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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi le 18 mars 1999

• 0938

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Collègues, je déclare la séance ouverte.

Nous avons une question d'intendance à régler avant de demander à nos témoins de commencer.

Comme vous le savez, tous les partis ont accepté de se déplacer. La prochaine semaine nous entamons la première phase de ces déplacements. Nous irons dans les Maritimes et au Québec. Mais vous savez que tout le monde n'ira pas. Nous ne pouvons déplacer tout le comité, en grande partie parce que les leaders à la Chambre ont décidé de sérieusement limiter le nombre de personnes qui seront autorisées à se déplacer. Quoi qu'il en soit, je pense que nous avons un bon groupe qui ira et dans les Maritimes, et au Québec.

Comme vous le savez, en avril nous essaierons d'aller dans l'Ouest et en Ontario. J'aimerais que quelqu'un propose une motion aujourd'hui, si c'est possible—je sais que vous n'avez pas les documents devant vous—afin que je puisse demander à la Chambre d'autoriser ces voyages dans l'Ouest, qui coûteront environ 180 000 $ pour les deux groupes.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Monsieur le président, ce chiffre est-il différent de ce qui avait été prévu à l'origine pour le voyage dans l'Ouest?

Le président: Il représente 45 p. cent de moins que ce qui avait été prévu au départ, parce que nous avons réduit le nombre de députés de chaque groupe de onze à sept, et nous avons réduit le personnel également.

Malheureusement on ne peut pas réduire le personnel autant que les députés, car à cause des conventions collectives et autres choses du genre, il faut un certain nombre d'opérateurs de console et un certain nombre d'interprètes.

Pour les deux voyages que nous prévoyons pour l'instant, nous aurons sept députés et huit personnes de soutien. Je crois que pour les voyages dans l'Ouest, la proportion devra probablement être la même.

• 0940

Sur l'insistance des leaders de la Chambre lors de notre dernière discussion à ce propos, j'ai gardé le budget au même niveau exactement, en me disant qu'il aurait plus de chance d'être approuvé ainsi. Si nous dépassons ce niveau, nous aurons plus de mal.

M. Charlie Penson: Je pense que c'était le critère, il fallait réduire le groupe aux mêmes proportions que pour nos déplacements dans l'Est.

Le président: Oui, je pense que ça ira ainsi. Ce sera la même proportion, et nous ne serons pas plus nombreux.

Certains voudront peut-être utiliser leurs points pour se rendre quelque part. Certains députés du Québec, par exemple, ont dit qu'ils voulaient être présents certains jours seulement. Ils peuvent utiliser leurs points et venir participer aux séances qui les intéressent.

Nous nous arrangerons pour que cela soit possible.

J'apprécierais que vous me donniez votre autorisation, car j'aimerais présenter ma demande à la Chambre cette semaine. Je voudrais qu'elle soit approuvée, afin que nous soyons fixés.

M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Je propose la motion.

Le président: Merci. J'apprécie beaucoup.

Ensuite, vous recevrez tous un document d'information modifié—c'est-à-dire moins volumineux—pour vos déplacements.

L'hon. Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Avec reliure souple?

Le président: Je sais, Mme Finestone, vous avez déjà pris connaissance de tout le gros livre bleu. Vous verrez que c'est en partie la même chose. Je veux juste vous prévenir qu'il y a des répétitions.

[Français]

Il y a toujours de l'enchevêtrement dans notre documentation. Vous en recevrez tous une copie.

[Traduction]

J'aimerais vous présenter notre groupe de ce matin. Nous allons aborder notre sujet de façon un peu différente. Il s'agit du thème inévitable de la structure financière internationale et de son influence sur le commerce. Nous examinerons également des questions liées à la bonne gouvernance mondiale en général, et leur incidence sur le commerce. La séance de ce matin devrait donc être fort intéressante.

Je pensais commencer avec vous, madame Plewes, si cela vous convient.

Comme d'habitude, je vous demanderai de limiter vos propos à 10 ou 15 minutes, afin que nous ayons ensuite beaucoup de temps pour les questions.

Mme Betty Plewes (présidente et chef de la direction, Conseil canadien pour la coopération internationale): Merci.

Nous sommes très heureux d'être ici aujourd'hui. Nous apprécions que votre comité prenne le temps de tenir ces audiences et d'écouter ce qu'un grand nombre de Canadiens ont à dire à propos de l'OMC.

Ainsi que bon nombre d'entre vous le savent, le Conseil canadien pour la coopération internationale regroupe plus d'une centaine de membres qui s'occupent de développement international. Ils traitent de questions liées à la pauvreté et à l'injustice dans de nombreux pays du monde. Nos membres sont tout à fait conscients du rôle important que les institutions multilatérales jouent dans le développement international.

La viabilité du commerce international et la prospérité qu'il peut engendrer dépendent de programmes conçus spécifiquement pour s'attaquer à la pauvreté et aux inégalités dans le monde. Au cours des dernières années, le CCCI a élaboré des propositions de politiques extérieures qui tiennent compte du problème de la pauvreté, notamment la politique économique internationale, l'accord multilatéral proposé en matière d'investissement, et la participation à l'aide au développement outre-mer.

De fait, la semaine dernière, nous avons demandé instamment au gouvernement de renouveler son engagement en ce qui a trait à l'aide canadienne de manière à placer fermement les intérêts des plus démunis au centre du programme.

[Français]

En 1998, le CCCI a lancé une campagne d'action mondiale contre la pauvreté intitulée En commun. Par son programme d'action en 19 points, cette campagne fait valoir que l'élimination de la pauvreté est un objectif tout à fait réaliste qui constitue en fait le problème le plus urgent qui se pose aux citoyens et citoyennes et aux têtes dirigeantes du monde d'aujourd'hui.

Nous tenons à rappeler sans relâche que le Canada continue de jouer un rôle central dans le réseau des organisations multilatérales pour aider le monde à atteindre ses objectifs d'élimination de la pauvreté, de paix, de justice et de sécurité humaine. Pour ce faire, nous faisons preuve d'initiative et de décision en réclamant une concertation accrue des politiques internationales.

Les membres du CCCI adhèrent à l'orientation canadienne en faveur du multilatéralisme et des grands objectifs de l'OMC. L'instauration de règles internationales de commerce et d'investissement est une condition essentielle à l'affermissement du multilatéralisme.

• 0945

On peut lire dans Le Canada dans le monde que l'établissement de règles aide à restaurer l'équilibre des forces. Or, c'est justement le déséquilibre des forces dont sont victimes les pays en voie de développement qui nous inquiète quand nous pensons à l'OMC.

Travaillant avec des groupes d'agriculteurs, de pêcheurs et de femmes dans les pays en voie de développement un peu partout sur la planète, nous avons constaté de visu les graves lacunes des régimes financiers, commerciaux et internationaux actuels. Certains de nos membres ont rédigé des rapports, chacun de leur côté, rendant compte des effets pervers de l'OMC qu'ils ont constatés, par exemple dans les domaines de la sécurité alimentaire, du droit du travail, de la biodiversité et du commerce équitable.

En tant que conseil, nous voulons attirer votre attention sur le problème de la cohérence et de la gouvernance générale de l'OMC et du système multilatéral au sujet des règles applicables aux échanges commerciaux et financiers internationaux.

[Traduction]

Aujourd'hui j'aimerais vous parler et vous soumettre des recommandations à propos de deux domaines clés où le Canada devrait jouer un rôle de chef de file—il y aurait lieu de mieux intégrer et uniformiser les grands outils de gestion économique et sociale, dont l'OMC, afin de faciliter une action globale mieux concertée en faveur d'un développement humain durable; et de démocratiser davantage le fonctionnement de l'OMC elle-même.

Il est important de se rappeler que l'OMC n'est que l'un des grands éléments de la nouvelle «architecture» de gouvernance et de gestion économique mondiale. Le comité devra tenir compte du tableau d'ensemble lorsqu'il recommandera les priorités que le Canada devrait adopter à l'égard du programme de l'OMC au cours de la prochaine année.

Les autres institutions importantes de cette structure comprennent les Nations Unies et les autres institutions de Bretton Woods; les conventions de l'OIT; la Déclaration universelle des droits de l'homme; la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement; la Déclaration de Beijing sur les femmes; et la Déclaration de Copenhague sur le développement social. Il y en a bien d'autres encore, mais l'OMC est la seule institution à avoir reçu des pouvoirs d'exécution, la seule qui puisse l'emporter sur d'autres accords, annuler des lois nationales de protection de l'environnement et des droits sociaux, et établir des modèles d'interaction internationale.

Le CCCI s'inquiète du fait que le développement durable et équitable ne soit pas l'objectif qui guide l'évolution du régime du commerce à l'OMC. Ses règlements commerciaux et ses mécanismes de règlement des conflits ont trop souvent servi à favoriser les intérêts des économiquement puissants sans égard aux conséquences néfastes sur les pauvres et sur l'environnement. À notre avis, ce pouvoir et cette indépendance soulèvent de graves problèmes de gouvernance nationale et internationale.

Dans le contexte actuel du réexamen de la structure des institutions internationales, on s'interroge de plus en plus sur le manque de cohérence du système international et, plus précisément, sur son incapacité à remédier aux menaces que les inégalités, l'instabilité, la pauvreté et la dégradation de l'environnement font peser sur la prospérité mondiale.

Cette remise en question est surtout évidente dans les démarches entreprises par les pays et experts du monde entier pour réexaminer le système financier. Les grandes leçons tirées des crises financières mondiales sont tout à fait pertinentes pour les délibérations du comité sur l'OMC.

Ce sont des questions dont nous avions discuté avec vous au retour de notre mission En commun dans le Sud-Est asiatique—la reconnaissance des dangers sur les plans économique et humain de la rapide libéralisation des marchés; l'admission que des pays ayant des niveaux de développement très différents ne devraient pas appliquer des politiques identiques; et la nécessité d'avoir des régimes de gouvernance nationaux et internationaux pour les opérations de bourse.

Ceci souligne le rôle que doivent jouer les gouvernements nationaux et la nécessité d'une sérieuse démocratisation du fonctionnement des institutions financières internationales, dont la structure et les processus de décision actuels ont donné lieu à des prescriptions qui faisaient passer les intérêts des banques commerciales avant ceux de la majorité des citoyens, et prouvé leur incapacité à intégrer ou apprécier les répercussions sociales et environnementales de leurs prescriptions.

• 0950

Il est de plus en plus nécessaire de favoriser une plus grande participation de la «société civile» à l'élaboration des politiques internationales. L'expérience de l'AMI a démontré que les gouvernements feront face à une vulnérabilité structurelle dans les domaines du commerce, de l'investissement et autres questions de politique générale s'ils ne parviennent pas à obtenir une vraie transparence nationale et internationale, et un accès démocratique aux processus d'établissement des politiques.

Que veut dire cela pour vos délibérations sur l'OMC? Nous apprécions que le ministre du Commerce, M. Marchi, ait admis que l'économie mondiale devait être un lieu humain où les principes du bon gouvernement, de la démocratie et de la primauté du droit devraient garantir que les bénéfices de la libéralisation du commerce seront partagés par tous les niveaux de la société. Il conviendrait donc de mieux intégrer l'Organisation mondiale du commerce dans un cadre stratégique axé sur le développement humain durable.

Fondamentalement, les décisions prises par l'OMC influent sur la capacité des gouvernements à réaliser leurs objectifs et engagements dans les domaines social et environnemental.

On craint, par exemple, que les engagements relatifs à la sécurité alimentaire et à la protection du gagne-pain des pauvres ne soient menacés par les accords dans le secteur agricole. La suppression de l'accès préférentiel des pays africains aux marchés des pays nordiques, alors que les garanties demeurent en place pour leurs équivalents européens, fera probablement diminuer la part de l'Afrique dans le marché mondial des denrées alimentaires.

Nous estimons que le Canada devrait faire un gros effort pour ramener l'OMC à ses objectifs généraux, pour l'empêcher de nuire à ses objectifs d'ordre social et environnemental plus larges, et insister pour qu'elle soit davantage en rapport avec d'autres institutions et initiatives multilatérales qui ont pour objectif de favoriser un développement équitable et durable.

Le Canada est très bien placé pour jouer ce rôle actif, puisqu'il représente l'une des quatre économies, avec les États- Unis, l'Union européenne et le Japon qui dominent le programme de l'OMC. L'élaboration d'un programme canadien pour le recadrage des institutions de gouvernance internationale est toutefois gêné par l'absence de mécanismes efficaces de coordination des politiques des diverses autorités internationales.

Une plus grande démocratisation exigerait une participation accrue des pays du Sud. Il reste beaucoup à faire pour que l'OMC soit une institution pleinement démocratique représentative de la communauté internationale. La participation limitée et le secret qui ont caractérisé l'Uruguay round qui a donné lieu à la création de l'OMC, et également le processus de règlement des conflits, a renforcé l'idée voulant que l'OMC soit une organisation qui protège des intérêts puissants et exclusifs. De sorte que de nombreux pays en développement, qui constituent actuellement les trois quarts des pays membres de l'OMC, entrent dans le système de l'OMC sans avoir l'impression que ce système est le leur et sans vraiment y croire.

En théorie, l'OMC est plus démocratique que la Banque mondiale ou le FMI, puisque chaque pays a une voix pour voter, mais dans la pratique il existe de nombreux empêchements à une participation efficace. La procédure du consensus négatif utilisée par l'OMC défavorise les pays moins développés, dans la mesure où s'ils ne peuvent assister à une réunion, on suppose qu'ils sont d'accord. Comme de nombreuses réunions ont lieu en même temps, il est pratiquement impossible pour des pays pauvres d'envoyer des délégués à toutes les réunions. Les pays pauvres ont du mal également à bien utiliser le mécanisme de règlement des différends en raison des frais juridiques élevés qu'ils entraînent et des répercussions négatives que les mesures de rétorsion permises par l'OMC pourraient provoquer.

Il serait également nécessaire, pour promouvoir une plus grande démocratisation de l'OMC, d'accroître la participation de la société civile, qui a souvent été frustrée par le manque d'accès à l'OMC. D'autres institutions multilatérales se sont ouvertes davantage au cours des dernières années à la participation d'ONG de développement et de groupes de défense de l'environnement, des droits des travailleurs et de la personne en général, en établissant des mécanismes de consultation ou en donnant un statut d'observateurs à ces groupes afin de profiter de leurs idées et de leur créativité. Ce genre de mesure serait un progrès important.

Le fait que l'OMC ait pris l'initiative d'organiser des tables-rondes de haut niveau sur l'environnement et le développement avec des représentants de la société civile est encourageant. Nous pensons néanmoins qu'il convient d'établir un système de consultation régulier officiel qui soit non exclusif, souple, informel et doté de pouvoirs.

• 0955

L'accès de la société civile et la participation équitable de tous les membres de l'OMC sont deux questions qui sont intimement liées. Les débuts peu démocratiques de l'OMC ont semé le doute, auprès des pays en développement, sur les motifs des pays du Nord. Sans le vouloir, ce climat a nuit aux initiatives prises par certains gouvernements de pays nordiques en faveur de la société civile.

Lors de la réunion ministérielle de Singapour, par exemple, en 1996, les États-Unis et la France n'ont pas réussi à obtenir un accord pour la création d'un groupe de travail sur les problèmes de main-d'oeuvre. Tant que l'OMC n'aura pas redressé l'inégalité du pouvoir entre les pays riches et pauvres, et fourni à ces derniers le moyen de participer activement, même les initiatives bien intentionnées seront accueillies avec scepticisme.

Nous avons trois recommandations à vous soumettre. Premièrement, la prochaine ronde de négociations sur le commerce devrait être structurée en fonction des leçons tirées d'une évaluation préalable de la mise en oeuvre de l'Uruguay round à l'OMC. Il conviendrait d'effectuer un examen complet et objectif de l'OMC, avec la participation de représentants de la société civile et du monde des affaires. La mise en oeuvre de l'Uruguay round devrait être évaluée à la lumière des objectifs relatifs au développement humain durable, tels qu'ils sont énoncés dans les accords internationaux.

Deuxièmement, le gouvernement canadien devrait développer des propositions et examiner avec les membres de l'OMC des options pour la démocratisation de l'OMC, dont les suivantes: une supervision parlementaire de l'OMC; des groupes consultatifs nationaux auxquels des représentants de la société civile participeraient; des modes de fonctionnement de l'OMC qui n'excluent pas la participation des pays pauvres; et une assistance technique visant à faciliter la participation des pays du Sud dans les négociations sur le commerce et le règlement des différends.

Troisièmement, nous devrions élaborer un programme canadien cohérent pour réformer le système financier international, dont l'OMC fait partie, fondé sur un processus de planification et de prise de décision à phases multiples qui ferait intervenir les ministères des Finances, des Affaires étrangères, du Commerce international, de la Coopération internationale et de l'Environnement, et qui aurait pour objectif de favoriser une plus grande cohérence des politiques et un renforcement des mécanismes d'application des accords internationaux en matière de droits de la personne, de droits du travail, d'environnement, d'égalité des sexes et de développement social.

Merci beaucoup.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton- Ouest—Mississauga, Lib.)): Merci.

Monsieur Campbell, nous vous écoutons si vous le voulez bien.

M. Bruce Campbell (directeur exécutif, Centre canadien de politiques alternatives): Merci, madame la présidente. Je vous remercie de m'avoir invité de matin.

Les dix dernières années ont donné lieu à une multitude d'accords de commerce international. Nous avons eu l'ALE, l'ALÉNA, le GATT, l'Uruguay round, l'OMC, l'APEC, l'ALEA et l'AMI. Toutes ces initiatives poursuivent le même objectif de globalisation. Nous savons de quoi il s'agit—de libéralisation du commerce et des finances, de déréglementation des marchés, de privatisation, de compression des programmes sociaux, et la liste continue.

Ces dix années ont été marquées par une expansion rapide du commerce, et des flux financiers en particulier, mais également par des crises et des effondrements des marchés financiers, par une stagnation de l'économie et pire encore.

J'aimerais répartir mes propos en quatre parties: premièrement les questions de commerce et d'investissement, et l'expérience des années 1990; deuxièmement les conditions économiques et sociales, et l'expérience du Canada dans les années 1990; troisièmement le problème de l'instabilité financière mondiale; et enfin quelques suggestions.

D'abord, en ce qui concerne le commerce et les investissements, le régime d'après-guerre de Bretton Woods cherchait à éviter la crise financière des années 1920 et la dépression économique qui a suivi au moyen d'une libéralisation mesurée du commerce, combinée à des mesures de contrôle strictes des flux financiers du secteur privé. L'objectif du système n'était pas de maximiser les échanges en eux-mêmes, et encore moins les flux de capitaux, mais plutôt de favoriser une stabilité économique internationale et une prospérité nationale.

Le programme actuel est fondé sur la notion selon laquelle il faut maximiser les échanges et les flux de capitaux, et l'on tient pour acquis que la prospérité nationale en découlera. La décennie qui vient de s'écouler a, ou du moins aurait dû remettre en cause la validité de ce raisonnement. Ces dix dernières années ont été plutôt sombres un peu partout. Or la plupart des dirigeants politiques et décideurs du monde, y compris ceux du Canada, semblent ne pas vouloir reconnaître cette réalité.

• 1000

L'ouverture du commerce et des marchés financiers, dans un contexte d'austérité monétaire et budgétaire mondial, a provoqué une instabilité et des crises, une stagnation et du chômage, et une surcapacité qui a jeté les pays dans une course à l'exportation.

Notre ministre du commerce semble accepter le consensus dominant à propos du libre-échange et de la mobilité des capitaux voulant que ce soit une bonne chose en soi, et que plus soit forcément synonyme de mieux. Il semble vouloir foncer à pleine vapeur dans cette direction.

Bien sûr, notre pays dépend largement de ses échanges commerciaux, et même trop, probablement. Bien sûr les activités liées aux échanges commerciaux fournissent de nombreux emplois. Bien sûr nous avons besoin de règlements pour que les échanges se fassent de manière stable et ordonnée. Mais nous avons perdu de vue le fait que les échanges commerciaux ou les politiques commerciales doivent pouvoir se justifier parce qu'elles desservent l'intérêt public en général.

La politique du Canada en matière de commerce et de libéralisation des échanges est déterminée, depuis une quinzaine d'années au moins, par des intérêts commerciaux très puissants. Il est évident qu'elle n'est déterminée ni par le monde du travail, ni par des questions d'environnement, ni encore par des préoccupations ayant trait aux droits de la personne.

Je crois que notre gouvernement n'a pas réussi à convaincre les Canadiens que ses politiques en matière de libre-échange et de mobilité des capitaux sont dans leur intérêt. La plupart d'entre eux estiment, et à juste titre, qu'ils n'en ont pas profité et qu'elles sont au moins en partie responsables de l'instabilité économique et de la baisse du niveau de vie enregistrées au cours des années 1990.

En l'absence d'un gouvernement mondial—nous en sommes encore bien loin—ce sont les gouvernements nationaux, du moins ceux qui sont démocratiques, qui se chargent de négocier, d'exprimer et de mettre en oeuvre l'intérêt public. Les accords internationaux en matière de commerce et d'investissements devraient faciliter la capacité des pays à réaliser ces objectifs dans le cadre d'un régime ordonné. Il est temps de remplacer les clichés qui ont cours par une évaluation honnête et lucide des effets de ces politiques sur la vie des gens.

Il est vrai que sous le régime du libre-échange entre les Canada et les États-Unis, les échanges commerciaux ont considérablement augmenté au cours des années 1990, bien plus rapidement que la production globale de l'économie. L'excédent de la balance des marchandises du Canada a augmenté également. En revanche, le Canada est devenu de plus en plus dépendant de ses échanges commerciaux, surtout ceux avec les États-Unis, et donc plus vulnérable aux faiblesses de l'économie mondiale et aux mesures de rétorsion, en particulier celles prises par les États- Unis. Notre économie dépend encore fortement des ressources naturelles et nos échanges dans le secteur technologique sont toujours largement déficitaires, et notre déficit de la balance des services avec les États-Unis s'est creusé. Les échanges à l'intérieur du Canada également ont accusé une baisse relative.

En dépit d'une mini-poussée enregistré au début de l'année dernière, le secteur d'exportation des industries de transformation employait toujours 100 000 personnes de moins qu'au tout début du libre-échange en 1989. Les branches d'activités traditionnelles comme les vêtements, le textile et l'ameublement ont été durement touchées, mais les secteurs soi-disant gagnants également—l'électronique par exemple, qui a perdu un cinquième de ses emplois de base. Les flux de capitaux transfrontaliers, qu'il s'agisse de placements directs ou de titres, ont augmenté encore plus rapidement, et l'inondation des marchés américains par des capitaux canadiens a été encore plus surprenante.

Le libre-échange devait réduire l'écart de productivité avec les États-Unis, et permettre de créer davantage d'emplois et de relever les revenus. Rien de cela ne s'est produit. De manière générale, la productivité a continué à accuser du retard et l'écart s'est maintenu, ou s'est même creusé.

Le libre-échange a provoqué d'importants bouleversements à mesure que les entreprises se sont ajustées à la nouvelle réalité. On a enregistré un nombre record de prises de contrôle de sociétés et un nombre record de faillites d'entreprises. L'accroissement de la concurrence a entraîné des mises à pied, des fermetures d'usines, des déplacements, des compressions d'effectif, des diminutions de salaires, des impartitions de services, une production juste-à-point et des travailleurs juste-à-point.

La plupart de ces tendances se sont manifestées dès la décennie précédente, mais ce qui est nouveau, c'est la rapidité du changement. Les choses se sont accélérées. On a assisté à une surenchère des gouvernements nationaux et sous-nationaux dans l'offre de subventions, de mesures d'incitation fiscales et autres aux sociétés qui voulaient investir, au détriment des dépenses dans le secteur social. Et l'on s'est servi des instruments de la politique monétaire et fiscale pour contrôler les salaires et garantir la compétitivité.

• 1005

On a beau avoir prétendu que l'amélioration de l'économie allait renforcer l'État et lui permettre de mieux préserver et améliorer les programmes sociaux, cette décennie a donné lieu à d'énormes compressions d'effectifs dans le secteur public, et les dépenses du gouvernement fédéral sont tombées à des niveaux sans précédents depuis 45 ans.

Et que dire des conditions économiques et sociales des Canadiens durant les années 1990? Le tableau n'est pas reluisant. En dépit du boom—il y a bel et bien eu un boom dans le secteur des avoirs financiers des Canadiens—l'économie a affiché une performance pire, au cours des années 1990, qu'au cours de chacune des décennies de ce siècle, à part les années 1930. La régression du niveau de vie, mesurée en termes de revenu par habitant, a été encore plus durable, quoi que moins marquée.

Le chômage a été plus élevé en moyenne au cours de ces dix années, soit 9,8 p. 100, qu'au cours de toute autre décennie, à l'exception des années 1930. Dans l'ensemble, notre société est moins sûre d'elle. Nous nous faisons davantage de soucis pour notre avenir économique et celui de nos enfants. Les gens ont peur pour leurs régimes de soins de santé et d'éducation publique, et craignent que leurs gouvernements n'aient plus les moyens—ou la volonté—de les maintenir.

Mais le fait le plus marquant de ces années 1990 est sans doute l'explosion des emplois précaires et du travail occasionnel, et ses répercussions sur l'écart des revenus. Des millions de gens ont été pris dans le tourbillon des restructurations des secteurs privé et public, et rendus encore plus tributaires du marché puisque la protection de l'assurance chômage diminuait.

Les créations nettes d'emplois entre 1990 et 1997 ont été presque exclusivement des emplois indépendants ou à temps partiels. L'écart entre les riches et les pauvres s'est creusé, on retrouve davantage de gens tout en haut et tout en bas de l'échelle, et moins au milieu. L'inégalité des revenus s'est fortement accrue, du fait de la baisse des salaires et du manque de travail. Les transferts publics ont grandement atténué ces disparités, mais moins depuis les compressions des cinq dernières années.

L'instabilité financière mondiale: je suppose que vous avez tous pris conscience en feuilletant les documents d'information qui vous ont été remis, de l'énorme clivage qui existe entre le secteur financier et l'économie réelle, et du fait que celui-ci est de plus en plus criant.

Cela me fait penser à une citation de John Maynard Keynes, qui s'appliquait à une autre époque. Il a écrit ceci:

    Les spéculateurs ne font pas de mal lorsqu'ils ne sont que des bulles sur un flot régulier d'entreprises. Mais la situation devient grave lorsque l'entreprise devient la bulle dans un tourbillon de spéculations.

C'est un euphémisme par les temps qui courent. Vous êtes tous au courant des crises qui ont eu lieu—au Mexique, en Thaïlande, en Corée, en Indonésie, en Russie et au Brésil. Et il y en aura d'autres. Les deux cinquièmes ou peut-être plus des économies du monde sont en récession. La relative stabilité en Amérique du Nord donne un sentiment irréel inquiétant, un peu comme l'oeil au milieu de la tornade. La question n'est pas de savoir si, mais bien quand la bulle va éclater.

Bien qu'ils admettent que la libéralisation des systèmes financiers internationaux pose des problèmes, la plupart des grands décideurs ne songent pas à remettre en question son orientation fondamentale, et n'entrevoient que la nécessité d'entreprendre des réformes superficielles, une mise au point du système. Et l'on continue, bien que de façon plus discrète, à déréglementer le compte de capital par le biais de modifications aux ententes du FMI.

Vous savez peut-être que le G-7 vient juste de constituer son forum sur la stabilité financière afin de renforcer ses pouvoirs de supervision et de surveillance. Ce club exclusif est présidé par le dirigeant de la BRI, le club des banques centrales du monde, et il a des représentants des banques centrales des pays du G-7 et également des ministères des finances—pas des ministères des affaires étrangères ou du commerce. Il compte également des représentants du FMI, de la Banque mondiale et de l'OCDE, mais pas de l'OMC. Et la participation des pays de marchés émergents se fait sur invitation seulement.

Le ministre Marchi semble penser, comme son collègue Paul Martin, qu'un renforcement de la surveillance constitue la solution à la stabilité financière. Il parle de mesures qui permettront de se débarrasser du capitalisme de coterie. Nous savons à quoi il pense. Il pense à l'Asie. Mais pourquoi ne pas faire la même chose plus près de chez nous—par exemple dans le cas des investissements à long terme dans des fonds de couverture, qui ont presque provoqué la faillite du système, ou du capitalisme de coterie pratiqué par Wall Street, la Réserve fédérale, le Trésor américain et le FMI? Ce petit groupe a un pouvoir énorme sur le système financier international et donc sur le sort des pays et des économies nationales du monde entier. Il défend l'idée qui semble être considérée comme parole d'évangile dans la plupart des cercles politiques du monde, et selon laquelle la mobilité absolue des capitaux est une chose à la fois souhaitable et inévitable.

• 1010

Si cela est bon pour Wall Street et Bay Street, car cela accroît leurs possibilités de profit, surtout dans la mesure où ils ont l'assurance, avec l'aide du FMI, de pouvoir retirer leur argent des pays touchés lorsque surviennent des crises, ce qui arrive inévitablement, cela n'est certainement pas bénéfique pour le reste du monde.

Le professeur Bhagwati, l'un des plus grands défenseurs du libre-échange au monde, est très critique. Il écrivait récemment dans Foreign Affairs que les marchands de la mobilité totale des capitaux avaient «détourné l'idéologie du libre-échange». Il disait:

    Ils ont pris l'habitude de nous embobiner pour que nous nous extasions sur les billions de dollars qui circulent quotidiennement dans un monde sans frontières, et font réaliser des profits gigantesques, récompensant ainsi la vertu et punissant la débauche. Mais le beau visage qui nous est présenté n'est en fait qu'un masque qui cache les verrues et les rides en dessous.

Mme Sheila Finestone: Qui a dit cela?

M. Bruce Campbell: Le professeur Bhagwati, dans un article publié au printemps dernier, je crois. Je vous le recommande chaudement.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Campbell, pouvez-vous...?

M. Bruce Campbell: Oui. Je vais conclure par quelques suggestions.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Oui, s'il vous plaît.

M. Bruce Campbell: Premièrement, je pense qu'il serait sage que le gouvernement du Canada établisse une liste détaillée de priorités, qui seraient mises à la disposition du public, pour orienter la position du Canada lors des négociations de l'OMC.

Je pense également que le Canada devrait peut-être envisager de définir un cadre de principes. Je recommanderais les principes énoncés d'abord dans la Déclaration des droits de l'homme et des libertés de l'ONU et ensuite dans les conventions subséquentes, et dans d'autres accords internationaux.

Troisièmement, j'aimerais suggérer des mesures qui étendraient les clauses de sauvegarde et permettraient aux pays de suspendre les règles de l'OMC en période de problèmes graves du compte de capital; des règles qui permettraient aux pays de soumettre les investissements de portefeuille à des mesures de contrôle; des mesures collectives pour réduire les mouvements de capitaux spéculatifs, dont le plus connu, je suppose, est la taxe Tobin; des règles pour contrôler les abus de pouvoir des multinationales; des dispositions qui permettraient aux pays de garder certains secteurs clés comme la santé et l'éducation dans le domaine public et en dehors du marché; et des dispositions pour protéger la capacité des pays à préserver leurs régimes de sécurité sociale, comme l'assurance emploi et les régimes de retraite.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Professeur Mendes, sans vouloir sous-estimer l'importance de votre témoignage, je crois que nous allons poursuivre dans l'ordre fille garçon, fille garçon.

Ann Weston, vous avez la parole.

Mme Ann Weston (vice-présidente et coordinatrice de la recherche, Institut Nord-Sud): Merci.

Je suis heureuse d'avoir l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui pour vous parler d'une question de plus en plus cruciale, je pense que tout le monde s'entend sur ce point, à savoir l'avenir du système du commerce international. Il ressort clairement des témoignages d'autres personnes qui se sont présentées devant vous, que les règles du commerce mondial nous touchent de très nombreuses façons.

[Français]

Il n'est plus question seulement de l'impact du commerce sur notre revenu national. Les règles de l'OMC contrôlent notre choix de vêtements, les prix de nos médicaments, la façon dont on soutient nos fermiers et nos politiques industrielles.

Aujourd'hui, je vais concentrer mes remarques sur les relations commerciales entre le Canada et les pays en voie de développement, et leurs intérêts dans l'OMC.

[Traduction]

Fondamentalement, je pense que nous devrions nous efforcer d'avoir des politiques commerciales qui soient en harmonie avec nos politiques d'aide, et qui contribuent à réduire la pauvreté dans le monde, comme l'a fait remarquer Betty Plewes tout à l'heure et comme le gouvernement lui-même l'a admis dans le document intitulé Le Canada dans le monde, où l'on peut lire que «la sécurité économique du Canada dépend de plus en plus de la sécurité des autres».

• 1015

Compte tenu du grand nombre de pays en développement qui font partie de l'OMC—il y en aura bientôt plus d'une centaine—il importe que nous nous assurions que l'OMC évolue de manière à contribuer également à promouvoir un développement durable dans ces pays.

J'aimerais vous parler de quatre points, à savoir, de la nécessité, en premier lieu, d'améliorer l'accès des pays en développement au marché canadien; d'accroître l'aide technique; de reconnaître les limites de la libéralisation des marchés; et de chercher à répartir plus largement les bénéfices de cette ouverture.

Concernant l'ouverture des marchés, tout d'abord, j'aimerais rappeler que lors de l'Uruguay round, le Canada avait pris l'engagement d'ouvrir ses marchés aux produits des pays en développement. Les revues semestrielles de nos politiques et pratiques commerciales effectuées depuis par l'OMC ont démontré que nous avons fait quelques progrès. Nous avons, par exemple, éliminé ce que l'on appelle les «tarifs vexateurs», c'est-à-dire tous les droits de moins de 2 p. cent. Nous avons diminué notre recours aux droits anti-dumping. Nous avons supprimé les contingents pour quatre produits du textile et de l'habillement. Malgré tout, la part des pays en développement dans nos importations totales n'est que de 14 p. cent et de 7 p. cent dans nos exportations, alors que dans la plupart des pays développés, la part des pays en développement dans les importations et les exportations est généralement de 30 p. cent.

Comment expliquer cela? Une grande partie de nos échanges commerciaux se font avec les États-Unis, et je dirais que ceci a augmenté encore à la suite de l'ALE et de l'ALENA. Cette situation est en grande partie attribuable à un détournement des échanges. Lorsqu'on regarde nos importations de textiles et de vêtements en provenance des États-Unis en particulier, on constate que leur proportion a considérablement augmenté.

Les importations de chemises et sous-vêtements de garçons et d'hommes, par exemple, sont passées de 10 p. cent en 1990 à 26 p. cent en 1997. Cela tient notamment au fait que les États-Unis ne sont soumis à aucun contingent ni droits de douanes. Par contre, nos importations en provenance des pays en développement sont toujours soumises à des droits de 22 p. cent pour les chemises d'hommes par exemple.

Pour de nombreux produits, nos droits sont plus faibles. Nous avons abaissé nos droits en vertu de ce que nous appelons le «tarif préférentiel général» consenti aux pays en développement. Mais malgré son nom, le tarif préférentiel général défavorise encore de nombreux pays en développement par rapport aux fournisseurs des États-Unis ou de Mexico. Lorsque vous utilisez un parapluie aujourd'hui, vous pouvez vous dire que s'il vient d'un pays en développement, il a été soumis à des droits de 5 p. 100 dans le cadre du TPG, alors que s'il provient des États-Unis, il est rentré librement.

[Français]

En principe, le Canada a accepté le besoin de politiques spéciales pour les pays les moins avancés. On a annulé les droits de douane pour plusieurs produits importés de ces 40 pays, mais les vêtements et les chaussures sont toujours exclus de ces politiques spéciales. Chaque année, le Canada reçoit à peu près 20 millions de dollars en revenus douaniers grâce à nos importations du Bangladesh seul.

[Traduction]

Donc le Bangladesh paie des droits de douane de 16 p. cent environ parce que nous n'avons pas exclu les vêtements.

Le dirigeant de l'OMC, Renato Ruggiero, a, à plusieurs reprises depuis 1996, demandé aux pays développés et aux pays en développement plus avancés de supprimer tous les droits d'importation imposés aux pays les moins développés. Je vous suggère de mettre dans votre rapport qu'il est temps pour le Canada de prendre une telle meure. Nous avons fait quelques progrès dans ce sens, mais nous devons éliminer les doits sur tous les produits de ces pays et rendre cette mesure obligatoire. Si nous pouvons le faire pour les États-Unis, pourquoi pas pour le Bangladesh et les autres pays les moins développés?

Deuxièmement, je pense qu'il faut revoir l'assistance technique donnée à ces pays. De nombreux pays en développement ont beaucoup de mal à réaliser leurs obligations dans le cadre de l'OMC.

Hier encore je parlais avec un consultant qui a travaillé avec des pays d'Afrique, pour les aider à mettre en application le nouveau code de valeurs du GATT ou de l'OMC. Beaucoup de pays ont eu cinq années—même le Canada a eu cinq ans—pour mettre en place ce nouveau code, mais bon nombre d'entre eux ont encore du mal. Ils éprouvent de grandes difficultés. Lorsque cette obligation entrera en vigueur, en 2000, comme bien d'autres obligations également, ils ne pourront honorer leurs engagements de l'Urugauay round.

Un grand nombre d'activités d'assistance technique ont été réalisées par des pays comme le Canada. J'ai participé à une série de séminaires au Pakistan financés par l'ACDI il y a deux ans. Beaucoup d'activités ont été organisées par l'OMC elle-même également.

• 1020

La difficulté, toutefois, tient notamment au fait que ces activités sont organisées de façon ad hoc, ne sont pas imposées par l'OMC, et seul un nombre restreint de pays développés ont effectivement donné de l'argent à l'OMC pour ces activités d'assistance technique.

L'autre problème, c'est qu'elles sont mal coordonnées et que nous ne savons pas vraiment si elles sont efficaces. J'aimerais donc recommander que nous envisagions d'aider l'OMC à accroître le financement consacré à l'assistance technique, que le Canada augmente sa participation aux contributions volontaires et que nous veillions à ce que cette assistance technique soit mieux coordonnée.

Il y aurait lieu également de donner une assistance technique pour aider les pays à se prévaloir du système de règlement des différends. Cela a déjà été suggéré ce matin. Il s'agit d'un aspect très important de l'OMC, mais de nombreux pays n'ont ni l'expertise technique, ni les compétences juridiques pour se prévaloir de leurs droits au titre du mécanisme de règlement des différends, et doivent faire appel à des firmes d'avocats internationales. L'OMC elle-même ne peut offrir plus qu'un minimum d'assistance technique. Elle manque de fonds et elle ne peut se montrer trop partiale dans des cas qui relèvent du régime de l'OMC.

Il est donc important de voir comment nous pourrions aider ces pays. Il a été recommandé récemment de créer un centre à Genève, un centre qui donnerait des conseils sur le droit de l'OMC. Je recommande instamment au Canada d'envisager de faire une contribution financière et d'appuyer la création de ce centre consultatif.

Quant aux limites de l'ouverture des marchés, il est évident que l'aide technique ne pourra résoudre toutes les difficultés auxquelles les pays en développement se heurtent. Comme je l'ai mentionné, un grand nombre d'entre eux n'ont pas réussi à honorer leurs obligations, et pourtant on leur demande de participer à une nouvelle série de négociations. En même temps, ils sont engagés dans des négociations qui portent sur la libéralisation des échanges dans leurs régions. Ils sont en train de modifier leurs politiques commerciales nationales. On les force également à envisager des mesures comme la renégociation de la convention de Lomé.

La Jamaïque, par exemple, qui est un tout petit pays, doit participer au renforcement de l'entente régionale des Caraïbes. Elle participe à l'ALEA et également aux négociations postérieures à la convention de Lomé, or au même moment on lui demande de voir quels pourraient être ses intérêts dans la nouvelle ronde de pourparlers de l'OMC. Et le problème n'est pas simplement de pouvoir participer à toutes ces négociations, mais de pouvoir s'adapter à tous les changements de règlements.

Je pense que nous avons trop eu tendance à supposer que plus nos économies seraient ouvertes, plus elles allaient croître, or il est de plus en plus évident que la libéralisation n'est vraiment pas la seule solution, ni même la solution garantie pour assurer la croissance d'une économie, en particulier dans le cas des pays en développement. On se demande de plus en plus dans quelle mesure l'ouverture des marchés sera réellement source de croissance et de création d'emplois.

On reconnaît de plus en plus qu'une certaine ouverture des marchés est nécessaire, mais qu'elle doit s'accompagner de politiques qui favorisent l'investissement, l'investissement national, et également de politiques qui favorisent la stabilité macroéconomique. De plus en plus de gens se demandent si l'OMC ne va pas trop loin en mettant en oeuvre des règles qui limitent réellement la capacité des pays à développer leurs économies de manière à favoriser l'emploi de leurs populations.

Dani Rodrik a récemment mis les décideurs en garde contre une mondialisation qui deviendrait un pur réflexe.

Je crois que même le ministre a reconnu ce danger lorsqu'il s'est présenté devant votre comité. Il a recommandé d'adopter une approche plus réfléchie afin de ne pas laisser pas trop de pays derrière nous en faisant progresser l'OMC.

Le ministre du Développement de Grande-Bretagne, Clare Short, nous a demandé de nous assurer que la prochaine ronde de négociations sera axée sur le développement.

J'aimerais simplement souligner qu'il importe—et le Canada devrait reconnaître le fait lorsque nous agirons dans ce dossier—de nous assurer que les règlements actuels de l'OMC, ainsi que tous ceux qui verront le jour à l'avenir, permettent réellement aux pays de réaliser des progrès économiques et sociaux qui respectent l'environnement également.

C'est pourquoi j'appuie Betty Plewes lorsqu'elle recommande que l'on réexamine les règles de l'OMC en tenant compte de leurs répercussions sociales, notamment sur l'égalité des sexes, environnementales et économiques. Ce réexamen ne devrait pas être effectué uniquement par l'OMC et par les gouvernements, mais en collaboration avec l'OIT et le programme de l'ONU sur l'environnement.

En dernier lieu, j'aimerais que l'on cherche à voir comment on pourrait garantir que les avantages de l'ouverture des marchés seront répartis plus largement.

Il convient de renforcer les institutions de gouvernance internationale. On a déjà mentionné la chose ce matin lorsqu'on a parlé des effets des récentes crises financières. De nombreux pays exportateurs de produits primaires en Afrique et au Moyen-Orient ont considérablement souffert de la crise financière qui a secoué l'Est asiatique, tout comme d'autres pays exportateurs de biens manufacturés.

• 1025

C'est pourquoi il est essentiel que nous fassions preuve de leadership pour réformer le système financier international de manière à accroître la stabilité des marchés des capitaux. Faute de quoi, les engagements pris en matière de commerce international par les pays et les gens ne serviront à rien.

Il importe également que l'action internationale veille à favoriser les avantages collectifs en améliorant les échanges commerciaux. On craint notamment que la concurrence ne soit de plus en plus fondée sur les coûts de la main d'oeuvre à mesure que le commerce sera libéralisé.

Si l'on reprend l'exemple de l'habillement, il y a fort à craindre que si les contingents sont supprimés, les pays chercheront à conserver leurs parts de marché en réduisant le coût de leur main d'oeuvre. Cela pourrait entraîner une diminution des salaires et des heures de travail, la suppression des congés et une détérioration des conditions de travail. Les études que nous avons réalisées à l'Institut Nord-Sud ont démontré qu'il s'agit d'un problème auquel des millions de jeunes femmes font de plus en plus face dans ce secteur dans divers pays.

L'OIT pourrait aider à surveiller les normes du travail pour vérifier qu'elles sont conformes aux normes nationales et internationales, mais je pense que d'autres mesures complémentaires s'imposent. C'est pour ces raisons que plusieurs groupes canadiens ont recommandé au gouvernement de créer un groupe de travail sur les ateliers où les ouvriers sont exploités. Ce groupe permettrait de faire des études pour voir comment on pourrait éviter que l'accroissement des échanges commerciaux ne se fasse au détriment des conditions de travail.

Un étiquetage qui indiquerait que les produits ont été fabriqués dans le respect des normes international du travail ou d'autres abaissements des droits de douanes pourraient servir à encourager les entreprises et pays à améliorer les conditions de leurs travailleurs.

Mais lorsque nous commencerons à prendre ce genre de mesures, il faudra nous assurer que les règlements de l'OMC permettent ce genre d'approche.

En résumé, mes arguments sont les suivants. Premièrement le Canada devrait éliminer les droits encore existants sur les importations en provenance des pays les moins développés et les réduire obligatoirement à zéro. Nous devrions envisager un accroissement de l'assistance technique par l'entremise de l'OMC et du nouveau centre consultatif proposé sur le droit de l'OMC, et chercher à mieux coordonner l'action des pays qui fournissent cette aide technique. Nous devrions reconnaître les limites de l'ouverture des marchés et veiller à ce que les règlements de l'OMC actuels et futurs respectent le besoin des pays en développement de recourir à toute une gamme de mesures qui favorisent le progrès économique et social. Et enfin, nous devrions recommander des mesures complémentaires pour réduire l'instabilité financière internationale et renforcer le droit du travail international.

J'ai une dernière suggestion à vous soumettre. L'une des meilleures façons de s'assurer que le gouvernement canadien mettra davantage l'accent sur le développement dans les politiques commerciales qu'il envisage, serait d'avoir quelqu'un qui ait une expérience en développement dans les comités consultatifs du ministre du Commerce.

Je connais de nombreuses personnes que je pourrais vous recommander. Le professeur Gerry Heillener de l'Université de Toronto, par exemple, est quelqu'un qui pourrait apporter une précieuse contribution aux travaux des comités consultatifs.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Professeur Mendes.

[Français]

M. Errol Mendes (directeur, Centre de recherche et enseignement sur les droits de la personne): Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m'appelle Errol Mendes et je suis le directeur du Centre de recherche et enseignement sur les droits de la personne. Je présenterai mon allocution en anglais, mais je serai heureux de bavarder en français avec mon ami Daniel Turp par la suite.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Il y a d'autres députés francophones ici.

[Traduction]

M. Errol Mendes: Une bonne partie de ma présentation se trouve dans l'extrait du livre que nous avons publié récemment sur les relations entre le commerce international, les institutions financières et les normes internationales du travail. Je ne vais pas entrer dans les détails, vu que notre temps est limité. Je vais simplement faire ressortir quelques grands points.

J'aimerais commencer en vous faisant part de statistiques intéressantes qui nous viennent des États-Unis. Selon les recherches d'un groupe de spécialistes, sur les 100 économies les plus florissantes dans le monde, 51 sont des sociétés. Cela donne une idée du pouvoir du capital mondial et des manufacturiers et producteurs de biens internationaux dans le monde d'aujourd'hui. L'État-nation est en perte de vitesse et les intérêts privés du commerce et des marchés financiers mondiaux prennent de plus en plus de vigueur.

Il existe un déséquilibre fondamental entre la libre circulation des capitaux et des marchandises, et le manque de mobilité de la main-d'oeuvre. Cela entraîne une crise très similaire à celle qui a frappé les marchés financiers, lors de la crise du peso mexicain en 1994 et de la crise financière en Asie l'année dernière.

• 1030

Or elle n'attire jamais, sinon très rarement, l'attention des médias. Pourtant cette crise se présente de la façon suivante: lorsque les marchés du travail sont privés de mobilité, le commerce devient un commerce déloyal pour la majorité des travailleurs du monde car il donne lieu à diverses formes d'exploitation qui vont jusqu'au trafic d'êtres humains illicite, de femmes surtout, et à d'autres formes d'exploitation de groupes vulnérables, en particulier les femmes et les enfants, etc.

Et à mesure que s'accroît la concurrence pour s'approprier les maigres ressources économiques, on assiste à une montée des conflits et de la violence, qui créé des vagues de personnes déplacées sur les territoires nationaux, et de réfugiés et demandeurs d'asile partout dans le monde.

C'est ça, la crise qui a lieu en ce moment. Même si la crise financière qui secoue l'Asie prend fin, cette crise continuera. Elle finira par être désastreuse pour de nombreux pays du monde, et peut-être bien le nôtre.

C'est pourquoi nous devons examiner tous les systèmes de gouvernance internationaux à notre disposition, dont l'OMC, mais également les Nations Unies, et l'Organisation internationale du travail, ainsi que les institutions financières internationales.

La façon dont nous proposons de faire cela est décrite en détails dans notre ouvrage. C'est une affaire extrêmement complexe. J'ai brûlé quelques-uns de mes neurones à essayer de rédiger ce texte, et je me contenterai donc de vous en exposer les grands points.

En ce qui concerne l'OMC, à mon avis on ne dit pas assez que c'est une institution dont les pouvoirs sont relativement limités. Elle est toujours fondamentalement basée sur des contrats passés entre nations qui décident de s'accorder un statut de nation la plus favorisée. Ce n'est que parce qu'elle a bâti autour de ces relations contractuelles un organe institutionnel qui s'appelle l'Organisation mondiale du commerce qu'elle attire désormais beaucoup d'attention dans le domaine des normes de travail, de l'environnement, des droits de la personne, etc. Mais fondamentalement, après avoir passé une vingtaine d'années à l'étudier, je suis toujours convaincu qu'il s'agit d'une institution très faible. Elle est toujours fondée essentiellement sur une série de relations contractuelles entre États-nations basées sur la clause de la nation la plus favorisée, et elle est en train de s'engager dans des domaines où elle rencontre des difficultés, comme la propriété intellectuelle, comme les services, ou encore les services financiers.

Cela ne veut pas dire que puisqu'il est difficile de discuter de choses comme l'environnement et les normes du travail, il faudrait s'en abstenir, mais ma recommandation est qu'il ne faut pas accepter de solutions simples, parce que les solutions simples ne fonctionnent pas. Voyez la grande complexité de ces questions. Et surtout, voyez la complexité de questions où l'on a déjà eu un certain succès, par exemple les subventions, demandez-vous s'il y a des analogies entre les subventions et l'exploitation des maigres ressources de l'environnement par exemple, ou l'exploitation des travailleurs dans les pays en développement.

C'est là que se trouvent les réponses. Si vous examinez les parallèles avec ce que l'Organisation mondiale du commerce a réussi à accomplir dans le domaine des subventions, vous pourrez vous en servir pour plaider en faveur d'une meilleure intégration de normes relatives à l'environnement et au travail à l'Organisation mondiale du commerce.

Mais je fais partie de ces gens qui ne pensent pas que vous devriez vous contenter d'axer votre approche intégrée dans les domaines de l'environnement, des droits de la personne et des normes du travail sur l'aspect punitif seulement. Outre un étiquetage qui attesterait le respect de l'environnement et des droits de la personne, outre l'exercice d'une pression accrue sur les pays pour les convaincre d'améliorer leurs normes du travail, je recommande de recourir également à une politique de la carotte, à des mesures incitatives.

De nombreuses études fort intéressantes ont été effectuées par l'OCDE et d'autres organisations internationales. Elles démontrent que si l'on se concentre sur le développement des ressources humaines, par exemple, on obtient une amélioration non seulement de la productivité et de la compétitivité, mais des normes du travail également.

Une étude de l'OCDE de 1996, que je vous recommande vivement—nous en parlons dans notre ouvrage—fait ressortir le rapport entre la productivité, la compétitivité et les normes du travail. Elle jette une lumière intéressante sur le débat qui a cours en ce moment dans la Chambre à propos de la productivité, et selon lequel lorsqu'on parle de productivité, on pense trop souvent au mode classique de la productivité fondé sur le capital, le travail et la terre, mais les pays qui réussiront au XXIe siècle sont ceux qui retiendront une vue plus large de la productivité, à savoir la productivité totale des facteurs. Celle-ci comprend tous les éléments depuis le développement des ressources humaines jusqu'à l'éducation, des femmes surtout, à la formation dans les industries nouvelles et émergentes, ou encore la réforme des institutions de l'État, dont les institutions financières.

• 1035

Ce sont des analyses qui portent sur la productivité totale des facteurs. Si vous vous concentrez sur ces domaines, vous augmenterez le niveau général de la productivité et de la compétitivité des pays dans le monde entier.

Une façon d'introduire la politique de la carotte dans les normes du travail et d'autres aspects de l'intégration d'une justice sociale dans le régime de l'OMC et des institutions financières internationales, consisterait à vous pencher sur des aspects de l'OMC qui n'ont pas vraiment fait la manchette des journaux jusqu'à présent. Il s'agit du «mécanisme d'examen des politiques commerciales». C'est la dimension de l'OMC qui est censée examiner les relations entre la politique commerciale et la politique économique générale, et qui pourrait inclure la politique du marché du travail. C'est dans ce domaine, à mon avis, que le Canada pourrait jouer un rôle de chef de file en recommandant une discussion approfondie et détaillée des liens entre le commerce, les institutions financières, les normes du travail, le développement du marché du travail et la productivité totale des facteurs.

Le Canada aura bientôt une occasion idéale pour prendre cette initiative. En 2000, le mécanisme d'examen des politiques commerciales doit être passé revue, et les pays auront l'occasion de faire valoir leurs analyses sur la cohérence entre le commerce et les normes du travail et de l'environnement.

J'estime que le Canada pourrait prendre les devants en proposant qu'à ce moment-là les pays intègrent ces divers éléments dans leurs rapports à l'Organisation mondiale du commerce. Je crois que nous devrions avoir l'appui de la Grande-Bretagne et des États- Unis même, puisque Bill Clinton a indiqué dans son discours sur l'état de l'Union que ces questions faisaient partie de ses grandes priorités.

En ce qui concerne les autres domaines où le Canada devrait assumer un rôle de leadership, Ann a mentionné le secteur privé. Comme je l'ai dit, le secteur privé est en train de devenir bien plus puissant que les pays eux-mêmes, et pourrait très bien, au cours du prochain siècle, être vraiment en concurrence avec les pays et les Nations Unies.

Que faire à ce sujet? Encore une fois, une approche très subtile s'impose. Outre les divers codes de conduite qui ont déjà été préconisés, je crois que vous devriez également travailler avec des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international pour convaincre le secteur privé qu'il a un rôle à jouer dans la création d'un système financier et économique international durable.

Par exemple, lorsque la Banque mondiale, le FMI et l'OIT se penchent sur le montage de programmes d'aide financière durables, pas du genre de ceux qui finissent par disparaître dans un grand trou noir—comme les 43 milliards de dollars qui ont été injectés en Indonésie et dont personne ne sait où ils sont passés, ou les X milliards qui ont servi à renflouer le Mexique—ils devraient envisager une structure durable qui combine les normes du travail, les ressources naturelles, l'analyse de la productivité totale des facteurs pour créer des régimes stables. La coopération actuelle entre les divers niveaux de la communauté internationale est insuffisante pour agir en profondeur et avec subtilité.

Encore une fois, j'aimerais vous faire remarquer que très souvent ce sont des solutions simples qui sont proposées, mais elles ne règlent pas la situation à long terme. La situation est d'une telle complexité que j'ai abandonné le texte que j'avais préparé. Je n'ai pas le temps de vous donner tous les détails, mais vous pourrez les trouver dans mon livre que je vous encourage à consulter.

Pour finir, j'aimerais vous dire un mot à propos des initiatives anticipées que le ministère des Affaires étrangères est en train de prendre, et cela m'amène à parler du problème des enfants. Il faudrait lancer une discussion. Le Canada pourrait proposer une conférence mondiale à l'occasion du nouveau millénaire, sous la houlette de l'OIT, des Nations Unies, de la Banque mondiale et du FMI, pour étudier les effets des normes du commerce et du système financier international sur les enfants.

On pourrait par exemple proposer une motion qui ferait du travail forcé des enfants un crime contre l'humanité. Je pense que le Canada ne devrait pas essayer de trop en faire, mais de recourir à une approche bien ciblée pour obtenir des résultats très précis dans ce domaine fort complexe.

J'aimerais simplement conclure en citant la dernière affirmation de notre livre:

    La quête de la justice et de la dignité représentent l'apogée de l'humanité, son exploitation constitue sa dégradation ultime.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Merci, madame la présidente.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les témoins de ce matin.

En venant ce matin, je me suis dit que la journée s'annonçait bien, mais vous nous avez brossé un tableau plutôt sombre de la situation. Je pensais que l'organisation mondiale du commerce était une organisation plutôt bonne, et qu'elle fonctionnait bien. Je vois que 134 pays en sont membres et que de plus en plus de pays continuent à adhérer tout le temps.

• 1040

Il me semble que bien des Canadiens diraient qu'elle fonctionne plutôt bien. Je constate que les agriculteurs canadiens, par exemple, aimeraient bien que l'agriculture soit mieux couverte par les mesures de libéralisation des échanges et des investissements, pour ne pas souffrir autant qu'en ce moment. Bon nombre d'entre eux ont perdu leurs exploitations à cause des subventions massives accordées par les Européens—72 milliards de dollars ont été consentis l'année dernière dans l'Union européenne. Ils espèrent qu'on mettra un peu d'ordre dans ce secteur afin que les règles du jeu soient les mêmes pour leurs concurrents européens.

On peut se poser la question. Si tant de pays adhèrent et veulent bénéficier de cette organisation, c'est qu'elle doit fonctionner assez bien. C'est ce que je pensais du moins, mais ce n'est pas ce que j'ai cru comprendre ici ce matin.

Il me semble, madame la présidente, qu'il y a deux organisations qui sont connues pour leur efficacité: l'OTAN, à cause des pouvoirs qu'elle a sur le plan militaire, et l'Organisation mondiale du commerce, dont le pouvoir est beaucoup plus subtil, bien sûr. Il s'agit du pouvoir que les pays membres de l'Organisation mondiale du commerce ont de prendre des mesures de rétorsion si les autres pays ne respectent pas les règles. Il se résume à cela.

On a parlé de pouvoir exécutoire ce matin, mais je ne crois pas que son mécanisme soit très efficace. L'Organisation mondiale du commerce peut juger si un pays commet une infraction aux règles du commerce, et ce pays a alors deux options. Il peut accepter le jugement et modifier la politique ou la loi nationale en cause, ou il peut accepter des mesures de rétorsion. Ce qui signifie essentiellement que le pays qui subit le préjudice—mais il faut qu'il y ait préjudice—a le droit d'interdire l'accès, dans le cas du Canada par exemple, des exportations canadiennes à son marché. Il a le droit d'imposer des droits de douane ou de ne plus donner le même accès à son marché. C'est ainsi que se passent les choses.

Si je comprends bien ce qui a été dit—et ce n'est pas la première fois que notre comité entend ce genre de choses—beaucoup de gens veulent surcharger l'Organisation mondiale du commerce de lois visant la protection de l'environnement, le droit du travail et les droits de la personne, mais je ne pense pas que ce soit le bon outil pour ce genre de chose. Roy MacLaren, notre Haut- commissaire pour la Grande-Bretagne, qui cherche à devenir président de l'OMC, suggère exactement cela, à savoir qu'il existe des organisations comme les Nations Unies et l'OIT. Ces organisations internationales existent. Alors pourquoi cet intérêt soudain? Cela veut-il dire qu'elles ne sont pas efficaces et que nous pensons que l'OMC est en quelque sorte le nouvel instrument à utiliser pour réussir là où les autres ont échoué?

Je ne suis pas de cet avis, et j'estime que si nous essayons d'imposer cela à l'OMC, elle va s'effondrer et nous allons détruire ainsi un outil qui était efficace pour bien des Canadiens.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Professeur Mendes.

M. Errol Mendes: Ann va répondre à cela.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Madame Weston.

Mme Ann Weston: Je pense que vous avez raison. Ce genre d'occasions encourage les gens à porter leur attention sur ce qui fonctionne mal, et à recommander des changements qui garantiront qu'il y aura des améliorations. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des aspects de l'OMC qui sont efficaces.

Mais je ne suis pas convaincue que les gens adhèrent à l'OMC parce qu'ils croient à tout ce qu'elle représente. Je pense qu'il y a divers aspects de l'OMC avec lesquels les gens ne sont pas nécessairement d'accord, mais c'est ainsi que les choses fonctionnent de nos jours. Si vous n'adhérez pas, vous allez rester en dehors, et vous n'aurez aucune influence sur une organisation réellement importante. C'est pourquoi de nombreux pays deviennent membres.

Dans le cas de l'agriculture, vous avez fait référence à nos propres agriculteurs. Aujourd'hui justement, un groupe chargé de régler un différend a fait connaître sa décision qui, à mon avis, posera des problèmes pour un certain nombre de nos agriculteurs.

Les décisions de certains de ces groupes de règlement des différends ont été difficiles à exécuter. Et certains pays ont alors choisi de prendre des mesures de rétorsion, ce qui démontre que ce mécanisme de règlement des différends ne fonctionne pas toujours. Pour les petits pays, ce mécanisme ne marche pas vraiment puisque leur seule possibilité de rétorsion consiste à annuler leurs achats. Et on ne peut pas dire que la suppression de leur part dans les exportations américaines ait de grosses conséquences pour les États-Unis.

Il a en fait été proposé, pour les pays les moins développés en particulier, d'étendre le droit de rétorsion à d'autres pays, de manière à ce qu'il y ait une forme de sanction beaucoup plus importante qui forcerait les grands pays comme les États-Unis à se conformer aux décisions des règlements. Je vous donne cet exemple pour vous montrer comment on peut, en critiquant le système, faire réfléchir à d'autres solutions qui permettent de le perfectionner.

• 1045

Quant à savoir s'il faut demander à l'OMC de prendre en charge tous ces autres aspects, je crois qu'il importe surtout de s'assurer qu'elle n'évoluera pas de manière à compliquer la tâche des autres organisations internationales. C'est ce que bien des gens craignent: on est en train de chercher également à améliorer les normes du travail de l'OIT et les normes environnementales des programmes de l'ONU en matière d'environnement, et il faudrait éviter que les décisions prises par l'OMC ne nuisent en fait aux actions de l'OIT et des autres organisations qui travaillent dans ces domaines.

M. Charlie Penson: Madame Weston...

Mme Ann Weston: C'est pourquoi il importe de mettre ensemble toutes ces questions afin de...

M. Charlie Penson: ... j'aimerais continuer sur ce sujet. En ce qui a trait aux normes du travail, je me demandais simplement si vous admettez qu'il peut s'agir d'une réelle mesure de protection également. Le Congrès américain, par exemple, et les Démocrates en particuliers, ont choisi cette voie. Ils sont contre l'extension de l'ALEA ou du libre-échange au Chili, par exemple, à cause de cela justement. Nous avons de bonnes intentions lorsque nous disons que nous voulons relever les normes du travail dans les pays en développement, mais en fait, je crois que dans certains cas ce n'est jamais qu'une mesure de protection.

Mme Ann Weston: J'admets qu'il faut faire très attention de ne pas prendre de mesures qui pourraient ensuite servir à restreindre injustement les importations. Errol a quelque chose à rajouter à ce sujet.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Serait-il possible d'avoir des réponses un peu plus courtes?

M. Errol Mendes: Tout d'abord, permettez-moi de répondre à votre première question. Dans des marchés des capitaux et des marchandises mondialisés, les pays n'ont pas le choix, ils sont obligés d'adhérer à l'OMC. Ce serait de la folie de...

M. Charlie Penson: On a toujours le choix.

M. Errol Mendes: ... compte tenu, comme je l'ai dit, du pouvoir de plus en plus grand des capitaux privés par rapport aux institutions publiques.

Deuxièmement, permettez-moi simplement de vous donner un exemple—je vais essayer de rester simple—pour expliquer pourquoi certains aspects de l'OMC peuvent être élargis pour inclure l'environnement et les normes du travail. Prenons les subventions par exemple. Si le Canada a été accusé récemment d'avoir contrevenu aux règles en octroyant des subventions aux exportations illégales, c'est parce que la théorie derrière les subventions est celle-ci: si l'on permet à un pays d'octroyer des subventions, on déclenche une sorte de guerre d'enchères entre les pays, si vous voulez, qui finit par se traduire par une distorsion importante du commerce international, qui entraîne ensuite une distorsion importante de l'allocation efficiente des ressources. Si vous êtes économiste, vous savez de quoi je parle.

La même chose peut s'appliquer aux normes du travail. Si, par exemple—et je vais répondre à votre deuxième question—la Chine et d'autres pays ont des lois du travail qui interdisent d'enfermer les femmes et les enfants dans des cages une fois leur travail fini, pour être ramenés à l'usine le lendemain, mais que ces lois ne sont pas respectées, ou s'il existe des règlements du travail en Indonésie qui interdisent de licencier les ouvriers en masse lorsqu'une société doit tout d'un coup rembourser sa dette en dollars US et n'en a pas les moyens parce que la roupie vient de perdre sa valeur... On constate que la plupart des infractions sont commises par des pays qui ne respectent même pas leurs propres lois du travail.

La même chose exactement s'est passée dans le cas des subventions illégales. Les pays font de la surenchère les uns par rapport aux autres, non pas pour s'élever, mais pour s'enfoncer...

M. Charlie Penson: Pourquoi ne pas recourir à l'Organisation mondiale du commerce pour régler ce problème?

M. Errol Mendes: Parce que, franchement, à mon avis elle est tout à fait inefficace et n'a pas grand pouvoir d'exécution. C'est un domaine où le Canada devrait dire...

M. Charlie Penson: Comment l'OMC pourrait-elle réglementer et corriger cela?

M. Errol Mendes: Si l'on opte pour une approche très subtile, qui prévoit une discussion des liens entre l'environnement, le travail et le commerce international dans le mécanisme d'examen des politiques commerciales, on peut ensuite envisager de discuter des pratiques ou subventions déloyales dans le domaine du travail, de manière à obliger les gouvernements à améliorer leurs normes du travail.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Excusez- moi. Je suis désolée, monsieur Mendes, mais il y a d'autres personnes qui ont des choses à dire, et d'autres collègues qui ont des questions à poser.

Monsieur Campbell, voulez-vous faire un commentaire rapide?

M. Bruce Campbell: Non, ça va.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Très bien.

Monsieur Turp, s'il vous plaît.

[Français]

M. Daniel Turp: Madame la présidente, je vais partager mon temps avec ma collègue Mme Debien.

J'ai trouvé très intéressantes les réflexions du Conseil canadien de la coopération internationale, qui a présenté un mémoire tout à fait intéressant. Je trouve que les questions qui sont soulevées aujourd'hui méritent vraiment l'attention de notre comité. Il est vrai que le GATT et maintenant l'OMC se sont très peu préoccupés de ces questions sociales et, en particulier, de la question des droits des travailleurs et des droits de la personne en général. Je reviendrai là-dessus.

Ma première question porte sur la démocratisation des institutions internationales et, notamment, de l'OMC.

• 1050

J'aimerais savoir, madame Plewes, quelles recommandations plus précises vous souhaiteriez que le gouvernement canadien fasse et mette en oeuvre pendant les négociations. Souhaiteriez-vous que l'OMC devienne une organisation comme l'OIT, plus ouverte aux ONG et aux autres composantes de la société, mais avec des pouvoirs additionnels et plus démocratiques? Est-ce que c'est ce que vous recherchez? En répondant à cette question, vous pourriez peut-être commenter sur ce qui se fait aujourd'hui même et depuis lundi dernier au sein de l'OMC, avec ces symposiums qui étaient pour l'OMC une occasion de prouver qu'elle était ouverte ou non à la participation d'acteurs autres que des acteurs gouvernementaux.

Ma deuxième question porte sur les normes du travail. Peut-être Errol pourrait-il y répondre. Est-ce que l'OMC doit choisir un modèle—vous l'évoquez dans un de vos ouvrages—analogue à celui de l'ALENA? Si oui, est-ce qu'il y a des choses qui doivent changer et comment devraient-elles changer?

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Qui veut commencer?

Madame Plewes.

[Français]

M. Daniel Turp: Nous pourrions peut-être poser notre autre question, madame Finestone.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Oui, bien sûr. Voulez-vous attendre, s'il vous plaît?

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, mesdames et messieurs. Soyez les bienvenus à notre comité.

Plusieurs témoins sont venus nous rencontrer jusqu'à maintenant et la plupart ont abondé dans ce sens. La plupart nous ont dit que l'OMC, compte tenu de son énorme pouvoir et de sa puissance—il s'agit peut-être de l'organisme le plus puissant de la planète—, était quand même la réponse institutionnelle la plus appropriée pour répondre aux craintes et aux appréhensions qu'a suscitées la mondialisation.

M. Penson disait que vous aviez fait un portrait assez sombre de l'OMC, mais plusieurs témoins sont venus nous dire que l'OMC n'était pas parfaite et qu'il y avait là de nombreux problèmes. Vous en avez énuméré un bon nombre, et ce sont ceux dont d'autres témoins nous ont fait part: les problèmes de transparence, les problèmes du mécanisme de règlement des différends et plusieurs autres. Contrairement à M. Penson, je ne pense pas que vous ayez dressé un portrait particulièrement sombre de l'OMC; d'autres l'ont fait avant vous.

L'OMC est un tribunal très important. Plusieurs témoins nous ont dit que l'OMC ne devait absolument pas toucher aux questions relatives aux droits de la personne, à l'environnement et aux clauses sociales, alors que d'autres nous ont dit qu'elle devait le faire. J'aimerais avoir votre avis là-dessus.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Allez-y.

Mme Betty Plewes: Merci.

[Traduction]

Concernant la démocratisation de l'OMC, tout d'abord, je dirais qu'il devrait y avoir des règles plus égalitaires pour la participation des pays du Sud. Le Canada a fait des efforts pour favoriser la participation des pays du Sud, notamment par certaines activités mentionnées par Ann. Au cours de la dernière série de négociations, le Canada a donné des fonds, je crois, pour que certains des ministres du commerce et de l'environnement également de pays du Sud puissent participer, ce qui constitue un pas important.

Mais l'OMC est d'une telle complexité qu'il faudra donner aux pays du Sud une assistance technique plus régulière et cohérente pour qu'ils puissent participer plus efficacement aux négociations sur le commerce. L'OMC a toujours exclu la société civile. Il y a cette initiative à Genève cette semaine, qui est un pas dans la bonne direction, mais c'est une mesure ad hoc. Il conviendra de prévoir une participation de groupes de la société civile aux processus courants plus régulière, à la fois au niveau national, car c'est un exemple de la contribution des organisations de la société civile, et au niveau international.

• 1055

Le Canada a également déclaré cette semaine, et nous appuyons tout à fait cette démarche, qu'il recommandait que l'on procède à une évaluation de certaines répercussions de l'OMC sur le commerce et l'environnement.

Il y a des choses positives, mais il convient d'examiner la situation de façon beaucoup plus systématique et globale afin que ces invitations faites aux organisations de la société civile ne soient pas seulement ponctuelles, comme c'est le cas en ce moment.

J'aimerais dire une autre chose également. Vous ne me l'avez pas demandé, mais de nombreuses ONG auraient souhaité qu'il n'y ait pas de réunions séparées pour le commerce et l'environnement, et le commerce et le développement. De fait nous avons besoin de nous faire une image plus complète du commerce, de l'environnement et du développement, car il est artificiel de séparer l'environnement et le développement.

Donc pour répondre à votre première question, nous sommes en train d'aborder une nouvelle étape de la gouvernance mondiale et du commerce mondial, et il est réaliste de penser que nous devrions prendre le temps de réfléchir à ce qui s'est passé jusqu'à présent. Nulle institution n'est parfaite. Celle-ci a vu le jour dans un climat de méfiance de la part des pays du Sud, et ainsi bien des actions positives que les pays du Nord et même les ONG aimeraient réaliser suscitent encore la méfiance des pays du Sud. En fait, on ne pourra lancer un processus de plus grande démocratisation... ou du moins il faudra commencer par mieux intégrer les pays du Sud et améliorer leur capacité de participation.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Monsieur Campbell, aimeriez-vous dire quelque chose?

M. Bruce Campbell: Bien sûr. Tout d'abord, j'aimerais faire un commentaire sur l'élargissement du programme de l'OMC. Je crois que cela contraste avec la situation qui prévalait dans les années 1980, quand les dirigeants politiques voyaient dans ces accords—que ce soit l'ALE ou l'ALÉNA, ou l'OMC—des accords strictement commerciaux, et que toutes ces autres considérations n'avaient pas leur place. C'est bon de voir que cette attitude a changé. Dans ses propos, le ministre a insisté sur l'interconnexion et les impacts des échanges commerciaux.

Cet élargissement a en fait été imposé aux dirigeants politiques par l'opposition, par la société civile, qui a fait l'expérience des incroyables répercussions sociales et environnementales de ces accords. Les entreprises ont beau jeu de vouloir se limiter aux aspects strictement commerciaux, il n'en demeure pas moins que ces accords ont des répercussions plus larges. C'est pourquoi ils doivent être élargis de manière à en tenir compte.

J'aimerais également parler brièvement du rapport entre la mobilité des capitaux et la mobilité et la libéralisation et l'expansion du côté commercial, car la relation entre les deux a l'air plutôt vague. L'OMC devrait-elle négocier des dispositions qui permettraient aux pays de restreindre les mouvements de capitaux? Il est évident que l'effet des entrées et sorties soudaines de capitaux sur l'économie réelle et sur le commerce, sur le compte courant, sur tous les éléments qui font l'objet de cette série de négociations, et des précédentes, est énorme.

L'OMC est-elle le bon endroit pour parler de la taxe Tobin? L'OMC est-elle l'endroit pour parler de mesures d'urgence? Des clauses de sauvegarde sont prévues, mais peut-être faudrait-il les examiner et les élargir pour les appliquer aux cas de pays qui éprouvent de graves difficultés financières—comme l'Indonésie ou le Brésil—afin qu'ils ne soient plus soumis aux dispositions de l'OMC durant ces périodes de crise. Je crois qu'il faut examiner de près ces rapports.

• 1100

Et il y a le problème que j'ai mentionné précédemment, à savoir que le G-7 a mis sur pied ce mécanisme de surveillance sans y inclure de représentants qui ne fassent pas partie de ce club très restreint des autorités financières et monétaires.

M. Daniel Turp: Devrions-nous chercher à créer un conseil de la sécurité économique? Cela a-t-il déjà été proposé? Ce serait l'équivalent du conseil de sécurité de l'ONU, mais il s'occuperait de problèmes d'ordre économique comme celui-là.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Avant de vous laisser répondre, j'aimerais en profiter pour poser une autre question associée, si vous voulez bien. J'aimerais que vous nous disiez en même temps si vous pensez que la structure elle-même de l'OMC est fautive.

M. Bruce Campbell: Je ne sais pas grand chose du concept d'un conseil de la sécurité économique, ni s'il s'agirait de quelque chose d'entièrement nouveau, qui serait mis sur pied à la suite de nouvelles négociations du genre de celles de Bretton Woods et qui serait en fait une entité générale à laquelle toutes les institutions financières et commerciales participeraient, et serait soumise à des séries de règles, de normes, de valeurs et de priorités. En principe, cela pourrait être une bonne chose.

Nous sommes bien loin encore d'un gouvernement mondial. Mais nous avançons dans cette direction. En attendant, je crois qu'il faudrait insister sur la nécessité d'établir des règles qui donnent davantage de marge de manoeuvre aux gouvernements nationaux pour élaborer et mettre en oeuvre leurs politiques nationales. La structure des systèmes mondiaux—en matière de commerce et de finances en particulier—est telle qu'elle réduit la capacité des pays à pratiquer leurs propres politiques macro-économiques, leurs propres politiques fiscales et monétaires et, par conséquent, des politiques qui permettent de créer des emplois, de maintenir de faibles taux d'intérêts, de favoriser la croissance et de maintenir des régimes de protection sociale.

Et cela est vrai pour le Canada et pour d'autres pays. Je pense que l'expansion et la libéralisation du commerce ne peut se défendre politiquement si elle ne laisse pas aux pays les moyens de faire tout cela, de maintenir des mesures de protection sociale et autres choses. Cela fait peut-être partie de la solution.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Je vois que ce type de questions a l'air de susciter de l'intérêt. Quelqu'un veut-il en profiter pour poser une autre question? Je sais que M. Mendes a hâte de répondre.

M. Errol Mendes: Daniel m'a posé une question précise à laquelle j'aimerais répondre.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Bill, votre question est-elle le résultat d'une association d'idée, ou s'agit-il d'une question supplémentaire?

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): J'aimerais simplement que vous me mettiez sur la liste pour poser une question.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Allez-y, monsieur Mendes.

M. Errol Mendes: Daniel m'a demandé si nous devrions adopter le modèle de l'ANACT, l'actuel Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail. Je répondrai que oui, absolument, pour commencer—pas comme résultat final, mais comme point de départ. Nous avons une occasion superbe pour faire cela. Nous sommes chargés du sommet des Amériques l'année prochaine. Nous sommes également chargés de mener les négociations commerciales pour les Amériques. Nous pourrions recommander comme principe sous-jacent du libre-échange dans les Amériques un arrangement du genre de l'ANACT, pour commencer.

Il pose de nombreux problèmes, je ne dis pas le contraire. Entre autres, il n'y a pas d'accès direct. Les syndicats devraient pouvoir y accéder directement, comme dans le domaine de l'environnement, mais c'est un début. Et une fois que cela aura été réalisé pour les Amériques, on pourra essayer de l'étendre au monde entier, peut-être. Il faut procéder progressivement.

Pour répondre à votre question, madame la présidente, je crois que l'OMC ne pose pas de problème. Je compare l'OMC à un enfant qui grandit; c'est une institution faible parce qu'elle est fondée essentiellement sur des ententes contractuelles, mais avec le temps, si on l'améliore, si on l'oriente comme il faut et qu'on définit les bonnes stratégies, elle pourrait voir les rapports entre l'environnement, entre le commerce, les normes du travail et la stabilité financière internationale. Je ne devrais peut-être pas dire que c'est une institution faible, mais qu'elle est en train de grandir, et que nous—ou quelqu'un—doit la prendre en main.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): En d'autres termes, ce qu'il faut c'est une surveillance parentale, comme celle d'un corps parlementaire. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Errol Mendes: Non.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Maman et papa n'ont pas très bien réussi.

M. Errol Mendes: Certains enfants s'en sortent mieux sans surveillance parentale.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Monsieur Blaikie.

• 1105

M. Bill Blaikie: J'ai un commentaire, plutôt qu'une question, et ensuite j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Pour en revenir à ce que vous avez dit, Bruce, vous avez dit que nous sommes encore très loin d'avoir un gouvernement mondial, et je suis d'accord avec vous. Mais d'un autre côté, ce que nous avons de plus ressemblant, c'est l'OMC—à moins que vous ne soyez un Serbe du Kosovo, auquel cas ce serait plutôt l'OTAN qui serait le gouvernement mondial. En ce qui a trait aux questions d'ordre économique, nous avons un gouvernement mondial à l'OMC, qui a préséance sur les gouvernements nationaux. Et tout ce qui a préséance sur les gouvernements nationaux doit être une sorte de gouvernement mondial je suppose.

Un gouvernement national voudrait, je suppose, faire protéger ses médicaments génériques—or il ne peut pas. Un gouvernement national voudrait imposer un moratoire national aux exportations d'eau libre—il ne peut pas. Un gouvernement national voudrait avoir certains arrangements pour les magazines à tirage dédoublé—il ne peut pas. Et la liste continue, de tout ce qu'un gouvernement national pouvait faire et considérait de sa compétence, mais qu'il ne peut plus faire parce qu'un autre niveau de gouvernement mondial le lui interdit. Cet autre niveau, c'est l'OMC, et ce qui fait qu'elle s'apparente à un gouvernement contrairement à l'OIT ou l'UNESCO et les Nations Unies, c'est ce pouvoir d'exécution.

Il ne me semble pas normal, en fin de compte, que seules ces règles aient une force exécutoire, et que tout le reste fasse simplement l'objet de recommandations morales, de conférences et de discussions interminables. C'est en gros à cela que nous sommes réduits. Mais lorsqu'il s'agit des droits des investisseurs et des règles qui ont été conçues par et pour les sociétés transnationales, on parle de mesures qui doivent obligatoirement être appliquées. C'est comme si nous avions un gouvernement national qui ne pourrait faire respecter que ses règlements de nature économique, comme si toutes nos lois dans le domaine du travail et de l'environnement n'avaient pas de caractère exécutoire, qu'il s'agissait simplement de bonnes choses dont on espère que les gens tiendront compte. Voilà ce qui se passe au niveau mondial

Vous vous êtes probablement rendu compte que j'ai tendance à être généralement d'accord avec ce que les témoins ont dit ce matin. Je pense tout simplement que nous avons un gros problème. Les gens doivent absolument prendre conscience du fait que c'est vraiment ainsi que les choses se passent en ce moment. Il faut dire les choses telles qu'elles sont. Ce n'est pas simplement une organisation qui manque de maturité. C'est une organisation très avancée à de nombreux égards. Elle se développe depuis une cinquantaine d'années sous l'influence et les conseils de certaines forces.

L'OMC n'est pas un début, quoique j'aimerais bien qu'elle soit le début d'un gouvernement mondial nouveau et plus authentique, plus complet et mieux intégré. C'est une erreur de dire que c'est un début, dans la mesure où elle représente également l'aboutissement de 50 années d'efforts pour amener le reste du monde à accepter le modèle américain de ce qui constitue une activité économique légitime. Tout ce qui ne cadre pas avec ce modèle est peu à peu proscrit par l'OMC et rendu illicite, rejeté en dehors des limites de la légitimité. Du point de vue du Canada, qui a fait les choses différemment, c'est un désastre. Et cela amène à se poser la question suivante: pourquoi vouloir participer à un processus dont le résultat sera d'éroder davantage encore notre capacité d'être nous-mêmes et de faire les choses différemment?

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Qui aimerait essayer de répondre à cela?

Madame Plewes.

Mme Betty Plewes: J'aimerais simplement donner un exemple de ce que vous dites. Il s'agit de la Birmanie. Certaines municipalités et comtés aux Etats-Unis ont décidé d'imposer des sanctions économiques à la Birmanie, parce qu'ils déplorent la situation des droits de la personne en Birmanie. Ils ont eu recours à des lois d'achats sélectifs et à des ententes en vertu desquelles ils refusaient d'acheter des marchandises en provenance de la Birmanie. Or l'Union européenne et le Japon ont contesté ces mesures auprès de l'OMC. C'est pourtant en imposant des sanctions de ce genre que nous avons forcé le gouvernement d'Afrique du Sud à changer.

• 1110

Maintenant nous disons que nous ne pouvons pas utiliser de telles mesures. Ce sont des lois qui ont été adoptées par les États-Unis. Elles sont légitimes, mais elles sont contestées à l'autre niveau. Et il y a de nombreux autres exemples de contestation de normes nationales relatives à l'environnement.

Nous reconnaissons tous que nous avons besoin d'un système fondé sur des règles, mais qui établit les règles et dans l'intérêt de qui sont-elles mises en oeuvre et avec quel objectif? Quelle vision avons-nous pour ce système de gouvernance mondial naissant? Nous prétendons qu'il devrait viser le développement humain durable et cela exige que nous prenions un peu de recul pour voir comment ces diverses institutions sont en train d'évoluer.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Monsieur Mendes.

M. Errol Mendes: Très brièvement, pour répondre à la question de M. Blaikie, 50 ans représentent beaucoup de temps pour moi, mais très peu pour l'humanité. Encore une fois, j'aimerais insister sur le fait que si c'est une institution jeune, c'est parce qu'elle est toujours encore essentiellement fondée sur des relations contractuelles. L'OMC n'a pas d'organe central d'exécution. Elle fonctionne en disant que si l'on constate que vous contrevenez aux règles de l'OMC, l'autre partie peut prendre des mesures de représailles contre vous. Il s'agit toujours essentiellement d'un contrat entre pays.

Elle doit évoluer pour aller au-delà du contrat et rechercher la justice, l'égalité et la dignité. C'est là que réside la grande difficulté: il faut dépasser le droit contractuel pour passer à autre chose. Cette autre chose qu'il faut créer, c'est l'intégration minutieuse des normes du travail et des normes en matière d'environnement, etc. Ce sera extraordinairement complexe. Il faudra que quelqu'un prenne les commandes, et pour le moment aucun pays ne l'a fait.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Monsieur Campbell.

M. Bruce Campbell: Je suis d'accord que l'OMC, telle qu'elle a évolué, a limité l'espace laissé aux politiques nationales, mais je crois qu'on peut aller à l'autre extrême et dire qu'il n'y a pas de place pour les politiques. Les options sont certes limitées, mais il y a beaucoup de place et parfois j'ai l'impression que l'on n'explore pas vraiment ces options.

Au cours des 50 années d'existence de l'OMC et du système de Bretton Woods, du moins durant la première moitié, on a noté une certaine sensibilité à ces questions. D'ailleurs c'était l'objectif des architectes de Bretton Woods: maintenir l'équilibre entre la gestion internationale et la souveraineté nationale. Au cours des 25 dernières années, la tendance à recourir à des mesures qui limitent la capacité des gouvernements à faire certaines choses—à part faire respecter la discipline du marché—a compromis cet équilibre entre la gestion et les forces axées sur le marché.

Mais ce qui limite la capacité des gouvernements, bien plus que l'OMC, ce sont les marchés financiers, qui ne rendent de comptes à personne et nous mettent dans l'affreuse situation que nous connaissons depuis au moins dix ans. Ils nous forcent à maintenir ces taux d'intérêt réels excessivement élevés, alors que le taux de chômage est élevé, que nous avons vraiment besoin de prendre des mesures d'encouragement fiscales et monétaires. C'est un pouvoir incroyable.

Je ne crois pas que ce soit inévitable. Cela pourrait changer. Il y a des pressions. Mais peut-être les chances de succès pour inverser certaines des tendances des 10 à 15 dernières années paraissent-elles maigres.

[Français]

M. Daniel Turp: Madame la présidente, puis-je faire remarquer que vous n'êtes que deux libéraux à ce comité?

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Je l'ai déjà remarqué.

M. Daniel Turp: Nos invités, je pense, mériteraient d'être entendus par des députés en plus grand nombre, y compris du parti gouvernemental. Ce doit être quand même un peu décevant pour Mme Plewes et ses collègues de constater qu'il n'y a que deux libéraux ici.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Daniel, vous avez raison.

[Traduction]

Monsieur Reed.

Monsieur Turp, ne faites pas le difficile.

[Français]

M. Daniel Turp: Le Parti libéral repose sur vos épaules, vos larges épaules.

[Traduction]

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente. J'apprécie la grande confiance que vous me témoignez.

Des voix: Oh, oh.

• 1115

M. Julian Reed: C'est M. Mendes qui a dit, je crois, que l'OMC devrait s'occuper de choses comme les normes du travail parce que l'OIT est inefficace. C'est une des deux questions que je voudrais poser. Faudrait-il se débarrasser de l'OIT? Si, à votre avis, l'OIT est inefficace, pourquoi devrions-nous la conserver? Ma question est donc celle-ci: l'OMC pourrait-elle prendre en charge ces autres aspects ou faudrait-il donner davantage de pouvoirs à l'OIT pour qu'elle puisse faire son travail? Je me demande seulement combien on peut donner de responsabilités à une seule organisation. J'apprécierais avoir votre avis là-dessus.

J'ai une autre question. Personne n'a parlé de la responsabilité des consommateurs, sauf M. Mendes lorsqu'il a parlé de l'éco-étiquetage. Il me semble que lorsqu'on parle de choses comme la main-d'oeuvre engagée à long terme—notre gouvernement est en train de s'occuper de cela, entre autres choses—ne devrions- nous pas étendre les mécanismes afin de pouvoir qualifier les produits de consommation de sorte que les consommateurs comprennent et sachent comment et où ils ont été fabriqués?

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Merci.

Qui veut commencer?

M. Errol Mendes: Sur la question de l'OIT, nous avons des recommandations spécifiques dans notre livre. Elles sont trop détaillées pour que je vous les expose ici, mais en gros nous recommandons de la renforcer en l'intégrant à la Banque mondiale, au FMI et à l'OIT. Elle servirait d'organe consultatif pour ces organismes et formulerait leur mandat de base qui, dans le cas des institutions financières internationales, serait de favoriser un développement durable, comme le disait Betty, bien ciblé, et, dans le cas de l'OIT, de veiller à ce que certaines normes du travail puissent être considérées comme des subventions illégales, à mon avis. Il est temps de commencer à intégrer ces normes du travail à ces autres institutions financières internationales.

De par sa nature même, l'OIT ne peut être efficace, puisqu'il s'agit d'un organisme tripartite formé de représentants des travailleurs, du patronat et des gouvernements, et très souvent ceux-ci viennent aux réunions avec leurs propres programmes et ils s'affrontent, etc. Cela doit changer. Mais c'est presque impossible à moins de tout défaire pour recommencer à neuf. Il faudra adopter une nouvelle attitude à l'égard des normes du travail.

Il y a un nouveau directeur général qui, selon certains, suscite de nouveaux espoirs. Peut-être pourrions-nous l'inviter au Canada pour examiner avec lui comment on pourrit améliorer l'OIT. Ce serait une démarche importante de notre part.

Quant à l'autre question sur l'étiquetage, je dois dire que je suis sceptique. On a de nombreux exemple qui démontrent que puisque cet éco-étiquetage ou socio-étiquetage n'est soumis à aucun contrôle du gouvernement, il a donné lieu à des fraudes dont les consommateurs sont les victimes. Il n'y a aucun mécanisme de surveillance ou de vérification pour prendre en défaut les entreprises qui affirment faire ce qu'il faut alors que ce n'est pas vrai. Il n'existe pas de substitut à l'action concertée des gouvernements et de la communauté internationale pour relever les normes du travail. Je suis troublé par certains des problèmes que ce genre d'étiquetage a suscités.

M. Julian Reed: Aujourd'hui je porte une chemise confectionnée en République dominicaine. Je le sais, ou du moins je le crois puisque c'est écrit sur l'étiquette. Il n'y a rien qui dise sur cette étiquette que le fabricant a respecté quoi que ce soit. D'après ce que je sais de la République dominicaine, cette chemise a probablement été confectionnée dans une de ses zones franches. C'est tout ce que je sais en tant que consommateur. Ou si je porte des chaussures fabriquées en Indonésie, c'est tout ce que je saurai en tant que consommateur. Cela me dérange. Je pense que le consommateur a une certaine responsabilité, qui pourrait avoir une grande influence si le message pouvait lui être donné et s'il n'était pas mis à l'écart de ce débat.

Mme Ann Weston: Puis-je donner quelques précisions? Je crois que les deux points que vous avez soulevés sont très importants.

• 1120

À propos de la responsabilité des consommateurs, ce serait une solution, c'est sûr, et je pense que bon nombre de groupes de consommateurs appuieraient sans doute l'initiative visant les ateliers d'exploitation, les «sweatshops» que certains demandent de prendre, car ce serait une façon de nous assurer que lorsque les gens achètent des chemises, ils savent comment elles sont confectionnées. Je recommanderai à votre comité de reconnaître que la création d'un groupe de travail sur les ateliers d'exploitation pourrait constituer un moyen efficace d'examiner ce problème, et de voir ce que le Canada pourrait faire, dans les limites de ce que l'OIT nous permet de faire, pour qu'il y ait davantage d'informations sur la façon dont ces chemises sont confectionnées et pour que les entreprises qui les vendent soient incitées à se préoccuper davantage des conditions de production.

Et cette responsabilité ne se limite pas aux consommateurs. Les gouvernements et les entreprises partagent cette responsabilité. Les trois doivent travailler ensemble.

Pour en revenir à l'OIT et à la question de savoir si elle a un pouvoir, on a tendance à être plutôt négatif à son sujet. Il est certain qu'elle s'est heurtée à un certain nombre de problèmes, mais on a assisté à une certaine renaissance de l'OIT au cours de la dernière année, et elle a maintenant un nouveau directeur général, alors attendons de voir comment nous pourrions travailler avec les mécanismes existants de l'OIT. Elle ne s'occupe pas uniquement de problèmes qui pourraient justifier l'imposition de sanctions. Elle va dans les pays et travaille avec eux, avec les gouvernements, pour créer des normes du travail, pour créer des mécanismes nationaux d'application de ces normes.

Après tout, c'est vraiment cela que nous devrions viser. Pourquoi vouloir absolument recourir à la matraque, alors que ce qu'il faut réellement, dans ces pays, c'est avoir des inspecteurs qui vont s'assurer dans les usines que les normes du travail nationales sont bien respectées.

Je crois que nous devrions chercher à travailler avec l'OIT. En même temps, nous pourrions envisager, au sein de l'OMC, la création d'un comité qui examinerait les relations entre le commerce et les normes du travail. Ensuite nous pourrons commencer graduellement à voir s'il y a des éléments particuliers qui devraient être incorporés à l'OMC afin de renforcer ce que l'OIT fait en ce moment.

Nous sommes en train de travailler avec des éléments, avec d'autres personnes, pour essayer d'organiser une conférence plus tard cette année au Canada, où nous ferions connaître les activités de l'OIT et où nous donnerions l'occasion aux Canadiens de dire ce qu'ils pensent de l'OIT et si à leur avis on pourrait ou non la rendre plus efficace, avant de nous tourner vers l'OMC pour résoudre les problèmes dans le domaine du travail—car je ne pense pas que ce soit forcément la meilleure solution.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Je me demande. J'ai l'impression que nous devrions arrêter la terre de tourner, en descendre et bien regarder ce qui se passe. Peut-être devrions-nous prendre le temps de respirer le parfum des fleurs avant de remonter.

[Français]

M. Daniel Turp: Le printemps arrive, madame Finestone.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Je sais.

M. Daniel Turp: À 20 h 40 samedi, ce sera le printemps.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): C'est beau.

M. Daniel Turp: Il va y avoir de belles fleurs.

Mme Betty Plewes: Mais les fleurs commencent à mourir.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): D'accord. Stéphan Tremblay,

[Français]

vous avez la parole.

M. Stéphan Tremblay (Lac-Saint-Jean, BQ): Cela tombe bien parce que je voulais justement vous parler des fleurs. Il y a des gens qui sont inquiets du fait que les fleurs meurent alors que d'autres pensent que les fleurs vont très bien.

Ça ne fait pas longtemps que je milite en politique et je suis absolument fasciné devant les divergences d'opinion ou de perception qu'il peut y avoir. Tout à l'heure, on a pu voir la différence entre le discours de notre collègue Penson et celui de M. Campbell. Pour l'un, tout va bien et il n'y a que quelques ajustements à faire. Pour d'autres, l'humanité est en état de crise.

La semaine passée, je suis allé dans une université pour discuter avec des étudiants. Très peu d'en eux connaissent le mécanisme de la taxe Tobin ou l'état du système financier et du commerce international. Il me semble qu'il y a un problème de communication. Quand la population sera davantage au fait des problèmes et quand nous admettrons qu'il y a un problème et que nous sommes en état de crise, il me semble qu'on pourra régler les problèmes.

Qu'est-ce que nous devons faire pour nous entendre sur le fait que quelque chose va très mal dans la société? L'absence de certains députés nous montre que votre discours est un peu marginalisé.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Stéphan, nous ne faisons pas de politique ici. Nous comprenons cela. Allez- y, posez vos questions.

[Français]

M. Stéphan Tremblay: Oui, c'est vrai, je m'excuse. Vous avez raison.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): C'est la jeunesse.

M. Stéphan Tremblay: J'aimerais vous entendre là-dessus. Merci.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Qui va répondre à ce jeune homme plein de fougue, qui est en train d'apprendre que la politique est une

[Français]

mauvaise piqûre

[Traduction]

et fascinante?

Des voix: Oh, oh.

M. Bruce Campbell: Je pourrais commencer.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Je crois que vous l'avez fait réfléchir, c'est une bonne manière de commencer.

M. Bruce Campbell: Pensez-vous que je devrais?

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Je vous en prie.

• 1125

M. Bruce Campbell: Je crois réellement qu'il faut arrêter de faire tout ce battage autour de la libéralisation et de la mondialisation, de dire que c'est une bonne chose, et que si ce n'est pas une bonne chose, c'est inévitable, et qu'il vaut donc mieux suivre le mouvement et accepter la réalité, et se laisser porter par le courant et prendre les décisions qui s'imposent, et si vous avez vraiment beaucoup de chance et que vous êtes vraiment très rapide, peut-être arriverez-vous parmi les premiers.

Mais ce n'est pas la marée montante qui entraîne tous les bateaux, d'ailleurs elle n'entraîne que ceux qui ont des bateaux, et il y a bien des gens qui n'ont pas de bateaux... Beaucoup de ces gens sont laissés derrière. Beaucoup de gens se trouvent au milieu, mais ont du mal à suivre, surtout depuis une dizaine d'années. Très peu se trouvent dans la zone de «confort», moins en tout cas que par le passé.

Je crois qu'il incombe aux dirigeants politiques de regarder froidement les effets de cette situation. Betty a recommandé une analyse des répercussions de l'Uruguay round. Ni ce gouvernement ni le précédant n'a sérieusement analysé ces dix années de libre- échange; la chose est pratiquement passée inaperçue. Pourtant vous vous souvenez de l'important débat que le sujet avait soulevé.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Monsieur Campbell, vous devez admettre qu'une analyse économique a été réalisée, puisqu'on sait dans quelle proportion la part du Canada dans le commerce international a augmenté, alors...

M. Bruce Campbell: Cela est clair, personne ne dit le contraire.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Excusez- moi. Cet aspect de l'analyse a été fait. Vous nous avez peut-être parlé de ce qui manque, à savoir l'aspect social de l'analyse.

M. Bruce Campbell: Vous vous souviendrez, madame Finestone, que durant le débat sur le libre-échange, on faisait des suppositions des deux côtés sur les effets qu'il aurait. Il y avait toutes sortes d'opinions. Personne ne niait le fait qu'il y aurait davantage d'échanges commerciaux, mais les répercussions... Je crois qu'il faut absolument faire une analyse de ces impacts, et je pense que cela s'applique au commerce multilatéral également. Au lieu de simplement supposer que la libéralisation du commerce et des mouvements de capitaux, surtout la libéralisation de la circulation des capitaux, est forcément quelque chose de bon ou d'inévitable—je crois que nous nous trompons—je crois qu'il faut arrêter de penser cela et se demander ce que nous voulons retirer des négociations commerciales. Établissons nos priorités et énonçons-les clairement afin que les gens puissent voir au-delà des généralités.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Ann, ensuite Betty, et ensuite M. Turp a une question à poser.

Stéphan, avez-vous eu votre réponse? C'est beau.

Mme Ann Weston: J'aimerais simplement dire que même les gouvernements en-dessous du fédéral peuvent en faire davantage pour que les répercussions sociales ne soient pas aussi négatives qu'elles semblent l'être dans certains cas. Je pense au débat autour des ateliers d'exploitation et de l'industrie du vêtement en Ontario et au Québec. La réduction du nombre d'inspecteurs qui vont dans les usines effectuée par les gouvernements provinciaux a posé de réels problèmes. Cela ne nous est pas imposé par l'OMC, mais nous le faisons de toute façon.

Il se peut que nous blâmions un peu trop les règlements internationaux pour des choses sur lesquelles nous avons en fait davantage de contrôle, qu'il s'agisse de faire respecter nos propres lois ou de concevoir des mesures de protection sociale appropriées. Si l'ALÉNA est une bonne chose pour l'économie du Canada, assurons-nous de mettre en place les politiques économiques ou fiscales qui permettront de compenser ceux qui sont lésés. Malheureusement, nous avons tendance à ne pas prendre cette peine et c'est pourquoi les gens résistent. Il y a davantage de possibilités de bien réussir dans cette économie mondiale plus libre, mais il faut un leadership, tant au niveau des entreprises qu'au niveau du gouvernement, que ce soit le fédéral ou les autres.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Merci.

Betty, je vous prie, et ensuite monsieur Turp, s'il vous plaît.

Mme Betty Plewes: J'aimerais simplement revenir sur un aspect de ce que disait M. Tremblay, à savoir l'éducation et la participation du public. Il est vrai que nous ne pouvons pas simplement laisser ces questions aux experts. Bien qu'elles soient fort complexes et exigent des réponses très subtiles, elles sont fondées sur des valeurs et principes de base, et il y a des choix que les gens doivent faire.

• 1130

Je sais que la plupart des gouvernements sont en train de se demander comment démocratiser le processus de formulation des politiques publiques. Cela nous préoccupe, tant au niveau national qu'international.

L'un des moyens que nous avons recommandés récemment serait d'augmenter le montant du budget de l'ACDI qui est consacré à l'éducation du public. Ce budget a été considérablement réduit en 1995, et c'est l'un des domaines où nous avons des ressources à consacrer à des efforts qui permettront de mieux faire comprendre aux Canadiens ces grands défis sur la scène mondiale. Je crois qu'il est très important de trouver comment ces questions très complexes et subtiles peuvent être incorporées au débat public.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): De fait, je pense que c'est une question que nous tous ici devrons examiner. L'AMI aurait dû nous avertir qu'une population non informée peut prendre une situation qui aurait pu être une bonne idée et... Je ne sais même plus, après tout ce que j'ai entendu, si c'était une bonne ou une mauvaise idée; tout ce que je sais c'est qu'elle a échoué. Elle a échoué pour une bonne raison. Si vous croyez à la démocratie et que vous croyez qu'une société éclairée a le droit de faire des choix, des bons choix ou des mauvais choix, à condition d'avoir les informations...

[Français]

Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: À ce sujet, madame la présidente, j'étais il y a quelques jours au Royaume-Uni. J'ai eu l'occasion de parler au secrétaire parlementaire sur le développement international. Vous savez que les Britanniques ont fait cet effort. On en a déjà parlé déjà avec Mme Plewes. Le New Labour a fait l'effort de sensibiliser les citoyens à la question de l'aide publique au développement. C'est fascinant, ce qu'ils ont fait, surtout que cela a réussi.

Ils ont distribué dans les supermarchés, dans tous les endroits où les citoyens allaient faire leurs courses, des documents sur la nouvelle politique d'aide au développement pour que les citoyens apprivoisent cette politique et se l'approprient. Stéphan est quelqu'un qui le fait lui-même à sa façon. C'est quelque chose qui devrait être fait non seulement pour l'aide publique au développement, mais aussi pour des questions comme l'avenir de notre planète au plan économique et au plan commercial.

C'est sérieux, la suggestion qui est faite de faire des études d'impact sur ce qui est arrivé, mais surtout sur ce qui arrivera des politiques nouvelles et des règles nouvelles qui seront adoptées dans le cadre de la prochaine négociation de l'Uruguay Round. Je suis certain qu'on va avoir beaucoup de difficultés à imposer des études d'impact rétroactives parce qu'on trouvera toujours de bonnes raisons de ne pas le faire pour l'Uruguay Round. Mais on devrait certainement vouloir que l'OMC et les États fassent des études d'impact sur ce qui est fait, sur ce qui est décidé, sur les résultats de l'application de ces nouveaux accords.

J'aimerais que vous parliez un peu plus de l'idée de ces études d'impact pour l'avenir.

L'autre question, je l'emprunte un peu à Maud. L'OMC deviendra-t-elle l'organisation la plus importante? Est-ce qu'il faut surtout penser réformer l'OMC telle qu'elle existe plutôt que d'investir nos énergies dans l'OIT et dans d'autres organisations qui pourraient devenir essentiellement des organes subsidiaires de l'OMC lorsqu'il s'agit d'appliquer des normes du travail ou d'élaborer des normes du travail qui seront appliquées par l'OMC? C'est peut-être l'OMC qui pourra avoir des mécanismes sérieux et plus coercitifs d'application des normes du travail et des droits de l'homme.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Monsieur Mendes.

M. Errol Mendes: Daniel, c'est exactement ce que nous recommandons dans notre ouvrage, à savoir que l'OIT devienne un organe consultatif, si vous voulez, de l'Organisation mondiale du commerce, du FMI et de la Banque Mondiale, pour indiquer comment les normes du travail et le développement des ressources humaines et la productivité globale des facteurs peuvent être intégrés à tous les aspects de l'Organisation mondiale du commerce, du FMI et de la Banque Mondiale. C'est tout à fait cela.

Je suis d'accord également pour les études d'impact.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Croyez- vous, monsieur Mendes, qu'il faudrait également lancer un processus d'évaluation afin d'avoir une référence, une base à partir de laquelle on pourra ensuite examiner les progrès ou régressions, selon le cas?

M. Errol Mendes: Absolument. Comme je l'ai dit, nous aurons une excellente occasion de le faire l'année prochaine. L'Organisation mondiale du commerce doit entreprendre une revue globale de la politiques commerciale. Le Canada pourrait prendre les devants et proposer précisément de procéder à cet exercice dans le cadre d'un mécanisme de révision de la politique commerciale à l'occasion du nouveau millénaire. J'encourage fortement votre comité de faire une recommandation au gouvernement dans ce sens.

C'est tout à fait ce qu'il faut, Daniel.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Un instant, s'il vous plaît. Mme Debien a une question à rajouter, et après vous pourrez conclure car nous allons nous arrêter.

• 1135

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien: La semaine dernière, quelques témoins ont suggéré qu'on fasse un moratoire sur les prochaines négociations, sur la prochaine ronde du millénaire. Vous avez tous parlé d'une analyse des impacts. Vous avez dit, tous les quatre, qu'il fallait faire une évaluation du l'Uruguay Round et une analyse très poussée de ses impacts, et il y a des témoins qui sont venus nous dire la semaine dernière qu'il serait peut-être important d'imposer un moratoire sur les prochaines négociations afin que les pays puisse faire cette analyse d'impact. Selon vous, est-ce réaliste?

Mme Ann Weston: Je comprends l'idée, mais je vous conseillerais de ne pas oublier que déjà, dans les accords de l'Uruguay Round, des négociations sur l'agriculture et sur d'autres sujets sont prévues. Même si on décide de ne ne pas commencer une autre ronde de négociations, il y a des négociations qui vont se faire. Les gens ont demandé une nouvelle ronde afin que plusieurs sujets soient sur la table au même moment pour faire des trade-offs.

Même s'il y a un moratoire, des décisions devront être prises sur les questions d'agriculture, etc. Je ne pense pas qu'on puisse arrêter ces décisions, qui vont être assez dures pour nos pays et pour les pays en voie de développement.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Excusez- moi.

Monsieur Turp, voulez-vous lire votre motion tout à l'heure, avant que nous ne levions la séance?

M. Daniel Turp: Bien sûr.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Avant qu'on termine.

Madame Plewes.

Mme Betty Plewes: Il y a deux choses. D'abord, je crois, que les gens qui appellent...

[Français]

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Un moment. J'aimerais établir les règles du jeu.

M. Daniel Turp: Ça commence à être intéressant sous votre présidence, madame, parce que l'opposition a toutes les questions.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Ce n'est pas vrai. J'ai des questions.

M. Daniel Turp: C'est vrai. M. Reed en a posé.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Et moi aussi.

[Traduction]

Nous allons vous donner à tous la parole pour que vous nous donniez un résumé ou une conclusion. Vous pouvez y inclure vos réponses aux questions qui ont été posées. Cela vous convient-il, mesdames et messieurs? Voulez-vous prendre chacun deux à trois minutes, en commençant par M. Campbell?

M. Bruce Campbell: D'accord. J'aimerais répondre à certains commentaires qui ont été faits, à commencer par l'analyse des répercussions.

La plupart des analyses des impacts de ces accords qui ont été effectuées dans le passé portaient sur ce qui allait se passer. C'était le cas certainement pour l'ALE et l'ALÉNA. Le gouvernement a fait son analyse des impacts et dans le fonds justifiait ainsi les politiques qu'il désirait mettre en oeuvre et l'Institut C.D. Howe a fait son analyse des impacts, avec des préjugés différents, et nous avons fait notre analyse et tous deux, nous... une de ces analyses était une analyse d'équilibre général. C'étaient des modèles informatisés. Nous avons fait des suppositions différentes et avons obtenu des résultats différents. J'ai l'impression qu'aucune de ces analyses n'avait réussi à saisir la complexité de la situation.

C'est pour cela que les analyses d'impact me laissent sceptiques, ou alors il faudrait que j'aie vraiment confiance dans l'organisme qui s'en chargerait, et le ministère des Affaires étrangères ne serait certainement pas mon premier choix.

Nous n'avons pas, par exemple, comme au Congrès américain, un bureau chargé des analyses de budget...

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Nous avons besoin d'un organe indépendant qui...

M. Bruce Campbell: Oui, qui aurait la confiance des différents côtés. Une façon d'évaluer les effets serait de voir ce qu'il est advenu des accords déjà entrés en vigueur et pour lesquels nous avons des données empiriques qui serviraient de base à une évaluation. Je crois que nous obtiendrons une analyse plus utile de ce qui risque de se passer en examinant ce qui s'est passé dans le cas des accords antérieurs, que ce soit au cours des dix années de l'ALE ou de l'ALÉNA, ou des cinq années de l'Uruguay round.

• 1140

J'aimerais soulever encore un point, avant de m'arrêter, à savoir celui de la dynamique de la compétitivité, qui pose toujours un problème pour les deux côtés de ces débats. Les critiques prétendent que l'on établit une dynamique avec ce type d'approche du marché libre en vertu de laquelle on fait circuler les capitaux comme on veut, on décide d'ouvrir une usine quelque part, et puis on menace de fermer si les ouvriers n'acceptent pas de concessions—c'est l'intimidation—et il arrive qu'elles ferment pour aller s'installer dans le Sud des États-Unis, et ainsi de suite.

Il y a cette dynamique de la compétitivité qui, pour les entreprises qui évoluent dans ce libre marché, devient une réalité. Elles se battent entre elles et s'échangent les droits, salaires et avantages sociaux des travailleurs. Ensuite il y a les gouvernements. Je me limite à l'Amérique du Nord pour illustrer la chose. Il existe 90 gouvernements nationaux et sous-nationaux prêts à fournir des subventions et des allégements fiscaux, à abaisser leurs impôts et ainsi de suite. Le tout fait peser une pression à la baisse incroyable.

Il nous faut étudier cette dynamique, et l'étudier en profondeur. Nous devons en examiner les effets et conclure des accords internationaux qui limiteront ce pouvoir, et de fait favoriseront une dynamique positive qui aura pour effet d'élever les normes plutôt. L'Union européenne pourrait peut-être nous donner des conseils dans ce domaine.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Merci beaucoup.

Madame Plewes.

Mme Betty Plewes: Je crois que tous ces gens, dont certains demandent des moratoires, d'autres une période de réévaluation et d'autres encore une série de négociations axée sur le développement, comme Clare Short, nous disent tous qu'il y a de sérieux problèmes qu'il faudrait examiner avant d'aller de l'avant et que ces analyses devraient être effectuées sur une base très large, avec la participation de la société civile.

Deuxièmement, j'aimerais préciser que nous ne proposons pas de donner toutes ces compétences à l'OMC afin qu'elle ait encore plus de pouvoir en matière de normes du travail, d'environnement et de droits de la personne en général. Nous suggérons plutôt de renforcer ces autres organes qui ont la responsabilité de ces questions et de nous pencher sur la nature des liens qui existent entre ces diverses institutions.

Pour terminer, j'estime qu'il importe, lorsque le Canada participe à ces processus fort complexes, d'avoir une approche plus cohérente. Nous devons savoir ce que nous faisons par l'entremise des ministères des Finances, du Commerce international, de l'Environnement et de la Coopération internationale, afin que nous puissions mettre au point une liste de nos priorités internationales et pouvoir être plus efficaces dans toutes ces institutions.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Merci beaucoup.

Monsieur Mendes.

M. Errol Mendes: Je propose que le Canada profite des prochaines négociations de l'OMC et de la révision de la politique commerciale prévue l'année prochaine pour encourager la communauté internationale à organiser une conférence mondiale sur les problèmes nouveaux du commerce international et sur leur incidence sur l'environnement et les normes du travail. Cette conférence devrait être organisée conjointement par les Nations Unies, l'OIT, l'OMC, la Banque mondiale, le FMI et les autres organismes multilatéraux intéressés.

Les objectifs d'une telle réunion devraient être les suivants: évaluer le rôle, le mandat et la fonction de l'OIT dans le contexte du système économique mondial; rechercher comment on pourrait intégrer le commerce, les normes du travail et l'environnement...

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Pourriez- vous ralentir un peu afin que l'interprète français puisse reprendre son souffle? Merci.

M. Errol Mendes: ... adopter une déclaration selon laquelle le travail forcé et la servitude pour dettes sont des crimes contre l'humanité; examiner comment le mécanisme d'examen des politiques commerciales pourrait inclure une analyse des normes du travail et des ressources environnementales; et recentrer et élargir les programmes de la Banque mondiale, du FMI et des autres organisations donatrices pour favoriser les investissements dans le développement des ressources humaines dans les pays en développement.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Monsieur Mendes, je note un certain scepticisme ici. Je crois qu'il faut redescendre sur terre, nous ne sommes pas dans le cyberespace.

Des voix: Oh, oh.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Nous aimerions savoir quand cela est censé se faire—de notre vivant, dans les dix prochaines années ou quoi?

M. Errol Mendes: Avec tout le respect que je vous dois, nous devons...

M. Daniel Turp: Il faut faire face à cet aspect de la réalité, madame Finestone.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Oui, je sais. Comme protéger notre droit à la vie privée aussi fait partie de la réalité.

M. Errol Mendes: Excusez-moi, mais nous aurons une occasion l'année prochaine. Elle est sur les rails. Nous pouvons soit totalement l'ignorer et la considérer irréelle, ou nous pouvons commencer à discuter de ces questions.

Madame la présidente, c'est à vous qu'il revient de décider si nous voulons jouer un rôle de leadership dans les négociations de l'année prochaine—ou non. C'est aussi simple que cela.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Monsieur Mendes...

[Français]

M. Daniel Turp: Est-ce que c'est avant le début de la conférence ministérielle, avant novembre 1999?

Mme Maud Debien: Avant le début?

• 1145

[Traduction]

M. Errol Mendes: Des discussions sont prévues l'année prochaine pour revoir la politique commerciale au sein de l'OMC et pour déterminer l'envergure qu'elle devrait avoir. C'est une occasion en or. Elle est tout à fait réaliste. Nous pouvons commencer les discussions dès à présent.

[Français]

M. Daniel Turp: Mais, Errol, tu sais bien que cela sera intégré dans la ronde de négociations.

[Traduction]

M. Errol Mendes: Exactement.

[Français]

M. Daniel Turp: Cela va disparaître parce que cela va faire partie de la ronde de négociations. Souhaiterais-tu que cette conférence ait lieu avant le lancement de la prochaine ronde de négociations, en novembre? Cela n'est pas réaliste.

Mme Maud Debien: C'est l'automne prochain; c'est cet automne.

[Traduction]

M. Errol Mendes: Non elle en fait partie. Il semble que la Grande-Bretagne et les États-Unis soient décidées à le faire de toute façon. Bill Clinton en a parlé dans son discours sur l'état de l'Union. C'est un train qui est en marche déjà. C'est tout à fait réaliste, madame la présidente.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Je suis contente qu'on ait posé cette question, car en vous écoutant j'avais l'impression qu'il s'agissait d'une entreprise ambitieuse et importante, mais il faut pouvoir la garder à l'intérieur des limites du temps et de la réalité, le facteur temps est une chose très importante dans la vie...

Mais vous étiez en train de dire quelque chose. Voulez-vous terminer?

M. Errol Mendes: Non, je vais m'arrêter là.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Vous voulez dire que vous avez fait assez de dégâts aujourd'hui.

Des voix: Oh, oh.

M. Errol Mendes: Oui.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): D'accord, merci.

Madame Weston.

Mme Ann Weston: Pour en revenir à ce sujet, chaque année, comme vous le savez, l'OMC passe en revue les politiques commerciales d'un grand nombre de pays. Le Canada a fait l'objet de cette révision l'an passé, et il est donc trop tard pour que le Canada soumette cette idée cette année.

Je recommanderai par contre, si le Canada veut vraiment appuyer cette idée d'élargir cette évaluation des politiques commerciales au-delà de l'approche étroite, économique ou rigoriste de l'OMC, si nous voulons y inclure les impacts sur le plan social et sur l'environnement, d'encourager l'OMC—mais cela nécessiterait peut-être l'injection de ressources supplémentaires que le Canada et d'autres pays pourraient fournir—de commencer à tester ces idées concrètement au cours du prochain examen de la politique commerciale du pays dont ce sera le tour cette année.

Nous n'avons pas besoin d'étudier le monde entier. Nous pourrions étudier le cas des quatre ou cinq pays dont ce sera le tour au cours des six prochains mois, et vous auriez alors de quoi alimenter vos discussions lorsque vous vous rencontrerez au mois de novembre de cette année. On n'a pas besoin d'un processus entièrement neuf. Il suffit de rajouter cet exercice à un processus qui est déjà en cours.

J'aimerais simplement en revenir à cela: que pourrait-on réellement faire d'autre? Arrêtons de nous concentrer sur ce que nous allons dire à l'OMC ou aux autres pays de faire. Revenons à ce que nous...

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Exactement.

Mme Ann Weston: ... pouvons faire ici au Canada. Je crois toujours que nous devons nous demander si nous voulons vraiment ouvrir nos marchés à ces pays développés. Je crois que nous devrions réfléchir à ce que Renato Ruggiero demandait. Je constate que la plupart des gens restent silencieux, mais à mon avis c'est un sujet important.

Nous avons également la possibilité d'apporter une plus grande contribution dans le domaine de l'assistance technique. Nous pouvons également avoir des politiques commerciales qui soient plus cohérentes avec nos politiques de développement.

J'aimerais donner mon appui à ce que certains de mes collègues ont dit ici aujourd'hui, mais prenons l'initiative ici au Canada et recommandons aux autres de suivre notre exemple sur la scène internationale.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Avez-vous d'autres questions?

M. Julian Reed: J'aimerais invoquer le règlement, madame la présidente.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Oui, monsieur.

Mais tout d'abord, merci beaucoup.

À vous, monsieur.

M. Julian Reed: Merci, madame la présidente. J'aimerais simplement expliquer à mes amis du Bloc que mes collègues ont été kidnappés ou détournés—choisissez l'expression qui vous convient—pour aller voter des lois dans d'autres comités, et que notre célèbre président est absent pour le moment car on est en train de lui remettre un prix pour la contribution qu'il a apportée à la promotion de la langue française dans tout le Canada.

[Français]

M. Daniel Turp: C'est vrai.

[Traduction]

Des voix: Oh, oh.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Je dois dire qu'en qualité de coprésidente du comité des langues officielles, je suis ravie d'apprendre que le Canada a fait cela.

[Français]

M. Daniel Turp: Madame, puis-je lire notre motion avant que...

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Oui.

J'aimerais remercier nos invités, nos témoins. C'était une séance très instructive. J'espère sincèrement que tous les représentants des divers ministères du gouvernement qui sont derrière vous ont pris note de tout ceci et qu'ils y donneront suite, car nous allons poser des questions pour voir s'ils ont donné suite à ce que vous avez suggéré. Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: À la lumière des événements du début de la semaine à Cuba, je dépose un avis de motion demandant que notre comité convoque le ministre des Affaires étrangères afin de l'entendre sur les relations Canada-Cuba telles qu'il veut les réviser, puisque c'est de cela qu'il a parlé en Chambre. Je fais donc le dépôt de cette motion qui devrait être débattue, je l'imagine, lors de la prochaine réunion du comité.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Merci beaucoup.

[Traduction]

La séance est levée.