n'a pas réussi, pour des raisons que j'ai indiquées dans ma communication. J'estime que le moment est venu maintenant d'amener les négociations sur l'investissement dans l'OMC, où elles auraient dû être dès le début. La principale raison est qu'elles vont inclure des pays en développement, ce qui rend évidemment les négociations plus difficiles, mais qui rendrait aussi les résultats plus précieux. Ainsi, des négociations au sein de l'OMC bénéficieront du système de règlement des différends dont dispose l'organisation et permettront la mise en oeuvre d'accords conclus plus facilement que s'ils avaient été obtenus dans le cadre de l'OCDE.

Il y aura un problème en ce qui a trait à la façon de négocier l'investissement dans le cadre de l'OMC. Les pays en développement préféreront commencer avec une base minimale, à partir des dispositions de l'accord conclu lors de l'Uruguay Round, tandis que les pays développés préféreront une base maximale, tirant avantage peut-être du chapitre 11 de l'ALÉNA, qui est un accord d'une portée plus vaste. Je pense que le Canada pourrait adopter une approche équilibrée et essayer peut-être de concilier ces deux points de vue lors des négociations à venir.

D'autres questions qui sont susceptibles d'être soulevées sont celles de l'environnement et de la main-d'oeuvre. Il s'agit des questions «commerce et»—commerce et environnement, commerce et main-d'oeuvre. Elles feront l'objet de divergences, car les pays en développement s'opposent à la négociation de ces questions. D'autre part, de grandes puissances, comme les États-Unis ou l'Europe, ont des groupes de pression importants qui feront peut-être en sorte que ces questions soient incluses dans les négociations. Il faut garder à l'esprit qu'en dernière analyse, la libéralisation du commerce dépend du soutien du grand public, comme le sait très bien le ministre. Par conséquent, je crois qu'il est nécessaire de rapprocher ces points de vue divergents dans toute négociation à venir. Je crois que le Canada pourrait jouer un rôle à cet égard, pour les raisons que j'ai mentionnées.

Enfin, madame la présidente, je dirais qu'il y a des inquiétudes au sujet de la disproportion de l'ordre du jour dont on a fait état dans divers écrits portant sur les négociations à venir. C'est-à-dire que l'ordre du jour met en évidence de manière disproportionnée les préoccupations des pays développés par rapport aux inquiétudes des pays en développement. J'estime qu'à défaut d'un équilibre raisonnable entre les propositions qui sont soumises par ces deux groupes de pays, les nouvelles négociations vont échouer. Elles vont échouer parce que les pays en développement ne sont plus en marge des négociations; ils sont au centre des négociations commerciales. C'est l'Uruguay Round qui a changé cela.

En conclusion, donc, je pense que le Canada devrait faire en sorte que l'on soumette suffisamment de propositions qui mèneront en bout de ligne à un accord équilibré au cours des négociations.

Merci, madame la présidente.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup.

Professeur Kindred, aviez-vous une déclaration ou une remarque introductive que vous voudriez faire?

M. Hugh Kindred: Je n'ai pas de déclaration, madame la présidente, mais j'ai griffonné quelques notes. Je peux les lire, si c'est ce que vous voulez que je fasse.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bien sûr. Pourriez-vous les partager avec nous, s'il vous plaît?

M. Hugh Kindred: Absolument. Il s'agit de remarques plutôt générales, et j'espère qu'elles vont s'accorder avec les commentaires de Gil Winham. Je crois que vous y trouverez quelques allusions. J'ai passé en revue votre longue liste des questions qui ont été soulevées avec la proposition pour la tenue de cette table ronde, et j'ai pensé que je pourrais formuler quelques commentaires concernant à peu près cinq d'entre elles.

Le premier commentaire est au sujet des objectifs centraux de l'OMC et des intérêts du Canada. J'estime que les objectifs fondamentaux de l'OMC ont été trop exclusifs jusqu'à maintenant. L'ordre du jour s'allonge de plus en plus, comme l'a dit Gil, mais à quelle fin nous occupons-nous de cela?

• 0925

La majeure partie de l'expérience du GATT, et donc de l'OMC, a été, de toute évidence, le fait d'un commerce plus libre, et cela dépend de la croyance commune en un paradigme d'économie de marché. Je voudrais simplement faire remarquer qu'une telle conviction reflète un choix. Il n'y a rien qui soit fondamentalement bon ou mauvais dans le libre-échange ou le commerce entravé. Bien que je n'aie pas de doute quant aux avantages du libre-échange, je mets en question le fait que l'OMC se soit concentrée presque exclusivement sur cet aspect, et ait donc fait peu de cas de ce que j'appellerais simplement les attentes sociales et civiques, les questions liées à l'environnement, à la main-d'oeuvre et aux droits de la personne qui figurent à l'ordre du jour, comme l'a mentionné Gil. Nous ne savons pas trop bien comment traiter ces questions.

Je pense que ce déséquilibre entre les valeurs économiques et les préoccupations sociales est une source d'inquiétude, parce que nous sommes censés vivre d'après des principes et des normes d'utilisation et de développement durables. Nous avons adopté ces principes et ces normes non seulement dans notre propre société, mais dans la collectivité mondiale. Or, je pense que ces principes sont difficilement reconnaissables dans les pratiques de l'OMC, jusqu'à maintenant. Je crois qu'il y a de la place ici pour le Canada, pour qu'il s'efforce, dans les négociations, de faire en sorte que ces valeurs soient au centre des objectifs de l'OMC; c'est-à-dire que l'on accorde à ces objectifs sociaux autant d'importance qu'aux objectifs de libre-échange, et non pas les laisser à un niveau secondaire. La question qui se pose est comment y parvenir. Avant d'aborder cela, je voudrais d'abord émettre un commentaire au sujet de la portée du mandat de l'OMC, comme je l'appelle moi-même.

Nous avons été témoins de l'élargissement progressif du commerce, passant du commerce de biens au commerce de services, aux APIC, et aux MIC etc., comme vient de le mentionner Gil. Évidemment, il y a aussi toute cette série de nouveaux thèmes qui sont mis sur la table. Mais d'abord, il me semble que le danger réside dans le fait que la meilleure façon de réglementer certaines de ces activités et préoccupations humaines n'est pas par l'entremise de réglementations régies par le marché, qui forment la méthode centrale suivie actuellement par l'OMC. Lorsqu'il est question de commerce et d'environnement, de commerce et de main- d'oeuvre, ou de diversité culturelle, on peut assujettir ces questions aux forces du marché du libre-échange, mais je pense qu'il est peu probable que les résultats correspondent aux intérêts du Canada. En fait, je crois que le marché peut détruire ce genre de préoccupations sociales.

Ce qui fait problème est que la réglementation de l'OMC qui est fondée sur le marché est essentiellement un choix où il n'y a pas de réglementation par l'homme; or toutes ces autres questions qui préoccupent l'homme et qui ont une incidence sur le commerce nécessitent une réglementation affirmative. Il s'agit d'une autre façon de fonctionner. Par exemple, il est peu probable que la protection de l'environnement se fasse par l'entremise d'une économie de marché, à moins qu'il y ait un substrat de réglementation qui influe sur les comportements, sur le marché. Autrement dit, je crois que le Canada devrait s'opposer à ce que l'OMC pénètre dans ces domaines qui ne sont pas vraiment des activités commerciales, et pour lesquels la meilleure réglementation n'est pas assurée par une discipline du marché. Et pourtant je viens de préconiser que ces préoccupations liées à l'environnement, à la culture, à la main-d'oeuvre et aux droits de la personne soient au centre des objectifs de l'OMC.

Pour ce qui est de la façon dont cela fonctionne, tout comme le commerce des biens est régi par l'expertise de l'Organisation mondiale du commerce, la protection de l'environnement, la main- d'oeuvre, etc. devraient être réglementées par des organismes distincts, appartenant aux divers domaines. Ces organismes existent, bien sûr, comme le PNUE, l'Organisation internationale du travail, et d'autres. Ce à quoi je m'oppose, est le fait que l'OMC aille de l'avant et envahisse ces organismes comme elle l'a fait, à toutes fins pratiques, je crois, dans le cas de l'OMPI, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, au sujet des questions liées à la propriété intellectuelle.

• 0930

À bien des égards, pas mal de choses ne tournent pas rond avec ces organisations, mais ce que je veux dire est qu'elles sont les experts, relativement parlant, et qu'elles devraient être au centre de la réglementation de ces intérêts. Cependant, ces organisations devraient être obligées de se pencher sur les questions commerciales, dans le contexte de l'OMC. Il me semble qu'il devrait y avoir un mécanisme par lequel on peut forcer l'OMC a montrer plus de respect pour le travail et les règlements de ces organisations spécialisées dans l'exécution de son propre mandat.

Un fait, un principe cardinal de cette notion, est le développement durable. C'est un principe sur lequel nous nous appuyons, et c'est l'idée d'une gestion intégrée des ressources et des activités. C'est de cela qu'il s'agit ici. J'imagine que la façon de réaliser une telle intégration dans le cadre du travail de l'OMC consiste peut-être à modifier certaines de ses approches fondamentales, et même ses documents constitutifs. Le document déterminant à cet égard est le GATT, de 1994, et je pense en particulier à l'article 20, qui est la clause d'exception, comme vous le savez. J'ajouterais qu'au sein des groupes spéciaux chargés du règlement des différends, c'est comme une réflexion après coup que ces groupes ont eu beaucoup de difficulté à appliquer pour effectivement protéger les valeurs auxquelles il fait référence, y compris la moralité publique, la santé des gens, l'environnement et des choses comme ça.

Je crois que le Canada devrait inciter à réexaminer cet article, en vue de le transformer en une reconnaissance positive, par des références aux normes de fonctionnement des autres organismes spécialisés, dans leurs domaines appropriés. Le transformer en une reconnaissance positive des valeurs qui devraient être protégées dans le cas de chacune de ces décisions liées au commerce. C'est une réflexion au sujet de la façon de regrouper ces questions avec une gestion efficace, j'espère.

J'avais un autre commentaire sur ce que j'appelle le mode de négociation de l'OMC. C'est encore un des aspects que Gil a abordés, mais il s'agit d'une réflexion différente. Je pense que les rondes successives de négociation dans le cadre du GATT ont été trop exclusives. À ce que je sache, l'OMC ne fait pas trop appel à des observateurs, mais il s'agit là d'une pratique très répandue au sein des Nations Unies. Si je ne me trompe pas à ce sujet, je pense que l'OMC se prive de prendre connaissance de toute une série de points de vue importants, et d'une participation utile, en raison de cela.

Vous êtes probablement au courant de la tenue d'importantes conférences internationales pour négocier toute une série de normes relatives aux droits de la personne, durant les années 90: en 1992, la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, à Rio; la conférence qui a eu lieu en 1995 à Beijing sur les droits des femmes; en 1998, la conférence de Rome, pour établir un code criminel international. Toutes ces conférences ont montré l'importance et l'incidence utile de la représentation de la société civile lors de ces réunions.

Il me semble qu'une grande partie des négociations de l'OMC—je ne dis pas l'ensemble des négociations, car des choses comme les négociations tarifaires concernent vraiment, essentiellement, les divers gouvernements—devraient non seulement porter sur ces aspects importants des nouvelles initiatives, mais je pense aussi que les négociations de l'OMC pourraient être beaucoup plus transparentes et faire davantage l'objet d'un contrôle public. Non seulement ça, mais le recours à des opinions éclairées en dehors du gouvernement devrait être considéré comme utile.

Les ONG, organisations non gouvernementales, sont évidemment des sources d'informations utiles, mais il existe une autre source à laquelle, je crois, on n'a pas beaucoup pensé. Elle est cohérente par rapport à mon appel en faveur d'une gestion plus intégrée des questions relatives au commerce entre les organismes spécialisés. Ce sont les organismes intergouvernementaux qui sont déjà directement responsables des questions particulières relatives aux droits de la personne qui devraient être pris en considération dans les négociations des questions commerciales.

Ici au Canada, nous avons une longue expérience dans la participation à des forums internationaux et dans la coopération avec d'autres gouvernements, comme nos gouvernements provinciaux, et avec la représentation de la société civile. Nous sommes donc très bien placés pour demander avec instance ce changement positif dans le processus de négociation à l'OMC, qui profiterait à nous tous.

• 0935

Entre parenthèses, je suis d'accord avec Gil que le système de règlement des différends a été entièrement réglementé sous l'OMC, et c'est une bonne chose, mais l'OMC rate également l'occasion de recevoir un large éventail de contributions utiles à ses décisions.

Les États membres de l'OMC peuvent participer au processus, qui est lancé par le dépôt d'une plainte, mais personne d'autre ne peut intervenir. Je pense qu'il y a de la place pour une participation comme amicus curiae, comme ami de la cour, de ces organisations internationales, dont les responsabilités sectorielles touchent un différend commercial en particulier. Ces organisations pourraient contribuer efficacement à la prise de décisions plus intégrées et plus soutenables.

J'ai quelques commentaires précis concernant la question de déterminer quelle devrait être la position du Canada. J'ai réfléchi à la question de la politique relative à la concurrence. La politique en matière de concurrence est quelque chose que l'OMC devrait adopter le plus tôt possible. Je vais revenir un peu en arrière pour expliquer comment j'en arrive à cette conclusion.

L'essence du régime de libre-échange est l'interdiction de réglementations nationales discriminatoires en matière d'échanges commerciaux. À mesure que le commerce se libéralise, le marché international devient de moins en moins réglementé. En dernière analyse, hypothétiquement, évidemment, le commerce international peut fonctionner dans un vide juridique, mais il s'agit là d'une situation qu'aucune société industrialisée ne tolérerait, pas un instant.

Chacune de nos diverses économies dispose depuis longtemps d'une législation en matière de concurrence qui offre une substructure assurant un commerce loyal à l'intérieur. Il s'agit d'une notion en droit qui sert à prévenir des pratiques commerciales déloyales. À part le côté positif des politiques en matière de concurrence, sur le plan international, qu'y a-t-il pour arrêter certaines des entourloupettes que nous voyons sur les marchés, surtout sur les marchés monétaires, les monopoles mondiaux, l'établissement de prix abusifs à l'échelle mondiale, et toute une série d'abus bien connus du marché libre?

À l'heure actuelle, le seul contrôle sur les marchés internationaux est l'application extra-territoriale de réglementations nationales. Je n'ai rien à vous apprendre au sujet de la façon dont le Canada a souffert en raison des lois antitrust américaines, pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'une approche qui contient une solution au problème mondial de plus en plus important.

De la même façon, je soupçonne que même les plus grandes institutions financières et sociétés commerciales du Canada n'auront pas beaucoup de chances dans ce que j'appelle la concurrence mondiale d'un marché libre mondial non réglementé. Ainsi, voir aux intérêts du Canada, insister pour qu'on élabore une politique en matière de concurrence mondiale... nous faisons partie de l'OMC pour compléter ce démantèlement des barrières commerciales, mais dire que nous le voulons n'est pas la même chose qu'essayer effectivement de le réaliser.

Élaborer une politique viable en matière de concurrence sera difficile. Premièrement, on peut s'attendre à ce qu'elle soit élaborée par les gouvernements des États qui disposent déjà de politiques nationales. En outre, ces politiques doivent être réunies. Les lois nationales en matière de concurrence étant fondées sur des politiques économiques différentes, elles ont souvent eu tendance à se contredire. Le libre-échange de tel État représente un avantage déloyal pour tel autre État, ce genre de problème, de sorte que se mettre d'accord sur un ensemble uniforme à l'échelle mondiale de normes en matière de concurrence ne sera pas une tâche facile.

• 0940

Deuxièmement, si vous y réfléchissez, à la différence du commerce régi par le marché, qui, essentiellement, signifie ne pas avoir de réglementations, les politiques en matière de concurrence ne fonctionnement que par l'entremise de règlements administratifs. Pensez à notre propre bureau d'enquête et à notre propre politique en matière de concurrence au sein du ministère fédéral. Les politiques internationales en matière de concurrence vont nécessiter la création d'une importante institution internationale d'enquête, de poursuite et d'application de la loi. Cette tâche sera complexe et coûteuse, comme l'ont montré les essais de l'Union européenne au niveau régional. Ce processus est tout à fait différent de toutes les autres responsabilités que détient l'OMC jusqu'à maintenant.

Je ne pense pas que nous puissions nous laisser décourager par les difficultés. Le Canada, parmi d'autres pays, ne peut tout simplement pas se permettre de s'en passer.

Une autre question que vous avez indiquée ici est celle de savoir quelle serait la position du Canada au sujet du commerce électronique et de la technologie de l'information. Il s'agit de toute évidence d'un important développement dans la façon de faire du commerce. Il est clairement dans l'intérêt du Canada de promouvoir la connaissance et l'utilisation de ce nouvel environnement commercial au sein de la population canadienne. Heureusement, je sais que le ministre de l'Industrie se charge déjà de cette tâche avec vigueur.

Sur le plan international, où agit l'OMC, je prévois deux préoccupations importantes. La première est ce que j'appelle un problème de connectivité internationale. Tout comme le commerce, les transports ont été tributaires de la création d'un service postal international au cours du siècle dernier, de sorte que dans le nouveau millénaire, le commerce électronique s'appuiera sur une technologie de l'information efficace. Dans le cas d'autres moyens, comme la poste, le télex et le télégramme, nous avons constaté que nous avons besoin d'un réseau électronique mondial qui nécessitera des normes techniques uniformes et un organisme de surveillance international. Je ne crois pas que ce soit un aspect qui convient à l'OMC. Cela nécessite un organisme beaucoup plus au fait des questions technologiques.

Je n'en dirai pas plus à ce sujet. Ce n'est pas le point central de la discussion d'aujourd'hui, mais c'est quelque chose que le Canada a de toute évidence intérêt à promouvoir.

Le deuxième problème prévisible concerne l'OMC de manière plus directe, et c'est le risque d'une monopolisation du moyen, c'est-à- dire du moyen qui permet le commerce. La poursuite antitrust qui se déroule actuellement aux États-Unis, et je fais référence au cas de Microsoft, a montré qu'il est possible que cela se produise à l'échelle mondiale. Une telle monopolisation serait contraire aux intérêts des Canadiens et de la plupart des autres pays, et pourrait être empêchée par l'OMC. Tout comme les lois antitrust, l'arme de choix en ce moment, en tout cas aux États-Unis... la nouvelle politique en matière de concurrence, dont je viens de parler, doit être élaborée par l'OMC. Elle pourrait et devrait inclure les règlements modernes qui visent à prévenir des pratiques commerciales déloyales dans ce nouveau média électronique. Je crois que ça devrait être inclus dans cette tâche.

À ce stade-ci, mes notes manuscrites sont terminées. Je pourrais ajouter un commentaire concernant la propriété intellectuelle et la position du Canada à ce sujet. Ces dernières années, ce secteur est devenu une industrie de croissance, en ce sens qu'on invente et protège de plus en plus de types de propriété, et ce sont en quelque sorte les mots clés.

Nous modifions l'utilisation de ce langage. Il me semble que dans la mesure où ces nouveaux produits correspondent aux modèles d'intérêts bien reconnus en matière de propriété intellectuelle, il n'y a aucune objection. Les logiciels font partie de ces nouveaux produits. Ces produits ont présenté un nombre assez important de problèmes de catégorisation dans les cadres juridiques classiques, parce que ces régimes ne sont pas très bien adaptés à ce nouveau média. C'est essentiellement la même chose qu'une bonne souricière. C'est une invention de l'homme qui sert à faire quelque chose d'une meilleure façon. Elle doit donc recevoir une protection adéquate.

• 0945

Je suis très inquiet au sujet des circonstances, dans d'autres domaines, où nous avons créé de nouvelles propriétés à partir de produits existants. Voici un exemple très simpliste pour illustrer ça. Un prospecteur découvre les usages médicinaux d'une plante qui a été utilisée par les gens de l'endroit depuis des siècles. Le prospecteur réussi a emmener cette plante avec lui dans son propre pays, où il la fait breveter, ou l'utilise d'une certaine manière, afin de pouvoir la faire breveter, créant ainsi une propriété pour ce genre de choses.

J'ai tendance à penser que dans certaines circonstances, c'est tout un revirement du libre-échange. C'est un déni de libre- échange; ça revient en quelque sorte à enfermer le libre-échange.

Les peuples locaux, souvent autochtones, qui ont utilisé cette plante depuis des centaines d'années, n'avaient aucun contrôle sur tout ça. Tout le monde savait comment l'utiliser. Tout le monde y avait accès, elle était là, et il n'y avait pas de réglementation. C'est du libre-échange. Ceux qui créent de la propriété par l'utilisation des régimes de propriété intellectuelle empêchent par la suite d'autres d'y avoir accès, sauf d'après leurs conditions de l'échange. Cela touche évidement un point sensible, mais il existe des risques réels pour la biodiversité, et on ne respecte pas non plus les méthodes du développement durable. Nous devons nous attaquer à ce problème dans toute discussion portant sur les APIC, et dans tout ce qui viendra s'ajouter, au cours du prochain cycle de négociations de l'OMC.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Professeur, nous pourrions peut-être nous arrêter ici et passer à autre chose. Nous pouvons y revenir pour des questions.

M. Hugh Kindred: D'accord. Bien. Je dois préciser que le dernier point a trait aux investissements étrangers dans des systèmes financiers, et je pense que c'est la question la plus importante. Ce n'est pas quelque chose dont va s'occuper l'OMC, mais c'est la chose à laquelle nous devrions accorder le plus d'attention à l'heure actuelle.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci. Nous allons revenir à vous pour ce point.

M. James McNiven: Je ne savais pas que Brian allait participer à ça.

Lui et moi avons été collègues pendant très longtemps au NAPG, et j'espère que je ne vais pas voler ce qu'il allait dire.

Je veux aborder ce que j'ai à dire dans une perspective personnelle. J'ai passé vingt ans dans le milieu universitaire, et douze ans en dehors de ce milieu. Je me suis occupé de registres de salaires dans le secteur privé, ce qui est une expérience intéressante, et j'ai dirigé un ministère gouvernemental dans le développement économique.

Ainsi, ce que j'ai à dire est d'une certaine façon de nature universitaire et d'une certaine façon ne l'est pas. Je veux vous donner une idée de la façon dont je vois le régime de commerce mondial, que vous allez saisir ou non, mais qui va être simple et très rapide.

Il faut garder à l'esprit que le GATT a été créé dans les années 40 et 50. Il n'avait pas été créé à cette fin, d'une certaine façon, mais il a abouti, en quelque sorte, à organiser sur le plan économique le monde non communiste, pour la production, le commerce, et essentiellement, dans une analogie avec la construction, à renforcer un côté contre l'autre côté.

L'autre côté avait créé le COMECON, qui a été un essai avorté d'un tas de national-socialistes. Ils se qualifiaient de socialistes. Des régimes communistes nationaux, des national- socialistes—cela sonne comme nazis, mais ce n'est pas ce que je veux dire. Tous les régimes nationalistes qui étaient socialistes et avaient des murs entre eux ont essayé, essentiellement, de comprendre comment se battre contre les murs sans les démolir. Ça n'a pas marché.

L'OMC est le GATT dans les années 90. C'est tout ce qu'elle est.

Je suis marié depuis trente-cinq ans, et il y a vingt-cinq ans nous nous inquiétions au sujet des enfants et maintenant nous nous inquiétons au sujet des petits-enfants. C'est différent, mais c'est encore la même chose.

Ce qui était formidable durant les années 50, et qui a avancé laborieusement dans les années 80... nous trouvons une OMC qui est la version des années 90 d'une version des années 50 de la version des années 1890 de quelque chose.

• 0950

À l'intérieur de cela—gardez ça à l'esprit—il y avait trois groupes de pays qui semblaient se réunir dans ce qu'on pourrait appeler le GATT plus ou l'OMC plus. En d'autres mots, nous sommes tous d'accord au sujet de l'OMC ou du GATT, mais nous allons faire plus que ça. C'est un peu comme des clubs; c'est un peu comme si vous tous disiez que vous êtes députés, mais vous êtes députés libéraux ou députés du NPD, n'est-ce pas, vous êtes donc des députés plus. Vous faites partie d'un club. Un de ces clubs a été transformé en quelque chose qui s'appelle ALÉNA, un autre a été transformé en quelque chose qui s'appelle Union européenne, et l'autre club n'a pas vraiment été formé, mais nous continuons à parler de l'Asie, qui comprendrait le littoral chinois, sur environ 100 milles, mais qui ne comprendrait pas le reste de la Chine. Je sais que cela peut paraître bizarre, mais il se passe des choses en Chine.

Ces trois clubs ont commencé à élaborer leurs propres règles internes, si vous voulez, leurs propres relations internes—ou tout au moins deux d'entre eux. Dans ce sens, si vous prenez l'ALÉNA et si voulez savoir d'où vient l'ALÉNA, eh bien, l'ALÉNA, c'est l'ALE plus. Mais l'ALE n'est vraiment rien de plus que le statut particulier des années 50 que nous avions vis à vis des États-Unis, si on remonte dans l'histoire. L'idée était que lorsque les États- Unis s'en prenaient à des pays étrangers pour un quelconque préjudice réel ou présumé, ils disaient, hé, nous ne considérons pas le Canada comme un pays étranger. Tout le monde au Canada poussait un soupir de soulagement et nous continuions à faire ce que nous étions en train de faire.

À nouveau, après quarante-sept ans, le monde subit une sorte de changement, mais on veut créer le même type de relation; alors on crée quelque chose de nouveau. C'est pourquoi nous avons eu la version des années 80 qui s'accordait avec le programme Reagan. Je pense que la façon dont il avait été rédigé correspondait à ce que voulaient avoir les Américains. Je ne pense qu'il nous a nui, il nous a au moins donné la chance d'avoir un statut particulier, de sorte qu'ils peuvent toujours s'en prendre à quelqu'un et dire, oui mais le Canada n'est pas vraiment inclus dans tout ça. Je pense que cela a été bon pour nous, et je suis content d'avoir contribué à faire passer cet accord, du moins au niveau provincial, et d'avoir vu certaines choses se produire par la suite.

Concernant l'ALÉNA, eh bien, c'était la préoccupation des États-Unis au sujet du Mexique. Je vais revenir au Mexique dans une minute. Toute l'idée de l'ALÉNA était que les États-Unis craignaient beaucoup que si l'accord ne contribuait pas au développement économique du Mexique, il allait finir par ne s'appliquer qu'au Mexique, vraiment. Je vais revenir à ça dans quelques secondes.

Nous aboutissons donc à l'ALÉNA. Nous suivons toujours l'ordre du jour de Ronnie, l'ordre du jour de M. Reagan, parce qu'il avait une idée que quelque chose depuis Point Barrow jusqu'au cap Horn formerait un tout formidable, et cela semblait une bonne idée. Je ne pense pas que les États-Unis s'intéressent particulièrement à ça en ce moment précis, pas même à l'ALÉNA. Si cet accord cessait soudainement d'exister, je ne crois pas qu'il y aurait quelqu'un là-bas qui passerait beaucoup de temps à s'en plaindre. Je crois que l'attitude est de plus en plus protectionniste, mais nous avons la loi, nous avons la protection, nous avons notre statut particulier pour les années 90, comme c'était le cas pour les années 50, et nous passeront au travers.

Mais je ne pense pas que la poussée soit là pour une ZLEA. C'est une bonne idée. Ce qui est drôle, c'est que le Canada l'a adoptée, et c'est en partie en raison de l'orientation de pensée du Parti libéral au sujet de la multilatéralisation, par opposition aux relations entre les États-Unis et le Canada. Au cours des vingt dernières années environ, il semble y avoir eu une sorte de positionnement des partis politiques ici. Vaut-il mieux y aller à grande échelle ou à échelle réduite? C'est ma vision des choses.

La ZLEA paraît donc une bonne idée, et ce serait une bonne chose si vous pouviez l'obtenir. Je pense, cependant, que si vous vous demandez si les gouvernements mènent ou suivent, eh bien, essentiellement, dans des choses comme ça, les gouvernements suivent. L'ALE avait légitimé ce qui était déjà en train de se passer. Ça n'avait pas d'importance, nous n'avions pas besoin d'un ALE. Nous l'aurions eu quand même. C'est qu'il n'aurait pas été rédigé et nous n'aurions pas des règles de droit. Nous aurions des prises de décisions capricieuses par les Américains au lieu d'une quelconque règle de droit que des gens comme Gil essaient de maintenir en place.

Ça aurait pu... je veux dire, je ne sais pas comment il fait. Je ne supporterais pas d'entendre toutes ces choses. J'ai fait partie de quelques commissions royales et de choses comme ça, et franchement, être de votre côté de la table, c'est vraiment pénible. Je sais que tout ça est mis sur papier, mais je ne m'en soucie plus.

Quoi qu'il en soit, je pense que la ZLEA est une tentative de mener vers quelque chose plutôt que de suivre quelque chose, parce que je ne crois pas que l'intégration soit là, pour l'instant, dans l'hémisphère occidental. Nous devrons donc attendre ce qui va se passer de ce côté-là.

• 0955

J'ai cette image des trois blocs de l'OMC, et de l'ALÉNA qui essaie d'être la ZLEA. Ce qu'il faut garder à l'esprit est que dans les trois régions du monde que j'ai mentionnées—l'Asie orientale, l'Amérique du Nord et l'Europe occidentale—se déroule près de trois quarts, sinon quatre cinquièmes, de tout le commerce mondial. Essentiellement, si on veut vraiment être direct à ce sujet, le reste du monde n'adopte pas toute cette façon de faire. C'est de la realpolitik; ce n'est pas une belle chose.

Nous Canadiens parlons avec des mots gentils, j'imagine que j'ai perdu le tact. Mais, essentiellement, le reste du monde compte pour approximativement 20 p. 100 du commerce mondial—peut-être 25 p. 100. J'ai dit que j'incluais 100 milles du littoral chinois, mais le reste de la Chine est dans l'autre partie. Par conséquent, admettre des pays dans l'OMC est une bonne chose, mais je ne pense pas vraiment, si on analyse ça de près, que cela se fera d'après les règles du tiers monde; ça se fera selon les règles des pays importants qui ont les gros investissements dans l'ensemble du système commercial. Je ne parle pas d'investissements étrangers; je parle des trois grands blocs dans les négociations, qui ont toutes les préoccupations, les inquiétudes, et les choses à gagner et à perdre. Ce sont les gens qui finiront par établir les règles et ces règles seront faites pour eux.

Nous parlons de l'OMC, mais commençons d'abord avec la ZLEA. Je ne suis pas convaincu que nous allons voir la création d'une ZLEA, malgré toutes les déclarations en faveur d'une telle zone. J'essaie de faire abstraction des mots en faveur et de considérer les réalités sous-jacentes. Je pense que nous allons constater que tout cela va se poursuivre, sera discuté et débattu. Je ne suis pas sûr où est le grand élan, pas même en Amérique Latine. Je ne vois pas une grande intégration des économies en ce moment, du nord vers le sud, en dehors du Mexique.

L'ALÉNA, par contre, est une chose très importante. Après avoir obtenu mon diplôme universitaire, j'ai travaillé pendant des années dans le domaine du développement international. Je me souviens que dans les années 60, les gens disaient toujours qu'il fallait du commerce et non de l'aide; qu'il ne fallait pas juste leur donner de l'argent, mais plutôt faire du commerce avec eux. À part les exemples de commerce qui ont créé les quatre dragons d'Asie, voici la plus grande expérience au monde de développement d'un pays par le commerce plutôt que par l'aide: le Mexique.

Permettez-moi de vous donner une idée de la gravité de la situation. Je viens de passer un mois à Tucson. C'était mieux qu'ici. Il faisait chaud et c'était agréable. Au mois de février, on pouvait lire dans les journaux que la police des frontières du district de Tucson avait renvoyé 55 000 Mexicains au Mexique. C'est le nombre de personnes qu'ils ont attrapées. Le total pour 1998, le long des 2 000 milles de toute la frontière, a été de 1,5 million de personnes renvoyées. Si on peut présumer qu'une moitié a réussi à entrer et l'autre moitié non, alors trois millions de personnes ont essayé de franchir la frontière, et 1,5 million de personnes sont devenues des immigrants illégaux l'année dernière—et trois millions, ça veut dire 3 p. 100 de la population du Mexique.

Si on ouvrait les frontières pendant dix ans, les États-Unis deviendraient à moitié le Mexique—ce serait le Mexique, ou le Mexique serait les États-Unis—tout simplement parce que tout le mouvement de population est là. C'est absolument ahurissant. La police des frontières est partout le long de la frontière. Ce déplacement a lieu parce que les gens veulent du travail. Il s'agit de bonnes personnes, convenables. Ce sont des gens qui veulent travailler, ils feraient n'importe quoi. Ils envoient leur argent à la maison. On se dit, bon sang, c'est terrible.

Récemment, la BBC a fait état d'un certain nombre de radeaux et d'embarcations qui ont coulé en Méditerranée lors d'une tempête. Ils transportaient des Marocains et des Algériens qui essayaient d'entrer en Europe. La raison pour laquelle on n'invite pas les Turcs à se joindre à l'Union européenne est que les Turcs représentent 50 millions de Mexicains, tout comme le Mexique représente 90 millions de Mexicains, si on peut s'exprimer de cette drôle de façon.

La Malaysia refoule des gens, tout comme Singapour. À mesure qu'ils arrivent par le détroit, depuis l'Indonésie, ils les renvoient. C'est un phénomène mondial, ces migrations de gens—mobilité internationale. C'est un peu comme les Romains gardant les remparts à la fin de l'Empire romain—comment allons- nous empêcher ces peuples germaniques d'entrer?

• 1000

Nous avons un problème intéressant. Je dis «nous» parce que nous sommes si isolés de ça par la géographie, mais nous y sommes entraînés avec les États-Unis et d'autres pays. Je pense qu'on va voir dans la ZLEA qu'une des questions sera: «Qu'allons-nous faire de tous ces gens?» Si nous n'allons pas faire quelque chose pour eux là-bas, alors il faut faire quelque chose pour eux ici. C'est une question très intéressante.

Il y a deux autres choses que je voudrais signaler à cet égard. La première est qu'il pourrait être utile, si nous tenons à la ZLEA de commencer à enseigner l'espagnol avec le français et l'anglais. Buenos dias muchachas. Avec tout le respect, il y a quelque chose comme quatre fois plus de personnes au monde qui parlent espagnol qu'il y en a qui parlent français, simplement parce que les Espagnols ont colonisé toute l'Amérique du Sud.

M. Daniel Turp: Le gouvernement du Québec est en train de faire de l'espagnol la troisième langue.

M. James McNiven: Le seul endroit au Canada qui prend l'espagnol au sérieux et qui essaie vraiment de promouvoir des relations avec les pays hispanophones est le Québec. Que ce soit les universités du Québec ou le gouvernement du Québec, il semble y avoir un consensus, ce qui est tout à leur honneur.

Ou bien nous apprenons l'espagnol, ou alors nous allons avoir de vrais problèmes dans le futur. Ce que nous faisons de ce côté-là montre jusqu'à quel point le gouvernement canadien prend cette question au sérieux, outre que de signer simplement des accords.

Il y a une dernière chose que je voudrais mentionner concernant la ZLEA. Le Canada est-il la mansarde ou la porte d'entrée de l'hémisphère occidental? Davis Crane a soulevé cette question il y a quelques années. Nous sommes en train de nous transformer en mansarde. C'est-à-dire, «on va lancer ça là-haut, ils vont s'en occuper.» Nous ne sommes pas en train de devenir la porte d'entrée, je ne veux pas faire de la politique partisane, mais la fiscalité y est pour quelque chose; une partie de la situation est due à la façon dont nous organisons notre propre industrie, la politique en matière de concurrence, etc.

Lorsqu'on dit que le commerce est aussi bien intérieur qu'international, il nous faut nous pencher sur cela. Il nous faut de meilleurs avantages, et par là je n'entends pas uniquement des avantages liés aux coûts d'après les taux de change. Nous avons besoin de meilleurs avantages que ceux que présentent les États- Unis en ce moment, si nous voulons être la porte d'entrée. Si nous voulons être la mansarde, nous nous tirons bien d'affaire et nous aurons toujours notre petite part, mais c'est ce que nous serons.

Je crois que certaines des négociations des Mexicains avec les États-Unis indiquent que la notion de porte d'entrée est en train de devenir difficile pour nous.

Concernant l'OMC, il est clair que nous voulons élargir le nombre de membres; nous voulons qu'il y ait autant de pays que possible au sein de l'OMC. Je suis d'accord avec Hugh au sujet de la question de la politique en matière de concurrence; c'est une question très difficile. Je pense qu'il y a une chose qu'il faut garder à l'esprit lorsqu'on parle d'établissement de prix abusifs ou de monopole des prix. Microsoft n'est pas sur la sellette aux États-Unis parce qu'elle pratiquait des prix trop élevés; c'est parce qu'elle n'établissait pas de prix ou parce qu'elle gardait les prix trop bas.

Le cas de John D. Rockefeller a mené à la législation antitrust dans les années 1880, non pas parce qu'il pratiquait un monopole des prix, mais précisément parce qu'il exerçait un monopole. Toute l'idée de la politique en matière de concurrence est de maintenir un système ouvert à l'innovation, en ne permettant pas aux grands d'empêcher les petits d'innover avec succès. Il ne faut pas oublier que la politique en matière de concurrence doit maintenir la marmite en ébullition.

Tout cela dépasse largement les questions relatives à l'établissement des prix, mais je crois vraiment que c'est un aspect essentiel et important.

Concernant l'OMC et les investissements, oubliez ça. Lorsque ce qu'on appelle l'AMI a été proposé pour l'OCDE, je me souviens que je siégeais au CCCE lorsqu'ils parlaient de ça, j'ai en quelque sorte ri dans ma barbe en me disant que l'AMI ne verrait jamais le jour. Je n'avais rien à voir avec les groupes qui y étaient opposés—blablabla. La question est que, si on considère les deux fonctions du commerce et de l'investissement, le commerce est coopératif. Si je fais du commerce avec vous, nous en profitons tous les deux. Nous sommes tous deux gagnants. Nous pouvons avoir une situation où tout le monde est gagnant. Alors que l'investissement est compétitif. Si j'obtiens la cagnotte, c'est vous qui ne l'aurez pas.

C'est une chose tout à fait différente. C'est beau de dire qu'il faudrait avoir des règles sur l'investissement, mais l'investissement est une jungle. L'OMC a essayé. Dans l'espace de quelques mois, un des États fédérés de l'Allemagne a décidé de donner 300 ou 400 millions à Volkswagen et quelqu'un l'a traîné devant l'OMC. Les Allemands leur ont dit d'aller se faire voir et les choses se sont arrêtées là.

La même chose est arrivée au Canada avec l'accord sur le commerce intérieur. J'ai été présent lors de la toute première réunion de discussion sur l'accord relatif au commerce intérieur, en 1985. Il a été signé, mais il est mort le jour suivant—ben, il n'était même pas vivant lorsqu'il a été signé. C'est ainsi que nous continuons à patauger là dedans, parce que, franchement, personne ne va accepter une véritable discipline. Ils vont peut-être signer le papier. Peut-être je me trompe, me je ne crois pas qu'ils vont accepter une vraie discipline en matière d'incitatifs à l'investissement et de méthodes d'investissement.

• 1005

M. Daniel Turp: Pourquoi?

M. James McNiven: Parce que si j'obtiens l'usine, mon nom va être dans le journal, et si vous n'obtenez pas votre usine, votre nom va être dans le journal. Ça se résume à peu près à ça. Le degré d'investissement en ce qui a trait à la création d'emplois par rapport au nombre réel d'emplois créés dans un province ou dans un État, ou quel que soit le territoire, se situe probablement entre 1 et 2 p. 100. Mais l'importance politique a pris énormément d'ampleur, de sorte que c'est comme si c'était 90 p. 100.

Supposons que le Canada perd une usine de Bombardier au profit de l'État de New York. Eh bien, voilà. Il va y avoir des questions en Chambre et tout le monde va en parler. Si on considère la perte, ce sont 300 emplois. En ce moment, la Nouvelle-Écosse compte à peu près 400 000 employés. Alors qu'est-ce que c'est 300 emplois? Franchement, ce n'est rien, statistiquement. Statistiquement, et j'ai peut-être fait la seule étude sur ce sujet qui existe, le palier de gouvernement moyen dans une économie normale perd, au cours d'une année normale, 7 p. 100 de ses emplois. Ainsi, nous perdons 30 000 emplois par an en Nouvelle-Écosse. C'est comme les abonnements aux revues. Nous devons trouver 35 000 emplois pour remplacer les 30 000 que nous avons perdus. Cela se passe presque partout. Lorsqu'on a une croissance dans le nombre d'emplois, nous obtenons des chiffres nets. Donc 300. Mais pensez un peu si Bombardier faisait cela? Quel genre de cris on pousserait au Québec, au Canada, au Parlement, à l'Assemblée nationale du Québec?

La question est que ces choses sont très importantes du point de vue politique, et nous allons donc tous établir des règles sur ça, de sorte que les choix seront laissés aux caprices du décideur de la compagnie. Je ne crois pas. C'est la même chose partout dans le monde maintenant. C'est identique. Que ce soit l'Allemagne, le Japon, l'Indonésie, ça n'a pas d'importance. On peut bien commencer par dire, d'accord, des négociations sur les investissements, oui, faisons-les, mais inscrivez la mention «mort-né» avant même de commencer. Ça va vous éviter beaucoup de tracas, parce que c'est comme ça que ça va se terminer. Je ne vous donne que mon avis personnel.

Concernant l'OMC, donc, si vous vous demandez quels devraient être le champ d'action et les limites de l'OMC, je dirais tout ce que vous êtes en mesure d'y forcer, car nous n'avons pas beaucoup d'autres organismes qui seraient en mesure d'obtenir quelque chose. Je suis conscient du fait que nous courons le risque de brouiller le champ d'action. Mais ce dont nous avons vraiment besoin est une OME ou quelque chose comme ça, une organisation économique.

Une politique sur la concurrence, je suis pour.

L'agriculture, c'est comme l'investissement. Vous n'irez pas très loin avec ça, car, encore une fois, l'agriculture n'est pas très importante. Est-ce que ce n'est pas terrible? L'agriculture n'est pas très importante du point de vue du nombre d'emplois, de la taille de l'économie, etc., dans une économie nationale, sauf dans le tiers monde. Mais elle a énormément d'importance sur le plan politique. C'est pourquoi les gouvernements ne vont pas abandonner la capacité d'aider les agriculteurs. Et je ne vois pas de raisons pour qu'ils le fassent non plus, mais ça, c'est une autre histoire.

Mme Wendy Lill: Qu'en est-il de choses comme les soins de santé?

M. James McNiven: Si vous parlez du Canada, nous sommes très occupés à privatiser nos soins de santé à mesure que nous avançons. Nous ne sommes pas en train d'établir un système à deux composantes, où il y a un hôpital public et un hôpital privé. Ce que nous sommes en train de faire, si vous prenez toutes les pratiques médicales ensemble, de la chirurgie cardiaque jusqu'aux omnipraticiens, le long de ce spectre, on perd des morceaux. Dans le cas de la collecte de sang auprès de gens qui vivent en banlieue ou quelque chose comme ça, et qui ne peuvent se rendre à l'hôpital, on envoyait autrefois une infirmière pour prélever les échantillons de sang. Maintenant, tout à été privatisé. Il y a de petits morceaux tout au long du système. Et les gouvernements ne font que se retirer de tout ça et laissent la place à de petites entreprises et à d'autres.

Donc, sur cette question, une étant qu'ils sont en concurrence avec le secteur privé, je pense que nous avons diminué le financement public à 70, 60 p. 100, et 40 p. 100 de financement privé. Les États-Unis sont passés d'un financement public à environ 20 ou 30 p. 100 à un financement public à 40 p. 100. Ils en sont donc à 40/60, tandis que nous en sommes à 60/40—quelque chose comme ça. Nous nous en allons dans des directions différentes, mais c'est absolument ce qui se passe, en raison des budgets. Je ne pense pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec l'idéologie, mais je crois que les gouvernements sont en train de dire, si nous pouvons refiler ça au système d'assurances...

• 1010

J'ai siégé au conseil d'administration de la Croix Bleue pendant six ans et j'ai surveillé ça. Chaque fois qu'on a le dos tourné, les provinces laissent tomber quelque chose du système, et la Croix Bleue est censée le ramasser, sans augmenter les tarifs, bien sûr, mais nous l'avons fait.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Professeur McNiven, pouvez-vous conclure, afin que nous puissions entendre M. Russel?

M. James McNiven: Je vais terminer rapidement.

Concernant la propriété, oui, c'est très important, j'en conviens. L'investissement, comme je l'ai dit, non. La politique en matière de concurrence, oui, absolument. Concernant la main- d'oeuvre, je crois que nous nous sommes concentrés sur le problème du travail des enfants, des faibles salaires, et des choses comme ça. Je n'ai pas d'objection au sujet de la main-d'oeuvre, mais je peux vous dire que le gros problème qui est là comme une grosse baleine sous l'eau est le problème de la mobilité, et nous ne le prenons même pas en considération. Mais je peux vous dire, si vous passez un mois à Tucson... et qu'elle est émergée... c'est énorme.

Je m'arrête là.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup.

Monsieur Russell.

M. Brian Russell (professeur, École de gestion, Université Dalhousie): Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs membres du comité.

Permettez-moi, pour commencer, de m'associer aux commentaires formulés par le professeur Winham au sujet de la mondialisation et sur la façon dont le monde est en train de changer, et de développer peut-être un peu ces commentaires, et d'aborder la façon dont, à mon avis, l'OMC et l'ALE s'insèrent dans ce contexte.

Dans une perspective canadienne, il me semble qu'au cours des vingt, et même des dix dernières années, le monde a énormément changé, principalement à cause du fait que personne ne semble trouver un meilleur nom que «mondialisation». À un certain stade, dans ma vie, j'ai décidé de réfléchir à ce que signifie la mondialisation, à ce que nous pensons vraiment lorsque nous en parlons, et j'ai abouti à ce que j'appelle les sept facteurs de la mondialisation, c'est-à-dire le mouvement de plus en plus libre des services, des investissements, des capitaux, des connaissances, des gens, des idées et des biens, doublé de la prolifération et de l'élargissement et de l'approfondissement des institutions internationales. Je pense que c'est ici que l'OMC et des projets comme la ZLEA s'intègrent dans ce contexte. Pour ce qui est d'une économie de taille moyenne, ouverte, comme celle du Canada, j'ai étudié les chiffres, l'autre jour, et en 1998, les échanges représentaient au Canada, je pense, environ 600 milliards de dollars—importations et exportations, environ 50 p. 100 de part et d'autre.

Pour une économie ouverte de taille moyenne comme le Canada, un organisme comme l'OMC est absolument essentiel à sa réussite économique à long terme. Le Canada ne peut survivre dans le contexte d'une politique nationale. Même si on peut peut-être dire que la politique nationale et la politique de John A. Macdonald étaient parfaitement adéquates lorsqu'elles ont été mises en oeuvre, et pendant un certain temps par la suite, l'époque des frontières fermées et des tarifs élevés, et des restrictions commerciales qui favorisent les marché nationaux, est révolue.

Le Canada doit prendre des initiatives à l'échelle mondiale et ouvrir des marchés étrangers à des biens et des services canadiens, et dans une mesure importante, le Canada a reconnu qu'il devait faire cela. Mais la réciprocité de cela est qu'il faut également ouvrir les marchés canadiens aux biens et aux services étrangers, car l'échange est une voie à double sens. D'un point de vue économique, la justification de l'exportation est simplement qu'il faut payer les importations, acheter les choses dont on a besoin et qu'on ne produit pas dans son propre pays. Une façon d'obtenir de l'argent pour faire cela consiste à vendre les choses qu'on produit.

Ainsi, les exportations comme les importations font partie de l'équation, et l'OMC est un élément essentiel au maintien du flux d'exportations et d'importations qui arrivent et qui partent, ce qui est particulièrement important pour une économie comme celle du Canada, qui, en raison de sa taille relativement réduite, ne peut engendrer le genre d'économies d'échelle que peuvent créer des économies et des populations plus importantes.

Je vais dire quelques mots sur la raison pour laquelle je pense que c'est encore plus vrai pour une région comme celle-ci, du Canada atlantique. Le Canada atlantique est une région qui compte une population d'environ 2,2 à 2,3 millions de personnes, répartie sur un territoire assez vaste, plus grand que bien des pays du monde. Pour qu'une région comme ça puisse connaître du succès sur le plan économique, des marchés libres et ouverts sont encore plus importants qu'ils ne le sont dans le cas d'une région comme le sud de l'Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique et l'Alberta, qui ont d'importants bassins de population.

• 1015

Permettez-moi de dire quelques mots au sujet des détails relatifs aux négociations avec l'OMC et sur la raison pour laquelle je pense qu'ils sont importants pour le Canada, et quelques mots sur ces points, dont un grand nombre ont déjà été abordés par mes collègues.

Premièrement, votre mandat soulève en particulier la question de l'agriculture. Il me semble que l'agriculture a depuis longtemps tendance à représenter un secteur difficile à négocier dans le cadre de négociations commerciales, principalement pour les raisons que Jim a mentionnées. Politiquement, c'est un secteur très sensible, même s'il est une partie relativement petite de l'économie. Il y a toute cette mentalité que l'on trouve dans de nombreux pays selon laquelle il faut être en mesure de produire assez de nourriture pour être autosuffisant. Les exploitations agricoles familiales semblent avoir une certaine importance pour un grand nombre de personnes, et cela évidemment soulève beaucoup de questions concernant les marchés agricoles.

D'un point de vue canadien, je pense que des marchés agricoles ouverts ont un double tranchant, et je pense qu'en raison des difficultés que comporte la négociation de concessions en matière d'agriculture, il y a deux choses que l'on peut espérer dans une perspective canadienne. La première, la moins importante des deux, est que nous continuions à insister sur une réduction, graduelle, sur une certaine période, des tarifs qui ont déjà été liés lors de l'Uruguay Round. La deuxième, et je crois qu'elle est plus importante, est que le Canada devrait vraiment insister pour obtenir la suppression des subventions à l'exportation en agriculture—une suppression totale.

Les subventions à l'exportation sont déjà illégales, dans le contexte de l'OMC, dans tous les secteurs, sauf celui de l'agriculture, mais le Canada fait face à une situation où des pays importants ou des fédérations, des quasi-fédérations comme l'Union européenne, et les États-Unis, ont largement recours à des subventions à l'exportation dans le secteur de l'agriculture et déplacent les marchés qui seraient autrement des marchés d'exportation pour le Canada, en utilisant des subventions à l'exportation de produits agricoles. Ainsi, même si accepter de réduire les subventions à l'exportation de produits agricoles signifiait réduire ou supprimer toutes ces subventions, le bénéfice net d'une telle mesure pour les agriculteurs canadiens serait substantiel, par le fait de gagner de nouveaux marchés d'exportation qui allaient auparavant à des producteurs européens et américains fortement subventionnés. Évidemment, les Européens comme les Américains ont des poches plus profondes lorsqu'il s'agit de jouer le jeu des subventions, de sorte qu'à ce jeu-là, un pays comme le Canada se fait avoir parce qu'il doit épuiser le Trésor public afin d'essayer de concurrencer ça.

Je dirais donc qu'en agriculture, c'est le maximum que l'on peut probablement espérer, et c'est une position que je défendrais et qui, à mon avis, serait bonne pour le Canada.

Concernant les services, je suis d'accord avec Gil Winham que nous devons élargir l'ordre du jour. L'Uruguay Round a fait un pas important, je pense, en amenant les services dans le champ d'action de l'OMC, mais nous devons certainement essayer d'élargir ça. L'accord sur les services financiers qui a été négocié au cours de l'année précédente a commencé cet élargissement, et je pense que nous devons nous pencher sur quelques autres secteurs et continuer à élargir l'ordre du jour relatif aux services.

Je suis un peu plus optimiste à cet égard qu'au sujet des investissements dans le cadre de l'OMC. Je pense qu'il a raison concernant les incitatifs géographiques, mais je crois qu'il y a d'autres secteurs appropriés à des investissements directs, pour lesquels une discipline ou une ouverture significative pourrait être demandée. Je ne sais pas si oui ou non—et de toute évidence, tout le monde a indiqué qu'il serait très difficile de négocier l'ajout des investissements dans le champ d'action de l'OMC, tout simplement parce que les intérêts des pays en développement semblent quelque peu différents. Cela étant le cas, je pense qu'il serait utile si au moins l'aspect des investissements directs, en laissant de côté les incitatifs géographiques, pouvait être amené dans la sphère de l'OMC, et je pense qu'il y aura des tentatives importantes pour le faire.

Cela touche également une autre question que je veux soulever et qui je pense devrait être importante dans la réflexion du Canada concernant les négociations relatives à l'OMC. C'est toute la question de l'application et de la mise en oeuvre. Gerald y a fait allusion. Ce que l'on constate est qu'un grand nombre des accords qui ont été négociés dans le cadre de l'Uruguay Round, qui est entré en vigueur en 1995, n'ont en réalité pas été mis en oeuvre par les pays signataires. La propriété intellectuelle est notamment un aspect qui traîne, mais c'est plus étendu que ça. Toute la question de la mise en oeuvre et de la façon dont il faut faire appliquer les accords et faire en sorte que les pays appliquent effectivement ce à quoi ils se sont engagés en signant ces accords, il me semble, est un véritable trou dans le régime actuel de l'OMC.

• 1020

D'un point de vue canadien, je pense qu'il est clairement dans l'intérêt du Canada, si des gens signent des accords, qu'ils fassent également ce qu'ils disent qu'ils vont faire.

Je dirais donc, avec assez de force d'ailleurs, que la question de la mise en oeuvre et de l'application doit être abordée au sein de l'OMC, et que nous devons commencer à envisager de donner des dents à certaines de ces dispositions.

Je pense que ça s'étend également au domaine du règlement des différends, comme le montrent le cas des bananes et le litige actuel entre les États-Unis et l'Union européenne au sujet de l'hormone de croissance pour les bovins. Lorsqu'un pays applique un rapport de comité qui lui a été défavorable, nous devons savoir si cette mise en oeuvre est adéquate ou si elle ne l'est pas; il nous faut un moyen plus rapide et plus efficace pour déterminer cela. Je pense donc que le Canada devrait également faire avancer ces questions-là.

Concernant la question de la politique en matière de concurrence, je pense qu'il est vrai qu'elle doit être abordée au sein de l'OMC. Je ne pense pas qu'il faille l'aborder en élaborant une sorte de politique mondiale en matière de concurrence. Je crois qu'il faut s'attaquer à cette question en établissant des limites autour des règles nationales, des limites qui imposeraient une certaine harmonisation de ces règles nationales.

Je crois que l'exemple classique de ce problème est celui de la fusion de Boeing et de Lockheed, aux États-Unis, où l'on a deux compagnies américaines qui fusionnent et où l'Union européenne dit: «Nous ne vous laisserons pas travailler en Europe si vous ne respectez pas les règles de notre politique en matière de concurrence.» Dans cette situation, on est aux prises avec les politiques en matière de concurrence de l'Union européenne et des États-Unis, et cela pourrait se produire dans de nombreux autres pays également. Il me semble donc qu'il nous faut trouver une sorte de superstructure.

Les pays doivent toujours prendre leurs propres décisions concernant les politiques nationales, mais comme on le fait dans le domaine des mesures antidumping et des subventions, par exemple, nous devons établir des règles obligatoires qui mènent à un degré d'harmonisation et de compréhension plus important, et à une transparence réciproque concernant ces politiques en matière de concurrence.

Cela m'amène à un autre sujet que je considère important pour le Canada et qui n'a pas été abordé ici, c'est à dire l'antidumping.

Si vous voulez discuter de ce qui est vraiment important pour les intérêts du Canada, eh bien admettons-le, ce qui est vraiment important, c'est le commerce avec les États-Unis; 80 p. 100 de nos échanges se font avec les États-Unis.

Un des plus gros problèmes du Canada en ce qui a trait à ses échanges avec les États-Unis, ce sont les poursuites antidumping. C'est un problème énorme. Un grand nombre d'autres pays ont ce problème, et il me semble qu'il existe une coalition naturelle, dans le contexte des négociations relatives à l'OMC, pour essayer de pousser les États-Unis à faire quelque chose pour au moins restreindre la nature totalement aléatoire et politisée du processus visant à prendre des décisions en matière d'antidumping aux États-Unis.

Dans une perspective canadienne, ce sujet devrait être très en vue sur la liste des priorités, et je pense que la création de cette coalition est un élément important de toute réussite en ce qui a trait à cette question, parce que la résistance aux États- Unis sera absolument féroce. Je pense donc que la question de l'antidumping et de la politique en matière de concurrence doivent être assez prioritaires à l'ordre du jour du Canada.

Cela est également en rapport avec une question qui est posée ici: comment intégrer les pays qui présentent une économie faible ou de petite taille? Comment peut-on sauvegarder les intérêts nationaux du Canada et les intérêts d'économies faibles et de petite taille?

On constate dans le cas d'un grand nombre d'«économies faibles et de petite taille», qu'un de leurs principaux problèmes avec les États-Unis est l'antidumping. Si on regarde ce que les niveaux tarifaires moyens ont fait au cours des cinquante dernières années, nous avons vu des tarifs passer de 40 p. 100 à 3 p. 100. Les tarifs ne sont plus les outils de la protection.

L'ère des tarifs est révolue, comme le dit Michael Hart, sauf dans le cas de l'agriculture. Ces outils du protectionnisme d'urgence, comme l'antidumping, comme les subventions, comme tout un éventail d'outils qui sont utilisés, sont maintenant les outils de choix pour protéger l'économie nationale et stopper les importations. Ces mesures nuisent aussi bien aux pays en développement qu'aux pays développés, et il me semble donc qu'il est de plus en plus important de bouger quelque peu en ce qui a trait à ces questions.

Afin de tenir compte du temps, permettez-moi de limiter mes remarques à un seule autre question, qui est celle des normes.

• 1025

Mon collègue Tony Schellinck, de l'Université Dalhousie, et moi avons rédigé un article récemment dans lequel nous avons analysé l'utilisation de normes comme moyen d'attribuer des avantages commerciaux en matière de concurrence à des pays et à des entreprises de par le monde, et en particulier les pays de l'Union européenne. Les pays sont extrêmement actifs dans l'utilisation de leur politique nationale en matière de réglementation au niveau des normes—et cela est particulièrement important dans le domaine de la haute technologie—comme outil pour, d'une part, bloquer les importations, et d'autre part, attribuer à leurs propres entreprises des avantages auxquels d'autres n'ont pas accès.

Il me semble que la question des normes doit être abordée assez vigoureusement par les négociateurs canadiens au sein de l'OMC. L'Uruguay Round, en raison de l'accord sur les barrières techniques faisant obstacle au commerce, a commencé à s'attaquer à cette question. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire en ce qui a trait à l'harmonisation, à la reconnaissance mutuelle, et à toute une série d'autres politiques potentielles sur lesquelles il faut se pencher.

J'ajouterais seulement quelques remarques au sujet de la ZLEA, qui, et Jim pourrait avoir raison, pourrait bien ne jamais voir le jour. Je pense en tout cas qu'il a raison quand il dit qu'il n'y a pas beaucoup de poussée derrière ce projet aux États-Unis, mais sur le plan politique, il est assez difficile de contourner le fait que trente-quatre pays se sont réunis à Miami en 1994, qu'ils ont signé un accord et dit qu'ils allaient négocier un accord de libre- échange d'ici 2005, et les chefs d'État ont signé cet accord. Les gens se sont engagés sur papier à faire quelque chose, et effectivement il y a des groupes de négociation en place maintenant. Des négociations proprement dites se déroulent en ce moment. Quant à savoir combien les gens sont engagés dans ces négociations, eh bien, c'est une très bonne question, mais ils y sont; ils existent.

Les négociateurs en matière de commerce ont tendance à penser, nous avons cinq ou six ans pour négocier un accord, donc nous n'allons pas trop nous en faire à ce sujet; venez me voir au mois de juin 2004 et peut-être il se passera quelque chose. Il y a cette tendance à laisser aller les choses. Les négociateurs en matière de commerce sont probablement les personnes les plus portées à la procrastination lorsqu'il est question de ce genre d'accord, mais le processus est en place.

Je pense qu'il y a des gains importants à réaliser pour le Canada, moins sur le plan économique—et je crois qu'ils sont là—qu'en ce qui a trait à la capacité d'établir, encore une fois, des coalitions utiles, dans l'hémisphère, afin d'essayer de contrebalancer le poids des États-Unis dans certains de ces secteurs. Je crois que les avantages politiques d'une chose comme ça pourraient même l'emporter sur les avantages économiques. Généralement, c'est l'inverse dans le cas de négociations commerciales.

Je pense donc que les démarches du Canada en ce qui a trait à la ZLEA sont importantes, même si cela pourrait prendre un certain temps avant de voir des résultats substantiels.

Je termine sur ce point-là.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bien. Merci beaucoup.

Madame Lanoszka.

Mme Anna Lanoszka: Je serai très brève, concernant l'agriculture. Je pense que nous sommes tous d'accord que l'agriculture a toujours été un secteur problématique du commerce international.

L'accord de l'Uruguay Round sur l'agriculture a essayé de mettre de l'ordre dans ce secteur très déformé du commerce international. Évidemment, de nombreux critiques disent que cet accord n'est pas allé assez loin, mais même si l'accord représente un petit pas sur la voie de la libéralisation de l'agriculture, il est quand même assez important, suffisamment, je dirais, étant donné presque tous les tarifs agricoles et leurs limites. Le plus important, à mon sens, c'est qu'on s'est entendu au sujet de nouvelles règles pour le règlement de différends portant sur des mesures sanitaires et phytosanitaires, qui touchent en fait à la question des normes, de sorte que je ne vais pas vraiment l'aborder.

L'accord sur l'agriculture a été conçu dans le cadre d'un ordre du jour permanent, et fait partie du plan de construction pour le prochain cycle de négociations. Étant donné que nous nous approchons d'un nouveau cycle, je voudrais identifier les aspects qui devraient avoir une importance particulière pour le Canada relativement à sa politique agricole.

Le premier aspect a trait à la dynamique générale de la série de négociations à venir et comprend l'identification des principaux acteurs, ainsi que la reconnaissance de l'existence d'un climat nettement différent pour mener de nouvelles négociations, différent de ce qu'il était en 1986, lorsque l'Uruguay Round a commencé.

Le deuxième aspect a trait aux questions qui n'ont pas été réglées lors des négociations de l'Uruguay Round.

• 1030

Le troisième met en lumière les problèmes les plus sérieux que doit affronter le Canada relativement à ses obligations envers l'OMC.

En ce qui concerne le point un, je suggère que nous commencions notre questionnement sur les résultats éventuels de la prochaine série de négociations en examinant les forces dynamiques qui ont modelé les accords de l'Uruguay Round, en particulier dans le domaine de l'agriculture. Les questions agricoles, on le sait, ont bien souvent failli faire échouer les négociations durant l'Uruguay Round. Cela devrait nous apprendre quelque chose, et un examen attentif de notre façon d'aborder les questions agricoles, de l'importance que nous accordons à l'agriculture, devrait nous aider à établir notre programme pour l'avenir.

Dans le contexte d'un programme de négociations plus complexe, comme l'ont mentionné les interlocuteurs précédents, la nouvelle série de négociations va vraisemblablement inclure les questions environnementales, qui sont directement liées aux questions agricoles.

Dans son identification des principaux acteurs, le professeur Winham a mentionné—comme l'ont fait d'autres interlocuteurs—que les pays en développement avaient déjà joué un rôle important durant les négociations de l'Uruguay Round. Il s'agissait presque d'un événement sans précédent. Je crois que ces pays auront à jouer un rôle encore plus important dans les négociations futures, et il serait donc important de connaître leurs besoins et leurs demandes, ce qui nous amène à une autre catégorie. L'important pour les pays en développement, c'est qu'on les a convaincus qu'il serait rentable pour eux d'accepter la nouvelle libéralisation en agriculture, ce qui signifie qu'il faudra les convaincre qu'ils obtiendront leur juste part des avantages.

Cette question prend une signification particulière quand on aborde le sujet des négociations sur l'accession à l'OMC. Permettre ou non à l'État adhérent de devenir membre en vertu de conditions spéciales, avec un statut de pays en développement, a constitué un point de friction, et pas seulement pour ce qui est de la Russie ou de la Chine.

Eu égard au déroulement des négociations à venir, le Canada aurait tout avantage à bien comprendre la place qu'occupe le secteur agricole dans l'économie globale de l'État adhérent.

Au sujet des commentaires faits par le professeur McNiven, par exemple, la Pologne vient d'amorcer des négociations en vue d'adhérer à l'Union européenne. En Pologne, le secteur agricole emploie environ 35 p. 100 de la population active. Aussi, outre le problème politique, je pense qu'il s'agit là d'un problème économique très important. Je soulignerai dans mon dernier point que cela touche aussi au problème de l'emploi au Canada, particulièrement à cause de la récente crise financière qui a eu un effet nuisible sur la demande de produits agricoles en provenance des prairies canadiennes.

M. Daniel Turp: Au Canada, quel est le pourcentage de la population active dans le secteur agricole?

Mme Anna Lanoszka: Cela dépend où.

M. Daniel Turp: Pour l'ensemble du Canada. Vous dites qu'en Pologne c'est 35 p. 100.

Mme Anna Lanoszka: Je ne suis pas certaine.

M. James McNiven: Plus le pays est pauvre, en termes de PIB, plus l'agriculture occupe une part importante de l'économie.

Si vous passez la frontière entre la Pologne et l'Allemagne, ce pourcentage chute radicalement. Ici, 80 p. 100 des emplois ont trait aux services.

M. Daniel Turp: Donc, on a environ...

Mme Anna Lanoszka: Mais si vous allez en France, il augmente de façon significative.

Au Canada—j'aborderai ce sujet dans mon dernier point, mais il peut être plus indiqué de donner les statistiques tout de suite—130 000 familles comptent sur le soutien du gouvernement, dans trois provinces seulement—le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta.

L'instabilité du marché est un problème très important pour les pays en développement et les pays moins développés, et ce pour différentes raisons. Par exemple, la récente crise financière et la baisse subséquente des exportations, qui a entraîné la chute des prix des produits agricoles, ont eu pour conséquence dans des pays développés comme le Canada une certaine hausse des demandes de subventions, c'est-à-dire qu'il a fallu subventionner le revenu des agriculteurs, mais dans les pays en développement et les pays moins développés, on parle plutôt d'une question de survie. La perte des revenus tirés de certains produits agricoles a fait passer une partie importante de la population sous le seuil de pauvreté—pauvreté signifiant un dollar par jour par foyer.

• 1035

Donc, l'instabilité du marché est un problème assez important, et si les pays en développement doivent prendre part aux prochaines négociations sur l'agriculture, c'est peut-être pour cette raison qu'ils veulent le faire. De plus, nous avons appris comment peut varier l'instabilité du marché, et comment la prévoir. Par exemple, en 1995, les prix mondiaux des aliments ont approché les seuils les plus faibles des dernières décennies, avant de subir une augmentation subite.

Aussi, je pense que le Canada doit comprendre que la meilleure façon de faire face au problème de l'instabilité des prix du marché, c'est de faire campagne pour les prochaines négociations, en gardant à l'esprit que le secteur agricole est important pour les pays en développement, surtout pour le bien-être du pays et des familles.

En ce qui a trait au point deux, soit les questions en suspens découlant des accords de l'Uruguay Round, une des principales critiques, bien sûr, tient au fait que l'accord sur l'agriculture n'a pas vraiment permis de libéraliser les échanges dans le domaine des produits agricoles; il n'a pas réellement amélioré l'accès au marché. Même si l'accès au marché pour ce qui est des produits agricoles est maintenant régi par une politique basée sur des «tarifs seulement», le processus de tarification a mené à des tarifs tellement élevés qu'il est assez difficile de seulement imaginer le libre-échange des produits agricoles. Les mesures non tarifaires à la frontière sont maintenant remplacées par des tarifs qui procurent des niveaux de protection substantiellement équivalents, avec un accès stable ou accru pour ce qui est des contingents tarifaires à accès minimum.

Donc en bref, la principale lacune de l'accord sur l'agriculture est qu'il ne règle en rien le problème des hauts niveaux de protection à la frontière. Même si l'accord codifie l'application de l'aide intérieure, il permet toujours des subventions substantielles. Je pense que c'est très inquiétant. Pourquoi? Les exportations subventionnées ont tendance à faire baisser les prix mondiaux, ce qui à son tour entraîne une hausse des subventions nécessaires. Une analyse de rentabilité montre que dans le cas de la politique agricole commune de l'Europe par exemple, le coût combiné pour les consommateurs et les contribuables excède en fait le bénéfice pour les producteurs.

L'accord de l'Uruguay Round sur l'agriculture a permis de réaliser trois choses. D'abord, les barrières non tarifaires et les tarifs renégociés ont tous été transformés en tarifs consolidés. Deuxièmement, l'accord a permis d'interdire toute nouvelle subvention à l'exportation et de réduire celles qui existaient déjà. Troisièmement, on a commencé à s'attaquer au problème des subventions nationales, qui en fait protègent les agriculteurs contre la concurrence étrangère.

Ces arguments fournissent, selon moi, le point de départ des nouvelles négociations. Certains des tarifs qui ont remplacé les contingents sont fixés à des niveaux impossibles: 300 p. 100 sur le beurre au Canada, 550 p. 100 sur le riz au Japon, 215 p. 100 sur le boeuf congelé aux États-Unis. Il faut de toute urgence une plus grande libéralisation, non seulement parce que les tarifs et les subventions demeurent élevés et qu'ils appellent à d'autres subventions, mais aussi parce que les pays qui tentent actuellement d'adhérer à l'OMC comptent dans leurs rangs de gros producteurs agricoles et de très grosses entreprises agricoles d'État; c'est le cas notamment de la Chine et de la Russie. C'est le point de friction. L'agriculture est un sujet coriace dans les négociations.

Il y a aussi des signes encourageants, mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés. Entre autres signes encourageants, citons la récente loi agricole des États-Unis qui tend à limiter l'aide aux agriculteurs. Toutefois, les efforts en vue de réformer la politique agricole commune de l'Europe semblent vouloir échouer; il y a environ deux semaines, une tentative en ce sens a échoué.

• 1040

Une fois encore, du côté des signes encourageants, la Nouvelle-Zélande et le Groupe de Cairns, auquel le Canada appartient, ont tenté de mettre au point le programme des prochaines négociations. Ils ont soulevé cinq points: ils veulent placer le commerce des produits agricoles sur le même pied d'égalité que le commerce des autres produits; ils veulent l'élimination complète des subventions à l'exportation; ils veulent une plus grande rigueur dans l'utilisation des crédits à l'exportation; ils veulent une réduction des tarifs et une meilleure discipline à l'égard de l'aide nationale apportée.

En ce qui concerne le troisième point, soit les problèmes du Canada relativement aux obligations de l'OMC, j'aimerais vous faire part d'événements survenus récemment. Le premier concerne la récente réglementation de l'OMC concernant l'industrie laitière canadienne. Le second a trait au programme d'aide récemment annoncé pour les agriculteurs, qui pourrait totaliser 1,5 milliard de dollars. On prévoit une baisse de 20 à 30 p. 100 des revenus de cette année à l'échelle du Canada, mais ce sont là des chiffres erronés si on examine la situation des trois provinces que j'ai citées précédemment, soit la Saskatchewan, l'Alberta et le Manitoba. Les revenus des agriculteurs vont en fait chuter de 50 à 70 p. 100, ce qui constitue un écart notable. Les prédictions sont assez sombres. Il est possible que des subventions supplémentaires soient nécessaires.

Il y a plusieurs problèmes ici. Les subventions constituent selon moi un cercle vicieux. Plus on subventionne, plus on semble avoir besoin de subventions. Qui plus est, comme l'a si bien indiqué le Groupe de Cairns, nous manquons vraiment de discipline dans l'administration de l'aide intérieure. Bon nombre de ces agriculteurs sont lourdement endettés et il a pourtant été relativement facile pour eux d'obtenir du crédit. Ce pourrait être une question à creuser.

Un autre des problèmes concerne l'instabilité financière du marché mondial. Comme je l'ai dit, nous avons une économie mondiale interdépendante et la baisse de la demande pour nos produits agricoles nous a placés, c'est certain, dans une situation difficile. Dans un sens, nous devons obtenir une certaine coordination internationale en ce qui concerne les questions agricoles. Il semble que nous n'arriverons pas à résoudre ces problèmes par nous-mêmes. Mais cela nous ramène à mon point précédent au sujet de la stabilité du marché international.

En conclusion, nous avons perdu la cause de l'industrie laitière. J'ai un mémo ici dans lequel on indique que le gouvernement canadien s'apprête à consulter les provinces pour voir ce qu'on pourrait faire, à savoir porter ou non la cause en appel. Je prétends que les subventions à l'exportation ne sont vraiment pas la bonne façon de résoudre le problème et je ne suis pas certaine qu'il pourra être résolu unilatéralement, sans une coordination de l'organisation internationale de l'OMC, des autres membres et des producteurs laitiers. En passant, lorsque les pourparlers ont échoué en Europe, un des points au programme concernait la réforme de l'industrie laitière, et cette réforme ne va malheureusement pas avoir lieu.

En conclusion, il est important de souligner que le succès du prochain cycle de négociations commerciales entre les 134 États membres—et non 133 comme le mentionne le mémo que j'ai ici, puisque le 10 février la Lettonie est devenue le dernier membre en règle—pourrait dépendre de la façon dont seront abordées les questions agricoles. Le Canada, en tant que membre du Groupe de Cairns, a un rôle important à jouer dans l'établissement du programme de négociations et dans l'obtention d'un accord qui devra tenir compte autant des besoins des pays en développement que de ceux des pays développés. Il faudra absolument exiger des progrès en matière de libéralisation des échanges agricoles mondiaux, tout en gardant à l'esprit nos propres préoccupations nationales.

• 1045

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup Madame Lanoszka.

Très bien chers collègues, nous allons passer aux questions. Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: J'aimerais faire une suggestion, madame la présidente. Nous avons entendu toutes sortes de choses intéressantes, et il est merveilleux que les gens de Dalhousie donnent de leur précieux temps à la population canadienne. Allez voir le président de l'université et dites à vos doyens que c'est un service public de votre part.

Mais laissez-moi essayer de diviser le tout en quelques thèmes et peut-être aurons-nous le temps...

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): S'il vous plaît.

M. Daniel Turp: ...et l'exercice sera peut-être plus dynamique.

Premièrement, les négociations de l'OMC—les observateurs, la société civile, le programme et les nombreux points qui pourraient aider à établir une sorte de dialogue.

Deuxièmement, le règlement des différends. Il y a des choses qui doivent probablement être dites à ce sujet, et très peu ont été dites. Nous avons entendu Don McCrae il y a quelques jours et il a dit différentes choses.

ZLEA et culture—personne n'a parlé de culture, donc c'est probablement...

Une voix: J'en parle en ce qui concerne...

M. Daniel Turp: D'accord, mais je pense qu'il serait intéressant d'être précis.

M. Hugh Kindred: Je pense avoir fait la distinction entre les questions commerciales économiques et les autres préoccupations que nous avons soulevées.

M. Daniel Turp: Peut-être que ça devrait être ça—environnement, main-d'oeuvre. Mais ces éléments font en bout de ligne partie du programme.

Le dernier élément, c'est la mobilité. Je pense que nous n'en avons pas encore parlé et je crois que nous devrions le faire en raison de vos préoccupations quant à sa signification.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Ce que j'aimerais faire toutefois, c'est de ne pas mettre la ZLEA à part. Je pense que les dispositions de la ZLEA, en particulier quand il est question de négocier la présence de la société civile dans le programme... La ZLEA a en fait prévu des consultations avec la société civile. Nous avons peu parlé de la place de la société civile. La ZLEA essaie très fort d'inclure la société civile, et les plus petites économies, les pays en développement, ont de la difficulté à se tourner vers la société civile parce qu'ils ne veulent pas nécessairement se tourner vers la société civile. Donc, si on parle de la société civile et si on veut l'inclure, je pense que nous devrions examiner la question séparément pour ce qui est de la ZLEA aussi.

M. Daniel Turp: Je penserais que la ZLEA... est-ce que cela va fonctionner? Est-ce réel? Est-ce que le cabinet...

[Note de la rédaction: Difficultés techniques]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): ...

M. Daniel Turp: Je suis d'accord avec le fait que toute cette question de société civile ne concerne pas que l'OMC, cela concerne la ZLEA...

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): La ZLEA essaie très fort d'engager la société civile. Ils ont constitué un site Web distinct et un groupe distinct pour la société civile. Donc, c'est quelque chose de nouveau, et je crois—et messieurs, corrigez-moi si je me trompe—que l'OMC n'a pas cet engagement.

M. Daniel Turp: J'aimerais juste récapituler: les négociations de l'OMC, le règlement des différends, la culture, l'environnement, la main-d'oeuvre, la ZLEA... ces cinq sujets. Peut-être pourrions- nous essayer de discuter plus ouvertement de ces cinq sujets. Seriez-vous d'accord?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Oui, absolument.

M. Daniel Turp: Pourrais-je débuter avec les négociations de l'OMC?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Oui, allez-y.

M. Daniel Turp: La question a déjà été soulevée par les gens à Ottawa—la participation de la société civile. Il y a eu une réunion la semaine dernière au sujet de l'éventualité que l'OMC fasse participer la société civile aux discussions sur l'environnement et le développement...

[Note de la rédaction: Difficultés techniques]

M. Gerry Schmitz (attaché de recherche du comité): ...sur le commerce et l'environnement puis ensuite sur le développement du commerce. Il y avait bon nombre d'ONG participantes intéressées pour de nombreuses raisons.

M. Daniel Turp: Donc, ils ont commencé à le faire, mais la critique veut que ça ne fasse pas partie du système comme aux Nations Unies, où ils ont statut d'observateurs.

Vous avez ajouté une chose intéressante. Le processus devrait inclure aussi des organisations intergouvernementales. Ma question est la suivante, comment cela devrait-il fonctionner? Comment pourrait-on les inclure dans les prochaines négociations à venir si celles-ci doivent débuter après la réunion de Seattle? Les représentants des accords commerciaux régionaux, comme l'ALÉNA ou le MERCOSUR, devraient-ils aussi faire partie des prochaines négociations?

• 1050

M. Bob Speller: Pourriez-vous également apporter quelques commentaires sur ces groupes et sur la façon dont devrait se dérouler le processus de règlement des différends?

Mme Wendy Lill: J'aimerais poser une autre question à propos d'une chose à laquelle Hugh Kindred a fait allusion: j'ai cru comprendre qu'il y a toujours eu exclusivité autour de ce type de discussions au sujet du GATT et de l'OMC, alors que les Nations Unies ont toujours accepté les observateurs, et que les gens ont bien d'autres moyens pour participer. Les Néo-démocrates, comme vous le savez sans doute, ont beaucoup de problèmes avec tout ce côté inévitable des discussions de l'OMC. Beaucoup pensent qu'un moratoire serait utile, afin que tous puissent avoir le temps, d'examiner la question et d'en évaluer les coûts jusqu'ici.

Aussi ma question serait la suivante, serait-il possible d'utiliser une autre tribune? Pourrait-on utiliser la tribune de l'ONU où on pourrait commencer à examiner certaines des grandes questions, comme la main-d'oeuvre, l'environnement, les droits de l'homme et la culture? Vous songez à d'autres tribunes et tribunaux pour ces choses. Où cela aurait-il lieu?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vais revenir à ce que j'ai dit, soit qu'on tente actuellement de mettre ce processus en place pour l'ALE, et si cela fonctionne pour eux, ne pourrait-on pas s'en servir pour l'OMC? Nous parlons d'une société civile. Une fois encore, quelle est la définition de société civile? Les entreprises m'ont mentionné de ne pas oublier que les entreprises font partie de la société civile, mais on semble vouloir les écarter des consultations.

Sarkis, voulez-vous ajouter quelque chose avant que nous passions à cette partie?

M. Sarkis Assadourian: J'étais sur le point de souligner quelque chose à l'intention du professeur Winham. Dans le dernier paragraphe de votre exposé, vous dites qu'à moins que le programme d'un nouveau cycle de négociations soit raisonnablement équilibré, il échouera. Quand vous dites cela, songez-vous à la Russie et à la Chine et à certains autres pays d'Amérique du Sud qui ne sont pas membres de l'OMC, et êtes-vous en train de nous dire que les négociations vont échouer par que tous ne font pas partie du conseil?

M. Gil Winham: Non, monsieur Assadourian, ce n'était pas mon intention. Ce que je veux dire, c'est que les pays qui sont actuellement membres de l'OMC participeront, de plein droit, à un nouveau cycle de négociations, et que pour l'instant, cela n'inclut pas la Chine et la Russie. À mon avis, nous devrons adopter une position équilibrée pour qu'une négociation entre ces pays puisse réussir.

Les choses auxquelles je faisais allusion, et que je n'ai pas incluses dans mes remarques ou dans mon texte par manque de temps, touchent par exemple à la négociation des tarifs. À mon avis, en dépit de ce qu'aurait dit Michael Hart, les tarifs ne sont plus pertinents; ils sont certes pertinents pour les pays en développement, et l'accès des pays en développement aux pays développés est certainement une question pertinente. Par conséquent, j'aurais tendance à croire qu'une nouvelle libéralisation dans ce secteur serait importante pour les pays en développement.

Quant aux textiles, auxquels personne n'a fait allusion, la date limite—comme le stipule l'accord sur le textile et le vêtement de l'Uruguay Round—n'arrive pas avant 2004, aussi les pays développés ont une raison fonctionnelle pour ignorer le problème. Pour moi, cela semble une erreur, parce que ça a toujours été une des questions importantes de l'Uruguay Round. Cela a servi de compensation et de compromis relativement aux engagements pris par les pays en développement dans le domaine de l'ADPIC et dans le domaine des services, particulièrement pour les nouvelles questions, que nous voulions favoriser en tant que pays développé.

Quant à la question de l'antidumping, que mon collègue, Brian Russell, a soulevée, il semble que les pays en développement soient souvent la cible des actions entreprises par les pays développés; aussi, un certain assouplissement des règles, ou même l'adoption de nouvelles règles, permettrait, je pense, de faciliter l'atteinte d'un équilibre entre les questions qui se présentent.

N'oublions pas qu'une des choses auxquelles tenaient vraiment les pays en développement dans l'Uruguay Round, c'était la création d'un système de règlement des différends, chose qui permettrait aux pays faibles de compter sur un système axé sur les règles plutôt que sur les pouvoirs. C'était aussi dans notre intérêt et nous avons appuyé cette idée. Aussi, même la création de l'Organisation mondiale du commerce a constitué une victoire pratique et symbolique importante pour les pays en développement, et n'oublions pas que les États-Unis ont résisté jusqu'à la dernière minute à la création de l'OMC.

• 1055

Ces questions sont maintenant derrière nous. Par conséquent, les éléments qui ont aidé à équilibrer le programme des dernières négociations ne sont plus là. Nous avons besoin de nouveaux enjeux, et je voulais dire dans mon texte que je pense que la délégation canadienne doit être attentive à cela et doit essayer de trouver ces nouveaux enjeux.

M. Sarkis Assadourian: Mais près de deux milliards de personnes sont actuellement exclues de l'OMC.

M. Gil Winham: Oui.

M. Sarkis Assadourian: Comment cette chose pourrait-elle fonctionner correctement quand on a deux milliards de personnes, 1,1 ou 1,2 milliard en Chine seulement, qui influent sur l'élaboration des politiques de l'OMC?

M. Gil Winham: D'abord, elle fonctionne efficacement pour les pays qui en sont membres. Mais, deuxièmement, je suis totalement d'accord avec vous quand vous dites que l'organisation serait plus forte si elle était universelle. Aussi, j'appuierais totalement le mouvement, qui existe maintenant, visant à amener la Chine et la Russie dans le processus d'accession.

Le problème, toutefois, avec les accessions—et nous avons ici notre expert qui a travaillé à la question—c'est que si on accepte des pays qui n'ont pas de structures de marché, ou des pays qui en raison de leur taille pourraient avoir une incidence réelle sur l'organisation, on pourrait finir par avoir des problèmes avec l'organisation.

Lorsqu'on considère certains des pays qui tentent actuellement d'adhérer à l'Organisation mondiale du commerce, il est intéressant de voir à quel point l'OMC a fait des progrès en vue de devenir une organisation efficace axée sur les règles. Lorsqu'on prend un pays comme la Jordanie, par exemple, qui tente actuellement d'adhérer à l'organisation, on réalise qu'ils ont un bon bout de chemin à faire avant d'atteindre le niveau qu'on exige maintenant des membres de l'OMC. La chose est vraie aussi pour la Chine et la Russie.

Si la Jordanie devait être acceptée et ne pas satisfaire à toutes les normes, cela aurait relativement peu de conséquences sur l'organisation, mais si on acceptait la Chine, qui pour l'instant manque de transparence dans certains secteurs de sa réglementation interne, je crois qu'on aurait là un problème de nature organisationnelle, qui n'existe pas avec les pays plus petits. Cela étant dit, je pense que l'idée d'inclure la Chine est la bonne chose à faire, et que l'organisation n'en sera que plus forte.

M. Bob Speller: Pensez-vous que cela ralentira le processus à l'avenir?

M. Gil Winham: Je suis désolé. Je saisis mal ce que vous voulez dire.

M. Bob Speller: Vous avez un processus de changement. Une fois qu'on les accepte, cela crée un problème au début, mais si on tente de les changer, un pays comme la Chine, avec toute son influence, cela devient beaucoup plus difficile.

M. Gil Winham: La réponse est oui, et je le pense en raison de la situation actuelle. J'ai parlé d'une négociation sur les investissements. Le gros enjeu maintenant, c'est entre les pays développés et les pays en développement. Si on accepte la Chine, ils seront probablement dans une position semblable à celle de l'Inde, et cela ralentira les choses. Mais en bout de ligne ce serait préférable d'avoir une organisation universelle, même si les choses doivent aller plus lentement, à mon avis.

M. Daniel Turp: Quel type de statut les candidats à l'accession auront-ils du point de vue de leur participation aux négociations? Seront-ils des observateurs invités à participer?

M. Gil Winham: Je crois qu'il faudrait demander à ma collègue.

Mme Anna Lanoszka: Ils pourront assister à toutes les réunions, à l'exception des réunions bilatérales sur les négociations, qui sont...

M. Daniel Turp: Il y 134 membres, et vous me dites qu'il y a 33...

Mme Anna Lanoszka: Il y a 33 pays adhérents.

M. Daniel Turp: Donc, 167 pays sur 191 seront là.

M. Gil Winham: Oui.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je n'ai pas entendu ce que vous avez dit madame Lanoszka. Quel sera leur rôle?

Mme Anna Lanoszka: Les pays actuellement engagés dans le processus d'accession pourront participer aux réunions du conseil général à titre d'observateurs, bien qu'ils semblent peu en mesure d'avoir quelque influence que ce soit.

M. Sarkis Assadourian: Ma collègue, Wendy, mentionne que nous devrions avoir un regard du type de l'ONU pour l'OMC. Mais je pense que l'OMC représente une grosse victoire pour les pays plus petits, parce que certains des gros pays membres de l'ONU ont un droit de veto. Je ne pense pas que nous irions très loin à l'ONU si nous devions mener cette négociation jusqu'au bout, mais à l'OMC, tous les pays sont à la base égaux, et personne n'a de droit de veto. Ai-je raison?

M. Gil Winham: Vous avez absolument raison.

M. Sarkis Assadourian: Donc, l'OMC est une tribune différente où il est possible de discuter plus ouvertement et sur un pied d'égalité.

M. Gil Winham: L'OMC fonctionne à partir de consensus, ce qui signifie—et c'est même précisé dans la loi maintenant—que toutes les parties à la table doivent être d'accord. Cela signifie que si vous n'êtes pas d'accord, vous pouvez quitter la table et sortir, et ils peuvent obtenir le consensus avec ceux qui restent. C'est un mécanisme juridique important qui permet la dissension dans les rangs.

• 1100

M. Sarkis Assadourian: Il n'y a pas de droit de veto.

M. Gil Winham: Tous ont un droit de veto qui stipule que s'ils sont à la table et qu'ils ne sont pas d'accord, la question ne passe pas. N'oublions pas que durant les négociations de l'Uruguay Round, plusieurs pays en développement—des pays latins—ont mis fin à une réunion à Montréal—il s'agissait d'une réunion très importante à ce moment—simplement parce qu'ils n'étaient pas d'accord avec l'exception présentée par les pays développés au sujet de l'agriculture.

M. Daniel Turp: Je suppose que c'est pour ça que certaines personnes insistent tellement pour que les choses se passent au niveau de l'OMC, parce que c'est une organisation qui peut être modelée ou modifiée, où des choses peuvent se produire, alors que ce n'est pas le cas avec le BIT et l'ONU et les autres organismes. Mais est-ce possible?

Je ne me rappelle plus qui a dit cela, mais c'est comme le GATT; c'est un successeur du GATT. Le GATT a une culture; le GATT a une façon de travailler. Est-ce que ça va vraiment changer si on accepte à la table les observateurs et les autres organisations internationales?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je pense que M. Russell a une réponse, et M. McNiven.

M. Brian Russell: À mon avis, la question que vous soulevez est très juste. Laissez-moi revenir en arrière une seconde. Jim a peur que le Canada devienne la région nordique de l'Amérique du Nord. J'ai peur de mon côté que l'OMC devienne le sous-sol des politiques commerciales, dans le sens que l'on place au sous-sol toutes ces choses que l'on ne sait pas où mettre. À mon avis, bon nombre de questions ont été ramenées dans le contexte de l'OMC parce qu'on ne savait pas où les mettre. Il n'existait aucune autre façon de traiter de ces questions. L'OMC, en particulier maintenant, semble incroyablement attrayante pour ce qui concerne toutes ces questions dont on ne sait pas comment traiter, parce que l'OMC possède un système de règlement des différends qui a force de loi.

Donc, si on ne sait pas comment traiter d'une question et si on veut qu'une décision soit prise, il suffit de la ramener dans le contexte de l'OMC et probablement qu'une décision arbitrale pourra en ressortir.

Donc, de ce point de vue, l'OMC semble très attrayante. Toutefois, selon moi, beaucoup des questions qui sont ramenées dans le contexte de l'OMC actuellement, et on peut certainement inclure les questions liées à la main-d'oeuvre, ne cadrent pas avec la culture de l'OMC.

Et si vous êtes déjà allés au siège de l'OMC et avez vu le... L'OMC a toujours été fière d'être une petite organisation, efficace, avec une atmosphère de petit club, et les échanges commerciaux n'ont toujours constitué qu'un petit élément ésotérique en marge du processus d'élaboration des politiques économiques; ça été comme ça de 1945 jusqu'au milieu des années 80 à peu près lorsque les choses ont commencé à changer. Aujourd'hui, tout à coup, les échanges commerciaux occupent maintenant le centre des activités, et je ne crois pas que la culture de l'organisation se soit adaptée à cela.

Aussi, pour ce qui est de savoir si les choses peuvent changer, oui elles le peuvent, mais ce dont vous parlez ici c'est d'un changement majeur dans la culture... Regardons simplement ce qui s'est produit durant les deux ou trois dernières années. Ils ont maintenant un site web. On publie beaucoup plus de documents, qui sont beaucoup plus accessibles. Des étapes ont été franchies, mais il reste beaucoup à faire. Et selon moi, les choses dont Hugh parlait notamment—exposés amicus curiae et autres choses du genre—pourraient être très utiles, par exemple dans le processus de règlement des différends, en ce sens qu'elles permettraient de l'élargir.

Mais la route est certainement encore très longue, et ils n'ont pas tant d'expérience que ça. Ils utilisent en fait un processus d'apprentissage par la pratique.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur McNiven.

M. James McNiven: Je suppose que je pourrais utiliser mes fonctions passées, puisque je suis l'intrus ici.

Honnêtement, plus il y a de personnes dans l'OMC, plus on y jette de choses. Oui, on obtient en bout de ligne l'effet sous-sol.

Ce qui va arriver, là où le vrai commerce—et c'est pourquoi je suis intervenu, et j'y reviendrai encore—entre les trois grandes zones de la planète représente 80 p. 100 du commerce mondial, ou 75 p. 100, quelque chose de cet ordre... Donc, très bien, acceptons la Lettonie, acceptons l'Afrique du Sud, acceptons la Russie, acceptons la Chine. Donc le vrai travail est fait. Ce projet d'inscription, ou le fait d'arrêter tout le monde à la frontière à Détroit pour leur poser une question, aura plus de conséquences commerciales. Cette simple petite motion par les États-Unis aura plus de conséquences sur le commerce mondial que bien d'autres choses qui se déroulent à l'OMC.

Aussi, nous devons garder cela en perspective. Gardons en perspective que si l'OMC n'arrive pas à résoudre les grandes questions difficiles que lui soumettent les principaux joueurs, parce qu'il y a trop de gens différents, ces derniers vont quitter et résoudre ces questions eux-mêmes. Ce qui va se passer alors, c'est que la discussion va prendre la forme des discussions UE- ALÉNA.

Donc, je veux simplement mentionner qu'il faut garder en perspective que si l'OMC n'arrive pas à s'organiser de manière à répondre... Il y a simplement trop de gens à la table, et on parle de trop de choses. Tout va se faire derrière des portes closes à Washington ou à Bruxelles.

• 1105

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Madame Lanoszka.

Mme Anna Lanoszka: Je pense, curieusement, que l'OMC se défend assez bien avec l'ampleur des questions présentées. Je ne pense pas que les problèmes soient proportionnels au nombre de membres. Au contraire, certaines questions sont en fait éliminées.

Durant les négociations de Kiribati, par exemple, la question des subventions à l'industrie du sucre est venue sur la table. La question était très intéressante et elle s'est presque rendue jusqu'à la dernière étape des négociations. En passant, au sujet du droit de veto et des modalités d'accession, lorsque le pays adhérent mène les négociations, n'importe quel membre de l'OMC peut se joindre aux négociations à n'importe quel moment et porter ses demandes et ses questions au programme.

C'est exactement ce qui s'est produit durant les négociations de Kiribati, lorsque la question du sucre est soudainement devenue très importante et que Cuba a insisté pour avoir son mot à dire. Cuba, jusqu'alors, n'était pas membre du Comité de travail, mais il était accepté aux réunions. Le processus a été assez long, les médias s'en sont même mêlés, comme certaines organisations non gouvernementales.

Curieusement, tout le monde s'est mis à parler du sucre et cela a eu un effet assez positif. Non seulement a-t-on parlé du sucre dans le contexte du processus de négociations de Kiribati, alors que la République du Kiribati est finalement devenue membre, mais cela a en fait permis de mettre en lumière certains problèmes de l'industrie du sucre.

Aussi, je ne suis pas certaine d'être d'accord avec l'argument qui veut que plus il y a de membres, plus il y de problèmes. Parfois, le fait d'avoir plus de membres peut aider à résoudre certains problèmes oubliés ou cachés.

Il y avait une autre question ici...

M. James McNiven: Si l'OMC n'est pas en mesure de répondre aux questions des principaux partenaires commerciaux, ces questions vont simplement se retrouver devant des comités bilatéraux ou...

Mme Anna Lanoszka: J'affirme qu'elle y arrive.

M. James McNiven: C'est tout ce que je voulais dire.

Mme Anna Lanoszka: Par exemple, comme on le sait, l'organe exécutif de l'Union européenne a démissionné il y a une semaine. L'Union européenne se retrouve donc sans son organe exécutif. Peut- être cela prouve-t-il que les questions ne seront pas traitées au niveau régional. Il est plus efficace et plus réalisable de les traiter à un palier multilatéral, principalement international.

M. Daniel Turp: Mais la démission n'était pas liée à ces questions. Il était plutôt question de fraude et de la façon dont travaille la commission.

Mme Anna Lanoszka: Le conflit à propos des bananes a en fait permis de montrer comment l'Union européenne représentait mal les intérêts de la Communauté européenne quand il est question de commerce.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Kindred.

M. Hugh Kindred: Dans cette discussion, nous oublions un point important à propos de ce que j'appelle le pouvoir juridique de l'OMC. Il existe différentes organisations intergouvernementales à travers le monde chargées de traiter de différents aspects de l'activité humaine. L'ONU n'est qu'une rubrique regroupant différents groupes. Aussi, c'est principalement l'Organisation internationale du travail qui traite des questions de main- d'oeuvre, les problèmes environnementaux sont traités par le programme environnemental des Nations Unies, les questions de santé sont traitées par l'Organisation mondiale de la santé, et les questions commerciales sont traitées par l'OMC.

Ce sont toutes des organisations intergouvernementales internationales auxquelles peuvent se joindre les États. Mais l'OMC, dans sa façon de travailler, se distingue quelque peu des autres organisations. Tout d'abord, on ne peut s'y joindre si on n'y est pas invité—c'est là qu'on parle d'accession. Un pays n'est invité à se joindre à l'organisation que lorsqu'il satisfait à un certain ensemble de normes dans sa propre administration nationale. Avec les autres organisations, on peut s'inscrire, payer sa cotisation et participer aux réunions aussi souvent qu'on le souhaite.

Ensuite, il faut dire que l'OMC en arrive durant les négociations—une activité générale avec tous les membres—à atteindre un consensus, et ce sur quoi on s'entend devient obligatoire et exécutoire pour chaque membre de l'organisation à ce moment. Cela devient exécutoire en ce sens que n'importe quel État membre peut vous amener devant un jury et par l'entremise du processus de règlement des différends obtenir un jugement contre vous, puis ensuite prendre des mesures contre vous si vous ne vous y conformez pas. Cela diffère totalement des autres organisations qui tiennent des négociations. Vous pouvez consentir aux négociations, vous pouvez finir avec un traité, et vous pouvez volontairement participer au traité ou rester en dehors du traité tout en étant toujours membre de l'organisation.

• 1110

L'exécution ou non du traité dépend du traité lui-même et de son mécanisme. Ce n'est pas l'organisation elle-même qui voit à son exécution. Donc, l'OMC est la plus exigeante de pratiquement toutes les agences spécialisées internationales, y compris les organes de l'ONU, mis à part peut-être le Conseil de sécurité, mais il traite de paix et de sécurité et ça n'a rien à voir avec toutes ces autres questions. L'OMC est le seul organisme qui vous oblige, si vous en devenez membre, à vous conformer aux consignes. Cela en fait une organisation tellement différente des autres.

M. Bob Speller: Même s'ils se conforment...

M. Hugh Kindred: Probablement, oui. C'est le fondement juridique de la chose. L'autre chose que nous ne voulons pas perdre de vue, c'est tout ce contexte politique. Qui décide du programme? Ceux qui ont des grands intérêts économiques dans le monde, comme les États-Unis, naturellement.

Les dirigeants de ces pays savent qu'ils peuvent soumettre une question à l'OMC et obtenir la décision qu'ils souhaitent obtenir, et que cette décision sera respectée partout dans le monde parce qu'elle sera exécutoire.

J'ai essayé de dire, et Brian l'a répété tantôt, que la culture de l'OMC est une culture axée sur le marché. L'idée c'est de démanteler les barrières commerciales et de ne pas avoir de règlements. C'est pourquoi on n'a besoin que d'un petit secrétariat, parce qu'il n'y a rien à réglementer. On ne fait que surveiller ceux qui ont enlevé les barrières.

Dans tous les autres domaines de l'activité humaine, qu'il s'agisse de mobilité des organisations ouvrières, de normes de travail, de politiques sur la concurrence ou de protection de l'environnement, il faut qu'il y ait des règlements stipulant comment on doit agir, et il faut qu'il y ait des personnes qui passent voir si on respecte les règlements. Cela fait augmenter la taille de l'organisation. C'est pourquoi les autres organisations sont beaucoup plus grosses, tout en étant moins efficaces et moins puissantes, parce qu'elles ne peuvent compter sur les mêmes contraintes.

Comme je vois les choses, et cela devient plus politique que juridique, les États-Unis ont pris jusqu'ici les décisions qui leur convenaient, et ils ont été amenés à soumettre à l'ONU, au cours des deux dernières décennies au moins, chacune des questions qui étaient liées à des échanges commerciaux pour lesquels ils auraient aimé voir s'installer un climat de libre-échange. Et ce fut fait. Nous avons débuté de cette façon avec le GATT pour les biens uniquement. Pourquoi avons-nous ajouté les services?

De nombreux pays en développement, particulièrement le Brésil et l'Inde, les deux gros pays qui quittent, ne voulaient pas cela du tout. Les autres pays du monde industrialisé veulent le libre- échange des services, qu'il s'agisse de services bancaires ou de services à l'investissement. Autrement dit, ils veulent un marché où il sera possible d'exercer une concurrence sans aucune restriction nationale.

Les pays en développement, croyez-le ou non, ont dû abandonner la lutte sur ce point, étant donné la manière dont fonctionne l'OMC, il y avait plus à perdre en ne signant pas les accords de l'Uruguay Round et en refusant qu'un système de libre-échange des services s'installe... qu'il y avait à gagner.

Dans la même optique, nous avons les MIC et les ADPIC. Qu'est- ce que les ADPIC? Ce sont des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Cela ne concerne pas l'ensemble de la propriété intellectuelle; cela ne concerne que certaines parties de la propriété intellectuelle qui intéressent ceux qui ont soulevé la question.

Ils ont sorti cette question, comme je l'ai suggéré plus tôt, de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l'OMPI. Cette organisation a été mise sur pied pour traiter de ces questions et elle est moins efficace. Elle a beaucoup de problèmes internes, en partie parce qu'elle a tenté de trouver des normes uniformes pour l'administration des règlements.

• 1115

La partie de la propriété intellectuelle qui a été amenée vers l'OMC est la partie qui a créé ces nouvelles propriétés, et elle fait partie de l'OMC, donc elle ne sera pas assujettie à la réglementation; elle sera assujettie aux forces du marché libre. Vous créez la propriété. Vous dites qu'elle est partie intégrante de quelque chose pour laquelle vous pouvez faire commerce. Vous la placez sous la tutelle des règlements de l'OMC qui disent qu'il faut laisser les marchés décider et vous éliminez les systèmes de réglementation qui la concernent, et vous avez maintenant obligé le reste du monde à adopter ce système pour toutes les choses que vous considérez... donc, faire partie des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Ils ne sont pas intéressés à soumettre à l'OMC les choses pour lesquelles ils ne peuvent faire commerce, parce que ce n'est pas un intérêt de marché.

En conclusion, nous devons garder à l'esprit cette contrainte légale de notre programme politique quant à la question de savoir pourquoi nous sommes arrivés où nous sommes et où va nous mener le prochain cycle de négociations, à moins d'injecter d'autres valeurs et de tenter de changer la culture de l'OMC, comme Brian l'a souligné.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Wendy Lill.

Mme Wendy Lill: Nous devons aussi examiner le contexte politique, et je suis très inquiète à propos du contexte politique. En tant que députés, nous sommes au courant de la position très précaire de nos représentants gouvernementaux lorsqu'on a quelque chose en place comme l'AMI.

Seriez-vous d'accord pour dire que des accords commerciaux de ce genre peuvent en fait annuler les lois de notre Parlement. Quand j'examine ce projet de loi C-55, j'en viens à la conclusion que notre ministre du Patrimoine s'est en fait arrangée pour produire un projet de loi qui soit à l'épreuve de l'OMC, mais il ne semble pas être à l'épreuve des Américains. Même au moment où nous étions tous à donner nos pour et nos contre, les transactions continuaient à Washington. Donc, nous en savons très peu sur ce qui se discute ici. Nous parlons depuis trois heures, mais personne n'a mentionné le fait que les Américains sont les gros joueurs ici et que beaucoup d'autres petits joueurs sont écartés et leurs demandes oubliées.

M. Hugh Kindred: C'est un sujet simple. Dans ce cas-ci, le déroulement du processus n'a rien à voir avec le fait que les Américains sont gros ou petits, ou que nous sommes plus petits que d'autres pays. En tant qu'État souverain, nous faisons nos propres lois, mais nous sommes obligés de respecter les règles internationales auxquelles nous sommes liés. Par conséquent, s'il existe certaines normes à l'OMC qui lient un pays, nous devons les rendre exécutoires. Daniel peut confirmer mes dires à ce sujet; c'est une loi internationale.

L'inexécution d'une obligation sous prétexte que notre système juridique international ne nous le permet pas n'est pas défendable dans une arène internationale. Donc, on peut s'asseoir au Parlement et rédiger un projet de loi stipulant une chose, mais si cette chose vient contredire un règlement international, le Canada sera toujours en infraction et cette infraction aura des conséquences qui varieront. Donc, l'OMC peut prendre le Canada en défaut, même quand notre Parlement tente de passer une loi.

M. James McNiven: Le Congrès fait cela tout le temps.

Des voix: Oh, oh.

Mme Wendy Lill: Ce qui est arrivé au sujet de l'AMI est ce que vous appelez votre société civile... les centaines de milliers de Canadiens qui se sont réveillés et se sont aperçus qu'il y avait un autre organe au-dessus de notre gouvernement, alors qu'on pensait qu'on élisait nos représentants et qu'on avait un certain pouvoir. Je comprends ce que vous dites au sujet de l'importance du palier international, mais n'y a-t-il pas nécessairement un appui total de la part des nations et de la société civile de ces nations face à cet exercice? Nous savons tous que cela n'est pas encore arrivé.

M. James McNiven: J'aimerais revenir à cette question de société civile pour répondre rapidement à votre question. Si le gouvernement canadien, peu importe quelle partie du Parlement vous voulez appeler gouvernement canadien, signe un accord, cela signifie en fait que le gouvernement national est d'accord. Dire que c'est au-dessus de votre tête n'est pas vraiment juste, parce que vous n'avez pas à signer.

M. Daniel Turp: Mon ami est en train de dire que le gouvernement peut le signer, mais que les députés n'ont pas vraiment leur mot à dire sur la question.

M. James McNiven: C'est peut-être une lacune de notre système.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Nous devons traduire ces débats, donc je vous demanderais de parler un à la fois. Vous pouvez prendre la parole en alternance, mais là vous parlez tous en même temps.

• 1120

M. James McNiven: Si je pouvais simplement finir, c'est peut- être à cause de la façon dont nous organisons notre gouvernement, mais aucun gouvernement n'est parfait.

J'aimerais discuter de la question de la société civile dont vous avez fait mention dans le contexte de la ZLEA. Très rapidement, au sein de la partie commerce des Affaires étrangères—et cela remonte au moins à ma première réunion de consultation avec les gens du commerce en 1981, donc ça fait très longtemps—on a constamment tenu des consultations avec les gouvernements provinciaux et les autres personnes préoccupées par les questions commerciales. Nous avons alors adopté une invention mexicaine avant l'ALÉNA. En fait, nous avons commencé à jouer avec l'idée à peu près à l'époque de la ZLEA, mais les choses ont eu lieu longtemps après. Nous avons amené des groupes industriels à prendre part à ce qu'on appelle des GCSCE, des groupes de consultations sectorielles sur le commerce extérieur. Ces groupes étaient chapeautés par un Comité consultatif sur le commerce extérieur (CCCE). J'ai fait partie du GCSCE sur les pêches pendant quatre ou cinq ans, et Gil a fait partie du CCCE, mais je ne sais pas si Hugh y a participé.

Ce que je tente de dire, c'est qu'avec le temps je crois que nous avons réussi à obtenir un outil de transmission raisonnablement efficace pour toutes les questions qui préoccupent les industriels, en ce sens qu'on arrive à les diriger vers les responsables du commerce. Les responsables du commerce vont venir aux réunions et faire état de ce qui s'y passe. Il y a un dialogue, et je crois qu'on semble être intéressés. Je ne fais plus partie du CCCE depuis dix-huit mois ou deux ans, aussi je ne sais pas comment les choses se sont déroulées depuis, mais il se passe des choses.

Pourquoi essayer quelque chose de nouveau quand on a déjà quelque chose qui fonctionne? Pourquoi ne pas aller voir la partie Affaires étrangères du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international—les pousseurs de biscuits au lieu des marchands de poisson comme certains d'entre nous les appellent—et simplement dire aux pousseurs de biscuits que ce serait une bonne idée, dans le contexte de la ZLEA—nous ne parlons pas d'individus mal organisés quand nous parlons de la société civile; nous parlons de groupes d'intérêt, parce qu'autrement ça ne fonctionne pas—d'obtenir certains équivalents pour la ZLEA. On a déjà le côté commerce, et on n'a pas besoin du côté entreprise parce que ça existe déjà. Pourquoi ne pas réunir les différents groupes qui ont un intérêt dans les questions qui touchent à la ZLEA et les rassembler en quelque chose comme des secteurs? Je ne veux pas lancer des noms pour ces secteurs, mais plutôt établir un régime commun.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Allez-y.

M. Daniel Turp: Est-ce que cela est en train de se produire?

M. James McNiven: Je ne sais pas, mais à mon avis ça aurait du bon sens, parce qu'on a déjà ça de l'autre côté. Mais, n'oubliez pas, du côté de la culture et du commerce, avec l'ancien CCI et maintenant avec le MAECI, la norme a toujours été de consulter l'industrie. On a toujours consulté l'industrie ou les gouvernements provinciaux. Comme je l'ai dit, je reviens à Bob Johnstone en 1981, à ma première réunion, et il y en a eu d'autres avant. Peut-être cette culture n'est-elle pas là du côté des pousseurs de biscuits. Désolé, mais nous sommes un peu...

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Simplement pour clarifier un point, je crois que ce n'est pas du côté des Affaires étrangères; c'est du côté du Commerce international où on a en fait un site web de la société civile qui a été créé par des Canadiens, qui jouent le rôle de président de la ZLEA.

M. James McNiven: Vous voyez, ce ne devrait pas être là.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Mais c'est un bon point.

M. James McNiven: Ce devrait être du côté des Affaires étrangères.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je ne veux pas ralentir les forces ici, mais M. Winham attend depuis longtemps de dire quelque chose. Il continue de me regarder chaque fois que je me tourne vers lui. Peut-être que chacun pourrait réduire ses interventions à une minute ou à une minute et demie, parce qu'il nous reste beaucoup à faire.

Professeur Winham.

M. Gil Winham: Merci beaucoup, madame la présidente. J'essaierai d'être bref.

Je voudrais simplement dire que l'enjeu de la cause que nous avons perdue à l'OMC ne l'a pas été à cause de nouvelles règles. Il y avait des règles du GATT, et principalement l'article 3. L'article 3 a été approuvé par le Parlement canadien. En tant que profane, je supposerais, honnêtement, que la raison pour laquelle nous négocions actuellement avec les Américains, qui ne font rien d'autre que de faire valoir leurs droits—compte tenu qu'ils sont puissants, mais c'est ce qu'ils font—c'est parce nous savons que nous avons une cause juridiquement faible. Nous savons que nous avons accepté les règles. Nous n'avons pas appliqué les règles, et je crois que ces règles faisaient partie des négociations de l'Uruguay Round qui ont été mises en oeuvre par le Parlement.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Vous parlez de règles et le professeur McNiven parlait des GCSCE. Le GCSCE de l'industrie culturelle a parlé de culture en février, et il a recommandé la création d'un accord international en vue de traiter spécifiquement des questions de culture, de reconnaître la culture, pas seulement les biens et les services, mais une fois encore nous touchons à un nouveau secteur.

• 1125

Est-ce quelque chose de réalisable? Et où cela pourrait-il se faire, à l'OMC, ou faudrait-il commencer au niveau de la ZLEA?

M. Gil Winham: Je doute que ce puisse être à l'OMC, parce que je ne crois pas qu'il y ait suffisamment de pays qui pensent comme nous pour se joindre à nous pour faire cela. Les Mexicains ne seraient pas intéressés, les Argentins non plus, et ainsi de suite.

M. Daniel Turp: À part les Français...

M. Gil Winham: Exactement.

Mme Wendy Lill: Les Américains seraient-ils intéressés par cette idée?

M. Gil Winham: Probablement pas.

Quoiqu'il en soit, c'est une idée que j'appuierais, mais je ne crois pas que cela puisse se passer à l'OMC.

Le point que je veux soulever en réalité—et cela rejoint les commentaires de M. Turp—c'est quel devrait être le rôle de la société civile et des groupes de ce genre lors des négociations de l'OMC?

Je me considère comme un institutionnaliste rigoureux et je dirais qu'en tant que Canadien je n'ai aucune réticence à appuyer cette position. Je suis heureux que nous ayons une institution forte comme l'OMC—et je dirais qu'elle sert nos intérêts ainsi que les intérêts supérieurs de la communauté internationale—en rassemblant les gens sur les questions commerciales plutôt que de les laisser se battre les uns contre les autres. Dans la mesure où les relations commerciales sont favorisées j'en suis heureux.

Cette institution est formée d'administrations publiques, qui sont des gouvernements libéraux et représentatifs, en Occident surtout, et d'autres gouvernements qui se réunissent dans le cadre d'un processus de négociation. Ces gouvernements tiennent compte des groupes d'intérêt. Habituellement, il s'agit de groupes ayant un intérêt pour les affaires, mais les gouvernements ont habituellement—et notre gouvernement l'a fait—tenté d'organiser et de structurer les idées qui proviennent de ces groupes. Ils l'ont fait avec les groupes du milieu des affaires, mais aussi avec les groupes qui ont un intérêt dans le secteur de la main-d'oeuvre.

Nous sommes maintenant en présence de différents groupes qui manifestent leur intérêt à participer au processus, et oui, nous devrions bien sûr les écouter. Cela cadre bien avec les travaux de ce comité quant à la façon de conseiller l'équipe de négociation du Canada. Certes, on devrait organiser l'échange d'information de façon à savoir vraiment ce que pensent les Canadiens concernant les négociations commerciales.

Devrait-on néanmoins structurer un processus par lequel, comme l'a dit mon collègue, des groupes agiraient à titre d'observateurs directs lors des négociations entre les pays? Je ne le crois pas. Je pense que nous avons un ministère des Affaires étrangères qui s'acquitte de ce rôle. Nous sommes un pays démocratique, fondé sur des règles de représentation, et je pense que ce que nous faisons, c'est de demander au ministère des Affaires étrangères de nous représenter lors de ces négociations. Si des gens participaient directement aux négociations, je pense qu'à court terme nous n'aurions plus d'organisation internationale qui fonctionne. À titre d'institutionnaliste, je dirais que cela sert nos intérêts et que nous ne voulons pas détruire cela.

En fait, c'est aussi le cas pour les groupes de règlement des différends. Je fais partie d'un groupe de règlement des différends dans le cadre de l'ALÉNA, et nous avons systématiquement des procédures ouvertes lorsque nous tenons des audiences. De ce fait, quiconque peut faire des représentations et, évidemment, participer au processus et des arrangements peuvent être proposés par un intervenant désintéressé.

Les choses sont différentes à l'OMC actuellement. Les Américains soutiennent que cela devrait se faire, et pourrait aussi être fait, je pense.

Mais alors, dans le cadre de l'ALÉNA, une fois que les audiences sont terminées et que les membres du groupe de règlement des différends ont regagné leurs quartiers généraux pour prendre une décision, les groupes d'intérêt devraient-ils aussi participer à ce stade? Non, je ne pense pas que ce serait indiqué, comme je ne pense pas que ce le serait dans le contexte de l'OMC.

Ce que je veux dire, c'est qu'il existe bien des façons d'élargir le processus politique, mais que nous devons maintenir une certaine forme d'ordre et de structure en regard des prises de décision si l'on veut que les institutions conservent leur efficacité.

M. Daniel Turp: Qu'en est-il du Parlement? Monsieur Russell, vous avez dit plus tôt que le Parlement, qui représente le peuple, doit adopter des législations de mise en oeuvre. Mais tout a été décidé; tout ce que vous avez à mettre en oeuvre se trouve dans les textes. Vous ne pouvez modifier un iota du texte; vous devez mettre en oeuvre. En ce sens, quel est le rôle du Parlement?

M. Gil Winham: Monsieur Turp, je répondrais que cela relève davantage de la structure de gouvernement que nous avons au Canada, à savoir la structure parlementaire, que de la nature des ententes qui sont rédigées.

Si nous étions des Américains, nous aurions le Congrès disposant d'un pouvoir indépendant de celui de l'exécutif. Alors, évidemment, il serait davantage possible pour les parlementaires d'apporter des modifications à la législation, modifications dont devrait tenir compte l'exécutif. Mais ici, nous sommes en régime parlementaire, et nous avons un gouvernement majoritaire; notre système est différent. En conséquence, nous sommes limités.

• 1130

M. James McNiven: Considérez les choses comme ceci: nous sommes toujours sur la voie rapide.

M. Bob Speller: Voilà la question en réalité. Il veut savoir si oui ou non le Parlement ou le Congrès doit donner son appui à une entente une fois qu'elle a été déposée. Nous procédons après coup, mais nous n'apportons pas de changements.

Je pense que ce que vous demandez c'est si le Parlement peut ou non apporter des changements à une entente à l'étape du vote, parce que c'est ce que vous avez dit lors des discussions sur l'AMI.

M. Daniel Turp: Les Américains—comme vous le savez, Hugh—ont essayé de créer une situation où le gouvernement peut encore négocier et ne pas être empêché de négocier par des parlementaires qui veulent changer une ligne dans un texte négocié. Donc, ils ont leur voie rapide. Ils n'ont pas le choix d'adopter ou de rejeter le traité, mais à tout le moins, ils participent à la fin du processus. Notre Parlement ne participe pas...

M. Bob Speller: Mais nous participons puisque nous devons mettre en oeuvre le traité.

M. Daniel Turp: C'est après que tout a été décidé, et nous n'avons rien à dire sur le contenu. C'est pourquoi c'est difficile. Comme l'a mentionné M. McNiven, dans notre système, le Parlement n'a pas de rôle à jouer.

M. Bob Speller: Non, ce n'est pas différent du Congrès.

M. Gil Winham: Oui, en réalité, c'est un peu différent en ce sens que le Congrès, disposant d'un pouvoir indépendant, peut faire savoir à l'exécutif que s'il négocie ceci ou cela, il ne le fera pas accepter au Congrès. Ainsi, vous avez un pouvoir qui existe pendant le processus de négociation en raison du pouvoir que vous détenez à la fin du processus.

M. Bob Speller: Et cela fait partie de leur propre processus.

M. Gil Winham: Mais cela fait partie du système américain de séparation des pouvoirs. Nous avons un système de pouvoir unifié fonctionnant avec un cabinet; en conséquence, les parlementaires comme vous n'ont pas vraiment de rôle à jouer dans le processus. Et je ne sais si votre rôle est plus grand lorsqu'il s'agit de choses de plus grande envergure.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): M. Russell veut dire quelque chose.

M. Brian Russell: Il me semble que ce que Gil dit est tout à fait exact. Nous sommes en train de débattre d'une question de système.

Je ne suis pas nécessairement de ceux qui diraient que nous devrions adopter le système américain de gouvernement républicain. Il y a sans doute beaucoup de lacunes dans le système parlementaire, mais il y a aussi beaucoup de bonnes choses. Lorsqu'on voit ce qui se passe à Washington chaque jour, on s'aperçoit que ce n'est pas du tout la même histoire.

Il me semble qu'il existe certaines possibilités pour le Parlement de participer à ce processus. En fait, que faisons-nous ici aujourd'hui? Et que fait le présent comité? Il me semble que nous avons une raison d'être. Le comité produira un rapport, quelqu'un le lira et participera au processus de négociation d'une façon ou d'une autre.

La sanction ultime pour un Parlement en situation de gouvernement majoritaire est que si vous n'êtes pas favorable à la législation, vous votez contre, et que si suffisamment de gens sont d'accord avec vous, la législation ne sera pas adoptée et il n'y aura alors aucune mise en oeuvre. Mais il n'est pas possible de négocier un accord international avec 134 pays et que chaque pays veuille ensuite changer toutes les lignes de l'accord. Dans ces conditions, il n'y aura pas d'OMC; il n'y aura pas d'accords internationaux.

M. Daniel Turp: Vous laissez entendre, monsieur Winham, que la consultation auprès de la société civile—du moins, c'est ce que je comprends—devrait se faire principalement à l'échelle nationale. Mais comme nous l'avons vu à Rio, des ONG tiennent des sommets parallèles parce qu'elles n'ont pas la possibilité d'exprimer leur point de vue dans le cadre du processus de négociation, ou au moins de participer au débat, dans le grand forum lui-même.

Ne pensez-vous pas que nous devrions aussi accorder un rôle à la société civile dans le processus de négociation à l'échelle internationale? Ce n'est pas suffisant de le faire à l'échelle nationale—pas un statut d'observateur, mais une certaine forme de droit de parole dans les négociations ou dans le forum élargi. Je ne pense pas que ce soit suffisant au niveau national.

M. Gil Winham: Eh bien, vous m'avez épinglé correctement. Je crois que cela devrait principalement se passer au niveau national, là où se débattent les questions relatives aux politiques publiques. Mais au niveau international, j'ai peut-être plus confiance que vous en la capacité de la société civile d'agir comme le monde des affaires.

Le monde des affaires a toujours essayé d'influencer les négociations commerciales internationales. Il n'y a aucune raison pour que le Fonds mondial pour la nature ne fasse de même. En fait, allez là où se passent les négociations, à Genève disons, et essayez alors de parler aux délégations importantes et tentez de les influencer au sujet des préoccupations qu'elles ont au moment où elles font des représentations aux gouvernements nationaux. Je crois que c'est ce qui se produira lors de la prochaine négociation. Il n'est manifestement pas nécessaire d'instaurer des structures particulières pour que cela se passe ainsi.

• 1135

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Winham, avant que je passe à M. Stinson, qui a été lui aussi d'une grande patience...

M. Darrel Stinson: C'est beaucoup plus intéressant d'entendre la séquence venir de l'autre côté.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Winham, concernant ce que vous disiez sur la façon dont le monde des affaires a déjà été actif, y a-t-il un rôle pour la société civile lors des rencontres des ministres du Commerce international?

À titre d'exemple, nous tiendrons une rencontre des ministres du Commerce international sur l'ALE en octobre-novembre, et nous organiserons une réunion spéciale avec les gens d'affaires avant la rencontre elle-même. Peut-être est-ce parce que l'endroit où la société civile peut avoir le plus d'influence ce n'est pas en faisant partie de la table des négociations, mais en participant à ces rencontres de type ministériel.

M. Gil Winham: Je pense que dans toute forme de rencontre préparatoire, ou de rencontre ministérielle importante, oui, vous aurez des gens d'affaires et vous aurez, je présume, des représentants de la société civile, si ceux-ci font leur travail. Et je ne vois aucune raison qui les empêche de faire cela. C'est ce que le monde des affaires a toujours fait.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Le problème, c'est qu'au moment où a lieu ce genre de rencontre parallèle, elle est marginalisée et ne fait pas réellement partie du processus. Je ne sais pas ce que vous en pensez.

Monsieur Russell.

M. Brian Russell: C'est intéressant, nous sommes en train de nous demander si la société civile devrait ou non participer à ces négociations, et à quels niveaux elle devrait participer. Il s'agit selon moi d'une question rhétorique. Il est évident que la société civile participera à ce genre d'exercice.

C'est ce qui est ressorti de l'AMI. C'est pour cette raison que l'AMI n'est pas en vigueur actuellement, parce que la société civile dit que si on ne la laisse pas entrer par la porte d'en avant, elle entrera par la porte d'en arrière. Et il faut reconnaître, même si je suis en profond désaccord avec un grand nombre des gens qui ont participé à cette action, qu'ils ont fait un sacré bon travail et qu'ils ont été extrêmement efficaces.

Ce dont les membres du groupe des négociations commerciales et des institutions internationales doivent se rendre compte, et ils commencent à le faire, c'est que l'époque du thé et des biscuits à Genève est probablement révolue. D'une façon ou d'une autre, il faut faire preuve d'une plus grande ouverture.

M. James McNiven: J'aimerais quand même ajouter quelque chose.

Je ne veux pas être représenté par l'Organisation nationale anti-pauvreté. Je ne veux pas être représenté par une organisation féministe. Je ne veux pas être représenté par la fédération de la faune. Je ne veux pas être représenté par Centraide. Je veux que ce soit vous, vous et vous qui me représentiez. C'est là le sens de mon vote. Je peux à tout le moins contribuer à vous faire élire ou à vous faire battre. Je n'ai aucune influence sur ces groupes. Ils ne sont pas représentatifs tout comme les groupes d'affaires ne le sont pas. Ils ne font que représenter d'autres genres d'intérêts.

Je ne rejette pas ces intérêts, mais je ne veux pas être représenté par Tom d'Aquino ou des types de ce genre. Le fait est que nous votons, que nous avons des structures qui permettent à chacun de voter en faveur de certaines personnes. Toutes les autres structures sont... Je ne veux pas être représenté par l'Église presbytérienne, et ainsi de suite. Pour moi, c'est le dernier ressort.

Faites en sorte que toutes les personnes, que vous les appeliez la société civile, les gens d'affaires ou peu importe, puissent faire valoir leur point de vue devant les représentants élus ou les personnes qui relèvent d'eux, les bureaucrates. C'est bien. Mais lorsque la porte se referme, c'est à vous de négocier un accord, parce que vous êtes les seuls avec qui j'ai un lien, et je parle au nom d'un grand nombre d'autres citoyens.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Allez-y Darrel.

M. Darrel Stinson: Le seul problème, c'est la désinformation et les tactiques alarmistes qui sont utilisées.

M. James McNiven: C'est la même chose partout.

M. Darrel Stinson: Il faut tout de même prendre des mesures à cet égard.

M. James McNiven: Oui, mais vous le faites. Je vais vous écouter.

M. Darrel Stinson: Oui, vous le ferez.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Professeur Kindred, le président, puis le professeur Winham.

M. Hugh Kindred: Je n'imaginais pas lorsque j'ai parlé de la société civile que je susciterais autant de passion. Mais je n'utilise pas beaucoup ce terme. Je l'ai utilisé ici parce que je croyais qu'il s'agissait d'un terme familier.

J'y fais référence au sens des ONG et des OIG. Une ONG est une organisation composée de n'importe quel groupe d'intérêt, que ce soit les affaires, l'environnement, la politique ou les femmes. C'est un groupe de personnes qui ne sont pas l'État, qui ne représentent pas le gouvernement, qui ne représentent qu'elles- mêmes. Une OIG est une organisation intergouvernementale. Je pense que sur ce point je suis en accord avec Brian et, fondamentalement, en désaccord avec Gil et James concernant la participation de ces groupes d'intérêt et des ONG de l'ancien genre.

• 1140

D'abord, je pense que Brian a tout à fait raison. S'ils ne passent pas par la porte d'en avant, ils passeront par la porte d'en arrière. Mais je crois qu'il y a des avantages à les laisser passer par la porte d'en avant. Il faut qu'il y ait un système organisé. J'ai mentionné les Nations Unies tout simplement parce qu'elles sont dotées d'un système depuis des années. C'est un système en développement et les pratiques varient selon les diverses constituantes des Nations Unies, parce que personne ne sait vraiment comment traiter ce système en croissance.

C'est un processus qui permet d'avoir des observateurs. L'idée même, c'est que l'organisation, en l'occurrence l'OMC, doit mettre sur pied un bureau pour enregistrer ceux à qui elle accordera le statut d'observateurs. Il est possible d'établir toutes sortes de critères pour déterminer qui franchira la porte et qui ne la franchira pas. Puis, lorsqu'elle a octroyé le statut d'observateur, ce statut peut être assorti d'un éventail de droits différents relativement à la participation selon les désirs de l'organisation.

J'ai fait mention des trois grosses conférences des années 90 parce qu'elles ont eu beaucoup d'influence en regard de la participation des ONG. De plus, comme l'a mentionné Daniel Turp, c'est lors des deux premières, la Conférence de Rio et la Conférence de Beijing, que le tout le système d'observateur des ONG a été mis sur pied comme une forme de forum alternatif, parallèle.

Il y avait 35 000 femmes au forum alternatif à la périphérie de Beijing et 4 000 représentantes dans la ville. Voici pour la marginalisation. Mais nous dépassons maintenant ce stade. En effet, à la Conférence de Rome, les ONG étaient représentées dans la salle de la conférence. Elles ne peuvent pas participer à la prise des décisions, que ce soit en public ou en privé, parce qu'elles ne sont pas des membres votants. C'est une ligne absolue: l'observateur ne peut pas obtenir ce droit. Mais la question demeure: dans quelle mesure les observateurs peuvent-ils accéder aux gens et distribuer des documents qui peuvent avoir des répercussions sur les négociations?

Lors de la Conférence de Rome sur le Tribunal pénal international, elles ont eu une influence énorme, à tel point qu'un bon nombre des délégués présents, en particulier ceux des petits pays qui n'avaient pas d'expertise en matière de droit pénal international, faisaient confiance aux coalitions, les regroupements organisés d'ONG, pour obtenir l'information au jour le jour sur les négociations. Et quels étaient les impératifs politiques liés au fait d'être relégués aux corridors? Que ce soit bon ou mauvais, j'essaie seulement d'expliquer le degré de participation que l'on connaît maintenant.

La raison pour laquelle je crois que ce genre de chose serait valable pour l'OMC est, comme l'a dit Brian et comme j'essaie de le dire, qu'il y a une monoculture des idées déterminées par les contraintes du marché qui ne répond pas très bien aux problèmes environnementaux ou aux problèmes relatifs à la mobilité de la main-d'oeuvre ou à la diversité culturelle. De plus, les représentants qui sont délégués pour parler de ces problèmes au nom de leur gouvernement ont tendance à appuyer la culture de l'organisation en regard du marché des échanges internationaux.

Il est donc nécessaire d'intégrer d'autres personnes qui possèdent une expertise dans ces domaines, non seulement des représentants des organisations non gouvernementales, mais aussi des représentants des organisations intergouvernementales qui sont responsables de ces questions dans leur propre organisation, ce que fait aussi l'ONU. Un observateur peut être toute personne qui est accréditée et qui est un membre régulier d'une organisation intergouvernementale ou d'une autre association internationale.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Maintenant, madame Lill, monsieur Turp et monsieur Winham.

Mme Wendy Lill: Ce que vous disiez est très utile, et je voulais justement poser une question sur la société civile, au sujet de ces masses énormes de main-d'oeuvre actuellement en mobilité. Les mouvements migratoires des gens qui cherchent un emploi sont colossaux. Comment sont-ils représentés ici? Quel est le sens de tout cela en regard du petit groupe qui se réunit ici aujourd'hui? C'est une question à laquelle j'aimerais aussi que vous répondiez, mais je crois que je devrai partir dans trois minutes.

M. James McNiven: Ces gens ne sont pas représentés, point. Ils ne sont même pas représentés par les ONG, parce que ce sont des gens qui n'ont pas le même genre de programme que celui dont nous parlons, ils ne sont motivés que par la nécessité de gagner un salaire décent, et dans bien des cas d'envoyer l'argent à la maison. Je pense qu'il s'agit d'un problème social horrible qui est tout simplement explosif, que ce soit en Floride, au Mexique, en Malaisie, en Espagne, en Italie, ou venant de la Turquie vers l'Europe. C'est un immense problème. Et ce que l'accession de la Pologne amènera d'intéressant, si elle finit par être acceptée au sein de l'UE, c'est la discussion sur ce qu'il adviendra de la mobilité de la main-d'oeuvre dans ce cadre.

• 1145

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Je suis d'accord avec Hugh Kindred sur la façon dont il faudrait procéder, car, monsieur Winham, je ne crois pas que nous puissions exclure les ONG du forum où les accords interviennent, où les compromis sont faits. Ce n'est pas au niveau national que les choses se passent. Vous avez les positions des négociateurs, vous avez les gouvernements qui ont une certaine idée de ce que veut leur société civile, mais vous avez aussi 130 ou 160 personnes qui négocient, qui discutent et qui règlent les choses, et la société civile veut être là où les choses se règlent, là où les décisions se prennent. Et même si les décisions, en dernier ressort, seront prises par les gouvernements, par nos représentants, encore doivent-ils être influencés, je pense, pour donner des avis à ce niveau.

En fait, ce qui s'est produit à Rome, comme Hugh l'a mentionné, répond je pense à une question qui nous a été posée la semaine dernière par le Conseil canadien pour la coopération internationale qui disait que les petits États ne peuvent participer pleinement aux négociations. Ils ne peuvent tout simplement pas. Ils n'ont ni l'argent, ni le personnel. Ils doivent être conseillés par quelqu'un, et les ONG jouent ce rôle. Et je suis certain que ce sera la même chose à l'OMC pour les petits pays; ils seront peut-être conseillés par le milieu des affaires lui-même.

Je pense donc que c'est un point très important, mais j'aimerais aborder un autre sujet, culture, main-d'oeuvre et environnement, d'une façon plus concrète. Dans le cadre de l'ALÉNA, nous avons créé des ententes accessoires sur la main-d'oeuvre et sur l'environnement. Est-ce la façon de faire lorsqu'il est question de main-d'oeuvre et d'environnement à l'OMC? Pourrait-il y avoir des ententes distinctes comme dans le cas de systèmes distincts de règlement des différends? Comment pourrait-on concilier le tout? Qu'en est-il de la culture? Pourrions-nous revenir à l'idée de la culture? Pourrions-nous essayer d'obtenir une exemption concernant la culture? Pourrions-nous intégrer à l'article 20 une certaine forme de clause révisée en matière de protection de la culture—comme vous voulez en réviser quelques- unes? Comment le gouvernement canadien et ses négociateurs présentent-ils le sujet dans ces négociations?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Pour votre information, j'aimerais que vous sachiez qu'il nous reste 10 minutes. Il faudrait donc nous en tenir à de brèves réponses et raccourcir un peu les questions.

M. Gil Winham: J'étais le prochain sur la liste.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Oui, c'est à vous.

M. Gil Winham: Je veux répondre exactement à ce que vous avez dit. Sur le premier point, à propos de la société civile, je crois qu'il nous faut ici un certain sens des proportions, et peut-être utiliser les structures que nous avons au Canada.

Si je peux situer dans le contexte canadien ce que vous avez dit au sujet du système international et sur l'instance qui tranche finalement, je dirais que c'est le cabinet. Je n'ai aucunement accès au cabinet et il en va de même des gens qui se promènent dans la rue avec des affiches et qui aimeraient avoir accès au cabinet. Ils ne font pas partie du cabinet non plus. Donc, nous devons avoir une structure qui favorise la prise de décision. Je crois que si nous appliquons au système international ce principe plein de bon sens, ceci nous aidera à orienter la façon dont devraient être structurées les négociations internationales.

Pour ce qui est du deuxième point, au sujet de la culture, et en particulier de l'environnement et de la main-d'oeuvre, et sur la question de savoir si nous devons suivre le principe que nous avons retenu dans l'ALÉNA, ce que nous avons fait dans le cadre de l'ALÉNA—et rappelez-vous qu'il s'agissait d'ententes ajoutées qui étaient largement motivées par la politique et que ces ententes faisaient surtout partie d'une stratégie américaine—consistait essentiellement à établir des procédures qui permettraient de vérifier si nous mettions en oeuvre les lois qui figuraient déjà dans les textes. Cette façon de faire découlait en très grande partie de la croyance américaine voulant que les Mexicains n'appliquaient pas toutes les lois contenues dans les textes et que cela était la source de bien des problèmes environnementaux en Amérique du Nord.

Je ne suis pas certain qu'il s'agisse de la meilleure façon de procéder. Si nous introduisons les problèmes relatifs à l'environnement et à la main-d'oeuvre lors des négociations avec l'Organisation mondiale du commerce—et je n'ai jamais eu cette idée, je suis plus à l'aise avec le commerce international qu'avec l'environnement ou la main-d'oeuvre—je crois qu'il faut le faire de façon honnête, c'est-à-dire que nous conclurons des ententes qui seront importantes.

• 1150

À titre d'exemple, il faut se demander s'il serait possible d'obtenir une dérogation de l'OMC dans le cas de sanctions commerciales qui seraient administrées en tant que constituantes d'un accord multilatéral, et surtout il faut se demander si les membres de l'OMC qui n'ont pas participé à un accord en particulier seraient concernés par les obligations découlant des sanctions commerciales. Il faudrait donc une dérogation pour mettre au point ce mécanisme.

Mais les pays en développement s'opposeraient à cela et sortiraient leurs fusils. Il me semble que la seule façon d'intégrer cet aspect, ce qui serait important pour les environnementalistes européens et américains, consisterait à favoriser la libéralisation des échanges commerciaux en faveur des pays en développement pour dorer la pilule qui, autrement, serait amère. Voilà, je pense, une façon d'introduire cet aspect honnêtement et d'en arriver à des ententes véritables avec les groupes environnementaux, et en échange, à des ententes véritables avec ceux pour qui le processus de négociation est préjudiciable sur ce point.

De même, concernant la main-d'oeuvre, bien des personnes dans le monde occidental aimeraient que l'on adopte des règles internationales concernant le travail des enfants. Je pense que ce sera très difficile. Je ne suis pas certain qu'en tant que Canadien je peux dire aux Indiens à quel âge les enfants peuvent commencer à travailler. Je ferai remarquer que l'affaire récente au sujet de Tyrell Dueck au Canada montre combien il est difficile d'appliquer des règles nationales à des situations familiales. Alors, allons- nous donc créer des règles internationales qui s'appliqueraient, disons, aux situations dans les familles indiennes? C'est très difficile.

Si nous faisons cela, peut-être que nous pourrions le faire en considérant cela comme une contrepartie; c'est-à-dire que si nous établissons des règles qui précisent les âges pour ce qui est des personnes qui produisent des biens, alors peut-être pourrions-nous aussi penser à des programmes d'assistance en matière d'éducation, parce qu'un pays comme l'Inde n'instruit pas ses jeunes selon les mêmes normes que le Canada.

Donc, si nous voulons introduire ce genre de question dans les négociations de l'OMC, je recommande qu'on le fasse sur la base d'échanges qui constituerait un attrait pour les pays qui risquent le plus de subir les contrecoups de l'application au plan international de normes qui sont en réalité les nôtres.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Russell, avez-vous un commentaire sur ceci?

M. Brian Russell: Je vais commenter seulement quelques-uns de ces points. Je suis entièrement d'accord avec Gil, et pour respecter la tradition canadienne à titre d'entremetteur utile, laissez-moi voir si l'on peut arriver à une sorte de... Ce que vous dites au sujet de la société civile me semble exact. Il est un point d'intervention que ni les ONG, ni les groupes non votants ou non décisionnels ne peuvent dépasser. Il doit y avoir une autorité exécutive quelque part et un certain degré de confidentialité. Pour prendre l'exemple du Canada, allons-nous laisser le Congrès du travail du Canada ou le Conseil canadien des chefs d'entreprise participer aux réunions du Cabinet?

M. Daniel Turp: Ils le font déjà.

M. Brian Russell: On peut le dire, je suppose.

La question est de déterminer où se situe le bon niveau d'intervention pour la société civile. Mais il me semble clair qu'il doit y en avoir un, et peut-être que le processus relatif à l'ALE dont vous parlez est un début de réponse à la façon dont les choses devraient réellement se passer.

Pour ce qui est de l'environnement et de la main-d'oeuvre, il me semble que jusqu'à un certain point l'environnement fait déjà partie des négociations de l'OMC. Si vous examinez les cas qui ont été soumis au règlement des différends, bon nombre d'entre eux ont trait à l'environnement. Le problème c'est que l'importance de l'environnement par rapport au commerce international n'est pas pondérée adéquatement. Au point où nous en sommes, personnellement, je favoriserais une intégration encore plus grande de l'environnement dans les négociations de l'OMC, probablement selon les principes que suggérait Gil.

Pour ce qui est de la main-d'oeuvre, je pense que c'est différent. Il y a ce problème qui consiste à tout mettre dans la base, ce que Hugh a mentionné dans son document je crois. Je ne suis pas certain qu'il soit approprié ou même utile de considérer la main-d'oeuvre comme une question devant faire partie des accords de l'OMC. Il y a peut-être d'autres endroits, comme le BIT, où ce genre de travail doit être fait. Il pourrait aussi y avoir davantage de collaboration entre l'OMC et le BIT pour tenter d'en arriver à une certaine forme de politique centrale sur ce point. Il est peut-être déjà trop tard, mais il me semble que la place de la main-d'oeuvre ne se situe pas dans les accords de l'OMC.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

Monsieur McNiven et madame Lanoszka.

• 1155

M. James McNiven: Pour ce qui est de l'environnement et de la main-d'oeuvre, je pense que nous ne devrions pas considérer ces aspects dans une situation globale. Je ne veux pas dire de les négliger, mais je ne pense pas que ce soit crucial.

Nous devons vraiment faire quelque chose, et là où nous devrions le faire, c'est dans le cadre de l'ALÉNA. Nous devrions voir de quelle façon nous pouvons être utiles. Je ne parle pas de l'aide étrangère, mais ce peut être là où nous apportons une aide réelle. Nous devrions regarder quelle aide nous pouvons apporter au Mexique sur le plan environnemental, et je ne veux pas dire que nous devons leur vendre des produits ou des choses du genre. Nous devrions considérer cela comme une expérience extraordinaire. C'est en peu une situation semblable à celle de la Turquie qui veut faire son entrée dans l'UE, mais qui se voit refuser l'accès. Dans notre cas, l'accord est déjà en place, et il faut maintenant faire en sorte qu'il fonctionne. Ou bien nous aidons le Mexique, ou tout ce qu'il nous reste à faire c'est de nous dire, dommage, il y a trois milliards de gens pauvres et qui vont le rester, et tant pis. Puis souhaiter que rien de grave ne nous arrive. Ou bien nous faisons quelque chose pour le Mexique ou bien nous ne faisons rien. Si nous ne faisons rien, nous n'avons rien de crédible à dire sur le développement mondial. Pour ce qui est de l'environnement, nous devrions apporter toute l'aide que nous sommes en mesure de fournir. Je pense que c'est à nous de dire, d'un voisin à un autre, que pouvons-nous faire pour vous aider?

Quant à la main-d'oeuvre, peut-être devrions-nous envisager la question sous l'angle de l'immigration et exercer un effet de basculement dans le sens de l'ALÉNA plutôt que de basculer dans toutes les directions, s'il y a déjà basculement actuellement, et faire en sorte de mieux informer les personnes qui veulent immigrer aux États-Unis que nous pourrions avoir de la place pour elles. Nous absorbons environ 0,5 p. 100 de notre population totale chaque année, alors nous pouvons prendre un autre 100 000 ou environ. Franchement, nous n'allons pas recueillir de mauvaises personnes.

M. Daniel Turp: Ils pourraient venir en Nouvelle-Écosse.

M. James McNiven: Ce serait fantastique. Rien ne pourrait aider davantage l'économie de la Nouvelle-Écosse qu'un million de personnes supplémentaires. Je devrais aussi indiquer que sur le plan démographique, ces provinces, y compris le Québec, verront leur population diminuer d'ici dix à vingt ans; nous avons donc besoin de gens.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Madame Lanoszka, puis le professeur Kindred.

Mme Anna Lanoszka: Je voudrais faire un commentaire sur la culture de l'OMC. Je pense que nous n'abordons pas les choses de la bonne façon ici. Ce que nous sous-estimons selon moi, c'est l'influence que les pays en développement ont actuellement sur l'OMC. Même si nous parlons de société civile ou de groupes d'intérêt, nous le faisons toujours selon une perspective occidentale. Je déteste vraiment utiliser ce terme, mais c'est ce que nous faisons. Je l'ai vu de mes yeux et il est étonnant de constater jusqu'à quel point les pays en développement modifient les programmes de l'OMC. Je ne pense pas que Genève devienne pour autant inopérante. Je pense que les pays en développement sont attirés par l'OMC parce que pour la première fois, on dispose d'un forum qui se fonde sur des règles. Les règles sont beaucoup plus intéressantes que ce qui les remplace, c'est-à-dire le pouvoir. Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Professeur Kindred.

M. Hugh Kindred: Je suis entièrement d'accord avec cela. Nous continuons de parler comme si les choses étaient figées, et pourtant elles changent. Je conclurais tout simplement en disant que l'équilibre n'est pas encore atteint. Finalement, concernant les accords accessoires ou les autres accords, les accords traitent de choses qui n'ont pas essentiellement trait au commerce international. Ceci étant dit, je ne suis pas d'accord avec le professeur Gil sur la société civile.

Je suis d'accord avec son point de vue sur la main-d'oeuvre. L'OMC ne peut pas régler tous les problèmes qui se présentent sur le plan international. Il s'agit d'une organisation axée sur les échanges commerciaux. Elle ne peut pas rendre de décisions relativement à la main-d'oeuvre et ainsi de suite. Le BIT pourrait s'avérer le bon endroit, s'il pouvait établir un lien avec l'OMC. En fait, il existe des conventions internationales à propos de la main-d'oeuvre enfantine. Il faut donc conclure des ententes, que ce soit sur la culture, la main-d'oeuvre ou l'environnement, avec l'organisation qui est responsable du secteur en question.

La difficulté est de trouver un moyen d'inclure ces règles dans le processus de prise de décision de l'OMC de façon à ce que, dans le cadre de négociations ou de décisions de groupe, l'OMC ne passe pas outre et prenne des décisions en fonction de ses propres règles, en ne se préoccupant pas des autres règlements qui sont liés à un sujet en particulier. Comment intégrer les deux pour que le processus exécutoire de prise de décision de l'OMC inclut les normes réglementaires sur la main-d'oeuvre et l'environnement qui ont été créées ailleurs?

M. Daniel Turp: Vous les incorporez.

M. Hugh Kindred: Il faudrait inscrire quelque chose dans la structure et le processus du GATT qui dirait que les organismes doivent incorporer ces obligations. Je parlais de l'article 20, et Gil parlait de négociations et de compromis. C'est ce genre de choses qui doivent être faites, et c'est ce que nous devons envisager pour faire en sorte que le tout fonctionne.

• 1200

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous remercie beaucoup. Malheureusement, nous manquons de temps.

M. Daniel Turp: Puis-je faire une demande particulière à Hugh?

Pourriez-vous rédiger quelque chose concernant l'article 20? Y a-t-il quelque chose dans votre communication sur l'article 20?

M. Hugh Kindred: Oui.

M. Daniel Turp: J'aimerais bien le lire, parce que c'est une question très importante, c'est-à-dire comment l'article 20 devrait être modifié, s'il devrait l'être, et quelles modifications devraient être apportées.

Pourriez-vous rédiger quelque chose à notre intention sur ce sujet?

M. Hugh Kindred: Oui. J'y ai justement pensé hier soir.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Professeur Kindred, pourriez-vous faire cela pour nous et nous offrir d'autres suggestions?

Nous n'en avons pas besoin aujourd'hui ni demain. Nous avons rappelé à tous les témoins qui ont comparu devant nous que nous n'en sommes qu'au tout début de notre consultation, les circuits sont ouverts. Nous avons encouragé nos autres témoins à nous présenter d'autres mémoires. Ils doivent s'entretenir avec d'autres membres de leurs organisations ou avec d'autres particuliers afin de s'enquérir de leurs préoccupations et de nous en faire part.

Maintenant j'aimerais vous demander votre collaboration, et j'espère que je vais pouvoir compter sur vous pour nous faire progresser dans notre analyse. Donc, j'aimerais vous remercier et vous dire que vos témoignages ont été très instructifs et que j'espère pouvoir compter sur vous pour nous aider au cours du processus et lorsque nous entendrons les autres témoins.

Encore une fois, je le répète, nous n'en sommes qu'au tout début de nos échanges et de notre collaboration et je vous encourage à poursuivre ce partenariat que nous allons établir au cours des quelques mois qui viennent. Merci à tous d'avoir été présents avec nous.

La séance est levée jusqu'à 13 h 30 précises. Les membres du comité doivent maintenant se rendre à leur hôtel.

• 1202




• 1336

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international reprend ses travaux.

Nous accueillons M. Bradfield cet après-midi. Merci d'être venu, monsieur Bradfield. Vous pouvez commencer et mes collègues vous poseront ensuite des questions. Nous disposons d'environ une demi-heure.

M. Mike Bradfield (témoignage à titre personnel): [professeur] D'accord. Est-ce que tout le monde a une copie de mon mémoire en mains?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Oui, merci.

M. Mike Bradfield: Plutôt que de vous lire ce document, je vais plutôt passer rapidement en revue les faits saillants de mon exposé. Ensuite, si vous avez des questions, je pourrai tout simplement y répondre plutôt que de vous donner un cours d'économie, ce qui n'est sûrement pas ce que vous souhaitez.

Je commence par décrire le rôle du commerce, parce qu'une grande partie du débat populaire et politique sur le commerce tourne autour des effets de la création d'emplois sur le commerce.

Vous connaissez sans doute cet auteur très célèbre qui a déclaré qu'une rose est une rose! Eh bien, on peut dire la même chose du commerce. La raison pour laquelle nous réalisons des échanges commerciaux c'est littéralement parce que nous n'avons pas le choix.

Nous exportons afin d'être en mesure de financer nos importations. Nous n'exportons pas pour créer des emplois, et c'est là un élément essentiel, en ce qui me concerne, et pour ce qui est des débats sur la politique, parce que les impératifs politiques sont souvent en fait présentés comme étant la nécessité de créer des emplois. Mais vous devez reconnaître que, étant donné la façon dont le système international fonctionne, avec le taux de change et ainsi de suite, une expansion dans les exportations entraîne une augmentation des devises étrangères, ce qui permet d'élever le taux de change canadien et nous permet en retour ou encore nous encourage à acheter davantage de produits à l'étranger. Mais si tout ce que nous faisions consistait simplement à vendre nos produits à des étrangers et à ne rien acheter en retour, eh bien il s'agirait tout simplement d'aide étrangère et non de commerce parce que nous n'obtiendrions rien en échange. La façon dont nous profitons du commerce avec l'étranger est par l'entremise des importations.

Donc ce que j'essaie d'avancer, tout d'abord, oui nous voulons réaliser des échanges commerciaux, nous voulons faire du commerce parce que cela nous permet d'améliorer notre position à titre de consommateurs et non de producteurs. En réalité, la théorie du commerce international repose sur l'hypothèse que l'économie connaît le plein emploi. Pourtant, nous savons tous que l'économie canadienne n'a pas atteint le plein emploi durant plus de cinq ans au cours des quarante dernières années. Donc, une théorie qui repose sur le plein emploi est une théorie avec laquelle nous devons faire preuve de circonspection lorsque nous nous efforçons d'élaborer une politique qui s'en inspire.

Deuxièmement, j'aimerais souligner qu'une grande partie de ce que nous appelons le libre-échange ne constitue pas réellement du libre-échange. Nous avions mis en place le soi-disant accord de libre-échange avec les États-Unis. Maintenant nous avons l'ALÉNA. Mon argument ici est simplement que pendant que ces accords commerciaux nous placent plus ou moins sous la tutelle des Américains, ce sont toujours les règles américaines qui régissent le commerce, à la fois dans les échanges et dans les blocs d'échanges commerciaux régionaux, de même que lorsque vous entrez dans des négociations et dans des organismes tels que l'Organisation mondiale du commerce. De toute évidence, les Américains jouissent d'un pouvoir politique énorme et essaient d'imposer leur vision du monde au reste de l'univers.

Dans les accords régionaux du type ALÉNA, ce que nous constatons c'est que ces accords nous permettent d'avoir voix au chapitre dans les mécanismes de résolution de différends, mais seulement dans le cadre des lois américaines. Les Américains ne modifient pas leurs lois. Et l'une des lois américaines fondamentales stipule qu'une industrie qui se sent lésée par le commerce international peut demander la protection de l'État.

• 1340

La théorie du commerce veut que lorsque vous libéralisez les échanges commerciaux, cela vous permette de produire et d'exporter davantage les biens qui vous réussissent le mieux, afin de pouvoir importer ceux qui vous manquent. Donc, selon la théorie du commerce, par définition, certains secteurs particuliers seront désorganisés, et deviendront des perdants dans ces échanges commerciaux, tandis que d'autres prospéreront. Ainsi, tant que les États-Unis s'en tiennent à la règle qui veut qu'ils puissent protéger une industrie qui subit des effets négatifs en raison des échanges commerciaux, cela leur donne la possibilité de mettre un frein à tout ce qui pourrait effectivement contribuer à libéraliser les échanges commerciaux.

Donc, encore une fois, en ce qui concerne la question des emplois, nous devons être très prudents lorsque nous croyons que nous disposons d'un libre-échange et lorsque nous libéralisons les choses à l'extrême. Ce que l'ALÉNA et l'ALE ont réussi à faire finalement c'est d'abaisser certains tarifs, qui de toute façon auraient diminué, et qui étaient de toute façon beaucoup plus bas dans les échanges Canada États-Unis. Bien entendu, ces échanges représentent 80 p. 100 de nos échanges commerciaux et nous n'avons pas réalisé beaucoup d'autres gains dans d'autres secteurs, à part peut-être la mise en place du mécanisme de résolution des différends.

Le point suivant que j'aborde dans mon mémoire est la question de l'approche à la libéralisation qui découle de l'Accord multilatéral sur les investissements selon laquelle nous devons libéraliser le commerce en accordant davantage de droits aux sociétés.

L'élément essentiel à reconnaître est que les sociétés sont une pure fiction juridique. Elles n'existent que parce que l'État leur donne une existence. L'État est l'organisme qui leur confère leur légitimité. Les sociétés ne sont pas des citoyens. Les sociétés ont été créées, initialement, afin de répondre à la nécessité de mettre en place une certaine responsabilité limitée pour les actionnaires de sorte que les sociétés puissent amasser des capitaux sans que les actionnaires soient responsables pour la totalité des dettes de la société. C'est leur raison d'être.

En tant qu'économiste, je suis préoccupé par le genre de libéralisation qui veut accorder davantage de droits aux sociétés, simplement parce que celles-ci n'ont pas les qualités de citoyens, et elles sont une pure fiction sur le plan juridique. Les citoyens ont des droits, mais pas les sociétés. Celles-ci disposent de la protection que leur confère la responsabilité limitée pour leurs actionnaires, mais les sociétés en elles-mêmes ne devraient pas bénéficier de ce genre de protection. Plusieurs des interventions, par exemple, en faveur de l'AMI visent à dégager les sociétés de toute responsabilité.

Donc, ce que je dis, d'un point de vue légaliste, c'est que la raison d'être des grandes sociétés est une responsabilité limitée, mais seulement pour l'actionnaire, et non pour la société elle- même. Par conséquent, la libéralisation du commerce ne devrait pas s'assortir de droits plus poussés accordés aux sociétés. Sur le plan légal, elles n'en ont pas besoin, parce qu'elles n'ont pas été créées pour cela. Dans le cadre de la théorie économique, elles ne devraient pas disposer de ces droits, parce que la théorie économique affirme que les sociétés agissent dans l'intérêt du public seulement lorsque sont réunies les conditions économiques très strictes, ce que nous appelons un marché parfaitement concurrentiel, et en économie, c'est ce que nous appelons généralement le «marché libre».

Mais le «marché libre» est plus ou moins un jeu de sémantique. Par marché libre, on entend un marché de propriété privée complètement dépourvu d'interventions gouvernementales. La théorie économique affirme que la raison pour laquelle vous n'avez pas besoin de l'intervention du gouvernement est que, dans le cadre de marchés parfaitement concurrentiels, un si grand nombre de producteurs entrent en concurrence qu'aucun producteur individuel ne peut influencer le marché au niveau du prix, et ainsi de suite, lorsque vous faites des affaires à l'échelle internationale, en particulier. Mais, en règle générale, dans notre économie, il est évident que les conditions de marché parfaitement concurrentiel ne sont pas en place. Donc, les conditions nécessaires pour que le marché soit libre de toute intervention gouvernementale ne sont pas présentes.

Les sociétés jouissent d'un pouvoir énorme. Elles utilisent ce pouvoir économique considérable lorsqu'elles traitent avec des fournisseurs de matières premières, avec leur main-d'oeuvre, avec leurs propres clients et, de toute évidence lorsqu'elles traitent avec des compétences politiques.

L'autre jour, j'ai reçu par courrier électronique, après avoir accepté de comparaître devant le comité, une résolution qui sera présentée à la Chambre des représentants des États-Unis, et qui est proposée par un certain Bernie Sanders. L'un des éléments de cette résolution concerne la disparité du pouvoir entre les sociétés et les pays. Cette résolution affirme que la richesse conjuguée des trois personnes les plus riches du monde est plus grande que le produit intérieur brut combiné des 48 pays les plus pauvres, et ces pays représentent le quart des États de la planète. Donc, vous avez cette énorme disparité au niveau du pouvoir, non seulement sur le plan économique lorsque les sociétés doivent transiger avec leurs syndicats ou leurs fournisseurs, mais aussi sur le plan politique lorsqu'elles traitent avec des instances politiques.

• 1345

Récemment, vous avez voté sur le projet de loi C-55. Vous savez de quel genre de pression politique les sociétés sont capables, soit à titre individuel de leur propre chef, ou indirectement lorsqu'elles demandent à leur gouvernement de se porter à leur défense. Donc, la théorie économique du libre-échange et des marchés libres, qui fait en sorte que les sociétés seront libres de faire ce qu'elles veulent, est une théorie qui ne correspond tout simplement pas à la réalité économique non seulement du Canada, mais du monde entier, parce que ces sociétés disposent d'un tel pouvoir.

La proposition fondamentale qui m'occupe est celle-ci, nous accordons des droits aux citoyens, les citoyens élisent les gouvernements et ces gouvernements légalisent la fiction juridique que sont les sociétés. Nous ne devrions pas penser que la libéralisation du commerce est un processus qui consiste à accorder aux sociétés des pouvoirs qui les rendent indépendantes des gouvernements ou qui leur accordent davantage de pouvoir qu'au gouvernement. Par exemple, il existe dans l'AMI certaines propositions selon lesquelles les sociétés pourraient poursuivre le gouvernement. Il me semble que la Chambre des communes a dû s'occuper de l'affaire Ethyl Corporation, cet automne. Donc, la proposition fondamentale est une théorie économique dont les conditions ne concordent tout simplement pas avec la réalité que nous vivons actuellement au Canada.

Mon autre point est d'un ordre plus pratique. Étant donné leur pouvoir, les sociétés n'ont pas besoin qu'on leur accorde davantage de droits. Elles exercent tellement leur pouvoir déjà, lorsqu'elles exigent l'aide financière des gouvernements, et non seulement des gouvernements pauvres. Dans le Tiers monde, elles exigent l'aide financière des gouvernements les plus riches, et elles l'obtiennent. En Europe, par exemple, l'usine de construction d'automobiles moyenne qui s'implante là-bas obtient 100 millions de dollars de subvention des instances politiques locales. Donc, les sociétés obtiennent de l'aide financière sous la forme de subventions directes. Elles obtiennent ces subventions sous la forme d'allégements fiscaux, ce que nous appelons des dépenses fiscales. Elles obtiennent ces subventions sous la forme de législations en matière de main-d'oeuvre et en matière d'environnement qui sont tout simplement contournées une fois qu'elles ont été mises en oeuvre.

Il y a quelque temps, à la SRC, on a entendu parler du fait que le gouvernement de l'Ontario n'appliquait pas une grande partie de sa loi sur l'environnement. Eh bien c'est ce genre de chose que les sociétés veulent. Donc, j'affirme que les sociétés usent de leur pouvoir politique de façon pratique pour affermir leur position, pour améliorer leur position et accroître leurs profits, mais ce n'est pas nécessairement pour le bien de leurs travailleurs, de leurs fournisseurs, de leurs clients, de l'environnement ou des gens avec lesquels elles traitent.

L'OMC est maintenant la tribune toute choisie pour quelque chose comme un AMI, qui vise à libéraliser encore davantage les échanges commerciaux. La section suivante de mon mémoire parle de ce qui arriverait si l'OMC allait de l'avant et si elle l'adoptait. Est-ce que le Canada éprouverait des difficultés si nous refusions de le reconnaître? Nous pourrions éprouver certaines difficultés, mais j'affirme que ce ne serait pas la fin du monde, et qu'à la longue nous pourrions nous en sortir honnêtement.

Dans la dernière partie de mon mémoire, je parle des mouvements de capitaux. Mon argument à ce stade est que dans le cadre d'une théorie économique, vous devez apparier la libéralisation des échanges commerciaux avec la libéralisation des capitaux, parce que les flots de capitaux financiers sont censés financer les commerces qui prennent de l'expansion au fur et à mesure que vous le libéralisez.

Le problème aujourd'hui, et je suis convaincu que plusieurs autres témoins ont déjà abordé ce point, est probablement qu'environ 97 p. 100 des mouvements de capitaux dans le monde ne servent pas à financer le commerce, mais qu'il s'agit plutôt de mouvements de capitaux spéculatifs, et à ce titre ils ont tendance à déstabiliser l'économie. On peut bien sûr parler de type de spéculation qui contribue à la stabilisation, mais nous avons traversé un certain nombre de crises au cours des quatre ou cinq dernières années qui illustrent bien à quel point ces choses peuvent être déstabilisantes. Par conséquent, il faut considérer très sérieusement la libéralisation des mouvements de capitaux et nous demander si nous ne sommes pas allés trop loin.

Le point intéressant est qu'un certain nombre d'économistes qui se sont portés à la défense d'une libéralisation plus poussée des mouvements de capitaux—Jeffrey Sachs et Paul Krugman sont les deux auxquels je pense en particulier—à la lumière de la récente crise asiatique ont changé leur approche de façon assez radicale et ils ont déclaré que les choses étaient allées trop loin.

J'ai ici une citation de M. Sachs qui affirme que

    [...] les marchés financiers internationaux sont de façon intrinsèque très instables; ou pour le dire autrement, la crise dans l'Est asiatique est davantage une crise du capitalisme occidental qu'une crise du capitalisme asiatique.

Ce qu'il veut dire finalement c'est que l'une des explications pour la crise asiatique est le soi-disant capitalisme de copinage qui sévissait en Asie.

• 1350

Ce que Krugman a reconnu avant Sachs, c'est que le capitalisme de copinage n'était pas présent uniquement en Asie; il est présent dans tous les systèmes. Et même avec cette liberté sous-jacente des mouvements de capitaux, facilitée par la technologie, qui permet de déplacer des sommes massives de capitaux presque instantanément, vous vous retrouvez devant une situation qui est intrinsèquement instable. Et finalement, ils ont fini par faire reconnaître que bon de toute évidence les contrôles des mouvements de capitaux étaient nécessaires.

L'une des leçons de choses que Brian MacLean cite dans son analyse est la suivante, pendant que l'Argentine et le Brésil se retrouvent au milieu d'une crise des taux de change, le Chili, qui dispose déjà de mécanismes de contrôle des mouvements de capitaux, a été de loin épargné par ces crises. Donc, des contrôles comme ceux qui existent au Chili sont, un peu comme la taxe de M. Tobin, ou d'autres éléments semblables, nécessaires pour éliminer une étape de ces mouvements de capitaux spéculatifs qui sont tellement dommageables pour les pays parce qu'ils ont une influence sur le taux de change de même que sur les institutions financières, pratiquement du jour au lendemain.

Voici donc le résumé de mon exposé.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, monsieur Bradfield.

Juste avant de passer à la période de questions avec mes collègues, vous avez dit de l'AMI de l'OMC que nous pourrions nous en passer très facilement. Nous n'en avons donc pas besoin? Est-ce bien ce que vous dites, que nous n'avons pas besoin de l'AMI—ou alors que nous pouvons nous en arranger dans le cadre de l'OMC?

M. Mike Bradfield: Je dis que si nous devions mettre en place un AMI, je commencerais avec une hypothèse totalement différente. L'hypothèse des gens qui qualifiaient cet accord de déclaration des droits du capital international était que le capital devait être libéré, y compris de la responsabilité et de la réglementation. J'avance qu'étant donné que les mouvements de capitaux internationaux et le commerce international en général ne correspondent pas au modèle qui convient pour le libre-échange, si nous devons négocier un accord multilatéral sur les investissements, il faudrait pour commencer ne pas viser à libérer les capitaux, mais plutôt à faire en sorte que les capitaux servent les intérêts du public.

Donc, j'avance qu'il faudrait commencer par une sorte de déclaration universelle des droits de la personne, et dire que le système économique devrait être au service de la société et non l'inverse. Quelqu'un a dit que le capitalisme est un bon serviteur, mais un maître terrible. Le problème avec l'AMI, tel qu'il a été conçu initialement, est qu'il visait à libérer les sociétés. Il me semble que nous devrions renverser le processus et parler plutôt des obligations et des responsabilités de ces sociétés. Si vous désirez mettre en place un accord international sur les investissements, il devrait servir à mettre en place cette réglementation, parce que nous avons besoin de réglementer un système qui va de travers.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

Monsieur Stinson.

M. Darrel Stinson: Oui. J'ai seulement une couple de questions.

Je sais qu'on a exprimé passablement d'inquiétudes en ce qui concerne l'AMI. J'éprouve un certain problème, qui n'a rien à voir avec la politique ou quoi que ce soit d'autre. Mais étant donné que notre population vieillit, et qu'elle devrait par le fait même devenir plus sage, peut-être que nous commençons à réaliser que nous devons aussi assumer certaines responsabilités à l'égard de notre retraite. Donc, beaucoup de gens ici ont investi dans des REER et ces investissements sont placés à l'étranger, aussi parmi les gens qui approchent de l'âge de la retraite, beaucoup se préoccupent du fait que leurs fonds devraient être protégés d'une certaine manière. Ces gens considéraient l'AMI comme une ligne directrice dans cet ordre idées. Donc qu'auriez-vous à leur dire à ce sujet?

Actuellement, même le gouvernement envisage de faire certains investissements dans... Notre régime de retraite investit une partie de cet argent à l'étranger. Je m'inquiète donc du fait qu'à moins que l'on mette en place des accords de ce genre pour ces éléments que couvre l'AMI, donc sans ce type d'accord peut-être que nous prenons trop de risques avec notre avenir.

M. Mike Bradfield: Je vous dirais que c'est juste le contraire, parce qu'avec l'AMI vous prenez encore plus de risques avec votre avenir.

Tout d'abord, le danger en ce qui concerne... Une inquiétude que j'aurais, étant donné la façon dont vous avez formulé la question est en fait... J'ai une note en bas de page dans mon mémoire à cet effet. L'un des problèmes en économie tourne justement autour de l'utilisation de la terminologie. Par exemple, il y avait une affirmation populaire durant les discussions autour de l'AMI selon laquelle chaque milliard de dollars d'investissement étranger entraînerait la création de 42 000 emplois.

• 1355

L'utilisation du terme «investissement» dans ce contexte est une hypothèse selon laquelle vous disposeriez d'investissements réels—machine, équipement, usines—et que l'investissement étranger arriverait et contribuerait à mettre sur pied une nouvelle usine qui emploierait des gens. Ce chiffre de 42 000 emplois est probablement beaucoup trop élevé, mais il y aurait des emplois créés. Le problème avec le terme «investissement» vient justement du fait que l'investissement ne serait pas de ce type, il pourrait s'agir simplement d'un investissement financier.

De toute évidence, l'investissement spéculatif n'entraîne pas la création d'emplois; il s'injecte dans une économie. Il peut simplement servir à faire l'acquisition d'effets financiers. Il peut servir à acheter des sociétés qui existent déjà et même les fermer et entraîner l'élimination d'emplois. L'un des principaux problèmes est l'instabilité causée par ces soi-disant investissements—par exemple les investissements financiers, et tout particulièrement l'investissement spéculatif. Lorsque cet investissement est injecté massivement dans un pays, il fait monter le taux de change. Ensuite, le pays éprouve des difficultés à vendre ses produits d'exportation, donc son économie d'exportation et son secteur de l'exportation subissent une compression, ce qui crée du chômage. Ce type d'investissement financier entraîne donc en réalité l'élimination des emplois, il ne sert pas à en créer.

M. Darrel Stinson: Bon, mais peut-être que d'un autre côté, une partie de cet argent pourrait être utilisée à faire de la recherche afin d'améliorer les produits et la valeur de ces produits?

M. Mike Bradfield: Encore une fois, vous devez être très prudent avec les termes que vous utilisez. L'argent qui est utilisé à des fins de recherche est probablement l'argent d'un investissement direct, et non un capital spéculatif. Les investisseurs directs sont différents, et de loin, des spéculateurs. Si vous demandez simplement aux Canadiens d'acheter des obligations indonésiennes parce qu'ils pensent qu'il y là-bas un bon taux d'intérêt, eh bien cela ne va pas nécessairement avoir des effets positifs pour les Indonésiens sur le plan individuel. Cet investissement n'aura pas nécessairement de répercussions sur les Indonésiens à moins que les fonds canadiens qui sont utilisés pour faire l'achat de ces obligations soient ensuite réutilisés au Canada pour acheter quelque chose que les Indonésiens désirent acquérir. Une chose qu'ils pourraient acheter est soit notre expertise en matière de recherche ou encore nos produits qui contiennent les résultats de cette expertise.

Avec les investissements financiers, contrairement aux investissements réels, vous ne disposez d'aucune garantie comme quoi il y aura des résultats réels et vous devez également vous inquiéter au sujet de la question de la stabilité du taux de change, à la fois lorsque l'argent est injecté et lorsque l'argent est récupéré. Il faut bien voir quelles seront les variations à ce moment-là.

M. Darrel Stinson: En ce qui concerne l'exploration dans le secteur minier nous avons des personnes dans le monde entier qui investissent de l'argent dans ce secteur qui crée réellement des emplois.

M. Mike Bradfield: Oui d'accord, il s'agit là d'investissements réels. Il ne s'agit pas d'investissements spéculatifs.

M. Darrel Stinson: Le secteur minier est spéculatif. Bre-X est là pour en témoigner.

M. Mike Bradfield: Sur la question des emplois dans le domaine de la prospection, du moment que l'activité d'exploration minière n'est pas en soi une activité sans valeur visant uniquement à obtenir des allégements fiscaux, dans ce cas elle devient un investissement réel et oui elle permet de créer des emplois et elle ouvre des possibilités et c'est ce qui est souhaitable. Comme je l'ai dit, 97 p. 100 des mouvements de capitaux à l'échelle internationale sont d'ordre spéculatif. Les Japonais ont un mot pour exprimer cela, ils appellent cela «zaitaku».

M. Daniel Turp: Est-ce que vous suggérez que dans le cadre des négociations avec l'OMC, il devrait y avoir un certain débat sur la spéculation et sur certains outils visant à encadrer la spéculation? Est-ce que l'OMC est le forum où l'on pourrait tenir un débat sur la taxe Tobin ou sur d'autres moyens d'encadrer la spéculation?

M. Mike Bradfield: C'est le même forum parce qu'il s'agit du même problème de terminologie. Si les gens de l'OMC mettent au point des mesures visant à contrôler les investissements réels, mais qu'ils formulent ces mesures comme si elles s'appliquaient aussi aux investissements spéculatifs... L'AMI parle des investisseurs. Les investisseurs comprennent notamment les investisseurs spéculatifs. L'AMI suggère que les gouvernements devraient compenser les spéculateurs pour les pertes qu'ils pourraient subir lorsque les gouvernements protègent leur devise. Donc, l'OMC doit être au moins l'une des tribunes où ces choses peuvent être discutées, parce que vous avez la composante réelle et la composante financière. Vous voulez profiter des avantages de la composante réelle, comme le suggère M. Stinson et vous ne voulez pas assumer les désavantages de la composante financière. Vous devez donc créer un accord qui met en place la composante réelle qui servira à vous protéger de la spéculation financière.

M. Daniel Turp: Est-ce que selon vous cela signifie qu'il devrait y avoir une négociation sur les investissements à l'OMC et que l'un des sujets à négocier devrait être la spéculation?

M. Mike Bradfield: Oui parfaitement.

• 1400

M. Daniel Turp: Et quels seraient les autres sujets de discussion? Parce que vous avez testé certaines choses... les droits de sociétés ne feraient pas partie des discussions parce qu'elles disposent déjà de ces droits ou que de toute façon elles ne devraient avoir aucun droit. Ne pensez-vous pas que cela ferait partie du marché, des compromis, que l'on reconnaît déjà que les sociétés ont certains droits et aussi peut-être certaines obligations et responsabilités? Ces éléments ont été débattus dans le cadre d'autres forums.

Vous savez qu'aux Nations Unies ils essaient d'y arriver... les corporations transnationales et les déclarations qui ne se matérialisent jamais elles ne fonctionnent tout simplement pas. Pensez-vous que cela pourrait fonctionner à l'OMC?

M. Mike Bradfield: La raison pour laquelle il y a plus de chance que cela fonctionne à l'OMC est parce que les sociétés ont davantage d'intérêt dans ce qui découlera de l'OMC que dans ce qui découle de l'ONU. Malheureusement, dans notre monde, le commerce parle plus fort que les principes, et à l'ONU il est question de principes et à l'OMC on parle affaires. Donc, fondamentalement, ce qui vous reste à faire c'est de dire à l'OMC que si vous voulez que les intérêts commerciaux soient protégés, dans ce cas vous devez reconnaître votre responsabilité sur le plan social et public. Il ne faut pas les laisser obtenir la reconnaissance de leurs intérêts commerciaux sans que les sociétés reconnaissent en contrepartie leurs responsabilités.

En ce qui me concerne, l'AMI était essentiellement un droit de licence accordé aux sociétés. Il ne visait pas à leur donner des responsabilités, mais plutôt à leur accorder une liberté absolue.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian: Vous avez déclaré que les sociétés n'ont aucun droit, qu'elles sont des fictions sur le plan juridique et que ce sont les citoyens qui ont des droits. Nous avons entendu ici des sociétés qui représentent davantage de personnes que je n'en représente moi-même dans ma propre circonscription. Ces sociétés ont plus d'impact sur les citoyens eux-mêmes, sur leurs propres travailleurs que j'en ai moi-même en tant que politicien et que député. Comment pouvez-vous affirmer que ces sociétés n'ont aucun droit sur le plan juridique, que ce sont des fictions à toutes fins utiles? Au bout du compte, si je n'écoute pas ce que disent ces sociétés et si je ne fais pas tout ce qui est en mon pouvoir, elles peuvent faire volte-face, fermer une usine et tout simplement s'en aller ailleurs ou alors tout simplement mettre la clé dans la porte. Que m'arrivera-t-il en tant que citoyen ou en tant qu'État?

Je n'arrive pas à suivre votre logique. Si vous pouviez me l'expliquer je l'apprécierais, parce que si dix témoins se présentent aujourd'hui et que seulement deux sont des citoyens comme dans votre cas peut-être... Les sociétés sont essentielles à notre bien-être économique.

M. Mike Bradfield: Oui mais il faut faire très attention avec cette affirmation. Ce que je dis, finalement, c'est que les sociétés ne disposent pas des mêmes droits que les citoyens. Elles ne devraient pas avoir le droit de parole, parce que, par exemple, l'industrie du tabac...

M. Sarkis Assadourian: Elles peuvent néanmoins avoir la liberté de penser, non? Elles décident de ce qu'elles vont faire avec leur argent.

M. Mike Bradfield: Les compagnies de tabac ont avancé qu'en restreignant la publicité sur le tabac afin de les empêcher d'avoir une influence sur les jeunes empiétait sur leur liberté d'expression. Je suis désolé, je dois admettre que les sociétés ont une liberté sur le plan commercial, mais je ne pense pas qu'elles aient les mêmes droits que les citoyens de s'exprimer parce que ces droits devraient être réservés aux citoyens. Lorsque vous dites que les sociétés vous approchent à titre de représentant de milliers de personnes, les présidents directeurs généraux de ces sociétés dans le cadre de la théorie économique représentent l'intérêt d'un seul groupe, et c'est celui des actionnaires. Ils ne représentent pas les intérêts des travailleurs, ils ne représentent pas...

M. Sarkis Assadourian: Les actionnaires sont des citoyens eux aussi, n'est-ce pas?

M. Mike Bradfield: Oui, les actionnaires sont aussi des citoyens, et comme je le dis dans mon mémoire, les actionnaires sont tout à fait justifiés d'utiliser leurs droits de citoyens, mais je ne pense pas qu'ils aient le droit de disposer de deux jeux de droits de citoyens—c'est-à-dire un droit à titre individuel et un droit d'agir par l'entremise de leurs sociétés.

Ce que j'essaie de dire, c'est que nous mettons en oeuvre une dynamique politique très dangereuse lorsque les sociétés peuvent exiger les mêmes droits que les citoyens et passer de l'étape d'une création de l'État jusqu'à devenir non seulement l'égale de l'État, mais dans le cadre d'accord comme l'AMI, disposer de pouvoirs supérieurs à ceux de l'État. D'autant plus qu'elles ont déjà ce pouvoir lorsqu'elles s'adressent à vous et vous menacent à titre de député de fermer les usines dans votre circonscription si vous n'intervenez pas en leur faveur.

M. Daniel Turp: Cela ne leur permettra pas d'obtenir une contribution financière.

M. Mike Bradfield: Il s'agit d'une reconnaissance de leur pouvoir.

M. Sarkis Assadourian: Vous faites référence à la campagne du Bloc québécois?

M. Daniel Turp: Nous n'acceptions pas d'argent des sociétés.

M. Sarkis Assadourian: Sauf les sociétés présentes...

• 1405

M. Mike Bradfield: Cela devrait faire partie du principe selon lequel si les sociétés ne disposent pas des mêmes droits que les citoyens, elles ne devraient pas pouvoir faire de dons aux partis politiques. Les sociétés ont déjà des pouvoirs énormes, comme vous l'avez dit. Il me semble que dans une démocratie on veut instaurer un équilibre et enlever du pouvoir aux sociétés et faire en sorte qu'elles fonctionnent en respectant l'intérêt public. Mais lorsque les sociétés viennent témoigner devant un corps législatif, peu importe la façon dont elles présentent la chose, elles représentent leurs propres intérêts qui est celui de maximiser leurs profits.

L'argument de la théorie économique est le suivant: si vous ne disposez pas des conditions nécessaires pour établir un marché parfaitement concurrentiel, vous ne disposez d'aucune garantie que ce qui est dans l'intérêt privé des sociétés est aussi dans l'intérêt du public.

M. Sarkis Assadourian: Vous dites aux travailleurs d'usines de la Nouvelle-Écosse, de l'Ontario, du Québec, ou de la Colombie- Britannique: «Écoutez, vous avez tous les droits, mais les sociétés ne vous représentent pas». Quiconque désire conserver son emploi. Peu importe qui le représente. Il doit nourrir sa famille. Ce que vous me dites, finalement, c'est que sur le plan théorique c'est de la foutaise, et qu'en pratique ça ne fonctionne pas.

M. Mike Bradfield: Le côté pratique est que si vous continuez à accorder des pouvoirs aux sociétés, vous ne pourrez jamais changer le fait que les personnes leur sont redevables. Si vous commencez à contraindre les sociétés à agir dans l'intérêt du public, et si vous commencez à considérer le fait qu'il existe d'autres moyens d'organiser une économie—par exemple des coopératives qui sont la propriété des travailleurs qui ne déménageront pas parce que les travailleurs sont les propriétaires—vous ne leur serez plus redevables.

Je suggère qu'essentiellement vous devez avoir une perspective assez vaste de ce que l'économie devrait faire, de ce que le domaine politique est censé faire et comment les sociétés devraient agir dans ces deux cadres. Si les sociétés ne s'adaptent pas à ces deux cadres, dans ce cas vous devez les y forcer.

M. Sarkis Assadourian: Mais avoir une vaste perspective ne signifie pas exclure les sociétés.

M. Mike Bradfield: Il ne s'agit pas de les exclure, mais de les forcer à rester à leur place. N'oubliez pas elles sont une fiction sur le plan juridique—puissantes, mais néanmoins une fiction.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci, monsieur Bradfield.

Madame Lill pour une dernière petite question.

Mme Wendy Lill: Tout d'abord, je désire m'excuser pour mon retard, mais j'avais l'impression que nous commencions à deux heures. Quelqu'un m'a dit qu'il y avait un panneau à l'extérieur disant que les travaux recommençaient à deux heures. Donc je m'excuse, professeur Bradfield de n'avoir pas été ici.

Est-ce que j'ai bien compris et est-ce que vous essayez de nous dire qu'une société possède les mêmes droits que les citoyens?

J'aimerais vous raconter une petite mésaventure qui m'est arrivée hier. Un employé de la compagnie de téléphone est venu chez moi pour effectuer une réparation. Il m'a dit qu'il ne pouvait pas la faire finalement parce que ce n'était plus de la responsabilité de la compagnie. Il m'a dit que je devrais appeler un électricien ou le réparer moi-même. Il a décrit divers types de scénarios—une personne très stressée. Finalement il m'a dit: «Je ne peux pas le réparer, parce que la compagnie ne vous accorde plus aucun intérêt. Elle s'occupe uniquement des actionnaires». Je n'en croyais pas mes oreilles, mais c'est la vérité.

Donc il me semble que c'est un point de vue assez intéressant. Est-ce que nous parlons des actionnaires? Est-ce que nous parlons de citoyenneté? Il y a des centaines de milliers de citoyens dans ce pays qui sont très intéressés par ce qui se passe aux tables de négociation sur les échanges commerciaux, et pourtant ils n'ont aucun intérêt direct. Dire que les sociétés les représentent—et si vous pensez que le réparateur de la compagnie de téléphone se sentait représenté par sa compagnie—est absolument faux.

[Note de la rédaction: Difficultés techniques]

M. Sarkis Assadourian: ...

Mme Wendy Lill: Je suis très sérieuse. Je suis assise à cette table avec vous, mais il me semble que j'avance un point vraiment très important, c'est-à-dire que les citoyens ne sont pas des sociétés. C'est très différent.

M. Bob Speller: Je ne pense pas que c'est ce que M. Assadourian a dit non plus.

Mme Wendy Lill: C'est un débat intéressant. C'est comme si nous devions mettre un autre comité sur pied pour définir la notion de citoyenneté et de droits. Je ne pense pas que quiconque à cette table soit vraiment...

M. Daniel Turp: Le problème est que les sociétés disposent déjà de droits. Elles ont des droits, en raison de leur existence sur le plan juridique, qui est semblable à celle des particuliers qui ont des droits. Donc si vous voulez changer cela, vous devrez changer le cadre qui reconnaît les droits et vous mettre dans la position suivante que les sociétés, tout comme les individus, désirent obtenir de plus en plus de droits. Le recours devant les organismes internationaux afin de se plaindre d'expropriations et d'autres sujets semblables. Ce n'est pas aussi simple que de dire simplement «des droits semblables à ceux des citoyens—ou aucun droit», parce que ces droits existent déjà. Nous devons les restreindre ou tout simplement ne pas en ajouter d'autres.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je me demande s'il pourrait répondre à ceci dans sa conclusion. Nous pourrions suivre la suggestion de Mme Lill qui consiste à faire en sorte que cette question devienne l'objet d'un débat plus approfondi à un autre niveau du comité. Je suis très sérieuse.

Nous devons surveiller le temps qui nous est imparti, aussi voudriez-vous simplement répondre à la question.

• 1410

M. Mike Bradfield: La réponse est la suivante, vous ne faites que renforcer mon point de vue. Dans les organismes internationaux, le point de départ est que les sociétés disposent déjà de bien trop de droits, et que nous devons commencer à leur imposer des responsabilités; tandis que dans le cadre d'accords comme l'AMI, nous supposons que pour être en mesure de «libéraliser les échanges commerciaux», nous devons accorder aux sociétés davantage de droits et limiter leurs responsabilités.

À titre d'économiste, j'avance que cela est complètement en contradiction avec la théorie économique qui décrit comment les sociétés se comportent dans le type d'économie que nous avons, où ces sociétés disposent déjà de davantage de pouvoirs que ce que la théorie économique considère comme étant sain pour le bien public, alors que probablement c'est très sain pour les profits des sociétés.

Est-ce que vous aimeriez que je dépose les deux messages électroniques que j'ai reçus?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Oui, s'il vous plaît.

M. Mike Bradfield: Ce sont des rapports très circonstanciés.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Nous l'apprécierions beaucoup.

J'aimerais vous remercier de vous être présenté, monsieur Bradfield et aussi de votre exposé. J'aimerais aussi répéter, comme je l'ai fait avec tous les autres témoins qui ont comparu, que les portes de la communication sont grandes ouvertes. Nous n'en sommes qu'au tout début de nos consultations. Nous apprécierions beaucoup que vous nous teniez au courant de divers éléments qui vous semblent importants pour le comité. De la même manière, j'espère pouvoir faire appel à votre expertise afin de nous aider à nous acquitter de cette tâche. Merci d'être venu.

M. Mike Bradfield: Merci de m'avoir écouté.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Très bien. Nos prochains témoins sont Brian O'Neil, coordonnateur de programme auprès de Oxfam et deux représentants de la Fédération canadienne des étudiants, la composante de Nouvelle-Écosse, Penny McCall-Howard et Ian Sharpe. Vous êtes les bienvenus.

Vous disposez exactement de 46 minutes, aussi essayez autant que possible de vous en tenir à cinq à sept minutes chacun pour vos exposés, de sorte que nous disposions de 30 minutes pour la discussion et pour la période des questions. Est-ce que vous êtes d'accord avec ceci?

Monsieur O'Neil.

M. Brian O'Neil (coordonnateur de programme, Oxfam Canada): Nous allons essayer.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Très bien. Veuillez commencer.

M. Brian O'Neil: J'ai été frappé par le fait que ce comité tient des audiences dans tout le pays et, j'ai remarqué que les citoyens avaient manifesté énormément d'intérêt à l'égard de l'Accord multilatéral sur les investissements il y a environ un an et demi. Cet intérêt justifiait certainement la tenue d'audiences publiques dans tout le pays, sur cette question, et pourtant elles n'ont pas eu lieu.

Je suppose qu'il y a un certain type de liens avec le fait que nous tenons les présentes audiences du comité à l'heure actuelle en rapport avec l'Organisation mondiale du commerce et l'Accord de libre-échange.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Oui je peux confirmer que c'est effectivement le cas.

M. Brian O'Neil: Eh bien, pour ce qui est essentiellement de l'AMI il est évident que le gouvernement s'est engagé. Vous n'avez que partiellement réussi toutefois, pour ce qui est d'informer les gens de ce pays sur ces questions. Je suggère que si les gens avaient eu la chance d'être informés, ils auraient montré le même intérêt pour l'OMC et l'ALÉNA que pour l'AMI.

J'ai été mis au courant de cette question accidentellement en raison de mes rapports avec l'entourage du professeur Timothy Shaw qui travaille à l'Institut canadien des affaires internationales, ici à Halifax. Je pense que cette idée vient de lui, c'est-à-dire que le débat devrait déborder du petit nombre de personnes qui ont un intérêt dans la question, comme le monde des affaires. Donc, c'est par son intervention ici à Halifax, qui est remontée jusqu'à Ottawa, que j'ai été informé à titre de personne qui est réputée dans cette collectivité pour avoir toujours exprimé un intérêt pour ces questions. Mais toutes sortes d'autres personnes dans notre communauté s'intéressent aussi à ces questions. Et pourtant, ce n'est que le 15 mars que nous avons entendu parler de la venue du comité dans notre ville, la semaine suivante.

• 1415

Donc il me semble que c'est mieux que l'AMI, mais réellement seulement de façon marginale. Ce sera donc insuffisant, lorsque ce comité terminera ses travaux que l'on dise avoir consulté le peuple canadien. Cela ne s'est jamais fait. Il me semble que nous pourrions améliorer considérablement les choses à cet égard.

Dans mon exposé, je vais essayer de mettre en lumière une partie de ce que j'ai déjà écrit. Je veux aborder l'un de nos principaux sujets d'inquiétude à Oxfam qui tourne autour de la façon dont le Canada s'acquitte de ses obligations en matière d'affaires étrangères dans la sphère économique—c'est-à-dire la primauté des intérêts commerciaux qui relègue les incidences critiques sur le plan social et environnemental des activités économiques à un niveau qui est proprement inadéquat.

Le gouvernement canadien a exprimé ses préoccupations concernant l'inaptitude d'un grand nombre de pays sous-développés à s'adapter à la mondialisation économique. Cette préoccupation doit être rapprochée sur le plan pratique avec le soutien que le gouvernement accorde à la libéralisation du commerce et des capitaux, parce que j'ai lu à maintes occasions, et particulièrement dans des documents de l'ACDI que nous étions préoccupés au sujet de l'adaptation des pays du sud, et ainsi de suite, alors que pourtant dans l'ensemble on assiste à cette expression omniprésente de soutien aux échanges commerciaux et à la libéralisation des capitaux. Il me semble certainement que le premier volet—c'est-à-dire, la préoccupation à l'égard des pays sous-développés—ne vient qu'en deuxième lieu. Il me semble que cela pourrait franchement être considéré comme un peu plus qu'un aphorisme. Il y a bien des façons dont on pourrait énoncer cette relégation, mais il ne faut pas chercher plus loin que l'engagement du Canada à offrir une aide officielle au développement, qui, en termes réels a rétréci d'environ 50 p. 100 depuis les sept dernières années et c'est une honte.

Lorsque l'on examine d'un oeil critique la façon dont le Canada établit actuellement ses priorités en ce qui concerne l'enveloppe consacrée au développement économique à l'étranger, je présenterai une perspective des problèmes qui découlent de la séparation des aspects économiques des autres aspects de la vie en général et je demanderai aux comités d'examiner les engagements profonds et exhaustifs que ce pays a pris bien avant que les propositions visant de nouveaux accords commerciaux soient déposées sur la table.

Afin d'en venir rapidement à mon principal argument, je vous demanderais de jeter un coup d'oeil à la page 2 du mémoire, qui décrit ce qui se passe au niveau de la politique économique dans ce pays et également comment ce pays oriente sa perspective économique à l'échelle mondiale en fonction de la mondialisation de l'économie. De fait, nous avons mis en place un certain nombre de cadres politiques et juridiques qui ont contribué à guider ce processus de mondialisation économique. Le Canada a tenu tête à tous les vents sur ce sujet. Nous avons, tout d'abord, mis en oeuvre des programmes d'ajustement structurel dans de nombreux pays du sud, l'Accord de libre-échange de 1988 et l'ALÉNA de 1993, l'Uruguay Round du GATT et la formation par la suite de l'Organisation mondiale du commerce en 1995, et bien d'autres efforts visant à tenir compte des échanges commerciaux et des droits des investisseurs.

Ce qui est frappant au sujet de tous les efforts en cours en vue de légiférer sur les droits des investisseurs et des négociants, c'est le manque flagrant de volonté à enchâsser et appliquer, à la fois au pays et à l'échelle mondiale, les accords internationaux les plus importants de ce siècle. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les commentaires du professeur Bradfield, parce que j'ai noté certains points de confluence.

D'abord et avant tout, il est question de la Déclaration universelle des droits de la personne. Dans l'esprit d'Oxfam, comme je l'ai mentionné dans mon introduction, que je n'ai pas lue, nous nous préoccupons réellement des droits humains fondamentaux, et cela découle de ce que nous constatons avec la mondialisation économique. La deuxième déclaration qui nous préoccupe est le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, les protocoles qui ont été signés par 136 pays, y compris le Canada.

Ces deux déclarations ont précédé de très longtemps les programmes d'ajustement structurel et les accords commerciaux internationaux. En réalité, nous affirmons qu'il devrait être obligatoire que tous les accords liés à l'économie subséquents soient conformes ou soient adaptés à la fois à l'esprit et à la lettre de la Déclaration universelle des droits de la personne, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et à d'autres déclarations qui portent sur des questions et des droits liés aux femmes, aux enfants, au travail, à l'environnement et aux programmes sociaux—et vous pourriez énumérer ces divers forums internationaux ou américains qui ont eu lieu. Mais plutôt, on nous présente une vision du monde qui est un moteur économique hautement concurrentiel qui bien entendu a des incidences très profondes dans toutes les sphères de l'activité mondiale: sociales, culturelles et environnementales.

Étant donné le rôle de plus en plus restreint accordé à l'État-nation par les diktats économiques, la planète est en voie d'être réformée en un monde sans frontière. Ce que moi-même et d'autres veulent savoir c'est qui a voté au Canada pour que l'État- nation voie son rôle diminué dans ce soi-disant monde sans frontière?

• 1420

De toute évidence, nous affirmons que c'est parce que cela semble servir les intérêts de ceux qui ont un intérêt majeur dans la récolte des profits découlant des investissements et des échanges commerciaux à l'échelle mondiale. Je réalise que cela fait appel d'une manière très restreinte à seulement un très petit nombre de personnes, mais finalement ce sont ces quelques privilégiés qui tirent les ficelles.

Il y a deux aspects que j'aimerais souligner concernant le processus de mondialisation et que tous semblent toujours laisser de côté. On nous affirme qu'en accroissant les échanges commerciaux on stimulera en quelque sorte la création de richesses, parce que si nous augmentons les échanges commerciaux nous stimulerons aussi l'activité économique et effectivement si nous stimulons l'activité économique cela se produira bien entendu, peut-être qu'au tout début cela profitera à quelques-uns, mais en dernier ressort tout ce bel édifice va s'effondrer. Laissez-moi vous dire que deux points fondamentaux qui s'appuient sur des faits viennent en contradiction avec cette affirmation.

Tout d'abord, si vous voulez jeter un coup d'oeil aux plus récentes statistiques concernant la croissance économique mondiale, dans les Global Economic Prospects (Perspectives économiques mondiales du groupe de la Banque mondiale) qui ont été publiées en décembre 1998, ces statistiques montrent très clairement dans le tableau de la page 2 ou de la page 3, que la croissance économique mondiale, sur une base annuelle, dans les années 80 était de 3,1 p. 100. Pour ce qui est de l'Amérique latine et de l'Afrique, on a qualifié les années 80 de décennie perdue; mais même avec cet élément, même avec une récession profonde ici au Canada au début des années 80, etc., nous avons tout de même enregistré une croissance de 3,1 p. 100 par année. Entre 1991 et 1998, nous avons enregistré une croissance économique annuelle de 2,3 p. 100 annualisée et cette croissance a été enregistrée durant une période d'expansion du commerce mondial; c'était au moment où la déréglementation poussait très fort et pourtant, nous avons affiché une réduction.

En fait, j'ai mon petit addendum de ce qui me manque, c'est-à- dire de ce que l'ordinateur a récupéré qui est le troisième dernier paragraphe de la page I que j'ai mis en évidence, «The Borderless World» (Monde sans frontière). Autrement dit, malgré l'intensification de la déréglementation des économies nationales et l'expansion du commerce dans les années 90, la croissance économique a véritablement reculé. De fait, cette tendance existe depuis le début des années 70, lorsque le système Bretton-Woods des taux de change fixes s'est effondré. Cela aussi est documenté. Certains documents très intéressants ont servi de référence au premier ministre Tony Blair l'année dernière lorsqu'il a voulu étayer de façon très précise le déroulement de ce processus.

En même temps que cela se produit, nous constatons également l'écart extraordinaire qui se creuse entre les riches et les pauvres. L'un des meilleurs documents récents à ce sujet à l'échelle mondiale est le rapport des Nations Unies sur le commerce et le développement daté de septembre 1997. Les Nations Unies ont mis au point un programme qui porte également sur cet écart qui se creuse. Selon le PNUD, la richesse des 225 personnes les plus riches du monde correspond au revenu annuel de 47 p. 100 de l'humanité la plus pauvre, soit environ 3 milliards de personnes. Donc nous sommes en face de cette équation, que la richesse de ces 225 personnes est mise en rapport avec les revenus annuels de presque 3 milliards de personnes, et ces chiffres ne font que s'accentuer.

Je fais référence dans mon rapport à une étude effectuée par Merrill Lynch, l'année dernière, dans laquelle on affirmait que les méga-riches, c'est-à-dire les personnes les plus riches du monde, devraient voir leur richesse s'accroître de 10 p. 100 par année au cours des trois prochaines années, c'est-à-dire pour la portée de leurs prévisions.

Ici au Canada nous assistons à la même situation. Le ministre des Finances Paul Martin peut bien lever les yeux au ciel et dire: «C'est très malheureux que l'écart se creuse entre les riches et les pauvres. Je suppose que la mondialisation en est la cause. Bon sang, que pouvons-nous faire?». Je suis désolé, mais à mon sens il y a beaucoup que nous puissions faire.

D'une façon ou d'une autre, dans ce pays, selon les plus récentes statistiques sur le revenu par la taille produite par Statistique Canada en 1996... J'ai essayé d'obtenir des renseignements plus récents sur cette question, je me demande pourquoi ils n'en produisent pas, parce que c'est vraiment très intéressant. En 1996, c'est l'année la plus récente à laquelle remontent nos informations, les statistiques montraient que les 20 p. 100 du sommet voyaient leurs revenus augmenter de 1,8 p. 100, tandis que les 20 p. 100 de la base voyaient leurs revenus diminuer de 3,1 p. 100. Autrement dit, non seulement l'écart se creuse-t-il entre les riches et les pauvres, mais nous assistons à une situation où les riches deviennent littéralement de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.

Si vous considérez la situation d'environ 47 ou 50 pays parmi les plus pauvres du monde, leurs revenus réels par habitant a diminué depuis le début des années 80. Donc cette situation ne fait que progresser et les gens vont soupirer: «Le système nous entraîne et nous ne pouvons rien n'y faire». À mon sens il y a beaucoup de choses que nous puissions faire. Et je vous fais part de quelques idées dans mon mémoire.

J'aimerais terminer en faisant quelques commentaires, parce qu'il me semble qu'ils seraient utiles à ce comité.

• 1425

Certains membres du comité peuvent peut-être s'exaspérer de nos exhortations pour que le Canada adopte une position plus ferme et qu'il établisse des liens, et même nous souhaiterions qu'il accorde une priorité aux préoccupations liées au développement humain et à l'environnement dans le cadre des forums multilatéraux, et tout particulièrement ceux qui portent sur les enjeux économiques. Après tout, vous pourriez penser ou même dire que le Canada est un petit pays sur la scène économique mondiale.

J'aimerais vous contredire sur ce sentiment qui pourrait, et même qui effectivement sert de fondement à un manque de volonté politique dans le règlement de ces préoccupations au G-7, aux Nations Unies, dans les institutions du système Bretton-Woods, à l'OMC, à l'OCDE, etc. À Oxfam, nous entendons constamment, et j'aimerais vraiment insister sur ce point, à la fois de la part des autres Oxfam—et il en existe 11 autres dans le monde entier—de la part de nos partenaires dans le sud, à quel point ce pays a une influence dans les affaires internationales d'une manière qui est remarquablement disproportionnée par rapport à sa taille. Le fait d'avoir récemment obtenu un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies ne fait qu'ajouter à cette influence.

Le Canada a fait du bon travail ces dernières années en ce qui concerne les questions de sécurité de la personne à l'échelle mondiale, y compris en ce qui a trait au bannissement des mines antipersonnel. Toutefois, j'aimerais rappeler aux membres de ce comité que cette initiative provenait d'organisations non gouvernementales dont Oxfam Canada faisait partie. Cette initiative nous a permis d'élargir nos préoccupations en matière de sécurité des personnes dans l'affaire de l'activité économique mondiale.

Oui, nous avons besoin d'une économie mondiale fondée sur des règles. C'est une constante que je retrouve dans la documentation qui émane de ce comité, de l'ACDI, etc. Nous avons besoin d'une économie réglementée. Mais nous nous interrogeons à savoir si avant toute chose on ne devrait pas faire en sorte que ces règles soient établies en fonction des premiers points sur lesquels le Canada a donné son accord, comme la Déclaration internationale des droits de la personne, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, comme la CNUCED, les droits des enfants, et ainsi de suite.

Je vous remercie beaucoup.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, monsieur O'Neil.

Nous allons maintenant donner la parole à Mme McCall-Howard, puis à M. Sharpe.

Mme Penny McCall-Howard (représentante nationale exécutive, Fédération canadienne des étudiants—composante de la Nouvelle- Écosse): Merveilleux. Merci beaucoup.

Je m'appelle Penny McCall-Howard et je suis la représentante nationale de la Nouvelle-Écosse auprès de la Fédération canadienne des étudiants. La Fédération canadienne des étudiants représente 400 000 étudiants des collèges et universités répartis dans 65 institutions dans tout le pays.

Ian, voulez-vous vous présenter?

M. Ian Sharpe (membre exécutif, Fédération canadienne des étudiants—composante de la Nouvelle-Écosse): Oui bien sûr. Je m'appelle Ian Sharpe. Je suis le représentant de la composante de la Nouvelle-Écosse auprès de la Fédération canadienne des étudiants et je suis du King's College de Halifax. J'aimerais m'excuser à l'avance pour mes erreurs éventuelles sur le plan de la procédure, parce que je viens tout juste d'être élu et je suis toujours...

M. Sarkis Assadourian: Félicitations.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Nous sommes heureux de vous avoir ici, veuillez continuer.

M. Ian Sharpe: Merci.

Mme Penny McCall-Howard: Merci beaucoup.

Même si la majeure partie du travail que nous accomplissons n'est pas nécessairement dans le domaine du commerce international ou des affaires étrangères, nous nous efforçons certainement, par exemple, de participer aux conférences internationales qui portent sur l'éducation et d'envoyer nos représentants élus à l'échelle nationale et certainement nous avons un intérêt dans le domaine des politiques internationales sur le commerce étant donné que celles- ci ont une incidence sur les programmes sociaux et, plus particulièrement, sur les programmes d'enseignement secondaire qui sont dispensés au Canada.

Nous avons un intérêt marqué en ce qui concerne un grand nombre des mesures qui figurent dans l'Accord multilatéral sur les investissements. Étant donné qu'une grande partie de ces négociations semble s'être déplacée sur la tribune de l'Organisation mondiale du commerce et par le fait même de la présente consultation, nous avons par conséquent un intérêt pour ce qui se passe au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Donc nous comprenons qu'il s'agit d'une nouvelle étape ou de l'amorce d'une nouvelle étape de discussions qui sera complétée en janvier 2000.

M. Ian Sharpe: Ces discussions qui se déroulent à l'OMC représentent une menace que nous ne devons pas sous-estimer. L'Organisation mondiale du commerce a déjà dans le passé renversé des lois en matière d'environnement, des lois en matière de salubrité des aliments, d'autres lois qui protégeaient la diversité culturelle et la santé publique. L'Organisation a mis fin à l'interdiction de l'Union européenne relative aux hormones de croissance bovines et a forcé l'American Clean Air Act à retirer les articles qui représentaient un obstacle illégal au commerce.

Ces exemples et bien d'autres nous indiquent que la philosophie de l'OMC est de profiter aux échanges commerciaux et de favoriser la libéralisation des investissements aux dépens des objectifs sociaux et environnementaux de la part des gouvernements individuels. Les seules qui bénéficient de ces mesures sont les grandes sociétés transnationales. Ceux qui sont affectés sont les citoyens individuels des pays concernés.

Mme Penny McCall-Howard: En ce qui concerne la relation qui existe entre la libéralisation du commerce international et l'éducation, d'abord et avant tout, nous sommes les opposants à la coopération internationale comme telle.

• 1430

Brian a mentionné le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que le Canada a signé en 1976. De notre point de vue, il est intéressant, instructif et décevant de constater que dans le cadre de ce pacte qui comprend une clause en vertu de laquelle le Canada s'est engagé à mettre progressivement l'éducation postsecondaire à l'abri des obstacles économiques, depuis 1976 nous avons constaté une augmentation des droits de scolarité dans les institutions de tout le pays. Seulement au cours des 10 dernières années, ces frais de scolarité ont augmenté de 150 p. 100. Il y a eu des restrictions dans le budget canadien de l'enseignement postsecondaire et de la formation de l'ordre de 7 milliards de dollars. Donc, nous voyons ces restrictions comme un exemple de l'échec du Canada à respecter ses obligations internationales et ses obligations envers ses citoyens.

L'un des effets négatifs de l'actuelle série de discussions concernant la libéralisation du commerce est l'accès illimité qu'ont les sociétés privées aux étudiants et au milieu éducatif et le fait que ces sociétés ont une influence dans les salles de classe et sur le contenu des cours qui sont enseignés. Je pense qu'il existe une quantité d'exemples de ce qui se produit actuellement au niveau de l'enseignement élémentaire et secondaire.

Un autre effet est le risque additionnel que comporte la privatisation en ce qu'elle limite la liberté sur le plan scolaire. Nous avons pu constater des exemples assez frappants de cette situation dans le secteur de l'éducation postsecondaire au Canada, et plus récemment et de façon encore plus frappante à Toronto où une compagnie pharmaceutique qui finançait une recherche effectuée par une femme a essayé de l'empêcher de publier des résultats négatifs et par conséquent tout un ensemble de...

M. Sarkis Assadourian: Cela s'est produit à l'Hospital for Sick Children de Toronto.

Mme Penny McCall-Howard: Oui, et au bout du compte, l'Université de Toronto a été mêlée à cette histoire. L'association des professeurs s'est portée à la défense de cette chercheure. Nous assistons à une prise de contrôle du secteur privé sur la recherche et cela représente une menace à la santé publique et à la sécurité et à la liberté des professeurs au Canada.

Les investisseurs dans les produits éducatifs, comme les compagnies privées qui dispensent de l'enseignement, peuvent être en mesure de refuser de verser des impôts de sociétés qui soutiennent un système d'enseignement public en invoquant le fait que le système serait en concurrence avec les intérêts de leur entreprise. Par exemple, si un programme était offert à la fois dans une école commerciale privée et un collège communautaire public de la Nouvelle-Écosse, il pourrait y avoir un différend comme quoi il s'agirait d'une sorte d'encouragement illégal à la concurrence de la part du gouvernement. Nous dirions simplement que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse serait responsable de la prestation de ce programme d'une manière qui le forcerait à rendre des comptes au public en dispensant ces cours par l'entremise du système d'enseignement public.

D'autres effets pourraient être l'éventuelle poursuite intentée à l'échelle internationale par des sociétés contre des institutions individuelles ou des administrations publiques pour leur imposition d'une réglementation aux investisseurs privés ou aux donateurs, et en vue d'empêcher les gouvernements de favoriser une institution publique plutôt qu'une institution privée. Encore une fois, je me réfère à l'exemple des écoles de métier. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, mais très récemment dans le Canada atlantique, un grand nombre de ces écoles ont fait faillite. Elles ont pris l'argent des étudiants puis elles ont fermé leurs portes. Nous pensons qu'il est très important de maintenir notre investissement dans le système d'enseignement public au Canada et que ce système ne devrait pas être désavantagé par rapport aux écoles de formation privée.

Les autres effets seraient que l'on cesse de faire la promotion du contenu canadien dans les programmes de cours et que l'on restreigne l'utilisation dans les institutions des lignes directrices en matière d'approvisionnement favorisant les fabricants locaux ou nationaux.

M. Ian Sharpe: La position de la fédération à cet égard est que l'éducation et une société éduquée sont des impératifs pour la santé permanente de la société canadienne. Je suppose que ce serait aussi la position de la plupart des étudiants, qu'ils fassent partie ou non de la fédération. Une société éduquée est également considérée par les économistes comme un élément positif pour l'économie.

La privatisation de l'éducation menace la liberté d'expression et limite l'accessibilité que le Canada a finalement atteinte dans son système. Toute mesure visant à réduire ces gains devrait faire l'objet d'une opposition.

En outre, dans le climat économique mondial incertain que nous connaissons, il est encore plus important que jamais de s'assurer que le Canada maintienne son aptitude à protéger sa population des pires effets d'un ralentissement économique. Les multinationales ne sont pas intéressées par la protection des droits de la personne ou de leur citoyenneté. Elles ne s'intéressent qu'à leurs profits. Les gouvernements doivent jouer le rôle d'un protecteur. Et c'est, en réalité, leur rôle.

• 1435

Mme Penny McCall-Howard: Pour ce qui est de recommandations précises, nous sommes convaincus que le Canada devrait s'opposer à la négociation d'un nouvel accord commercial dans le cadre des discussions du millénaire de l'Organisation mondiale du commerce, étant donné le contexte du type de mesures qui ont été mises en oeuvre par l'Organisation mondiale du commerce dans le passé et de ce que nous pensons que représente le programme général d'accords commerciaux; nous insistons sur une évaluation à grande échelle des effets de la libéralisation des échanges commerciaux, y compris des incidences économiques, sociales et environnementales, nous insistons sur le droit du Canada de créer des emplois significatifs pour ses citoyens, d'imposer et d'améliorer des réglementations en matière d'environnement, de protéger la culture canadienne, de protéger les programmes sociaux canadiens, et tout particulièrement l'éducation et en général de protéger ses citoyens par rapport aux intérêts des grandes entreprises.

Nous avons un autre point très précis à faire valoir. Nous sommes persuadés qu'il faudrait faire quelque chose pour favoriser la libre circulation des étudiants entre les pays et éliminer des obstacles comme les différences dans les frais de scolarité pour les étudiants étrangers et l'enseignement. Je viens tout juste de mentionner les restrictions massives en matière de financement accordées aux institutions d'enseignement postsecondaire dans tout le pays. En face de ce manque à gagner, les étudiants internationaux sont souvent considérés comme une source de revenus, un moyen de compenser pour ces restrictions.

Tout récemment en Nouvelle-Écosse, les frais de scolarité excédentaires que les institutions exigent des étudiants internationaux ont été déréglementés, ce qui a permis aux institutions d'exiger ce qu'ils voulaient et, éventuellement de leur demander davantage que ce qu'il en coûte véritablement pour la prestation des programmes.

Notre position est la suivante, et nous sommes aussi convaincus qu'elle devrait être celle du gouvernement, étant donné la rhétorique qui entoure l'importance de l'éducation et l'importante de la compréhension et de la coopération à l'échelle internationale, que le mouvement ou la circulation des étudiants et les possibilités d'effectuer des études à l'échelle internationale devraient être encouragés et que l'on ne devrait pas ajouter des obstacles ou encore exploiter les étudiants.

Nous serons très heureux de répondre à vos questions.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup.

Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Je vous remercie beaucoup.

Pour ce qui est des consultations, il me semble que vous avez tout à fait raison de suggérer qu'étant donné ce qui s'est produit l'année dernière avec l'AMI, le gouvernement, comme tous les autres gouvernements, a décidé qu'il ne voulait pas se faire prendre encore une fois à ne pas consulter les gens pendant qu'il négociait. J'ai dit ce que j'en pensais, et je pense que c'est une bonne idée de consulter, et de le faire au tout début du processus, avant que les accords soient sur le point d'être signés.

C'est ce qui s'est passé avec l'AMI. La raison pour laquelle il y a eu tout ce remue-ménage autour de l'AMI est parce que l'accord était pratiquement signé. Eh bien cette fois-ci nous serons un peu en avance.

Il y a eu des problèmes, et à mon sens nous devrions être très honnêtes à cet égard, le fait de ne pas avoir annoncé suffisamment à l'avance la tenue des consultations ou du moins suffisamment à l'avance pour faire en sorte qu'il y ait davantage de personnes ici. Je pense que ce n'était pas le but visé de ne pas avoir autant de personnes que possible.

M. Bob Speller: Il y a une différence également, et parfois le public ne le réalise pas, entre l'aile parlementaire et les consultations du Parlement et le gouvernement ou l'aile de l'exécutif et ces consultations.

Le ministre a produit cette lettre sur la consultation en février. En fait, je suis surpris que Oxfam Canada n'ait pas été mis au courant. Je pense que nous avons reçu d'autres représentants de Oxfam à ce comité auparavant.

Le comité numéro un, pour ce qui est de cette tournée, a été organisé par le comité ou l'aile parlementaire, beaucoup plus tard et voici les résultats.

M. Daniel Turp: Mais ma question à ce sujet est la suivante, pour qu'elles soient significatives, quelle forme ces consultations devraient-elles prendre dans les mois à venir alors que les négociations vont bientôt commencer et que les événements vont se précipiter? Je suppose que vous devez penser que ceci est insuffisant, au tout début du processus ou même avant les débuts. Qu'aimeriez-vous voir pour ce qui est des consultations menées durant le processus de négociation de l'OMC de tous ces accords?

M. Brian O'Neil: Cela dépend d'à partir de quel endroit nous parlons au Canada et à mon sens nous parlons pour la majeure partie du temps, des régions urbaines.

• 1440

Dans certaines villes du pays il existe des réseaux bien établis d'organisations communautaires. Il se peut que des conseils de planification sociale existent et ainsi de suite. Nous n'avons pas de conseils de planification sociale ici. La façon dont la structure fonctionne... Je ne suis pas sûr de pouvoir établir correctement la distinction entre un comité exécutif ou un comité parlementaire et ce type de structure à Ottawa, mais c'est tout comme s'il fallait adjoindre à ces comités des personnes qui ont de l'expérience et qui sont sensibles au développement communautaire. Donc il y aura un processus de consultation, et ce processus fera automatiquement intervenir des personnes possédant ce type de connaissances ou d'expertises en matière de développement communautaire si vous voulez réellement engager les citoyens de ce pays et pour faire en sorte d'informer la population.

À Halifax, nous ne disposons d'aucun conseil de planification sociale, mais nous disposons toutefois de réseaux d'organisations communautaires. Donc, s'il y avait une certaine forme de processus établi à Ottawa et si l'on savait que quelqu'un désire trouver comment entrer en rapport avec ce type de réseaux, de coalitions ou de quoi que ce soit qui existe à Halifax et qui réunit les personnes qui s'intéressent aux questions économiques et sociales, et qui ont un lien à l'échelle internationale ou nationale avec ce type de préoccupations, eh bien ce serait connu. Dans ce cas, les personnes pourraient être contactées ici et les choses pourraient aller de l'avant.

M. Daniel Turp: Mais à quel moment cela devrait-il se produire? Est-ce que ce comité devrait revenir à Halifax dans 18 mois lorsque les négociations auront commencé et que nous disposerons d'informations nouvelles? Est-ce que nous devrions procéder durant le processus de négociations ou vous attendez-vous à ce que nous ne venions qu'à la toute fin lorsque les accords seront finalisés et rédigés? À quel moment pensez-vous que vous devriez faire part de vos opinions et de vos commentaires au sujet de ce qui se déroule?

M. Brian O'Neil: Tout d'abord, monsieur Turp, est-ce qu'on ne devrait pas accorder une certaine attention à la façon dont ce processus évolue ou commence à Ottawa et par conséquent à la façon dont il peut se rattacher à différents endroits dans tout le pays?

Je veux tout juste mentionner, spontanément, certains aspects du développement communautaire parce qu'il doit y avoir un moyen de mettre en rapport les élus et les citoyens de ce pays auquel ils doivent rendre des comptes et de faire les choses d'une manière très conviviale, en particulier pour les personnes qui sont plus marginalisées dans nos collectivités.

Il faut regarder les choses en face: si vous sortiez dans la rue et si vous abordiez Joseph ou Marie-tout-le-monde pour leur parler de la tenue d'un comité parlementaire ici, etc., ils vous diraient que c'est joliment compliqué. Ce processus comporte un aspect assez intimidant de prime abord, et peut-être parce qu'il est organisé par Ottawa, etc. Donc j'affirme que vous devez d'abord procéder différemment à partir d'Ottawa dès le tout début.

Pour ce qui est d'un processus permanent, une fois que vous avez mis cela en place, que les avis sont donnés et que les personnes sont véritablement encouragées à participer alors que le comité se déplace d'un endroit à l'autre, ensuite vous pouvez essayer d'organiser les choses pour que cela se répète tous les trois mois, tous les six mois ou peu importe.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Madame McCall-Howard, aimeriez-vous répondre à cette question?

Mme Penny McCall-Howard: Je me rappelle lorsque j'étais en sixième année qu'il y avait une élection et qu'elle portait sur l'accord de libre-échange avec les États-Unis.

M. Daniel Turp: En novembre 1988.

Mme Penny McCall-Howard: C'est bien ça. Et je me rappelle aussi que le Parti libéral avait modifié sa position à cet égard très rapidement après avoir été élu.

Je pense que c'est une question qui doit être soumise à la population en général. Je suis très heureuse que ces consultations aient lieu. Je me sens honorée d'avoir la possibilité de me présenter ici mais il me semble que cette tribune n'est pas suffisante pour susciter la participation du public si nous voulons discuter de ces accords et de ces mesures de grande portée.

M. Daniel Turp: J'aurais une question au sujet de l'éducation.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Très rapidement.

M. Daniel Turp: En ce qui concerne l'éducation, vous ne pouvez pas seulement blâmer le commerce international, vous devez aussi blâmer le gouvernement pour ce qu'il a fait au sujet des droits de scolarité.

Au Québec, le gouvernement a gelé les frais de scolarité pour deux élections d'affilée, mais il les a tout de même augmentés légèrement. On a établi des frais de scolarité différents pour les étudiants étrangers parce que si vous ne le faisiez pas, vous auriez des tas d'étudiants américains qui viendraient étudier à McGill. Ce ne serait pas juste, parce que vous ne pouvez pas aller étudier aux États-Unis pour un an.

M. Sarkis Assadourian: Pour 4 000 $.

M. Daniel Turp: C'est un gros problème.

Je pense que c'est formidable que vous ameniez ces questions. Que faut-il faire pour que le gouvernement ne se serve pas du mouvement de libéralisation des échanges commerciaux pour privatiser l'éducation? Que doit-il se produire? Les gouvernements qui veulent le faire—et certains désirent réellement le faire—se serviront des lois internationales en matière de commerce comme elles le font déjà pour dire vous voyez, nous pouvons le faire et les gens veulent que nous le fassions. Donc comment établissez-vous un lien avec cette situation?

• 1445

Mme Penny McCall-Howard: C'est une question très vaste.

La première chose à reconnaître est la suivante, si nous regardons l'enseignement postsecondaire au Canada. Nous fonctionnons déjà dans le cadre d'un système largement privatisé. Dans son état actuel, la contribution financière du gouvernement est toujours très importante. Des mécanismes de reddition de comptes auprès du public sont en place. En Nouvelle-Écosse, la majorité du financement des institutions provient maintenant des frais de scolarité assumés par les étudiants. Donc, sur le plan technique, je suppose que c'est comme si ces institutions étaient privées. Le système d'aide aux étudiants qui permet à 50 p. 100 des étudiants canadiens de fréquenter les institutions a été largement privatisé depuis 1995, lorsque l'apport de partage des risques a été signé par diverses banques à charte.

Cette question est tellement vaste, que je ne sais vraiment pas comment y répondre.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Si vous désirez, vous pouvez y réfléchir, retourner auprès de votre fédération et puis présenter un mémoire distinct au comité qui porterait précisément sur cette question. Nous serions très heureux que vous fonctionniez de cette façon plutôt que de vous sentir sur la sellette ici. Donc vous pouvez y penser et revenir plus tard sur la question.

Désolée, madame Lill.

Mme Wendy Lill: Je tiens d'abord à vous remercier d'être venus.

Brian O'Neil, vous mettez de l'avant une préoccupation très importante pour ce qui est de Oxfam, qui est un organisme international qui fait affaire avec des millions et des millions de personnes. Et vous avez soulevé la question de ce qu'il est advenu des accords qui sont intervenus devant l'OMC. Vous parlez de la Déclaration universelle des droits de la personne et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Même s'il semble que ce processus soit entouré d'une grande légitimité, il reste une question fondamentale à régler, c'est-à- dire est-ce que nous devrions seulement participer à ce nouveau cycle de négociation ou devrions-nous plutôt prendre du recul. Peut-être que nous devrions examiner les résultats du dernier cycle de négociation et déterminer où l'OMC nous a entraînés. Vous venez de nous faire part de statistiques réellement étonnantes pour ce qui est de la santé économique mondiale.

Je sais qu'autour de cette table les opinions diffèrent beaucoup. Certains sont d'avis que les sociétés ou les personnes morales ont des droits au même titre que les citoyens. Je ne pense pas que les deux étudiants assis à cette table sont de cet avis. Donc il me semble que nous avons passablement de sujets à discuter. En tant que membre du Nouveau Parti démocratique, dans cette instance particulière j'aimerais suggérer que nous déclarions un moratoire sur les négociations de l'OMC et que nous prenions le temps d'examiner la situation.

Je vous fais simplement cette proposition. Quel type de droits appartiennent aux sociétés, selon vous? J'aimerais entendre la réponse de vous trois.

M. Brian O'Neil: Comme je l'ai mentionné dans mon mémoire, Oxfam est de plus en plus engagé dans des travaux de défense des droits et nous nous sommes axés sur ce que nous appelons les droits humains fondamentaux. Au départ il y avait les droits sociaux et économiques, qui découlaient à la fois de la Déclaration universelle des droits de la personne et du pacte international. Cet engagement ne s'est pas fait par hasard, et nous nous sommes dits que ce serait une bonne idée pour nous de nous engager à cet égard. Nous obtenons aussi l'appui de nos partenaires à l'étranger. Nous avons aussi l'appui de la population canadienne qui semble penser que nous sommes placés devant une situation d'enchâssement de ces droits des sociétés, sur le plan juridique ou autre, des droits des négociants ou des investisseurs, même si cela semble incroyable.

Dans l'intervalle, nous constatons cet autre phénomène sur le plan statistique des riches qui deviennent de plus en plus riches et des pauvres qui deviennent de plus en plus pauvres. Il y a certainement quelqu'un qui tire profit de toute cette situation, parce qu'énormément de gens que nous côtoyons semblent avoir la vie bien difficile.

Nous avons examiné les principes de départ, les premières mesures, les premières ententes. Tout le monde trouve qu'elles sont fantastiques. Nous entendons les politiciens dire des choses très positives à leur sujet de temps en temps. Comme l'a déclaré Mike Bradfield, les principes sont une chose, mais lorsqu'il s'agit de les mettre en rapport avec les avantages qui découlent de l'OMC ou de quoi que ce soit d'autre, c'est une autre paire de manches. En un sens, l'objectif visé est l'enchâssement sur le plan juridique et l'application de ces premières ententes et de ces premiers pactes que, soi-disant, nous considérons comme étant des idées merveilleuses. Commençons par les mettre en vigueur, et jugeons du reste à partir des résultats obtenus. Avoir des règles c'est une bonne chose. C'est ce que nous entendons continuellement, qu'il faut établir des règles. Alors commençons par examiner ces règles.

M. Daniel Turp: Et comment allez-vous procéder?

• 1450

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Veuillez s'il vous plaît faire des remarques assez brèves parce que nous avons deux autres témoins.

M. Brian O'Neil: Tout d'abord, je pense que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est un très bon document dans le sens que, comme l'a mentionné Penny, vous ne pouvez plus reculer. Vous atteignez un certain niveau avec les dispositions relatives à ces droits, et à moins que l'on constate des circonstances particulièrement aggravantes au cours desquelles votre économie connaîtrait une déflation, ou s'engagerait dans une récession ou quelque situation semblable, vous ne pouvez plus faire marche arrière par rapport aux dispositions qui ont déjà été prises. Vous devez au moins maintenir le statu quo ou améliorer la situation.

Je ne nie pas cela pour ce qui est de l'application de toutes ces ententes et pour ce qui est de l'atteinte d'un accord à l'échelle internationale concernant l'application de ces ententes, il n'y aurait aucune difficulté. Je n'ai pas examiné l'ensemble des documents de l'OMC, mais j'imagine que cela doit représenter plusieurs volumes en épaisseur. L'ALÉNA représente quelque 1 100 pages de documentation et elle comporte également toute une série de documents en annexe. Lorsque les gens désirent fournir un cadre juridique à ce qui semblait pendant des décennies être incroyablement compliqué, et bien ils le font. J'affirme qu'il n'y a pas eu de volonté politique d'établir un filtre des droits sociaux, économiques, environnementaux et culturels à travers lequel tous ces autres aspects auraient pu être examinés et j'aimerais bien voir un certain effort déployé en ce sens.

Ce n'est pas pour me montrer facétieux, mais nous avons une énorme structure organisationnelle qui se déroule en secret à l'OCDE pour ce qui est de l'accord multilatéral sur les investissements et étant donné la quantité astronomique de richesses en cause dans le monde, est-ce que ce ne serait pas une bonne idée d'organiser une campagne ou un comité multilatéral ou encore un sérieux effort multilatéral visant à éradiquer la pauvreté? Mais il y a aucune volonté politique en ce sens.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur O'Neil, pour ce qui est de la question de M. Turp, nous apprécierions beaucoup si vous pouviez réfléchir un peu à cette question concernant la mise en oeuvre des ententes antérieures et si vous pouviez transmettre l'information au comité.

Je dois maintenant passer à quelqu'un d'autre parce qu'il ne nous reste plus que cinq minutes. Monsieur Speller et ensuite monsieur Assadourian.

M. Bob Speller: Merci, madame la présidente.

Je tiens à vous remercier tous les deux de votre exposé de ce matin.

Comme je l'ai dit un peu plus tôt, ce processus a été amorcé en partie par notre gouvernement en février. Comme l'a déclaré M. Turp, ce processus vise probablement à réagir à une partie des problèmes qui ont été suscités par toute la situation de l'AMI qui a activé les frustrations non seulement chez les Canadiens mais aussi partout dans le monde comme quoi il n'y avait pas eu suffisamment de consultations.

Le gouvernement est certainement convaincu du fait que s'il doit signer ces accords commerciaux, il est probablement dans son intérêt de connaître au préalable l'opinion des Canadiens. Si vous voulez mettre de l'avant les intérêts des Canadiens, il est important de leur parler et de discuter avec eux, non seulement dans les zones urbaines comme vous l'avez mentionné mais aussi dans les régions rurales du Canada d'où je viens.

Mme Lill a mentionné—et je veux lui poser une question—que certains groupes qui ont témoigné avant nous ont dit qu'il ne devrait pas y avoir de table de discussion du tout. En fait, un groupe qui nous a précédés a réellement fait cette déclaration. Je sais que vous n'avez pas participé aux réunions antérieures. En fait, je pense que le Nouveau Parti démocratique a participé à une seule des réunions antérieures sur sept ou huit.

Nous avons entendu près de 30 ou 40 témoins qui représentaient divers groupes de tout le Canada. Ces témoins avaient vraiment une portée nationale, donc ce que nous nous efforçons de faire maintenant c'est d'aller dans les régions. Malheureusement pour vous, il s'agit de notre premier voyage en région donc nous avons éprouvé certains problèmes sur le plan logistique qui devront certainement être corrigés. Mais comme je l'ai mentionné nous n'avons entendu cette remarque que d'un seul groupe. En fait, le Conseil des Canadiens a déclaré que nous devrions être à la table en train de négocier.

Vous et la Fédération canadienne des étudiants affirmez que vous vous opposez à la négociation d'un nouvel accord commercial dans le cadre du cycle du millénaire des discussions de l'OMC. Est- ce que vous parlez de cette entente relative aux investissements ou alors de l'ensemble des accords commerciaux? Au début de votre mémoire, vous semblez suggérer que la raison d'être de ce nouveau cycle de négociation ce sont les investissements. En réalité, il n'y a encore aucune entente relative aux investissements dans la présente série de discussions. Les deux seuls secteurs qui sont inclus dans le présent cycle sont l'agriculture et les services. Ce sont deux secteurs qui ont été mandatés au cours des dernières négociations, donc nous devons véritablement négocier. Aussi je vous demanderais, madame McCall-Howard, est-ce que c'est vraiment l'aspect des investissements auquel vous ne voulez pas participer ou voulez-vous tout simplement que le Canada ne soit pas présent du tout à cette table de négociation?

• 1455

Mme Penny McCall-Howard: Eh bien, d'après ce que je comprends du programme de l'Organisation mondiale du commerce et du type de règles et de règlements qui ont été adoptés dans le passé, même dans le domaine de l'agriculture et de certains aspects des services sociaux dont on s'est occupé—même si je ne pense pas que ces aspects ont été étudiés de façon très poussée—les règles et les règlements ont, dans une large mesure, servi surtout à accroître la privatisation dans ce type d'industries. Ce que nous entendons souvent c'est la libre circulation des investissements, etc. sous différentes formes et dans divers secteurs de l'économie.

Comme je l'ai mentionné, je ne suis pas une experte en matière de commerce international, mais nous avons été à même de constater les effets de ces règles et de ces règlements non seulement sur le secteur de l'éducation en particulier, mais aussi dans le cadre des travaux de coalition que nous effectuons avec diverses autres organisations de justice sociale et de lutte contre la pauvreté—y compris celle de M. O'Neil—et les résultats que nous avons pu constater sur les citoyens non seulement du Canada mais du monde entier ont été l'accroissement du degré de pauvreté, l'accroissements de divers modes d'exploitation et un élargissement de l'écart entre les riches et les pauvres.

M. Bob Speller: Donc vous suggérez que ce sont véritablement ces accords qui sont à l'origine de cette situation.

Mme Penny McCall-Howard: Ces accords ne sont pas issus d'un vide, ils sont des outils en vue d'atteindre un but précis. Je ne pense pas que ce sont tout simplement des morceaux de papier qui tombent du ciel. Certainement que lorsqu'ils sont négociés et ratifiés par les divers pays membres, ces accords permettent la réalisation de nouvelles choses dans ces pays.

M. Bob Speller: Très rapidement, d'autres pourraient dire que ce sont les plus petits pays qui pourraient bénéficier de ce type d'accord fondé sur un système de règles. Si vous ne disposiez pas de ces règles, ce serait les Américains et les plus grands pays et les grandes sociétés qui établiraient les règles du jeu.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci, monsieur Speller.

Monsieur Assadourian, vous avez le temps de poser une très courte question.

M. Sarkis Assadourian: J'aimerais préciser certains points très rapidement.

J'aimerais féliciter les étudiants de leur présence ici. Je pense que c'est une très bonne chose que vous participiez au système. Cependant, j'ai certaines préoccupations concernant l'exposé que vous avez donné aujourd'hui.

D'abord, j'aimerais faire une correction. Mon collègue affirme que j'ai demandé la mise en place de droits pour les sociétés. Ce que j'ai demandé c'est tout simplement la liberté d'expression et la liberté de penser pour que les sociétés viennent s'exprimer devant nous aujourd'hui. Je pense que c'est tout à fait justifié. Je ne comprends pas pourquoi mon collègue n'est pas d'accord avec moi.

À la deuxième page de votre exposé, vous mentionnez que tout ce qui les intéresse finalement c'est de réaliser des profits. Donc il me semble que vous êtes d'accord avec le NPD comme quoi le mot «profit» est un mot tabou. Voici donc ma première question.

Deuxièmement, ma question porte sur mon inquiétude au sujet de votre affirmation comme quoi le Canada devrait s'opposer aux négociations purement et simplement, mais du même souffle vous dites que nous devrions nous efforcer d'insister sur les changements. Comment pouvez-vous à la fois vous opposer aux négociations et ne pas participer et insister sur l'importance des changements si vous n'êtes pas présent?

Le troisième point que j'aimerais souligner a fait l'objet d'une discussion antérieurement: il s'agit de l'absence de consultation auprès des députés et du gouvernement. Je pense que les députés de votre localité ont le droit en tout temps de demander que l'on tienne des réunions publiques, de consulter les citoyens, et d'expédier ces petits questionnaires. Vous pouvez vous adresser à vos députés leur parler et leur faire valoir votre point de vue. Donc le processus de consultation est toujours présent. Si vous ne l'utilisez pas, peut-être que le système n'est pas parfait, mais c'est le meilleur que nous ayons. Vous pouvez toujours utiliser les bureaux de votre député local pour transmettre des messages au gouvernement quel que soit ce message.

Donc voici la teneur de mes préoccupations. Peut-être que vous pourriez y répondre rapidement parce que la présidente dit que nous devons nous dépêcher.

Mme Penny McCall-Howard: Dans votre première question, vous nous demandez si nous considérons le mot «profit» comme tabou.

M. Sarkis Assadourian: Oui, il me semble que c'est ce que vous sembliez dire.

Mme Penny McCall-Howard: Eh bien, si vous examinez les intérêts d'un système d'enseignement postsecondaire financé à même les fonds publics, qui doit rendre des comptes au public et qui soit acceptable, et bien oui. Je ne pense pas que l'éducation doit être administrée de façon à être rentable. L'exemple que nous avons vu...

M. Sarkis Assadourian: Donc vous parliez de façon spécifique des universités, et non en général. Pourquoi avons-nous honte de réaliser des profits? C'est là ma question.

Mme Penny McCall-Howard: Est-ce que c'est vraiment le sujet de la présente consultation?

[Note de la rédaction: Difficultés techniques]

Une voix: ...

M. Sarkis Assadourian: Bon d'accord très bien.

• 1500

Mme Penny McCall-Howard: Ensuite, dans le deuxième point vignette de notre mémoire, nous donnons une évaluation assez poussée des effets de la libéralisation du commerce à l'échelle internationale. C'est ce à quoi faisait référence Mme Lill lorsqu'elle disait qu'il fallait examiner la situation, que nous devions évaluer les résultats des précédentes discussions avant d'aller plus loin et c'est notamment en insistant sur les droits du Canada.

Je ne pense pas que l'Organisation mondiale du commerce, étant ce qu'elle est, représente la seule tribune où l'on puisse discuter de coopération internationale. Il me semble qu'il existe une quantité d'autres organisations pour ce qui est de la coopération internationale. L'Organisation mondiale du commerce n'est pas une organisation visant à promouvoir l'égalité dans le monde ou encore n'est pas l'organisation chargée d'éliminer la pauvreté à l'échelle internationale; c'est tout simplement l'Organisation mondiale du commerce.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup.

M. Daniel Turp: Où étudiez-vous et dans quel domaine? Ma question s'adresse à vous deux.

Mme Penny McCall-Howard: J'étudie à l'Université Dalhousie et à l'Université de King's College en biologie marine et en études contemporaines, ce qui est un volet un peu plus théorique et philosophique.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Sharpe.

M. Ian Sharpe: J'étudie aussi à l'Université de King's College. Je suis un étudiant du programme d'administration et des arts, sans majeure pour le moment.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Juste avant de conclure, je tiens à vous remercier tous de votre présence. Merci de vos exposés et des mémoires que vous avez déposés.

Monsieur Sharpe, je tiens à vous dire que pour une première fois, étant donné que votre élection est toute récente, vous avez fait de l'excellent travail alors continuez.

Des voix: Bravo.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): J'aimerais ajouter autre chose, je tiens à renchérir sur ce que M. O'Neil a dit au sujet des consultations.

Comme l'a déclaré M. Speller, nous éprouvons des douleurs de croissance. C'est la troisième réunion d'une première série de consultations publiques. Nous avons pris bonne note de vos commentaires. Cependant, comme je l'ai déclaré au professeur Bradfield et aux autres témoins, s'il vous plaît, nous sommes ici pour ouvrir les lignes de communication. Ce n'est pas la fin de la communication. Notre objectif est d'ouvrir le dialogue et non d'y mettre fin. Encore une fois nous espérons que vous tiendrez le comité au courant des préoccupations nouvelles qui pourraient survenir. Aidez-nous à entrer en contact avec votre collectivité. Transmettez l'information aux gens de votre collectivité et faites circuler l'information pour nous.

Il y a un avis sur le site web à propos de l'ALÉNA et de l'OMC concernant les consultations que nous avons et les questions que nous posons. Nous vous demandons de faire appel à votre communauté et de lui faire savoir que nous accueillons les propositions provenant de tous les Canadiens. Nous voulons leurs meilleures idées et nous voulons être mis au courant de leur expérience et de ce qui est important pour eux.

M. Bob Speller: Aussi, faites venir vos députés de la Nouvelle-Écosse aux réunions. Cela serait utile. Alors, vous pourriez éviter...

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Oui.

M. Daniel Turp: Et pourriez-vous demander à votre fédération nationale d'envoyer un mémoire? Il semble qu'il ne soit pas parvenu à Ottawa.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Donc vos commentaires sont les bienvenus. Veuillez voir ceci comme étant l'amorce des discussions. Il y a encore du suivi à faire, mais il nous incombe à tous de nous assurer que le partenariat fonctionne. Merci beaucoup.

La séance est levée.